Jeudi 7 juillet 2016
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -Compte rendu du déplacement dans les Hautes-Alpes du jeudi 30 juin 2016 par Mme Patricia Morhet-Richaud
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci à tous pour votre présence à cette réunion que nous allons commencer par un compte rendu de notre déplacement dans les Hautes-Alpes, organisé par notre collègue Patricia Morhet-Richaud. La journée a été riche et intéressante.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Madame la Présidente, je vous remercie d'avoir accepté de proposer ce déplacement à Gap, et je suis très heureuse qu'aient pu y participer plusieurs membres de la Délégation, et ce malgré l'éloignement. En effet, nous étions accompagnées de Michel Canevet, Guy-Dominique Kennel et Michel Vaspart.
Notre journée a débuté par une table ronde à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) qui a réuni une quinzaine d'entrepreneurs, représentatifs de la grande diversité du tissu économique et industriel des Hautes-Alpes.
Le département est connu pour son secteur touristique de montagne été hiver. Nous avons pu ainsi nous entretenir avec des représentants des domaines skiables du département mais aussi avec des spécialistes de l'hôtellerie ou du camping, ainsi que de l'aménagement de la montagne. Les Hautes-Alpes sont également connues pour leurs vergers et plusieurs entreprises liées au secteur primaire avaient naturellement souhaité nous rencontrer (coopératives agricoles, pépiniéristes...). Nous avons également été sollicités par les professionnels du bâtiment et des travaux publics qui ont souligné l'importance de la crise du secteur depuis 2008. Si certaines entreprises du BTP arrivent à sauvegarder leur chiffre d'affaires, comme la Société Abrachy que nous avons vue l'après-midi, elles ont dû innover et réduire leurs marges afin de gagner de nouveaux marchés dans les autres départements de la région.
Au-delà de ces secteurs bien connus, nous avons également rencontré et visité des entreprises d'exception comme la société ARD, spécialisée dans la monétique et la sûreté. Reprise et dirigée par un ancien de GemPlus, cette entreprise est en pleine expansion et remporte régulièrement des marchés en s'adaptant aux besoins de sa clientèle. Elle propose des systèmes de contrôle d'accès via des cartes sécurisées et développe des logiciels permettant tout aussi bien de gérer la restauration collective d'un collège ou d'un lycée que de protéger un bâtiment officiel. Cette visite, couplée à celle d'Icarius Aerotechnics, spécialisée dans la maintenance aéronautique, prouve encore une fois que nos régions sont capables d'accueillir des entreprises d'exception, leaders nationaux voire internationaux sur des marchés de niche bien particuliers souvent ignorés du grand public.
Si les entreprises rencontrées se sont félicitées du succès de certains dispositifs d'accompagnement mis en place ou pérennisés par les différents gouvernements ces dernières années -pôles de compétitivité, Crédit Impôt Recherche, Crédit Impôt Innovation, Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE), accompagnement de la Banque Publique d'Investissement (BPI)...-, de nombreux griefs ont également été émis.
Tout en nous rappelant les défis propres au département, les entreprises présentes nous ont fait part de leurs difficultés et de leurs besoins ainsi que de leurs suggestions et propositions d'amélioration de notre législation.
S'agissant des défis propres au département, les questions d'accessibilité et d'enclavement du département sont évidemment les premières que soulèvent les entreprises locales, confrontées à un éloignement que les nouvelles technologies n'arrivent à résoudre que partiellement. Deux exemples -routier et numérique- ont été cités avec, d'une part, le projet d'achèvement de l'autoroute A 51 et, d'autre part, la difficulté d'accéder au haut débit et à la fibre optique sur l'ensemble du département. Faute d'acceptabilité sociale et environnementale, le projet de jonction de l'autoroute A 51 est, de l'avis des experts, inenvisageable avant 2050 ! Cette échéance désespère nombre d'entreprises locales. Cette difficulté est certes moins médiatisée que celles que rencontrent d'autres projets en France mais elle est particulièrement problématique pour le développement économique du département. Concernant le développement numérique, le président du conseil départemental a tenté de rassurer les chefs d'entreprises présents sur la mise en oeuvre du schéma départemental numérique.
Deuxième particularité du département : son économie est essentiellement fondée sur la saisonnalité avec, dans les secteurs touristiques de montagne, plus de 80% de la population active en contrat à durée déterminée (CDD). Cela correspond non seulement à une réalité économique mais également à un choix de vie des saisonniers. Or, le système actuel fondé sur le contrat à durée indéterminée (CDI) comme contrat de référence n'est malheureusement pas adapté à cette réalité de l'économie spécifique de nos hautes montagnes.
Le vieillissement de la population constitue la troisième difficulté à laquelle le département est confronté comme plusieurs de nos départements ruraux. Le vieillissement de la population a un impact sur la reprise des entreprises et notamment des exploitations agricoles ; est en jeu le maintien de l'activité économique dans le département. Dans un département où de nombreux responsables de PME ont plus de cinquante ans, la question de la transmission des entreprises apparaît comme cruciale pour plusieurs de nos interlocuteurs. Comme à l'occasion de nos précédents déplacements, la transmission familiale a été évoquée. Un des interlocuteurs nous a ainsi expliqué que, dans certains secteurs, d'ici 10 ans, 70 % des entreprises seront à céder dans le département.
Enfin, ce vieillissement couplé à l'éloignement des grands centres de formation accentue les difficultés de recrutement qui constituent le quatrième défi des Hautes-Alpes. L'éloignement transforme tout recrutement technique en parcours du combattant avec une vraie difficulté pour attirer les hauts potentiels, faute de pouvoir trouver sur place un emploi pour les conjoints. Ces difficultés de recrutement concernent également la médecine du travail, les entreprises de la région étant confrontées à une véritable pénurie de médecins spécialisés.
Pour ce qui est des difficultés évoquées par les entreprises, elles concernent notamment le surcroît de complexité et d'instabilité normative et l'inadaptation de notre réglementation tant aux problématiques des PME qu'aux spécificités d'une zone rurale de haute montagne.
La complexité administrative et l'instabilité normative restent des griefs récurrents de la table-ronde et de nos visites. « Mais où est passé le choc de simplification ? » nous a demandé un des chefs d'entreprise ! Un de ses collègues indiquait que les marges perdues en raison des nouvelles normes réduisaient à néant toute possibilité d'embauches complémentaires. Les réglementations récentes concernant l'accessibilité, les enseignes ou les transports urbains ont ainsi été citées comme autant d'exemples de surcoûts ayant empêché des créations d'emplois. Face à l'instabilité des normes réglementaires et législatives, une autre entreprise spécialisée dans la haute technologie indique avoir besoin d'un temps-plein administratif, rien que pour « courir après les mises à jour ». Les normes inadaptées aux réalités du terrain ont également été dénoncées avec l'exemple de la construction de salles polyvalentes qui devraient être rendues accessibles aux personnes handicapées malgré l'importance de la pente en front de neige.
Mais c'est surtout l'inadéquation de notre réglementation aux réalités des PME qui a été soulignée lors de notre déplacement. Je citerai ici quelques exemples.
L'accès des PME aux marchés publics constitue un des premiers problèmes évoqués. Le cadre réglementaire des marchés publics et la rédaction de certains appels d'offres restent trop complexes à appréhender pour certaines entreprises. Bien qu'ayant toutes les compétences techniques pour y répondre, ces entreprises sont écartées de fait ou s'écartent d'elles-mêmes, par manque de compétences administratives pour démêler les procédures d'appel d'offres.
De la même manière, les entrepreneurs présents ont pu regretter le manque d'interlocuteur fiable capable d'aider les PME à monter leurs dossiers et à avoir une visibilité dans le temps du cadre législatif et réglementaire impactant leurs différents projets. Retards, surcoûts, sentiment d'être abandonnés et de ne plus pouvoir maîtriser le calendrier de leurs propres projets : tel est le triste constat d'une partie des dirigeants de PME rencontrés.
Le compte pénibilité a une nouvelle fois été largement critiqué comme « inadapté et difficilement réalisable » dans le contexte actuel des PME, tout comme l'introduction prochaine du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, potentiellement dévastateur pour une économie essentiellement fondée sur l'emploi saisonnier. Ont été soulignés tant les difficultés de mise en place pour les entreprises que l'impact potentiel sur les salaires des saisonniers.
Plus globalement, nos interlocuteurs nous ont fait part d'un reflux de la politique d'embauche sur le territoire dû à ces différents surcoûts qui augmentent le coût salarial pour les employeurs et diminuent les salaires nets pour les employés. Un des chefs d'entreprise souhaitait avant tout un engagement de l'État sur le maintien du coût salarial, éventuellement en compensant la baisse des charges par une augmentation des impôts impactant la consommation, afin de limiter la concurrence des entreprises étrangères jouissant de charges plus faibles.
Le poids de la fiscalité sur la compétitivité des entreprises a été bien entendu évoqué et le taux de 33 % de l'impôt sur les sociétés jugé excessif. A également été critiquée l'augmentation de la fiscalité locale, particulièrement importante compte-tenu des récentes baisses de dotations subies par les collectivités territoriales. L'entreprise ARD que nous avons visitée a ainsi déploré que la mairie de Gap ait décidé d'instaurer une taxe locale sur la publicité extérieure et le maire de Briançon d'augmenter la taxe transport.
Le faible poids des PME et coopératives agricoles face à la grande distribution a également fait l'objet de remarques de la part des représentants du secteur agricole.
Par ailleurs, les PME rencontrées se sentent largement exclues des dispositifs d'aides et d'incitations, évoquant notamment la question des aides européennes souvent réservées à des projets dépassant le million d'euros. Ces seuils d'aides financières devraient pouvoir être abaissés afin d'éviter de concentrer les aides sur les seules entreprises de taille intermédiaire (ETI) au détriment des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME).
De la même manière est également regretté le manque de coordination et de coopération entre les grands groupes et les PME, notamment en matière de visibilité internationale.
Enfin, il a été rappelé que les nouvelles exigences réglementaires d'ordre environnemental nécessitent des investissements financiers que les PME ne peuvent plus porter sans mettre en péril leur propre existence.
Ont enfin également été évoqués les besoins propres à un département rural de haute montagne avec la nécessaire adaptation du marché du travail et de la politique de formation aux réalités de l'emploi saisonnier des Hautes-Alpes. Des formations concentrées sur les périodes de moindre activité permettraient ainsi à la fois de réduire les éventuelles périodes de chômage tout en améliorant les compétences des saisonniers qui pourraient ainsi être formés sur place.
Le maintien -voire l'extension- des zones de revitalisation rurales (ZRR) a également été évoqué. Ces périmètres ont été parfois remis en question alors même qu'ils ont prouvé leur efficacité pour attirer les jeunes et maintenir l'activité économique en zones rurales.
Plusieurs suggestions d'amélioration de notre législation en faveur des entreprises nous ont été présentées. Sans revenir sur les sujets qui nous sont déjà familiers comme les effets de seuil, les conventions collectives inadaptées, l'absence de plafonnement des indemnités de licenciement, la déconnexion entreprise-enseignement, je citerai ici rapidement quelques-unes des suggestions concrètes qui ont pu nous être présentées :
1) Favoriser une meilleure association des entreprises aux décisions les impactant. A été notamment dénoncé le travail sur certains documents d'urbanisme effectué sans concertation avec le milieu économique, réduisant ainsi par quatre le foncier disponible, avec comme conséquence tant des difficultés d'implantation qu'une augmentation des prix du foncier dans certains secteurs ;
2) Simplifier notre réglementation et adapter notre législation aux réalités des PME, notamment en matière d'accès aux marchés publics ;
3) Stabiliser notre droit en mettant fin à l'inflation normative ;
4) Supprimer les charges sociales applicables à l'alternance afin d'en assurer le développement ;
5) Aider le désenclavement territorial et numérique de nos départements ruraux en étendant le dispositif des ZRR, en travaillant plus en amont les projets de modernisation de nos infrastructures routières et en réduisant la fracture numérique qui continue de pénaliser la ruralité ;
6) Prendre mieux en compte les spécificités du territoire telles que la saisonnalité de son économie ou sa géographie particulière qui rendent difficile voire impossible l'application de certaines normes ;
7) Favoriser des dispositifs de formation innovants avec un calendrier et des durées adaptées à la saisonnalité du secteur de la haute montagne ;
8) Permettre aux médecins généralistes d'intervenir en matière de médecine du travail en leur offrant un dispositif de spécialisation adaptée.
Certaines entreprises ont également attiré notre attention sur leurs cas particuliers. Je citerai deux exemples. Le premier concerne le secteur de l'hébergement touristique de plein air. Son représentant a rappelé l'impact négatif de deux hausses de la TVA consécutives et a souhaité attirer notre attention sur la fiscalisation des mobil homes.
Le deuxième exemple concerne le secteur de l'énergie hydraulique. Afin d'éviter que des projets vitaux pour le développement des énergies renouvelables ne soient administrativement bloqués, les entrepreneurs spécialisés dans le domaine de l'hydroélectricité nous ont rappelé leur souhait de voir évoluer favorablement en 2018 les listes de classement des cours d'eaux dans le cadre de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, ceci afin de favoriser l'installation de petites centrales hydrauliques.
Enfin, il nous a été suggéré de permettre à l'apprentissage d'être valorisé dans le cadre des marchés publics comportant des clauses sociales. Cette demande a été prise en compte dans la récente réforme du code des marchés publics applicable depuis le 1er avril dernier, l'article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics mentionnant l'apprentissage parmi les critères susceptibles de fonder l'attribution du marché. Cela prouve que parfois les changements de réglementation vont dans le bon sens !
Toutefois, malgré cette récente ouverture, il faut noter que le respect des clauses sociales reste délicat dans les zones reculées ne disposant pas nécessairement du vivier de personnel visé par ces clauses.
Comme toujours, notre visite a largement été appréciée par les entrepreneurs qui ont salué la volonté du Sénat et de la Délégation de rencontrer sur le terrain les entreprises afin de mieux comprendre leurs difficultés pour y répondre de la manière la plus efficace possible. Dans notre effort de simplification et d'accompagnement, la spécificité de nos territoires ruraux ne doit pas être oubliée. Bien souvent -nous l'avons vu lors de notre déplacement-, ces territoires accueillent non seulement des centres touristiques structurés, mais aussi de véritables pépites industrielles innovantes. Ces viviers d'emplois, qui font la fierté de notre ruralité, doivent pouvoir être accompagnés de manière efficace par nos prochains travaux.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci pour ce compte rendu très complet de cette journée qui nous a permis de mesurer la situation des territoires enclavés. Nous l'avions déjà entrevue lors de notre déplacement en Corrèze mais nous l'avons perçue encore davantage à Gap. Malgré tout, même dans ces territoires enclavés, nous avons des entreprises très vivantes, innovantes et de pointe.
Mme Nicole Bricq. - Le compte rendu était très intéressant comme d'habitude. On retrouve des similitudes par rapport aux déplacements précédents. Ces déplacements sont utiles pour réduire le décalage qui existe entre la réalité parlementaire et le ressenti du terrain. Mais il existe aussi des points nouveaux comme la question du travail saisonnier. Cela nous donne un droit de suite sur la loi travail. L'un des dispositifs de la loi, non repris par la majorité sénatoriale, permettait une reconduction de ces CDD pour améliorer l'accès de ces travailleurs à la formation et à l'élévation de leurs compétences. De même sur le coût salarial, j'attire votre attention sur la récente étude publiée par la commission des finances de l'Assemblée Nationale dans son rapport sur la loi de règlement 2015, notamment sur les effets du CICE. Un salarié payé au SMIC revient désormais moins cher qu'un salarié détaché payé au SMIC et travaillant 35 heures. Il faudrait pouvoir affiner ces travaux en fonction de la branche ou du type d'entreprise afin de comprendre le décalage entre la réalité macro ou micro-économique et le ressenti des entreprises.
Concernant l'accès aux marchés publics, plusieurs récentes réformes -dont le projet de loi « Sapin II »- ont eu pour objectif de faciliter la vie des petites entreprises. Il serait utile de voir si ce qui a été voté produit des effets positifs en la matière.
Enfin, l'hydraulique est un sujet très important. Dans les départements de haute montagne, elle constitue une vraie richesse qui n'est pas assez mise en valeur. Il nous faut des exploitations et des concessions qui soient opérationnelles.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Concernant les coûts salariaux, je précise que, parmi ceux auxquels les entreprises sont confrontées, figure également le poids des procédures administratives qui pèsent sur nos entreprises par rapport à celles de nos voisins. Plusieurs chefs d'entreprise nous ont parlé du temps à vérifier et rédiger des documents administratifs. Ce temps administratif, y compris les délais supportés par les entreprises, doit pouvoir rentrer dans le calcul du coût global. Tout comparatif devrait intégrer ces réalités.
M. Jean-Pierre Vial. - Issu d'un département de montagne, je confirme que l'hydraulique représente un enjeu de taille. Nous devons distinguer le gros hydraulique du petit hydraulique : le gros hydraulique, organisé autour de concessions, fait l'objet d'une ouverture européenne à la concurrence, mais la France, contrairement aux autres pays européens, n'a pas su protéger son gros hydraulique par la voie statutaire.
La petite hydraulique représente une vraie opportunité ; malgré des dispositions législatives adaptées, chaque dossier donne lieu à une levée de boucliers, notamment des milieux environnementaux. Sur la fiscalité, nous entendons des entreprises se plaindre de la nouvelle fiscalité venue se substituer à la taxe professionnelle : il faudrait vérifier que la suppression de la taxe professionnelle ne s'est pas traduite par une fiscalité « de substitution » aussi lourde pour les entreprises.
Pour ce qui est du routier, la question des infrastructures d'accès soulève des débats techniques houleux. Je ne peux qu'être émerveillé de constater que, malgré les contraintes d'accès, il existe un nombre important d'entreprises dans ces territoires. En termes d'infrastructures, il existe des inégalités flagrantes entre territoires.
Concernant le coût salarial, il faut pouvoir travailler sur le coût réel global pour l'entreprise.
M. Olivier Cadic. - Merci pour ce compte-rendu qui vient compléter utilement tous les déplacements que nous avons effectués afin que nous puissions garder le « Gap » pour les entreprises. Concernant le compte pénibilité, nous voyons à quel point une bonne idée peut parfois se transformer en complexification administrative sur le terrain. Sur la question des charges, à force de ne se préoccuper que du SMIC, on oublie que les charges pèsent de plus en plus quand on monte dans l'échelle salariale. Or, l'objectif pour notre pays n'est pas que tout le monde soit au SMIC mais au contraire que tout le monde puisse progresser. Et renvoyer à 2018 la transformation du CICE en baisse de charges n'est pas un bon signal. Toute cette complexité désespère le terrain. Les entreprises attendent plus de simplicité : nous avons une vraie responsabilité, dont nous devons être conscients.
M. Philippe Adnot. - Je regrette de n'avoir pas pu me libérer pour vous accompagner. Sur la question des infrastructures, nous avions eu l'occasion d'en parler à l'époque avec notre collègue Pierre Bernard-Reymond.
Concernant le compte pénibilité, nous ne sommes pas sortis du sujet. La complexité sera particulièrement lourde en milieu rural, notamment pour le secteur agricole.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Valérie Létard ayant demandé à quitter la Délégation compte tenu de ses nouvelles fonctions régionales, j'ai le plaisir d'accueillir notre collègue Anne-Catherine Loisier qui lui succède au sein de la Délégation et à qui je donne la parole.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci pour votre accueil. Je suis également déçue de ne pas avoir pu vous accompagner lors de cette mission. Malgré les difficultés de ces territoires éloignés, ils offrent une qualité de vie qui est recherchée par les entreprises, y compris étrangères -et notamment allemandes. Je le constate également dans le Morvan.
Concernant la façon dont nous devons calculer les charges, il serait intéressant en effet d'avoir une approche du coût global de l'emploi incluant les charges administratives. En termes de fiscalité, j'observe dans le cadre de la fusion des intercommunalités des perspectives de hausse très importantes de la part communautaire sur la fiscalité professionnelle.
Présentation, par Mme Élisabeth Lamure, du rapport de synthèse des rencontres d'entreprises effectuées par la Délégation durant l'année parlementaire 2015-2016
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Au terme de cette année parlementaire, il me paraît utile de faire connaître le fruit des nombreux échanges que nous avons pu avoir avec les entreprises au fil de nos rencontres. Après un premier rapport publié l'année dernière portant sur les six premiers mois de notre délégation, nous avons fait de nouvelles rencontres qui nous ont permis d'appréhender de nouvelles thématiques.
C'est la raison pour laquelle je vous propose de publier un rapport de synthèse, qui rassemble les comptes-rendus des déplacements que nous avons faits dans les territoires cette année, ainsi que le compte-rendu de la Journée des entreprises que nous avons organisée le 31 mars dernier au Sénat. Mes collègues Guy Dominique Kennel, Valérie Létard, Jérôme Durain, Claude Nougein et Patricia Morhet-Richaud, qui nous ont accueillis cette année dans leurs départements et que je remercie à nouveau, sont invités à cosigner ce rapport avec moi.
Que nous ont dit les entreprises cette année ? Pour résumer, je dirais que quatre grands sujets de préoccupation ressortent :
1. les lourdeurs administratives, à la fois en raison de l'accumulation des normes, de l'instabilité réglementaire, de la complexité des marchés publics, et de l'éloignement culturel entre l'entreprise et l'administration ;
2. l'inadéquation plus spécifique du droit du travail aux besoins des entreprises ;
3. le poids de la fiscalité et des charges ;
4. la forte concurrence européenne et mondiale.
Le premier point saillant de nos échanges avec les entrepreneurs, c'est assurément leur relation difficile avec le fonctionnement administratif. Cela tient d'abord au trop-plein qu'elles expriment à l'égard du nombre de règles à respecter, nombre qui ne va qu'en augmentant. « On en rajoute sans en enlever », « on a une loi nouvelle tous les 15 jours »... Ce maquis est qualifié d'inhumain et la plupart des entrepreneurs se résignent à être des « délinquants en puissance », voire des « hors-la-loi » car ils n'arrivent plus à appliquer ces normes. « Où est passé le choc de simplification ? » nous a-t-on encore dit jeudi dernier dans les Hautes-Alpes. Souvent, ces règles partent de bonnes intentions : protéger la santé des salariés, l'environnement ou bien le patrimoine... Mais cela en devient absurde, comme par exemple verser un chèque santé à un vendangeur qui travaille une semaine. Le compte pénibilité ou le compte personnel de formation sont des exemples de bonnes idées, inapplicables sur le terrain. La construction devient très coûteuse : 4 000 normes sont à respecter, sans compter les autorisations requises pour tout aménagement commercial, délivrées au bout de cinq ans !... Les entrepreneurs nous ont aussi fait connaître plusieurs cas de surtransposition française de nos obligations européennes. Cela renchérit les coûts et disqualifie nos entreprises sur les marchés : normes européennes en matière de poussières deux à cinq fois plus basses que les normes françaises, charge à l'essieu plus basse en France pour les camions à quatre essieux que dans les pays voisins... Et l'application de ces normes semble aveugle: ainsi, en zone de montagne, la saisonnalité et la pente devraient être prises en compte, par exemple pour l'accessibilité ou la durée des formations professionnelles proposées aux saisonniers. Paradoxalement, plusieurs dénoncent le manque de cohérence entre régions dans l'appréciation des textes : ainsi, dans les Hautes Alpes, on compterait autant de lectures que de massifs !
Une deuxième source de difficultés dans les relations entre les entreprises et le système administratif tient à la complexité des dossiers à fournir pour candidater à des marchés publics. Pas plus tard que jeudi dernier à Tallard, ICARIUS nous indiquait qu'employer un technicien aéronautique signifiait l'emploi d'un administratif en conséquence... Cette société nous a même dit que la complexité administrative des marchés publics l'obligeait à candidater comme sous-traitant, notamment en raison des garanties administratives et financières exigées du candidat.
Les relations difficiles entre les entreprises et le fonctionnement administratif tiennent enfin au sentiment de décalage que les entreprises ressentent à l'égard des services publics, dans lesquels on peut inclure l'Éducation nationale. Ce décalage est d'abord temporel, l'instruction d'un permis de construire allant ainsi jusqu'à 27 mois en France contre 3 en Allemagne ! Il est impossible d'anticiper la durée de la phase administrative d'un dossier d'aménagement ainsi que son coût, avec les fouilles archéologiques, les études, les taxes, sans compter les possibles recours, dont certaines fédérations écologistes sont habituées et tirent leurs moyens de subsistance... Ceci pèse sur l'attractivité de notre pays au moment de décider d'une implantation. De même, la Coface accorde des préfinancements à l'export après un délai qui reste aussi long pour une seconde commande d'un même client. L'AFNOR délivre des labels en 4 à 6 mois, que l'on peut obtenir en 15 jours dans les pays voisins.
Mais ce décalage est aussi et surtout culturel : à ce titre, plusieurs déplorent le manque d'échanges entre les entreprises et l'Éducation nationale, même s'il existe des expériences ponctuelles de passerelle. Je pense notamment au travail important d'associations comme 100 000 entrepreneurs, que nous avons rencontrée en janvier, qui font intervenir des entrepreneurs dans les classes. Resserrer le lien entre entreprise et école permettra d'améliorer l'orientation et de répondre aux difficultés de recrutement que nous avons touchées du doigt lors de plusieurs de nos déplacements cette année. Nombre d'entrepreneurs ont appelé à changer l'image de l'entreprise chez les jeunes français. Une association comme Entreprendre pour apprendre, que nous avons rencontrée grâce à la Fondation Entreprendre, encourage précisément les jeunes étudiants à créer leur entreprise.
L'apprentissage, qui peut résorber le chômage des jeunes, peut aussi jouer un rôle important en ce sens. Mais je n'y reviens pas, car nous avons déjà beaucoup travaillé ce sujet.
Un entrepreneur du Bas-Rhin avait résumé cela par une formule explicite : « en France, nous avons une culture de l'administration, pas une culture de l'entreprise ».
Un deuxième sujet qui entrave le développement des entreprises est, plus spécifiquement, l'inadéquation du droit du travail à leurs besoins, ce qui joue au détriment de l'emploi. À Strasbourg, un entrepreneur a indiqué avoir besoin de trois fois plus de personnel dans son équipe Ressources humaines en France qu'en Allemagne. Un autre, en Saône-et-Loire, nous indiquait qu'il n'avait d'autre choix que de sous-traiter l'établissement des feuilles de paie tant il est complexe. Le frein que constituent les seuils, notamment celui des 50 salariés, a encore été maintes fois dénoncé. Même les contrats aidés ratent leur cible, tant les entreprises sont rebutées par l'usine à gaz qu'ils constituent. Enfin, les entreprises estiment bien coûteux le système de formation professionnelle au regard des résultats qu'elles en retirent, et nombre d'entre elles réclament plus de liberté en ce domaine.
Je ne reviendrai pas sur les rigidités en matière de droit du travail qu'ont dénoncées les entreprises, notre collègue Annick Billon en a fait état dans son rapport à l'occasion de l'examen du projet de loi travail.
En revanche, je relève un point que nous avons finalement assez peu discuté lors des débats sur le projet de loi travail : le pouvoir des syndicats, que beaucoup d'entreprises jugent disproportionné par rapport à leur représentativité, et le montant de leurs ressources, indépendant du nombre de leurs adhérents. Plusieurs PME ne peuvent faire vivre le dialogue social, faute de délégués syndicaux. Nombreux ont été ceux à nous signaler la dégradation de l'image de la France en raison des grèves à répétition... Le président d'International SOS, Arnaud Vaissié, que nous avons reçu pour la journée des entreprises, a bien synthétisé le défi à relever : faire en sorte que les syndicats s'intéressent à l'entreprise et non plus seulement aux salariés !
Le troisième sujet que les entreprises nous signalent lors de nos déplacements, c'est le poids financier que la sphère publique leur fait supporter, non seulement à cause du temps que mobilise la mise en conformité avec les règles et normes, mais aussi à cause de charges sociales très lourdes et d'une fiscalité pesante. Un entrepreneur a même dit avoir dû emprunter pour payer ses impôts. La fiscalité locale est souvent dénoncée pour son poids croissant. À cela s'ajoutent des taxes parafiscales, mal comprises...
S'agissant de la pression fiscale, le régime applicable à la transmission d'entreprises a souvent été mis en cause : il semble insuffisant pour faciliter la transmission familiale et ne permet donc pas d'empêcher la perte de savoir-faire : il est important de trouver le moyen d'accompagner des jeunes en capacité de reprendre.
Nombre d'entreprises ont également souligné le risque que représente pour elles le contrôle fiscal, notamment concernant le Crédit impôt recherche (CIR). Le 31 mars, lors de la journée des entreprises, un entrepreneur déclarait qu'il avait pratiquement un contrôleur fiscal à demeure dans son entreprise.
Les entreprises reconnaissent pourtant les efforts que fait l'État pour alléger le fardeau : le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a été unanimement salué, même si sa pérennité reste un sujet d'inquiétude ; le dispositif de suramortissement est bienvenu mais d'une durée trop courte. Mieux vaudrait baisser l'impôt à la source que l'alléger par divers artifices... De même, un entrepreneur des Hautes-Alpes estimait que ce n'était pas à l'État de donner une prime pour l'emploi, c'est plutôt à l'entreprise de la donner et c'est pourquoi il prônait la mise en place de la TVA sociale pour alléger le poids des charges sociales et augmenter les salaires nets.
Par ailleurs, l'accompagnement par la Banque publique d'investissement (BPI) a donné lieu à des appréciations plus mitigées. Si une société des Hautes Alpes n'avait qu'à se féliciter de la BPI comme actionnaire minoritaire à son capital, j'ai relevé les critiques adressées en Saône-et-Loire à la BPI pour le financement du haut de bilan, consenti à des taux très élevés. Je me souviens aussi de cet entrepreneur du Nord qui déplorait que la BPI demande la caution du dirigeant, même simplement pour contre garantir un prêt bancaire. Globalement, l'accompagnement public des entreprises semble défaillant quand l'entreprise grandit ; il semble meilleur quand elle est déjà en difficulté (je pense au cas de la reprise de Caddie), comme si nous savions mieux accompagner les mourants que faire grandir les petits ou soigner les malades. Le financement de l'innovation et du capital-risque reste très lacunaire dans notre pays, et toute notre fiscalité encourage l'épargne sans risque (logement, assurance-vie). Le CIR lui-même favorise le développement de la recherche et développement en France, mais, Valérie Létard nous l'a rappelé avec l'exemple de Vallourec dans le Nord, il ne permet pas de maintenir les savoir-faire industriels dans notre pays.
Le quatrième élément que les entreprises nous rappellent sans cesse, c'est le défi permanent auquel elles sont confrontées : la forte concurrence européenne et mondiale.
Il semble que les pays voisins protègent leurs entreprises par une forme de « préférence nationale » tacite et les aident mieux à l'international. Ainsi, notre voisin allemand pratiquerait une forme de protectionnisme tacite, parvenant à réserver ses marchés publics autant que possible aux entreprises allemandes. Les Länder allemands semblent aussi capables d'offrir des terrains aux entreprises pour faciliter leur implantation. Par ailleurs, en Corrèze, un entrepreneur faisait observer que les homologues de Business France étaient intéressés aux marchés qu'ils décrochent alors que Business France n'a en France aucune obligation de résultats... Le retrait de la Coface lorsqu'une entreprise traverse une passe difficile a été aussi dénoncé dans le Nord et en Corrèze. Notre pays ne semble pas le plus mobilisé pour accompagner nos entreprises dans la compétition mondiale. Je dois tout de même reconnaître que notre rencontre avec l'administration des douanes a été réconfortante : cette administration centrale dynamique du ministère des finances semble développer une nouvelle culture au service de l'entreprise.
Au-delà du manque d'accompagnement public, le défaut d'harmonisation fiscale et sociale en Europe a été plusieurs fois regretté : nos entreprises sont concurrencées par leurs homologues européennes à l'extérieur et même sur notre territoire. En France, le salarié coûte à l'entreprise presque le double de ce qu'il touche en salaire net ! Plusieurs entrepreneurs dénoncent le dumping et la nécessité de lutter contre les offres anormalement basses en réponse aux appels d'offre. C'est une discussion qui a eu lieu dans le projet de loi Sapin II. Le transport routier français souffre par ailleurs de l'application des 35h face à la concurrence venue de l'Est. Certains transporteurs font aussi valoir qu'en France, le temps de travail inclut le temps d'arrêt pour livraison, ce qui n'est pas le cas ailleurs. De même, Amazon France se plaint de l'impossibilité du travail en continu, qui détourne le traitement de commandes françaises vers les entrepôts d'Amazon au Royaume Uni ou en Allemagne.
La France se tire aussi des balles dans le pied en s'ajoutant des contraintes dépassant ses engagements internationaux : par exemple, elle s'apprête à adopter une taxation de la valeur tirée de l'usage des ressources génétiques naturelles, taxation dont le niveau risque de dissuader des entreprises comme Silab, que nous avons rencontrée en Corrèze, de tirer parti de la biodiversité ultramarine.
Au niveau mondial aussi, l'Union européenne se tire des balles dans le pied : ainsi, la règle des minimis qui limite les aides d'État désavantage les entreprises européennes dans la compétition internationale. En outre, plusieurs entreprises regrettent le protectionnisme de pays comme la Chine ou les États Unis, et ne se sentent pas en retour protégées par l'UE. Je pense notamment aux scieries bourguignonnes qui voient partir à l'export le quart des grumes françaises alors qu'elles manquent de matière première.
Il faut tout de même avouer que le prix moindre de l'énergie en France par rapport à nos voisins est un atout pour nos entreprises dans la compétition mondiale ! Autres points positifs : globalement, les entreprises se félicitent souvent du soutien apporté aux clusters et pôles de compétitivité, permettant une fertilisation croisée bénéfique aux entreprises ; certaines saluent aussi l'accompagnement des collectivités territoriales : nous avons pu le voir à Valenciennes, où les collectivités accompagnent les entreprises dans la reconversion entière d'un territoire.
Mais finalement, les entreprises nous ont appelés cette année à effectuer un changement profond. L'an dernier, elles nous demandaient de les laisser travailler. Désormais, elles suggèrent de réaliser de vraies études d'impact au plus près du terrain, ou de faire des expérimentations, avant d'adopter toute mesure nouvelle applicable aux entreprises. Elles demandent aussi que nous soyons capables, comme elles, de quantifier et d'analyser le résultat de nos actions et de remettre en permanence en cause les processus et règles qui deviennent obsolètes. Elles appellent la sphère publique à moins gaspiller et à mieux s'organiser pour désenclaver les territoires et éviter les doublons de compétences entre échelons territoriaux, notamment entre intercommunalités et département. Elles jugent que la France doit trouver les moyens de protéger ses entreprises et de les accompagner aussi bien que ses voisins, de préférence par la commande publique plutôt que par des subventions. Elles rappellent que la compétition est mondiale et que notre tendance à surréglementer ne nous protège pas de la mondialisation et de la numérisation. Surtout, la France doit faire entrer son administration dans une culture d'entreprise, qui passe aussi par des démarches de contrôle a posteriori plutôt qu'a priori pour gagner du temps sur les projets de développement et faire confiance. Les PME ont enfin besoin de reconnaissance, à la fois de la part des autorités politiques, mais aussi des grandes entreprises qui négligent de les associer à leurs démarches export, et enfin de l'opinion publique trop encline à assimiler les patrons à des « voyous ». Veillons à ne pas couper l'envie d'entreprendre en accordant de moins en moins de liberté aux entreprises et en leur imposant de plus en plus de contraintes.
M. Jean-Pierre Vial. - Sur le faible coût de l'énergie en France, je préconise l'emploi du conditionnel ; le prix n'est pas bas, il serait bas. L'énergie, en Allemagne par exemple, aurait un coût plus élevé en apparence mais avec les différentes aides accordées, le prix y est plus faible. En fin de compte, les entreprises françaises paient plus cher leur énergie. Deux industries françaises de l'aluminium ont survécu, dont l'une en Savoie a été reprise par un allemand. Le groupe Péchiney, qui était un groupe important il y a quelques années encore, n'a plus qu'une seule en entreprise, située à Dunkerque. Auparavant, une autre entreprise avait été reprise par un espagnol. Ce n'est pas anodin, ces pays bénéficient d'avantages dans le secteur de l'énergie.
M. Claude Nougein. - Je souscris tout à fait au rapport qui est présenté ; c'est ce que j'ai entendu aux cours des différents déplacements auxquels j'ai participé. J'aimerais approfondir deux points. D'une part, dans nos départements ruraux qui souffrent de l'enclavement, je crois que les chefs d'entreprises veulent être rassurés. La Corrèze était très enclavée durant la IVème République, ce qui explique le slogan qui avait fait florès dans les années 1960, « La Corrèze avant le Zambèze », en réaction au tropisme africain du Général De Gaulle. Le taux de chômage était important ; la réussite se résumait à « monter » à Paris pour poinçonner les tickets de métro. Les politiques locaux ont ainsi « tué » l'économie locale en favorisant les départs vers la capitale, ce qui a « vidé » le département. Heureusement, durant la Vème République, et suite à l'élection de deux présidents corréziens, la tendance s'est inversée, et des entreprises se sont installées dans le département. Avant la crise, il y avait 4% de chômage. Je suis inquiet aujourd'hui car la baisse des dotations aux collectivités a pour effet de diminuer les investissements routiers, numériques... La baisse des taux d'intérêts et la baisse des dotations sont les deux points qui ont permis de réduire le déficit public. Il ne faudrait pas que cette réduction se fasse au détriment du désenclavement.
D'autre part, j'accorde beaucoup d'attention à la transmission des entreprises familiales. J'ai déposé au mois de mai dernier une proposition de loi, co-signée par 45 sénateurs, afin de faciliter la transmission en France en s'alignant sur d'autres pays européens. Il y en a assez de voir nos fleurons industriels, notamment développés à partir des entreprises familiales, partir à l'étranger. Dans les territoires ruraux, beaucoup d'entreprises n'arrivent pas à trouver de repreneurs au sein de la famille et vendent à des fonds d'investissement qui n'ont pas la même approche de l'emploi. Dans l'entreprise familiale, lorsque les résultats sont mauvais, on ne distribue pas de dividendes, on attend que ça aille mieux. Dans un groupe, on n'attend pas, on vend. Cette proposition de loi vise à mettre en place un « super Dutreil ». Le dispositif « Dutreil » permet un abattement de 75 % de l'assiette des droits de mutation exigibles, à condition que l'héritier conserve les titres six ans. Les 25 % restant sont taxés à 45 %. Ce pacte a fait l'objet d'un consensus. De plus, l'administration fiscale française a tendance à surestimer la valeur de l'entreprise. Si l'estimation est simple pour les sociétés cotées, elle l'est nettement moins pour les sociétés non-cotées. L'estimation statistique qui est mise en place indique des valeurs phénoménales, déconnectées de la réalité. En Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Italie, il n'y a pas d'impôt sur la transmission. En Espagne, l'impôt s'élève à 3-4 %.
Le « super pacte Dutreil » porterait à 100 % l'exonération des droits de mutation dans le cadre de donations et successions, mais, en contrepartie, les héritiers seraient tenus de conserver les titres pendant huit ans. L'impact sur le tissu industriel français serait très important. Nous avons en France trop peu d'ETI, par rapport à nos voisins, notamment l'Italie, qui ont d'importantes ETI familiales.
M. Olivier Cadic. - Pour revenir aux entreprises et à leur relation avec la BPI, les entrepreneurs français partis à l'étranger expliquent que c'est souvent après un refus de la Banque Publique qu'ils ont décidé de s'installer à l'étranger.
Par ailleurs, il faut effectivement revenir à la commande publique plutôt qu'à la subvention. Pour les équipements médicaux, il faut parfois de six à huit fois plus de temps pour que ceux-ci soient homologués en France. Il ne peut donc pas y avoir de commandes, et l'acteur public compense par des subventions. Nos systèmes de santé locaux pourraient bénéficier de ces avancées médicales rapidement en passant commande, alors qu'aujourd'hui, ces entreprises françaises attendent une homologation en France et vendent parallèlement leurs innovations à l'étranger. Mieux vaut acheter une machine à une entreprise plutôt que de lui donner une subvention. Une évolution culturelle est nécessaire.
La transmission d'entreprise est une des raisons qui m'ont poussé à partir à l'étranger. En France, s'il arrive un accident à un dirigeant, la PME meurt avec lui. L'un de mes amis a connu cette situation ; il est décédé dans un accident de voiture et ses enfants n'ont jamais pu reprendre l'entreprise. Il faut aussi que les cadres puissent reprendre l'entreprise facilement. Je ne souscris donc pas à la conservation des titres de l'entreprise pendant six ou huit ans. Si les repreneurs veulent céder l'entreprise au bout de 2 ans parce qu'ils n'y arrivent pas, ils doivent pouvoir le faire en payant les droits. J'ai également l'exemple des galettes Saint Michel où le dirigeant est décédé et ses enfants ont été obligés de vendre à une entreprise allemande.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Aujourd'hui, le code des marchés publics permet d'adapter les appels d'offres à des entreprises locales. Il y a donc une formation du donneur d'ordres à faire pour rendre ces marchés accessibles.
Sur les questions des essieux et du poids supporté, il ne faut pas tout autoriser. Aujourd'hui, nos routes et nos voiries ne sont pas forcément capables de soutenir des charges supérieures. De plus, l'entretien est de plus en plus à la charge des petites communes. Dans la filière bois, c'est un débat incessant avec des coûts engendrés importants.
Concernant les grumes, les entreprises auxquelles il était fait référence n'utilisent pas tous les outils à leur disposition pour s'approvisionner. Il ne faut donc pas bloquer les exportations et ruiner la sylviculture en amont - ce que l'on tend pourtant à faire.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - C'est l'expression de ce que nous disent les entreprises. À chaque fois, c'est une question d'équilibre.
M. Jean-Pierre Vial. - La culture de l'administration doit évoluer. Ainsi, les douanes ont des progrès à faire. Je connais une entreprise qui va quitter la France car les conditions de dédouanement sont impossibles. Une autre entreprise aéronautique américaine avait une base au Bourget, avec 350 salariés. Elle a connu des difficultés de la part des douanes et s'est installée à Bruxelles.
Bosch avait un site à Vénissieux que le groupe a vendu à des Bretons, avec un engagement public destiné à augmenter les volumes de marché. Les engagements politiques ont été tenus mais les appels d'offres pas mis en oeuvre selon le calendrier industriel prévu initialement. S'il n'y a pas, au sein de l'administration, des personnes qui ont une culture de l'entreprise, les entreprises ferment. Il faut acculturer les fonctionnaires, qui bien souvent sont de bonne volonté.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - C'est un vrai sujet et une question d'état d'esprit. Sur la question des douanes, j'ai été sensibilisée à ces dysfonctionnements dans le cadre de la mission parlementaire sur l'attractivité des ports. Les douanes françaises reconnaissent qu'elles ne font pas preuve de la même souplesse que dans les pays voisins, alors qu'elles ont les mêmes obligations européennes. De plus, la France adopte des normes plus strictes que dans les autres pays ; les douanes appliquent donc ce qu'on leur demande d'appliquer, sans souplesse. Dans d'autres pays, elles sont moins regardantes.
M. Jean-Pierre Vial. - Les avions qui décollent du Japon ne font pas un vol direct, et retardent leur arrivée en fonction de l'heure de l'ouverture de la douane.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - La douane répondra que c'est une question de moyen, qu'elles ne peuvent être ouvertes 24h/24h. On est confronté à cette rigidité.
Je soumets donc à votre approbation le rapport que je vous ai présenté.
Le rapport présenté est adopté.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - La réunion du bureau de la Délégation de ce matin a laissé entrevoir les perspectives et les différents chantiers pour l'année prochaine.
Le premier est la reprise d'entreprise. Je parle ici de reprise et non de transmission car, comme l'a dit Patricia Morhet-Richaud, beaucoup d'entreprises ne trouvent pas de repreneur. Il faut donc élargir le cadre. L'idée est de travailler sur le sujet et de faire un rapport pour la réalisation duquel Michel Vaspart pourrait être candidat. Claude Nougein, êtes-vous également candidat ?
M. Claude Nougein. - Oui.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Il faudra donc en discuter. Il est néanmoins possible d'avoir deux co-rapporteurs sur ce sujet, où chacun est spécialisé dans un domaine.
Le second est la simplification. Nous allons rencontrer le Conseil de Simplification pour les Entreprises. Vous avez sans doute pris connaissance de l'étude qui a été faite sur le sujet dans le cadre de la législation comparée, sur l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas. Ces différents pays sont très avancés en ce domaine. Nous pourrions nous en inspirer afin de faire des propositions concrètes.
Des déplacements à la rentrée se feraient dans cette perspective, sans doute fin septembre et fin octobre.