Mercredi 29 juin 2016

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Mission d'information à La Réunion - Situation sanitaire - Communication

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend la communication de MM. Alain Milon, Gilbert Barbier, Mme Laurence Cohen, M. Jean-Louis Tourenne et Mme Chantal Deseyne sur la mission d'information à La Réunion en vue d'y étudier la situation sanitaire.

M. Alain Milon, président. - Comme vous le savez, le thème retenu par le bureau pour le déplacement annuel de notre commission des affaires sociales était celui de la situation sanitaire dans les outre-mer. Ce choix était motivé par deux éléments. En premier lieu, la lecture du rapport présenté sur ce sujet en 2014 par la Cour des comptes, qui a dressé un constat alarmant, et dont les conclusions ont servi de base à l'élaboration d'une déclinaison ultramarine de la stratégie nationale de santé. En second lieu, la mise en évidence, lors du débat sur la loi de santé, d'enjeux forts et spécifiques aux territoires d'outre-mer, dont nous avons tous pu mesurer le caractère d'urgence.

La première série d'auditions que nous avons menée à Paris - en recevant au Sénat notamment la Cour des comptes, la HAS, l'InVS, la DGOS, et en effectuant un déplacement passionnant à l'Institut Pasteur - nous a confirmés dans l'idée que la situation sanitaire des outre-mer était non seulement mal connue, mais encore très mal prise en compte dans les décisions de politique de santé publique. Je ne citerai à cet égard qu'un seul exemple, dont l'absurdité le rend particulièrement frappant : jusqu'à récemment, le calendrier vaccinal hexagonal, notamment pour le vaccin de la grippe, était appliqué tel quel... dans l'hémisphère Sud, où, comme vous le savez, les saisons sont pourtant inversées.

Nous avons ainsi décidé de nous rendre à La Réunion et à Mayotte, dont les situations respectives nous semblaient bien, a priori, refléter la diversité et le contraste des territoires ultramarins. Nous avons en effet dans l'Océan Indien deux collectivités éloignées de 10 000 km de l'hexagone, et qui doivent faire face à des risques infectieux et environnementaux spécifiques : risques climatiques, qualité des eaux, exposition aux arboviroses (paludisme à Mayotte, chikungunya à La Réunion, peut-être demain l'arrivée du virus zika), présence encore notable de certains agents infectieux presque oubliés sous nos latitudes, telle que la leptospirose à Mayotte. Face à ces défis, nous avons, d'une part, une collectivité au système sanitaire globalement performant, quoiqu'en rattrapage par rapport à l'hexagone ; d'autre part, un département récent, confronté à des difficultés multiples, et dont le très grand retard organisationnel en matière sanitaire apparaît comme un défi très difficile à relever. C'est donc sur ce contraste qu'il nous a paru intéressant de travailler.

S'agissant tout d'abord de La Réunion, notre déplacement sur le terrain ne nous a pas détrompés dans notre première impression. Je dirais même que nous avons été très agréablement surpris par la qualité de l'organisation sanitaire développée sur le terrain, par des acteurs dont l'implication nous a parue tout à fait remarquable. Bien entendu, cette organisation se déploie devant des enjeux sanitaires spécifiques, et une situation globalement plus problématique que dans l'hexagone - je laisse la parole à mes collègues sur ce point.

M. Jean-Louis Tourenne, rapporteur. - Nous avons en effet pu rencontrer des équipes de soignants très engagés, et, plus important encore, qui travaillent en bonne entente. Dès notre premier jour sur place, nous nous sommes successivement rendus au CHU puis au sein de l'établissement privé Clinifutur. Nous avons également pu visiter un service de soins de suite et de réadaptation spécialisé dans la prise en charge de l'obésité, ainsi qu'un centre de dialyse.

Au terme de ces différents rendez-vous, nous avons été frappés par le bon fonctionnement global de la coopération entre le public et le privé, sur l'ensemble de la chaîne de soins. Cette collaboration est, il est vrai, sans doute rendue indispensable par la structuration de l'offre de soins sur l'île, ainsi que par son isolement ; mais aussi par le fait que les établissements privés que nous avons visités, s'ils fonctionnent avec des capitaux privés, ne fonctionnent pas pour autant selon une volonté de recherche effrénée du profit maximum. À cette action des praticiens de la santé s'ajoute celle, tout aussi résolue, de l'ARS, qui intervient sur l'ensemble des sujets : déclinaisons de plans de santé publique spécifiques, lutte anti-vectorielle, etc.

Nous avons par ailleurs rencontré l'équipe chargée de la mise en place d'une plateforme innovante pour l'amélioration de la prise en charge des maladies chroniques, qui constituent un enjeu fort pour l'île - nous y reviendrons. Cette plateforme, issue de l'appel à projets national « Territoires de soins numériques », a été constituée sous la forme d'un groupement de coopération sanitaire (GCS) fédérant plusieurs des acteurs majeurs de la santé de l'île : les établissements hospitaliers publics et privés et les médecins libéraux, dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) passé avec l'ARS pour les deux territoires de La Réunion et de Mayotte. Outre cet aspect de coopération entre les acteurs, ce programme, dit Océan Indien Innovation santé (OIIS), présente ceci d'intéressant qu'il expérimente de nouveaux modes de prise en charge des maladies chroniques, passant par un système d'information en ligne. Celui-ci permet à la fois d'apporter de l'information au grand public, aux patients ainsi qu'à l'entourage, de mieux coordonner les parcours de santé, et de faciliter les conditions d'exercice des acteurs de santé ; il est composé de différents niveaux, avec un accès libre et un accès sécurisé selon la nature des informations en cause.

Nous avons ainsi pu constater que les acteurs de terrain développaient, en synergie, des solutions innovantes et souvent originales. La Réunion est, je le souligne, l'une des cinq régions françaises à mettre en place une maison de naissance, dans le cadre de l'expérimentation initiée par notre commission - je vous rappelle qu'une maison de naissance est une structure de proximité visant à une prise en charge peu médicalisée de l'accouchement physiologique, avec l'accompagnement de sages-femmes. Ce constat vaut d'ailleurs pour tous les domaines, et j'en profite pour faire ici une parenthèse sur la question de la potabilisation de l'eau, à laquelle nous avons consacré notre dernière journée de travaux sur place.

Il s'agit d'un problème majeur, quoiqu'on l'imagine mal sous nos latitudes : jusqu'à 35 % des volumes d'eau distribués à La Réunion ne seraient pas potabilisés de manière continue, et 57 % de la population n'aurait pas accès à de l'eau de bonne qualité - ce problème résultant de l'utilisation d'eaux superficielles, que la forte pluviométrie de l'île conduit à charrier des boues provoquant une forte turbidité. Or, pour des communes de petite taille et éclatées entre différents sites comme celle de Salazie (qui nous a très chaleureusement accueillis), il est difficile et peu justifié de mobiliser des budgets suffisants pour la mise en oeuvre de travaux importants. La solution qui a été trouvée, qui consiste en un déploiement de petites unités mobiles de potabilisation sur chacun des différents hameaux qui composent la commune (plutôt que dans la construction d'un grand centre de traitement), nous a semblé à la fois ingénieuse et pragmatique.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Pour autant, et malgré la somme des bonnes volontés, tout n'est évidemment pas rose. On constate en premier lieu un déficit de médecins spécialistes libéraux, qui plus est avec un effectif vieillissant. Les équipes du CHU nous ont également fait part d'un manque important de postes de PU/PH, tandis que des investissements importants sont nécessaires à la bonne marche de l'hôpital - un plan de 400 millions d'euros est d'ailleurs prévu. Enfin, la fusion entre les sites Nord et Sud du CHU ne semble toujours pas achevée, notamment sur certaines activités ; il nous a été indiqué à ce titre que la mise en place d'un groupement hospitalier de territoire (GHT) pourrait constituer une réponse. Il existe également des enjeux importants, et à ce stade non résolus, s'agissant de la prise en charge d'une population vieillissante.

Cette organisation des soins - globalement performante - intervient par ailleurs dans un territoire caractérisé par un état de santé de la population généralement moins bon que dans l'hexagone, avec une surmortalité générale et prématurée (7 décès sur 10 survenant avant l'âge de 65 ans).

C'est en particulier la question de la mortalité périnatale qui nous a interpellés sur place : elle est non seulement plus élevée que dans l'hexagone, mais encore en augmentation au cours des dernières années. La mortalité maternelle atteint ainsi 26,4 pour 100 000 naissances, soit près de trois fois plus qu'en métropole ; la mortalité infantile est de 7,3 pour 1 000, soit deux fois plus que dans l'hexagone. Selon l'ARS, cette situation résulterait en particulier d'une situation de comorbidité constatée chez les parturientes : en d'autres termes, lorsque des incidents surviennent, ils le font souvent sur des terrains déjà fragilisés du fait d'une obésité, par exemple, ou de diverses maladies chroniques.

Il s'agit là d'ailleurs de la première des problématiques qui se posent à La Réunion, caractérisée par une explosion des maladies chroniques, pour une population en transitions à la fois démographique et épidémiologique. Je ne citerai ici que quelques chiffres particulièrement parlants : plus de 100 000 personnes sont actuellement en ALD sur le territoire réunionnais, avec une incidence qui a augmenté de 30 % en 10 ans ; la prévalence du diabète y atteint le double de celle constatée dans l'hexagone (de l'ordre de 10 %, contre 5 % en métropole) ; le nombre de personnes en dialyse y est près de quatre fois plus important qu'en métropole.

M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Un deuxième sujet spécifique à La Réunion est celui de l'alcool. On constate en effet toujours une forte surmortalité résultant des pathologies liées à l'alcool, avec un taux deux fois supérieur à celui constaté en France hexagonale. Si la consommation chronique à risque, et même la consommation quotidienne, y est moindre qu'en métropole, les volumes d'alcool ingérés sont cependant plus importants. Au total, malgré une diminution constatée de l'alcoolisme depuis les années 1970, les problèmes se concentrent sur les populations les plus vulnérables, notamment les jeunes.

Deux problèmes nous ont en particulier été présentés. Le premier est celui de la permanence d'une publicité intensive pour l'alcool, en dépit de la loi Evin, dans un contexte de forte concurrence entre divers alcools forts : rhum (dont les risques sont effacés, dans le cadre publicitaire, au profit d'une connotation de produit local et traditionnel), whisky, bières fortes destinées aux jeunes garçons. Ce n'est d'ailleurs pas le seul sujet sur lequel l'application d'une norme nationale pose problème à La Réunion : il nous a été indiqué que la loi sur la vente d'alcools réfrigérés dans les stations-services n'y a été appliquée que cinq ans plus tard. Le deuxième est celui de la taxation dérogatoire des alcools produits localement, notamment le rhum, qui est ainsi très bon marché - alors que, selon l'OMS, la taxation des boissons alcoolisées constitue l'un des moyens de lutte les plus efficaces contre l'abus d'alcool.

Les problèmes liés à l'alcool connaissent une déclinaison particulièrement problématique à La Réunion avec la forte prévalence du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF), sur lequel notre commission avait déjà eu l'occasion de travailler lors de son précédent déplacement sur place, puis sous l'influence déterminée de notre ancienne collègue Anne-Marie Payet. Il semble qu'une prise de conscience du problème soit actuellement en cours au niveau national : un rapport de l'Académie nationale de médecine est paru en mars dernier sur ce sujet, tandis que la Mildeca a prévu la mise en oeuvre d'un programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale. La Réunion fait partie, avec l'Aquitaine, des deux régions retenues pour son expérimentation, dont les contours nous ont été présentés par l'ARS. Il n'en reste pas moins que, malgré les difficultés liées à sa détection et à son évaluation, La Réunion reste largement touchée par ce trouble, avec 100 à 150 cas par an. Pourtant largement évitable, car dû à la mauvaise information des mères, ce syndrome peut entraîner des conséquences graves - avec notamment des retards de croissance, ou des troubles cognitifs ou comportementaux : l'alcoolisation foetale est ainsi la première cause de handicap non génétique chez l'enfant.

À l'initiative de notre commission, le principe de l'apposition d'un message sanitaire à l'attention des femmes enceintes sur toutes les unités de conditionnement de boissons alcoolisées avait été adopté dans le cadre de la LFSS pour 2005. Celui-ci prend la forme d'un pictogramme, dont le caractère souvent illisible remet cependant en cause la pertinence : de très petite taille, il est à peine discernable, d'autant plus qu'il apparaît le plus souvent en noir et blanc. Un simple décret serait suffisant pour harmoniser la présentation de cet important message de santé publique, et pour le rendre véritablement identifiant par nos concitoyens. C'est pourquoi nous avons résolu de poser une question orale sur ce thème à la ministre de la santé, qui sera déposée et portée par notre Président, mais à laquelle je ne doute pas que nous pourrons tous nous associer.

Pour compléter brièvement cette question des addictions, il me semble important d'évoquer la question de l'usage détourné des médicaments. En raison de l'isolement de La Réunion, l'accès aux psychostimulants « classiques » que nous connaissons dans l'hexagone -cocaïne, crack- est très marginal, voire nul. S'est en revanche développé, depuis les années 1970, un recours à certains médicaments psychotropes -et notamment au Rivotril, à l'Artane et au Xanax- qui alimente un trafic local avec Madagascar et l'île Maurice. Le phénomène est d'autant plus difficile à combattre que les jeunes consommateurs masculins associent une valeur mythique et initiatique à l'Artane, connu pour favoriser les passages à l'acte violents, notamment lorsqu'il est utilisé en association avec l'alcool. Se développe par ailleurs l'usage d'une méthamphétamine particulièrement dangereuse, connue sous le nom de « Crystal », et importée de Thaïlande.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Nous avons enfin consacré une partie de nos travaux sur place à la question de l'offre de soins en matière psychiatrique, dont la situation est particulièrement problématique - ceci en dépit de l'engagement et de l'enthousiasme des équipes que nous avons rencontrées à l'établissement public de santé mentale de La Réunion (EPSMR).

Trois séries de difficultés se cumulent en effet. En premier lieu, les secteurs définis pour la psychiatrie publique apparaissent surdimensionnés, couvrant une population plus de deux fois plus importante qu'en métropole. En deuxième lieu, l'offre publique est largement inférieure aux besoins, avec un taux d'équipement en hospitalisation complète inférieur de moitié à la moyenne hexagonale - alors même que celle-ci est déjà insuffisante, comme vous le savez. Dans le Sud de l'île, le ratio entre l'offre locale et l'offre hexagonale atteint même un rapport de un à six, et le taux d'occupation en hospitalisation à temps plein au CHU Sud est de 100 %. Enfin, l'offre privée est très limitée, et ne suffit pas à répondre aux insuffisances de prise en charge dans le secteur public. En tout état de cause, l'accès aux spécialistes libéraux peut poser problème pour une population globalement plus démunie qu'en métropole : je vous rappelle que le taux de chômage réunionnais avoisine les 27 %, et qu'un Réunionnais sur trois est bénéficiaire de la CMU-C.

Cette situation pose divers problèmes, à la fois en termes d'égalité dans l'accès aux soins, notamment au Sud de l'île, et en termes de qualité des prises en charge, avec une difficulté à assurer le suivi des patients. Il nous a été indiqué qu'en cas de saturation des capacités, il n'y avait aucune autre solution que celle de l'externement arbitraire ! On constate par ailleurs un recours aux soins psychiatriques inférieur de près de 30 % à celui constaté en métropole. Les équipes médicales du CHU nous ont en outre fait part de leur difficulté à engager la démarche qui devrait être celle d'un établissement de pointe, en raison des insuffisances de l'offre de base : il est ainsi très difficile de dégager suffisamment de disponibilité médicale pour l'investissement qui serait nécessaire dans la recherche, l'innovation et l'enseignement. L'absence de moyens, qui vient s'ajouter à celle qui existe dans le médico-social, rend également particulièrement difficile l'engagement d'une démarche de filière avec l'ensemble des acteurs. Enfin, l'EPSMR, qui constitue le principal acteur de la psychiatrie sur le territoire réunionnais, fait face à des difficultés financières qui ne pourront pas se résorber au cours des prochaines années.

Compte tenu de ces observations, il appartiendra à notre commission de veiller à ce que la santé mentale constitue l'un des axes prioritaires de la déclinaison ultramarine de la stratégie nationale de santé, présentée le 25 mai dernier par la ministre de la santé, et de la feuille de route déclinée pour La Réunion.

M. Alain Milon, président. - Quant à la situation épineuse de Mayotte, il me semble que les difficultés rencontrées sont bien illustrées par le fait que les élus de la République n'ont pas même pu s'y rendre. En raison des émeutes qui avaient alors lieu sur place, la préfecture - qui avait, il est vrai, fort à faire dans ces circonstances - nous a en effet très fortement conseillé, la veille du départ, d'annuler notre déplacement. Nous avons cependant pu avoir une approche globale de la situation par un programme complémentaire d'auditions qui nous a été organisé par l'ARS, et qui nous a notamment permis de rencontrer le directeur du centre hospitalier mahorais (CHM).

La première des observations que nous avons pu faire est que la situation sanitaire de Mayotte, particulièrement dégradée, s'inscrit dans un contexte de chaos plus général, et que la première ne pourra trouver de solution sans que le second ne s'améliore. Sans doute ne mesurons-nous pas toujours bien, depuis l'hexagone, à quel point l'immigration massive en provenance des Comores (qui représente 44 % du flux total de l'immigration irrégulière en France) déstabilise profondément la situation mahoraise. L'ensemble des acteurs que nous avons rencontrés, toutes sensibilités politiques confondues, nous ont fait part de leur désarroi face à l'arrivée massive de kwassa-kwassa, ces petites embarcations fragiles en provenance principalement d'Anjouan, à moins de 70 km des côtes mahoraises - et qui charrient avec elles leur lot de drames humains, avec des naufrages réguliers.

Sans porter de jugement sur ce phénomène, force est de constater qu'il place sous une tension quasi insoutenable le système de soins de Mayotte, et notamment son hôpital. Le CHM, qui constitue le principal pilier du système de santé de l'île, est en effet très largement sollicité par un afflux massif de Comoriens en situation irrégulière. Cette situation explique d'ailleurs en partie que le CHM soit le seul établissement hospitalier de France qui ne soit pas passé à la T2A : comme la majorité des actes effectués le sont au bénéfice de personnes qui ne disposent pas de couverture sociale (je rappelle que l'AME et la CMU n'existent pas encore à Mayotte), seul l'ancien système de la dotation globale peut permettre de financer l'établissement. Or, l'évolution annuelle de cette dotation ne permet pas de couvrir l'augmentation très rapide de l'activité de l'hôpital, qui se trouve de ce fait dans une situation de déficit structurel.

C'est en particulier la maternité qui est soumise à cette tension. Avec 10 000 naissances annuelles, il s'agit de la plus grande maternité d'Europe ; au rythme actuel d'augmentation de l'activité, on pourrait même atteindre 15 000 naissances au cours des prochaines années. Compte tenu de la structure de la patientèle accueillie (60 % des parturientes sont des Comoriennes), les équipes travaillent non seulement selon un rythme particulièrement difficile, mais également dans des conditions de sécurité qui posent question : bien souvent, les patientes accueillies n'ont pas de dossier, et il est difficile voire impossible de reconstituer leurs antécédents médicaux. Il existe par ailleurs à Mayotte des maternités périphériques, qui travaillent dans des conditions bien éloignées de nos standards hexagonaux, avec seulement des sages-femmes et sans la présence de médecins - face aux besoins, il paraît cependant difficile de faire autrement.

La situation financière difficile de l'hôpital est compliquée par une situation critique sur le plan des ressources humaines. En raison des nombreuses difficultés auxquelles fait face l'île, et notamment des problèmes d'insécurité, de logement, et de l'absence de système éducatif adapté aux besoins, le directeur nous a indiqué qu'il lui devenait de plus en plus difficile de recruter des praticiens. L'enjeu financier ne suffit plus, semble-t-il, à assurer l'attractivité de ce territoire : depuis le passage des rémunérations mahoraises dans le droit commun, l'indemnité particulière d'exercice, qui représente une bonification de salaire de 25 %, ne peut être touchée qu'à la condition de passer quatre années sur le territoire mahorais - une durée qui ne semblerait plus envisageable, pour beaucoup de praticiens, dans les circonstances actuelles.

En dépit de ce cumul de difficultés financières, capacitaires et de ressources humaines au CHM, il n'existe pas véritablement d'offre de soins libérale qui pourrait venir soutenir et décharger l'activité hospitalière : seuls quelques praticiens épars, pour certains proches de l'âge de la retraite, exercent en effet dans ce cadre à Mayotte. Le régime spécial de couverture maladie qui existe sur l'île n'encourage pas le développement de cette offre libérale, alors qu'il existe une prise en charge hospitalière à 100 %, y compris pour les consultations.

La situation mahoraise a par ailleurs des répercussions sur l'organisation du système de soins réunionnais. Les équipes de la maternité du CHU nous ont fait part de leur désarroi face à l'afflux de patients en provenance de Mayotte, dans le cadre des évacuations sanitaires : les services de périnatalité et de petite enfance, en particulier, se trouveraient de ce fait saturés. Nous avons cependant senti sur ce point une divergence entre les équipes médicales et le personnel de l'ARS, qui considère que les capacités financières du CHU ne sont pas altérées par la prise en charge de patients mahorais.

Face à ce sombre tableau, que faire ? Il nous a semblé que la réponse allait bien au-delà du champ de compétence de notre commission. A minima, la mise en oeuvre d'un grand plan de développement des Comores semble indispensable - ce que l'AFD fait déjà, avec un financement d'ailleurs conséquent, mais qui ne représente qu'une goutte d'eau dans l'océan des besoins du pays. Il est de toute façon probable que plusieurs années, voire plusieurs décennies, seraient nécessaires avant que les Comores n'atteignent un niveau de développement comparable aux standards sinon hexagonaux, du moins ultramarins. Il nous a d'ailleurs a été indiqué que de grands plans d'investissements sanitaires avaient déjà été menés à terme par d'autres pays, sans que la situation ne s'en trouve vraiment améliorée : la Chine y a ainsi construit un hôpital parfaitement équipé, qui n'a cependant jamais été exploité du fait du manque de moyens des autorités comoriennes pour en assurer le fonctionnement quotidien.

Dans le champ de compétence qui est le nôtre, peut-être pourrions-nous simplement suggérer, d'une part, de clarifier le régime de sécurité sociale en vigueur sur l'île, et notamment d'y étendre la CMU complémentaire, afin de solvabiliser l'offre libérale ; d'autre part, puisqu'une situation exceptionnelle suppose des mesures exceptionnelles, de revoir le régime indemnitaire des praticiens qui viennent y exercer. Sur l'ensemble de ces points, je ne doute cependant pas que notre collègue mahorais, Thani Mohamed Soilihi, aura lui aussi des propositions à formuler. Il nous apparaît par ailleurs indispensable que le CHM puisse au moins disposer du pôle mère-enfant qu'il demande depuis plusieurs années.

Au terme de ce déplacement, il nous semble plus généralement que la France a un rôle important à jouer dans l'Océan Indien, où la promotion de l'excellence sanitaire peut contribuer à celle de la francophonie.

Tels étaient, mes chers collègues, les principaux éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance sur ce déplacement à la fois passionnant et surprenant, et surtout riche d'enseignements dont nous pourrons, je l'espère, tenir pleinement compte dans le cadre de nos prochains travaux législatifs.

Je vais tout de suite passer la parole à notre collègue Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, qui a été invité à notre réunion.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous remercie pour votre invitation à cette réunion, et suis honoré que la situation de Mayotte fasse l'objet des travaux de votre commission dont le champ de compétence la rend particulièrement qualifiée pour se pencher sur la situation de ce département bien éloigné de l'hexagone.

Même si vous n'avez pas pu vous rendre sur place, je crois que le constat que vous avez formulé est dans le vrai, et qu'il retrace fidèlement les principaux enjeux relatifs à la situation sanitaire de Mayotte. Vous avez notamment raison de souligner que l'on ne peut utilement se préoccuper de tel ou tel aspect des politiques publiques menées sur l'île sans prendre en considération sa situation globale, et en particulier sa situation au regard de l'immigration. Sur ce sujet, je suis au regret de constater que bien des analyses formulées depuis la métropole relèvent de la caricature, ou témoignent d'une méconnaissance abyssale de ce territoire. Le territoire de Mayotte, je veux vous l'affirmer, est plus riche de possibilités et de perspectives pour l'avenir qu'il ne recèle de difficultés.

Permettez-moi, à titre d'illustration, d'insister sur une particularité de mon département. Si sa population est à 90 % musulmane, on n'y constate pas pour autant de problèmes relatifs à la laïcité ; je dirais même que la coexistence entre l'islam et la République est un non-sujet à Mayotte. L'évolution de notre société au fil de son histoire, qui s'est notamment enrichie de l'influence des sociétés matriarcales africaines, a en effet permis de régler ces matières tout à fait naturellement. Ce n'est que dans le cas où des solutions aux problèmes actuels, tel que celui de l'immigration, ne pourraient être trouvées que nous risquerions, à mon avis, de voir se manifester des dérives telles que celles qui apparaissent ailleurs, en lien avec l'islam radical. Je pense par ailleurs que les politiques françaises menées en la matière auraient tout à gagner à s'inspirer de l'exemple mahorais.

Mayotte souffre en effet, comme vous l'avez souligné, d'un problème d'attractivité. Pour reprendre la formule du rapport de la Cour des comptes de janvier 2016, il est patent que la départementalisation n'a pas été bien préparée. La responsabilité est ici collective, et relève tant des collectivités locales que de l'Etat. Il est aujourd'hui urgent de réparer les erreurs commises dans le cadre de ce processus.

Il me semble que l'instauration de la CMU-C à Mayotte, que vous avez préconisée, constituerait un minimum. Que l'on ne vienne pas me dire que cette mesure pourrait constituer un appel d'air : l'appel d'air est évidemment déjà là.

La République, le Parlement doivent aujourd'hui tirer toutes les conséquences du processus de départementalisation. Si Mayotte est devenue le 101e département français, ce n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une volonté politique - certes réclamée de longue date par les Mahorais. Je suis persuadé que les problèmes de mon territoire ne sont pas liés à son statut, comme le disent un certain nombre d'observateurs en toute méconnaissance de cause. L'enjeu est aujourd'hui de se préoccuper des problèmes réels qui secouent ce jeune département. Vous n'avez pas pu vous y rendre en raison des émeutes qui avaient éclaté : je ne suis pas fier de le dire, mais une partie de la population, excédée par l'inaction des pouvoirs publics en ce domaine, a décidé de s'emparer elle-même de la question de l'immigration clandestine, et de la régler de manière parfois violente. Il faut se rendre compte que plus de 45 % de la population est clandestine ! Dans ces conditions, comment le système sanitaire, conçu pour la population mahoraise telle qu'elle est officiellement évaluée, pourrait-il effectivement répondre aux besoins ? Il existerait pourtant des solutions, notamment par la voie de la coopération avec les Comores ; je tiens cependant à dire que la diplomatie française ne s'est jamais emparée de cette question à la hauteur des enjeux. On évoque beaucoup dans l'hexagone le problème de Calais, ou les naufrages qui ont lieu en Méditerranée ; comment, cependant, ne réalisons-nous pas que nous faisons face à la même situation entre Anjouan et Mayotte ? Nous devons prendre ce sujet à bras-le-corps, tant que des solutions peu coûteuses sont encore possibles, et surtout avant qu'il ne soit trop tard.

M. Michel Amiel. - Pourriez-vous nous fournir quelques précisions d'ordre technique sur le plan épidémiologique : quelle est la prévalence des maladies infectieuses telles que les hépatites ou le VIH dans ces collectivités de l'Océan Indien ?

Mme Patricia Schillinger. - J'avais participé, en septembre 2005, à la précédente mission conduite par notre commission sur la situation sociale à La Réunion et à Mayotte, et avais ainsi été sensibilisée aux difficultés qui secouent ces territoires. Dans l'intervalle de dix années qui séparent nos deux missions, un cadastre fonctionnel a-t-il pu être mis en place à Mayotte ? La polygamie y existe-t-elle toujours ?

Mme Isabelle Debré. - J'ai moi aussi eu la chance de me rendre à Mayotte, en 2010, dans le cadre des travaux que j'ai menés sur la question des mineurs étrangers isolés. J'avais alors pu constater que nous faisions face à une véritable bombe sociale à retardement.

Je constate que cette situation dramatique n'a toujours pas trouvé de solution ; ces arrivées massives de populations, dont des enfants, en kwassa kwassa, avec des naufrages quotidiens, ne sont pas humainement acceptables. Il est urgent de développer enfin un véritable dialogue avec les Comores. Sur l'ensemble des sujets que nous évoquons aujourd'hui, l'Etat n'a pas fait son travail, et n'a pas su accompagner la départementalisation. Je rejoins la question de ma collègue Patricia Schillinger sur le cadastre ; car du jour au lendemain, des personnes se sont trouvées assujetties aux impôts fonciers et locaux, sans avoir le premier centime pour les payer, le tout dans une confusion générale liée à la mise en place de ce cadastre.

Je m'associe également aux préoccupations exprimées sur la maternité, et souligne que si les mères peuvent être reconduites à la frontière, ce n'est pas le cas des mineurs. On se retrouve ainsi avec des situations dramatiques, des enfants livrés à eux-mêmes, sans par ailleurs que le système éducatif ne suffise à absorber tous les besoins. C'est pourquoi, je le répète, l'Etat doit aujourd'hui assumer toutes ses responsabilités.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Depuis vos précédents déplacements à Mayotte, la situation migratoire n'a pas cessé d'empirer. Vous nous avez indiqué, M. le Président, que 60 % des femmes qui accouchent à Mayotte sont des Comoriennes ; selon les informations dont je dispose, cette proportion s'établirait plutôt à 80 %.

Depuis 2008, la polygamie a cessé d'avoir des effets juridiques. Il subsiste pour autant une polygamie de fait, qui existera tant que les conditions qui poussent certaines femmes à accepter cette pratique n'auront pas été modifiées. Cela passe par l'éducation, le développement de l'autonomie des femmes, une politique en faveur de l'emploi.

Sur cette importante question du cadastre, la délégation sénatoriale à l'outre-mer, dont j'étais le rapporteur, a récemment rendu un rapport relatif à la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer. À ce jour, la régularisation foncière n'a toujours pas eu lieu à Mayotte, où continuent de coexister une propriété de droit commun et une propriété coutumière. Nous avons préconisé des solutions très simples, comme de compléter le cadastre par l'adressage des rues : comment en effet peut-on imaginer faire payer des impôts si l'on ne peut pas même toucher les contribuables ? Ce sont plus de 50 millions d'euros d'impositions annuelles qui sont aujourd'hui éludées, faute d'avoir conduit à leur terme ces réformes minimales.

M. Alain Milon, président. - S'agissant des informations épidémiologiques, vous les trouverez de manière plus détaillée dans le corps de notre rapport. En attendant, je peux vous indiquer que, d'une manière générale, les infections sexuellement transmissibles sont en recrudescence dans les outre-mer - comme d'ailleurs en métropole. À Mayotte, la prévalence de l'hépatite B est près de cinq fois supérieure à celle constatée dans l'hexagone. J'attire par ailleurs votre attention sur la présence sur le territoire mahorais de maladies que l'on croyait oubliées en France, comme la lèpre et la leptospirose. Enfin, à La Réunion, on trouve un nombre élevé de gastro-entérites, sans doute à mettre en rapport avec la qualité de l'eau.

M. Michel Vergoz. - Sur cette question de l'eau, le préfet de La Réunion a annoncé la semaine dernière la mobilisation d'un fonds de 100 millions d'euros pour améliorer la potabilisation ; votre passage n'a donc pas été inutile.

J'aimerais affirmer aujourd'hui, devant le sénateur de Mayotte, ce fait qui me tient très à coeur : La Réunion ne peut se désintéresser de la situation de Mayotte, tant ces deux territoires sont liés et interconnectés. En d'autres termes, les problèmes de Mayotte sont aussi les nôtres.

La question de Mayotte doit d'abord s'entendre à l'échelle franco-française. Les choix politiques qui ont été faits doivent être assumés : alors que la départementalisation a été effectivement mise en oeuvre, il est inadmissible que tant de problèmes persistent sur le territoire mahorais. La responsabilité est ici collective, puisque rien n'a véritablement évolué depuis le référendum de 1974, et ce quelles que soient les forces au pouvoir. À trop tergiverser, on laisse aujourd'hui faire des hurluberlus, dans un contexte où l'extrémisme n'est jamais bien loin. La gouvernance locale ne s'exerce plus guère. Je crois cependant à la possibilité d'un sursaut ; et Mayotte peut être la possibilité d'un enrichissement de la nation.

Il n'y aura cependant pas de règlement de la situation mahoraise en l'absence d'évolution sur la question franco-comorienne. Il faudrait faire le calcul ; mais sans doute nous coûte-t-il plus cher aujourd'hui de tenter en vain de repousser l'immigration en provenance des Comores que de faire du co-développement avec ce pays. Comment est-il possible de laisser ainsi s'enliser le dialogue ? Nous devrions mettre à profit la récente élection présidentielle aux Comores pour esquisser un rapprochement.

Je crois enfin qu'il existe des enjeux majeurs à l'échelle plus vaste de l'Océan Indien. Nous avons créé en 1982 une commission de l'Océan Indien (COI), dont le principal intérêt était justement de rapprocher les peuples. Or, notre participation à cette organisation pose aujourd'hui question : alors qu'un nouveau secrétaire général doit être prochainement désigné, il est semble-t-il difficile de trouver un représentant français pour participer à cette réunion. Ce n'est pas normal, quoi que l'on puisse penser de l'utilité de cette instance !

Je suis peiné de voir aujourd'hui des fonctionnaires de l'éducation nationale ou des entrepreneurs fuir Mayotte en raison des difficultés abyssales auxquelles le territoire est confronté. Dans le même temps, on brandit comme un symbole l'ouverture d'une ligne directe entre Paris et Mamoudzou, qui sera exploitée avec les appareils les plus modernes... Où est la cohérence ? Il est temps de nous ressaisir.

Je rejoins enfin le constat formulé par notre président sur les difficultés d'accompagner le développement comorien. L'hôpital chinois que vous avez évoqué n'a en effet jamais été exploité ; et les personnels médicaux français qui étaient prêts à s'y rendre, en raison notamment de la qualité des infrastructures et du matériel qui s'y trouvaient, ont finalement renoncé en raison de l'insécurité qui règne dans le pays.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - J'aimerais ajouter quelques éléments pour compléter notre présentation, dont je partage évidemment les constats. Il nous a été indiqué lors de notre déplacement que 22,6 % de la population réunionnaise de 16 à 65 ans était illettrée, et que 8 enfants sur 10 ne parlent que créole à la maison. Il me semble très important de mener un travail approfondi pour développer le bilinguisme.

Outre les difficultés rencontrées par le secteur libéral, les manques sont importants, à La Réunion comme à Mayotte, en matière de pédopsychiatrie. Son développement devra faire partie des solutions apportées à Mayotte, notamment pour les enfants des rues, qui survivent bien souvent sans accès à la santé ni à l'éducation.

Selon une association de prévention du suicide à La Réunion, il y aurait sur ce territoire un suicide tous les trois jours, et une tentative toutes les trois heures. Ces chiffres alarmants doivent nous inciter à prendre en compte ce problème dans la définition des politiques de santé publique.

S'agissant de la prise en charge de la population âgée, il subsiste à La Réunion une grande solidarité familiale, en l'absence de structures adaptées. La coopération entre les différents professionnels de santé, qu'ils soient du secteur public ou privé, existe par ailleurs de manière remarquable sur cette question. Un réseau d'infirmiers libéraux contribue ainsi au suivi de ces personnes.

Mme Aline Archimbaud. - Ce débat, en présence du sénateur de Mayotte, nous permet de prendre conscience des intenses difficultés de ce territoire, et doit avoir pour nous valeur d'alerte. Je souligne que face aux phénomènes migratoires, nous n'avons guère développé, à l'échelle de la France comme à celle de l'Union européenne, que des attitudes court-termistes et des tentatives de réponse à la seule immigration illégale. L'acuité de la situation mahoraise nous rappelle la nécessité de développer aussi des politiques d'immigration légale.

M. Alain Milon, président. - J'insiste une nouvelle fois sur le fait que la France a un rôle considérable à jouer dans l'Océan Indien. Notre pays a tout intérêt à faire un effort important pour développer son influence dans la zone, ce qui pourrait lui redonner une partie de son rôle international. Les enjeux sont certes importants en Europe, mais n'oublions pas la place que nous confère notre présence dans les outre-mer, qui fait partie de notre histoire : c'est aussi dans ces zones que nous pouvons préparer notre avenir. Notre pays peut encore être un grand pays dans le monde, à condition que nous nous en donnions les moyens.

Situation des finances sociales - Communication

M. Alain Milon, président. - Dans la suite de notre ordre du jour je donne la parole à notre rapporteur général pour une communication sur la situation des comptes sociaux, dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Comme vous le savez, les rendez-vous relatifs aux comptes sociaux de l'année écoulée s'étirent selon une séquence particulièrement longue entre la clôture des comptes du régime général, le 15 mars, et leur approbation par le Parlement à l'automne, en première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année à venir. Cette séquence est ponctuée par plusieurs événements : la présentation du programme de stabilité, vers le 15 avril, la commission des comptes de la sécurité sociale, début juin, le rapport de la Cour des comptes sur la certification des comptes du régime général, début juillet et le débat d'orientation des finances publiques, à la mi-juillet.

Comme l'an dernier, la Mecss a souhaité qu'un point puisse être fait sur la situation des comptes sociaux, à l'approche du débat d'orientation des finances publiques.

Cet examen est particulièrement intéressant pour 2015, année de mise en oeuvre de la première étape du pacte de responsabilité et de solidarité mais aussi première étape du plan d'économies de 50 milliards d'euros sur la période 2015-2017.

En 2015, le solde des administrations de sécurité sociale (ASSO) est déficitaire de 5,8 milliards d'euros, soit 2,1 milliards d'euros de moins qu'en 2014 (0,3 point de PIB contre 0,4 point en 2014).

Ce niveau plus modeste doit beaucoup à la progression de la capacité de financement de la Cades. Hors Cades et FRR, dont les missions s'inscrivent dans une temporalité différente, qu'il s'agisse d'amortir les déficits passés ou de financer les retraites à venir, le déficit des administrations de sécurité sociale (ASSO) est de 17,1 milliards d'euros, soit une amélioration, plus modeste, de 1,5 milliard d'euros.

En première analyse, la progression des recettes (+ 1,1 %) a été plus forte que celle des dépenses (+ 0,7 %).

Le pacte de responsabilité, dont c'était la première année de mise en oeuvre, se traduit donc effectivement par un ralentissement des recettes.

Son ampleur doit cependant être relativisée : si le pacte de responsabilité se traduit en 2015 par une baisse de 6,4 milliards des prélèvements, ce que j'avais appelé l'an dernier « l'effet de traîne du choc fiscal » se fait encore sentir avec 3 milliards d'euros de nouveaux prélèvements liés à des mesures antérieures (réformes des retraites de base et complémentaire, réforme des plus-values immobilières) ou à des mesures nouvelles : ainsi, la réforme du taux réduit de CSG sur les revenus de remplacement, conjuguée avec la fiscalisation des majorations de pension, s'est traduite par 500 millions d'euros de nouveaux prélèvements, alors qu'elle devait être neutre globalement.

Au total, les prélèvements obligatoires affectés à la sphère sociale représentent 24,2 % du PIB en 2015, soit 0,2 point de moins qu'en 2014 mais encore un point de plus qu'en 2011.

La baisse des prélèvements est donc une réalité mais elle est encore loin de compenser la hausse intervenue ces dernières années.

Rappelons que le pacte de responsabilité et de solidarité représente 20,5 milliards d'euros cumulés sur trois ans, auxquels s'ajoutent 19,5 milliards d'euros au titre du CICE.

Quant aux dépenses, elles décelèrent fortement ; elles augmentent en effet de 4,1 milliards d'euros en 2015 contre 12,8 milliards en 2014.

Là encore, les effets du pacte se font sentir, avec le transfert à l'État de la part de l'aide personnalisée au logement (APL, soit 4,64 milliards d'euros) précédemment financée par la branche famille. Comme l'a indiqué le ministre Christian Eckert, ce transfert se fait d'ailleurs sentir sur le solde de l'État. Hors transfert, les dépenses progressent de 2,4 % par rapport à 2014.

Un mot sur la compensation du pacte de responsabilité. Le solde des relations financières entre l'État et la sécurité sociale est positif de 600 millions d'euros, ce qui est moindre que prévu en raison de la mesure relative aux caisses de congés payés, qui n'a pas produit le 1,5 milliard d'euros attendu. A ce stade, la compensation du pacte de responsabilité n'est donc pas complète.

La persistance d'un déficit conduit logiquement à creuser la dette sociale qui atteint 220,3 milliards d'euros à fin 2015, soit 3,6 milliards de plus qu'en 2014. En effet, la baisse de 3 milliards d'euros de la dette portée par l'ensemble Acoss-Cades ne compense pas la hausse de la dette de l'assurance chômage qui atteint 25,8 milliards d'euros à fin 2015.

Après l'échec de la négociation, actée par les partenaires sociaux le 16 juin dernier, la situation financière de l'assurance-chômage, dont la dette atteindra 30 milliards d'euros dès cette année, est un sujet de préoccupation majeure. Je rappelle que le Gouvernement attendait 800 millions d'euros d'économies de la négociation dès 2016 et 1,6 milliard d'euros en 2017.

Est-il besoin de souligner l'injustice profonde que représente la dette sociale qui s'élève à plus de 10 % du PIB.

Quittant la comptabilité nationale et les administrations de sécurité sociale, j'en viens à la situation des régimes obligatoires de base, qui constituent le champ du PLFSS.

Le solde du régime général et du FSV s'établit à -10,8 milliards d'euros en 2015, soit une amélioration de 2,4 milliards d'euros par rapport à 2014 et de 2 milliards d'euros par rapport à la dernière prévision.

Cette dernière amélioration provient pour 1,15 milliard d'euros des recettes et pour 800 millions d'euros des dépenses.

Du côté des recettes, les cotisations et contributions des travailleurs indépendants sont meilleures que prévu mais aussi les produits de la CSG sur les revenus de remplacement et sur les revenus du capital ; le rendement de la TVA est également meilleur que prévu.

Du côté des dépenses, les économies sur les coûts de gestion des caisses ont été plus fortes que prévu de 300 millions d'euros et le montant des prestations est inférieur de plus de 400 millions d'euros par rapport aux prévisions de la LFSS pour 2016. Les prestations familiales contribuent particulièrement à ce résultat.

J'évoquerai rapidement les différents risques.

Le déficit de l'assurance-retraite se réduit à 300 millions d'euros en 2015, et, grâce à un effet recettes, 300 millions d'euros de moins que prévu par la loi de financement pour 2016. La branche bénéficie d'augmentations de cotisations et la loi de 2010 porte ses fruits. Encore faut-il souligner que ces effets ont été fortement atténués par l'assouplissement du dispositif « carrières longues » décidé en 2012.Cet assouplissement a multiplié par trois le coût du dispositif qui représente un quart des départs en retraite en 2015 pour un montant de 2,7 milliards d'euros.

On ne peut que se féliciter des bons résultats de la branche vieillesse. Rappelons cependant que cette branche est relativement préservée des effets de la conjoncture et qu'elle fait donc face à des questions structurelles. Ces questions ont été traitées de façon tardive et partielle, avec des hausses de cotisations.

Grâce à nos excellents collègues Gérard Roche et Catherine Génisson, le Fonds de solidarité vieillesse, n'a plus aucun secret pour notre commission. Son déficit reste extrêmement préoccupant. Il s'établit à 3,9 milliards d'euros en 2015. Non seulement il ne se réduit pas par rapport à 2014, mais il se creuse même par rapport à la prévision.

Le FSV a pour mission de financer les mécanismes de solidarité mise en oeuvre dans notre système de retraite mais il les finance plus de 2 mois sur 12 par de l'endettement. Aucune mesure corrective n'a été prise, pas plus pour cette année que pour l'année prochaine, comme si la localisation d'un déficit sur les dépenses de solidarité était plus acceptable... Je ne peux que réitérer les recommandations de nos collègues. Il faut, à tout le moins, recentrer le FSV sur le coeur de ses missions.

Au total, le déficit vieillesse + FSV est donc de 3,5 milliards d'euros en 2015, ce qui est beaucoup moins satisfaisant que l'excédent annoncé pour l'assurance vieillesse seule.

Le déficit de la branche famille est de 1,5 milliard d'euros en 2015, soit 1,2 milliard d'euros de moins qu'en 2014 et 100 millions d'euros de moins, en dépenses, par rapport à la dernière prévision.

Qu'on l'approuve ou qu'on la regrette, la réforme de la politique familiale de 2015 a fait un choix, celui de la réorientation des prestations : la réforme de la prestation d'accueil du jeune enfant se traduit en particulier par une baisse des dépenses de 4 %, la modulation des allocations familiales, c'est une économie de 300 millions d'euros.

Par contraste, le résultat de la branche maladie appelle des commentaires plus mitigés.

Certes le déficit, se réduit- et c'est nouveau- de 800 millions d'euros par rapport à 2014 et de 1,1 milliard d'euros par rapport à la prévision initiale, alors que la loi de financement pour 2015 avait anticipé une nouvelle dégradation. La branche a bénéficié du dynamisme de ses recettes (+ 700 millions d'euros) et de moindres dépenses (- 400 millions d'euros, dont 100 millions d'euros sur l'Ondam).

L'Ondam est respecté, pour la cinquième année consécutive, à 181,8 milliards d'euros, ce qui représente toutefois 4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à 2014. Selon un scénario comparable à celui de 2014, l'Ondam a été tenu grâce aux mesures de régulation, en particulier sur l'hôpital. Les soins de ville connaissent en revanche une sur-exécution de 240 millions d'euros. Rien ne permet de garantir que ces mesures de régulation sur l'hôpital ne se traduisent pas par une dégradation de la situation financière des hôpitaux et à des reports de charges, ce qui conduirait à relativiser le respect de l'Ondam.

Le déficit de l'assurance-maladie s'établit néanmoins à 5,8 milliards d'euros, ce qui reste très élevé.

La branche AT-MP préserve son excédent de 700 millions d'euros malgré l'augmentation du transfert à l'assurance maladie en raison de la sous-déclaration des accidents du travail.

La réduction des déficits des branches améliore la dette portée par l'Acoss après transfert à la Cades et nous place toujours devant un choix difficile de stratégie de gestion de la dette sociale. Les termes en sont connus : l'Acoss assure la trésorerie des branches mais elle n'a pas vocation à porter de la dette de long terme. Le contexte actuel a ceci d'étrange que le résultat financier de l'Acoss est positif de 16,4 millions d'euros. Les taux d'intérêt court terme actuels, qui restent exceptionnellement bas, n'auront donc pas pour effet d'inciter au transfert de la dette de l'Acoss vers la Cades, ce qui aurait pourtant pour effet de sécuriser son coût dans la période incertaine qui s'ouvre.

Quelles perspectives pour 2016 ?

L'exécution de la loi de financement pour 2016 devrait être facilitée par une situation économique qui s'améliore.

Au vu des chiffres du premier trimestre 2016, la prévision d'évolution de la masse salariale, ramenée de 2,5 à 2,3 % par le programme de stabilité, pourrait être atteinte et sécuriser le niveau des recettes.

Les objectifs de dépenses ne sont pas hors d'atteinte mais l'annonce de mesures nouvelles (revalorisation des traitements des fonctionnaires qui représente 0,3 point d'Ondam, baisse de cotisations des agriculteurs pour 500 millions d'euros, effet, non encore connu, de la nouvelle convention entre l'assurance-maladie et les professions de santé) conduit à s'interroger sur la façon dont elles seront gagées.

On peut s'interroger également sur d'autres facteurs : nos excellents collègues Gilbert Barbier et Yves Daudigny traiteront de la question du coût des médicaments innovants, mais les tarifs hospitaliers ou encore les actes inutiles ou redondants restent des questions ouvertes.

Le solde du régime général et du FSV serait de - 9,1 milliards d'euros en 2016. Pour reprendre les propos du ministre Christian Eckert devant la Mecss, ces chiffres sont encourageants mais ils ne sont pas satisfaisants. Les risques maladie, retraite et chômage enregistrent encore des déficits trop élevés sans que la trajectoire de retour à l'équilibre, en particulier pour ce dernier risque, ne soit clairement tracée.

Voici, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais souligner ce matin, pour ce second exercice d'examen de l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je remercie le rapporteur général pour ces travaux. Si je résume, c'est un peu mieux, c'est un peu moins mal. Il reste de gros sujets d'inquiétude. Les améliorations portent sur la politique familiale, sur la vieillesse où la réforme de 2010 porte ses fruits même si nous n'échapperons pas à une nouvelle augmentation de l'âge légal. Les points négatifs sont le FSV et l'assurance-chômage.

Le plafond de transfert de dettes de l'Acoss à la Cades est atteint en 2016. Or il pourrait rester 30 milliards d'euros exposés à des taux d'intérêt à court terme. Je formulerai deux propositions : réintroduire une autorisation de transfert annuel de dette à la Cades en PLFSS et relancer l'idée de mettre en place une deuxième journée de solidarité.

M. Georges Labazée. - Je souhaiterais des précisions sur l'évolution du produit de la CSG sur les revenus de remplacement. Je suggère également un examen attentif des éléments prospectifs et des préconisations du Conseil d'orientation des retraites.

M. Gérard Roche. - Je voudrais rappeler que le niveau du chômage explique largement le déficit du FSV. Sur l'assurance-maladie, il ne doit pas y avoir de sujet tabou. La dépense hospitalière est maîtrisée mais à quel prix. Le service est rendu mais les personnels sont exsangues. Reste la question de la médecine libérale. Il faut donner des objectifs aux professionnels avec une obligation de résultat. Certains syndicats de médecins y sont prêts. Sur la journée de solidarité, plutôt que d'en créer une seconde, je pense qu'il serait préférable de l'étendre à tous les revenus.

Mme Laurence Cohen. - Au-delà de la froideur des chiffres, il y a la vie quotidienne des gens à mettre en perspective. Les mesures de régulation ont des effets sur l'hôpital. Sur tous les bancs, il faut mettre nos actes au moment du PLFSS en accord avec nos paroles. Les économies se font toujours au détriment des mêmes populations. Les réformes des retraites sont une fuite en avant. Les organisations patronales viennent de refuser une hausse de 0,5 % des allocations-chômage alors que la hausse des prix était de 5 %.

M. Gilbert Barbier. - Sur les chiffres de progression évoqués pour l'Ondam, je voudrais savoir s'il s'agit des prévisions ou des réalisations. L'Ondam tendanciel est toujours un peu surévalué. Au risque de marquer un désaccord, je voudrais souligner que notre organisation hospitalière est marquée par un éparpillement propre à la France et que des rationalisations seraient possibles sans porter atteinte à la qualité des soins.

M. René-Paul Savary. - La majeure partie du travail des CHU est celui d'un hôpital général. Les GHT peuvent être source d'améliorations mais comportent aussi des risques en termes d'aménagement du territoire. Il faut être cohérent : nous souhaitons maîtriser l'Ondam mais nous augmentons le point d'indice alors que la masse salariale est le premier poste de la dépense hospitalière ! La médecine libérale n'a jamais refusé les réformes et je ne doute pas, si elle est revalorisée, qu'elle aura à coeur d'y contribuer.

M. Daniel Chasseing. - Tous les hôpitaux que je connais sont en déficit.

M. Olivier Cadic. - Je partage les préoccupations des différents intervenants. J'avais interrogé le directeur général de l'Unédic sur les mesures à prendre si le déficit de l'assurance-chômage devait être interdit. On voit le résultat quand on s'y refuse ! On ne peut pas aller vers toujours plus de cotisations, c'est une fuite en avant. La situation est vraiment décourageante.

M. Yves Daudigny. - Je remercie le rapporteur général pour son travail d'une grande précision et sa lecture objective. Je partage cette idée forte que la dimension humaine est première et passe avant les chiffres. Les résultats sont encourageants et il faut le dire. Je rappelle que si l'Ondam est respecté, la dépense de santé augmente de 4 milliards d'euros chaque année. Je crois beaucoup dans les GHT qui devraient permettre une amélioration de la qualité de fonctionnement pour un coût moindre. Je retiendrai trois points d'attention. Sur le FSV, il serait bien que les préconisations de nos collègues soient suivies d'effet. Sur la médecine générale, nous avons un problème de régulation ; les dépenses augmentent alors que nous observons une restriction de l'offre sur certains territoires. Je partage les observations qui ont été faites sur la dette mais je rappelle que pour opérer de nouveaux transferts à la Cades, il faut lui affecter de nouvelles recettes ou reporter la date de son extinction.

M. Michel Amiel. - Les GHT peuvent être une piste intéressante mais ils consistent aussi parfois en une mutualisation de la pénurie. Il ne faut pas noircir le tableau, la médecine française reste de grande qualité. Sur la médecine libérale, je souscris aux propos de Gérard Roche et j'irai même au-delà.

Mme Aline Archimbaud. - Je m'étonne que l'on ne s'interroge pas davantage sur les mesures d'économies qui pourraient être obtenues en renforçant l'accès au droit. Le Sénat a adopté l'attribution automatique de la CMU-C pour les bénéficiaires du RSA, disposition malheureusement supprimée à l'Assemblée nationale. Je regrette que prévale sur ces sujets une vision de très court terme alors qu'il s'agit d'un investissement pour l'avenir.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Les chiffres sont encourageants mais pas satisfaisants. La situation s'améliore cependant et je me permets de voir l'influence du Sénat dans le fait de rechercher des solutions dans des économies en dépenses et pas seulement dans l'augmentation des recettes.

J'apporterai globalement les précisions suivantes :

Le montant de la dette portée par l'Acoss devrait effectivement atteindre 30 milliards d'euros en fin de période de programmation, en 2019.

Je rappelle que la contribution solidarité autonomie est précisément affectée à l'autonomie au sein de la CNSA. Elle n'a pas vocation à financer l'amortissement de la dette sociale dont la recette naturelle est la CRDS.

La réforme des taux réduits de CSG sur les revenus de remplacement a dégagé un excédent alors qu'elle devait être financièrement neutre en raison des effectifs concernés par la réforme : alors que le nombre de personnes passant du taux plein au taux réduit devait être nettement supérieur au nombre de personnes faisant le mouvement inverse, il été équivalent, notamment en raison de l'impact sur le revenu fiscal de référence des foyers retraités de la mesure de fiscalisation des majorations de pensions, la mesure s'est donc traduite par une augmentation globale des prélèvements.

Sur l'Ondam soins de ville, je voudrais préciser que la surexécution n'est pas seulement imputable aux honoraires médicaux mais aussi à d'autres postes, comme le médicament.

L'inflation est actuellement nulle. Les revalorisations, fussent-elles limitées, ne se justifient donc pas par la hausse des prix.

Les comparaisons données pour les chiffres de l'Ondam sont bien opérées entre Ondam exécutés. Je rappelle que le programme de stabilité de 2015 a opéré un rebasage de l'Ondam à hauteur de 425 millions d'euros.

Les GHT commence à se constituer. Quand cette opération est bien menée, elle permet effectivement de réaliser des économies sans affecter la qualité des soins.

Il ne faut pas céder au découragement mais être déterminé. Pour ma part, je suis convaincu que l'équilibre des comptes sociaux est à portée de main.

Sur le non-recours, certaines études montrent effectivement le lien entre accès à la CMU-C et meilleure prise en charge des maladies chroniques.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Politique du médicament - Présentation du rapport d'information

M. Alain Milon, président. - Nous examinons maintenant le rapport de Gilbert Barbier et Yves Daudigny sur la politique du médicament.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Le médicament est un enjeu politique et un objet constant de polémique. Il est jugé tour à tour trop coûteux, trop dangereux, trop peu accessible, pas assez innovant, quand ce n'est pas tout simplement dépassé par les progrès dans les autres formes de prise en charge.

De trop nombreux dossiers, du Thalidomide au Mediator ou à la Dépakine jettent la suspicion sur les politiques d'encadrement, de contrôle et de suivi du médicament, peut-être plus dans notre pays que dans le reste de l'Europe !

Les polémiques se succèdent et se ressemblent sans paraître réellement permettre d'avancer. Industriels, ONG, médecins, pharmaciens, assurance maladie, lanceurs d'alerte expriment des points de vue tous légitimes, mais qui peinent à se croiser.

Dès lors, en quoi un nouveau rapport sur le médicament est-il nécessaire ? Comment peut-il faire autre chose qu'ajouter un point de vue, celui de la commission des affaires sociales du Sénat, à tous ceux qui s'expriment déjà largement dans la presse ?

Il nous est apparu que la diversité même des approches rend nécessaire la définition par les pouvoirs publics d'une position claire quant à la place du médicament dans notre système de santé - ceci d'autant plus que le cadre, déjà contraint, de nos finances sociales se trouve largement bousculé par le retour de l'innovation médicamenteuse.

Contrairement au Royaume-Uni par exemple, la France n'admet pas que certains ne puissent pas avoir accès à l'innovation ; elle a d'ailleurs mis en place des mécanismes d'accès précoce aux nouveaux traitements, comme les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), largement saluées lors des auditions conduites. Le prix élevé des nouvelles molécules pose toutefois question. Après plusieurs années de baisse ayant permis une économie annuelle d'un milliard d'euros, l'enveloppe médicament a augmenté en 2014 du fait des seuls antiviraux d'action directe - traitement apparemment curatif contre l'hépatite C.

Le médicament ne peut donc plus uniquement apparaître comme un possible gisement d'économies pour l'assurance maladie. Il pose aussi de nouveaux problèmes de financement. Le retour de l'innovation thérapeutique, après un long plateau, pose ainsi une autre question essentielle pour l'avenir de notre système d'assurance maladie : celle de l'évaluation du médicament afin de déterminer son niveau de prise en charge et son prix.

Ces questions, qui sont au coeur de l'actualité, ont fait l'objet de propositions diverses, émanant de plusieurs acteurs, entre lesquelles le Gouvernement n'a pas tranché, voire même annoncé qu'il ne trancherait pas. Or, la continuité de la prise en charge du médicament par la sécurité sociale exige des décisions rapides pour mettre en place des réformes qui s'étaleront nécessairement sur plusieurs années.

Le rapport que nous vous présentons ne porte donc pas sur les enjeux de santé publique liés à l'usage du médicament, à la sécurité des produits ou à la pharmacovigilance, même s'il les mentionne nécessairement. La question qui nous a paru fondamentale est la suivante : quels sont les médicaments qui doivent être pris en charge par l'assurance maladie, et à quelles conditions ?

Cette question nous a tout d'abord conduits à tenter de distinguer entre les enjeux industriels et financiers, liés au processus productif du médicament, et les objectifs spécifiques à l'assurance maladie - payer au meilleur prix les médicaments les plus efficaces pour garantir l'accès de l'ensemble de la population aux meilleurs traitements. Nous avons ensuite étudié les différents types de médicament, selon qu'ils sont ou non pris en charge par l'assurance maladie. Nous avons enfin analysé le mécanisme de fixation du taux de remboursement et du prix du médicament afin d'apprécier son adaptation aux enjeux actuels.

M. Gilbert Barbier, rapporteur. - C'est donc tout d'abord dans sa dimension industrielle que nous avons étudié le médicament. Indéniablement, l'industrie du médicament constitue un secteur stratégique à la fois par la nature de sa production, qui constitue un outil indispensable au service de la santé des populations, mais aussi par son poids économique. Elle contribue en outre à la fois au rayonnement international de la recherche publique et privée et à celui de notre industrie.

En raison de la croissance continue de la demande et du caractère très innovant du secteur (que l'on pense au développement des biotechnologies, des thérapies ciblées, à l'immunothérapie ou encore à l'apparition de la médecine personnalisée), le médicament apparaît clairement comme un secteur économique d'avenir. Or, les entreprises françaises du secteur, qui constituent traditionnellement une part non négligeable de notre industrie nationale, affichent une érosion continue de leur compétitivité dans les dernières années.

Ainsi l'étude de Roland Berger cite : sur 130 molécules autorisées en Europe entre 2012 et 2014 : 8 étaient produites en France, 32 en Allemagne, 28 au Royaume Uni et 18 en Italie.

Dans ce contexte, le système d'administration des prix à la française est décrit comme illisible par de nombreux acteurs, qui y voient même une forme d'opacité, laissant place à toutes les suspicions. S'il s'avérait qu'il comprenne en effet traditionnellement une part de soutien à l'industrie nationale, cela sous-entendrait que les pouvoirs publics n'affirment pas suffisamment leurs exigences face aux laboratoires, en termes de prix comme en termes de santé publique. Nos travaux nous ont cependant permis de nuancer largement ce soupçon : l'enjeu majeur pour les administrations françaises de santé est aujourd'hui très clairement celui de la maîtrise du coût des médicaments. Cela n'interdit pas cependant la prise en compte des contraintes de l'industrie pharmaceutique, notamment dans le sens de la préservation des impératifs de santé publique : des hausses de prix peuvent ainsi être ponctuellement consenties pour des produits très anciens, dont le prix n'a pas été revalorisé depuis longtemps et dont l'exploitation devient de ce fait déficitaire, mais dont l'intérêt thérapeutique reste majeur.

Il est par ailleurs apparu que le modèle de production du médicament devra faire face, au cours des prochaines années, à de profonds bouleversements qui devront nécessairement être pris en compte par les pouvoirs publics dans leur dimension industrielle comme de santé publique.

On assiste en premier lieu à un phénomène de délocalisation et, dans une moindre mesure, de concentration des acteurs hors de France. Il pourrait s'intensifier au cours des prochaines années, dans la mesure notamment où les entreprises françaises n'auront pas pris le virage du médicament biologique. Cette évolution fait peser des risques importants sur le tissu productif français, mais aussi pour l'influence française dans le secteur des produits de santé. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de préserver nos outils de compétitivité que constituent notamment notre exceptionnel environnement scientifique et médical, la qualité de nos structures industrielles, les avantages fiscaux tels que le crédit impôt-recherche (CIR) ou encore des mécanismes tels que celui des ATU.

En second lieu, on assiste à un phénomène de retour de l'innovation, qui remet en cause le modèle de fonctionnement des laboratoires fondé sur l'exploitation des blockbusters, pour lesquels de nombreux brevets sont désormais tombés. L'enjeu est ici d'accroître l'efficacité du système français, notamment en augmentant les moyens de la recherche publique fondamentale, en examinant les contraintes réglementaires qui pèsent sur elle, ou encore en encourageant le développement de partenariats de recherche publics-privés - ainsi que l'a d'ailleurs préconisé le conseil stratégique des industries de santé (CSIS) en avril dernier.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Revenons brièvement sur le parcours du médicament une fois la molécule élaborée par un laboratoire.

Contrairement à d'autres pays comme l'Italie, la France a réparti entre différents organismes les étapes permettant la distribution d'un médicament. Tout d'abord, la mise sur le marché d'un médicament, qui est régie par le droit européen, relève de l'Agence européenne du médicament (EMA, basée à Londres) et, en France, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Un médicament est mis sur le marché si son bénéfice est jugé supérieur aux risques qu'il présente pour l'indication de traitement présentée par l'industriel. A l'appui de leur demande, les laboratoires soumettent à l'agence des études cliniques dont le niveau d'exigence et de transparence fait l'objet de débat. Nous y reviendrons.

Le seul critère admis pour mettre un médicament sur le marché est celui du rapport bénéfice/risque et, en France, le refus de mise sur le marché d'un médicament en France ou son interdiction doivent être justifiés au regard de ce critère sous peine d'une condamnation par le juge. L'ANSM est aussi chargée du suivi de l'usage des médicaments et de la pharmacovigilance, donc des décisions de restriction ou d'interdiction d'une molécule en fonction des risques qui peuvent être associés à son usage en vie réelle. Cette mission est particulièrement importante, comme l'a illustré récemment le scandale du Mediator. Mais elle a aussi en charge les recommandations temporaires d'utilisation (RTU) qui permettent l'usage remboursé d'un produit en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette possibilité est importante pour la santé publique quand il s'avère qu'un médicament utilisé dans une certaine indication a aussi des effets thérapeutiques pour une autre maladie.

La deuxième étape est l'évaluation du médicament pour déterminer s'il doit ou non être pris en charge par la sécurité sociale. Depuis 1967, cette évaluation a été confiée à une commission, dite de la transparence, qui fait aujourd'hui partie de la Haute Autorité de santé (HAS). La commission de la transparence détermine le service médical rendu (SMR) du médicament et propose un taux de remboursement en fonction de celui-ci. Elle détermine aussi l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui sert de base à la fixation du prix.

En 2013, 85 % des médicaments vendus en France étaient remboursables. Cette proportion s'élevait à 97 % s'agissant des spécialités soumises à prescription médicale obligatoire.

Un médicament peut faire l'objet d'une prise en charge intégrale par la sécurité sociale soit en raison de l'intérêt qu'il présente, soit parce qu'il est prescrit à une personne pour traiter une pathologie correspondant aux critères de l'affection de longue durée (ALD) dite « exonérante », c'est-à-dire d'une affection « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, et pour laquelle le ticket modérateur est supprimé ».

En 2011, d'après le syndicat des entreprises du médicament (Leem), les médicaments pris en charge à 100 % par l'assurance maladie représentent environ deux tiers des dépenses de remboursement par l'assurance maladie, le tiers restant se répartissant entre les médicaments remboursés aux autres taux.

En effet, certains ne sont remboursés que partiellement, soit en taux (15 %, 30 % ou 65 %), soit seulement pour certaines populations ou pour certaines indications.

Par ailleurs, certains médicaments ne sont pas remboursables, soit que le laboratoire n'ait pas fait la demande d'inscription sur la liste des médicaments remboursables, soit que le médicament ait été déremboursé.

Les médicaments pour lesquels une prescription médicale est obligatoire sont presque tous remboursés. Ceux pour lesquels une prescription médicale n'est pas obligatoire sont dits d'automédication en langage courant.

L'ANSM qui en assure la régulation préfère, pour sa part, la notion de médicament sur conseil pharmaceutique pour bien montrer que si le patient peut décider d'avoir recours au médicament pour une pathologie bénigne, il doit pouvoir bénéficier du conseil du pharmacien. Ces médicaments ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale et leur prix est libre. Il peut d'ailleurs varier d'une officine à l'autre.

Le fait qu'un médicament soit en accès direct dépend largement du choix que fait le laboratoire de demander ou non le remboursement, et non de l'efficacité intrinsèque du médicament. Ainsi, le paracétamol est incontestablement efficace mais ses dosages les plus courants sont en accès libre. Après plusieurs années de contestation de l'éventualité de dérembourser le Doliprane, Sanofi envisage aujourd'hui de le mettre entièrement en automédication. Cet exemple montre bien que cette question relève essentiellement de la stratégie commerciale des firmes. Est-il plus rémunérateur d'avoir un médicament remboursé par la sécurité sociale ? Oui, dans la grande majorité des cas, mais plus nécessairement quand le nom de marque est particulièrement connu du grand public, que le médicament risque de devenir substituable sachant que le prix des médicaments en automédication est libre.

D'autres médicaments ne sont plus admis au remboursement du fait de la réévaluation de leur service médical rendu. Cette réévaluation est conduite par la commission de la transparence de la HAS de manière continue. Chaque molécule inscrite au remboursement doit être réévaluée au plus tard tous les cinq ans. A la demande des ministres successifs depuis 2002, différents plans de réévaluation des médicaments ont pu être conduits avec un périmètre élargi aboutissant au déremboursement de nombreuses spécialités. Depuis 2012, aucun nouveau plan d'ensemble n'a été mis en oeuvre mais la commission de la transparence continue ses réévaluations systématiques, molécule par molécule. Dans la majorité des cas, le réexamen confirme le niveau de SMR déjà reconnu. Dans quelques rares cas, le réexamen peut conduire à la reconnaissance d'un service médical rendu plus élevé. Surtout, plusieurs dizaines de décisions tendent à la réduction du SMR ou à sa déclaration comme insuffisant. Ceci entraîne la recommandation d'une baisse du taux de remboursement, voire d'un déremboursement.

En 2015, seize arrêtés ont été pris par la ministre en charge de la sécurité sociale sur le fondement des réévaluations conduites par la commission de la transparence. Ils ont exclu du remboursement 351 spécialités (plusieurs spécialités pouvant correspondre aux différents conditionnements et dosages d'un même médicament).

La réévaluation et le déremboursement sont un élément structurel de la gestion de la prise en charge des médicaments par l'assurance maladie.

Ces déremboursements ne vont pas sans contestation, que ce soit récemment pour les anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente, ou actuellement pour les médicaments anti-Alzheimer. Néanmoins, la réévaluation elle-même par la commission de la transparence n'est que rarement remise en cause. C'est l'effet du déremboursement sur la prescription -c'est-à-dire notamment le risque de report vers des molécules remboursées mais peut-être inadaptées- qui est invoqué pour contester les mesures de déremboursement, dans l'idée que l'économie serait au mieux incertaine et le risque d'effets secondaires renforcé.

Incontestablement, sur cette question comme sur celle, complexe, de la prescription d'un médicament hors des conditions d'autorisation de sa mise sur le marché, les mesures de gestion de la prise en charge doivent s'accompagner de mesures d'information à destination des professionnels de santé et tout particulièrement des prescripteurs.

La question fondamentale est en fait celle des critères d'évaluation du médicament par la commission de la transparence. En effet, le service médical rendu (SMR) est le critère utilisé pour déterminer le taux de prise en charge, tandis que l'amélioration du SMR l'est pour déterminer le prix. Cette distinction, cohérente a priori, est en fait devenue, au fil du temps, de plus en plus floue et les deux critères tendent à se confondre, du fait notamment de la plus grande exigence de la commission de la transparence en matière de comparaison avec les traitements existants. La détermination du SMR est, dès lors, devenue plus difficile et potentiellement porteuse d'inégalités puisque, de deux médicaments traitant une même pathologie, le deuxième arrivant sur le marché est moins remboursé que le premier. Or, dans certains cas, ce médicament est le seul qui puisse traiter une partie des patients dont la pathologie ne répond pas au médicament mieux remboursé. Selon les termes de Dominique Polton, qui a remis le rapport le plus complet sur la question de l'évaluation du médicament, ces patients subissent une double peine puisqu'ils ne peuvent tirer bénéfice du premier traitement et qu'ils sont moins remboursés pour celui qui leur est nécessaire.

A la suite de la position portée par Jean-Luc Harousseau lorsqu'il était président de la HAS, et en cohérence avec la position du Sénat sous deux majorités différentes, il nous semble donc aujourd'hui nécessaire de fusionner les critères d'évaluation du SMR et de l'ASMR et de passer à un critère d'évaluation unique. Le rapport Polton propose la mise en place d'un « indice de valeur thérapeutique relative » qui intègre pleinement la dimension comparative de l'évaluation du médicament. Celle-ci nous paraît plus que jamais nécessaire. En effet, nos critères d'évaluation actuels sont marqués par le long plateau qu'a connu l'innovation en matière de médicament : dans un contexte de faible innovation, la moindre avancée était fortement valorisée. Dès lors qu'arrivent sur le marché des médicaments ayant un apport thérapeutique important, voire majeur, il faut des critères d'évaluation adaptés.

Le choix d'un indice unique pour l'évaluation du médicament s'accompagne pour nous d'un autre choix que le rapport Polton décrit, parmi d'autres, et que le Gouvernement n'a pas retenu. Il s'agit de la fusion de l'ensemble des taux de remboursement autre que le taux de 100 %. En effet les taux de 15 %, 30 % et 65 % établissent une hiérarchie complexe dans la prise en charge sociale du médicament, hiérarchie illisible pour les patients comme pour les professionnels de santé dans la mesure où un médicament pris en charge à 30 % n'est pas nécessairement plus efficace qu'un médicament pris en charge à 15 % ni moins efficace qu'un médicament pris en charge à 65 %.

Par ailleurs, le taux réel de prise en charge des médicaments est en fait très différent du taux affiché. Ceci résulte de la prise en charge à 100 % des molécules prescrites pour le traitement d'une affection de longue durée. Comme le montre le rapport Polton, les médicaments pris en charge en théorie à 15 % le sont en moyenne à 38 %, ceux pour lesquels le taux est fixé à 30 % le sont en réalité à 40 % et ceux relevant du taux de 65 % le sont à 81 %. Une réorganisation des taux de remboursement serait d'abord une mesure de clarification avant, éventuellement, d'être une mesure d'économie. Elle devrait limiter les écarts de prise en charge pour une même molécule entre personnes prises en charge en ALD et les autres malades.

Cette restructuration des taux de remboursement devra être accompagnée d'une révision de la liste des affections de longue durée ALD qui n'a cessé de s'allonger depuis les 6 premières maladies admises pour atteindre aujourd'hui plus de 30 pathologies.

A l'évidence, certaines d'entre elles nécessitent des traitements peu coûteux et supporteraient un remboursement moindre.

Les effets d'une telle mesure, qui ne pourrait être mise en place que progressivement, doivent bien sûr être étudiés, notamment l'impact financier du basculement d'une partie des molécules vers un remboursement à 100 %, mais elle apparaît nécessaire pour la cohérence du système. Le niveau du taux de remboursement autre que 100 % devrait dans la même logique être étudié et débattu, mais il apparaît clairement qu'il ne saurait être inférieur à 50 %.

M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Un indice unique d'évaluation du médicament sera également un moyen d'agir de manière plus efficace sur la fixation du prix du médicament. En effet, dès lors qu'un médicament est admis au remboursement, son prix n'est plus libre. Il est fixé par le Comité économique des produits de santé, dont la composition et les compétences sont fixées par la loi : sur la base de l'évaluation de l'ASMR faite par la commission de la transparence et de l'évaluation médico-économique que conduit également, dans certains cas, la HAS, le CEPS négocie avec les industriels le prix de chaque molécule.

Les critères de fixation de ce prix, s'agissant des médicaments princeps et génériques, sont définis par le code de la sécurité sociale, et subsidiairement par la convention qui lie le CEPS aux entreprises du médicament et par la lettre d'orientation adressée au président du comité par les ministres en charge de la santé, de la sécurité sociale, des finances et de l'industrie.

La baisse des prix du médicament, en dehors de l'année 2014, est attribuable à la capacité de négociation du CEPS qui négocie et renégocie le prix des molécules en faisant jouer la concurrence entre médicaments ayant une même indication et en appliquant des baisses de prix dès lors qu'un médicament est génériqué.

Ce système a été critiqué, car il repose sur une négociation avec les industriels dont les clauses sont secrètes. En effet, les industriels proposent un prix qui fait l'objet d'une négociation, mais ils proposent aussi des remises : le prix réel n'est donc pas le prix affiché. Le montant total de ces remises versées à l'assurance maladie est connu : 700 millions d'euros en 2014.

Si le montant total des remises est publié chaque année par le CEPS, le montant des remises consenti par les industriels sur chaque médicament est protégé par le secret des affaires, qui résulte tant du droit international que de la jurisprudence de la commission d'accès aux documents administratifs. Une directive européenne est en cours d'élaboration sur cette question.

Quel que soit l'organisme chargé de négocier avec les industriels, il sera donc soumis au secret des affaires. La question n'est donc pas de savoir s'il peut être levé mais s'il existe un autre moyen d'agir sur le prix du médicament.

Certains pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, acceptent le prix proposé par les industriels. Cette solution n'est possible que dans des systèmes qui admettent la possibilité de ne pas prendre en charge socialement les médicaments les plus chers. Au Royaume-Uni, l'évaluation médico-économique en termes de qualité des années de vie gagnées du fait d'un médicament conduit à écarter sa prise en charge par le National Health Service (NHS) dès lors qu'il est trop cher. Ceci a par exemple été le cas pour les médicaments contre le virus de l'hépatite C (VHC).

En France, l'action sur les prix est nécessaire et, malgré ses défauts, la négociation paraît le seul moyen d'y parvenir. En effet, les mécanismes d'appel d'offres sur le modèle des Pays-Bas ou sur celui préconisé par la Commission européenne créent une instabilité pour les patients, qui deviennent dépendants des contrats passés par les autorités publiques pour la continuité d'une molécule.

Par ailleurs, l'idée d'une fixation unilatérale du prix des médicaments par les pouvoirs publics, voire de la mise en place d'une licence d'office, se heurte aux règles régissant le commerce international et spécifiquement à la nécessité d'une indemnité en cas d'expropriation.

Il n'en demeure pas moins que la différence entre le prix affiché et le prix remisé permet aux laboratoires de faire jouer la concurrence entre les Etats. Cette situation n'est pas acceptable au regard de l'arrivée de traitements particulièrement onéreux sur le marché. Mais elle ne peut trouver de solution que dans une concertation internationale ou au moins européenne. Il est donc particulièrement regrettable que les efforts de la ministre de la santé pour établir avec nos partenaires européens, ou au moins avec l'Allemagne, une position commune sur le Sovaldi aient échoué, tout comme le projet du Président de la République d'établir une position commune du G7.

La France doit mener une action résolue au niveau européen et international et doit renforcer sa capacité de négociation avec les laboratoires. Ceci signifie que l'information sur le prix du médicament à l'hôpital, dans les officines, à l'international doit être mieux suivie par le CEPS qui ne dispose que de neuf personnes, aussi qualifiées soient-elles dont son président, pour mener l'ensemble des négociations sur le médicament face aux grandes entreprises internationales du médicament.

Ce renforcement des moyens mis au service de la négociation doit permettre également le développement des contrats de performance signés avec les laboratoires afin de rémunérer un médicament sur ses effets réels et non sur les promesses issues des premiers essais, portés par les laboratoires eux-mêmes. Pour l'heure, ces contrats s'avèrent décevants pour les finances sociales en raison du manque de données publiques permettant de suivre l'usage et les effets des molécules. De tels instruments doivent être développés afin de rémunérer l'innovation de manière adéquate. En l'absence de tels contrats, les laboratoires proposent pour leur part de se voir attribuer la part des dépenses sociales qui serait économisée du fait de leurs médicaments. Il s'agirait simplement de fermer les services hospitaliers devenus inutiles... A supposer même que de telles réorganisations soient possibles, il n'est pas envisageable de considérer les dépenses d'assurance maladie comme une enveloppe acquise que les fournisseurs de produits de santé pourraient se partager.

Notre réflexion commune nous a également conduits à préconiser une évolution de la composition du CEPS afin que les représentants de l'assurance maladie y aient une place renforcée. C'est en effet l'assurance maladie qui est le payeur en dernier ressort du médicament et son point de vue doit être au moins égal à celui de l'Etat.

A l'issue de nos travaux, nous formulons donc les préconisations suivantes sur l'ensemble des aspects de la politique du médicament, que nous avons abordés :

- Mieux valoriser les innovations liées à la recherche publique française en renforçant les moyens de la recherche fondamentale et en menant une politique plus active en matière de brevets.

- Agir au niveau européen pour renforcer les exigences relatives à l'évaluation du médicament pour l'autorisation de mise sur le marché.

- Associer aux avis de la commission de la transparence en cas de déremboursement des recommandations permettant d'assurer la meilleure prise en charge du patient tout en limitant le report de prescription.

- Définir une politique de santé publique relative au développement de l'automédication.

- Développer des partenariats entre le CEPS et la Cnam afin de favoriser le bon usage du médicament et d'agir sur les comportements de promotion, de prescription et d'usage.

- Mener une action intergouvernementale avec nos principaux partenaires européens afin de définir un cadre commun de négociation du prix des médicaments les plus onéreux.

- Clarifier la notion de secret des affaires en transposant rapidement la directive européenne.

- Proscrire la mise en place de mesures fiscales ponctuelles.

- Prévoir une audition publique annuelle du CEPS devant les commissions des affaires sociales des Assemblées présentant les résultats de la négociation avec les industriels et la comparaison entre les prix du médicament en France et dans les pays voisins.

- Renforcer la place de l'assurance maladie au sein du CEPS et donner à celui-ci des moyens plus importants de contrôle et de comparaison.

- Mettre en oeuvre les préconisations du rapport Polton pour établir un critère unique d'évaluation comparative des médicaments, la valeur thérapeutique relative (VTR).

- Fusionner en un seul taux les trois taux de prise en charge à 15 %, 30 % et 65 % en s'appuyant sur les évaluations conduites par ce rapport.

M. Georges Labazée. - J'aurai souhaité que le rapport aborde davantage la question du générique et traite notamment du problème récurrent de la réticence des prescripteurs, voire de la population, vis-à-vis de ces médicaments.

M. René-Paul Savary. - J'adhère pour ma part aux propositions concrètes de ce rapport. Peut-être faudrait-il se pencher sur la question du rôle des complémentaires et sur le fait qu'elles ne remboursent pas les médicaments qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Par ailleurs disposez-vous d'éléments sur le coût pour l'assurance maladie du remboursement du paracétamol ? Il m'apparaît également qu'il y a des molécules que l'on pourrait qualifier de confort, qui sont nécessaires mais ne relèvent pas forcement d'un remboursement par la sécurité sociale.

Mme Laurence Cohen. - Je voudrai insister sur le fait que l'industrie du médicament a fait 856 milliards de chiffre d'affaires en 2012 et que la France était le deuxième marché après l'Allemagne. Le poids des laboratoires est donc très important. Certains Etats résistent, des expériences ont été menées au Brésil ou en Inde sur la licence. Ceci est particulièrement intéressant face notamment au monopole que détient un laboratoire sur le traitement contre l'hépatite C. Comment peut-on avancer ? Il faut également penser à un pôle public de la recherche pour faire pièce aux laboratoires. Nous partageons beaucoup des propositions du rapport et je pense qu'on ne peut plus rembourser des médicaments à 15 % soit ils sont efficaces et il faut mieux les prendre en charge, soit ils ne le sont pas.

Mme Corinne Imbert. - Je comprends que les rapporteurs aient choisi de se concentrer sur la question de la prise en charge car la question de la politique du médicament est particulièrement vaste. On aurait pu notamment parler de l'impact du tiers payant généralisé en officine qui a transformé le médicament en bien de consommation et qui a eu un impact réel sur les dépenses sociales.

Le médicament peut être un fleuron de notre industrie nationale. Certains laboratoires peuvent avoir un comportement répréhensible mais d'autres ont un comportement éthique, notamment en matière de recherche.

Il faut avoir conscience que depuis de nombreuses années le médicament a servi de variable d'ajustement à court terme pour faire des économies.

Sur le paracétamol, le problème est que l'on n'a pas désigné de groupe générique. Aujourd'hui, plutôt qu'une telle désignation, les laboratoires préfèrent aller vers le déremboursement.

J'ai lu le dernier rapport annuel du Ceps. Il indique que les efforts de maîtrise de prix ont constitué en 2014-2015 un quart des économies programmées dans l'Ondam. Les négociations menées par le Ceps ont également permis l'accès à tous les médicaments innovants ou orphelins et on constate que sur 23 médicaments utilisés pour faire des comparaisons européennes nous avons pour 20 d'entre eux le prix facial le plus bas ou le deuxième plus bas. Je souscris donc à l'idée d'auditionner le Ceps chaque année lors de la présentation de son rapport annuel, comme je partage l'idée d'encourager la recherche fondamentale, même si l'innovation ne se décrète pas. Par contre je ne suis pas sûr que la Cnam soit la mieux placée pour promouvoir le bon usage n'est-ce pas plutôt le rôle de la HAS ou de Santé publique France ?

Sur le taux de prise en charge, je pense qu'il faut veiller à l'articulation avec la complémentaire car même si elle est aujourd'hui devenue obligatoire, il ne faudrait pas réduire l'accès par l'intermédiaire du taux unique qui, par ailleurs, est une mesure intéressante d'économie.

Mme Michelle Meunier. - Je salue le caractère pédagogique de ce rapport et je suis pour ma part particulièrement intéressée par l'idée d'auditionner le Ceps qui a une responsabilité énorme avec peu de moyens.

M. Olivier Cigolotti. - Comment expliquez-vous la différence entre le taux théorique et le taux effectif de prise en charge ? Y-a-t-il un rapport avec les remises consenties par les laboratoires ?

M. Gérard Roche. - Je n'ai pas de question mais je pense que ce rapport doit nous servir de base pour approfondir nos réflexions et je partage les recommandations qu'il contient.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Pour répondre à M. Labazée j'indique que la Mecss a déjà publié un rapport sur le générique et que nous avons choisi parmi les thèmes possibles de notre nouveau travail, celui de la prise en charge. C'est sous cet angle que les génériques et les biosimilaires sont traités dans le rapport.

M. Gilbert Barbier, rapporteur. - M. Savary a abordé la question des complémentaires qui est un sujet en soi. Elles peuvent déjà prendre en charge les médicaments non remboursés. Sur le paracétamol, l'enjeu est de l'ordre de 500 millions d'euros pour la sécurité sociale. Il faudra veiller, s'il n'est plus remboursé, à ne pas mettre une partie de la population dans une situation difficile.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Madame Cohen, les grandes entreprises pharmaceutiques et l'assurance maladie se font face avec l'enjeu de permettre l'accès de tous nos concitoyens au médicament. La ministre peut-elle intervenir de manière plus brutale ? N'oublions pas que le laboratoire a toujours l'arme de ne pas mettre un médicament sur le marché. C'est rare mais cela peut arriver. La licence d'office est-elle la solution ? A nos yeux non car il faut indemniser le laboratoire ce qui peut en fait entrainer des dépenses supérieures. Nous préconisons donc le recours à la négociation.

Sur la recherche, il existe de beaux exemples de partenariat public-privé, notamment à l'hôpital Necker. Néanmoins notre première préconisation est de favoriser la recherche fondamentale car c'est d'elle que peuvent venir les ruptures en matière d'innovation.

M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Sur la question de l'accès, on a constaté que le Levotirox était plus difficile à obtenir en France car il était mieux rémunéré à l'étranger. Aujourd'hui, les laboratoires ont une dimension mondiale et cela peut poser un problème.

S'agissant du traitement contre l'hépatite C, il n'y plus de monopole. Les prix baissent mais pas suffisamment. Je pense qu'il y a là un problème éthique.

Je rejoins Yves Daudigny pour dire que notre pôle public de recherche est devenu très faible et qu'il faut le renforcer notamment par les partenariats publics-privés.

J'indique à Mme Imbert que nous avons été très surpris par le manque de moyens du Ceps comparé aux effectifs de la commission de la transparence de la HAS et de l'ANSM. Cela m'interpelle.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - J'indique à M. Cigolotti que la différence entre le taux théorique et le taux réel de remboursement est uniquement lié aux ALD. S'agissant des remises elles s'élèvent pour l'année dernière à 700 millions à comparer au montant total de remboursement du médicament de 30 milliards d'euros.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 - Nomination des rapporteurs

La commission désigne les rapporteurs suivants sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Sont désignés :

- M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, chargé des équilibres financiers et de l'assurance maladie ;

- M. René-Paul Savary, rapporteur pour le secteur médico-social ;

- Mme Caroline Cayeux, rapporteure pour la famille ;

- M. Gérard Roche, rapporteur pour l'assurance vieillesse ;

- M. Gérard Dériot, rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Loi de finances pour 2017 - Nomination des rapporteurs pour avis

La commission désigne les rapporteurs pour avis suivants sur le projet de loi de finances pour 2017.

Sont désignés :

- M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ;

- M. Gilbert Barbier, pour la mission Direction de l'action du gouvernement - Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ;

- M. Jean-Marie Morisset, pour la mission Egalité des territoires et logement - Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables ;

- M. Didier Robert, pour la mission Outre-mer ;

- Mme Agnès Canayer, pour la mission Régimes sociaux et de retraite ;

- M. René-Paul Savary, pour la mission Santé ;

- M. Philippe Mouiller, pour la mission Solidarité, insertion et égalité des chances ;

- M. Michel Forissier, pour la mission Travail et emploi.

Questions diverses

La commission désigne en qualité de rapporteurs sur la prise en charge des personnes détenues au sein des unités hospitalières spécialement aménagées Mmes Colette Giudicelli, Brigitte Micouleau et Laurence Cohen.

La réunion est levée à 13 heures.

La réunion est ouverte à 15 heures.

- Présidence commune de M. Alain Milon, président, et de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances -

Situation et les perspectives des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

La réunion est ouverte à 15 h 05

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Les commissions des affaires sociales et des finances sont réunies pour entendre Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présenter le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui constitue un élément d'information du Parlement important en vue du débat d'orientation des finances publiques, qui se tiendra le jeudi 7 juillet prochain en séance publique.

Pour préparer ce débat, nous bénéficierons également du rapport que le Gouvernement doit, en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), remettre au Parlement avant le 30 juin. De plus, nous prendrons connaissance des communications et des rapports d'information préparés par les rapporteurs généraux de nos deux commissions. Nous retrouverons le Premier président dès demain après-midi, dans le cadre du colloque organisé conjointement par la Cour des comptes et le Sénat, qui est consacré à la comptabilité générale de l'État, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mise en place.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales est attentive aux rapports de la Cour des comptes, et particulièrement réceptive à ses propositions. Notre commission souhaiterait pouvoir voter non pas une loi de financement de la sécurité sociale, mais une loi de financement de la protection sociale, afin de disposer enfin d'une vue d'ensemble. Venant d'ouvrir un colloque sur la robotique et sur l'espace ambulatoire, j'ajoute que nous serons particulièrement attentifs à l'évolution du coût des soins ambulatoires lors de l'examen de la loi de financement pour 2017.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis, comme toujours, très heureux d'être entendu par vos commissions pour vous présenter le rapport que la Cour des comptes a publié ce matin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Ce rapport est établi chaque année conformément à la LOLF, pour que le Parlement puisse préparer de la manière la plus opérationnelle possible le débat d'orientation sur les finances publiques. Il examine les finances publiques françaises à l'aune des objectifs fixés et des engagements pris par les pouvoirs publics. Le rôle de la Cour des comptes est d'apprécier les résultats obtenus au regard de ces objectifs et de ces engagements mais ce n'est pas la Cour qui les détermine.

Cette publication se situe dans le prolongement du rapport sur le budget de l'État en 2015, qu'il complète. Elle concerne, en effet, l'ensemble des administrations publiques, y compris la sécurité sociale et les administrations publiques locales, et analyse la trajectoire d'évolution des finances publiques à l'horizon 2019. Il est par ailleurs tenu compte des travaux du Haut Conseil des finances publiques, notamment sur les prévisions de croissance associées au programme de stabilité d'avril dernier.

Pour vous présenter ce rapport, j'ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de sa préparation, Christian Charpy et Éric Dubois, conseillers maîtres, ainsi que Vianney Bourquard, conseiller référendaire.

Dans ce rapport, la Cour des comptes dresse trois constats principaux. Premièrement, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015, mais la situation des finances publiques de la France reste en décalage avec la moyenne de l'Union européenne. Deuxièmement, l'objectif de réduction du déficit public pour 2016, plus modeste qu'en 2015, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales. Troisièmement, en l'état des décisions connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste. Avant de conclure mon propos, je ferai un rapide point sur les évolutions récentes en matière de gouvernance des finances publiques.

J'en viens au premier constat du rapport : la situation des finances publiques s'est légèrement améliorée en 2015, mais cette situation reste en décalage avec celle de la plupart des autres pays de l'Union européenne.

Interrompu entre 2013 et 2014, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015. La légère amélioration observée est plus rapide que prévu dans la loi de programmation des finances publiques : le déficit public, qui devait être de 4,1 points de PIB en 2015, a finalement été de 3,6 points de PIB. La Cour des comptes observe que cette amélioration d'un demi-point de PIB avait déjà été largement acquise en 2014, avec 0,4 point de déficit en moins qu'anticipé. Cette amélioration doit en outre être nuancée à plusieurs titres. D'une part, le déficit public reste à un niveau élevé en 2015. La réduction des déficits publics est essentiellement imputable aux collectivités territoriales, qui ont significativement infléchi leurs dépenses de fonctionnement (+ 1,0 % en 2015 après + 2,7 % en 2014), et diminué de manière marquée leurs dépenses d'investissement pour la seconde année consécutive. Une situation légèrement moins dégradée des comptes sociaux contribue également de manière plus marginale à ce résultat.

D'autre part, l'amélioration des déficits publics a bénéficié de phénomènes qui ne sont pas forcément récurrents. La modération des dépenses a été facilitée par la baisse des charges d'intérêts et par la chute de l'investissement local. Or ces évolutions ne peuvent pas être considérée comme pérennes. La dette publique continue d'augmenter, ce qui conduira les charges d'intérêts accrus si les taux d'intérêt remontent. La chute de l'investissement local, qui résulte en partie du cycle électoral, devrait cesser de favoriser la baisse des dépenses en 2016.

Nous examinons chaque année la situation des finances publiques au regard de celle de nos voisins européens. Cet examen conduit à plusieurs constats. En premier lieu, le niveau du déficit public reste élevé en France relativement à nos voisins. Seuls quatre pays de l'Union européenne conservent un déficit effectif plus dégradé que celui de la France : la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cet écart touche également le déficit structurel. La France continue d'accuser un décalage par rapport aux autres économies européennes dans l'ajustement de ses finances publiques. Quatre pays seulement ont un déficit structurel plus élevé que celui de la France : le Royaume-Uni, l'Espagne, la Slovénie et la Belgique. La réduction du déficit public en France, de l'ordre de 0,5 point de PIB en 2015, est à peu près équivalente à celle observée en moyenne au sein de la zone euro et de l'Union européenne. Cela signifie que la France doit poursuivre ses efforts de réformes structurelles, si elle souhaite mettre fin au décalage observé aujourd'hui avec les autres pays européens ou a minima le réduire significativement.

En second lieu, les dépenses publiques en France ont continué d'augmenter en volume, à un rythme supérieur à celui de la plupart des autres pays de l'Union européenne. Si la maîtrise de la dépense fait désormais partie de la stratégie gouvernementale pour redresser les finances publiques, cette stratégie apparaît cependant moins marquée que dans d'autres pays, même ceux qui ont accru en 2015 leurs dépenses publiques, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Mais si l'on s'intéresse à l'ensemble de la période 2010-2015, l'Allemagne est le seul de ces pays à avoir connu une dynamique de la dépense publique supérieure à celle de la France depuis 2010. La situation des finances publiques y est nettement plus favorable.

En troisième lieu, la trajectoire d'endettement de la France diverge désormais non seulement de celle de l'Allemagne, mais aussi de celle de la moyenne des pays de la zone euro. Alors que le poids de la dette publique a diminué en moyenne dans la zone euro (- 1,3 point de PIB) et dans l'Union européenne (- 1,6 point de PIB), il a continué à augmenter en France (de 0,4 point de PIB).

De manière à infléchir la dépense publique, le Gouvernement a annoncé un plan de 50 milliards d'euros d'économies de dépenses sur la période 2015 à 2017, dont la Cour des comptes a examiné la mise en oeuvre pour 2015. Lors de l'annonce de ce plan, le Gouvernement avait réparti les économies sur les trois années 2015 à 2017, avec une première tranche de 21 milliards d'euros d'économies en 2015, puis deux tranches de 14,5 milliards d'euros chacune, en 2016 et 2017. Cette répartition a été modifiée progressivement au cours de l'année 2015 jusqu'au programme de stabilité d'avril 2016. Dans ce document, le montant d'économies a été révisé à la baisse pour 2015 et 2016. L'effort le plus important a alors été reporté sur l'exercice 2017 (18,7 milliards d'euros). La Cour des comptes observe que le montant des économies correspond à un effort par rapport à une évolution tendancielle des dépenses publiques. Or l'examen des hypothèses retenues par le Gouvernement révèle qu'elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance tendancielle. Elles comportent ainsi un biais majorant d'autant les économies affichées. La première tranche d'économies de plus de 18 milliards d'euros en 2015 a été examinée dans ce rapport. Même si l'effort des pouvoirs publics est réel, la Cour des comptes estime que le montant d'économies s'élève plutôt à 12 milliards d'euros, du fait essentiellement d'une moindre contribution de l'État : ses dépenses (hors prélèvements sur recettes, hors charges d'intérêts, hors pensions) ont en effet continué d'augmenter de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015, alors qu'elles auraient dû diminuer de près d'un milliard. De surcroît, certaines mesures d'économies présentées par le Gouvernement ne peuvent pas être comptabilisées comme des économies réelles. En particulier, le ralentissement de la dépense des programmes d'investissements d'avenir (PIA) correspond davantage à des décalages de paiements qu'à une vraie économie. La dépense est reportée dans le temps et non pas annulée. Les crédits totaux destinés aux PIA affectés aux opérateurs restent, en effet, inchangés.

Au total, l'effort sur les dépenses publiques en 2015 a été réel, mais moindre que celui correspondant aux engagements européens. L'effort structurel qui aurait permis de respecter les engagements européens de la France est de 0,5 point de PIB par an. Or l'effort structurel tel qu'évalué par le Gouvernement est de 0,3 point de PIB hors charge d'intérêts, avec la croissance potentielle retenue par le Gouvernement, et serait de 0,2 point de PIB avec la croissance potentielle estimée par les organisations internationales.

L'objectif de réduction du déficit public pour 2016, modeste, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales.

Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public prévu pour 2016 était de 3,6 points de PIB. Dans le programme de stabilité d'avril 2016 transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée à 3,3 % du PIB. Les résultats, meilleurs que prévu en 2014 et en 2015, associés à une conjoncture économique orientée plus favorablement, sous réserve d'effets possibles du résultat du référendum au Royaume-Uni, permettent ainsi d'envisager une situation financière un peu améliorée en 2016. Les risques apparaissent limités sur les prélèvements obligatoires. La prévision de recettes repose sur un scénario de croissance du PIB et d'inflation jugé réaliste par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le dernier programme de stabilité. Les indicateurs de conjoncture publiés depuis cet avis le confortent, sous réserve des conséquences éventuelles du « Brexit ».

Les recettes publiques apparaissent correctement calibrées. Elles devraient progresser en 2016 au rythme d'une croissance économique, en amélioration par rapport à 2015, comme le retient la prévision du Gouvernement, toujours sous réserve des conséquences éventuelles de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Si le scénario relatif aux recettes publiques apparaît relativement prudent, la trajectoire de déficit ne saura être durablement respectée sans une maîtrise rigoureuse des dépenses. Des tensions fortes existent, notamment en ce qui concerne l'évolution des dépenses de l'État. Elles sont plus importantes en 2016 qu'en 2015. Les risques de dépassement pourraient représenter en 2016 entre 3,2 et 6,4 milliards d'euros, contre des risques estimés entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros à la même époque l'année dernière. Ces dépassements sont avant tout liés aux annonces de mesures nouvelles et aux sous-budgétisations. Les annonces nouvelles recensées par la Cour des comptes pourraient conduire à accroître les dépenses de l'État de 2,5 milliards d'euros. Cet accroissement serait principalement le fait du plan d'urgence pour l'emploi, des aides accordées aux agriculteurs et aux éleveurs et de la hausse des dépenses du ministère de la défense. Les sous-budgétisations seraient d'environ 2 milliards d'euros en 2016, soit un ordre de grandeur comparable à celui observé en 2015. Malheureusement, les sous-budgétisations sont récurrentes. Elles concernent en particulier les missions « Défense », « Travail et emploi », et « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Ces sous-budgétisations nuisent à la sincérité du vote du Parlement sur la loi de finances. Elles rognent dès le début de l'année les marges de manoeuvre nécessaires pour maîtriser l'exécution de la dépense budgétaire.

Par ailleurs, la masse salariale de l'État, hors contributions au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », devrait progresser de 1 à 1,5 % en 2016, contre 0,4 % en 2015. Il faut remonter à 2007 pour retrouver un tel rythme d'évolution. Les trois facteurs qui avaient permis de modérer la masse salariale de l'État depuis près de dix ans contribuent maintenant à cette accélération. Les effectifs augmentent depuis 2015. La valeur du point de la fonction publique sera majorée au 1er juillet 2016 puis au 1er février 2017. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures catégorielles depuis le début de cette année.

Le Gouvernement a accentué, en début d'exercice, la réserve de précaution pour tenir l'objectif de dépense de l'État. Il a décidé de geler les reports de crédits de manière transversale, pour la première fois depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Par ailleurs, l'élaboration, en juin 2016, du premier des trois décrets d'avance prévus dans l'année a déjà donné lieu à des arbitrages difficiles, le Gouvernement ayant renoncé à certaines des annulations prévues initialement. Au regard de l'ampleur des risques de dépassement de crédits, le respect de l'objectif de dépenses incluses dans la norme de dépenses en valeur sera particulièrement difficile en 2016, même s'il reste atteignable. À titre de comparaison, malgré des risques de dépassement moindres en 2015, la norme de dépenses n'avait été respectée que facialement, grâce à la baisse du prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne et à des contournements notables (3 milliards d'euros).

Le respect de l'objectif pourrait devenir impossible si de nouvelles dépenses supplémentaires venaient à être décidées d'ici la fin de l'année. Des risques de moindre ampleur pèsent également sur les dépenses des administrations de sécurité sociale. En particulier, l'économie de 800 millions attendue en 2016 de la renégociation de la convention de l'Unedic paraît désormais hors d'atteinte à la suite de l'échec de cette négociation.

Au total, si l'objectif, plus modeste qu'en 2015, de réduction du déficit reste atteignable, il exigera une gestion très stricte des moyens. Il ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses. Les annonces successives de nouvelles dépenses publiques, qui ne sont, en l'état de nos connaissances actuelles, ni financées ni gagées par des économies pérennes, font peser un risque sur les finances publiques en 2016 mais plus encore sur les années suivantes. Parmi les dépenses supplémentaires annoncées au cours de l'année 2016, celles concernant la masse salariale pèseront en effet essentiellement à partir de 2017 et continueront de monter en charge ensuite.

J'en arrive au troisième et dernier constat de la Cour des comptes : au regard des décisions d'ores et déjà connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste, au regard des nouveaux engagements pris. Pour les années 2017 à 2019, le programme de stabilité d'avril 2016 prévoit une trajectoire de redressement des finances publiques revue à la baisse par rapport à la loi de programmation. L'amélioration du déficit public est en effet moindre que celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, alors même que le déficit de 2015 est d'un demi-point inférieur. Le résultat, meilleur que prévu, n'est donc pas mis à profit pour réduire plus rapidement le déficit public et infléchir nettement la trajectoire de dette.

Le Gouvernement a, dès le programme de stabilité d'avril 2015, révisé à la hausse la croissance potentielle pour 2016 et 2017. Elle se situe désormais à un niveau sensiblement supérieur à celui retenu par les organisations internationales. Elle permet ainsi au Gouvernement d'afficher un solde structurel à l'équilibre en 2019 malgré un déficit effectif s'élevant encore à 1,2 point de PIB. Cependant, avec les estimations de PIB potentiel des organisations internationales, le déficit structurel serait d'environ un point de PIB. Sur la base d'hypothèses de croissance potentielle plus prudentes, une trajectoire plus ambitieuse de finances publiques serait nécessaire pour respecter, en 2019, l'objectif de moyen terme de solde structurel fixé à - 0,4 point de PIB par la loi de programmation.

L'analyse du programme de stabilité montre en outre que l'atteinte d'une cible de déficit effectif de 1,2 point de PIB en 2019 suppose une maîtrise sans précédent du volume de la dépense publique compte tenu de la baisse visée du taux de prélèvements obligatoires de 0,2 point par an. La dépense publique en volume (hors charges d'intérêts) devrait être stable en 2017 puis baisser légèrement en 2018 et en 2019, ce qui n'a jamais été le cas dans notre histoire budgétaire récente, sauf en 2011 compte tenu des effets des PIA. Cela devrait impliquer un effort accru par rapport à la période récente puisque cette dépense en volume a progressé en moyenne de 1,1 % entre 2010 et 2015 et de 2,6 % entre 2000 et 2009. Pour que l'objectif soit atteint, il faut donc aller au-delà, en ralentissant encore la dépense publique. Pour le moment, le Gouvernement ne présente pas de réforme nouvelle qui permette de conforter ses objectifs. Au contraire, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d'année concernant l'emploi, la modération de l'effort demandé aux communes et intercommunalités et, surtout, la progression de la masse salariale vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur d'environ 0,3 point de PIB en 2017, soit de l'ordre de 6 milliards d'euros. En particulier, la masse salariale des administrations, qui représente près du quart des dépenses publiques, augmentera, dès 2017, à un rythme marquant une forte rupture avec les évolutions constatées depuis dix ans. Aucun des trois leviers - stabilité des effectifs, gel du point d'indice et limitation des mesures catégorielles - ne sera actif. De ce fait, la masse salariale de l'État pourrait progresser en 2017 à un rythme supérieur à celui enregistré au total sur l'ensemble de la période 2009-2015, soit plus de 2 %. La réforme des grilles salariales négociée dans le cadre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » va entraîner également une hausse des dépenses de personnel. Sa montée en charge progressive représenterait à l'horizon 2020 entre 2 et 2,5 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État, et entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble des composantes de la fonction publique.

Les travaux de la Cour des comptes montrent que les risques pesant sur la réalisation de cette trajectoire sont très importants. Pour atteindre la cible du programme de stabilité, les mesures annoncées dans le cadre du plan d'économies à 50 milliards d'euros devraient être effectivement mises en oeuvre et comporter des mesures supplémentaires qui, pour le moment, font défaut.

Un mot sur la gouvernance des finances publiques : la crise financière de 2008, puis celle des dettes souveraines, ont conduit les États membres de l'Union européenne, en particulier ceux de la zone euro, à revoir leur gouvernance budgétaire. Plusieurs textes sont intervenus qui prévoient trois innovations : une règle d'équilibre structurel ; l'instauration d'un mécanisme de correction automatique ; la création d'institutions budgétaires indépendantes. Afin d'accompagner la mise en oeuvre de la maîtrise des dépenses, la Cour des comptes s'est penchée sur la mise en oeuvre de ces règles. Les textes européens imposent désormais la fixation d'un objectif d'équilibre de moyen terme, défini en termes structurels, qui ne peut pas être supérieur à 0,5 point de PIB. Le pilotage de la politique budgétaire à partir d'un objectif de solde structurel, plutôt que nominal, est, dans son principe, économiquement souhaitable : il permet de limiter le risque d'une politique budgétaire trop relâchée en période de croissance forte ou trop rigoureuse en période de récession et il permet aussi de refaire de la politique budgétaire un instrument contra-cyclique. En France, cet objectif est inscrit dans les lois de programmation des finances publiques. Révisables à tout moment, celles-ci ne lient pas le législateur financier. Le mécanisme de correction automatique, qui impose une correction en cas de déviation significative de la trajectoire de solde structurel, n'a en pratique pas fonctionné en 2014. Ce mécanisme a été déclenché au printemps 2014 mais le Gouvernement, plutôt que de revenir sur la trajectoire de finances publiques de la loi de programmation alors en vigueur, a choisi de modifier cette trajectoire en présentant une nouvelle programmation pluriannuelle.

Les nouvelles règles de gouvernance ont imposé la création d'organismes budgétaires indépendants Dans ce cadre, la France a créé le Haut Conseil des finances publiques. Les organisations internationales considèrent que ces institutions incitent les pouvoirs publics à davantage de prudence dans l'estimation des recettes publiques, élément clef pour le respect des trajectoires de solde.

Quelques améliorations pourraient renforcer la gouvernance des finances publiques. D'abord, l'objectivation de la croissance potentielle paraît nécessaire pour ne pas biaiser les cibles de solde structurel. Autant d'économistes, autant de prévisions, certes. Mais il serait intéressant de rapprocher les hypothèses de travail. Lorsque les prévisions de croissance sont révisées, il conviendrait que les comités budgétaires indépendants puissent être consultés et exprimer leur avis. Nous constatons que le programme de stabilité annuel est devenu la pierre angulaire du dialogue avec l'Union européenne et, à bien des égards, plus structurant que les lois de programmation, qui ne donnent d'ailleurs lieu qu'à un examen limité, tant par le Parlement que par le Haut Conseil des finances publiques. Plus de solennité à l'approbation des programmes de stabilité ne nuirait pas.

Ensuite, les règles européennes de gouvernance budgétaire pourraient être simplifiées. Si la référence au solde structurel permet de vérifier la soutenabilité de long terme de la politique budgétaire et doit donc être conservée dans son principe, elle gagnerait à être complétée par une règle de dépense, plus facile à expliciter ex ante et à vérifier ex post. Une telle règle pourrait prendre la forme d'un objectif de dépenses décliné annuellement pour l'ensemble des administrations publiques, fixé en euros courants, en fonction d'une cible de solde structurel compatible avec le respect de l'objectif structurel de moyen terme. Un tel schéma imposerait de réfléchir à un mode de gouvernance associant l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. Il faudrait en préciser sa définition et les modalités de son suivi.

En conclusion, je rappellerai d'abord que la Cour des comptes ne méconnaît pas les efforts réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au redressement des finances publiques. Pour autant, elle redoute que l'amélioration de la conjoncture conduise une nouvelle fois à interrompre ce mouvement. Les travaux de la juridiction financière, en mettant notamment en lumière les expériences de nos voisins européens, montrent au contraire que l'effort structurel ne doit pas être relâché au moment où les pouvoirs publics bénéficient d'une conjoncture économique favorable et de taux d'intérêt extrêmement bas. Les ajustements structurels des finances publiques qui doivent intervenir dans des phases de conjoncture moins favorables sont généralement beaucoup plus douloureux.

En dépit des progrès réalisés dans la période récente, la politique de maîtrise de la dépense menée jusqu'à présent a davantage visé à la contenir qu'à la réduire. Les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous, alors que les travaux des juridictions financières soulignent les marges d'efficacité et d'efficience de l'action publique dans notre pays. Nous mettons toujours en avant le décalage qu'il peut y avoir entre le niveau des dépenses publiques et les résultats des politiques publiques.

Faire des choix explicites, s'attaquer aux principales sources d'inefficacité de la dépense, réexaminer les missions des administrations publiques prises dans leur ensemble et mieux cibler les dépenses d'intervention : tout cela aiderait à mieux maîtriser les dépenses publiques tout en permettant d'affirmer les priorités politiques voulues par les pouvoirs publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Votre analyse pour les années à venir rejoint malheureusement celle de la commission des finances, tant pour 2015 que pour les exercices suivants.

En 2015, la réduction des déficits a reposé, en grande partie, sur les collectivités territoriales. Certes, le solde structurel s'est amélioré en 2015, mais nous en connaissons les raisons, et la Cour des comptes souligne la grande différence entre la trajectoire budgétaire française et celles de nos voisins, notamment avec l'Allemagne en matière de dette.

Vous estimez qu'il existe un risque significatif de non-respect des objectifs pour 2017. Est-il déjà trop tard pour respecter nos engagements européens ? Ou bien devrons-nous réduire drastiquement nos dépenses ? Pour parvenir à l'objectif de 3 % du PIB. Quel montant d'économies supplémentaires devra être prévu dans le projet de loi de finances pour 2017 ?

Vous avez rappelé divers risques, sans parler de la dépense explosive du revenu de solidarité active (RSA) dans les départements. Des dépenses imprévues pourraient intervenir. Quels pourraient être les risques inhérents aux contentieux communautaires, comme celui concernant la CSG des non-résidents ou le précompte ? Sont-ils pris en compte ?

Le « Brexit » aura immanquablement d'importantes conséquences. Quelle appréhension la Cour des comptes a-t-elle des incidences budgétaires de ce « Brexit », dont la commission des finances a montré qu'elles pourraient être significatives, voire de ses effets sur la croissance économique ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Certes, le mouvement de réduction du déficit public a repris, mais vous soulignez la moindre maîtrise des dépenses, comme notre commission le constatait ce matin en ce qui concerne les comptes sociaux.

Le programme de stabilité 2016-2019 a révisé les hypothèses de taux d'intérêt à court terme en estimant qu'ils seraient négatifs cette année et nuls en 2017. Quels traitements réserver à la dette logée à l'Acoss - soit 16 milliards d'euros aujourd'hui et près de 30 milliards d'euros en 2019 - qui est exposée au risque des taux, à la conjoncture et au « Brexit » ?

Avec le plan de 50 milliards d'économies, la part des administrations de sécurité sociale a été revue à la baisse. Quelle est la part des économies réellement acquises à la fin 2015 et celle des reports de charges ? Je pense en particulier à l'Ondam hospitalier et aux coûts de gestion des caisses.

Nous avons observé des écarts importants entre les prévisions et les résultats, notamment pour la CSG sur les revenus de remplacement, mais aussi pour les prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Quel est le sentiment de la Cour des comptes sur les prévisions de recettes affectées à la sécurité sociale ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - En 2016, nous identifions des risques plus importants qu'en 2015. En 2015, le respect des objectifs en matière de dépenses a été difficile à tenir et si le résultat affiché est facialement correct, il a été présenté au prix de quelques contournements par rapport aux règles budgétaires classiques. Nous les avons chiffrés aux environs de 3 milliards d'euros.

Pour 2016, les risques nous apparaissent plus forts qu'en 2015. Nous invitons le Gouvernement à être extrêmement vigilant afin de maîtriser la dépense. Pour respecter l'objectif, il ne faut pas en rajouter, bien évidemment. Or, certaines mesures auront déjà des effets sur 2016, notamment celles en faveur des jeunes, de l'emploi, de la masse salariale avec l'augmentation du point d'indice... L'objectif reste néanmoins atteignable.

Pour 2017, l'objectif de maîtrise de la dépense est beaucoup plus ambitieux que pour 2016, puisqu'il prévoit une stabilité en volume de la dépense. Alors même que l'on ne voit pas ce qui pourrait permettre de parvenir à cet objectif, des dépenses supplémentaires sont annoncées, sans être gagées, qui rendent encore plus difficile le respect de l'objectif de 2,7 %. Par rapport à la stabilité en volume de la dépense publique en 2017, les promesses qui ont été faites correspondent à 0,3 % de PIB, soit 6 milliards d'euros.

Nous n'avons pas pu analyser les conséquences du « Brexit » sur la croissance au Royaume-Uni, en Europe et en France, et les résultats qu'il peut avoir sur le scénario des finances publiques. Pour 2016, les effets seront sans doute maîtrisés. Pour 2017, si la croissance est entamée par une récession Outre-Manche, les recettes, et donc le scénario des finances publiques, en seront affectées. Le Haut Conseil des finances publiques avait d'ailleurs identifié ce risque. L'incertitude n'est certes pas un facteur de consolidation de la croissance. Pour le moment, personne ne peut dire avec certitude quelles seront les conséquences réelles sur les hypothèses macroéconomiques de la France.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. -Au moment de l'audit de 2012, nous avions constaté l'absence de prise en compte d'un certain nombre de contentieux dans le programme de stabilité du printemps 2012. Les informations entre les trois directions de Bercy qui sont co-responsables de ce sujet sont désormais plus fluides et transparentes. L'expérience a montré que les estimations étaient prévisionnelles car beaucoup dépend des décisions et du rythme de travail des différentes juridictions appelées à trancher définitivement ces contentieux. Dans les années précédentes, nous avons eu des inscriptions prudentes en programme de stabilité et de bonnes surprises en termes budgétaires liées à une dépense inférieure aux prévisions.

Le provisionnement actuel se fait dans des conditions raisonnables, solides et professionnelles, et la réalité de la dépense est fonction de paramètres extérieurs à l'administration.

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Pour 2016 et 2017, le programme de stabilité prévoit respectivement 2,6 milliards et 1,7 milliard d'euros de décaissements. C'est significativement plus que pour 2014 et 2015. Le montant n'est donc pas sous-estimé, même si les aléas restent importants.

M. Didier Migaud. Premier président de la Cour des comptes. - Nous reviendrons sur la dette sociale lors de la présentation du rapport sur la loi d'exécution de la sécurité sociale. Nous rappellerons que l'existence d'une dette sociale est, en soi, une anomalie, car cela traduit l'accumulation de déficits sociaux qu'aucun de nos voisins n'accepte à ces niveaux et sur cette durée, car cela consiste à reporter sur les générations futures le financement de simples dépenses de transfert. La Cour des comptes a toujours attaché une grande importance à la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dont l'horizon avait initialement été fixé à 2017 et a été décalé au-delà de 2019. Nous sommes préoccupés par la persistance d'une dette sociale et nous recommandons que son amortissement intervienne au plus vite. Fin 2016, la Cades aura saturé sa capacité de reprise de dettes pour un amortissement complet prévu à l'horizon 2024. Dans ces conditions, la dette résiduelle portée par l'Acoss se monte à près de 16 milliards d'euros fin 2016 et potentiellement à 30 milliards d'euros fin 2019. Cette dette ne peut être reprise par la Cades sans nouvelle disposition législative et sans y associer des ressources nouvelles permettant son amortissement complet aux termes prévus. Nous avons déjà recommandé dans le passé l'organisation de la reprise par la Cades des dettes constituées à l'Acoss en prévoyant, bien sûr, les recettes nécessaires à l'amortissement complet de la dette sociale. Cette recommandation s'applique, en particulier, aux 16 milliards d'euros de dette résiduelle portée par l'Acoss. La situation est fragile car nous sommes exposés à l'évolution des taux d'intérêt. Certes, ils peuvent rester bas encore un certain temps du fait du « Brexit », mais une remontée n'est pas à exclure alors même que la croissance resterait atone. Nous devons nous mettre à l'abri d'éventuels retournements.

M. Raoul Briet. - Le tableau d'estimation des mesures d'économie pour 2015 a été établi sur la base des schémas du Gouvernement. Nous avons comparé le réalisé aux objectifs du programme. Le montant affiché par le Gouvernement était de 18 milliards d'euros ; notre estimation est de 12 milliards d'euros. Les deux principales zones d'écart sont le budget général de l'État - 3,3 milliards d'euros d'économies pour un affichage à 7,4 milliards d'euros - et le décalage de l'engagement des crédits des programmes d'investissements d'avenir (PIA), qui est un report dans le temps et non une économie.

Les économies réalisées au titre de l'Unédic et du respect de l'Ondam n'appellent pas d'objection ; en revanche, une certaine opacité subsiste sur les économies réalisées dans la catégorie des autres dépenses des organismes de sécurité sociale, dont l'analytique ne nous a pas été fourni. Nous avons essayé de reconstituer l'impact des mesures prises dans le champ du régime général, parvenant à un total de 1,6 milliard d'euros identifié pour 2,6 milliards d'euros affichés. Ce décalage d'un milliard d'euros s'ajoute aux cinq milliards d'euros d'écart dans le réalisé des dépenses de l'État. Au total, nous sommes aux deux tiers des économies annoncées au titre de 2015 - 12 milliards d'euros pour 18 milliards - sur la base d'évaluations qui demeurent fragiles et conventionnelles.

L'effort structurel sur la dépense, plus facilement objectivable, est estimé par le Gouvernement à 0,4 point de PIB. Déduction faite de la baisse liée à la charge d'intérêts, qui n'est pas attribuable au Gouvernement, ce total est ramené à 0,3 point voire, d'après les estimations des organisations internationales, à 0,2 point. C'est un effort réel, mais inférieur à l'objectif de 0,5 point fixé par la Commission européenne pour la maîtrise des dépenses publiques.

Concernant le pilotage, la Cour des comptes constate un écart entre les prévisions et le réalisé dans le champ du régime général, somme de légers décalages affectant des fractions de recettes de CSG. C'est simplement un point d'attention.

M. Vincent Delahaye. - J'apprécie vos analyses percutantes et pertinentes. Je vous remercie d'avoir rappelé que la réduction du déficit public est imputable, pour près des deux tiers, aux collectivités territoriales en 2015.

Ne peut-on sortir d'une logique d'examen des économies réalisées fondée sur le tendanciel d'évolution des dépenses, qui complique inutilement les discussions autour des finances publiques ? Le tendanciel est plus difficile à expliquer à la personne de la rue que les économies réelles.

Dans le rapport présenté voici deux semaines, vous évaluiez ces économies à 1,7 milliard d'euros, pour 7,4 milliards annoncés. Or le chiffre ici présenté est de 3,3 milliards. Pourquoi cette différence ?

Mme Laurence Cohen. - Les rapports de la Cour des comptes sont une mine d'informations précieuses. L'effort important demandé aux collectivités territoriales a été évoqué ; mais le discours sur les économies à réaliser fait peser un risque sur les politiques sociales, et notamment sur les plus fragiles. Il y a de l'humain derrière ces chiffres. La négociation sur la convention d'assurance chômage aurait dû permettre de dégager 800 millions d'euros d'économies ; tous les syndicats réunis ne demandaient qu'une augmentation de 0,5 % de la cotisation patronale. Cet échec va encore affaiblir les plus fragiles. La réduction des dépenses finit par poser la question de la limite, et de l'impact de ce mouvement sur les politiques sociales ; elle nous renvoie aussi à celle des nouvelles recettes, qu'il faudra nécessairement aborder. Quel objectif veut-on atteindre vis-à-vis des populations destinataires de ces politiques ?

Il conviendrait également d'évaluer l'impact réel, en termes d'activité et de créations d'emplois, des aides aux entreprises accordées sous la forme du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt recherche (CIR).

M. François Patriat. - Je salue le sérieux et l'objectivité de votre rapport, tout en observant que la partie consacrée aux satisfecit est toujours beaucoup plus courte que celle des critiques... Reste que les efforts portent leurs fruits et que, comme vous le reconnaissez, l'objectif d'un déficit inférieur à 3 % en 2017 est atteignable. Ceux qui ont creusé ce déficit rivalisent de zèle, désormais, pour le combler... Chacun doit prendre sa part des efforts à consentir. Les résultats sont meilleurs que prévu.

Quelles mesures suggérez-vous de prendre en matière de réduction du déficit structurel ?

M. Éric Doligé. - Vous parlez de ralentissement de l'augmentation de la dépense ; il serait plus clair, pour l'homme normal que je suis, de dire que la dépense continue à augmenter...

La nouvelle taxe d'aménagement annoncée lundi dernier devrait rapporter 600 millions d'euros ; c'est une résultante de la loi NOTRe, puisqu'elle financera la dépense supplémentaire des régions. N'est-ce pas une création de taxe ?

Vous évoquez, dans votre rapport, un plan de 50 milliards d'euros d'économies, dont la réalisation est progressivement repoussée dans le temps : cela revoie la part la plus importante de l'effort à 2017. Puisque vous jugez cela insuffisant, à combien estimez-vous l'effort nécessaire pour un budget équilibre ? Cent milliards d'euros ?

M. Marc Laménie. - Je remercie la Cour des comptes de ce travail de grande qualité qui nous interpelle. Vous avez mis en évidence un décalage entre le chiffrage des économies par le Gouvernement et vos propres estimations. Il y a toutefois un seuil au-delà duquel on ne peut plus réduire les moyens humains, indispensables au fonctionnement des administrations. Comment appréhendez-vous cette problématique ?

M. Serge Dassault. - Permettez-moi d'être pessimiste. L'effort d'économies a surtout concerné les collectivités territoriales à travers la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; on ne voit pas où sont les réductions des dépenses de santé. Au total, les économies sont de 12 milliards d'euros, mais sans aucune réduction réelle de dépenses. Au contraire, on multiplie les dispositifs inefficaces : contrats aidés, aide médicale d'État (AME), prime d'activité... Quant aux réductions d'impôts pour les moins favorisés, c'est gentil pour eux, mais cela représente quelques milliards de recettes perdues. L'objectif d'un déficit ramené à 3 % du PIB ne sera pas tenu parce que rien n'est fait pour. Regardons la vérité en face.

L'Europe nous surveille de près : nous sommes exposés au risque d'une augmentation des taux d'intérêt, parce que nous perdons la confiance des prêteurs. Or ces augmentations vont aggraver le poids de la dette... Les candidats à l'élection présidentielle ne semblent pas se rendre compte de la très mauvaise situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. Richard Yung. - Entré optimiste dans cette salle, j'en sortirai pessimiste ! Je me disais qu'à 1,6 %, la croissance repartait, qu'avec un déficit à 3,6 % du PIB au lieu des 3,8 prévus, l'objectif des 3 % - fétichisme des chiffres... - devenait atteignable pour 2017. Vous remettez ce beau scénario en cause. Excès de pessimisme ? La prévision est un exercice délicat, et nous sommes tout de même sur la voie du rétablissement. Mais certains trouvent que 50 milliards d'euros, ce n'est pas assez, et parlent de 100 milliards... Notre créativité est sans limites.

La croissance potentielle fait partie, comme le semestre européen, de ces notions floues que la Commission européenne nous fait utiliser. D'abord, c'est difficile à cerner : une sorte de croissance idéale dans un monde sans inflation ni interférences extérieures. De plus - sans critiquer la Cour des comptes qui ne fait qu'appliquer les règles européennes - le mode de calcul est sujet à caution, à commencer par la prise en compte des deux années passées. Nombre d'économistes estiment qu'il faudrait davantage quatre années. Nous avons écrit, avec d'autres parlementaires, à Pierre Moscovici pour l'alerter sur ce sujet.

La Cour des comptes relève l'existence d'une différence significative entre l'estimation de l'écart de production retenue par le Gouvernement et celle avancée par la Commission européenne. Toutefois, la réalisation de nos objectifs budgétaires en retenant l'hypothèse de la Commission conduirait à tuer la croissance, comme le docteur Diafoirus qui, en tuant le malade, prétend l'avoir guéri ! Nous avons raison de lisser notre effort et d'avancer progressivement vers la résolution des déficits, la croissance et la création d'emplois.

M. André Gattolin. - Avec 8 %, la réserve de précaution a atteint un niveau record cette année. L'usage qu'en fait le Gouvernement s'inscrit-il dans une logique de gestion des aléas d'exécution ? La Cour des comptes a-t-elle des préconisations quant au niveau qu'elle estime convenable ?

Le mois dernier, vous avez relevé dans votre rapport sur le budget de l'État en 2015, le trompe-l'oeil qu'est le désendettement par l'émission d'obligations sur des souches anciennes, qui aura pour conséquence d'accroître le service de la dette. Au-delà du constat, cette politique vous semble-t-elle relever d'une bonne gestion des deniers publics sur le long terme ?

M. François Marc. - Le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques, c'est rassurant, tout comme le fait que les anticipations du Gouvernement pour 2016 sont jugées réalistes. Enfin, les apports de la rénovation de la gouvernance des finances publiques, en particulier le Haut Conseil des finances publiques et les lois de programmation, sont à saluer : ils permettent une analyse plus satisfaisante de la situation et des perspectives.

Vous estimez que des efforts plus importants sont nécessaires pour améliorer durablement la situation de la France en comparaison des autres pays européens. Une baisse conséquente des dépenses publiques devrait être annoncée et bientôt précisée. Quel est, à vos yeux, l'équilibrage le plus pertinent ? Les 50 milliards d'euros d'économies de la loi de programmation sont répartis entre les dépenses de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. L'augmentation que vous préconisez devra-t-elle porter davantage sur l'une ou l'autre de ces composantes ?

Mme Michèle André, présidente. - Le rapporteur général de la commission des finances présentera prochainement un « consensus » de la croissance potentielle, notion certes abstraite et très débattue mais essentielle - je songe aux apports de Jean-Pierre Caffet à la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de 2012. Avez-vous une idée de l'« épure » de la trajectoire de PIB potentielle qui devrait être retenue pour construire la prochaine loi de programmation ?

M. Didier Migaud. - Au niveau européen, des élus ont demandé à la Commission européenne d'être plus transparente sur ses hypothèses de croissance potentielle et de les confronter à celles d'autres organisations internationales ou pays. Mais nous constatons un accroissement de l'écart entre les hypothèses du Gouvernement français d'un côté, et celles de la Commission et des organisations internationales de l'autre. Le Haut Conseil des finances publiques a fait des observations en ce sens. Nous sommes prêts à poursuivre les échanges, mais il convient de conserver l'idée, avancée par la France et d'autres pays, qu'en période de récession il ne suffit pas de raisonner en termes de déficit nominal. La notion de croissance potentielle vise justement à dépasser l'analyse conjoncturelle.

Toutefois, dans l'intérêt de la transparence et de la simplification, nous proposons, in fine, l'instauration d'une règle fondée sur l'évolution de la dépense. Cela permet de couper court aux débats sur une évaluation de l'économie à partir de l'évolution tendancielle - une notion à distinguer de la croissance potentielle. Là aussi, l'estimation du Gouvernement nous semble élevée.

Les hypothèses retenues ont une influence importante sur le solde structurel et la réalité des économies. Le Parlement doit être associé à la définition de ces paramètres.

Vous m'interrogez sur le montant d'économies à réaliser et l'effort supplémentaire à demander à l'État, à la sécurité sociale ou aux collectivités territoriales ; nous ne souhaitons pas nous élever au-dessus de notre condition. Il ne nous appartient pas de faire des choix politiques : nous raisonnons à partir de vos choix et de vos objectifs, en mesurant l'écart éventuel entre ceux-ci et les mesures mises en oeuvre pour les atteindre.

J'ai toujours considéré l'équilibre des comptes sociaux comme une priorité absolue. Un déficit sur une ou deux années est concevable, mais sur une période aussi longue cela devient dangereux et injuste, puisqu'il incombera aux générations futures de financer notre dette.

Les collectivités territoriales ont certes contribué à la réduction du déficit public, mais leurs dépenses de fonctionnement continuent à augmenter - même si cette augmentation se ralentit.

Nous ne sommes ni fétichistes, ni dogmatiques. Il est vrai que la réduction de la dépense a des conséquences humaines, mais il faut plutôt prendre en compte le décalage entre le niveau de la dépense et le résultat. Beaucoup de politiques publiques ont des effets d'aubaine. Il convient de s'interroger, comme le Sénat le fait, sur la réalité de l'exécution. Certaines politiques ne sont-elles pas insuffisamment ciblées ? Il faut faire des choix clairs, mettre fin aux politiques inefficaces avant de mettre en place de nouveaux dispositifs, réexaminer les missions des administrations publiques... Chacun de nos rapports met en évidence un décalage qui soulève en France une relative indifférence : un niveau de dépense publique objectivement très élevé pour des résultats jugés médiocres ou passables. Notre pays possède des marges d'efficience élevées. Plus l'on est attaché à l'action publique, plus l'on devrait s'attacher à bien identifier les besoins et à apporter les bonnes réponses, y compris en matière d'investissement. Certains projets ne sont pas pertinents au regard du critère coût/efficacité de la dépense publique, par exemple deux gares TGV ou deux stations d'épuration très proches l'une de l'autre.

Le problème n'est pas tant le niveau de la réserve de précaution que les sous-budgétisations récurrentes, de l'ordre de deux milliards d'euros, bien souvent identifiées dès le vote du budget. Cela met en doute la sincérité des inscriptions budgétaires et complique l'exécution. Ce n'est pas satisfaisant.

Tenir vos engagements réclame par conséquent un effort supplémentaire. L'effort de maîtrise de la dépense est réel, mais pas en ligne avec l'objectif affiché dans le pacte de stabilité.

M. Raoul Briet. - Nous présentons dans notre analyse les estimations de croissance potentielle du Gouvernement et celles de l'OCDE et du FMI, qui sont proches de celles de la Commission européenne. La politique budgétaire a un rôle pertinent à jouer dans la compensation des creux économiques. Ainsi, en 2007-2008, l'Allemagne, grâce à des marges de manoeuvre que nous n'avions pas, a pu mener une politique de stimulation budgétaire. La croissance potentielle est une boussole pour le pilotage de la politique budgétaire, à condition de mener des politiques vertueuses en période de croissance. La question du quantum est un autre sujet.

Vincent Delahaye nous a interrogés sur le décalage entre l'estimation des économies réalisées sur le budget de l'État, fixée à 1,7 milliard d'euros puis à 3,3 milliards d'euros. Ce sont deux manières de lire l'économie : au regard de la dépense sous norme telle que fixée en loi de finances initiale ou révisée dans la loi de finances rectificative. En 2015, le Gouvernement a modifié la norme en fin d'année. Nous avons considéré que pour rendre la démonstration incontestable, il fallait retenir la norme telle que réalisée en fin d'année ; mais les deux approches sont défendables.

La réserve de précaution a vocation à financer les aléas de gestion et les décisions nouvelles en court d'année ; l'utiliser pour pré-financer des dépenses est un dévoiement. Des huit ou neuf milliards mis en réserve, trois ou quatre sont ainsi annulés ; les deux milliards de sous-budgétisation assumée dès le début de l'exercice représentent ainsi la moitié de l'utilisation possible, en moyenne période, de la réserve.

Notre analyse vis-à-vis de l'émission d'obligations sur souches anciennes est de nature technique. C'est une pratique ancienne et constante, même si ces émissions ont beaucoup progressé en 2015 ; de plus, la situation de marché se caractérise par des taux d'une faiblesse inhabituelle. Dans le cadre de sa logique de réponse aux demandes des investisseurs, l'Agence France Trésor a estimé que ces émissions constituaient la meilleure gestion possible de la dette publique. Il ne nous appartient pas de le confirmer ou de l'infirmer. Cela n'a pas d'effet en solde maastrichtien ; mais en comptabilité budgétaire, ce qui a été encaissé sous forme de primes d'émission donnera lieu à décaissement sous forme de charge d'intérêts dans les prochaines années. Enfin, le niveau de la dette aurait été supérieur en fin d'année si l'on avait moins recouru aux primes à l'émission.

La réunion est levée à 16 h 50.