- Mardi 14 juin 2016
- Mercredi 15 juin 2016
- Nomination d'un rapporteur
- Projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature et projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle - Désignation des candidats à une commission mixte paritaire et échange de vues
- Modalités d'inscription sur les listes électorales - Examen du rapport et des textes de la commission
- Biométrie - Examen du rapport d'information (reporté ultérieurement)
- Suivi de l'état d'urgence - Communication
- Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - Communication
- Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
Mardi 14 juin 2016
- Présidence de M. Philippe Bas, président, et de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances -La réunion est ouverte à 17 h 55
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 - Moyens de la justice - Audition de M. Jean Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice
La commission procède à l'audition commune avec la commission des finances de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les moyens de la justice, dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Dans le cadre de nos travaux sur les moyens de la justice à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement, nous accueillons, avec la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. Merci de venir nous rendre compte d'une exécution qui a été pilotée par votre prédécesseur, Christiane Taubira. Nous avons déjà entendu les responsables de programme du ministère de la justice et les présidents des conférences nationales des juridictions. Le budget du ministère de la justice concerne à la fois l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse et les services judiciaires. Il a régulièrement augmenté depuis dix ans pour atteindre environ 8 milliards d'euros en 2015. Cette même année, le ministère s'est vu octroyé des moyens supplémentaires dans le cadre du plan de lutte antiterroriste.
Je rappelle que nous examinerons en octobre un projet de loi de programmation des finances publiques, qui fixera le budget triennal pour 2017-2019 des missions du budget général et donc de la mission « Justice ».
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Monsieur le garde des Sceaux, nous sommes honorés de vous accueillir. J'espère que nous pourrons vous entendre aussi sur le projet de loi sur la Justice du XXIe siècle, avant la réunion de la commission mixte paritaire. Vous avez été président de la commission des lois de l'Assemblée nationale : vous auriez été surpris de ne pas entendre le ministre sur un texte aussi important !
Nous partageons votre préoccupation sur les crédits du ministère de la justice et ferons tout pour vous aider à obtenir les crédits nécessaires pour 2017. Mais ces crédits sont aussi la contrepartie des réformes du ministère. Trop de lois sont votées sans que la question des moyens n'ait été posée. La logique consistant à ne plus créer de places en prison et à rechercher de peines alternatives a trouvé ses limites. Nous avons beaucoup de questions à vous poser et sommes très intéressés par votre volonté de réhabiliter le service public de la justice qui souffre actuellement.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. - Merci de votre accueil et d'organiser cet exercice de vérité. On passe traditionnellement beaucoup de temps sur le projet de loi de finances, qui définit les intentions, et moins sur la loi de règlement, qui retrace les réalités. Vous avez entendu les directeurs de mon ministère et les présidents des conférences des magistrats du siège et du parquet, les mieux placés pour rendre compte de la réalité du terrain. Les témoignages sont édifiants. Je reprends à mon compte les propos de Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats, qui affirmait dans une tribune de presse que la justice vit à crédit et que les tribunaux sont en cessation de paiement.
Nos concitoyens ont d'ailleurs une image contrastée de la justice : 95 % des Français la trouvent trop complexe, 88 % trop lente et 60 % la jugent inefficace. En somme, comme aurait pu le dire Montesquieu, l'injustice n'est pas tant dans les jugements que dans les délais de jugement.
Le combat pour le budget est crucial. Je ne veux pas être un garde des Sceaux de papier, porteur de réformes impossibles à mettre en oeuvre faute de moyens. J'ai évoqué une justice en voie de clochardisation. Les mots ont choqué. J'assume mes propos car c'est la réalité qui est choquante. Il importe que le service public de la justice soit à la hauteur des attentes des citoyens. Ce combat n'est pas partisan et s'étendra nécessairement au-delà de la législature. Tous, élus, magistrats, responsables, devons trouver une solution.
Le ministère de la justice est celui des paradoxes. Premier paradoxe : le budget augmente mais l'institution est à la peine. J'ai lu avec attention les rapports de votre commission des lois. Yves Détraigne notait dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2016 que si la mission « Justice » était globalement préservée, la hausse des crédits profitait d'abord à l'administration pénitentiaire. Hugues Portelli soulignait que les loyers versés dans le cadre des partenariats public-privé enregistraient une hausse substantielle, accrue par la livraison des établissements pénitentiaires de Riom, Valence ou Beauvais. Entre 2006 et 2016, le budget du ministère est passé de 6 milliards à 8 milliards d'euros, soit une hausse de 30 %. Toutefois, hors pensions, le budget n'est plus en 2016 que de 6,6 milliards d'euros. Le principal bénéficiaire est l'administration pénitentiaire, car nous payons en priorité les loyers contractés dans le cadre des partenariats public-privé, sur lesquels nous n'avons aucune prise. Ils s'élevaient à 133 millions d'euros en 2015, seront de 170 millions d'euros en 2016 et dépasseront les 200 millions d'euros en 2017, notamment en raison de la livraison du futur palais de justice des Batignolles.
Deuxième paradoxe : alors que la situation budgétaire est tendue, les crédits ne sont que partiellement consommés. En 2015, l'écart entre budget voté et budget exécuté était de 125 millions d'euros. En 2014, il était de 145 millions d'euros. La cause ? Des techniques de régulation budgétaire qui ne datent pas de 2012, Michel Mercier le confirmera. La réserve de précaution, ou gel budgétaire, ne cesse d'augmenter : 5 % des crédits en 2011, 8 % en 2015. S'y ajoutent le surgel, les annulations de crédits en cours d'année - 138 millions d'euros en 2013, 116 millions d'euros en 2014 -, les arbitrages de fin de gestion et les reports de crédits - 55 millions d'euros reportés de 2015 à 2016. Je ne remets pas en cause la nécessité de ces mesures dans le contexte actuel, mais il est difficile d'établir une programmation immobilière dans ces conditions. Beaucoup d'élus se plaignent que la livraison d'établissements, prévus dans le plan triennal, soit reportée. Ce n'est pas la faute directe du ministère.
Si certains crédits sont annulés, d'autres sont ouverts pour faire face aux imprévus et à l'actualité. Le déblocage de crédits pour faire face aux inondations illustre le caractère précautionneux de la gestion du Gouvernement. Yves Détraigne se demandait comment seraient financées les mesures annoncées par le Président de la République en novembre devant le Congrès. Elles le seront grâce aux ouvertures de crédits liées aux plans de lutte contre le terrorisme (PLAT) 1 et 2, à hauteur de 110 millions d'euros.
Dernier paradoxe, alors que les chefs de cour, les syndicats ou les élus se plaignent d'effectifs insuffisants, les recrutements sont en-deçà du plafond d'emplois - et Yves Détraigne estime que le décalage systématique entre les crédits ouverts et dépensés affecte la sincérité du budget. Là encore, la question ne date pas d'hier. Ces écarts sont inévitables à cause des départs en retraite, des promotions ou du délai de formation des recrues. Mais cela rend illisible les efforts de création de postes : entre 2013 et 2016, le plafond d'emplois de l'administration pénitentiaire a augmenté de 2 857 postes, mais le nombre d'emplois créés est très inférieur et les vacances de postes augmentent : 541 en 2014, 546 en 2015. En 2016, le nombre de créations nettes de postes a été de 725 pour le PLAT 2. Tous les crédits non utilisés ne sont pas reportés et sont alors perdus : le taux de consommation des crédits pour les emplois pour l'ensemble des juridictions s'élevait à 97 % en 2013, à 98 % en 2014. Cela représente une perte de 600 équivalents temps plein (ETPT). Des annonces en cours d'année peuvent aussi intensifier la pression sur les services. Enfin, il faut 31 mois à l'École nationale de la magistrature pour former les lauréats. Finalement, pour un plafond d'emplois de 78 941 ETPT, le nombre réel de personnes employées en 2015 n'était que de 77 381. La situation s'améliore toutefois. Nous avons créé 1 342 emplois en 2015, 855 en 2014, 480 en 2013.
Oui, il faut réformer ce ministère. On ne peut toutefois le faire sans ressources. Les personnels doivent pouvoir se consacrer aux tâches pour lesquelles ils ont été recrutés : un magistrat doit juger, un éducateur doit accompagner les jeunes, etc. On leur a confié trop de tâches inutiles ou annexes. Les justiciables attendent une justice plus simple, plus accessible. Des réformes ont été engagées. Il faut aussi dégager des moyens pour assumer de nouvelles missions ; c'est le cas des extractions judiciaires, qui relevaient de la police et de la gendarmerie, et qui ont été confiées, à bon droit, au ministère de la justice.
Autre dossier, la carte des cours d'appel, qui sont toujours au nombre de 36 alors que la carte des régions a changé. Un préfet peut avoir trois ou quatre procureurs généraux comme interlocuteurs ! Pas moins de trois cartes se superposent au sein du ministère : celle de l'administration pénitentiaire, celle des services judiciaires et celle de la protection judiciaire de la jeunesse... La faiblesse du secrétariat général, de création récente, ne facilite pas les réformes. Il conviendrait aussi de moderniser la gestion des ressources humaines, en particulier en déconcentrant la gestion des personnels pénitentiaires. Avec 858 surveillants en formation à l'École nationale d'administration pénitentiaire d'Agen, le système pyramidal n'est plus adapté. Ces réformes, de bon sens, sont d'ailleurs préconisées par les parlementaires ou par la Cour des comptes. Sur recommandation de la Cour des comptes, nous allons débuter une mission d'inspection conjointe de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des services judiciaires sur la gestion des juridictions.
Il faut aussi savoir bien dépenser. Yves Détraigne a noté que des efforts importants ont été faits pour contenir l'inflation des frais de justice et apurer les dettes auprès des prestataires. Il faut saluer l'action de Christiane Taubira. De même, je me suis battu et j'ai obtenu un dégel de 107 millions d'euros, du jamais vu ! Il était indispensable de restaurer le crédit de la parole publique : 41 millions d'euros ont été consacrés aux frais de justice pour payer nos prestataires qui attendaient parfois depuis longtemps, à tel point que certains ont fait faillite, 27 millions d'euros ont été affectés au fonctionnement des juridictions, 18 millions d'euros à l'immobilier, 21 millions d'euros à l'informatique. En outre, j'ai redéployé 14 millions d'euros pour renforcer l'équipe du juge en recrutant des assistants de justice, des juges de proximité, des vacataires.
J'ai demandé aux chefs de cour et aux procureurs généraux, dont je souhaite renforcer le rôle de coordonnateurs, de payer leurs dettes, en fixant comme objectif que les délais de paiement ne dépassent pas deux mois. En 2015, ces délais atteignaient 43 jours en moyenne, contre 18 jours en moyenne pour le reste des ministères ! Cela tient à l'éparpillement territorial du réseau des ordonnateurs, à la multiplication des petites dépenses, depuis la cantine des détenus jusqu'à l'hébergement des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse, etc. Je suivrai avec attention la résorption des arriérés de paiement et rencontrerai régulièrement la directrice des services judiciaires pour faire le point. Je me battrai à nouveau dans le cadre de la loi de finances rectificative pour obtenir un nouveau dégel de crédits et j'espère que vous serez nombreux à me soutenir.
Enfin, il convient de remettre à niveau les crédits de fonctionnement et d'immobilier du ministère. Pour réformer, il faut trouver des moyens, sinon nous ne ferons qu'organiser la paupérisation. Je considère que nous n'avons pas les moyens de mettre en place la collégialité de l'instruction, d'autant que la co-saisine permet déjà de revenir sur une décision. Début juillet, je vous présenterai un rapport sur l'encellulement individuel. Je souhaite en profiter pour dresser un inventaire de la situation de l'immobilier pénitentiaire. Il importe que nous connaissions avec précision le nombre de places de prison ainsi que la vétusté des établissements - à Caen, certains détenus sont dans des cellules de cinq mètres carrés ! Nous devons déterminer le nombre de places dont nous avons besoin, dans quels établissements : maisons centrales, maisons d'arrêt, centres de détention, établissements pour mineur, etc. Je suis attentif à la question de l'aide juridictionnelle : les avocats ont besoin de prévisibilité. Pour conclure, la mission « Justice » représente 2,6 % des dépenses de l'État en 2015, contre 2,17 % il y a dix ans. Pourtant, les besoins restent immenses.
Mme Michèle André, présidente. - Merci pour cet exercice de vérité. Nous regrettons comme vous que la loi de règlement ne soit pas l'occasion d'un débat plus approfondi et c'est pourquoi nous organisons ces auditions. L'année dernière, nous avions invité d'autres ministères. Nous partageons votre diagnostic sur la faiblesse du secrétariat général et la nécessité de recentrer les professionnels sur leur coeur métier.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - La commission des finances, tout comme la commission des lois, n'a cessé de dénoncer le gel des crédits, le surgel et la hausse de la réserve de précaution. Autant de procédés qui réduisent les prérogatives budgétaires du Parlement.
Je vous remercie pour votre franchise. Au-delà des incantations, à la veille du débat d'orientation des finances publiques, avez-vous eu des arbitrages budgétaires favorables ? Les plafonds d'emploi augmentent mais le nombre de magistrats en activité baisse et des postes restent vacants. Envisagez-vous des mesures exceptionnelles : maintien de magistrats en activité au-delà de l'âge de la retraite ? Concours exceptionnels de recrutement destinés aux avocats ?
Ma deuxième question porte sur les moyens des juridictions. Les présidents des conférences nationales ont évoqué l'obsolescence des téléphones, les problèmes informatiques... L'amélioration du fonctionnement de la justice ne passe-t-elle pas aussi par une modernisation des méthodes de travail ou des procédures ? Par exemple, pourquoi ne pas remplacer des extractions coûteuses de prévenus par la visioconférence ?
Enfin, le Conseil constitutionnel se prononcera bientôt sur une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par les avocats de MM. Cahuzac et Wildenstein, sur la double sanction pénale et administrative en matière fiscale. Est ainsi posée la question du « verrou de Bercy », le monopole de l'administration fiscale pour le déclenchement de l'action pénale en matière de fraude fiscale. Certes, les parquets peuvent déjà s'autosaisir des affaires les plus importantes sur le fondement du blanchiment. Si le « verrou de Bercy » était remis en cause, les juridictions auraient-elles les moyens de prendre en charge ces affaires ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice ». - J'ai également soulevé dans mes rapports budgétaires les difficultés liées au gel, au dégel ou aux annulations de crédits.
Nous devons maintenir nos efforts pour lutter contre le terrorisme. Dans quelle mesure les PLAT 1 et 2 permettent-ils un rattrapage pour compenser les effets de réformes votées sans avoir été accompagnées des moyens associés ?
Le secrétaire général du ministère, Éric Lucas, nous a indiqué que les problèmes d'ergonomie ou de fonctionnalités rencontrés par la plateforme des interceptions judiciaires (PNIJ) étaient en cours de résolution. Les représentants des forces de l'ordre semblent moins optimistes. Qu'en est-il ?
M. Philippe Bas, président. - Vous avez évoqué la nécessité d'une remise à niveau des crédits du ministère. Quelles sont vos attentes ? Quelles mesures de gestion entendez-vous prendre pour mieux faire coïncider les effectifs réels et théoriques ? Nos auditions ont révélé l'existence de difficultés de gestion.
Ne regrettez-vous pas la mise à l'écart de la loi relative à l'exécution des peines votée début 2012, au vu du retard pris dans ce domaine ? Pour nous être rendus dans les prisons, nous confirmons votre constat : les conditions de détention sont contraires à nos engagements internationaux, et même à la décence la plus minimale.
Nous partageons également votre conviction qu'au-delà de la question des moyens, un effort interne doit être entrepris. Au tribunal de grande instance de Créteil, où je me suis rendu avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, les crédits de fonctionnement s'élèvent à 3 millions d'euros par an ; les frais de justice, à 8 millions d'euros... Sur quels leviers agir pour réduire ces frais ? Envisagez-vous de rétablir le droit de timbre, mis en place par Michel Mercier puis supprimé ? Peut-on récupérer une partie du produit des saisies de justice, notamment de drogue, dont la plus grande part va à la lutte contre la toxicomanie ?
En matière d'allégement des procédures, un inventaire s'impose. Dans certains cas - notamment le divorce contresigné par deux avocats - on reporte les économies sur les familles, avec des charges multipliées par cinq ou dix. Vous avez évalué à 4,5 millions d'euros l'économie pour les tribunaux ; d'après nos estimations, le coût pour le justiciable serait de 70 millions d'euros. Avez-vous des chiffres précis ?
M. Yves Détraigne. - Vous avez identifié - en citant mon rapport budgétaire - le véritable problème de la justice : le sous-financement. Les projets de loi sont accompagnés d'études d'impact qui sont parfois de pure circonstance. La justice est fatiguée de l'empilement des réformes qui se succèdent sans être menées à leur terme. Je salue votre discours de vérité à cet égard. Souhaitons qu'après la loi « Justice du XXIe siècle », l'accumulation prenne fin et que la justice reçoive enfin des moyens à la hauteur des enjeux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. - Je ne sais si mon ministère a connu un âge d'or depuis Saint Louis... Son rôle est pourtant essentiel : chaque année, quatre millions de Français entrent dans un Palais de justice, tous par contrainte, et en espérant la protection du droit. C'est pourquoi j'insiste sur la notion de service public de la justice.
Quant à mon budget, je ne connais pas la fin du match. Le Gouvernement est entré dans une phase de discussions internes : nous avons fait connaître nos ambitions, qui seront mises en balance par le Premier ministre avec le réalisme des moyens. Exercice douloureux... Solidaire des efforts gouvernementaux, je serai par définition satisfait du budget qui me sera alloué. En inaugurant le tribunal de grande instance de Caen, le Premier ministre a annoncé hier son intention de prolonger la trajectoire budgétaire amorcée. Je m'en félicite. Ce n'est pas l'affaire d'un seul mandat.
Je souhaite que le budget 2017 s'appuie sur un constat partagé. Les attentes des magistrats, des fonctionnaires du ministère seront nécessairement déçues ; j'espère en tout cas obtenir l'indispensable. Nous comptons sur la conscience professionnelle et le dévouement des personnels. Rappelons qu'un Français consacre 61 euros par an au fonctionnement de la justice. Comparé au prix de l'abonnement à une chaîne privée, c'est un effort tout relatif.
L'appel à la technologie pour maîtriser les frais de justice se heurte au principe d'impartialité et d'indépendance du magistrat : une audience en vidéoconférence nécessitera toujours l'accord de ce dernier et de l'avocat. C'est le droit existant, et il n'est pas dans mes intentions de le modifier. Contingenter les frais d'enquête et le recours aux laboratoires, par exemple pour les analyses d'ADN, porterait atteinte à la liberté de l'investigation. Imaginons une affaire non élucidée pour des raisons financières...
C'est pourquoi j'insiste auprès des chefs de cour sur la coordination au sein des ressorts : ainsi, on pourrait lisser sur la semaine les procès d'assises au sein d'une juridiction d'appel au lieu de les tenir en même temps. Les présidents de tribunaux de grande instance sont plutôt allants, mais je n'ai pas de pouvoir de contrainte en la matière.
M. Philippe Bas, président. - Depuis le plan Juppé, le ministère de la santé s'efforce, sans porter atteinte à la liberté des médecins, de contenir l'évolution des dépenses liées aux prescriptions. Peut-on s'en inspirer pour la maîtrise des frais de justice ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. - Je ne puis vous répondre, ne connaissant pas en détail le mécanisme que vous évoquez.
Quelques mesures exceptionnelles sur les effectifs : nous avons amélioré les conditions de détachement, en particulier pour les professeurs d'université, élargi les responsabilités des magistrats réservistes honoraires, développé les passerelles pour une intégration directe. En matière de personnel, j'estime que le gros de l'effort est derrière nous. Les créations de postes ont été amplifiées dans toutes les écoles du ministère, ce qui n'est pas sans entraîner des problèmes d'intendance ; ainsi l'École nationale de la magistrature (ENM), qui manque déjà de place pour accueillir ses promotions actuelles, s'apprête à former les 12 000 à 15 000 juges prudhommaux et des juges consulaires. Les auxiliaires de justice et assistants de magistrats qui composeront l'équipe de justice, dont certains sont titulaires d'un doctorat, ont eux aussi vocation à recevoir une formation de déontologie que seule l'école pourra leur délivrer.
Nous avons consommé 80 % du PLAT 1 et veillerons à utiliser à plein les ressources du PLAT 2, même si cette utilisation a pu être présentée comme un effet d'aubaine.
Le Sénat s'est prononcé sur le verrou opposé par Bercy au sujet du non bis in idem. Je suis d'avis d'attendre l'avis du Conseil constitutionnel sur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur ce thème. Le doyen Vedel disait que le Conseil constitutionnel avait la gomme mais pas le crayon ; ce crayon, c'est désormais la question prioritaire de constitutionnalité. De canon braqué sur le Parlement, il est devenu un acteur de son ordre du jour.
Pour rapprocher les effectifs théoriques de la réalité constatée, il convient de se garder des effets d'affichage. Nous organisons des concours déconcentrés : en Polynésie française, nous avons ouvert un concours pour le nouveau centre pénitentiaire de Papeari. 4 500 candidats se sont présentés pour 200 places. Nous avons raccourci la formation dispensée à l'école d'Agen, qui va accueillir deux promotions de 850 élèves en une année. Nous avons un problème de fidélisation du personnel dans l'administration pénitentiaire dont les agents, de catégorie C, s'en vont en moyenne trois ans après leur recrutement.
Les études d'impact sont incontestablement le moins beau bébé de la réforme constitutionnelle de 2008 ; elles n'ont pas les résultats attendus.
Vais-je rétablir le droit de timbre à 35 euros ? Non.
M. Michel Mercier. - Ou à 36 !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. - Dans la procédure de divorce, il convient de définir ce que peuvent apporter l'avocat, le notaire. Je crois à l'aide juridictionnelle, mais pour la financer nous devons d'abord la pérenniser. Un renforcement de la présence des avocats dans la procédure peut se traduire par un ajustement des unités de valeur, base de la rémunération...
La Plateforme nationale des interceptions judiciaires est un outil pertinent et une source d'économies : les prestataires nous coûtaient 55 millions d'euros par an. L'augmentation du coût de l'outil n'est pas, strictement parlant, un dépassement, mais le résultat d'un réajustement que nous avons demandé à Thalès. Toutes les options sont ouvertes, y compris la ré-internalisation qui coûterait cher, puisque jusqu'à présent les tâches sont effectuées par des agents mis à disposition par le ministère de l'intérieur. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. L'ergonomie a été améliorée, mais des dysfonctionnements inacceptables ont été mis en évidence par une mission de l'inspection générale. Des décisions seront prises avant la fin de l'année.
M. Daniel Raoul. - Vous avez évoqué les paradoxes de l'exécution : le gel, le dégel, le surgel... mais vous oubliez ce qu'en agriculture on appelle les gelées noires !
Le blocage, j'ai pu le constater lors de mon stage en juridiction, est humain et matériel ; la présidente de la conférence nationale des présidents de cour d'appel, que nous avons entendue la semaine dernière, demandait des postes de greffiers plutôt que de magistrats. La deuxième priorité concerne les moyens technologiques, à commencer par le raccordement Internet : sans débit correct, le logiciel le plus sophistiqué est inutile.
Mme Catherine Tasca. - Je salue la clarté et la franchise de votre diagnostic : des moyens insuffisants qui impliquent des arbitrages sévères. Quelle place sera réservée à la protection judiciaire de la jeunesse ?
M. Marc Laménie. - Ces interventions nous éclairent et nous interpellent. À peine 2,60 % du budget de l'État, c'est peu. Certains départements étant plus attractifs que d'autres, on entend dans les audiences de rentrée que des postes ne sont pas pourvus. Comment susciter des vocations ? Comment adapter le fonctionnement de la justice en termes de moyens humains, financiers, de communication interne, mais aussi d'effectifs de police, de gendarmerie et de renseignement ?
M. Jacques Bigot. - Merci de votre volontarisme, nous espérons qu'il produira ses fruits. La mission d'inspection conjointe sur les dépenses des juridictions s'accompagnera-t-elle d'une sensibilisation globale ? Dans les entreprises ou les collectivités, on identifie des sources d'économies en conduisant des audits organisationnels ; mais les méthodes de rationalisation ne sont pas dans l'ADN de la justice, même si vous avez commencé ce travail avec les assistants de justice. Les moyens vidéo sont disponibles à la prison de Strasbourg, mais les magistrats qui travaillent à proximité ne souhaitent pas les utiliser.
M. Éric Doligé. - Gel, surgel et dégel, reports et annonces - on se perd dans le suivi des crédits. Quels ont été les moyens financiers réellement mis en oeuvre en 2015, et les annonces ont-elles un sens ? Quant à 2017, je ne vous demande pas le budget que vous attendez mais celui que vous estimez nécessaire. Vous avez évoqué une « base zéro » des prisons : quels sont les besoins prévisionnels et les modes de financement ? Enfin, suite aux propos de Philippe Bas, je m'interroge : comment valorise-t-on les saisies de drogue ?
M. Michel Mercier. - Ce ministère de dimensions pourtant modestes en recouvre en réalité plusieurs : administration pénitentiaire et services judiciaires ont un fonctionnement différent. Sur près de 9 000 magistrats - un chiffre stable - plus de 7 000 sont au siège, inamovibles et mutés sur décision du Conseil supérieur de la magistrature : le ministre ne peut gérer les services judiciaires comme les services pénitentiaires.
Quelle part des frais de justice est-elle décidée par le ministère de l'intérieur, quelle part par la justice ?
Je comprends votre volonté de ne pas revenir au timbre mais qu'allez-vous inventer à la place ? J'ai confiance dans votre imagination...
Le ministère n'a pas les moyens techniques pour construire des prisons, les magistrats délégués à l'équipement ne sont pas des techniciens. Or construire des prisons est difficile, les partenariats public-privé coûtent cher, regrouper les détenus aussi. Il manque 10 000 places, alors que 85 000 personnes attendent la mise à exécution de leur peine...
À mon sens, le nombre de magistrats n'est pas loin de ce qui est nécessaire. Ceux qui continuent à exercer après l'âge de la retraite peuvent partir quand ils veulent, ce qui rend leur gestion difficile. Envisagez-vous une fusion des greffes de tribunaux d'instance et de grande instance qui libèrerait un grand nombre de postes ? Pour ce qui est de l'administration pénitentiaire, nous attendrons votre communication de juillet.
M. Thierry Carcenac. - Entre un secrétariat général dont vous admettez la faiblesse, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) et France Domaine, parvenez-vous à définir des orientations de politique immobilière et plus particulièrement des méthodes de montage des dossiers ? Une rationalisation est-elle envisageable, notamment pour les partenariats public-privé qui, comme l'a dit Michel Mercier, coûtent cher ?
M. Philippe Dominati. - D'après la Cour des comptes, votre ministère affiche le taux d'absentéisme le plus important, avec neuf journées de congé par fonctionnaire et par an.
Mme Michèle André, présidente. - Lors de notre visite au Parquet national financier (PNF), les magistrats ont insisté sur le ralentissement dû au manque d'effectifs dans les services d'enquête. Nous sommes prêts à vous soutenir sur ce dossier.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. - Par comparaison avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), le PNF n'est pas mal loti en termes d'effectifs. Les besoins sont satisfaits. Certes, sans enquêteurs, au PNF comme dans les JIRS, le magistrat se borne au constat. Toutefois, le ministère de l'intérieur nous fournit des officiers de police judiciaire.
Je vous répondrai par écrit sur l'absentéisme ; le phénomène n'est pas aussi intense dans toutes les branches du ministère. J'ai ainsi dénoncé publiquement la situation intolérable dans certains établissements pénitentiaires, en particulier à Remire-Montjoly, en Guyane. À la suite d'une inspection, j'ai prononcé des révocations. On ne peut tolérer que des membres du personnel exercent par ailleurs une autre activité.
Je plaide la même ignorance sur l'immobilier, même si l'APIJ, saluée récemment par le maire de Caen et reconnue pour la fiabilité de son expertise, donne satisfaction. Cependant, elle travaille dans les limites de ses moyens et les choix de terrain dépendent aussi des propositions des élus.
Vous connaissez sans doute, monsieur Mercier, la réponse à votre question sur la répartition des frais de justice ; nous débattons avec le ministère de l'intérieur, qui a assumé ses responsabilités sur la question des balises.
Nous avons fusionné les trois inspections en une seule inspection générale de la justice, et je ne suis pas hostile au principe des fusions. Mais celle des greffes me paraît une fausse bonne idée. Certes, l'idée s'entend dans la perspective du tribunal de première instance mais ce sujet n'est pas consensuel au sein de l'institution : si la conférence des présidents de tribunaux de grande instance y est favorable, les organisations syndicales, très hostiles, ont combattu l'article 13 de la loi sur la Justice du XXIe siècle qui l'envisageait.
Nous obtenons chaque année le reversement de 6 millions d'euros par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sur la valorisation des saisies de biens, notamment ceux des trafiquants de drogue.
J'accorde une grande importance à la notion nouvelle d'équipe du juge. Elle a vocation à libérer les magistrats des tâches de gestion : nous avons ainsi créé des chefs de cabinet pour les chefs de juridiction. Certains présidents étaient initialement peu enthousiastes, mais la conférence des présidents se montre ouverte à l'installation d'administrateurs civils ou d'attachés sur ces fonctions.
Le personnel de la justice est tellement habitué à la gestion de la disette budgétaire que les gestes de bonne gestion sont bien pris. Toutefois la protection judiciaire de la jeunesse, particulièrement maltraitée, a perdu beaucoup d'effectifs. Nous lui avons rattaché 185 agents. Au total, cette petite administration de 4 000 personnes se montre extrêmement réactive au regard de ses responsabilités et de l'attente sociale, notamment outre-mer. Je tiens à dire le bien que je pense de son travail et de la compétence avec laquelle elle l'exerce.
Je le répète, je ne saurais évaluer les besoins de mon ministère en matière financière. Ils sont immenses, mes espoirs plus mesurés. J'ai appris le pragmatisme auprès de Michel Rocard ; comme lui, je ne crois pas au grand soir mais aux progrès de tous les instants. J'espère que l'Assemblée nationale et le Sénat se retrouveront autour d'un constat partagé sur le budget 2017.
Mme Michèle André, présidente. - Nous sommes très satisfaits de ce moment d'échange. Dans cet esprit de pragmatisme que j'ai, tout comme vous, appris de Michel Rocard, je vous souhaite bonne chance dans les arbitrages qui s'annoncent.
La réunion est levée à 19 h 35
Mercredi 15 juin 2016
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 8 h 40
Nomination d'un rapporteur
M. Philippe Bas, président. - Nous devons nommer un rapporteur sur la proposition de loi, présentée par M. Jacques Bigot, tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires. La loi Macron a en effet prévu un délai d'application trop court. L'Assemblée nationale a souhaité, pour réparer cette erreur, saisir l'opportunité offerte par le projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle mais, le Gouvernement n'ayant pas l'intention de faire adopter ce texte avant septembre, ce que nous avons appris dernièrement, M. Bigot a spontanément déposé cette proposition de loi car la mesure qu'il comporte sur les clercs de notaire doit être votée très rapidement. Il est étrange que le Gouvernement prévoie de tels délais pour ce projet de loi de modernisation alors que le Premier Ministre m'a indiqué qu'il refusait une deuxième lecture au Sénat en raison de l'urgence de son adoption.
M. Hugues Portelli. - Dans les universités, nous sélectionnons en ce moment les étudiants pour les Master 2, et les directeurs de Master 2 professionnels d'études notariales voient affluer des candidatures inopinées de clercs touchés par la modification des délais. Tous ne seront pas enclins à régler leurs problèmes en s'inscrivant en Master, aussi devons-nous voter rapidement un texte qui devra être d'application directe, puisque la date limite d'examen des dossiers de Master 2 professionnel de droit notarial est le 30 septembre.
M. Philippe Bas, président. - C'est ce qui justifie très certainement la proposition de loi de notre collègue que je vous espère nombreux à voter.
M. François Pillet est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 677, présentée par M. Jacques Bigot, tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires.
M. François Pillet, rapporteur. - Cette difficulté ne m'avait pas échappé. Je préparerai ce rapport rapidement, car il devrait être assez simple. Nous aurions pu éviter d'avoir à voter cette proposition de loi si le Gouvernement m'avait écouté lorsque, rapporteur de la loi Macron, j'avais proposé le délai qu'elle fixera.
M. Michel Mercier. - Il ne faut jamais avoir raison trop tôt....
M. Philippe Bas, président. - L'important est que vous ayez convaincu M. Bigot, que je remercie de son initiative !
Projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature et projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle - Désignation des candidats à une commission mixte paritaire et échange de vues
MM. Philippe Bas, François Pillet, André Reichardt, Yves Détraigne, Jacques Bigot, Alain Richard et Mme Cécile Cukierman sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. Christophe-André Frassa, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendlé et M. François Zocchetto sont désignés en qualité de membres suppléants.
M. Philippe Bas, président. - La commission mixte paritaire (CMP) aura probablement lieu mercredi 22 juin à 16 h 30 au Sénat. MM. Pillet et Détraigne, rapporteurs, ont procédé à plusieurs auditions pour la préparer. En particulier, la semaine dernière, ont été évoqués les trois sujets les plus importants ajoutés par l'Assemblée nationale : la réforme du divorce par consentement mutuel, le changement d'état civil des personnes transsexuelles et l'abandon de toute collégialité de l'instruction. Les débats ont montré combien ces questions étaient complexes. J'ai souhaité organisé l'audition du garde des sceaux pour mieux comprendre pour quelles raisons le Gouvernement avait promu ou accepté l'introduction de ces dispositions dans le texte de l'Assemblée nationale.
Le Sénat, saisi en première lecture, a adopté un texte d'une cinquantaine d'articles. L'Assemblée y a ajouté plus de cinquante articles ! Il y a donc deux lois en une : l'une, que nous avons examinée, et l'autre, que nous n'avons pas vue. Toutes deux seront soumises à la CMP, où l'accord sera, à mon avis, difficile à atteindre. Nous aurions pu réagir avec mauvaise humeur, en refusant par exemple de désigner les membres de la délégation sénatoriale à la CMP, ou en reportant cette réunion. Tout au contraire, nous avons proposé au Gouvernement, par une lettre signée par moi-même et par le Président du Sénat, d'ouvrir les journées des 8, 9 et 10 juin pour examiner ce texte en seconde lecture. Celui-ci n'a pas saisi cette perche, et le Premier Ministre nous a répondu que, vu l'urgence de ce texte - qui a été examiné au Sénat en novembre dernier, et à l'Assemblée nationale en avril et en mai -, il ne pouvait répondre favorablement à notre demande. Nous avons donc décidé de nous efforcer d'examiner ce texte avant la réunion de la CMP, et nos rapporteurs se sont aussitôt mis au travail.
J'ai souhaité que notre commission entende le garde des sceaux. Son cabinet a émis une réponse positive puis, le jour même, nous a fait savoir que la date prévue ne convenait plus. Nous en avons proposé une autre, qui a été d'abord acceptée, puis refusée. J'ai écrit au garde des sceaux, je lui ai téléphoné et il m'a assuré qu'il n'avait aucune objection de principe à une telle audition. Étant lui-même ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, je n'imagine pas qu'il puisse en être autrement. Il m'a fait part de ses contraintes d'agenda, qui sont naturellement réelles. Mais nous étions au début du mois de juin, ce qui laissait au moins trois semaines de délai. Il m'a expliqué qu'il devait se déplacer au Canada et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je lui ai suggéré de ne pas réserver au Sénat un traitement plus défavorable qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, et notre conversation a pris fin sur cet échange. Je lui ai ensuite confirmé par écrit mon invitation. J'attends toujours sa réponse et je le lui ai rappelé hier au cours de notre audition commune avec la commission des finances.
Je ne puis croire que le Gouvernement fuie le débat avec le Sénat, puisque l'échec de la CMP provoquerait une nouvelle lecture au cours de laquelle il serait bien obligé de s'expliquer.
M. François Pillet, rapporteur. - J'ai pris contact hier avec Mme la rapporteure de l'Assemblée nationale. Il me semble qu'un accord est possible sur le projet de loi organique, sous réserve de modifications levant certains risques d'inconstitutionnalité. Je souhaite donc que nous disjoignions le sort de ces deux textes.
M. Yves Détraigne, rapporteur. - Je rencontrerai aujourd'hui les deux rapporteurs de l'Assemblée nationale, mais il reste des points de friction : divorce par consentement mutuel sans passer devant le juge, transfert des Pacs en mairie, fin de la collégialité de l'instruction, action de groupe... Tous ces points méritent discussion. Nous verrons bien...
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous avons soutenu votre démarche demandant une deuxième lecture de ce texte, vu l'importance des ajouts effectués à l'Assemblée nationale sur des sujets qui n'avaient pas été abordés au Sénat. D'ailleurs, un tel texte aurait de toute façon justifié deux lectures, plutôt qu'une procédure accélérée, comme cela devient la règle. Si nous pouvons nous mettre d'accord sur le projet de loi organique, tant mieux. Sur le projet de loi ordinaire, je plaide pour une attitude positive sur les cinquante articles que nous avons examinés. Sur les autres, certains sujets appellent une seconde lecture. Si la CMP échoue, cette lecture aura lieu après au lieu d'avoir eu lieu avant.
M. Jacques Mézard. - Ne soyons pas hypocrites : il y a une politique globale de mépris du Sénat. Il suffit de lire la presse pour constater que les attaques se multiplient. Le Sénat ferait perdre du temps... Passer outre la seconde lecture au Sénat, c'est faire preuve d'un parfait mépris de la Haute Assemblée. M. Sueur a parlé d'ajouts à l'Assemblée nationale, mais il s'agit de modifications profondes du texte initial. Allons-nous baisser la tête ? Quand on est ainsi agressé, il est normal de répondre. Sinon, cela se reproduira. Il y a là une volonté délibérée du garde des sceaux, dont la compétence est incontestable, couverte - peut-être à contrecoeur - par le pouvoir exécutif. Si nous cédons, nous montrerons qu'on peut tout faire vis-à-vis du Sénat.
M. Alain Marc. - Très bien !
M. Philippe Bas, président. - L'alternative est simple. Nous pouvons refuser de participer à la CMP, ce qui déclenchera automatiquement une nouvelle lecture. Mais je crains que cela n'arrange, en réalité, le Gouvernement. Nous n'aurions pas le beau rôle si nous procrastinions ou si nous avions recours à des procédures dilatoires. Pour l'heure, le mauvais rôle est celui du Gouvernement et notre réaction maîtrisée nous place dans une meilleure situation. Nous avons, cela dit, un arsenal d'armes législatives pour retarder l'adoption de ce texte, mais aucune n'est décisive. D'ailleurs, le Gouvernement n'est pas si pressé, contrairement à ce qu'il prétend. Sinon, il aurait accepté notre proposition, qui était bien plus rapide et respectait les droits du Sénat. De plus, elle donnait à ce texte, rédigé dans une totale improvisation et sans véritable débat à l'Assemblée nationale, des chances d'être notablement amélioré. Au contraire, le résultat de ce processus risque d'aboutir à un mauvais texte - ce qui démontrerait par l'absurde l'importance d'un travail sérieux dans les deux Chambres.
M. Jacques Mézard. - Je ne souhaite pas que nous fassions la politique de la chaise vide. Au contraire, nous devons montrer par notre travail qu'ils allaient perdre encore plus de temps. Notre arsenal de mesures - y compris constitutionnelles - n'est, en effet, pas décisif. Nous pourrons participer à cette CMP, qui sera un grand moment de démocratie parlementaire.
M. Philippe Bas, président. - Tout à fait d'accord. Nos deux rapporteurs iront au fond des choses au cours de cette réunion qui se tiendra au Sénat et que je présiderai.
M. Alain Richard. - Je distingue, entre les ajouts opérés à l'Assemblée nationale, une modification qui aura beaucoup d'effets : la réforme du divorce par consentement mutuel, qui touchera des centaines de milliers de personnes, pose des problèmes sérieux d'équilibre des droits et constitue un enjeu majeur pour le désengorgement de la justice. En revanche, la fin de l'illusion de la collégialité n'est qu'un simple constat d'échec que nous connaissons tous. La question des personnes transsexuelles ne traite que de nuances de procédure.
Du reste, l'échec de la CMP aboutira à une nouvelle lecture au Sénat, au cours de laquelle nous devrions nous concentrer sur la nouvelle procédure du divorce, qui me semble une bonne mesure - dont on parle d'ailleurs depuis une vingtaine d'années - qu'il faudra toutefois entourer de garanties.
Le Gouvernement a des échéances à tenir et les engagements législatifs s'accumulent pour la fin de cette législature. Il fait des choix. Celui-ci ne me semble pas rationnel, car si nous avions travaillé autrement, un accord en CMP n'était pas hors de portée.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis en désaccord avec l'idée de ne pas aller à la CMP, car celle-ci peut être utile pour s'accorder sur la loi organique et débattre des cinquante articles que nous avons examinés. Cela préparera une bonne nouvelle lecture.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre soutien. Nous sommes plus forts lorsque nous sommes unis, même si dans ce cas, nous n'avons pas eu gain de cause.
M. Pierre-Yves Collombat. - La question de l'instruction concerne beaucoup de nos tribunaux, et donc le territoire tout entier. Je me souviens que M. Badinter avait défendu la réforme de la collégialité. Il est vrai qu'elle pose des problèmes budgétaires mais, par habitant, nous dépensons moitié moins que l'Allemagne pour notre justice... Il est dommage de revenir sur de bonnes dispositions sous prétexte que la justice est encombrée.
M. Philippe Bas, président. - Vous avez raison, il y a dans notre société un besoin de justice, et répondre à l'encombrement de la justice par moins de justice est une piste à n'examiner qu'avec précaution.
M. Michel Mercier. - Ce n'est pas la première fois que le Gouvernement agit ainsi. Sur un texte rapporté par M. Zocchetto, il y a quelques mois, le même procédé a été utilisé. Cela peut nous hérisser. Mais allons plus loin : il n'est pas impossible qu'à l'occasion des élections présidentielles, les questions institutionnelles soient abordées - il faudra bien que les candidats disent quelque chose... Or, à travers cette affaire, c'est la question du bicamérisme qui est posée. Dans ce contexte, une réaction forte de notre part n'est peut-être pas la meilleure option. Plutôt, nous devrions montrer à quoi sert la Haute Assemblée, même quand on cherche à l'écarter. Les ajouts effectués à l'Assemblée nationale sont considérables. On peut dire qu'on parle du divorce sans juge depuis vingt ans, mais justement ! Si la solution n'a pas été trouvée depuis, c'est que ce n'est pas si facile. Le Sénat peut améliorer la qualité de ce texte, et cela illustrera son utilité, et celle du bicamérisme.
M. Philippe Bas, président. - C'est aussi mon sentiment.
M. André Reichardt. - Le recours à la procédure accélérée pour ces textes est grave et pose la question du bicamérisme et de son avenir. Au-delà du divorce par consentement mutuel, ce sont des questions de société qui sont en cause, relatives au changement d'identité, à la filiation... Nous l'avons bien vu lors des auditions.
Allons-nous faire des enfants les arbitres du divorce de leurs parents ? Après le mariage pour tous, ce texte fort méritait aussi une deuxième lecture. Nous aurions ainsi pu travailler avec les députés, dans le respect de la Constitution, au lieu que le Gouvernement cherche à passer en force. De même, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs aurait mérité aussi une vraie réflexion. Ce procédé est une faute vis-à-vis de la Constitution.
M. Hugues Portelli. - Je suis entièrement d'accord avec MM. Reichardt et Mercier. Pour défendre le bicamérisme, c'est avec les députés que nous devons travailler et non avec le Gouvernement. Par exemple, j'ai siégé hier à la CMP sur la presse : j'étais le seul membre de la commission des lois, les six autres venaient de la commission de la culture. J'avais rencontré il y a quelques jours, à Bois-d'Arcy, le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Raimbourg, et lui avais proposé que nous nous téléphonions la veille de la CMP pour nous accorder. Je lui ai donc téléphoné, et il m'a appris que sa commission n'avait pas été saisie ! Du coup, je n'ai pu contribuer substantiellement à la CMP, qui a d'ailleurs échoué. Bref, nous devons mieux travailler avec l'Assemblée nationale. Quant au Gouvernement, il se moque du Sénat, mais aussi de l'Assemblée nationale ! Pour lui, plus le Parlement sera faible, mieux cela vaudra - qu'il soit de droite ou de gauche. Si nous voulons que l'on parle du Sénat, il faut nous saisir de deux ou trois sujets qui intéressent les gens et non les élites ou les commentateurs. C'est le cas du divorce.
M. Alain Anziani. - Dans un divorce par consentement mutuel, les parties sont souvent reçues ensemble avec leurs avocats - alors qu'elles devraient l'être séparément. Le juge demande : « Maître, y a-t-il une difficulté ? » Par définition, puisqu'il s'agit d'un divorce par consentement mutuel, l'avocat répond : « Aucune, madame le juge » - car les juges sont souvent des femmes. Et celle-ci de prononcer l'imprimatur. L'affaire dure deux ou trois minutes. J'imagine que les parties doivent avoir l'impression d'avoir perdu leur temps. S'il ne s'agit que de conserver les apparences, nous sommes dans l'hypocrisie. Le dialogue avec le juge ne sert à rien, puisque les avocats ont justement pour rôle d'aplanir les difficultés.
M. Philippe Bas, président. - Nul ne nie que la discussion mérite d'avoir lieu. Nous reprochons justement au Gouvernement de l'empêcher.
Modalités d'inscription sur les listes électorales - Examen du rapport et des textes de la commission
La commission examine ensuite le rapport de M. Pierre-Yves Collombat et les textes qu'elle propose sur la proposition de loi n° 653 (2015-2016) rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales, la proposition de loi organique n° 654 (2015-2016) rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne autre que la France pour les élections municipales et la proposition de loi organique n° 655 (2015-2016) rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'an dernier, une proposition de loi de Mme Elisabeth Pochon sur la réouverture exceptionnelle des listes électorales a été examinée. Nous avions décidé de refuser la modification de circonstance qu'elle proposait, mais les députés ne nous ont pas suivis. Les textes déposés par Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann réforment en profondeur les modalités d'inscription sur les listes électorales, mais ils concernent aussi les Français établis hors de France, les ressortissants de l'Union européenne qui votent pour les élections municipales et même la Nouvelle-Calédonie. Sur ce dernier point, vu le contexte, il serait préférable de ne pas apporter de modifications au système actuel de révision des listes électorales.
Les défauts de la procédure actuelle sont connus. L'écart entre les listes communales et le fichier général des électeurs de l'INSEE dépasse souvent 10 %, et parfois atteint même 30 %, ce qui est considérable. Certes, il y a des doubles inscriptions - on hésite toujours à rayer un électeur. Mais il y a aussi beaucoup d'erreurs d'état civil et d'adressage. De plus, dans une société plus mobile, nos modalités d'inscription sur les listes électorales ne sont plus adaptées. L'inscription est annuelle, jusqu'au 31 décembre. Sous réserve de la procédure de l'article L. 30 du code électoral, il peut y avoir un écart entre ceux qui ont pu s'inscrire et ceux qui pourraient le faire. L'an dernier, avec un scrutin en décembre, a bien mis en évidence le problème. Les Français établis hors de France ont la possibilité de faire une double inscription, sur une liste communale et sur une liste consulaire, ce qui a donné lieu à des difficultés lors des dernières élections présidentielles.
Je suis d'accord sur ce diagnostic et sur l'essentiel des remèdes proposés par ces textes. Il s'agit d'abord de la création d'un répertoire électoral unique, tenu par l'Insee, dont les listes électorales communales et consulaires ne seraient qu'une extraction. La deuxième innovation consiste en l'inscription en continu toute l'année sur les listes électorales, jusqu'à trente jours avant un scrutin. Dernière innovation, la suppression de la possibilité de double inscription pour les Français établis hors de France.
Je soutiens ces dispositions. Cela représentera au début une charge supplémentaire pour les communes, mais une fois que la mécanique sera huilée, leur tâche sera facilitée. J'ai examiné ce texte d'un point de vue pratique. L'enjeu est un nettoyage complet des listes, afin d'éviter les discordances entre le registre de l'Insee et les listes électorales et qu'une personne qui devrait être inscrite ne le soit pas et réciproquement. La loi doit entrer en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État au plus tard le 31 décembre 2018. Ce délai me parait trop court : il faut nettoyer les listes, l'Insee devra mettre en place le portail informatique, les communes disposer des logiciels compatibles et, enfin, assurer la formation des agents, ce qui n'est pas si simple. N'oublions pas non plus que le débit Internet n'est pas toujours garanti... Bref, je proposerai de reporter d'un an ce délai butoir.
À l'heure actuelle, les listes électorales sont élaborées sous l'autorité d'une commission administrative présidée par le maire ou par son représentant, et qui comprend un délégué de l'administration désigné par le préfet et d'un délégué désigné par le président du tribunal de grande instance(TGI). Désormais, le maire établirait et réviserait seul les listes au cours de l'année, informant les intéressés, qui pourront saisir le juge le cas échéant. Trente jours avant le scrutin, le texte prévoit, au sein de chaque commune, une commission de contrôle des décisions d'inscription et de radiation prises par le maire afin de garantir la régularité de la liste électorale communale. Elle serait composée d'un représentant par liste siégeant au conseil municipal, sans représentant du tribunal d'instance ni du préfet. Le maire n'y siègerait pas non plus. Dans certains cas, l'opposition y serait même majoritaire ! En outre, cette commission pourrait saisir le tribunal d'instance des décisions du maire. On imagine aisément les dérives possibles en période électorale... Comme je l'ai indiqué à Mme Pochon et à M. Warsmann, ce mécanisme est une « usine à claques ». Je proposerai un amendement pour rétablir l'équilibre politique au sein de ces commissions, maintenir la présence d'un représentant du TGI et du préfet et permettre au maire d'expliquer ses décisions devant ces commissions. En outre, dans la mesure où l'intéressé pourra toujours saisir lui-même le juge, celles-ci n'auraient plus le pouvoir de saisir le juge ; en revanche elles interviendraient en amont, dans le cadre d'un recours administratif préalable obligatoire, à titre de recours gracieux. Cela devrait éviter de saisir le juge systématiquement. Les maires pourront toujours être poursuivis pour refus d'inscription frauduleux, mais la plupart des litiges ne relèvent pas d'une fraude volontaire mais d'un problème technique lié, par exemple à la fourniture de pièces justificatives. Les requérants devront donc toujours passer par cette commission avant de saisir le juge.
Dernière mesure contestable, la réduction de cinq à deux années consécutives la durée d'inscription au rôle des contributions directes communales exigée pour être reconnu comme contribuable local. Dans la mesure où l'on favorise déjà l'inscription sur les listes, cette mesure est inutile, voire contre-productive.
Globalement, ces textes sont intéressants, au problème de démarrage près, mais il convient de prendre quelques précautions sur le plan pratique.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette présentation, le sujet est complexe, lourd d'enjeux politiques : il s'agit de l'exercice de la démocratie.
M. Alain Vasselle. - Je suis maire d'une commune rurale depuis quarante ans. Lorsqu'une personne s'était inscrite pour la première fois sur les listes électorales dans la commune et déménageait, on la conservait sur les listes de la commune si elle le souhaitait. Cette pratique n'a jamais fait l'objet d'un recours. Est-ce que cela sera toujours possible ?
Quid de l'inscription d'office des jeunes à leur majorité ? Enfin je comprends mal le nouveau mécanisme de recours : le maire n'agit pas seul mais avec une commission administrative, où siègent notamment un représentant du préfet et du TGI. Pourquoi ne pas lui confier la mission de valider les inscriptions au fur et à mesure ? Je suis très réticent à l'égard de la création de cette nouvelle commission de contrôle qui interviendra 30 jours avant les élections.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La première pratique que vous évoquez est illégale... Les personnes peuvent éventuellement rester rattachées à une commune si elles y possèdent un bien et acquittent une imposition. Si elles changent de domicile, elles doivent s'inscrire ailleurs.
Les inscriptions d'office demeurent, l'Insee s'en chargera, et le texte élargit le dispositif aux naturalisés.
Enfin, le texte prévoit que le maire est responsable des inscriptions sur les listes et les recours se font sur la décision du maire. La commission de contrôle constate ces inscriptions et établit un mois avant les élections les listes électorales. Elle peut saisir le juge, ce qui me parait inutile, puisque les intéressés peuvent le faire directement. Ma proposition est de conserver cette commission pour éviter les erreurs.
Mme Cécile Cukierman. - Je suis favorable au report dans le temps de l'entrée en vigueur du texte. Faciliter l'inscription sur les listes électorales est un objectif louable, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés concrètes de mise en oeuvre. Donnons-nous le temps de sécuriser le processus : il en va de la sincérité des scrutins. La création d'une commission de contrôle est une bonne idée, mais il faut réfléchir à sa composition et veiller à ne pas compliquer la tâche des élus. Ce texte va dans le bon sens, mais ne suffira sans doute pas à réduire l'abstention lors des prochaines élections.
M. Christophe-André Frassa. - J'évoquerai la question des Français de l'étranger. Je ne suis pas convaincu que l'inscription unique soit la panacée. Contrairement à ce que certains laissent croire, la double inscription donnait lieu à très peu de dysfonctionnements et de contentieux. Le problème est le manque de volonté, de courage et d'organisation du ministre des affaires étrangères pour faire vivre un système assez simple, selon lequel les Français de l'étranger votent à l'étranger pour les scrutins nationaux - élections européennes, présidentielle, législatives, consulaires et referendum - et peuvent se comporter comme des citoyens ordinaires pour les scrutins locaux. Vous vous souvenez des combats que j'ai menés avec Christian Cointat sur cette collectivité d'outre-frontière puisque nous n'avons pas de collectivité territoriale de rattachement.
Il est donc nécessaire d'être rattaché à une commune en France, pour de nombreuses raisons, ne serait-ce que pour prévoir le retour et la réinsertion en France. D'où la nécessité d'être inscrit dans une commune. Je crains, en outre, que le nouveau système encourage un certain tourisme électoral. Rien n'interdira à une personne inscrite sur une liste électorale à l'étranger de s'inscrire sur les listes de la commune dont le maire est un ami, dès lors qu'il s'agit de sa dernière commune de résidence, au moins trente jours avant le scrutin, en étant désinscrit dans l'ambassade, de voter dans la commune pour les élections municipales, puis de se réinscrire sur les listes de l'ambassade une fois l'élection passée... Certes tous les Français de l'étranger n'auront pas l'esprit aussi facétieux mais le fait est là : ce texte crée un « usine à gaz », et une rupture d'égalité au détriment des 442 élus consulaires qui tomberaient sous le coup des article 16 et 17 de la loi du 22 juillet 2013 et qui risqueraient de perdre leur mandat s'ils se livraient à ces pratiques. Ce système qui se veut vertueux ouvre la porte à des dévoiements.
M. Alain Marc. - Le délai entre l'arrêté par le maire de la liste électorale et le scrutin - un mois - est trop court. Il sera facile de suspecter le maire des toutes petites communes de manipuler les listes, d'inscrire des amis. Cette disposition risque d'aggraver les tensions, déjà très fortes dans les petites communes lorsque le scrutin approche.
M. Jean-Yves Leconte. - Je voterai cette loi qui permettra de mettre à jour les listes électorales de façon dynamique et centralisée, nous évitant de trouver au cas par cas des solutions lorsque les élections ont lieu dans la deuxième partie de l'année. Les naturalisés seront inscrits d'office, comme ceux qui atteignent l'âge de leur majorité. Pourtant la règle n'est pas la même pour ces deux catégories entre le premier et le deuxième tour de scrutin. Pourquoi ?
Le cas des ressortissants européens est traité pour les élections municipales ; qu'en est-il des élections au Parlement européen ?
La double inscription des Français de l'étranger s'inscrit dans la continuité des évolutions récentes, comme la fusion des listes électorales, ou la mise en place d'une représentation à l'Assemblée nationale qui permet à ceux qui ne votent pas en France d'être représentés. Vu les difficultés constatées lors de la dernière élection présidentielle, il n'est pas injustifié d'évoluer. Certains regretteront de perdre le lien avec leur commune d'origine, mais il en va de même pour une personne qui, en France, déménage et doit voter dans sa nouvelle commune. Et puis, pour ceux qui le souhaitent vraiment, il sera toujours possible de recourir à l'entourloupe décrite par M. Frassa... Je regrette toutefois que certaines dispositions qui relèvent du décret soient élevés au niveau d'une loi organique, au risque de leur rigidité.
M. Yves Détraigne. - J'ai l'impression que, pour la plupart des communes, ce texte ne sera pas très éloigné des pratiques existantes.
M. Michel Mercier. - Je crains que l'instauration d'un fichier national tenu par l'Insee n'aboutisse à distendre les liens entre ceux, issus de petites communes rurales, qui ont déménagé, et leur commune d'origine. À travers l'inscription sur les listes, ils conservaient un lien avec leur commune d'origine, dès lors qu'ils y possédaient un bien. Ce texte impliquera un grand nettoyage des fichiers. Beaucoup de gens sont sans doute inscrits deux fois. Nous mettons en place une petite révolution qui va sans doute changer beaucoup de choses.
M. Philippe Bas, président. - L'article 9 allonge les délais, lors d'élections partielles dans les assemblées locales, entre la convocation des électeurs et le scrutin. Il aurait été sage de raccourcir ce délai car ces périodes de vacance perturbent le fonctionnement normal des collectivités territoriales. D'ailleurs, il est à noter que, dans la grande majorité des cas, le vainqueur d'une élection partielle est celui qui avait été élu précédemment ! La dilatation du délai entre la convocation des électeurs et le scrutin me semble dépourvue d'utilité.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cette loi est technique. En effet, elle ne résoudra pas la question de l'abstentionnisme électoral, qui a d'autres causes que des raisons techniques.
Beaucoup de questions concernent le rattachement à la « commune de coeur ». Mais, hormis la suppression des pratiques illégales, ce texte ne change rien : ceux qui souhaiteront maintenir leur attache fiscale avec une commune pourront toujours le faire.
Monsieur le président, pour qu'une élection partielle ait lieu, il faut que la liste soit actualisée et publiée trente jours avant le scrutin. Il faut aussi tenir compte des délais de recours. Par prudence, il convient de maintenir la rédaction de l'article 9.
Les actualisations pour l'inscription des ressortissants européens en vue des élections au Parlement européen sont visées à l'article 11. S'agissant des Français de l'étranger, la solution retenue n'est pas la panacée, certes. Mais dès lors qu'ils sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat, leur possibilité de double inscription est moins justifiée. Quant au tourisme électoral, pas besoin d'être Français de l'étranger pour le pratiquer... Beaucoup de Français de l'étranger ne savent d'ailleurs souvent pas où ils sont inscrits et où ils doivent voter en fonction des élections. Si j'en crois le ministère de l'intérieur, ce texte constitue une utile simplification.
MODALITÉS D'INSCRIPTION SUR LES LISTES
ÉLECTORALES -
EXAMEN DES AMENDEMENTS ET DU TEXTE DE LA
COMMISSION
Articles additionnels avant le titre 1er
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-11 instaure le vote obligatoire, mais sans pénalité. Avis défavorable : ce n'est pas l'objet de ce texte. Et puis, il semble difficile de forcer à voter ceux qui ne veulent pas voter...
M. Alain Vasselle. - Pourtant le vote est obligatoire pour les élections sénatoriales !
M. Philippe Bas, président. - Dans ce cas, les délégués sénatoriaux n'exercent pas un droit de vote mais une obligation de vote : au nom de leur conseil municipal, ils doivent choisir les membres de la deuxième assemblée. Une sanction pénale est d'ailleurs prévue en cas d'abstention.
L'amendement COM-11 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-12 propose de décompter les votes blancs comme des suffrages exprimés, ce qui pose de nombreuses difficultés techniques. Que se passera-t-il si les votes blancs sont majoritaires ? Il faut légiférer d'une main tremblante sur ce sujet. Avis défavorable.
L'amendement COM-12 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-15 rétablit à cinq ans la durée d'inscription sur le rôle fiscal requise pour pouvoir être inscrit sur les listes électorales.
M. Alain Vasselle. - Les nus-propriétaires bénéficient-ils des mêmes droits que les propriétaires car ils ne paient pas la taxe foncière ?
M. Alain Richard. - Au regard d'une expérience personnelle, je sais que l'usufruitier paye la taxe foncière.
M. Michel Mercier. - Tout dépend des conventions particulières.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Juridiquement, c'est le propriétaire qui paye l'impôt foncier.
L'amendement COM-15 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-16 précise que l'Insee doit notifier aux communes les inscriptions et radiations dont il a la charge.
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-17 revalorise le rôle des commissions de contrôle et évite une juridictionnalisation excessive des procédures en instaurant un recours administratif préalable devant ces commissions. Ainsi, on évitera un recours systématique au tribunal d'instance.
L'amendement COM-17 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-2 propose d'étendre le délai limite d'inscription sur les listes électorales de 30 jours avant le scrutin à 60 jours. Avis défavorable.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-6 supprime l'obligation de notification du maire lorsqu'il procède à l'inscription ou à la radiation d'une personne sur une liste. Avis défavorable : il est préférable que le citoyen soit informé.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-7 précise que les notifications sont transmises « sous quelque forme que ce soit ». Cet amendement vague semble satisfait. Avis défavorable.
L'amendement COM-7 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-1 supprime la sanction pénale contre un maire qui maintiendrait indûment une personne sur la liste électorale. Je me suis interrogé longuement sur les sanctions qui pèsent sur les maires avec la multiplication des tâches qui leur sont confiées. Je crois que l'institution de la commission de contrôle est une garantie. Il faudrait aussi démontrer qu'il y a eu une intention frauduleuse. Avis défavorable.
Mme Catherine Troendlé. - Je voterai cet amendement.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La sanction viserait les cas où le maire aurait été informé par l'Insee de la nécessité de radier quelqu'un et passerait outre sciemment.
Mme Catherine Troendlé. - Quelle est la portée du terme « indûment » ? Y-a-t-il une jurisprudence ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela signifie une manoeuvre frauduleuse.
M. Michel Mercier. - Pourquoi ne pas remplacer « indûment » par « frauduleux » ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le terme est déjà dans le texte. La fraude est caractérisée en cas d'écart créé volontairement avec la liste de l'Insee.
M. Alain Vasselle. - Si la liste est transmise et arrêtée par l'Insee, c'est sa responsabilité qui devrait être engagée !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - C'est le maire qui arrête les listes.
M. Philippe Bas, président. - La nouvelle rédaction de l'article L. 17 confie au maire la compétence de l'inscription et de la radiation des électeurs sur la liste électorale de sa commune, compétence aujourd'hui exercée par une commission administrative. Toutefois, les inscriptions d'office de l'article L. 11 et les radiations sans examen, comme les électeurs décédés qui ne nécessitent pas une appréciation sur leur recevabilité, seront directement faites par l'Insee. Le principe est bien la compétence du maire, sauf exceptions, même si les exceptions sont plus nombreuses !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je suis ouvert à tout amendement en séance qui améliorerait la rédaction. Je suis le premier à lutter contre l'amoncellement de responsabilités sur les maires mais cette disposition me paraît justifiée.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-19 consacre la compétence de la commission de contrôle en matière de recours administratif préalable : un électeur ne pourra pas s'adresser au tribunal d'instance sans être passé par la commission. C'est une solution intermédiaire entre la situation actuelle et la proposition de nos collègues.
M. Alain Richard. - L'amendement COM-17 a précisé les conditions d'examen du recours administratif préalable. Le recours est donc examiné par la commission et sa décision est notifiée dans un délai de trois jours à l'électeur intéressé. Ce délai pour statuer et notifier sera-t-il donc de trois jours à partir du dépôt du recours ? Ou bien s'agit-il de trois jours après la décision ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il s'agit de la notification.
M. Alain Richard. - Ce qui signifie donc qu'aucun délai n'est prévu pour la décision ? Ce serait une erreur. Tout recours administratif préalable doit être encadré par un délai.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Puisque le maire inscrit au fil du temps, cela signifierait que la commission devrait se réunir à chaque fois qu'il y a un recours ?
M. Alain Richard. - À chaque recours, ce qui n'est pas quotidien. Si une inscription est refusée, il ne faut pas laisser l'incertitude perdurer. La commission doit disposer d'un délai pour statuer, raccourci à l'approche d'une consultation électorale.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Dans le texte initial, seul le tribunal d'instance intervenait. Il me parait préférable que les recours puissent avoir lieu dans un premier temps devant la commission, mais on ne peut la réunir à chaque contestation.
M. Alain Richard. - Ce défaut de réunion prive la personne qui souhaite faire un recours d'aller devant le tribunal.
M. Philippe Bas, président. - Notre collègue souhaite que le texte précise le délai pour que la commission se prononce, de sorte que le requérant ne soit pas privé de la possibilité de voter.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous risquons d'obliger la commission à se réunir sans cesse. Avec ce texte, la commission se réunit régulièrement et, avant les élections, elle examinera la totalité des recours.
M. Alain Richard. - Ce n'est pas possible car on prive le justiciable du droit à un procès. Le terme même de recours administratif préalable signifie qu'aucune des personnes intéressées ne peut saisir le juge tant que le recours préalable n'a pas été purgé.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Certes, mais ce sera toujours possible avant les élections car la commission de contrôle doit se réunir obligatoirement avant le scrutin.
M. Alain Richard. - Si 24 jours avant le scrutin, on dit au requérant qu'il n'a pas satisfaction et qu'il doit saisir le juge, la disposition n'est pas applicable.
M. Philippe Bas, président. - Si, elle le serait, mais cela signifierait que le recours préalable n'obtiendra pas de réponse immédiate, que la réponse sera donnée 30 jours avant le scrutin. Si la réponse est négative, l'affaire sera portée devant le juge qui devra se prononcer avant le scrutin. Il faut être sûr que cette mécanique fonctionne bien de sorte que le requérant ait une réponse suffisamment tôt pour que l'affaire soit tranchée par le juge.
M. Alain Richard. - Avec un pourvoi en cassation !
M. Alain Vasselle. - Je partage l'analyse de M. Richard. Le délai entre le vingt-et-unième et vingt-quatrième jour est beaucoup trop court, surtout quand on connait la lenteur de la justice. Des électeurs risquent d'être privés de scrutin. Cette question mérite d'être réexaminée avant la séance.
M. Philippe Bas, président. - Mandat est donné à notre rapporteur en lien avec M. Richard afin de préciser l'amendement n° 17 qui a déjà été adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je ne puis qu'être d'accord mais, si on introduit cette obligation, il faut en revenir au texte initial et supprimer la commission. Le problème tient aux délais prévus en fin de course : il est possible de les augmenter.
M. Philippe Bas, président. - Le temps passe et nous allons être obligés de reporter la présentation du rapport d'information de MM. Bonhomme et Leconte sur la biométrie. Nous en revenons à l'amendement COM-19, que notre rapporteur a présenté.
L'amendement COM-19 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-20 précise la composition des commissions de contrôle.
L'amendement COM-20 est adopté.
L'amendement de codification COM-18 est adopté.
L'amendement COM-3 devient sans objet, ainsi que l'amendement COM-5.
Article 4
L'amendement de coordination COM-21 est adopté.
Article 6
L'amendement rédactionnel COM-22 est adopté.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-8 car il propose de revoir les conditions de notification des décisions du maire.
L'amendement COM-8 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-9 car il réduit les possibilités de communication des listes électorales aux électeurs qui en font la demande. Ainsi, il ne serait plus possible d'obtenir les listes auprès de la préfecture.
L'amendement COM-9 n'est pas adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement de coordination COM-23 concerne Wallis-et-Futuna où il maintient une composition particulière de la commission de contrôle dans la mesure où il n'existe pas de conseils municipaux sur ces territoires.
L'amendement COM-23 est adopté.
Article 10
L'amendement de coordination COM-24 est adopté, ainsi que l'amendement de coordination COM-25.
Article additionnel après l'article 10
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-10 ne relève pas du domaine législatif mais règlementaire. Avis défavorable.
L'amendement COM-10 n'est pas adopté.
Article 11
L'amendement de coordination COM-26 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-27 vise à appliquer le régime d'encadrement de la communication des listes électorales consulaires aux électeurs, partis, groupement politiques, sénateurs des Français de l'étranger mais aussi aux députés des Français de l'étranger, qui avaient été oubliés.
M. Jean-Yves Leconte. - Mon amendement COM-13 va tomber. Je souhaite donc rappeler qu'il n'est pas raisonnable d'interdire les prises de position des partis politiques ou des élus sur des situations qui peuvent avoir des conséquences sur des Français qui vivent à l'étranger. Ainsi, il convient de rappeler à nos compatriotes quels sont leurs droits en matière de citoyenneté européenne lorsqu'ils vivent dans un pays de l'Union européenne.
L'amendement COM-27 est adopté.
L'amendement COM-13 devient sans objet.
Article 13
L'amendement rédactionnel COM-28 est adopté.
Article 14
L'amendement de coordination COM-29 est adopté.
L'amendement COM-14 devient sans objet.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-30 assouplit l'application de cette loi en prévoyant une mise en oeuvre au 31 décembre 2019 au plus tard. Les délais sont ainsi allongés d'un an.
L'amendement COM-30 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE RÉNOVANT LES MODALITÉS D'INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES DES RESSORTISSANTS D'UN ÉTAT MEMBRE DE L'UNION EUROPÉENNE - EXAMEN DES AMENDEMENTS ET DU TEXTE DE LA COMMISSION
Article 1er
L'amendement rédactionnel COM-1 est adopté.
Article 2
L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Comme pour la proposition de loi précédente, l'amendement COM-2 porte l'entrée en vigueur de cette proposition de loi organique au 31 décembre 2019.
L'amendement COM-2 est adopté.
La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE RÉNOVANT LES
MODALITÉS D'INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES DES
FRANÇAIS ÉTABLIS HORS DE FRANCE -
EXAMEN DES AMENDEMENTS ET DU
TEXTE DE LA COMMISSION
Article 1er
L'amendement de coordination COM-2 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.
L'amendement de cohérence COM-4 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à donner plus de souplesse pour la publication des listes consulaires et revoit la composition des commissions de contrôle afin d'y inclure l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire, avec voix consultative.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement COM-1, satisfait, devient sans objet.
Article 3
L'amendement de coordination COM-7 est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement de cohérence COM-6 supprime un renvoi redondant à un décret en Conseil d'État.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Patrick Masclet. - Les logiciels des listes électorales permettent d'exporter les données. Or, à l'avenir, c'est l'inverse qu'il faudra faire, en extrayant d'une liste nationale une liste locale. Nos applications informatiques ne serviront donc plus à rien. Les communes, notamment les plus petites, vont-elles devoir assumer une dépense supplémentaire ?
M. Alain Richard. - Très bonne question !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Selon les assurances qui nous été données, l'Insee est en train de régler cette question et les collectivités ne devraient pas avoir à assumer cette dépense supplémentaire.
M. Alain Richard. - C'est sans doute de l'humour !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous pourrions déposer un amendement pour prévoir que cette opération sera financièrement neutre pour les collectivités territoriales.
M. Jean-Yves Leconte. - Il y a deux ans, on nous a dit qu'il était impossible d'organiser à l'étranger des votes électroniques avec une liste électorale qui n'était pas connue 60 à 70 jours avant les élections. Ici, avec une liste électorale flottante à 30 jours, les Français de l'étranger pourraient voter électroniquement... beau défi informatique en perspective !
M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette observation et merci à notre rapporteur.
La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :
AMENDEMENTS SUR LA PROPOSITION DE LOI N° 653
AMENDEMENTS SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE N° 654
AMENDEMENTS SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE N° 655
Biométrie - Examen du rapport d'information (reporté ultérieurement)
M. Philippe Bas, président. - L'examen du rapport d'information sur la biométrie est reporté ultérieurement.
Suivi de l'état d'urgence - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Michel Mercier sur le suivi de l'état d'urgence.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. - Nous sommes dans la quatrième phase de l'état d'urgence. Cette dernière, qui court jusqu'au 25 juillet prochain, a été allégée puisque les perquisitions administratives sur le fondement de la loi de 1955 ne sont plus possibles. Désormais, seules les perquisitions judiciaires le sont.
Voici le bilan depuis de début de l'année : il y avait 268 arrêtés d'assignations à résidence en vigueur à la fin de la première période, 68 à la fin de la deuxième période et 55 assignations au début de la troisième période, auxquelles il convient d'ajouter 6 nouvelles assignations. Aujourd'hui, 61 personnes sont donc concernées. La question est de savoir quel sera le sort de ces personnes à l'expiration de l'état d'urgence à compter du 26 juillet prochain : 24 d'entre elles font déjà l'objet d'une interdiction de sortie du territoire, une interdiction supplémentaire est à l'étude, une personne fait l'objet d'un gel d'avoirs et trois expulsions du territoire français sont à l'étude. Nous suivrons bien sûr les décisions que les autorités administratives seront amenées à prendre.
Il y a eu 3 594 perquisitions administratives ordonnées par les préfets, dont 3 427 durant la première période, 167 au cours de la deuxième période. Pour la troisième période, la faculté d'ordonner des perquisitions administratives n'a pas été renouvelée. Un important contentieux administratif s'est développé. La procédure du référé est, dans ces cas-là, sans objet : ainsi, 77 requêtes en annulation ont été déposées, 22 décisions rendues, dont 11 annulations.
Pour l'instant, les demandes globales d'indemnisation s'élèvent à 700 000 euros. Deux tribunaux administratifs ont saisi le Conseil d'État d'une demande d'avis qui devrait être rendu d'ici fin juillet. Actuellement, la jurisprudence exige une faute lourde pour que la responsabilité de l'administration soit engagée. L'enjeu de cet avis est de savoir si le Conseil d'État n'exige désormais qu'une faute simple.
La semaine dernière, dans le cadre de l'examen des dispositifs de sécurité de l'Euro 2016, nous nous sommes déplacés au Stade de France : étaient présents M. Bas, Mme Benbassa, M. Mézard et M. Richard. Nous voulions voir comment les choses étaient organisées : M. le préfet de la Seine-Saint-Denis, M. Philippe Galli, nous a accueillis, ainsi que M. Antoine Mordacq, responsable adjoint de la sécurité de l'Euro 2016. Le risque zéro n'existe pas, nous le savons tous : l'expérience des premiers matchs le démontre, avec l'introduction de fumigènes et des bombes agricoles au stade Vélodrome de Marseille, mais nous avons pu également constater la solidité de l'organisation des contrôles d'accès au Stade de France, avec le système de pré-filtrage par les services de police aux abords, puis un premier filtrage et une inspection visuelle sur le périmètre « Euro 2016 » puis, enfin, le contrôle des billets et les palpations de sécurité aux portes d'entrées.
Les leçons des dysfonctionnements survenus le 21 mai à l'occasion de la finale de la coupe de France semblent avoir été tirées avec l'accroissement du nombre de points d'accès sur le barriérage UEFA et l'éloignement des points de préfiltrage pour éviter les « bouchons ».
La répartition des rôles est claire entre les services de l'État, compétents à l'extérieur du barriérage UEFA, et la sécurité privée placée sous l'autorité de Euro 2016 à l'intérieur du périmètre.
Enfin, l'État a prévu des dispositifs de secours à personne extrêmement importants : nous avons visité la salle de coordination qui semble pouvoir répondre aux éventuels problèmes.
L'efficacité de la riposte de l'État et de ce dispositif de sécurité tiennent moins aux prérogatives de l'état d'urgence résultant de la loi de 1955 qu'aux compétences traditionnelles exercées par l'État en matière de maintien de l'ordre et aux leçons tirées des précédentes crises terroristes.
Ainsi, le préfet du Rhône, qui a interdit la vente d'alcool à emporter, ne s'est pas fondé sur la loi de 1955 mais sur le code général des collectivités territoriales. En revanche, le préfet de Seine-Saint-Denis s'est fondé sur la loi de 1955 pour créer deux zones de protection et de sécurité autour du Stade de France et de la « fan zone » de Saint-Denis au sein desquelles la circulation des personnes et des véhicules est réglementée.
Il est difficile de dresser le bilan de cet état d'urgence et de ne pas parler de ce qui s'est passé hier à Paris à l'occasion de la manifestation organisée par la CGT contre la « loi travail ». Nos concitoyens ne comprennent pas que nous soyons en état d'urgence et que de tels débordements soient possibles. Les dégradations survenues à l'hôpital Necker ont beaucoup choqué. J'ai apprécié que le Premier ministre déclare à la radio, ce matin, qu'une interdiction générale de manifester ne pouvait être envisagée...
Mme Esther Benbassa. - Encore heureux !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Tous les membres de la commission connaissent l'arrêt Baldy et les conclusions prononcées en 1917 et qui s'appliquent toujours : la liberté est la règle et la mesure de police est l'exception. Telle est la loi de la République, mais cela ne doit pas empêcher d'agir et lorsqu'il y a des manifestations dont les organisateurs ne sont pas capables d'assurer l'ordre public, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités dans le cadre de la loi de 1955, en respectant les valeurs républicaines.
La commission des lois est bien sûr fidèle aux libertés publiques mais cet attachement impose de les défendre contre les fauteurs de troubles. Ce qui s'est passé hier à Paris est inacceptable.
Mme Esther Benbassa. - Cela n'a rien à voir avec le terrorisme !
M. Michel Mercier. - Pour ma part, j'estime que les paroles du Premier ministre de ce matin sont conformes à la tradition républicaine et nous ne pouvons que l'encourager à prendre ses responsabilités dans le cadre de la loi sur l'état d'urgence pour empêcher tout trouble lors des futures manifestations. Si la proportionnalité du risque dépasse la capacité de l'administration à faire face à ces risques, il devra prononcer l'interdiction de manifester.
M. Philippe Bas, président. - Je vous rejoins, monsieur Mercier. Ce matin, le Premier ministre a été dans le même sens. La légalité républicaine, définie depuis longtemps, est très respectueuse des libertés publiques ainsi que du droit de manifester et de rassemblement sur la voie publique. Il n'existe pas en France de régime d'autorisation préalable, mais il y a bien une possibilité d'interdiction qui doit respecter la légalité. Aujourd'hui, cette légalité doit s'apprécier dans le cadre de l'état d'urgence qui en est un des éléments.
M. André Reichardt. - Absolument !
M. Philippe Bas, président. - Nous avons accepté la reconduction de l'état d'urgence en étant conscients que nos forces de sécurité allaient être extrêmement sollicitées, car, largement mobilisées par la prévention d'attentats terroristes, elles doivent aussi assurer la sécurité de divers évènements. Le Gouvernement nous a bien dit que, parmi les motifs de prorogation de l'état d'urgence, il y avait l'Euro 2016 et le Tour de France. Les débordements actuels constituent des troubles sporadiques qui se développent en marge de manifestations publiques parfaitement légales. Hier soir, j'ai été dans le quartier de Montparnasse et j'ai mesuré l'ampleur des dégâts commis, avec l'inscription de slogans sur les murs mais pas sur les vitrines puisqu'elles étaient détruites. Ce contexte de désolation était poignant. Si de nouvelles manifestations devaient avoir lieu, les organisateurs devraient apporter des garanties de maîtrise des débordements pour que ces manifestations ne soient pas interdites. Une interdiction serait parfaitement légale dans le contexte actuel. Pour ce qui me concerne, je la réclame, comme notre rapporteur spécial du comité de suivi.
À quoi servirait d'avoir décidé de proroger l'état d'urgence si nous laissions se développer de tels désordres qui ne cessent de s'aggraver, avec des appels au crime à l'égard des forces de l'ordre ? On ne peut se permettre de les ignorer après la tragédie de Magnanville.
Je remercie notre rapporteur et les membres du comité de suivi d'être particulièrement attentifs à cette situation qui appelle de la part de l'État l'exercice de tous les moyens qu'il a à sa disposition pour faire respecter son autorité.
Mme Esther Benbassa. - Depuis hier, nous assistons à une confusion entre les terroristes, les manifestants et les casseurs. Cela ne nous fera pas avancer dans la bonne voie car l'état d'urgence, dont j'ai refusé la prorogation, doit permettre de combattre le terrorisme et non d'interdire les manifestations.
Je rends hommage aux forces de police pour leur travail et, bien sûr, je condamne les exactions des casseurs, notamment aux abords de l'hôpital Necker. Mais n'allez pas remettre en question le droit de manifester qui relève des libertés individuelles et qui est inhérent à la démocratie. Faisons la part des choses ! Je regrette ce confusionnisme.
Mme Cécile Cukierman. - Évitons les amalgames de ces derniers jours : terroristes, casseurs, manifestants et hooligans sont tous mis dans le même sac. Non, monsieur Mercier, les services d'ordre des manifestants n'ont pas comme première responsabilité de garantir le maintien de l'ordre sur la voie publique, même s'ils travaillent avec les forces de l'ordre. Certes, il faudra revenir sur les débordements d'hier avec les organisateurs, mais ils ne sont pas que du fait du service d'ordre de la manifestation.
Depuis les manifestations lycéennes des années 1990, j'ai toujours dénoncé les débordements qui alimentent vos discours sécuritaires. Hier, il y a eu trois départs de la manifestation : d'abord, les voitures, les camions et les forces de l'ordre, ensuite ce fut le tour des casseurs et, enfin, les milliers de manifestants. Que faire face à ceux qui perturbent ces grands défilés ? Si l'on interdit les manifestations, pourquoi ne pas faire de même pour l'Euro 2016, vu les débordements de Marseille ? Je ne réduis pas l'Euro aux scènes de chaos sur le Vieux port. Ne réduisons pas le mouvement syndical et les manifestations aux scènes d'hier qui sont, effectivement, inacceptables.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre conclusion.
Mme Catherine Troendlé. - J'habite à côté de l'hôpital Necker et j'étais hier prise dans la manifestation. Dans la rue de Sèvre, il y avait des gens qui voulaient rentrer chez eux, mais aussi des manifestants de la CGT. Les forces de l'ordre nous ont demandé de reculer à cause de débordements d'une violence inouïe : six personnes se sont alors mises à frapper les CRS et à les injurier. Je leur ai demandé pour qui ils se prenaient. Ils m'ont répondu qu'ils étaient des ouvriers et des gens qui représentaient la France. Il ne s'agissait pas de casseurs mais leur comportement était inadmissible. Certains d'entre nous ont défendu les forces de l'ordre mais ces personnes se comportaient comme des sauvages. Ma fille, qui assistait à cette manifestation et qui a vu des forces de l'ordre au sol, m'a envoyé un SMS pour me dire : « C'est ça la France ? ».
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre témoignage.
M. François Grosdidier. - Nous n'assimilons pas les manifestants aux casseurs, pas plus que nous ne le faisons pour les supporters du foot et les hooligans ou les musulmans et les terroristes.
En revanche, nous avons un problème d'ordre public : il est impossible de laisser nos forces de l'ordre exsangues assurer à la fois la sécurité de l'Euro 2016, la lutte contre le terrorisme et la surveillance de manifestations que les services d'ordre ne savent ou ne peuvent pas encadrer. Les pouvoirs publics ne peuvent pas suspendre l'Euro, c'est trop tard, mais ils peuvent encore interdire les manifestations contre un projet de loi qui a d'ailleurs été vidé de sa substance.
J'appelle chacun à la responsabilité.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Tout d'abord, il n'y a pas d'amalgame, et nous reconnaissons que les organisations syndicales, dont la CGT, ont le droit de manifester comme tous les citoyens français. Mais l'exercice de ce droit entraîne des responsabilités. Nous souhaitons rester dans la légalité républicaine établie depuis le début du XXème siècle. Quand le commissaire du gouvernement, M. Corneille, disait « La liberté est la règle, la mesure de police est l'exception », il fixait un cadre. De même, avec l'arrêt Benjamin on expliquait que c'était la proportionnalité entre le risque de désordre et les forces de police disponibles qui devait guider la décision de l'autorité administrative d'autoriser, ou non, la manifestation. Aujourd'hui, le Gouvernement ne doit pas interdire toutes les manifestations mais, au cas par cas, en fonction des disponibilités des forces de police mises à rude épreuve depuis un an. Il devra prendre ses responsabilités, comme l'a d'ailleurs dit le Premier ministre ce matin.
M. Philippe Bas, président. - Merci de ce rapport d'étape.
Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - Communication
M. Philippe Bas, président. - M. Pillet va faire le point sur la loi contre la corruption.
M. François Pillet. - Cette loi comportait à l'origine 57 articles et il y en a maintenant plus de 170. C'est pourquoi je vous propose d'aguiller différents articles additionnels auprès d'autres commissions. Les compétences de la commission des lois ne seront en aucune manière restreintes et elle devra examiner un peu plus de 50 articles de ce projet de loi.
Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
Enfin, la commission entend M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons à présent M. Jean-Louis Nadal pour une audition élargie aux membres des commissions des affaires économiques et des finances. Je vous prie d'excuser notre retard, qui tient au fait qu'avec M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité chargé du suivi de l'état d'urgence, nous avons été amenés à revenir sur les événements très graves intervenus hier, en marge d'une manifestation publique. Nous avons tenu à rappeler que le Parlement a accepté la prorogation de l'état d'urgence dans un contexte où les forces de sécurité sont fortement sollicitées, non seulement dans le cadre de la prévention de nouvelles agressions terroristes mais aussi de la coupe d'Europe de football et bientôt du Tour de France, et que si manifester sur la voie publique est une liberté républicaine, les débordements auxquels a donné lieu la manifestation d'hier appellent la mise en place, par le Gouvernement, de mesures de prévention : il dispose pour cela des moyens qui lui sont donnés par l'état d'urgence.
Votre institution, monsieur le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, est une jeune institution. Elle a été créée par la loi en 2013. La majorité sénatoriale actuelle n'était pas favorable à ce texte, mais la loi est la loi. Cependant, à la lumière de votre courte expérience, nous avons des questionnements, notamment quant à la procédure. Alors qu'en matière fiscale, le livre des procédures fiscales emporte de nombreuses garanties pour le contribuable, il ne nous semble pas, dans la procédure qui s'applique devant la Haute Autorité, retrouver de telles garanties. Alors que des délais s'appliquent aux parlementaires en matière de déclaration, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit, pour la Haute Autorité, de répondre ou de prendre les recommandations relevant de sa compétence. Nous nous interrogeons également sur vos relations avec l'administration fiscale pour l'évaluation des patrimoines personnels soumis à déclaration : nous constatons souvent des écarts, des difficultés. Dans un certain nombre de cas, les évaluations demandées à l'administration fiscale se sont révélées erronées. Bref, il nous semble qu'il y a là une marge de progression.
M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. - Je suis sensible à l'honneur qui m'est fait de m'exprimer devant vous à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la transparence de la vie économique.
Vous le savez, le Sénat et la Haute Autorité ont bâti, au fil des mois, une réelle relation de confiance, qui tient beaucoup à la personnalité et à l'action du président Gérard Larcher en faveur de la transparence, que je tiens à saluer. Le contact est constant, le dialogue vrai et sans ambages, et c'est indispensable quand on sait les réserves fortes qu'ont suscitées les lois qui nous ont créés. Je n'ignore ni les interrogations ni les interpellations encore moins les oppositions.
Il appartient, à la Haute Autorité, de mettre en oeuvre avec responsabilité les orientations votées par le Parlement en octobre 2013 pour que, reprenant le mot du professeur Guy Carcassonne, l'on ne passe pas du « secret maladif » à la « transparence névrotique ». C'est ce que nous nous employions à faire en conservant le même esprit républicain que celui qui nous anime depuis maintenant plus de deux ans et demi.
Vous avez souhaité, monsieur le président, qu'à l'occasion de cette audition, je dresse un bilan de l'activité de la Haute Autorité depuis sa création, au début de l'année 2014. Ce ne sera pas la première fois que je rends compte et c'est bien normal ! Je l'ai déjà fait, par exemple à l'automne dernier, devant la commission d'enquête présidée par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et dont le rapporteur était M. Jacques Mézard, que je salue. J'ai d'ailleurs regardé attentivement l'audition par votre commission des lois de notre nouveau membre du collège, M. Bardet, et je crois deviner certains questionnements... Je ferai donc une présentation sans détour de l'activité de la Haute Autorité, pour mettre en lumière tant notre bilan que les difficultés que nous avons rencontrés et les défis à venir.
Le premier enjeu auquel nous avons été confrontés a résidé dans les conditions de création de la Haute Autorité. Pour le dire de manière lapidaire, la gestation a été courte et la naissance brutale. Il pourra sembler un peu boutiquier de débuter par des chiffres, mais à quoi bon la majesté de la loi si sa mise en oeuvre n'est que médiocrité ? Je sais que votre assemblée fut pionnière sur la question de l'évaluation de l'application des lois, et c'est nécessaire !
Il s'est écoulé huit mois entre l'affaire Cahuzac et ma nomination le 20 décembre 2013. Or rien n'était prêt. Nous n'avions pas d'accès à internet, pas de standard téléphonique, pas de fonctionnaires qualifiés pour prendre en compte rapidement ces nouvelles lois. Je regrette l'impéritie du Gouvernement en la matière. Lorsque je vois qu'on veut encore créer de nouveaux services...
Comme vous le savez, la loi avait prévu des dispositions transitoires... aberrantes ! Car nous devions recevoir près de 5 000 déclarations au 1er février 2014, dont celles des parlementaires, plus de 6 000 au 1er juin, dont celles des élus locaux, et plus de 4 000 au 1er octobre 2014, notamment des plus hauts fonctionnaires. Deux chiffres suffiront à illustrer ce brutal accroissement de l'activité : alors qu'en 2013, la commission pour la transparence financière de la vie politique recevait 934 déclarations, la Haute Autorité a reçu, en 2014, 17 853 déclarations.
J'évoque ici le sujet des déclarations, car je sais qu'il retient votre attention vous qui avez dû, en 2014, en refaire plusieurs par l'effet de ces dispositions légales. Mais nous avions, dans le même temps, à construire les autres métiers de la Haute Autorité. Autant de métiers nouveaux, depuis l'analyse et les avis en matière de prévention des conflits d'intérêts jusqu'au contrôle du pantouflage des membres du Gouvernement en passant par le contrôle de la procédure de contrôle fiscal des ministres. Nous n'avons donc pas ménagé nos efforts depuis la création de la Haute Autorité et les chiffres que je mentionnais expliquent certaines des difficultés que je détaillerai tout à l'heure.
Nous sommes encore « sous maquettés », pour employer un jargon budgétaire. Je sais bien que les temps sont durs, et croyez que nous gérons les crédits avec rigueur - M. Jacques Mézard a fait des comparaisons éloquentes en ce domaine. Mais enfin, si l'on veut aller plus vite, accélérer les procédures - alors que le Parlement nous octroie des déclarants nouveaux, comme avec la loi sur la déontologie des fonctionnaires d'avril 2016 -, il faut mettre des effectifs. Quand on compare nos ressources avec celle d'autres autorités indépendantes, on doit bien s'interroger pour savoir où sont les priorités et la recherche d'efficacité...
Le deuxième enjeu a été de démontrer notre indépendance. Le législateur nous y a aidés puisque les fonctions de membre de la Haute Autorité sont entourées de nombreuses dispositions qui visent à prévenir les conflits d'intérêts. Elles constituent maintenant des standards qu'une proposition de loi sénatoriale essaie d'ailleurs de déployer sur l'ensemble des autorités administratives indépendantes.
Premièrement, les fonctions de membre ne sont pas renouvelables, ce qui est nécessaire. Deuxièmement, l'organe décisionnel de la Haute Autorité, lorsqu'il s'agit de transmettre un dossier au Procureur de la République par exemple, est une instance collégiale. Et c'est bien ainsi, car la délibération collective est gage d'une plus grande objectivité et d'une plus forte impartialité, tout en permettant aux services sous mon autorité d'avoir la réactivité, la constance et le suivi requis pour notre action quotidienne. Troisièmement, une stricte politique de déport a été instaurée, conformément au souhait du législateur. Nous avons élaboré des lignes directrices, de manière à ne pas avoir à connaître des dossiers des personnes relevant d'une institution que nous avions fréquentée ou que nous pourrions connaître personnellement. Dans mon cas, la liste est longue, monsieur le président car, vous le savez, j'ai connu par exemple certains d'entre vous dans le cadre d'autres fonctions. En cas de déport, nous n'avons pas accès au dossier concerné et nous quittons la salle de réunion au moment où il est évoqué.
J'observe enfin que des débats sont en cours sur la question de la publicité de certaines déclarations des membres des autorités administratives indépendantes. Je me suis déjà exprimé sur cette question. Je sais que le Parlement est en discussion avec le Gouvernement et certains de ses conseils...
On doit pourvoir contrôler les contrôleurs c'est un principe républicain à toujours suivre. Cela me conduit à évoquer la question du pantouflage qui a pris un tour particulier ces dernières années. Je l'ai dit aussi, même si objectivement cela ne concerne pas la Haute Autorité au regard de ce qui est son champ de compétence, il est souhaitable de renforcer substantiellement les règles qui entourent la question du contrôle du pantouflage. Je sais que le Sénat sera exigeant sur ce sujet.
Pour revenir à l'exercice des compétences que la loi nous a confiées depuis un peu plus de deux ans et demi, nous avons eu à créer nos procédures pour trois grands métiers : le contrôle des déclarations, la prévention des conflits d'intérêts et le contrôle du pantouflage pour les anciens ministres et les anciens élus locaux.
J'ai très tôt pris la décision de ne pas déléguer aux rapporteurs la gestion complète des dossiers qui leur étaient confiés, contrairement à ce qui est pratiqué dans d'autres autorités administratives indépendantes dont certaines exercent d'ailleurs dans un champ voisin du nôtre. Cette importation d'un modèle néo-juridictionnel ne m'est pas paru le bon, car nous sommes une institution administrative et non juridictionnelle. Le principe hiérarchique s'y applique donc sur l'ensemble de l'instruction. En effet, contrôler des déclarations nécessite que l'ensemble des déclarants soient placés sur un strict pied d'égalité et c'est donc moi qui signe tous les courriers de demande de précisions, comme vous le savez. Ceci permet de s'assurer que, dans une même situation, nous posons les mêmes questions. Il en va de même pour les délibérations que prend le collège : nous nous appuyons sur les délibérations passées pour assurer la cohérence de notre doctrine administrative et un traitement égal de l'ensemble des déclarants.
Cette méthode nous a permis de publier les déclarations des membres du Gouvernement en juin 2014, les déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires en juillet 2014, d'adresser les déclarations de situation patrimoniale des députés et des sénateurs de la série 1 en préfecture en juillet 2015, tandis que nous nous apprêtons à publier celles des adjoints au maire et des conseillers départementaux. J'observe qu'aucun contentieux n'est venu à ce jour annuler ou invalider notre travail.
Au total, notre objectif principal a été de trouver le juste positionnement dans l'exercice de nos missions. Avons-nous tout réussi ? Certaines pratiques sont-elles perfectibles ? Assurément et je m'en suis ouvert au président Pillet la semaine dernière. Je vous l'ai dit, beaucoup de nos difficultés proviennent d'un démarrage chaotique du fait de l'entrée en vigueur des lois nouvelles et de moyens insuffisants. Il y faut un peu de temps.
Certains voient en nous une institution administrative attisant le soupçon à l'encontre des élus. Tel n'est pas le cas. Nous concevons notre mission de manière diamétralement opposée. Plus encore, le bilan de notre activité tend à prouver le contraire. Je vais vous donner deux exemples. Premièrement, nous avons adressé, en juillet 2015, les déclarations de situation patrimoniale de l'ensemble des députés et des sénateurs de la série 1 en préfecture. Vous savez que les électeurs peuvent les y consulter. Nous avons reçu, en tout et pour tout, deux signalements portant sur ces déclarations, dont l'un a été classé, l'autre étant en cours d'analyse. Nous sommes loin du soupçon généralisé que d'aucuns redoutaient. Deuxièmement, une large part de notre activité - dont il est vrai qu'elle est secrète, comme la loi l'a voulu -, consiste à conseiller les responsables publics qui se posent des questions de nature déontologique : puis-je accepter une activité de conseil en parallèle de mon mandat municipal ? Quelles participations financières puis-je conserver en gestion directe quand je prends la tête d'une grande entreprise publique ? À quelles conditions puis-je préparer ma reconversion dans le secteur privé quand je suis membre d'un cabinet ministériel ou directeur général ? - même si c'est, in fine, la commission de déontologie qui est compétente.
Notre travail est de délivrer des avis confidentiels aux personnes qui les sollicitent, de manière à leur apporter une expertise en matière déontologique. Cela consiste à les avertir sur les risques pénaux encourus, mais aussi à les conseiller pour éviter qu'elles ne se trouvent en situation de conflit d'intérêt. C'est une mission que nous partageons, pour les sénateurs, avec le comité de déontologie parlementaire du Sénat, présidé par M. Pillet, et je sais que nous partageons cette philosophie d'action fondée sur le conseil de proximité.
Qu'est-ce qui nourrit le soupçon à l'égard des responsables publics ? C'est une infime minorité qui jette le discrédit sur le grand nombre. En deux ans, nous avons transmis quinze dossiers à la justice, principalement pour des actifs à l'étranger non déclarés. Il revient à l'autorité judiciaire de déterminer l'origine de ces fonds et de qualifier pénalement les comportements sous-jacents, quand ils existent. Deux dossiers ont déjà été audiencés et se sont traduits par deux condamnations, portant sur des membres du Gouvernement ou du Parlement qui ont voté des lois sur la matière fiscale ou même sur le délit de déclaration mensongère de patrimoine et qui, à titre personnel, se sont exonérés de toutes responsabilités.
Ce qui, pour moi, nourrit également le soupçon à l'égard des responsables publics, c'est que notre justice ne soit pas en mesure de mener des procédures pour mettre fin rapidement aux comportements anormaux qui peuvent être ceux, par exemple, des membres des cabinets ou des grandes administrations avec de grandes entreprises françaises ou étrangères. C'est que les magistrats se montrent parfois peu enclins à prononcer des peines d'inéligibilités que le législateur a prévues dans des cas où les faits d'atteinte à la probité publique sont pourtant gravement avérés ainsi que toutes les démocraties qui nous environnent le pratiquent. Voilà à mon sens d'où nait la défiance dont pâtissent nos institutions et dont souffrent ceux qui exercent leurs fonctions, élus comme fonctionnaires ou magistrats au service de la République en y consacrant leurs soirées et leurs jours fériés, c'est-à-dire l'immense majorité des élus.
La défiance provient des lois qui ne sont qu'effets d'annonce et du sentiment que certains se penseraient être au-dessus des lois. À mon âge, on est à la fois libre de sa parole - pour avoir déjà beaucoup donné et reçu dans ma vie professionnelle, je n'attends plus rien - mais on est aussi impatient, car le temps passe, de voir les questions posées véritablement et les réponses apportées concrètement. J'espère que le projet de loi que vous examinerez en séance dans quelques semaines permettra d'avancer sur ces questions.
Je reviens à mon sujet pour affronter les critiques qui sont parfois énoncées. Ces premières années n'ont pas été sans difficultés. Je pense que nous avons fait au mieux compte tenu des moyens mis à notre disposition mais je souhaite évoquer ouvertement devant vous, comme vous m'y avez invité, monsieur le président, ce qui a pu constituer des sources de tension, mais aussi de progrès.
La plupart des critiques qui nous sont adressées portent sur les déclarations de patrimoine, qui existent, au demeurant, depuis 1988 ! La déclaration est un outil essentiel, même si je sais que ce n'est pas un exercice particulièrement agréable, pour m'y être plié moi-même comme l'ensemble des membres du collège de la Haute Autorité. Ce qui a changé fondamentalement, c'est que la loi a prévu que ces éléments sont désormais contrôlés et, en certains cas, mis à la disposition du public, après en avoir retiré les adresses, les numéros de téléphone, le nom du conjoint, etc. Sur ces points, on n'a d'ailleurs pas relevé de difficultés alors que cela nécessite un travail de fourmi des agents !
Quelles sont alors les difficultés que l'on peut pointer ? J'en vois cinq.
En premier lieu, la Haute Autorité n'a pas besoin de recevoir une déclaration tous les deux mois. C'est pourquoi nous avons proposé, dans notre rapport d'activité, que le délai de dispense entre deux déclarations, soit porté de six mois à un an. Cela réduit la paperasse pour les déclarants et me permet d'allouer nos maigres moyens à des tâches plus essentielles.
Deuxième sujet de préoccupation majeur pour la Haute Autorité, l'impossibilité de respecter, jusqu'à présent, les délais de publication fixés par la loi. Pour rappel, la loi donne deux mois aux déclarants pour déposer leurs déclarations, puis un mois à la direction générale des finances publiques pour qu'elle nous livre son avis et enfin trois mois pour que nous les rendions publiques après les avoir contrôlées. Ceci signifie que notre analyse doit être comprise dans un délai de trois mois. Ce calendrier ne permet à l'évidence pas de contrôler efficacement les éléments déclarés. En effet, quand nous sollicitons un solde de compte bancaire auprès d'une banque, le délai de réponse moyen est de deux mois. Par ailleurs, nous laissons au minimum trois semaines aux personnes à qui nous posons des questions pour y répondre.
Publier les déclarations dans ce délai reviendrait à publier des déclarations non contrôlées, au détriment des déclarants. Je m'y suis donc refusé. Cela reviendrait également à réduire à peau de chagrin le temps indispensable pour dialoguer et échanger sur les différents points faisant l'objet de notre contrôle, ce qui ne serait ni raisonnable ni admissible. A titre de comparaison, le délai moyen pour mener à bien un contrôle en matière d'impôt de solidarité sur la fortune est d'environ six mois, entre le départ de la première demande et la saisine éventuelle de la commission de conciliation. Ceci ne comprend pas le travail de collecte, en amont, des informations qui servent au contrôle. Au total, la durée moyenne de contrôle avoisine les 12 mois. Vous savez que l'administration peut demander des explications à tout contribuable sur plusieurs années passées. Nous ne sommes pas dans le même exercice, mais la comparaison n'est pas sans intérêt.
Ceci étant rappelé, il n'en demeure pas moins que les délais d'examen sont trop longs. Nous achevons tout juste le contrôle des déclarations des sénateurs qui ont déposé en décembre 2014. Nous avons pâti de notre manque de moyens et de l'afflux de déclarations au cours de l'année 2014.
Nous nous efforçons de concilier deux objectifs pour partie antagonistes : aller plus vite et permettre aux déclarants de répondre et de contester. Après la période d'installation et de rodage de l'institution, nous envisageons de façon plus favorable les échéances de 2017.
Troisième sujet de critique, les évaluations immobilières. Comme vous le savez, la loi confie à la Haute Autorité mission de s'assurer que les déclarations qui lui sont adressées ne comportent pas d'omission « substantielle » ou d'évaluation « mensongère ». Je vous l'indique clairement : nous ne sommes pas chargés d'évaluer les biens immobiliers. Nous ne sommes ni France Domaine, ni l'administration fiscale. Notre seule mission est de nous assurer que le tableau d'ensemble, qui, je le rappelle, est rendu public, est fidèle à la réalité. Pour prendre une métaphore, nous n'attendons pas une nature morte de Chardin, où chaque petit détail devrait être à sa place et figuré avec un réalisme parfait. A partir du moment où chaque élément est à sa place et où les ordres de grandeur sont respectés, cela convient.
Je ne souhaite pas donner aux évaluations immobilières plus d'importance qu'elles n'en ont réellement. Nous n'avons jamais transmis un dossier au Parquet uniquement pour un défaut d'évaluation, même important. Nous demandons le plus souvent une simple rectification, à l'issue du dialogue que nous avons avec le déclarant, si nous tombons d'accord. C'est la procédure de déclaration modificative, qui n'était pas prévue par la loi mais que nous avons initiée et privilégiée pour ajuster à la marge une déclaration à l'issue d'échanges qui demeurent confidentiels. Nous considérons que, sauf bonne raison d'en douter, une évaluation faite par un notaire fait foi. Il en va de même si le déclarant et l'administration fiscale se sont mis d'accord sur une valeur à l'issue d'un récent contrôle : nous l'acceptons systématiquement.
Comme vous le voyez, nous ne cherchons à piéger personne ni à imposer une évaluation. Nous incitons simplement les déclarants à rectifier les évaluations qui sont manifestement incorrectes au regard des prix du marché. Quand on évalue un bien dans le sixième arrondissement de Paris à 4 000 euros le m² sans raison particulière, nous ne pouvons pas rester cois, car que diraient les électeurs, sans parler de la presse ?
Se pose, en quatrième lieu, la question de nos relations avec l'administration fiscale. Nous sommes actuellement dépendant des informations que nous sollicitons auprès d'elle. Je n'ai aucun doute que la direction générale des finances publiques (DGFIP), quand nous demandons le solde d'un compte bancaire, nous le communique de manière exacte et le plus rapidement possible. Nos relations sont excellentes et je salue la façon dont l'administration fiscale, avec le professionnalisme qui la caractérise, répond à nos demandes d'informations. Toutefois, cette manière de procéder n'est pas sans incidence sur l'indépendance de la Haute Autorité. En effet, un regard extérieur pourrait considérer que notre travail dépend du pouvoir exécutif, alors même que nous le menons en toute indépendance.
Nous rencontrons, enfin, des difficultés pour obtenir des informations concernant les biens situés dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie malgré nos démarches répétées. Nous y reviendrons peut-être, car il y va de la bonne application de la loi.
Pour terminer, j'évoquerai les principales évolutions prévisibles après deux années et demi d'existence. Quid de celles du cadre législatif nous concernant ? Une évolution est déjà intervenue, qui concerne l'entrée en vigueur de la loi sur la déontologie et nous fait désormais connaitre de 15 000 déclarants - sans moyen supplémentaire à ce jour... Une autre est à intervenir, puisque le Gouvernement a proposé de nous confier la gestion d'un répertoire des représentants d'intérêts. C'est une proposition que j'avais faite en janvier 2015 en m'inspirant de la pratique mise en oeuvre dans les deux assemblées et notamment au Sénat à l'initiative du président Gérard Larcher. Quelle est la finalité du registre ? La transparence n'est pas une fin en soi. Elle n'a de sens que mise au service d'un autre objectif. Il s'agit ici de permettre au citoyen de voir les conditions d'élaboration de la loi tant au Parlement, ce qu'il peut déjà faire, qu'en amont, lors de la préparation des projets de loi. C'est donc ce que l'on appelle l'empreinte normative des textes qu'il faut restituer, c'est-à-dire l'ensemble des intervenants qui ont participé à son élaboration. Or, en l'état, le texte embrasse des acteurs trop variés.
J'avais suggéré, dans un premier temps, d'envisager un registre spécifique au pouvoir exécutif qui aurait pu, à terme, être fusionné avec le registre des deux assemblées pour créer un registre commun. L'Assemblée nationale a souhaité aller plus rapidement dans cette direction et le projet qui vous a été transmis prévoit un registre commun à l'ensemble des pouvoirs publics, et qui inclurait donc les assemblées parlementaires. Ceci me semble aller dans le bon sens, mais il faut prendre des précautions car il y va du respect de la séparation des pouvoirs.
Je pense que quatre conditions essentielles doivent être respectées si l'on souhaite s'engager dans cette voie. Premier principe, les parlementaires doivent pouvoir continuer à rencontrer librement toute personne, qu'elle soit inscrite ou non au registre. Deuxième principe, l'inscription au registre ne doit emporter aucune obligation à l'égard des assemblées parlementaires, qui doivent rester souveraines dans la délivrance des titres d'accès. Troisième principe, il doit appartenir aux assemblées parlementaires de définir les règles déontologiques applicables en leur sein aux représentants d'intérêts. Enfin, la Haute Autorité ne doit pouvoir sanctionner un lobbyiste pour ses agissements à l'égard d'un parlementaire que sur saisine du président ou du bureau de l'assemblée concernée.
Sous ces quatre réserves, qui me semblent faire du registre commun une simple plateforme technique, une base de données, je pense qu'il s'agit d'une bonne mesure, de nature à simplifier la vie des lobbyistes, qui n'auront plus qu'une inscription à effectuer, et à faciliter la consultation par les citoyens.
Sans entrer dans le détail du dispositif comme je l'ai fait lors d'une audition avec le président Pillet, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité de prévoir des conditions d'entrée en vigueur qui permettent de sensibiliser en amont les différents acteurs et de leur proposer un service de qualité. L'exemple de l'Irlande me semble éclairant : la loi est entrée en vigueur six mois après son adoption et le dispositif de sanction, un an après.
Autre point d'attention : la loi détermine des obligations déontologiques pour les représentants d'intérêts, en s'inspirant notamment de celles prévues par les assemblées parlementaires, qui ont été pionnières en la matière. Ces règles sont beaucoup trop rigides. En effet, le projet de loi dispose qu'elles sont directement fixées par la loi et pourront être précisées par décret du Gouvernement. Souhaite-t-on réellement modifier la loi à chaque fois que des adaptations seront nécessaires ? En la matière, l'expérience des assemblées est précieuse. Or, je crois que l'on compte au moins trois modifications en quelques années des codes de déontologie parlementaire applicables aux représentants d'intérêts. Heureusement qu'ils peuvent être modifiés par simple arrêté du Bureau !
Je crois que c'est le bon sens : il faut fixer quelques grands principes dans la loi - par exemple, la loyauté de l'information transmise - et renvoyer leur application à des lignes directrices de la Haute Autorité qui pourront s'adapter à la réalité du lobbying, au besoin en étant assisté de professionnels des secteurs économiques concernés. Le défi sera d'autant plus important que nous devrons réaliser cette incorporation en 2017, alors que de nombreuses échéances se présenteront qui vont probablement faire entrer et sortir du mécanisme des centaines de déclarants...
Je terminerai mon propos en évoquant un défi plus général, mais qui donne son sens au projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis, celui de la lutte contre la corruption. Une politique de lutte contre la corruption suppose une volonté affirmée. Or, c'est toujours en réaction aux affaires qu'elle a été envisagée et que notre droit a progressé. Une politique de lutte contre la corruption implique aussi une coordination nationale. Elle n'existe pas depuis que le Conseil constitutionnel a censuré les pouvoirs d'enquête du service central de prévention de la corruption, en 1993. Une politique de lutte contre la corruption nécessite enfin des institutions puissantes. Elles sont aujourd'hui éparpillées entre la Justice - et notamment le parquet national financier qui n'a pas les moyens des ambitions qu'on a placées en lui - et les chambres régionales des comptes. Ces lacunes expliquent que notre pays ne tienne pas la place qui devrait être la sienne dans les classements internationaux.
La création d'une agence chargée de la lutte contre la corruption est-elle de nature à résoudre ces difficultés ? Je veux bien le croire. Je l'espère même. Mais pourquoi, là encore, scinder les compétences et multiplier les acteurs alors que les procédures commencent à se mettre en place ?
La transparence n'est pas un effet de mode. C'est un mouvement de fond qui traverse l'ensemble des démocraties. C'est une notion que l'on trouve partout : transparence de la chaine du médicament, transparence de la rémunération des dirigeants d'entreprise, transparence des négociations commerciales internationales. Pierre Rosanvallon a théorisé ces évolutions et montré que bien comprise, bien cadrée, cette notion peut participer à la relégitimation de la démocratie représentative. C'est ma conviction et le sens de mon action.
M. Philippe Bas, président. - je vous remercie de la précision de votre exposé, de votre force de conviction et de la qualité de votre argumentation. Vous vous êtes exprimé avec courage, car vous n'ignorez pas que certains d'entre nous se sentent injustement visés par des obligations qui ne résultent pas d'une réelle exposition à un risque mais d'un désir de transparence qui tend à oublier que celle-ci, loin d'être une fin en soi, ce qui en ferait un pur objet de curiosité publique, doit ne rester qu'un moyen de lutte contre la corruption. Or, en matière de corruption, il faut être attentif à localiser les risques. Qu'est-ce que la corruption sinon la rencontre d'un « acheteur » et d'un « vendeur » ? Une rencontre qui s'opère le plus souvent dans la sphère privée et qui ne concerne la sphère publique que pour autant que des marchés publics y sont conclus : c'est donc avant tout aux instances exécutives qu'il faut s'intéresser - Gouvernement, hauts fonctionnaires, exécutifs locaux. Les parlementaires qui, ainsi que vous l'avez souligné, sont honnêtes, ne passent pas de marchés publics ; ils n'ont rien à « vendre ». J'ajoute que la collégialité, dont vous avez dit tous les avantages que la Haute Autorité en retire - indépendance, prévention contre la tentation de céder à des influences extérieures -, est au fondement de la délibération parlementaire. Au Sénat, il faut la voix de 175 sénateurs pour faire une majorité. Pour qui voudrait nous corrompre et acheter notre voix, cela fait beaucoup de monde...
Nous sommes néanmoins sensibles au contexte politique et c'est pourquoi nous nous soumettons à des obligations que l'on n'impose à nul autre citoyen. Nous sommes les seuls dont le revenu d'activité est public, dans les moindres détails ; nous acceptons de rendre publics les revenus qui ont été les nôtres durant les cinq années précédant le début de notre mandat de nouveau parlementaire ; nous rendons également public notre patrimoine. Nous comprenons que c'est la condition permettant de vérifier qu'il n'y a pas enrichissement durant le mandat - même si l'hypothèse est absurde, compte tenu de la nature de nos fonctions de parlementaires et de la manière collégiale dont elles sont exercées, comme je viens de le montrer. Et ce n'est pas une, mais une multitude de déclarations de situation patrimoniale qu'il nous faut livrer, surtout lorsque nous sommes élus locaux. J'ai moi-même dû en rendre une en 2011, au moment de mon élection au Sénat, une autre en 2014, à la création de la Haute Autorité, une autre à la fin de mon mandat de vice-président de conseil général, puis une autre, un mois plus tard, à l'orée de mon mandat de président de conseil départemental... J'ai d'ailleurs eu un petit retard dans la dernière, dont je reconnais que la Haute Autorité m'a excusé sans faire d'histoires. Je vous en sais gré, car j'avoue n'avoir pas mesuré que les trois précédentes ne suffisaient pas.
Vous avez rappelé à juste titre que seule une minorité entache la réputation d'honnêteté des parlementaires. J'irais plus loin encore, car les chiffres que vous avez cités montrent que ce n'est pas même une minorité, mais quelques individualités. Et si nous sommes reconnaissants à votre institution d'avoir fait la preuve de l'honnêteté des parlementaires, il me vient tout de même l'envie d'ajouter : « tout ça pour ça ! ».
M. François Pillet. - La Haute Autorité est une institution jeune et l'énergie de vos propos ne permet pas d'en douter. Comme rapporteur pour la commission des lois et comme président du comité de déontologie du Sénat, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de vous rencontrer et j'ai toujours apprécié la qualité et la franchise de nos échanges.
Vos propos m'ont paru très constructifs. Il y a certainement des progrès à faire, et votre constat rejoint le nôtre, ce qui nous aidera à trouver des solutions. Il semble en effet qu'il reste une marge de progression dans l'examen des déclarations de situation patrimoniale. Il est vrai que le législateur, lorsqu'il a créé la Haute Autorité, ne s'est pas embarrassé à définir des procédures et que s'il en existe désormais une amorce dans votre règlement, nous le devons à la culture d'indépendance et de respect des libertés publiques, qui est la marque de votre parcours, et que je salue. Mais je pense que nous pouvons faire mieux encore. Ce n'est qu'en se libérant de l'emprise de l'administration fiscale sur l'information qui lui est délivrée et en se dotant d'un corpus de règles procédurale que votre Haute Autorité renforcera son indépendance. Le livre des procédures fiscales organise excellemment les relations entre le contribuable et l'administration fiscale. Il prévoit des délais, il prévoit des échanges. Dans la procédure d'évaluation, tout est d'abord dialogue. On y a même introduit la possibilité du rescrit, qui évite toute inquiétude ultérieure. Dans la phase contentieuse, des droits sont aussi reconnus au contribuable ; ainsi, la demande d'expertise de l'évaluation d'un bien est de droit. À mon sens, la procédure devant la Haute Autorité étant de nature particulière, il pourrait être justifié qu'elle fût d'ordre législatif, étant entendu que sa rédaction devrait être précédée d'un dialogue entre nous. Car manque encore la garantie écrite de cette procédure qui veut qu'un débat puisse s'instaurer entre la Haute Autorité et le déclarant. Une garantie qui vous mettrait de surcroît à l'abri. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce point.
J'ai écouté avec intérêt vos propos sur la plate-forme technique relative aux groupes d'intérêt. Le Sénat devrait vous proposer un texte modifié de nature à vous satisfaire.
M. Jacques Mézard. - Je partage globalement vos conclusions. Vous n'êtes pas l'auteur mais l'exécuteur de la loi sur la transparence de la vie publique, une loi que mon groupe n'a pas votée, une loi de « repentance pour autrui » venue d'un exécutif pris de panique à la suite de l'affaire Cahuzac, et qui visait à attirer l'oeil des médias sur les élus nationaux et locaux.
Il est vrai que les citoyens veulent savoir ce qu'il en est du fonctionnement de nos assemblées, nationales ou locales, mais le problème de la corruption ne vient pas de là, vous l'avez dit. Si l'on a créé tant d'agences, c'est parce que les services de l'État, à commencer par les services fiscaux et la Justice n'ont pas rempli correctement leur mission. J'invite mes collègues à lire votre excellent rapport, dont l'avant-propos se conclut en rappelant que de rares arbres malades ne sauraient cacher la magnifique forêt qui fait la richesse de notre pays. Vous auriez fait un excellent politique ! Hélas, les médias ne s'intéressent qu'aux arbres malades - sauf à ceux qui croissent en leur sein.
« La femme de César ne doit pas être soupçonnée » : la Haute Autorité doit être un modèle de transparence. D'où un certain nombre des propositions de notre commission d'enquête. En bon politique, vous prenez exemple, dans votre rapport, sur ce qui ne fonctionne pas chez vous. Vous faites même l'aveu, page 74, que vous ne respectez pas la loi. C'est ce que l'on appelle de l'action préventive ! Il est bon pour tous, en effet, que vous soyez totalement irréprochable et, par conséquent, que vous respectiez les délais. Une absence de réponse qui dure des années n'est pas admissible. On ne peut pas passer tout un mandat à attendre l'issue du contrôle de la Haute Autorité. Pas plus que l'on ne peut, à l'issue d'un mandat, attendre des années le feu vert qui nous permettra de continuer, tout bonnement, à vivre. Si vous n'avez pas les moyens de tenir ces délais, faites-le donc savoir à l'exécutif, en vous mettant en grève !
Votre action doit s'exercer de la même manière sur l'ensemble du territoire - il est inacceptable que tel ne soit pas le cas - et à l'égard de toutes les personnes contrôlées. Or, ainsi que vous le relevez, un nombre considérable de membres de collèges d'autorités indépendantes ne déposent pas leur déclaration. Si un parlementaire en usait ainsi, il y aurait transmission au Parquet. Il n'est au reste pas normal que vous ayez eu à faire vous-même, en l'absence d'encadrement législatif, votre jurisprudence sur ce qu'il convient de classer parmi les autorités indépendantes. Nos échanges en la matière ont heureusement porté leurs fruits, et il est bon qu'ils se poursuivent.
M. Pierre-Yves Collombat. - La transparence est un mot-valise sous lequel on range aussi bien l'expérimentation et la mise sur le marché du médicament que les déclarations de situation patrimoniale des parlementaires. Quoi de commun là-dedans ? Pour moi, la création d'autorités indépendantes est bien souvent une manière d'éviter de traiter le problème au fond. Et cela vaut pour la Haute Autorité. Alors que la première exigence serait de s'assurer que les agents de contrôle font leur travail, on vous charge, en lieu et place, de pallier leurs dysfonctionnements, et cela dans des conditions qui en font un exploit impossible. Sans parler de la manière dont l'administration fiscale fait parfois usage des informations qu'elle collecte à votre intention, ainsi que vous le soulignez à la page 77 de votre rapport.
Deuxième remarque : plus que l'accumulation de tracasseries qui, il est vrai, a de quoi hérisser, c'est l'humiliation qui me heurte. Il est pour moi humiliant de devoir répondre à toute une série de questions au motif que je suis parlementaire. Loin de lutter ainsi contre l'antiparlementarisme et la défiance envers la parole et l'action publique, on les alimente. Là est le fond du débat. Il doit pourtant y avoir moyen de neutraliser la vingtaine de personnes qui ne font pas ce qu'elles devraient !
M. Alain Vasselle. - Comme rapporteur du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, j'avais déposé un amendement, voté par le Sénat mais que la commission mixte paritaire n'a pas retenu, afin de réunir la Haute Autorité et la commission de déontologie de la fonction publique. Mon expérience comme rapporteur général de la commission des affaires sociales me l'avait inspiré : nous avions à l'époque rassemblé autour de la Haute Autorité de santé un certain nombre d'instances dont il nous semblait naturel qu'elles travaillent de concert.
En l'espèce, sur la question du pantouflage, la compétence est partagée entre la Haute Autorité et la commission de déontologie. Cette réunion aurait été de nature à remédier au manque de moyens qui vous handicape. J'aimerais connaître votre sentiment sur le sujet. J'ai cru comprendre que vous n'y étiez pas hostile : peut-être ai-je eu raison trop tôt ?
Une question pratique : vous avez indiqué faire foi aux évaluations de patrimoine réalisées par les notaires. Quid de celles que réalisent les agences immobilières, qui vivent le marché au quotidien ?
M. Henri Cabanel. - Je vous remercie de la franchise de votre exposé et salue le bilan plus que positif des deux premières années d'existence de la Haute Autorité, qui a su faire oeuvre de pédagogie et d'accompagnement des responsables publics sur les questions déontologiques. Ce rôle est apprécié des élus locaux, en particulier dans la prévention des situations de conflit d'intérêts.
Ma question porte sur le lobbying. Le projet de loi dit Sapin 2 prévoit la création d'un répertoire de représentants d'intérêts dont la gestion vous serait confiée. C'est une mesure de bon sens, que vous proposiez dans votre rapport de janvier 2015 au Président de la République, Renouer la confiance publique. Je salue cette avancée majeure pour la démocratie dans notre pays, et qui permettra à la France de rattraper son retard.
Cependant, le texte qui ressort de l'Assemblée nationale ne va pas aussi loin que ce que vous préconisiez dans votre proposition n° 11, qui tendait à faire apparaître l'empreinte normative de la loi, en rendant publique, au moment de l'entrée en vigueur de la norme, la liste des personnes entendues, des auditions et réunions organisées, des consultations menées... L'idée va dans le sens d'une meilleure traçabilité de la norme et de l'information du citoyen, ainsi que vous le faites valoir. Mais est-ce réellement faisable ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. Alain Anziani. - On adresse à la Haute Autorité des observations que nous ferions mieux de nous adresser à nous-mêmes. On lui reproche certaines procédures, certaines obligations, comme celle de refaire des déclarations en cas de changement de mandat ? Mais c'est nous qui l'avons décidé ! Et c'est de la provocation que d'appeler la Haute Autorité à se mettre en grève. Aux parlementaires d'assumer leurs responsabilités. Si nous considérons que la Haute Autorité ne dispose pas de suffisamment de moyens, à nous de poser franchement la question au Gouvernement.
Nous avons pris nos responsabilités, en adoptant la loi, après de larges débats. Avons-nous eu raison ? Pour moi, cela ne fait pas de doute. Il n'y a pas lieu de dénoncer un lien superficiel entre l'affaire Cahuzac et les lois sur la déontologie : jamais, dans ce pays, la déontologie, l'éthique n'ont avancé sans scandale. À commencer par celui qui a éclaboussé la présidence de Jules Grévy : il a donné naissance à la première loi sur les conflits d'intérêts. Les scandales vont de pair avec l'avancée de la déontologie, c'est ainsi, et c'est bien leur seule vertu.
Nous avions beaucoup de retard sur les autres pays. Dans la plupart des grandes démocraties occidentales, la transparence est de règle. J'ai souvenir d'un sénateur américain qui disait : « ne faites jamais une chose que vous ne voudriez pas voir publier à la une de la presse ». C'est pour moi une règle tout à fait acceptable. La transparence américaine a beaucoup d'inconvénients ? Sans doute, cependant, elle a cette vertu de révéler les scandales. Mais c'est la presse qui s'en charge ; tandis que grâce à notre dispositif législatif, nous nous en chargeons nous-mêmes.
Oui, nous avons eu raison de voter cette loi, et son bilan en témoigne. Que n'entendions-nous pas, il y a deux ans ! On nous prédisait l'apocalypse, la fin de la vie privée. Et aujourd'hui encore ! Je veux bien que l'on s'offusque de « tracasseries », car il n'est jamais agréable d'avoir à remplir de telles déclarations, mais de là à parler d'humiliation ! Quand on est dépositaire de l'argent public, il est normal de rendre des comptes. Il ne s'agit de rien d'autre que de faire, en France, ce qui se fait déjà ailleurs depuis des années. Je me réjouis de cette loi. Voyez ce qu'il s'est passé avec les déclarations de situation patrimoniale des ministres : les consultations ont explosé sur les sites durant un mois ou deux, puis cette curiosité éphémère s'est éteinte. Ce dont il faut se réjouir, c'est que l'on n'ait pas vu de scandale, de détournement, d'enquête publique. Bref, les choses se passent bien, dans la sobriété.
M. Philippe Bas, président. - Dire que jamais l'éthique n'a progressé sans scandale est excessif. Cela revient à dire que l'honnêteté ne peut progresser sans la malhonnêteté.
M. Alain Anziani. - Regardez l'histoire ! La coïncidence est parfaite.
M. Philippe Bas, président. - Dire qu'un certain nombre de lois ont été votées à la suite de scandales est une chose, mais dire que l'éthique a besoin de scandale pour progresser en est une autre.
Je donne à présent la parole au président Nadal.
M. Jean-Louis Nadal. - Je retire de vos observations que la Haute Autorité fait son chemin. Le président Bas a touché du doigt un point important : le cancer, c'est la corruption. Mais il m'a semblé que son propos visait avant tout l'agence prévue dans le projet de loi pour la transparence de la vie économique, dont j'ai tout à l'heure dit un mot.
Je crois que la Haute Autorité, au travers de sa fonction de contrôle et de conseil à l'égard des décideurs publics, ouvre des pistes déontologiques. Ce travail est respecté, écouté, sollicité. La Haute Autorité est un bouclier protecteur. Nous sommes là pour vous éviter de vous exposer. Je peux comprendre que l'on veuille mettre de l'ordre dans la décision publique touchant aux grandes entreprises multinationales, mais j'observe que les décideurs publics, dans les grandes affaires, sont exposés à se laisser prendre dans l'imbroglio et c'est pourquoi je revendique, si agence de lutte contre la corruption il y a, la compétence de la Haute Autorité sur le contrôle et le conseil à leur égard. En République, le principe de l'égalité de tous devant la loi doit prévaloir. Or, alors que la personne morale est largement protégée - j'observe que la convention judiciaire d'intérêt public prévue par la loi Sapin 2 se traduira en une simple ordonnance : pas de peine, pas de sanction, pas d'inscription au casier judiciaire - il n'en va pas de même de la personne physique : un décideur public, le responsable des services juridiques de cette même personne morale, par exemple, peut être traduit devant un tribunal. C'est pourquoi je revendique la fonction de conseil déontologique de la Haute Autorité. Sans citer de noms, je puis vous dire que la liste est longue des personnalités en charge d'importantes responsabilités qui sont venues d'elles-mêmes exposer leur situation, et que nous avons aidées à faire le ménage dans leurs divers intérêts. Cette fonction de conseil est salutaire et protectrice.
J'en viens à la question des délais. S'ils n'ont pas été respectés - et je le revendique - c'est parce que j'ai préféré faire en sorte que le dialogue s'instaure entre le déclarant et la Haute Autorité. Nous portons sur tous ceux qui sont assujettis à déclaration un regard humain. Pour les déclarations relatives à un bien, par exemple, nous nous référons, via la DGFIP, à la base Patrim : lorsque la sous-évaluation ne dépasse pas 25 %, nous classons ; si, en revanche, elle est supérieure à 25 %, pour plus de 100 000 euros, nous entamons alors un dialogue avec le déclarant - seul à connaître toutes les caractéristiques de son bien. Au terme de quoi nous tombons presque toujours d'accord. Si tel n'est pas le cas, et qu'à l'issue de la discussion, la distorsion reste significative, nous procédons à une appréciation. Quant à entrer dans la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale, nous ne sommes allés jusque-là, à ce jour, que pour des comptes non déclarés à l'étranger, concernant une quinzaine de personnes. C'est de fait un sujet sur lequel l'émotion suscitée par l'affaire Cahuzac nous appelle à une vigilance sans faille.
Je ne qualifierai pas cette procédure de dialogue de « contradictoire », car nous ne sommes pas une juridiction. Nous ne prononçons pas de peine. Si la procédure est écrite, car le collège doit disposer, in fine, de tous les éléments d'appréciation, nous n'en fonctionnons pas moins par le dialogue - un dialogue qui s'engage à la demande du déclarant ou du rapporteur - pour aboutir à une solution d'apaisement.
M. Jacques Mézard, lorsqu'il souligne que notre action doit s'exercer sur l'ensemble du territoire, vise le problème des collectivités d'outre-mer. Ce problème est réel, et il importe que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, s'en préoccupe. Car le principe d'égalité doit être respecté. Ces collectivités, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, sont fiscalement autonomes. Ce sont les autorités fiscales locales qui doivent compléter l'information déjà limitée que nous délivre la DGFIP, ce qui pose des difficultés : les droits de propriété sont souvent moins bien définis ; les successions ne sont pas toujours réglées ; les revenus, le patrimoine, les bénéfices de sociétés ne font pas toujours l'objet d'une forme d'imposition, si bien que l'administration fiscale locale ne connaît pas toujours les comptes bancaires et les propriétés foncières localisées dans la collectivité ; les prérogatives et les moyens dévolus à l'administration fiscale sont généralement réduits, sans compter que ces services sont placés sous l'autorité de l'exécutif de la collectivité territoriale, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'indépendance - auxquels se heurte, au demeurant, la DGFIP, dans la lutte contre la fraude fiscale.
Cela dit, mes services n'ont pas ménagé leurs efforts et à force de rappels, de relances, ont obtenu des retours. Un ancien élu local vient ainsi de faire l'objet d'une lourde saisine devant le tribunal correctionnel. Mais c'est à un vrai travail de fourmi qu'il nous faut nous livrer.
J'en arrive au contrôle des membres des collèges d'autorités administratives indépendantes. Grâce à la commission d'enquête sénatoriale, une liste de ces autorités est désormais arrêtée. Nous savons clairement qui doit déclarer. Beaucoup d'assujettis ne voulaient pas se soumettre à déclaration, et certains se sont même évaporés. Il nous a fallu aller à la pêche, et mettre de l'ordre. En septembre 2015, nous avions un taux de déclaration de 80 %. La Haute Autorité a mené une campagne de contrôles ciblés : elle a engagé 75 relances à ceux qui ne s'étaient pas manifestés, assorties d'un délai de réponse sous huit jours ; 29 injonctions ont été faites à ceux qui n'avaient pas répondu, avec un délai d'un mois pour y déférer. À ce jour, huit transmissions ont été faites au Procureur de la République, concernant des personnes n'ayant pas déféré à l'injonction. Hormis ces transmissions ainsi que les abandons ou démissions, les obligations déclaratives, auxquelles sont aujourd'hui soumises 638 personnes au sein des autorités administratives indépendantes, sont toutes réputées satisfaites pour celles dont le délai de transmission a expiré.
M. Alain Vasselle m'interroge sur le pantouflage. Depuis 1995, la commission de déontologie gère le départ vers le secteur privé des agents publics. La Haute Autorité s'est vu confier ce contrôle, en 2013, pour les ministres et les présidents d'exécutifs locaux. Plusieurs anciens ministres l'ont déjà saisie. Parmi les élus locaux, la règle est encore mal connue, mais la Haute Autorité a pris avec eux des contacts en 2015. La loi du 21 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a renforcé les pouvoirs de la commission de déontologie mais également clarifié les compétences respectives de la commission et de la Haute Autorité. C'est à la Haute Autorité qu'il revient de traiter de la situation d'un ancien maire ou d'un ancien ministre qui est aussi agent public. Plusieurs cas ont soulevé quelque émotion - mais je ne citerai pas de noms. Un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale pour confier à la Haute Autorité le contrôle du pantouflage des hauts fonctionnaires exerçant un emploi à la décision du Gouvernement et des collaborateurs ministériels. Il n'a pas été adopté. Je ne suis pas thuriféraire des fusions-absorptions, mais quand on parle de simplification, mieux vaut éviter de se disperser et savoir clairement qui fait quoi. Or, ces hauts fonctionnaires déclarent à la Haute Autorité patrimoine et intérêts. Il serait logique, quand ils veulent aller vers le secteur privé, qu'ils passent par la Haute Autorité. Disons-le clairement, dans une situation qui a agité la presse il y a quelque temps, nous aurions vraisemblablement pris la même décision que la commission de déontologie. Il faut prendre le problème du pantouflage à bras le corps. Ce qui suppose de se pencher sur les évolutions de la jurisprudence dans le cadre des affaires en cours et de revoir les dispositions de l'article 432-13 du code pénal.
Je suis disposé, monsieur Pillet, à nouer le dialogue, mais c'est le Parlement qui fait la loi, nous ne faisons que l'appliquer. Or, je le dis clairement, nous ne pouvions pas tenir le délai qu'elle prévoit, qui nous mettait dans un étau. Si nous l'avions fait, il y aurait eu des dégâts. Quand une déclaration nous arrive prima facie, la contrôler à la sauvette serait un véritable danger alors que sa publication la met sous l'oeil du citoyen et de la presse. Nous sommes là, encore une fois, pour protéger. Vu la masse énorme des déclarations à traiter, si l'on notifiait quitus et publiait à l'issue de chaque examen, tous ceux qui restent en attente seraient en droit de s'offusquer. C'est pourquoi nous avons choisi de procéder par blocs - ministres, parlementaires, etc.
J'en viens à l'importante question du registre. Sa mise en oeuvre sera d'autant plus complexe que son champ, limité au départ à 5 000 personnes publiques, a été étendu à plus de 15 000 d'entre elles, notamment du fait de l'inclusion des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. Les obligations déontologiques imposées aux lobbyistes seront difficiles à vérifier et surtout difficiles à mettre en oeuvre. Dans sa configuration actuelle, ce registre n'a pas d'équivalent à l'étranger. S'agissant de la première régulation d'ensemble du lobbying en France, il y a un important effort de pédagogie et de sensibilisation à mener. Quatre critères me semblent indispensables pour qu'un tel registre soit effectif. En premier lieu, son champ ne saurait être étendu à l'infini, et doit rester limité. À ce titre, l'inclusion des collectivités territoriales peut faire question. En deuxième lieu, sa mise en oeuvre devra être davantage échelonnée, sur plusieurs années, pour une entrée en vigueur progressive. Il faut également retarder l'applicabilité des sanctions pour faire d'abord oeuvre de sensibilisation. L'effort de pédagogie, encore une fois, est essentiel. En troisième lieu, faculté doit être donnée à la Haute Autorité de préciser les conditions de mise en oeuvre de la loi. Par exemple, qu'est-ce qu'une « activité accessoire de représentation d'intérêts » ? La Haute Autorité doit pouvoir élaborer des lignes directrices pour l'application de la loi, faute de quoi, l'insécurité juridique sera grande. C'est ainsi que l'on procède à l'étranger. Enfin, nous avons besoin de moyens humains et matériels complémentaires, sans lesquels nous ne pourrons mener notre mission. Quant au respect, essentiel, de la séparation des pouvoirs, je n'y reviens pas. L'État de droit, c'est l'affaire de tous, et la Haute Autorité est là, face à un dysfonctionnement majeur impliquant un parlementaire, pour prendre l'affaire en charge, après avis du bureau de l'assemblée concernée.
J'insiste, pour finir, sur la valeur que j'attache à la pédagogie de l'apaisement. Nous sommes là pour protéger. Mais dans la plupart des situations où nous avons saisi la justice, étaient impliquées des personnalités bien connues, que l'on a pourtant vu remonter à la surface, dans la vie publique, comme sous l'effet de la poussée d'Archimède. Résultat, on ne croit plus ni à la politique ni à la justice, au risque d'être entraînés vers des errances dont il faut bien prendre la mesure. Il est pour moi essentiel que les magistrats prennent leurs responsabilités sur la peine d'inéligibilité.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie de cet échange passionnant et des éléments que vous nous avez apportés, qui nourriront notre réflexion.
La réunion est levée à 12 h 55