Jeudi 19 mai 2016
- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -Gestion de la ressource en eau : présentation du rapport d'information
M. Roger Karoutchi, président. - Mes chers collègues, nous entendons ce matin Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach à qui nous avions confié, voilà quelques mois, la préparation d'un rapport d'information consacré à la ressource en eau et à la façon dont nous devons nous préparer à la gérer.
Moi qui ne suis pas un spécialiste de la question, j'ai parcouru leur rapport et le moins que l'on puisse dire est que l'ensemble des témoignages et les éléments qui y sont apportés sont loin d'être rassurants.
Si le réchauffement climatique est une menace reconnue, on a tendance à croire qu'elle ne concerne que les zones sahariennes ou les îles du Pacifique et que la France, elle, sera épargnée. Nos collègues rapporteurs sont beaucoup plus inquiets, et nous avec. Dans ce domaine, quelle que soit notre tendance politique, nous sommes peut-être trop optimistes. Je ne vois, dans les textes, ni réelle prise de conscience ni esquisse d'une véritable politique de l'eau par rapport à ce manque d'eau qui risque d'être une réalité d'ici à quelques années.
À ce titre, il sera intéressant de poursuivre la réflexion dans le cadre d'un débat en séance publique, afin de sensibiliser l'ensemble de nos collègues ainsi que le Gouvernement sur ce sujet.
Je cède maintenant la parole à nos deux rapporteurs, en les félicitant pour leur travail.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous venons d'achever une longue traversée du pays de l'eau, et c'est avec un peu d'inquiétude que nous nous apprêtons à vous présenter le résultat de nos travaux.
Un peu d'inquiétude car nous avions l'intuition, en proposant à la délégation d'inscrire le thème de l'eau à son programme de travail, que cette ressource indispensable, et même sacrée, était en danger sans qu'on en ait pleinement conscience : le fait est qu'aucun des vingt et un articles de l'accord final de la Cop21 n'y fait référence. Cela n'a pas manqué de faire réagir : un groupe de travail sur l'eau a été constitué et devrait trouver un relais à l'occasion de la Cop22 qui se tiendra prochainement au Maroc.
La cinquantaine d'auditions que nous avons menée, les déplacements que nous avons effectués sur le terrain, dans deux bassins versants différents, dans des laboratoires de recherche ou auprès des instances européennes, ont malheureusement confirmé ce premier sentiment.
C'est donc un signal d'alarme que nous avons voulu actionner pour attirer l'attention du Sénat sur une évolution plus que préoccupante. C'est d'ailleurs précisément ce rôle de veille et, le cas échéant, de lanceur d'alerte qui a été dévolu à notre délégation depuis 2009.
Au terme de notre étude, il nous est apparu assez clairement que le moment était venu de dégager quatre temps.
Tout d'abord, le temps du réalisme car certaines données sont désormais avérées et doivent impérativement être prises en compte dans nos choix de politiques publiques. La première d'entre elles est que le dérèglement climatique n'est plus contestable. En d'autres termes, l'ère du climato-scepticisme est révolue. Les études scientifiques, notamment celles du Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, convergent sur le fait que le réchauffement du système climatique est sans équivoque. Les derniers scénarios tablent sur une augmentation des températures qui pourrait aller jusqu'à 4,8°C. Le lien entre cette hausse et les activités humaines est qualifié « d'extrêmement probable », comprendre que cette probabilité est supérieure à 95 %. Il faut aussi souligner l'inertie du processus accéléré que nous avons engagé depuis notre entrée dans l'ère industrielle : même en interrompant aujourd'hui toute nouvelle émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il faudra des siècles pour stabiliser le climat à son nouvel équilibre. Enfin, la France ne sera pas épargnée par le réchauffement : sa situation géographique la soumet au risque de voir augmenter la température jusqu'à 5°C supplémentaires en été.
La deuxième observation, qu'il n'est pas inutile de rappeler, c'est qu'en plus de l'augmentation des températures moyennes on constate aussi une modification du régime des précipitations, qui se renforcera encore dans les années à venir.
Si le volume global des pluies restera à peu près équivalent, il va se répartir différemment dans le temps et dans l'espace. En bref, il pleuvra davantage au nord et moins dans le sud, davantage en hiver et moins en été. On doit donc s'attendre à plus de sécheresse l'été, sur l'ensemble du territoire, et à la survenance plus fréquente de phénomènes climatiques violents, de type tempête ou inondation.
Le croisement de toutes ces données nous donne la perspective suivante : en dépit d'un réseau hydrographique dense, d'un stock de nappes souterraines important et d'une situation géographique privilégiée, la France est exposée à un vrai risque de pénurie d'eau.
Les régions les plus potentiellement affectées par cette évolution ne sont pas forcément celles auxquelles on pense. Contrairement aux idées reçues, le pourtour méditerranéen resterait plutôt préservé, grâce au stock naturel important que constituent les glaciers alpins et aux grands ouvrages de réserves d'eau qui y ont été construits. En revanche, deux zones sont identifiées comme très vulnérables : le bassin Seine-Normandie, où l'on prévoit une diminution notable des débits moyens annuels, et le bassin Adour-Garonne. Avec la disparition des glaciers des Pyrénées et la hausse constatée des températures de deux degrés, l'Aquitaine ne peut déjà plus être considérée comme le « pays des eaux ».
Dans le même temps, et c'est la troisième donnée à prendre en compte, la demande d'eau va s'accroître en raison de quatre facteurs : l'augmentation de la population, qu'elle soit permanente par le fait des migrations internes tout particulièrement sur les zones littorales, ou ponctuelle, par exemple au moment des vacances ; l'augmentation des besoins alimentaires, corrélés à l'expansion démographique ; l'évolution des modes de vie, de loisirs ou de tourisme ; la hausse des prélèvements aquatiques, pour assurer la production énergétique, notamment nucléaire.
Il en résultera inévitablement un effet de ciseaux : hausse de la demande et réduction de la ressource. La question qu'il faut se poser est la suivante : comment nous préparer à gérer cette situation pour ne pas la subir ? Je laisse à mon collègue Jean-Jacques Lozach le soin de poursuivre.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Mes chers collègues, la question de bon sens que vient de poser Henri Tandonnet m'amène tout naturellement à notre second temps : le temps du partage. Il convient en effet, en la matière, de privilégier une approche collective.
Depuis la loi du 3 janvier 1992, l'eau « fait partie du patrimoine commun de la nation ». C'est une ressource qui n'appartient à personne, elle est la propriété de tous. De fait, les usagers de l'eau sont innombrables.
On pense évidemment, en premier lieu, à la consommation humaine en eau potable, avec toutes les contraintes qui s'attachent à son prélèvement, son traitement, son acheminement et sa distribution.
Ajoutons aussitôt les agriculteurs, pour lesquels elle constitue tout à la fois le moyen d'assurer leur revenu mais aussi de produire l'alimentation humaine et animale et de participer à l'indépendance alimentaire de notre pays. Sans oublier, aussi, le rôle joué par l'agriculture dans notre balance commerciale.
Suivent ensuite les producteurs d'énergie, qu'il s'agisse de l'eau utilisée pour faire fonctionner les centrales nucléaires et permettre le refroidissement des réacteurs ou bien encore de celle qui est destinée à la fourniture d'hydroélectricité, l'eau étant, je vous le rappelle, notre première source d'énergie renouvelable et notre seul moyen de stockage de l'énergie. Elle est tellement ancienne et habituelle qu'on oublie souvent de l'évoquer comme énergie renouvelable, en privilégiant les références à l'éolien, au solaire ou à l'énergie bois.
Puis viennent les industriels, car l'histoire du développement industriel s'est construite, dès l'origine, en partenariat avec l'eau : pour l'acheminement des matières premières ou des produits finis, ce qui englobe donc également le secteur du transport fluvial et de la batellerie ; pour assurer le processus de fabrication ou bien encore pour effectuer le rejet des sous-produits ou des déchets qui en découlent. Les préoccupations environnementales étaient en effet absentes au moment de l'industrialisation du pays.
Je citerai également les pratiquants d'activités sportives, de loisirs et touristiques, qui suscitent des besoins en hausse, dont la courbe est proportionnée à celle de l'évolution des modes de vie actuelle. Les pêcheurs, les pratiquants de sports d'eau - canoë-kayak, canyoning, nage en eau libre,... -, les golfeurs, les skieurs, avec le recours accru aux canons à neige en raison du réchauffement climatique, notamment dans les stations de basse altitude, les vacanciers et les touristes sont, par nature, de forts consommateurs d'eau.
Et, pour finir, les milieux naturels : la faune et la flore aquatiques, la biodiversité sont autant d'« usagers » de l'eau sur lesquels veillent, avec une vigilance extrême, les associations de protection de l'environnement.
Vous l'avez compris, les intérêts des uns et des autres se trouveront fatalement en contradiction et entraîneront des conflits d'usages, tout particulièrement durant la période estivale, lorsque les pics de chaleur se heurteront aux pics de besoin.
Dès lors, pouvons-nous hiérarchiser les usages de l'eau ? C'est évidemment un débat difficile et sensible, qui comporte le risque d'aviver les conflits précisément au moment où nous souhaitons les anticiper pour ne pas en subir les effets.
Néanmoins, il nous paraît nécessaire d'affirmer que la priorité absolue, celle qui doit s'imposer sans contestation, est celle qui conditionne la survie de la population. Elle s'exprime en deux termes : l'alimentation et la sécurité sanitaire. Il en résulte qu'en toutes circonstances il nous faudra veiller à l'approvisionnement alimentaire, à la fourniture d'eau potable répondant à nos critères nationaux de qualité et à la sécurisation des installations nucléaires.
Ce faisant, il est à notre sens primordial de ne pas mettre en opposition frontale les intérêts des consommateurs et ceux du monde agricole. En effet, tous partagent l'objectif commun de disposer d'une alimentation suffisante et à coûts accessibles.
Nous saisissons cette opportunité pour mettre en lumière un aspect trop méconnu de l'eau. Si l'on prononce le mot « eau », nous vient aussitôt à l'esprit l'eau visible, celle qui alimente les fleuves ou les lacs, ou bien encore celle qui se stocke dans les glaciers et les nappes phréatiques, dont on connaît l'existence même sans vraiment la voir.
Mais il existe aussi une eau invisible, une eau virtuelle : c'est celle qui correspond à la quantité d'eau qu'il a fallu mobiliser pour produire les biens de consommation dont l'utilisateur final ignore souvent le volume, et même parfois l'existence. Se pose la question de la justesse des estimations. En effet, les chiffres sont tellement variables d'une source à l'autre que l'on ne sait auxquels se fier avec certitude mais, schématiquement, un kilo de salade, c'est équivalent à 50 litres d'eau ; un kilo de maïs, à 500 litres ; un kilo de blé, à 1 300 litres ; et un kilo de viande de boeuf, à 13 500 litres.
Donc, lorsque nous importons des tomates d'Espagne ou du Maroc, c'est l'eau de pays encore plus fragilisés que le nôtre que nous achetons. Pour le dire de façon technocratique, l'eau virtuelle permet d'équilibrer le bilan hydrologique d'un pays sans importer réellement de l'eau. Il est nécessaire d'avoir cette réalité en tête pour promouvoir la vision de justice et de partage que nous soutenons pour le monde de demain, et que nous voulons promouvoir au travers de ce rapport.
En 2007, seule année pour laquelle ce calcul complexe a été effectué, au vu de nos échanges commerciaux, la France a été virtuellement importatrice nette d'eau à hauteur de 8,4 milliards de mètres cubes. Rapportés aux plus ou moins 33 milliards de mètres cubes prélevés sur le territoire métropolitain à la même époque, c'est loin d'être négligeable.
Puisque j'évoquais aussi la sécurité des installations nucléaires, une petite précision sémantique doit être faite. Il faut bien distinguer ce qui relève du prélèvement aquatique de ce qui correspond à une consommation effective d'eau.
Le secteur énergétique est, de loin, celui qui prélève le plus d'eau - 63 % -, mais il est faible consommateur - 22 % - car il restitue, après usage, l'eau aux milieux naturels. Certes, cette eau peut avoir été modifiée au passage, notamment en termes de température, ce qui n'est pas neutre quand elle est reversée dans une eau courante à étiage bas, donc déjà plus chaude qu'à la normale. C'est ce qui rend possible, par exemple, l'élevage de crocodiles au pied de la centrale de Civaux, dans la Vienne.
À l'inverse, le secteur agricole ne ponctionne que modestement les stocks pour l'irrigation - 10 % - mais absorbe à lui seul presque la moitié - 48 % - de la consommation, car l'eau ne retourne pas aux milieux naturels dont elle provient, étant pour partie restituée dans l'atmosphère par évapotranspiration.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Après avoir posé le cadre général, entrons dans le vif du sujet. J'en viens donc à notre troisième temps : le temps de l'action.
Lorsque l'on se trouve confronté à une situation de pénurie, il n'y a guère de choix : il faut soit réduire la demande, soit accroître l'offre. Le débat ne se pose pas exactement dans ces termes face à la réalité physique de l'eau qui s'impose à nous sans que l'on puisse la dominer. Un point important est à souligner : la ressource en eau ne se crée pas, elle se gère. Pour préserver l'avenir, il importe d'engager parallèlement une mosaïque d'actions concrètes afin de maîtriser la consommation, de mieux gérer la ressource et de miser sur les bénéfices à attendre des progrès technologiques. C'est en quelque sorte le triptyque que nous préconisons pour préparer l'avenir.
La première des réponses est donc d'économiser l'eau. Cela paraît évident, ce n'est pourtant pas si simple.
D'abord, nous, élus locaux, le savons bien, les réseaux de distribution sont largement perfectibles : environ 20 % à 25 % en moyenne de l'eau prélevée n'arrivent pas à l'usager ; ce taux peut aller jusqu'à 40 % ou 50 % dans les zones rurales. Cela pose la question des capacités d'investissement pour surveiller le réseau et le renouveler. C'est d'autant plus préoccupant qu'il s'agit en l'espèce, le plus souvent, d'eau traitée et rendue potable, donc chère.
Ensuite, on peut assigner au monde agricole l'objectif de produire plus, durablement, avec moins de terre et d'eau. De nombreuses recherches en sélection variétale sont en cours pour créer des espèces moins gourmandes en eau et plus résistantes au stress hydrique. De même, les initiatives qui se multiplient désormais en faveur de l'agro-écologie, et l'agroforesterie doivent être encouragées. Je citerai également l'irrigation de précision, qui bénéficie d'une technologie avancée avec des données recueillies par sondes, drones, voire satellites. Si l'agriculture est le plus gros consommateur d'eau, elle présente en même temps le plus fort potentiel d'amélioration de son efficience.
Enfin, il faut poursuivre l'éducation et l'information auprès des consommateurs car les chiffres montrent que les campagnes de sensibilisation ont déjà entraîné la modification des comportements et produit des effets sur les niveaux de consommation.
Le deuxième pilier du triptyque relève, à notre avis, du pur bon sens. Il consiste à mieux gérer la ressource en régulant les flux.
Plutôt que de consacrer des fonds publics à l'effacement des seuils nuisant à la continuité écologique des rivières, sans d'ailleurs avoir de certitude sur son efficacité, il semble plus prometteur de préserver les zones humides et de favoriser l'aménagement des tracés et des berges, ainsi que leur enherbement, qui permet de retenir et filtrer les eaux de ruissellement. C'est là une mesure simple et peu coûteuse qu'il faudrait encourager.
Mais surtout, dès lors que l'on enregistrera demain, plus encore qu'aujourd'hui, davantage de précipitations en hiver et moins d'eau en été, ne serait-il pas logique de constituer des réserves lorsqu'elle est abondante, de la stocker plutôt que de la laisser retourner à la mer, afin d'en disposer quand elle viendra à manquer ? Je pourrai revenir sur la typologie des retenues déclinée dans le rapport si vous le souhaitez mais la réglementation demeure trop restrictive pour être incitative, et je ne parle même pas de la réalisation de grands projets d'ouvrages structurants de type barrage dont on a le sentiment que la simple évocation est taboue.
Dans l'ordre d'idées assez proche de mieux gérer la ressource, nous pouvons aussi modifier nos réflexes. Actuellement, lorsque l'eau vient à manquer, l'habitude est de prendre des arrêtés de rationnement, d'interdire dans les zones touchées tel ou tel usage de l'eau. Or, au cours de pics de chaleur comme ceux que l'on a connus en 2003, les observations tendent à le montrer, lorsqu'on utilise l'eau pour l'arrosage des espaces verts en ville ou pour l'irrigation des cultures en milieu rural, on favorise localement la baisse des températures et on limite donc les besoins en eau. Les toits végétalisés, que l'on voit fleurir dans de nombreuses métropoles, relèvent de la même inspiration.
L'idée est d'utiliser l'eau qui aura été stockée dans des réserves de proximité, alimentées, entre autres, par la récupération des eaux pluviales, pour arroser parcs et jardins en milieu urbain, champs en milieu rural, et favoriser ainsi l'évapotranspiration, et donc la baisse des températures. Grâce aux images satellites, on sait qu'il fait plus frais dans un verger ou un champ de maïs irrigué que dans le chaume voisin. En Adour-Garonne, entre les coteaux du Gers et les vallées de Lot-et-Garonne, l'écart peut être de 4°C à 5°C.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Notre troisième axe consiste à miser sur la recherche, tant publique que privée. De grandes entreprises françaises sont réputées mondialement, font une très grande partie de leur chiffre d'affaires à l'international et investissent massivement en matière de recherche et développement : Veolia, Suez environnement et, à un degré moindre, la Saur. En l'espèce, on peut presque imaginer être en mesure de créer un supplément de ressource en permettant de mobiliser de l'eau qu'on pensait perdue.
Quatre ressources en eau sont ainsi qualifiées de non conventionnelles. Citons, d'abord, la réutilisation des eaux usées traitées : à des fins d'arrosage, comme cela se fait pour le maïs dans la plaine de Limagne, ou bien pour des besoins de consommation humaine ou animale. Il y a également la désalinisation de l'eau de mer, qui se pratique déjà en Guadeloupe, ainsi que la réalimentation des nappes phréatiques et la récupération des eaux pluviales. Chacune d'entre elles a ses avantages et ses inconvénients. Mais surtout, elles ont un coût, ce qui suppose évidemment de faire des choix politiques. La désalinisation de l'eau de mer est ainsi une technologie fortement consommatrice d'énergie.
Cette observation nous amène tout naturellement à notre quatrième temps : le temps du politique. Quelle gouvernance veut-on pour l'eau ? Nous avons gardé pour la fin le volet le plus aride de notre étude, celui dans lequel nous avons essayé de comprendre qui fait quoi et comment dans le domaine de la gestion de l'eau. Il est courant de parler du « mille-feuille » administratif. En l'occurrence, la situation est encore beaucoup plus complexe tant elle est l'objet d'une profusion de textes d'origines diverses, dans laquelle il n'est guère aisé, et c'est un euphémisme, de se repérer.
Le niveau européen régule l'ensemble depuis l'adoption de la fameuse DCE, la directive-cadre sur l'eau d'octobre 2000, qui constitue l'une des premières politiques intégrées en matière environnementale et qui s'attache essentiellement à la qualité des eaux. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur la pertinence de fixer des objectifs identiques au vu de la diversité des situations des États membres : entre l'Espagne, frappée par la sécheresse, et les Pays-Bas, où 60 % des activités sont situées en zone inondable, les enjeux sont évidemment très différents.
Vient ensuite le niveau national, où quatre lois spécifiques ont successivement organisé le cadre juridique d'ensemble, jusqu'à la Lema, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006. Sans oublier les textes non dédiés à l'eau mais à effet collatéral comme les Grenelle I et II, la Gemapi - gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations - ou la future loi sur la biodiversité en cours d'adoption par le Parlement.
Au niveau territorial, cette fois, la planification locale s'organise autour des bassins versants, qui ont servi de référence à l'échelon européen, notamment pour l'élaboration de la DCE. Au niveau de ces bassins, on produit des schémas de périmètres divers. Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, ou Sdage, au nombre de douze, soit un pour chaque bassin de la France métropolitaine et d'outre-mer, fixent des objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Les derniers en date couvrent la période 2016-2021. Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, ou Sage, au nombre de soixante-six, sont eux aussi des outils de planification et correspondent à la déclinaison concrète des Sdage à une échelle plus locale.
Enfin, surplombant l'ensemble de cette construction dans une perspective de moyen-long terme, on constate, et c'est somme toute assez heureux, que la dimension prospective devient prégnante, avec la production de nombreux travaux de réflexion destinés à éclairer les choix pour l'avenir. L'exemple type en est l'exercice Garonne 2050, auquel Henri Tandonnet a d'ailleurs apporté sa contribution.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Si l'on cherche cette fois à identifier les acteurs de l'eau, on reste abasourdi par la multitude d'intervenants potentiels. En voici la liste, et encore sommes-nous bien conscients qu'elle n'est pas exhaustive : des structures d'expertise au niveau international, qu'elles soient dédiées aux évolutions climatiques ou spécialisées dans le domaine de l'eau ; des centres de décisions européens, soit au moins quatre directions générales au sein de la Commission ; plusieurs ministères français, l'environnement, mais aussi l'agriculture, la santé ou l'aménagement du territoire ; un foisonnement d'instances spécialisées, dénommées observatoire public, office public, agence nationale, conseil, comité, centre, académie, et j'en oublie certainement ; tous les niveaux de collectivités territoriales, communes, intercommunalités, départements ou régions ; enfin, bien sûr, parce que, depuis la loi de 1964, la ressource en eau fait l'objet en France d'une gestion intégrée par bassins hydrographiques, il convient de citer les comités de bassin, les préfets coordonnateurs de bassin et les agences de l'eau.
La gestion par bassins apparaît comme un modèle d'organisation tout à fait pertinent. Cependant, je trouve que l'appellation « parlements de l'eau », officiellement utilisée pour désigner les comités de bassin, est quelque peu surfaite car ce ne sont que des organismes consultatifs. Il faut le dire, les agences de l'eau sont des agences de l'État et les bassins sont administrés de façon très centralisée. Si les résultats obtenus au regard des objectifs fixés à la suite de la DCE sont aussi maigres, c'est dû à l'absence de relais entre la politique décidée au niveau national, menée par les agences de l'eau, et les territoires.
La conséquence s'impose d'elle-même : face à cette pluralité d'intervenants, entraînant émiettement des compétences et dilution des responsabilités, comment savoir avec certitude qui décide, qui choisit et qui arbitrera, le cas échéant, les conflits d'usages ? Il est donc urgent, à notre sens, de clarifier l'organisation de notre gestion de l'eau, pour accorder plus de flexibilité et plus de place aux acteurs locaux.
En ce sens, de nouveaux outils de gestion, encore en devenir, restent à renforcer, je pense notamment aux projets de territoires ou à la Gemapi, que notre collègue Pierre-Yves Collombat connaît bien, qui peuvent se révéler performants si les collectivités concernées savent s'en emparer. La grande question à venir est de savoir si celles-ci vont être en mesure, au travers de la Gemapi, de relayer les instructions de l'État sur un sujet essentiel pour les populations.
Telles sont, monsieur le Président, chers collègues, les conclusions de notre étude. Si nous parvenons, par nos questionnements et nos inquiétudes, à sensibiliser les décideurs et, plus largement, nos concitoyens à l'acuité du problème de la ressource en eau et à la nécessité d'anticiper les conflits d'usage pour ne pas en souffrir demain, nous aurons le sentiment du devoir accompli. Les solutions seront longues à mettre en place. Nous formulons des préconisations. Sans doute ne feront-elles pas l'unanimité.
M. Roger Karoutchi, président. - Le rapport est très détaillé, illustré par de nombreux exemples, et certaines des propositions qui y figurent peuvent effectivement être débattues. Nous allons maintenant passer aux questions. Je donne tout d'abord la parole à l'un des principaux acteurs de la Gemapi.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je félicite mes collègues pour ce travail complet et précis. Ne reste plus qu'à agir... Je voudrais insister sur le problème de la gouvernance, que je connais bien pour avoir beaucoup travaillé sur la Gemapi et le sujet des inondations.
En matière d'eau, les tropismes sont évidents : personne ne s'intéresse vraiment à la ressource en tant que telle et aux risques y afférents ; on est avant tout sensible à la préservation de la biodiversité, à la qualité de l'eau.
Mme Évelyne Didier. - Ce n'est pas incompatible.
M. Pierre-Yves Collombat. - En théorie, oui, mais, en pratique, ce n'est pas la même chose. Le problème de la ressource ne retient pas l'attention, contrairement au phénomène des inondations, par exemple, qui, lui, bénéficie d'une large couverture médiatique.
De plus, on observe une multitude d'acteurs en présence, mais on n'identifie aucun chef de file désigné pour assurer la coordination de l'ensemble, chacun défendant son pré carré. Quel paradoxe ! Dans le cadre de mes travaux sur la Gemapi, je ne m'attendais pas à avoir comme principaux adversaires tous ceux qui s'occupent de l'eau.
D'un côté, l'État se contente d'imposer une réglementation spécifique, appuyé par des agences de bassin bureaucratisées qui n'ont plus de moyens financiers et dans lesquelles les élus n'ont pas leur mot à dire. De l'autre, les collectivités territoriales peinent à se mettre en ordre de bataille, sans avoir de ressources adéquates. L'État doit intervenir pour aider les intercommunalités à se saisir, à l'échelle des bassins versants, de la compétence eau.
M. Yannick Vaugrenard. - Je veux d'abord remercier très sincèrement Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet, parce que, au moment où a été décidée cette étude en délégation, j'étais quelque peu dubitatif, ne comprenant pas quels pouvaient être les problèmes liés à l'eau en France. Notre pays est bordé par de nombreuses mers et un océan, traversé par quantité de fleuves et connaît, certes, des situations de crise, mais ponctuellement, en été. Je réside au sud de Bretagne et c'est peut-être la raison pour laquelle je n'avais pas véritablement pris en compte la mesure du problème.
C'est d'ailleurs le rôle de la délégation à la prospective et de ses membres d'être des lanceurs d'alerte. Sur le plan politique et intellectuel, c'est un travail que je trouve particulièrement enrichissant. Ce rapport permet de faire prendre conscience à nos concitoyens de cette problématique de l'eau et de la nécessité de la protéger, pour notre génération et les générations futures. Je suis particulièrement surpris d'apprendre, malgré le retentissement médiatique et la présence de nombreux responsables scientifiques et politiques réunis à Paris dans l'objectif de trouver des solutions ambitieuses pour l'environnement, que la Cop21 n'a que très partiellement abordé le sujet de l'eau. Il faut donc replacer ce dernier sur le devant de la scène politique.
Vous évoquez les difficultés de certaines régions françaises pour l'avenir, notamment sur le bassin Seine-Normandie, qui englobe l'Île-de-France dont la population ne cesse de s'accroître. Il s'agit donc d'une problématique nationale forte, qui nécessite l'attention de tous pour trouver des solutions adéquates. Une première réponse consiste à sensibiliser de manière accrue l'ensemble des citoyens, y compris au niveau scolaire, sur l'importance de préserver la ressource en eau.
Au niveau de l'Union européenne, ne faudrait-il pas engager une coopération entre l'ensemble des États membres et prévoir des mécanismes de solidarité ? La question mérite d'être posée. Quant à la complexité de la gouvernance, c'est presque une tradition française, quoique le degré atteint en la matière pour ce qui est de l'eau soit tout de même très surprenant. Il conviendra effectivement de donner davantage de responsabilités aux collectivités territoriales, dans le cadre d'une véritable démocratie de proximité et en bonne intelligence avec l'État.
Enfin, je souhaite évoquer la question de la qualité de l'eau au regard du risque terroriste particulièrement élevé aujourd'hui. Cette problématique est-elle envisagée sérieusement ? Comment sont protégés nos réseaux d'eau par rapport à une éventuelle menace de contamination et quels sont les moyens susceptibles d'être mis en oeuvre dans une telle hypothèse ?
Mme Évelyne Didier. - À mon tour je félicite nos collègues qui ont fait oeuvre utile en nous alertant sur la nécessité d'une prise de conscience dans le domaine de l'eau. On le sait, on ne peut pas avancer sur un sujet s'il n'y a pas d'abord une acceptation et une compréhension, même partielle, de la part de tous.
Ayant participé aux travaux sur la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, j'ai pu constater à quel point le débat se focalisait sur les conflits d'usages. Nous n'avions pas, à l'époque, suffisamment insisté sur l'idée que la ressource en eau ne se créait pas mais qu'elle se gérait. C'est un point fondamental à mettre en avant, et vous l'avez fait. Les politiques de l'eau sont encore trop axées sur le curatif. Il est temps de privilégier la prévention. Nous consacrons ainsi énormément d'argent pour rendre l'eau potable alors que cela coûterait sans doute moins cher de limiter les pollutions.
Je partage le point de vue de Yannick Vaugrenard sur la Cop21, au cours de laquelle le sujet sur l'eau a été d'emblée écarté, afin de privilégier la recherche du consensus sur le climat. Néanmoins, le Giec a décidé de se saisir de la question.
La hiérarchisation des priorités sera sûrement nécessaire, mais les choix seront complexes. Faudra-t-il arrêter de refroidir une centrale nucléaire ? Sans doute pas. Faudra-t-il changer de modes de cultures ? En définitive, nombre de préconisations formulées dans ce rapport, je pense notamment aux retenues collinaires, sont déjà évoquées depuis longtemps. Je suis persuadée que l'interdiction de certains usages sera inévitable : les canons à neige, la culture du maïs dans le sud-ouest.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Pour le maïs, cela se discute.
Mme Évelyne Didier. - Je sais que le débat est ouvert !
Sur ce sujet, l'Europe a une position paradoxale : elle subventionne massivement la culture du maïs, qui nécessite beaucoup d'eau, et affiche sa volonté, en parallèle, de préserver la ressource. L'adaptation doit être la règle à l'avenir : changer nos habitudes, limiter les activités de gaspillage, comme le lavage des voitures ou l'arrosage des pelouses. Regardez Las Vegas : on a détourné, sur des milliers de kilomètres, de l'eau, qui servait aux pâturages pour pouvoir alimenter les fontaines de la ville. Regardez Marrakech, où se tiendra la Cop22, avec ses allées bordées de roses alors que la région est quasi désertique. L'homme n'est pas sérieux quand il agit de la sorte. Il faudra bien, à un moment donné, remettre en cause de tels comportements.
Gardons à l'esprit que l'eau n'est pas uniquement une ressource, elle est aussi un milieu. L'eau est essentielle à la vie, et la vie est née dans l'eau. Ce rapport est très intéressant et utile pour rappeler cette évidence et évoquer les questions qui fâchent. Quant à la gouvernance, vos propos sont éclairants. Il conviendra de revoir l'architecture des ministères, afin d'éviter les conflits et contradictions.
M. Roger Karoutchi, président. - Lors de la Cop21, un débat sur l'eau fut organisé in extremis, mais, le sujet étant trop conflictuel, il n'était pas question de le mentionner dans l'accord final. Je connais bien ce problème pour avoir participé, voilà longtemps, à la recherche d'un accord israélo-jordanien sur la répartition des eaux du Jourdain. Les États étaient plutôt d'accord sur l'idée de partager, c'est la technostructure qui bloquait tout.
M. Louis Duvernois. - Je salue également le travail de nos collègues, qui est de grande qualité parce qu'il est éclairant. En la matière, nous ne sommes jamais suffisamment informés. Sur un évènement aussi médiatisé que la Cop21, que l'on ait pu oublier - même si l'on s'est rattrapé modestement par la suite - la crise aquatique, indissociable de la crise climatique, cela en dit long. Sans parler d'échec, ce fut tout de même un beau raté. C'est la raison pour laquelle je souscris à la volonté de poursuivre et d'amplifier les campagnes d'information.
Plus encore que l'Assemblée nationale, le Sénat représente les territoires et doit donc se saisir de la question de l'eau. Au travers des interventions des uns et des autres ce matin, nous voyons bien le rôle fondamental que doivent jouer les territoires. Ce rapport devrait pouvoir s'inscrire dans la durée et être relayé au sein de notre assemblée et par les médias, dans le but de sensibiliser, d'informer, plutôt que de dramatiser.
Il s'agit non pas de faire de l'écologie politique mais de trouver une politique de l'écologie, qui satisfasse tout le monde et qui nous prémunisse de difficultés que nous pourrions rencontrer peut-être plus rapidement que nous pensons.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Compte tenu de l'ampleur du sujet, nous avons limité notre étude à la France métropolitaine. Si la Cop21 n'a pas abordé la question de l'eau, c'est qu'elle est, vous l'avez tous dit, encore plus complexe à l'échelle internationale, se trouvant parfois au coeur de certains conflits.
À l'évidence, on ne peut pas parler d'eau sans parler d'écologie, mais d'écologie humaine : c'est un aspect fondamental. Jusqu'à présent, on a privilégié une gestion de l'eau vue sous le prisme anglo-saxon de l'abondance de la ressource. L'accent était mis plutôt sur la qualité que sur la quantité. Or les deux sont liées. Dans notre rapport, nous appelons à une vision plus « méditerranéenne » de ce dossier, notamment eu égard au climat : dans une quinzaine d'années, le climat de Nice pourra être observé à Poitiers.
Effectivement, la crise climatique est aussi une crise aquatique. Sur la question de la sécurité en cas de menace terroriste, je serais bien en peine de répondre. Je peux néanmoins vous dire que le chlore permet de prévenir de nombreuses pollutions, sans que ce soit pour autant une solution miracle.
Par ailleurs, parmi nos pistes de réflexion, nous proposons d'actualiser la Lema de 2006, rédigée à une période où l'hypothèse d'une pénurie d'eau n'était pas aussi marquée qu'aujourd'hui pour pouvoir influencer le débat. Il faut à mon sens légiférer dans un objectif de partage de l'eau et de meilleure adéquation entre les besoins et les ressources. Dans cette démarche, le point de vue écologique ne peut évidemment être oublié : les pollutions, notamment dues aux intrants agricoles, sont une réalité. Une écologie bien pensée impose de raisonner plus globalement, au-delà du cadre strictement franco-français. Jean-Jacques Lozach a bien expliqué le phénomène de l'eau virtuelle. Pourquoi se restreindre de faire des cultures irriguées alors que l'on pourrait stocker l'eau quand elle est disponible en abondance, pendant des périodes limitées ? Faute d'agir en ce sens, on va continuer d'importer de l'eau de pays encore plus fragiles que nous sur ce sujet, comme le Maroc, la Tunisie ou l'Espagne.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'évolution en matière de gouvernance de l'eau est quelque peu paradoxale. Historiquement, la gestion de l'eau a été l'une des premières politiques publiques vraiment décentralisée : la gestion par bassins remonte à une cinquantaine d'années, avant les lois de décentralisation. Or, aujourd'hui, l'on assiste de manière insidieuse à une sorte de recentralisation rampante. À vouloir mettre autant de monde autour de la table, on ne peut qu'aboutir à une technocratisation des structures, du type comités de bassins et agences de l'eau. On pèche presque par excès de démocratie locale, les élus locaux finissant par être dépossédés des décisions qui les concernent.
Sur le risque de pénurie dans un pays comme le nôtre, la prise de conscience au sein de la population est largement insuffisante, voire quasi nulle. Pourtant, les chiffres avancés par le Giec sont alarmants. À l'horizon 2050, on devrait assister à un déplacement du climat vers le nord de l'ordre de cent cinquante kilomètres. Les oliviers pourront pousser au nord de la Loire. Et 2050, c'est demain matin, il y a donc urgence.
Saluons tout de même une avancée positive, au niveau des élus. Au cours des dernières années, de nombreuses études sur le sujet ont été commandées par les départements, les régions, parfois des intercommunalités, et je citerai de nouveau l'étude de prospective Garonne 2050. Il faut donc distinguer le degré de prise de conscience des élus, notamment des élus locaux, de celui de la population. Un effort de pédagogie et de sensibilisation doit donc être effectué.
Parmi les pistes de recherche, Henri Tandonnet a évoqué le rechargement des nappes phréatiques, avec des techniques pour le moins sophistiquées. Rappelons qu'entre le moment où les études préalables sont lancées et celui où ce genre de réalisations est mis en oeuvre il s'écoule une dizaine d'années. De plus, pour concrétiser les préconisations formulées dans le rapport, il faudra trouver des moyens humains et, surtout, financiers, dans un contexte de redressement des comptes publics. Sur ce point, il importe que l'État n'aille pas trop loin dans la ponction qu'il est en train d'exercer sur les fonds de réserve des agences de l'eau, à hauteur de 175 millions d'euros l'année dernière et de la même somme cette année. Il n'est plus possible de continuer de la sorte si l'on veut mettre en place une politique ambitieuse pour l'eau.
Je terminerai sur une remarque plus générale. Chacun en est conscient, il faut de la volonté politique, de la responsabilité collective, des moyens, etc. Mais tout est fonction du degré d'acceptabilité sociale, qui est un facteur clé s'agissant de la mise en place de l'ensemble des solutions que nous préconisons dans le rapport. Cette question se pose autant pour la réutilisation des eaux usées traitées, que j'évoquais tout à l'heure, que pour la construction de grands équipements structurants. On en a eu un exemple paroxystique avec le projet de barrage de Sivens. Des élus, dont notre collègue président du conseil général du Tarn, se sont retrouvés pris entre deux feux, si je puis dire, entre les agriculteurs et les défenseurs de l'environnement. Et je souligne que la capacité de la retenue prévue à Sivens était de 1,5 million de mètres cubes, à comparer au volume du réservoir du barrage de Serre-Ponçon, qui atteint près de 1,3 milliard de mètres cubes. Si, sur une retenue aussi modeste que celle-là, on assiste déjà à une levée de boucliers aussi violente, la mise en place de tels équipements à l'avenir s'annonce extrêmement difficile.
M. Henri Tandonnet, rapporteur. - Dans un rapport qu'il avait remis au gouvernement avant de devenir ministre de l'environnement, Philippe Martin avait évoqué la notion de projet territorial. Il paraît en effet pertinent de vouloir réunir tout le monde autour d'une même table : élus, agriculteurs, environnementalistes ; j'y insiste, on ne fera rien sans les agriculteurs.
M. Roger Karoutchi, président. - Mes chers collèges, Il me reste maintenant à vous demander formellement l'autorisation de publier, sous la forme d'un rapport d'information, les travaux de nos deux rapporteurs, que je remercie une fois encore pour cet excellent travail de prospective. Je veillerai à ce qu'un débat en séance publique soit organisé, car il nous appartient de sensibiliser le Gouvernement et l'ensemble de nos concitoyens sur ce sujet important.
La délégation autorise la publication du rapport d'information sous le titre « Eau : urgence déclarée ».