Mardi 29 mars 2016
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 14 heures 30.
Renforcer le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de M. Jean-Jacques Lozach sur la proposition de loi n° 373 (2015-2016) adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Le Sénat examinera le 5 avril, à la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Je salue l'évolution de l'intitulé de cette proposition qui mentionne la nécessité de renforcer le dialogue avec les supporters. Il convient néanmoins de rappeler que l'essentiel des dispositions de ce texte est de nature pénale et vise à lutter contre des comportements inacceptables dans les enceintes sportives. À l'origine, l'intitulé de ce texte ne mentionnait que les hooligans, ce qui explique que notre commission des lois soit saisie au fond de ce texte, comme lors de son examen à l'Assemblée nationale. En revanche, la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale n'a pas jugé nécessaire de se saisir pour avis de ce texte, alors qu'il concerne le sport. C'est pourquoi nous l'avons fait.
Avant de vous présenter les articles de cette proposition de loi, je souhaiterais rappeler le contexte qui explique pourquoi il était nécessaire de l'examiner rapidement sans élargir outre-mesure son périmètre. Notre pays accueillera l'Euro 2016 du 10 juin au 10 juillet prochain. Ce grand événement interviendra dans un contexte particulier marqué par les attentats de 2015 et chacun d'entre nous connaît les menaces particulières qui pèsent sur cette compétition d'autant plus qu'un des attentats du 13 novembre avait pour cible le stade de France à l'occasion d'une rencontre de football entre la France et l'Allemagne. Pour l'heure, l'état d'urgence doit s'achever le 26 mai : je ne doute pas qu'il sera prolongé au moins jusqu'à la fin de la compétition. J'ai eu l'occasion de rencontrer à l'automne dernier le préfet Jacques Lambert qui dirige l'organisation de l'Euro 2016 et il m'a expliqué tous les moyens qui étaient mis en oeuvre pour parer cette menace : la sécurité demeure son unique préoccupation.
Cette proposition de loi ne vise pas la violence extraordinaire de nature terroriste, elle concerne cette violence ordinaire qui n'a pas disparu de nos stades et qui a même tendance à y prospérer en dépit des nombreuses initiatives prises depuis plusieurs années pour l'éradiquer. Nous avons tous à l'esprit des images qui nous reviennent de ces affrontements qui ternissent le spectacle des matchs de football. En septembre dernier, de graves incidents intervenaient au Stade vélodrome à l'occasion d'une rencontre qui opposait l'Olympique de Marseille (OM) à l'Olympique lyonnais. Le 30 janvier dernier, lors du match Le Havre - Lens, des heurts violents ont eu lieu avec les forces de l'ordre. Je ne reviens pas sur les tristes événements qui ont accompagné le match entre Reims et Bastia en février dernier et qui se sont soldés par la grave blessure d'un étudiant. Il est temps d'envoyer un nouveau message de fermeté afin de réserver les stades aux vrais supporters et de permettre aux familles de s'y rendre sans inquiétude.
Comme cela a été souligné lors du débat à l'Assemblée nationale, cette préoccupation dépasse les clivages politiques et si c'est le groupe Les Républicains qui a pris l'initiative de ce texte, il a été adopté avec l'assentiment de la majorité de l'Assemblée nationale. Ce consensus se retrouve également dans les politiques publiques qui sont menées par les différents ministres de l'intérieur depuis une dizaine d'années. Le seul message qui vaille est celui de la « tolérance zéro ».
J'en viens à cette proposition de loi dont les principales mesures ont pour objectif d'éloigner davantage encore les perturbateurs des enceintes sportives tout en respectant les principes de notre droit. L'article 1er permet aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif de refuser ou d'annuler la délivrance de titres d'accès ou l'accès aux manifestations sportives des personnes dont le comportement porte ou a porté atteinte à ces manifestations et, par ailleurs, de tenir un traitement automatisé de données relatif à ces personnes. Le texte adopté par l'Assemblée nationale encadre ce fichier puisque ces conditions devront être fixées par décret en Conseil d'État après un avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
En 2014-2015, le nombre de personnes interdites de stade s'est élevé à 367, dont 361 pour le seul football, les six autres étant des supporters de basket ou de rugby.
Cet article permet de refuser ou d'annuler la vente de billets à des personnes dont l'organisateur a des raisons de penser qu'elles sont susceptibles de commettre des violences à l'intérieur de l'enceinte sportive mais qui ne feraient pas, pour autant, l'objet d'une interdiction de stade. La jurisprudence n'était, en effet, pas claire sur le fait de savoir si cette possibilité existait ou non. Pour préserver les libertés publiques, l'Assemblée nationale a précisé, à l'article 1er, que le refus de délivrance de titres d'accès à ces manifestations concernait les personnes qui ont porté atteinte ou portaient atteinte et non plus celles qui étaient seulement susceptibles de le faire, cette rédaction pouvant être considérée comme réduisant de façon excessive les droits des personnes.
L'article 2 allonge la durée maximale d'interdiction administrative de stade de 12 à 24 mois pour les personnes n'ayant pas fait l'objet d'une telle mesure au cours des trois années précédentes et de 24 à 36 mois dans le cas inverse. Il s'agit de renforcer les mesures de prévention des comportements violents, afin d'assurer la sécurité dans les enceintes sportives ainsi que le respect des spectateurs, des joueurs et des arbitres.
L'article 3, introduit à l'initiative du député Philippe Goujon, permet la communication de l'identité des personnes faisant l'objet d'une interdiction judiciaire ou administrative de stade aux organismes sportifs internationaux lorsqu'une équipe française participe à une manifestation sportive organisée par leurs soins. Ces informations seront ainsi transmises à l'Union des associations européennes de football (UEFA), au Comité international olympique...
L'article 4 oblige les clubs sportifs à procéder à la vente directe de leurs cartes d'abonnement et précise que ces cartes peuvent être nominatives. L'objectif est de sécuriser les ventes d'abonnements annuels en évitant les ventes en bloc qui ne permettent pas de connaître l'identité des acheteurs. Une telle situation avait encore cours, il y a peu, à l'OM et pouvait être de nature à compliquer la lutte contre les comportements violents.
Avant d'en venir à l'article 5 qui concerne le dialogue avec les supporters, un mot de l'article 6 qui modifie l'article L. 332-16 du code du sport afin d'harmoniser le périmètre des interdictions judicaires avec celui des interdictions administratives. Il permet, en particulier, d'interdire des personnes s'étant rendu coupables d'infractions pénalement sanctionnées de se rendre dans les lieux où les manifestations sportives sont retransmises au public. Cette disposition vise, selon l'auteur de l'amendement, à sécuriser les fan zones. Ces rassemblements constituent une des principales préoccupations en termes de sécurité pour l'organisation de l'Euro 2016. Lors du débat à l'Assemblée nationale, le ministre Thierry Braillard a expliqué que le gouvernement avait décidé de renforcer la sécurité de ces fan zones en prévoyant notamment que chaque personne fera l'objet d'une palpation, qu'une vidéosurveillance sera exercée à l'entrée et que des agents de sécurité seront présents en renfort à l'intérieur de la zone. Il y aura en effet 2,5 millions de personnes dans les 51 stades et... 7 à 8 millions dans ces fameuses zones. Les attentats de Bruxelles nous invitent à être encore plus exigeants vis-à-vis de ces rassemblements. La possibilité, évoquée cette semaine, de délivrer des billets nominatifs aux participants limiterait les risques, sous réserve de sa faisabilité.
J'en viens maintenant à l'article 5 qui concerne la place des supporters dans l'organisation des compétitions sportives. Nous sommes tous conscients qu'il existe aujourd'hui un déséquilibre dans l'approche de cette question comme en témoigne cette proposition de loi dont l'essentiel des dispositions est de nature répressive. Notre collègue Dominique Bailly avait pris l'initiative, le 17 juin 2015, de déposer une proposition de loi relative à la représentation des supporters - cosignée par une cinquantaine de nos collègues appartenant à tous les groupes - afin de répondre précisément à cette question, en créant en particulier un conseil des supporters chargé d'assurer leur expression collective et la prise en compte de leurs intérêts lors des décisions relatives à la gestion, à l'évolution économique et financière des clubs. La proposition de loi de notre collègue prévoyait également la création d'un organisme national représentatif des supporters et un dialogue régulier entre ces derniers et les ligues professionnelles. On retrouve l'influence de ce texte dans les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale. L'article 5 reconnaît ainsi le rôle des supporters et des associations de supporters pour assurer le bon déroulement des manifestations et des compétitions sportives. Il crée également une instance nationale du supportérisme chargée de « contribuer au dialogue entre les supporters et les autres acteurs du sport et de réfléchir à la participation des supporters au bon déroulement des compétitions sportives et à l'amélioration de leur accueil ». Il prévoit enfin un dialogue entre les ligues professionnelles et les associations de supporters grâce à la désignation de personnes référentes choisies après avis des associations de supporters. L'article 5 ne va pas, toutefois, jusqu'à reprendre l'idée de la proposition de loi de notre collègue Dominique Bailly de créer des conseils de supporters au sein des clubs. Je n'en ferai pas le reproche au texte adopté à une très large majorité par l'Assemblée nationale. Ce n'était pas son objet et je comprends que les députés n'aient pas souhaité compléter à ce point la proposition de loi.
Je n'ai pas eu le temps matériel d'organiser les auditions qui m'auraient permis de proposer d'institutionnaliser la place des supporters dans les clubs. Je ne crois pas, pour autant, qu'il faille renoncer à cette idée et je vous proposerai de considérer la rédaction de l'article 5 comme un point de départ et de saisir l'opportunité du débat en séance publique pour interroger le Gouvernement sur cette seconde étape afin de reconnaître le rôle des supporters dans le sport.
Compte tenu de ces explications, je ne vous proposerai pas d'amendement et je vous inciterai à voter cette proposition de loi. La lutte contre la violence dans les stades constitue aujourd'hui une priorité et on ne peut que se féliciter que cette préoccupation fasse l'objet d'une conviction largement partagée, puisque cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des votes exprimés à l'Assemblée nationale.
M. Claude Kern. - Merci pour ce rapport pour avis réalisé dans des délais très courts. Nous sommes très sollicités par les clubs de supporters et cette proposition de loi arrive à point nommé. On a vu récemment des matchs interrompus suite à des débordements commis par les supporters : il faut les identifier et les interdire de stade. Certains ultras estiment qu'une interdiction de stade de trois ans serait démesurée. Je l'ai fait il y a une dizaine d'années et cela n'a jamais été contesté.
M. Michel Savin. - Nous ne pouvons qu'être favorables à l'essentiel de cette proposition de loi. Peut-être pourrions-nous aller plus loin sur deux points. D'abord, il faudrait rendre obligatoire la photo sur les cartes de membres d'un club de supporter. Sinon, comment effectuer les contrôles ? Je déposerai un amendement en ce sens. De plus, l'article 5 pourrait prévoir de faire participer les clubs de supporters aux actions de sensibilisation et d'information menées dans les écoles et les quartiers.
M. Daniel Percheron. - Ce projet de loi est un peu hâtif, il est dans l'air du temps, sécuritaire...
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il s'agit d'une proposition de loi.
M. Daniel Percheron. - Ce texte fait penser à Eugène Sue découvrant les milieux dangereux. Je crois qu'il est profondément injuste. Il est vrai que, supporter lensois depuis soixante ans, je ne suis pas tout à fait neutre. Le football, sorte de tragédie moderne - unité de temps, de lieu et d'action -, constitue un marché planétaire qui fait beaucoup pour la mondialisation sereine. À cet égard, l'apport de ses supporters est nettement supérieur à l'insécurité qu'ils peuvent occasionner.
Les incidents que vous avez mentionnés lors du match, retransmis à la télévision, entre Le Have et Lens, et ceux qui ont eu lieu lors de la rencontre entre Reims et Bastia, méritent une mise au point. Au Havre, l'attitude des forces de l'ordre est loin d'avoir été équilibrée. Les dizaines de milliers de supporters de l'arrondissement le plus pauvre de France - d'un point de vue économique - n'ont pas été bien accueillis ni bien traités. Certes, tout n'est pas permis, et en détruisant 80 sièges, ils ont dépassé les bornes. Un peu agriculteurs dans l'âme, ils ont pris acte que la France rurale pouvait, elle aussi, dresser des barricades impunément... À Reims, les supporters de Bastia n'ont pas été bien traités. Il est vrai que jouer à Bastia est une aventure... Bien sûr, impossible de plaider l'impunité dans les circonstances actuelles.
Mais vivent les supporters ! Qu'ils aient toute leur place dans ce grand marché mondial ! Ils assurent l'identité du football, en constituant son coeur d'adhésion populaire. Ne les stigmatisons donc pas.
Quant aux fan zones, est-il légitime de les maintenir en cette période d'état d'urgence alors que la mainmise économique de l'UEFA sur les grandes compétitions ne fait que s'accroître ? Là encore, c'est le Lensois qui parle, puisqu'à l'occasion d'un match de la coupe du monde de 1998, le gendarme Nivel a été cruellement et irréversiblement blessé à Lens par des supporters allemands. Ces fan zones posent un vrai problème de sécurité. Je sais que M. Lambert est un préfet exemplaire. Cette proposition de loi est justifiée si elle ouvre les clubs de football à l'âme des supporters. Si tel n'est pas le cas, elle me laisse songeur.
Mme Françoise Férat. - Je salue la volonté de calmer les esprits et de jouer dans la sérénité. Mais pas d'amalgames réducteurs ! J'étais présente à Reims, et j'ai constaté que le match s'est plutôt bien passé, si l'on fait abstraction des insultes des Bastiais à l'endroit des forces de police.
M. Daniel Percheron. - Ha !
Mme Françoise Férat. - Elles avaient ordre de ne pas répliquer, et ne l'ont pas fait. Ce qui s'est passé n'a pas eu lieu au stade mais en ville. Ne laissons pas supposer que les forces de l'ordre ont été brutales. Cette affaire est devant la justice, nous n'avons pas de commentaires à faire.
M. Daniel Percheron. - Je maintiens l'intégralité de mes propos.
M. Jacques Grosperrin. - Je félicite M. Lozach pour son rapport pour avis et me réjouis qu'il ait pu reprendre une proposition de loi issue d'un député du groupe Les Républicains. Cela montre l'ouverture d'esprit de notre commission. Je me méfie de ce que j'appelle les lois « tondeuse à gazon », qui répondent à l'émotion suscitée par un fait divers : il est toujours dangereux de légiférer dans l'urgence. Entre 2006 et 2011, nous avions mis en place un cadre juridique prévoyant des interdictions de stade en France et à l'étranger. Si ce texte responsabilise les diverses instances du football à travers ses supporters, très bien ! Mais elle ne constituera sans doute qu'une première étape, eu égard aux événements terribles qui se sont passés en France et à l'étranger.
M. David Assouline. - Attention à ne pas mélanger deux sujets. Ce texte porte sur les supporters et le hooliganisme, qui est un sujet pendant depuis des décennies et que nous devons traiter. La menace terroriste est un autre problème.
Mme Françoise Férat. - Ce n'est pas le sujet !
M. David Assouline. - Les médias lient ce texte au débat sur une éventuelle interdiction des fan zones, en lien avec l'actualité. Malgré le contexte actuel, nous devons veiller à nous concentrer sur le sujet de cette proposition de loi. Je suis heureux qu'enfin un membre du groupe socialiste ait été nommé rapporteur, alors même qu'il s'agit d'un texte voté à l'initiative des Républicains. Jusqu'à présent, jamais un socialiste n'avait été nommé rapporteur, même lorsqu'il s'agissait d'une proposition de loi socialiste. Je vais commencer à croire que ce ne sont pas les socialistes qui sont en cause, mais moi !
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Merci pour vos interventions : il s'agit plus d'observations que d'interpellations.
Ce texte n'est pas seulement dû à l'Euro 2016 : on a en effet constaté 20 % d'incidents supplémentaires au cours de la saison 2014-2015 du championnat de France de ligue 1, après deux années de baisse. Le moment était donc venu de légiférer. De nombreux travaux précédents ont été repris dans ce texte : ainsi en est-il du Livre vert du supporterisme, qui avait été remis en 2010, à sa demande, à Rama Yade, alors secrétaire d'État chargée des Sports, du rapport Glavany de 2014 pour un modèle durable du football français, des Assises du Conseil national des supporters de football qui ont eu lieu, ici même, il y a quelques mois. À ces trois occasions, diverses propositions ont été avancées qui n'avaient pas encore été reprises dans un texte législatif.
Jusqu'à présent, les instances du football ne souhaitaient pas que les représentants des supporters participent à la gestion des clubs.
M. Daniel Percheron. - Tout à fait !
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Depuis 2010, le règlement intérieur de l'UEFA oblige les clubs professionnels à nommer un interlocuteur pour faire la liaison avec leurs supporters. Or, cette disposition est restée en grande partie lettre morte. Heureusement, le président de la ligue nationale de football a très récemment changé d'avis.
Le but est de clarifier les responsabilités en matière de sécurité entre l'État et les organisateurs et de donner davantage de moyens d'action aux organisateurs et aux fédérations.
Vous avez raison, monsieur Percheron : le football est un des vecteurs de la mondialisation. D'ailleurs, il y a plus de pays qui adhèrent à la Fédération internationale de football association (FIFA) qu'à l'Organisation des Nations Unies (ONU) ! Comme l'a dit un député, cette proposition de loi est pro-supporters et anti-hooligans.
M. Daniel Percheron. - Très bien.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Le préfet Jacques Lambert ne s'y est pas trompé en rappelant qu'il s'agit de trouver un équilibre entre la fête et la sécurité.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Très bonne conclusion.
Le rapport pour avis est adopté.
La réunion est levée à 15 h 05.
Mercredi 30 mars 2016
- Présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président -La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias - Indépendance des rédactions - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède à l'examen du rapport de Mme Catherine Morin-Desailly et élabore le texte de la commission sur la proposition de loi n° 446 (2015-2016) adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias en examen conjoint avec la proposition de loi n° 416 (2015-2016) relative à l'indépendance des rédactions.
M. Jean-Claude Carle, président. - Bienvenue à M. Portelli, rapporteur de la commission des lois.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, pour respecter le titre de la proposition de loi, seraient-ils si menacés en France qu'il serait urgent de légiférer, en procédure accélérée qui plus est, pour les préserver ? Nous avons tous à coeur de préserver ce bien essentiel qu'est la liberté de l'information. Corollaire de la liberté d'expression, elle appartient au socle de toute démocratie ; nous pouvons le mesurer chaque jour, que ce soit sur notre sol où certains voudraient la voir abattue, ou non loin d'ici, où des pouvoirs autoritaires la remettent en cause. Et le métier de journaliste, dans ce cadre, doit faire l'objet de la protection indispensable à la garantie de son indépendance.
Ceci posé, reconnaissons que l'accès à l'information n'a jamais été aussi aisé dans notre pays, la pluralité des supports d'information aussi foisonnante ni la diversité des médias aussi importante. Du quotidien local à la chaîne d'information étrangère, les sources d'informations se sont multipliées et sont facilement accessibles.
Le développement d'une presse gratuite depuis une quinzaine d'années, la révolution numérique et l'apparition des réseaux sociaux, nouveaux pourvoyeurs d'information, ont changé jusqu'aux usages de nos concitoyens. Outre la remise en cause du modèle économique des médias traditionnels, c'est à un véritable défi démocratique auquel nous sommes confrontés : la multiplicité des informations diffusées sur Internet pose encore plus que par le passé les questions de la fiabilité des sources et du caractère professionnel des personnes qui diffusent ces informations. M. Patrick Eveno, président de l'Observatoire de la déontologie de l'information (ODI), notait dans son rapport annuel pour 2016 que « l'effacement des frontières entre information, communication et publicité doit conduire les rédactions à renforcer leurs défenses déontologiques ».
Notre pays a mis du temps à prendre la mesure de ces bouleversements et ce délai a été fatal à de nombreux titres de presse écrite qui ont trop tardé à réformer leurs modes de fonctionnement. Il ne faut pas nier non plus l'absence de dispositions fiscales et de régulation européenne et le désavantage concurrentiel que vivent nos médias par rapport aux nouveaux acteurs incontournables d'Internet que sont les moteurs de recherche et les plateformes. Rétrospectivement, on peut se poser la question des critères d'attribution des fréquences car l'émergence d'Internet et le développement de la télévision numérique terrestre (TNT) auraient pu être l'occasion de favoriser l'émergence de groupes de médias présents sur plusieurs supports. Mais les attributions des fréquences, notamment, ont privilégié soit des groupes ne disposant pas des moyens suffisants pour se développer dans la durée, soit de nouveaux entrants sans véritable légitimité dans le secteur et non dénués de visées spéculatives comme l'illustre le cas « Numéro 23 ».
Devant l'affaiblissement structurel des acteurs historiques et le besoin grandissant de capitaux pour assurer une modernisation devenue indispensable, le recours à de puissants investisseurs extérieurs au monde des médias s'est imposé. C'est dans ce contexte que sont intervenus le rachat du journal Les Échos par LVMH en 2007, la prise de contrôle du journal Le Monde en 2010 par Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse, la montée au capital de Vivendi de l'industriel Vincent Bolloré en 2014 puis le rachat, en juillet 2015, de 49 % de NextRadioTV par Altice. Ces prises de participations dans des médias majeurs se sont accompagnées d'autres rachats visant à constituer des groupes de taille critique qui ont, en quelques années, considérablement redessiné l'univers des médias en France. Libération et L'Express ont rejoint Altice, Le Nouvel Observateur a été repris par Le Monde. Le mouvement s'étend aussi à la sphère du numérique avec le rachat de Dailymotion par Vivendi. Et ces nouveaux groupes ont commencé à engager de sérieuses restructurations, passant par des rapprochements entre les régies publicitaires, les rédactions, les sièges sociaux... L'émergence de ces nouveaux groupes de médias gérés comme de véritables sociétés industrielles a eu des incidences sur l'exercice de leur métier par les journalistes qui ont été amenés à revoir leurs méthodes de travail afin d'intervenir sur l'ensemble des supports et ont souvent dû accepter de s'inscrire dans une logique de groupe, plus ou moins dépendants des recettes publicitaires. Dès lors, se pose légitimement la question de l'influence des annonceurs sur la ligne éditoriale de ces médias. Les cas d'interférences sont connus et, à juste titre, dénoncés même s'ils demeurent rares. Ainsi, en 2009, le site Rue 89 se faisait l'écho de la suppression dans le numéro du 29 janvier du journal Direct matin d'un article qui expliquait « en détails comment la RATP exploite les données du Pass Navigo à des fins commerciales » et rappelait l'existence d'un partenariat pour sa diffusion entre l'éditeur de la publication et la RATP. En 2011, Mediapart dénonçait un autre cas de censure concernant la publication Géo Histoire, qui avait supprimé plusieurs pages consacrées à la collaboration des entreprises françaises dans un dossier consacré à l'Occupation, la rédaction dénonçant « la peur de déplaire à des annonceurs ». Plus récemment, c'est la nouvelle direction de Canal+ qui a été montrée du doigt à l'occasion d'interventions sur la programmation de son magazine Spécial Investigation, un reportage portant sur le Crédit Mutuel ayant fait l'objet d'une déprogrammation et des sujets d'enquête ayant été refusés par la direction éditoriale. Ces incidents ont pris une dimension particulière du fait de certaines déclarations de responsables du groupe Canal+ qui ont pu laisser penser qu'il ne s'agissait pas d'erreurs d'appréciation à caractère exceptionnel mais d'une nouvelle ligne de conduite afin de ne pas contrarier les annonceurs et les partenaires du groupe. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) s'est légitimement saisi de l'affaire en septembre 2015 et a décidé d'entendre Vincent Bolloré, le président des conseils de surveillance de Vivendi et de Canal+. À l'issue de cette rencontre, au cours de laquelle M. Bolloré a pris des engagements afin de renforcer les garanties relatives à l'indépendance éditoriale, un groupe de travail conjoint avec le CSA a été créé afin de mettre en oeuvre ces engagements et notamment de reconstituer le comité d'éthique de iTélé et de créer un comité d'éthique à Canal+.
Ne faut-il pas laisser la régulation exercée par le CSA fonctionner ? Est-il justifié de recourir à une proposition de loi ? Auditionné le 23 mars, M. Olivier Schrameck, son président, a rappelé que le CSA n'avait jamais demandé de modifications législatives. En février 2016, deux propositions de loi ont néanmoins été successivement déposées sur le bureau des assemblées : à l'Assemblée nationale, les premiers signataires sont Bruno Le Roux et Patrick Bloche, au Sénat, David Assouline et Didier Guillaume. Je donne acte à notre collègue David Assouline de l'antériorité de sa réflexion puisqu'il est l'auteur d'une première proposition de loi sur l'indépendance des rédactions déposée en 2011.
Généralisation du droit d'opposition du journaliste sur la base de son intime conviction professionnelle, comités d'éthique et chartes de déontologie : ces mesures n'étaient probablement pas urgentes, d'autant qu'elles ont été élaborées dans une précipitation qui n'a permis ni étude d'impact, ni concertation, ni vérification de leur caractère opérationnel, comme chacune de nos auditions l'a mis en lumière. Pour autant, je ne conteste pas les principes qu'il s'agit de réaffirmer et je ne m'opposerai pas à l'adoption de ces nouvelles dispositions. Mais j'ai été très attentive dans mon examen, et au cours des nombreuses auditions que nous avons organisées dans un temps imparti pourtant très court, à préserver le bon fonctionnement des entreprises éditrices, dont le travail est collectif, comme chacun de nos interlocuteurs nous l'a rappelé, et à éviter toute immixtion injustifiée du législateur. Le mieux est parfois l'ennemi du bien et à trop vouloir encadrer, l'effet pourrait être contreproductif. Nos interlocuteurs ont souligné que le texte était inapplicable en l'état. Il faut donc l'améliorer.
Ce véhicule législatif a aussi été l'occasion, pour l'Assemblée nationale, d'adjoindre à la question de l'indépendance de l'information des sujets connexes, touchant à la profession de journaliste ou aux entreprises de presse. Ainsi, de la création d'un régime spécifique de protection du secret des sources, dont je me félicite. Notre collègue Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois, nous livrera dans un instant son analyse à ce sujet. Les députés ont aussi prévu un réajustement, à peine un an après son adoption à l'initiative du Sénat, du dispositif fiscal dit « amendement Charb ». Ils ont réintroduit une obligation de publicité des cessions de fonds de commerce dans les journaux d'annonces légales, supprimée par voie d'amendement dans la loi Macron, et étendu le régime de protection des lanceurs d'alerte dans le domaine de l'environnement et de la santé publique. Enfin, ils ont modifié les conditions de cession des chaînes de la TNT, alors même que plusieurs dispositions ont déjà été adoptées à l'initiative de notre commission dans le cadre de la loi relative au deuxième dividende numérique.
Même si certains dispositfs me paraissent utiles - et notamment ceux qui concernent la protection des sources - l'ensemble de ces dispositions est-il à la hauteur des enjeux qui intéressent les médias aujourd'hui ? Permettra-t-il de garantir ce qui est revendiqué par la présente proposition de loi, à savoir leur indépendance et le pluralisme des médias ? Permettez-moi d'en douter. Car l'enjeu est aujourd'hui la survie de nos entreprises de presse et audiovisuelles face aux géants de l'Internet, Facebook et Google en particulier. Dans la répartition du chiffre d'affaires du marché de la publicité, les médias français représentent 20 %, contre 80 % pour les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Le processus de concentration est inexorable et nous devons constituer nos propres plateformes numériques face à ces géants qui menacent le pluralisme et l'expression de l'information française.
Je n'ai pas souhaité alourdir ce texte avec de nouvelles propositions, estimant que les conditions d'examen de ces deux propositions de loi - procédure accélérée, doublement du nombre d'articles lors du passage à l'Assemblée nationale, remise sur le métier de dispositifs votés il y a quelques mois seulement, examen au Sénat quatre semaines tout juste après le vote de l'Assemblée - ne permettaient pas un travail de fond suffisamment sérieux. Les amendements que je vais vous présenter visent à définir un socle de principes applicables aux groupes audiovisuels et aux entreprises de presse. Ils préservent la liberté éditoriale, l'indépendance des journalistes vis-à-vis du CSA et le rôle de régulateur de ce dernier dans le secteur de l'audiovisuel. Le texte ainsi adopté pourrait constituer une base pour un accord entre les deux assemblées. C'est dans cet esprit constructif que j'ai tâché de travailler.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci à notre rapporteure pour cette présentation équilibrée, et pour son souci de trouver des formulations conciliant les préoccupations de l'Assemblée nationale, des auteurs de ces deux propositions de loi et des acteurs du secteur concerné. Son souci de défendre le pluralisme et l'indépendance éditoriale est éclairé par les travaux qu'elle mène depuis des années sur l'évolution de l'économie numérique et l'arrivée de nouveaux acteurs anglo-saxons, puissants, susceptibles de remettre en cause nos médias, dont la surface économique est trop limitée et l'adaptation au numérique, insuffisante. À cet égard, une réforme globale des aides à la presse se justifierait, et le ministère y réfléchit. Notre groupe approuve les modifications apportées à ce texte pour défendre le pluralisme, l'indépendance et la déontologie des médias sans déséquilibrer leur modèle économique.
M. Jean-Pierre Leleux. - Nous sommes tous d'accord pour travailler sur la déontologie de la presse dans un monde en pleine effervescence, mais pourquoi ce recours à la procédure accélérée ? Il est dangereux d'introduire la notion d' « intime conviction professionnelle », qui suscitera des contentieux considérables au sein des rédactions. Elle met en cause la responsabilité éditoriale du directeur de la publication, qui est déjà responsable civilement et pénalement. Pourquoi créer un tel contre-pouvoir des journalistes ?
Oui, il faut en finir avec la formulation incomplète qui régit la protection des sources. Cette protection est légitime au vu du rôle d'investigation des journalistes. Toutefois, c'est souvent dans des affaires judiciaires qu'on l'invoque, alors même qu'on laisse bafouer en permanence le secret de l'instruction, qu'il faudrait tout autant protéger.
L'extension des pouvoirs du CSA est exorbitante : on en fait le tribunal de l'honnêteté. Introduire dans la loi une telle notion me semble hasardeux. Ou alors, il suffirait d'un seul article stipulant qu'il est obligatoire d'être honnête !
M. Jean-Claude Luche. - Il faudrait une révision constitutionnelle !
M. Jean-Pierre Leleux. - Quant à l'indépendance, comment le CSA, présidé par une personnalité nommée par le Président de la République, pourrait-il en être le juge ?
Introduire des comités d'éthique, des chartes de déontologie, pourquoi pas ? Reste à savoir par qui les chartes seront rédigées, et qui les fera respecter. Nous pourrons préciser cela par des amendements.
Mme Marie-Christine Blandin. - Nous nous félicitons de ce texte, même s'il est imparfait. Son coeur - indépendance et pluralisme - fait sens. La protection des sources est indispensable, non moins que le secret de l'instruction, certes, mais celui-ci ne concerne pas ce texte. Vous nous donnez acte, madame la rapporteure, des liens qui peuvent exister entre la pression des annonceurs et la ligne éditoriale. Cette autocensure, nous en voyons chaque jour les effets : qu'il suffise de rappeler comment les critiques sur la culture de l'huile de palme ou la voiture électrique ont subitement disparu des publications d'un certain groupe de presse.
La presse écrite n'est peut-être qu'une goutte d'eau dans l'univers numérique ; l'Europe et la France n'ont sans doute pas assez anticipé cette évolution : ce n'est pas une raison pour ne pas s'emparer du sujet pour y mettre bon ordre. Les chartes de déontologie doivent être uniformes : il existe la charte de Munich, qui pourrait constituer un socle universel. Les journalistes de la presse écrite sont assez rétifs à l'extension des pouvoirs du CSA ; pour ma part, je suis plus gênée par son manque de sévérité. Ainsi, la diffusion au journal de 20 heures d'un reportage trafiqué n'a pas été punie. Enfin, qui vous a donné l'idée perfide de ne plus permettre aux lanceurs d'alerte d'invoquer le secret des sources ? Médiator, prothèses PIP, amiante :... sans les journalistes, il y aurait eu des centaines de milliers de morts supplémentaires !
M. David Assouline. - Notre rapporteure estime qu'il n'y a pas urgence à légiférer parce que nous n'avons jamais eu un tel accès à une information libre, tout en décrivant avec force le lien entre la concentration et l'accroissement des pressions - ce qui l'a conduit à accepter d'amender ce texte au lieu de le rejeter. Oui, cette proposition de loi est insatisfaisante car elle ne traite pas le problème dans sa globalité. Ainsi, il faudrait aborder le problème de la concentration. Mais comment le faire, dès lors que la loi n'est pas rétroactive ? Cela reviendrait à laisser des empires en place tout en empêchant l'arrivée de nouveaux entrants. Les seuils en termes de couverture, de nombre de titres, de capital, datent de 1994, c'est-à-dire d'une époque où le paysage était complètement différent.
Pourquoi le recours à la procédure accélérée ? Parce que le calendrier parlementaire est bien rempli et qu'il ne reste plus beaucoup de temps. Combien serons-nous en séance ? Si nous sommes plus d'une dizaine, ce sera bien.
S'attaquer à la notion d' « intime conviction professionnelle » comme si c'était une novation est fallacieux, puisqu'elle a été introduite dans notre droit lors du débat sur la loi sur l'audiovisuel public voulue par M. Sarkozy et unanimement votée par la droite en 2009. La loi précédente, votée en 1986, prévoyait une clause de conscience des journalistes, mais cela a paru insuffisant pour les cas où la ligne éditoriale resterait inchangée. Cette intime conviction professionnelle est bien sûr adossée à une charte de déontologie. Entre la suppression de cette terminologie, qui fait polémique, et son maintien en l'état, un compromis est possible. Je proposerai une rédaction en séance.
Les chartes existent déjà dans la presse écrite. Pour l'audiovisuel, elles représentent un levier de pouvoir pour le CSA. Cela dit, celui-ci n'interviendra pas ex ante. L'appellation de « comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes » proposée par M. Patrick Bloche ne me convient guère, mais je n'aime plus non plus celle de « comités de déontologie » que j'ai avancée : le CSA n'a pas à s'ingérer dans la déontologie des journalistes. Mieux vaudrait un comité d'indépendance, car ce n'est que sur l'indépendance que le CSA doit veiller.
Les personnes auditionnées ont été unanimes à considérer que la question du secret des sources ne pouvait pas être laissée en jachère, et que ce texte allait dans le bon sens. Hélas, les amendements de M. Portelli suppriment l'efficience de ce secret en en retirant le bénéfice aux collaborateurs.
Le paysage actuel ne sera bientôt plus tolérable pour nos concitoyens. L'illusion de l'abondance, du foisonnement, de l'accès direct à l'information masque le fait qu'il n'y a jamais eu aussi peu d'acteurs qui la distribuent. Il n'y a que trois grands groupes de presse quotidienne régionale (PQR), alors qu'après la guerre, il y avait cinq à six publications par département. Il en va de même dans l'audiovisuel, où les principaux actionnaires vivent essentiellement de la commande publique. Nous devons renforcer l'indépendance des journalistes pour asseoir la crédibilité de l'information - tout comme le personnel politique accroît la transparence pour inspirer confiance. C'est un gage pour la démocratie.
M. Pierre Laurent. - Il y a urgence à légiférer, car la liberté des médias nationaux n'est pas satisfaisante, et la diversité des canaux d'information n'est pas garantie. Ainsi, tous les médias ont annoncé faussement ce week-end qu'on avait arrêté le troisième homme en Belgique. Le croisement des sources d'information a fait défaut. Pour avoir exercé ce métier, je n'ose imaginer la situation d'un journaliste qui aurait appelé à la prudence au début du week-end... Il n'y aura jamais assez de garanties, et la notion d'intime conviction professionnelle est bienvenue. Cette proposition de loi est nécessaire, même si nous aurions préféré, dès le début du quinquennat, une initiative gouvernementale d'ampleur. Profitons de ces textes pour aller le plus loin possible.
Évidemment, nous essayerons de garantir la protection des sources.
Mme Blandin a eu raison d'évoquer les lanceurs d'alerte : un rapport récent de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur les risques de conflit d'intérêts dans le monde médical donne des chiffres alarmant. Quand la presse fait son travail, elle doit être protégée. Enfin, il y a urgence à travailler sur la concentration, que cette proposition de loi ne traite pas.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Plusieurs d'entre vous ont souligné l'urgence de ce texte. M. Assouline a même déclaré qu'il ne reste plus beaucoup de temps... Avant l'élection présidentielle ? Je regrette que nous nous fixions ce type d'échéances. Où sont les véritables enjeux pour la survie de notre presse et de notre audiovisuel, menacés par la révolution numérique ? Nos interlocuteurs ne comprennent pas notre précipitation pour adopter un texte qui n'a pas de caractère opérationnel. Il faut légiférer utilement.
La notion d' « intime conviction professionnelle » fera l'objet du premier amendement à l'article 1er. Je rappelle toutefois qu'elle a été introduite dans la loi de 2009 par un amendement socialiste... Comme il s'agissait d'un texte sur l'audiovisuel public, elle n'entrait pas en conflit avec la liberté d'entreprendre. Ce texte avait été déposé en réaction au changement du mode de nomination du président des sociétés de l'audiovisuel public. Je ne supprime pas le droit d'opposition : le statut du journaliste est régi par une législation précise et la notion d' « intime conviction professionnelle » est juridiquement floue.
Une charte unique ? Nous en débattrons, comme nous parlerons de l'appellation des comités de déontologie, à laquelle je suis attachée. Parce que je retire le secret des sources aux lanceurs d'alerte, Mme Blandin me qualifie de perfide...
Mme Marie-Christine Blandin. - Non, je visais l'idée, pas la personne.
M. David Assouline. - Je n'aurais pas osé !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je m'inscris en faux ! J'ai engagé un travail substantiel au Sénat après les déclarations d'Edward Snowden, et j'ai même déposé une proposition de résolution proposant de lui offrir l'asile. Il faut légiférer sur la question, mais ce texte n'est pas le bon véhicule, d'autant que la loi doit être bien faite, et nous devrons traiter de la dénonciation calomnieuse.
Non, le CSA n'a pas à être le tribunal de l'honnêteté. Nos interlocuteurs ont unanimement dénoncé le rôle inquiétant de régulateur ex ante qui se profilait. Nous amenderons le texte afin d'éviter une telle dérive.
Mme Colette Mélot. - Avec le numérique, le renforcement de la liberté et de l'indépendance ne suffit pas. Il faut souligner l'importance de la neutralité et de la loyauté. Les plateformes en ligne ont changé le paysage. Le déséquilibre entre les GAFA et nos plateformes nationales est si flagrant que cela préoccupe la Commission européenne. Le projet de loi sur la République numérique propose de réguler dans une certaine mesure ces plateformes.
Mme Sylvie Robert. - Nous avons l'intime conviction que cette proposition de loi est urgente, car la suspicion envers les médias grandit. Oui, l'information est abondante, mais il faut accompagner les lecteurs - surtout les plus jeunes - dans son décryptage. C'est un enjeu démocratique majeur. De plus, la concentration des médias est préoccupante. Nous devons aussi aborder la question des saisines, et nous efforcer de trouver un équilibre entre renforcement de l'indépendance et préservation du modèle économique.
M. Bruno Retailleau. - Je félicite la présidente-rapporteure pour son travail. Ces textes présentent trois défauts de conception. D'abord, et M. Bloche l'a d'ailleurs reconnu à demi-mots, il s'agit d'une loi de circonstance, née des polémiques liées à la gestion de Canal+ par le groupe Bolloré. On ne légifère jamais bien ainsi. Puis, ces textes installent une suspicion généralisée sur la concentration, - qui se produit en France mais aussi en Europe - alors qu'elle ne menace pas nécessairement l'indépendance des journalistes. Les journalistes du Monde, de Libération sont-ils moins indépendants qu'avant ?
Enfin, le concept d' « intime conviction professionnelle » se heurte au principe constitutionnel d'intelligibilité et de clarté de la loi. D'ailleurs, ce texte mélange dans la plus grande confusion juridique des normes issues du code pénal, du code du travail, ou relevant de la responsabilité civile et pénale...
M. Michel Savin. - Quatrième défaut de ce texte : les moyens du CSA sont insuffisants pour assurer ses nouvelles missions, comme me l'a confirmé son président. Nous allons trop vite !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La défiance grandissante de nos concitoyens ne touche pas que les médias mais l'ensemble des élites et des institutions. Nous devons réfléchir aux moyens de restaurer leur confiance. Ce n'est pas seulement une question d'indépendance des journalistes. Il y a également des enjeux de déontologie. La divulgation d'informations a notamment donné lieu à des dérapages que nous connaissons bien et qui contribuent à la crise de confiance envers les médias.
Bruno Retailleau a raison de pointer la confusion juridique. On s'est précipité pour légiférer en réponse au problème Canal+. Le CSA s'est légitimement saisi de la question ; mais fallait-il créer un dispositif général dont le caractère opérationnel n'a pas été vérifié ? Nombre des personnes que nous avons entendues ne comprennent pas cette hâte, en l'absence d'étude d'impact véritable. Toutes ont dit leur crainte de voir leurs rédactions paralysées.
Je conviens, avec Pierre Laurent, que nous faisons face à un vaste chantier : un grand nombre de sujets qui n'ont pas été abordés dans ce texte méritent une réflexion approfondie.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement n° COM-1 ne supprime aucunement le droit d'opposition des journalistes, mais la notion juridiquement floue d' « intime conviction professionnelle » dont la constitutionnalité pose question : l'absence de définition rend manifeste l'incompétence négative du législateur à son endroit et, partant, l'établit en contrariété avec l'article 34 de Constitution. Or, le Conseil constitutionnel se montre traditionnellement attentif à ce que le législateur épuise sa compétence pour fixer les conditions d'exercice d'une liberté, en particulier dans le champ de la liberté d'expression. L' « intime conviction professionnelle » du journaliste s'apparente à une clause morale dont la véracité, pour le juge, apparaît on ne peut plus subjective.
En outre, le doute est permis sur le respect du lien de subordination entre un journaliste et son directeur de publication, auquel doit revenir in fine la décision de publier un article ou de diffuser un programme. Par ailleurs, un journal ou une émission constituant une oeuvre collective, comment un droit de veto personnel pourrait empêcher son élaboration ? Lors des auditions, il m'a été dit que cette disposition méconnaissait le fonctionnement d'une rédaction, où des centaines de décisions sont prises chaque jour.
Compte tenu de ces risques juridiques, je vous demande donc d'adopter mon amendement, qui ne supprime pas, - je le rappelle - le droit d'opposition du journaliste.
M. Pierre Laurent. - Nous voterons contre cet amendement. Le problème ne se posera pas pour chaque décision : l'article fait référence à des situations sérieuses, comme la modification d'un article à l'insu du journaliste. De plus, la mention de l' « intime conviction professionnelle » est complétée de la précision suivante : « formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice ». Nous ne sommes pas hors cadre. Votre acharnement est inquiétant - comme si une telle disposition devait entraîner une rupture d'efficacité de la chaîne de l'information. Mais le problème n'est pas là ! En dépit de son statut de salarié, le journaliste a droit au respect de son métier. Nos concitoyens ont droit à une information de qualité ; or il reste beaucoup de progrès à faire. La diversité des chaînes et des titres n'est aucunement une garantie : la concurrence à l'information implique au contraire des problèmes de qualité.
Mme Marie-Christine Blandin. - Notre groupe ne participera pas au vote sur les amendements, à l'exception de celui qui porte sur les lanceurs d'alerte : on nous demande un examen précipité, alors que certains amendements méritent réflexion. Je songe notamment à un droit de retrait pour les photojournalistes lorsque l'une de leurs photos est recadrée pour en faire disparaître une personne.
M. David Assouline. - Le groupe socialiste et républicain ne prendra pas part au vote sur les amendements ; nous préférons attendre le débat en séance pour nous prononcer. Un mot toutefois sur cet amendement : le texte donne la possibilité au journaliste de « refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d'émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté ». Vous ne touchez pas à cette disposition, qui mécontente les patrons de presse, notamment M. Guillaume Roquette, directeur du Figaro Magazine. Le journaliste a déjà la possibilité de faire valoir son droit d'opposition face à un changement de ligne éditoriale ; mais sans ce changement, l'absence de signature d'un article ne gêne en rien le patron de presse. Au-delà des modifications opérées par les secrétaires de rédaction, le problème peut être plus profond. Des journalistes m'ont fait savoir qu'un tel dispositif pourrait être utile. Peut-être l'expression d' « intime conviction professionnelle » doit-elle être modifiée, mais ne rien proposer poserait problème.
Mme Mireille Jouve. - Le groupe RDSE ne prendra pas part au vote sur les amendements. Nous nous exprimerons en séance publique.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je comprends vos embarras : la précipitation ne facilite pas la réflexion. Notre objectif étant de créer un droit d'opposition sur des bases juridiques solides, je propose la suppression de l'expression « intime conviction professionnelle », qui n'est pas constitutionnelle.
Je réponds à Pierre Laurent que le texte élargit les garanties apportées à la presse écrite dans la loi de 1986 à l'ensemble de la profession journalistique. C'est tout de même une avancée très importante.
M. Philippe Bonnecarrère. - L'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 donne une définition du journaliste professionnel, mais le code du travail utilise une définition différente. Il faudrait les harmoniser.
Vous avez, de manière pertinente, choisi de supprimer la partie la plus fragile de l'article. David Assouline a fait référence à la liberté de conscience du journaliste plutôt qu'à l' « intime conviction professionnelle » : voilà un signe que cette dernière notion est plus difficile à apprécier et ne relève pas du champ législatif.
M. Jean-Louis Carrère. - Je ne comprends pas pourquoi vous voulez supprimer cette expression alors que la rédaction de l'article l'insère dans un cheminement cohérent avec vos propositions. La référence, dans la suite de la phrase, à la charte déontologique écarte tout risque de dérive. Si l'on s'en tient à vos objections, force est de conclure que vous ne voulez pas de ce texte. Vous ne pouvez pester contre l'urgence qui vous est imposée tout en démembrant la proposition de loi, comme l'a fait Bruno Retailleau.
M. Jean-Pierre Leleux. - Je ne mets pas en cause le sens de l' « intime conviction professionnelle » mais, au contraire de la clause de conscience définie par le code du travail, c'est là une clause morale qui rend difficile le travail du juge. Les contentieux vont se multiplier entre les rédactions et les directions, occasionnant des débats inépuisables et stériles sur lesquels le juge aura beaucoup de mal à statuer. Votre amendement est bienvenu.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La notion d' « intime conviction professionnelle » n'est pas définie dans ce texte, ce qui pose un problème de constitutionnalité. Il s'agit de ne pas entraver le bon fonctionnement des rédactions.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous faites de la politique-fiction !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - N'y voyez aucun entêtement de notre part. Nous essayons simplement de bien écrire la loi.
M. Jean-Louis Carrère. - Moi aussi !
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Si vous le permettez, une brève intervention. Le contrôle de constitutionnalité porte sur des lois, et non sur des règles déontologiques édictées dans des chartes professionnelles. À la limite, elles peuvent être évoquées devant un tribunal dans le cadre du droit du travail, mais pas devant le Conseil constitutionnel.
La loi doit-elle décrire la façon dont les entreprises règlent les questions de déontologie ? Je ne le crois pas. Le législateur fixe des règles à caractère général et impersonnel ; il n'a pas vocation à intervenir dans la vie interne de l'entreprise.
M. Jean-Louis Carrère. - Ces dispositions ne sont pas à un niveau de précision incompatible avec un texte de loi. Elles ne contreviennent pas aux principes que vous évoquez. Puisque l'on veut bien légiférer, autant chercher un accord unanime.
M. Pierre Laurent. - Je m'inquiète des arguments de Philippe Bonnecarrère. Si la rédaction du texte doit donner lieu à une avalanche de contestations, alors c'est le fonctionnement des rédactions qui pose problème ! Le texte est une incitation à mieux vivre la liberté et la protection des journalistes.
M. David Assouline. - Il existe un accord sur le principe ; comme vous le dites, ce texte représente une avancée incontestable pour les journalistes. En revanche, la traduction de ce principe dans l'expression d' « intime conviction professionnelle » est contestée, notamment par Jean-Pierre Leleux. Or cette notion figure déjà dans la loi de 2009 sur l'audiovisuel public. J'ose espérer que les journalistes de TF1 ont droit aux mêmes garanties que ceux de France Télévisions...
Je ne crois pas à la multiplication des contentieux : en faisant valoir ce droit, le journaliste risque d'être mis au ban de sa rédaction. Il ne sera invoqué qu'en cas de problème majeur.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mes amendements nos COM-2 et COM-3 font référence aux chartes déontologiques dont la loi prévoit l'adoption dans chaque entreprise de presse et d'audiovisuel.
L'amendement n° COM-2 est de nature rédactionnelle : il remplace le terme « implique » par celui d'« entraîne », plus logique et de nature à signifier l'automaticité du lien entre la signature du contrat de travail et l'adhésion à la charte.
M. David Assouline. - Pouvez-vous développer ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Dès lors que vous devenez salarié d'une entreprise de presse ou d'audiovisuel, vous adhérez à la charte.
L'amendement n° COM-2 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Afin de laisser les modalités d'élaboration de la charte s'adapter à la réalité de l'entreprise, l'amendement n° COM-3 se limite à prévoir que les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles se dotent d'une charte d'ici au 1er juillet 2017. Dans le cas des entreprises audiovisuelles, le comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes demeure consulté.
L'amendement n° COM-3 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement n° COM-4 est une conséquence de la suppression de la mention d'un droit d'opposition intuitu personae sur la base de l'intime conviction personnelle, sur l'application duquel le comité d'entreprise serait annuellement consulté. Une telle consultation serait, en effet, désormais limitée aux décisions de refus des journalistes de divulguer leurs sources ou de signer un article ou une émission ; décisions personnelles dont le comité d'entreprise, où ne siègent pas que des journalistes, n'a pas vocation à être informé. Le rôle dévolu au comité d'entreprise par cet article a, au demeurant, été vivement critiqué lors de nos auditions.
Il apparaît en revanche acceptable que ledit comité soit destinataire, pour information, de la charte déontologique de l'entreprise, ainsi que des modifications qui y seraient apportées.
M. David Assouline. - Le comité d'entreprise est un organisme paritaire et social représentant l'ensemble du personnel. Le mot « professionnel » pose des problèmes juridiques : relève-t-il de la déontologie ou du droit social ?
J'entends vos arguments, mais les questions de déontologie ne touchent pas que les journalistes. Ainsi en est-il lorsque le service marketing d'un titre de presse réalise un publi-rédactionnel pour une entreprise, avec des conséquences que l'on imagine sur le traitement journalistique de ladite entreprise. De même, comment faire quand une entreprise invite les journalistes, mais aussi les autres collaborateurs, à des repas ou à des voyages ? Nous réfléchissons à une rédaction de l'article qui, tout en supprimant la référence au comité d'entreprise, conserverait le périmètre de l'entreprise.
M. Philippe Bonnecarrère. - Le comité d'entreprise n'a pas sa place dans ce texte, d'autant qu'il n'est mis en place que dans les sociétés de plus de cinquante salariés. La déontologie journalistique n'entre pas dans ses compétences. De plus, il est apparu au cours des auditions qu'un journaliste est mieux à même d'apprécier le travail d'un autre journaliste. Mêler l'expression collective des salariés à ce débat n'est pas souhaitable. Enfin, le fonctionnement très normé des comités d'entreprise donnerait lieu, si la déontologie entrait dans le champ de leurs compétences, à de fréquentes procédures pour délit d'entrave.
M. Pierre Laurent. - Les articles 1er et 1er bis ne font référence ni à la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de Munich, ni à la Charte d'éthique professionnelle des journalistes. Faute d'encadrement global, on s'en remet à des chartes mises en place dans le périmètre de l'entreprise, ce qui est plus aléatoire. On supprime la mention du comité d'entreprise sans préciser les organes où ces questions seraient évoquées.
L'amendement n° COM-4 est adopté.
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Claude Carle, président. - Notre commission ayant choisi de déléguer à la commission des lois l'examen au fond de cet article, je cède la parole à M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois, pour nous présenter ses amendements à l'article 1er ter. Ils ne feront pas l'objet d'un vote de notre commission.
M. David Assouline. - Saisis sur le fond, nous discutons donc d'un texte déjà modifié par la commission des lois ? Quelle bizarrerie !
M. Jean-Louis Carrère. - Je ne suis pas sûr que ce soit très constitutionnel !
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Le Règlement du Sénat prévoit que les dispositions à caractère financier d'un texte sont pour ainsi dire disjointes du reste pour être examinées par la commission des finances. Il en va de même pour les dispositions juridiques : la commission des lois les examine séparément. C'est le cas de cet article, qui plus est issu d'un projet de loi antérieur et greffé sur ce texte à la manière d'un coucou. Le procédé est quelque peu artificiel, mais conforme au Règlement. Les amendements ont été adoptés à l'unanimité par la commission des lois.
M. David Assouline. - Dans ce cas, pourquoi les discutons-nous ?
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - L'article que nous avons examiné est issu du projet de loi de juin 2013 relatif à la protection des sources des journalistes, qui modifiait la loi de 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. La greffe est le fait du rapporteur de l'Assemblée nationale, Patrick Bloche. Devenu article 1er ter, il a été modifié en séance par un amendement du Gouvernement.
Notre commission s'est émue de la vitesse qui a présidé à ces opérations, au point que l'amendement du Gouvernement présente des incohérences rédactionnelles : il modifie tout ensemble la loi de 1881, le code pénal et le code de procédure pénale alors même que les dispositifs visés sont différents. C'est l'objet de l'un de mes amendements.
Les lois de 2010 et de 2013 avaient pour objet de mettre notre droit en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ; mais le projet de loi de 2013 intègre aussi des préconisations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme qui vont plus loin. Notre commission a voulu concilier le respect de la jurisprudence de la CEDH et les principes de respect de la vie privée, du secret de l'instruction et du secret de la défense nationale, principes tout aussi importants que celui du respect des sources du journaliste.
Mon amendement n° COM-18 restreint le champ des personnes bénéficiant de la protection du secret des sources. La jurisprudence de la Cour de cassation définit déjà très largement la profession de journaliste. Il n'est pas opportun d'étendre la protection aux collaborateurs extérieurs que sont les secrétaires, voire les livreurs.
Mon amendement n° COM-20 supprime la notion d'atteinte indirecte aux sources qui n'est retenue ni par la jurisprudence européenne, ni par la jurisprudence française et qui rendrait toute enquête impossible.
L'amendement n° COM-21 met en cohérence la rédaction de l'amendement du Gouvernement avec celle adoptée par l'Assemblée nationale : tantôt c'est la prévention, tantôt la répression qui est invoquée ; tantôt un crime et tantôt un délit.
L'amendement n° COM-22 rétablit le délit de recel du secret de l'enquête ou de l'instruction, dont le texte exemptait les journalistes lorsque la divulgation des éléments « constitue un but légitime dans une société démocratique ». Les juges du pénal s'opposent à ce qu'en le supprimant, on laisse la voie libre aux violations d'un secret qui est déjà peu respecté. De plus, la notion de « but légitime » relève d'une appréciation purement subjective. Ce n'est pas du droit et cela permettrait de violer le secret de l'instruction en toute tranquillité.
Enfin, en supprimant l'article 11 ter, notre amendement n° COM-24 veut rendre au travail législatif toute sa cohérence : il y a quelques mois, cette disposition a été votée à l'unanimité et il est quand même curieux de revenir sur cette décision. Mais il ne s'agit ici que d'un avis de la commission des lois : à vous maintenant de juger.
M. Jean-Louis Carrère. - Nous ne remettons pas en cause le travail de la commission des lois, mais la méthode. Lorsque la commission des finances a examiné la loi sur la programmation militaire, nous avons échangé, grâce à la communication entre nos collaborateurs, pour aboutir à une rédaction compatible avec nos voeux. La commission des lois aurait pu nous tenir informés de ses discussions.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Je n'ai été saisi de ce texte qu'il y a une semaine.
M. David Assouline. - Pourquoi la commission des lois, patronne des commissions, voudrait-elle discuter avec nous ?
Le projet de loi de 2013 a été bloqué par un désaccord entre ministères sur le périmètre d'application. Pensez-vous que la secrétaire d'un journaliste, qui tient son agenda et trie ses courriels, doive rester hors du champ de la protection ? Vous galvaudez le dispositif législatif. La jurisprudence est une chose, mais il appartient à la loi de dire le droit. À la télévision, de plus en plus d'émissions d'enquête sont réalisées non par des titulaires de la carte de presse, mais par des intermittents du spectacle. Pleinement journalistes, ils n'en ont pas le statut. Souvenez-vous de Pascale Clark à qui l'on a refusé la carte de presse : quel scandale !
Il convient de trouver une meilleure rédaction sur le délit de recel du secret de l'enquête, mais la vôtre crée un vide, alors que le secret des sources a été remis en cause de manière préoccupante dans des affaires récentes.
M. Philippe Bonnecarrère. - Pourquoi ne pas avoir inclus dans l'amendement n° COM-21 les actes de terrorisme ou relevant du crime organisé dans la liste des crimes justifiant une atteinte au secret des sources ?
Je salue la réécriture des dispositions qui contrevenaient au principe d'égalité devant la loi en introduisant une référence à la qualité des victimes et des mis en cause. Concernant le recel du secret de l'instruction et de l'enquête, vous proposez un retour opportun aux garanties de la CEDH, à mon avis suffisamment protectrices. Elle retient deux exceptions : la protection de la vie privée et la présomption d'innocence.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - L'interprétation de la définition du journaliste par les tribunaux inclut tous les types de collaborateurs, y compris ceux des sociétés de production sous-traitantes des chaînes. Elle ne couvre pas les activités non journalistiques comme le secrétariat ; mais à ce compte-là, tout le monde serait journaliste !
En matière de recel, il n'y a pas de vide juridique : nous nous en tenons à la loi de 2010, qui est claire et qui préserve les droits du juge et pas simplement du journaliste.
L'amendement n° COM-21 fait référence aux délits prévus aux titres I et II du livre IV du code pénal : le titre I traite des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, le titre II du terrorisme. « L'impératif prépondérant d'intérêt public » mentionné dans le texte couvre la lutte contre le crime organisé.
L'article 1er ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement n° COM-5 propose la suppression de cet article, qui organise la protection des lanceurs d'alerte et a été introduit à l'initiative de la députée Isabelle Attard. En effet, les précisions apportées aux 1° et 2° sont inutiles car déjà couvertes par l'article L. 1351-1 du code de la santé publique, qui mentionne les sanctions et les rémunérations. Le 3°, qui étend la protection existante aux lanceurs d'alerte ayant relaté des faits à un journaliste, pose une véritable difficulté : les journalistes ne sont pas mentionnés à l'article 226-10 du code pénal relatif aux sanctions applicables en cas de dénonciation calomnieuse. Dès lors, un régime spécifique et plus clément s'appliquerait aux lanceurs d'alerte ayant choisi la voie des médias, plutôt que celle de l'employeur ou des autorités judiciaires ou administratives. Enfin, cet article ne modifie la législation que dans le domaine sanitaire et environnemental.
Dans une proposition de résolution demandant, en octobre dernier, la création d'une commission d'enquête relative à la protection des lanceurs d'alerte, notre collègue Nathalie Goulet rappelait combien le dispositif juridique de protection les concernant était morcelé et appelait à son harmonisation dans un texte ad hoc. Par conséquent, cet article ne constitue pas le véhicule législatif adéquat pour une telle réforme. De plus, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique présenté ce matin au Conseil des ministres comporte des dispositions différentes sur cette question.
Mme Marie-Christine Blandin. - Ma loi sur la protection des lanceurs d'alerte ne couvrait que les domaines de la santé et de l'environnement parce que dans le cours de mes échanges interministériels, je n'avais pas su convaincre - étrangement ! - le ministre de l'économie et des finances de l'époque. Malgré le projet de loi dit « Sapin », l'édifice demeurera incohérent et une loi globale restera nécessaire. En attendant, supprimer le canal journalistique pour les lanceurs d'alerte ne se justifie pas, d'autant que l'article 29 de la loi de 1881 punissant la diffamation s'applique aux journalistes. En supprimant le canal de la presse, vous rendriez impossibles les alertes sur l'amiante, sur les éthers de glycol, sur le Mediator... Voulez-vous tuer Irène Frachon ? C'est la presse qui l'a sauvée ! Je voterai contre cet amendement.
M. David Assouline. - Notre groupe est lui aussi opposé à cet amendement. Avant-hier, une lanceuse d'alerte, Florence Hartmann, a été emprisonnée, pour être libérée hier. Ne revenons pas en arrière. À l'Assemblée nationale, cet amendement n'a pas suscité de polémiques. Votre position, madame Morin-Desailly, ne correspond pas à celles que vous exprimez généralement.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je croyais avoir été claire. Je ne privilégie pas la visibilité au détriment de l'efficacité et de la rigueur de la loi, d'autant plus en cette époque de crise de confiance envers nos institutions. En tant que rapporteure, je me dois d'être prudente et de mettre en garde la commission sur le problème que cet article pose au point de vue du droit pénal. Je ne suis pas pour autant insensible à la protection des lanceurs d'alerte. De grâce, pas de procès d'intention !
Mme Marie-Christine Blandin. - Quelle confiance les citoyens conserveront-ils dans le Sénat, en apprenant que ce dernier rend placardisable ou licenciable toute personne qui a le tort de parler à un journaliste ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je ne comprends pas votre objection. La loi de 2013 n'est pas remise en cause.
M. Jean-Louis Carrère. - Vous feignez de ne pas comprendre... Cet amendement expose le Sénat à des accusations de ringardise. Il porte atteinte à l'image politique de notre institution.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous ne faisons pas de la communication. Nous légiférons !
L'amendement n° COM-5 est adopté et l'article est supprimé.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement n° COM-6 précise que le CSA veille à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes. Le terme « veille » est plus conforme à la mission du régulateur, qui repose sur un contrôle a posteriori, que le terme « garantit ». Il supprime également une phrase laissant penser que le CSA pourrait devenir un arbitre entre les journalistes et leurs employeurs. Une telle évolution constituerait en effet une atteinte au fonctionnement normal des rédactions.
L'amendement n° COM-6 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 3 est adopté sans modification, ainsi que l'article 4.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le fait que le non-respect des principes mentionnés au 3e alinéa de l'article 3-1 n'ait besoin que d'être constaté, et non sanctionné, pour remettre en cause le recours à la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d'émission pose un problème de proportionnalité. Les effets seraient préjudiciables pour les éditeurs de services concernés alors même que les manquements en question pourraient ne pas être significatifs. Mon amendement n° COM-7 rend donc nécessaire une sanction afin de privilégier les principes d'équité et de sécurité juridique.
L'amendement n° COM-7 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 6 est adopté sans modification.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-8 propose une nouvelle dénomination pour les comités qui deviendraient des « comités de déontologie », comme le proposait d'ailleurs David Assouline dans sa proposition de loi. En outre, ce comité devra être indépendant. Cette modification rédactionnelle est cohérente avec la nouvelle rédaction proposée aux alinéas 3 à 5 qui préserve la compétence du CSA pour apprécier l'indépendance des comités.
L'amendement n° COM-8 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-9 supprime la possibilité de saisine des comités de déontologie par « toute personne », ce qui risquerait de les submerger de demandes, et ouvre un droit de saisine à la société des journalistes. Selon moi, le médiateur devrait siéger dans les comités de déontologie.
L'amendement n° COM-9 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-10 rectifié propose une nouvelle rédaction des alinéas 3 à 5 afin de clarifier les responsabilités respectives de la société et du CSA et de trouver des membres ayant une certaine expérience en matière d'information et d'audiovisuel.
L'alinéa 3 établit que le CSA veillera à l'indépendance des comités de déontologie, ce qui signifie qu'il aura un droit de regard sur les nominations et les modalités de fonctionnement qui figureront dans les conventions signées avec les éditeurs de services.
L'alinéa 4 précise que les membres des comités de déontologie sont nommés par l'organe de gouvernance collégial de la société (conseil d'administration ou conseil de surveillance) afin d'assurer la légitimité de la décision et de rappeler que les administrateurs de la société veillent au respect de l'indépendance de l'information et des programmes. Lors de son audition, Delphine Ernotte a évoqué cette possibilité, estimant que le comité de déontologie devait être l'émanation du conseil d'administration.
L'alinéa 4 reconnaît au CSA un droit de véto sur les nominations dans le cas où il aurait des doutes sur l'indépendance des membres. Les nominations devront être notifiées au CSA pour devenir effectives et celui-ci disposera d'un délai de deux mois pour s'y opposer par avis motivé. Le processus de nomination donnera donc bien lieu à un dialogue entre la société et le CSA, chacun ayant ses propres responsabilités.
L'alinéa 5 maintient la possibilité de prévoir un comité de déontologie commun pour un groupe de média comportant plusieurs services de radio et télévision.
La rectification porte sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des comités de déontologie.
L'amendement n° COM-10 rectifié est adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-11 traite du rapport annuel du CSA. Il faut éviter qu'il entre trop dans le détail des manquements constatés dans l'application du troisième alinéa de l'article 3-1 afin de privilégier une analyse plus globale des difficultés rencontrées, conformément à l'esprit de la régulation qui préconise des échanges concertés pour améliorer les pratiques.
Le CSA doit pouvoir continuer à disposer d'une certaine marge d'appréciation sur l'intérêt qu'il y aurait à mettre en cause publiquement une société et le fonctionnement de sa rédaction d'autant plus que d'éventuels recours devant les juridictions compétentes pourraient être toujours en cours d'examen. Au nom du respect de cette marge d'appréciation, il n'apparaît pas opportun d'exiger du CSA d'expliquer pourquoi il n'aurait pas pris de mesures en réponse à des manquements constatés.
L'amendement n° COM-11 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 9 est adopté sans modification, ainsi que les articles 9 bis, 10 et 10 bis.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Cet article propose plus de transparence : nous y sommes favorables. En revanche, il serait préférable de limiter son champ aux seuls actionnaires détenant au moins 10 % du capital qui sont les actionnaires véritablement significatifs, c'est l'objet de l'amendement n° COM-12.
M. David Assouline. - En fait, vous proposez d'en revenir à la situation actuelle. Votre argumentation n'est pas convaincante : vous reprenez ce que les patrons de presse nous ont dit. Nous interrogerons le Gouvernement en séance.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Non, la transparence sera accrue : désormais, la part de capital détenue par chacun sera connue.
L'amendement n° COM-12 est adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - En lien avec l'article 11, cet article prévoit des sanctions. Une entreprise fautive verrait ses aides directes ou indirectes suspendues en totalité ou pour partie. L'amendement n° COM-13 supprime cet article car il existe déjà une sanction pénale en cas de manquement aux obligations de transparence de l'actionnariat : le directeur de la publication encourt 6 000 euros d'amende.
En outre, l'État conventionne avec les entreprises de presse : ses aides sont déjà conditionnées au respect d'un certain nombre d'obligations.
Enfin, cet article me semble contre-productif car il touche plus durement les entreprises aidées que les autres. Or, les entreprises aidées sont souvent les plus fragiles, notamment parce qu'elles disposent de faibles ressources publicitaires. Ce dispositif de sanction serait donc plus lourd pour les entreprises les plus fragiles.
M. David Assouline. - Aucune entreprise supposée fragile ne nous a demandé de revenir sur cet article. Ce serait d'ailleurs les seules affectées par la « lourde » peine des 6 000 euros. Parlez-en à M. Dassault : cela l'amusera.
Nous devrons bien un jour nous pencher sur la répartition des aides à la presse car elles ne correspondent plus du tout à la réalité de terrain. Les petits entrants, comme la presse en ligne, n'en bénéficient pas, de grands groupes si... Une chaîne peut subir la sanction du CSA avec une non-reconduction de sa fréquence. Les aides à la presse écrite peuvent être suspendues en partie ou totalement. Mais, de grâce, n'évoquez pas la peine de 4 000 euros qui n'est absolument pas dissuasive.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous aurons ce débat en séance.
L'amendement n° COM-13 est adopté et l'article est supprimé.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - J'ai déjà présenté cet amendement n° COM-24 : il s'agit de revenir sur la suppression votée à l'Assemblée nationale d'un dispositif que nous avons adopté à l'unanimité il y a quelques mois. La loi Macron estimait que grâce à la dématérialisation du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc), les entreprises pouvaient s'épargner le paiement d'une annonce lors d'une cession de commerce en passant par une publication gratuite.
M. Jacques Grosperrin. - François Commeinhes, ayant dû s'absenter, m'a demandé d'intervenir en son nom. Il avait présenté il y a plus d'un an un amendement à la proposition de loi de modernisation du secteur de la presse sur les annonces légales. Les publications des mutations de fonds de commerce dans les journaux habilités représentent une part substantielle de leurs revenus et constituent pour certains la clé de voute de leur modèle économique. Il serait contreproductif de voter cet amendement. Afin de préserver la pérennité économique de certaines publications, notamment la presse spécialisée et la presse régionale, il vous invite à maintenir l'article 11 ter.
M. David Assouline. - Je souscris à ce qui vient d'être dit.
Hugues Portelli rappelle que nous avons voté à l'unanimité cette disposition lors de l'examen de la loi Macron. Or, lorsque nous nous sommes prononcés, nous n'avions pas évalué l'impact de cette disposition sur le secteur de la presse. Le Gouvernement s'en était rendu compte et certains parlementaires avaient été alertés. Je n'ai pas pu corriger cet article, à cause du 49-3. Nous avons entendu les représentants de la presse locale : avec cette mesure, elle perdrait des millions. Ne la fragilisons pas.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je souhaite convaincre Hugues Portelli de renoncer à son amendement. Les informations de la publication au Bodacc ne donnent pas satisfaction car il est impossible de s'y retrouver. Il faut des logiciels experts, que seuls les établissements bancaires possèdent, pour extraire les informations pouvant intéresser d'éventuels acheteurs. Personne d'autre ne dispose de tels outils et ne peut donc être correctement informé. L'usage de la presse régionale, qu'elle soit quotidienne ou hebdomadaire, est donc indispensable pour ce type de recherche.
Même au niveau national, ces annonces semblent nécessaires à une certaine presse, par exemple, les publications des Échos deux fois par semaine. Le modèle économique de la presse régionale a donc besoin de ces annonces, notamment celles concernant les cessions de fonds de commerce, d'autant que les ressources publicitaires locales sont faibles.
David Assouline a, tout à l'heure, fait référence à l'époque où chaque département comptait six ou sept titres de presse. Aujourd'hui, nous en sommes à deux ou trois.
M. Jean-Louis Carrère. - Parfois un !
M. Philippe Bonnecarrère. - Ces journaux tiennent grâce aux annonces légales. Les supprimer serait leur arrêt de mort, ce qui porterait atteinte au pluralisme de la presse.
M. Claude Kern. - Je partage ce qui vient d'être dit. Cet article est indispensable pour assurer la survie la presse régionale, notamment hebdomadaire. Je demande à la commission des lois de revoir sa copie.
Mme Colette Mélot. - Je me joins à ces remarques : protégeons la presse locale.
M. Jean-Claude Carle, président. - Je suis en tout point d'accord avec mes collègues.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avant même de vous avoir entendus, je souhaitais le maintien de cet article. En général, je n'aime pas détricoter ce qui vient d'être voté, mais nous sommes dans une situation particulière. Cette disposition a été introduite dans la loi Macron au détour d'un amendement déposé à l'Assemblée nationale, sans aucune étude d'impact et la presse régionale et spécialisée a découvert qu'elle risquait d'être privée annuellement de 9 millions d'euros de ressources. En supprimant cet article, nous mettrions des entreprises en difficulté. Je ne souscris donc pas à la proposition de la commission des lois.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Je n'accorde pas la même importance à cet amendement qu'aux amendements précédents. Je le retirerais s'il n'avait été voté à l'unanimité par la commission des lois.
L'amendement n° COM-24 n'est pas adopté.
L'article 11 ter est adopté sans modification.
L'article 11 quater est adopté sans modification, ainsi que les articles 11 quinquies, 11 sexies et 11 septies.
Article 11 octies
L'amendement rédactionnel n° COM-14 est adopté.
L'article 11 octies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-15 propose de reporter au 1er juillet 2017 la date limite pour l'adoption des avenants aménageant les conventions.
M. David Assouline. - Pourquoi attendre si longtemps ? Pourquoi ne pas fixer six mois, soit le 1er janvier prochain ? Ne risque-t-on pas de vous soupçonner de vouloir attendre certaines échéances électorales ?
L'amendement n° COM-15 est adopté.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n° COM-16 reporte au 1er juillet 2017 la mise en place des comités de déontologie.
M. David Assouline. - Même remarque que précédemment.
L'amendement n° COM-16 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 14 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après.
La réunion est levée à 12 h 10.