- Jeudi 24 mars 2016
- Justice et affaires intérieures - Réforme de l'espace Schengen et crise des réfugiés - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique
- Énergie - Sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et accords avec des pays tiers dans le domaine de l'énergie - Proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet et Michel Delebarre
- Questions diverses
Jeudi 24 mars 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9 h.
Justice et affaires intérieures - Réforme de l'espace Schengen et crise des réfugiés - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport d'information de MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt sur la réforme de l'espace Schengen et la crise des réfugiés. Il n'est pas besoin de souligner l'actualité, pour ne pas dire l'urgence, de ce sujet brûlant, qui déstabilise l'Europe en mettant à mal les dispositifs - il est vrai bien fragiles - mis en place pour la gestion de l'espace Schengen. Celui-ci a été inventé en 1985, et n'est donc pas adapté à ce qui nous arrive ! Manifestement, l'Europe n'était absolument pas préparée pour affronter une crise aussi violente, qui n'a fait que s'amplifier dans le contexte tragique de la situation en Syrie. Cette crise a une dimension humanitaire évidente. L'Europe doit se montrer à la hauteur de ses valeurs. Mais cette crise pose aussi de manière abrupte la question d'une gestion efficace de nos frontières extérieures.
Le rétablissement durable des frontières intérieures mettrait en cause le principe de libre circulation qui est un grand acquis de la construction européenne. Il aurait aussi un coût considérable : 10 milliards d'euros par an pour la France, selon France Stratégie. Et la reconstruction de frontières intérieures pérennes aurait quelque chose d'anachronique alors que nous en sommes au douzième round de négociation du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP). Il faut donc impérativement trouver les voies et moyens de rétablir au plus vite un fonctionnement normal. Cela exige le retour de la confiance entre États membres et donc des mesures fortes pour assurer le contrôle effectif des frontières extérieures.
M. André Reichardt, rapporteur. - Ce rapport d'information porte sur l'avenir de l'espace Schengen et la crise migratoire aiguë à laquelle l'Europe est aujourd'hui confrontée. Ces deux questions sont, bien sûr, étroitement liées. Il nous apparaît urgent de prendre position et de définir une ligne.
Il a été démontré que la politique du « chacun pour soi » ne peut conduire en la matière qu'à une impasse. On voit bien que les décisions unilatérales prises par certains États ne constituent pas une solution durable : elles pourront tout au plus bloquer certains flux, avec des conséquences humanitaires déjà visibles et inacceptables, ou déboucher sur l'utilisation de voies de contournement ou de substitution aggravant la situation de pays européens voisins et interpellant à nouveau l'Union européenne.
Au cours de la dernière période, des expressions comme « dislocation de l'Union européenne », « démantèlement de l'Union européenne », voire même de « mort de l'espace Schengen » ont été prononcées. À la mi-janvier, dans des termes très durs, le ministre français de l'intérieur a déclaré : « Soit on considère que l'Europe est un chaos et on ne fait rien, soit on agit avec volontarisme et avec un agenda précis. » Et il ajoutait : « Si nous ne nous montrons pas extrêmement vigilants quant aux conditions dans lesquelles s'exerce la sécurité de nos frontières extérieures, nos opinions publiques seront de moins en moins favorables à accorder un accueil serein aux réfugiés. » On ne peut être plus précis et plus direct sur les relations qui existent entre les deux problématiques.
Nous avons entendu des responsables français de ces dossiers, à Paris et à Bruxelles, les ambassadeurs d'un certain nombre de pays particulièrement concernés : la Turquie, la Grèce et la Macédoine, qui est en première ligne, pour le moment, face à la pression migratoire des réfugiés bloqués à la frontière grecque. Nous en avons conclu que l'heure des choix était venue : nous sommes arrivés à un point de non-retour.
Dans une précédente intervention, au mois de novembre 2014, je vous avais rappelé le dispositif général du Code frontières Schengen, tel qu'il résulte du règlement de 2013. L'espace Schengen a été ouvert en 1985 entre cinq pays, puis s'est élargi peu à peu. J'avais mis l'accent sur les insuffisances ou les lacunes de cet espace commun de libre circulation.
En matière de visas tout d'abord, à l'exception du visa de court séjour dit « visa Schengen », chaque État membre délivre aux ressortissants des États tiers une autorisation de séjour selon des critères qui lui appartiennent. Il en est de même, en grande partie, pour la protection internationale : chaque État accorde aux demandeurs d'asile une protection nationale selon ses pratiques, même si des règles communes en matière d'accueil, de procédure et de qualification sont maintenant définies par les directives de 2013.
Mais la crise migratoire aiguë qui frappe l'Europe depuis plusieurs mois a fait apparaître que l'enjeu majeur était décidément le contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union européenne et, singulièrement, de l'espace Schengen. On le sait, les frontières des États membres de la périphérie sont aussi les frontières communes de l'Europe. C'est tout le problème des États les plus exposés - l'Italie, puis la Grèce aujourd'hui - ainsi que celui de l'agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures, Frontex.
Il faut se féliciter des deux propositions de règlement présentées par la Commission le 23 janvier dernier. L'une porte sur la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et renforce substantiellement le mandat et les moyens humains et matériels de Frontex. L'autre prévoit un renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures de l'Union. Le projet de création de garde-frontières européens - proposition avancée depuis longtemps par le Sénat - pourrait voir le jour avant l'été 2016, ou au plus tard en septembre 2016.
Nous pensons, pour notre part, qu'il faut aller plus loin. Ce qui est en jeu, c'est le rétablissement de la confiance entre les États membres, et entre les citoyens et l'Union européenne. En son absence, tout l'édifice européen se trouve extrêmement fragilisé : il s'agit pour l'Union européenne, à qui tant de reproches sont déjà adressés, d'une question de survie.
Il s'agit donc peut-être d'exiger une condition préalable à toute réforme, qu'elle concerne le Code frontières Schengen, le système Dublin ou encore le dispositif européen sur le droit d'asile. Ce préalable, c'est la mise en place, le plus rapidement possible, d'un contrôle systématique avec validation biométrique des entrées et des sorties dans l'espace Schengen et hors de cet espace. Les migrants arrivant massivement depuis des zones de guerre sont souvent dépourvus de papiers. Cet enregistrement systématique devra concerner tant les ressortissants des pays tiers que les ressortissants bénéficiant de la libre circulation dans l'espace européen, c'est-à-dire les détenteurs de passeports européens. Ce projet, communément appelé « Smart Borders » ou « Frontières intelligentes » est en débat, dans les instances européennes, depuis 2013. S'il était validé, il pourrait, selon ce qui nous a été dit, être mis en oeuvre au plus tôt au printemps 2017 : c'est bien long... Certains lui ont reproché sa dimension trop sécuritaire. Pourtant, de grands pays comme le Brésil ou de plus petits comme le Burkina Faso, l'utilisent depuis des années. C'est sans doute la condition sine qua non, selon nous, du rétablissement de la confiance et donc de la poursuite d'une politique européenne commune.
Il faut aussi rappeler l'importance, en la matière, des relations avec les pays tiers. Soulignons la nécessité du renforcement de la coopération internationale, en particulier avec les pays d'origine et de transit des réfugiés ou des migrants, qu'a bien montrée le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015. Nous savons tous que le renforcement de cette coopération est seul susceptible, à plus ou moins bref délai, de résoudre les difficultés auxquelles l'Union européenne fait face. Je n'insisterai pas sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie qui a été entériné par le Conseil européen de la semaine dernière. Sa mise en oeuvre sera difficile. En Grèce, des migrants ont déjà déclaré qu'il n'était pas question pour eux de retourner en Turquie. La vigilance s'impose donc. En tout cas, il ne remet nullement en cause la stratégie européenne préconisée par la proposition de résolution européenne (PPRE) qui vous est présentée.
Il importe, enfin, de rappeler l'importance d'une résolution rapide des conflits armés qui ravagent de nombreuses régions du monde, en particulier le Moyen-Orient. Cela aiderait à limiter la crise migratoire, qui ne pourra cependant pas être stoppée facilement.
L'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit d'un possible éclatement de l'Union européenne faute d'un accord sur les outils à mettre en oeuvre et l'obligation de solidarité.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Un demandeur d'asile est un migrant qui dépose une demande d'asile ; le réfugié politique est celui qui bénéficie d'une protection internationale. Le million de personnes entrées l'an dernier dans l'Union européenne ne relèvent pas toutes de ces catégories : en 2015, l'Allemagne a enregistré 440 000 demandes d'asile ; la Hongrie, 174 000 ; la Suède, 156 000 ; l'Autriche, 85 000 ; l'Italie, 83 200 et la France, plus de 70 000. Le taux d'acceptation varie de 25 % à 55 % selon les pays, qui reçoivent il est vrai des populations d'origines différentes. Précisons que le chiffre pour la Hongrie est surévalué : la Hongrie a fermé sa frontière quand l'Allemagne a commencé à appliquer les règles de Dublin aux personnes ayant déjà demandé l'asile en Hongrie. Du coup, nombre de migrants ont été enregistrés deux fois.
L'asile est un des droits essentiels de l'Union européenne. Il est inscrit dans la Convention relative au statut des réfugiés conclue à Genève le 28 juillet 1951, ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En France, il correspond à une tradition encore plus ancienne.
L'article 33 de la Convention de Genève dispose qu'« aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Il est bon de le rappeler.
La France a engagé, il y a un an, une réforme de l'asile, afin de transposer les directives « accueil » et « procédure », qui avaient fait l'objet de longues négociations. Pour autant, de grandes différences subsistent entre les États membres. Quelques grands principes ont été arrêtés : pas de refoulement collectif, droit à une étude individuelle et à un recours suspensif. Certes, l'analyse de la situation des personnes vulnérables est difficile à conduire dans les îles de la mer Égée. Le refoulement n'est possible que dans un pays tiers sûr. Forcer la Grèce à reconnaître la Turquie comme tel, alors que la Hongrie ne le fait pas, semble très audacieux.
Le droit au regroupement familial, faute d'être reconnu, se prend « les pieds » : des familles migrent par petits groupes, et l'on voit des femmes et des enfants risquer leur vie pour rejoindre l'homme déjà arrivé.
Lorsque la Hongrie a fermé ses frontières, la route des Balkans a conduit les migrants à sortir de la zone Schengen, puis à y rentrer. Or la Macédoine et la Serbie n'avaient pas de système d'enregistrement coordonné au nôtre. Quant à l'enregistrement sur les îles grecques ! Seule la mise en place de hotspots assurera un enregistrement effectif des arrivées dans le système Eurodac. En pratique, la Grèce a cédé le contrôle de sa frontière à Frontex.
Le principe de Schengen était que chaque État était responsable de sa frontière extérieure. Si un pays laissait entrer une personne, il lui incombait de traiter sa demande d'asile. Du coup, le Luxembourg et la Grèce se trouvent dans des situations identiques, alors qu'ils ne subissent pas les mêmes pressions. Sommes-nous capables d'assumer une souveraineté partagée sur la question ? Il s'agirait de porter en commun le traitement des demandes d'asile, et d'intervenir aux frontières si un État est défaillant.
Au sein des flux de migrants, de nombreuses personnes viennent pour des raisons économiques et ne sont pas des réfugiés. Cela inquiète, et il faut donc absolument établir des voies robustes et fiables permettant l'identification de chacun. Bien sûr, la pression est si importante que la route des Balkans sera sans doute remplacée par d'autres itinéraires : par l'Albanie, la Bulgarie et la Roumanie, voire l'Ukraine, et par la Libye et l'Italie.
Face à de tels défis, l'union fait la force. Notre espace de libre circulation doit être défendu non par principe, mais parce qu'il est efficace. Les démarches entreprises l'an dernier par certains États d'Europe centrale pour conclure des partenariats bilatéraux plutôt que renforcer Frontex ont affaibli l'Europe.
Une plus juste répartition des demandeurs d'asile entre États pose la question du droit des personnes accueillies à aller travailler dans un autre pays de l'Union. Cette liberté, à nos yeux, ne pourrait que bénéficier à leur bonne insertion économique. Une harmonisation des principes de la demande d'asile serait aussi souhaitable. Ne pourrait-on envisager d'harmoniser progressivement la jurisprudence de l'Europe en la matière ?
Pour empêcher des drames comme celui des 10 000 mineurs isolés, le regroupement familial doit être un droit. La relocalisation doit aussi être une option. N'imaginons pas que la fermeture de la frontière avec la Turquie résoudra le problème. Comme le Liban et la Jordanie, ce pays peut constituer un défi considérable pour l'Europe s'il est gagné par la déstabilisation. Tous les éléments de la proposition de résolution européenne me conviennent...
M. Jean Bizet, président. - C'est déjà bien !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Mais il faudrait la compléter par l'affirmation de certains principes. Si la confiance entre les États et les citoyens de l'espace Schengen est indispensable, certains points pourraient être précisés. Nous pourrions nous donner une semaine pour améliorer son texte.
M. Jean Bizet, président. - Nous devons pouvoir le voter aujourd'hui.
M. Alain Vasselle. - La proposition de résolution européenne aidera-t-elle à lever les difficultés que Frontex rencontre avec la Macédoine et la Serbie ? Vos propositions, si nous les avions adoptées plus tôt, auraient-elles pu éviter les évènements récents de Belgique ? Un des terroristes impliqué a été expulsé de Turquie vers les Pays-Bas avant de rentrer en Belgique, et la Belgique n'a pris aucune mesure contre lui. Le contrôle des frontières n'est donc pas suffisant.
M. Éric Bocquet. - Il s'agit d'un sujet grave, et cette crise met à mal l'idée européenne. Soyons modestes : nul n'a la solution. Bien sûr, nous devons contrôler nos frontières, mais nous n'empêcherons pas les migrants de passer. Après la fermeture de la route des Balkans, la pression s'accroît à Vintimille... Vers quelles solutions guideraient les « structures d'orientation » que vous évoquez ? De quels moyens disposeraient-elles ? Les conflits en Syrie et en Irak doivent être l'objet d'un effort supplémentaire de la diplomatie européenne. Quant à l'accord avec la Turquie, quel aveu d'échec ! Je m'abstiendrai sur le texte qui nous est proposé.
M. André Gattolin. - Il est dommage que certains principes ne soient pas mentionnés dans cette proposition de résolution européenne. Ce qui se passe aux frontières de Schengen est analogue à ce que nous voyons à Calais, et explique l'inquiétude de nos concitoyens. Le droit d'asile est supérieur aux autres droits, et il est d'une gestion complexe : le demandeur vient souvent malgré lui, et souhaite souvent revenir chez lui dès que possible. D'ailleurs, la majorité des migrants restent aux frontières turques, libanaises ou jordaniennes, pour s'éloigner le moins possible. Si nous n'avions pas laissé se dégrader la situation de leurs camps sur place, ils ne seraient pas venus si massivement vers l'Europe. Sur le plan géostratégique, on constate que la Russie a laissé passer 6 000 migrants venus de Syrie et d'Afghanistan, qui ont franchi la frontière norvégienne à vélo. Les responsables norvégiens y voient une réplique aux sanctions occidentales, et je considère que le bombardement désordonné d'Alep a augmenté de plusieurs milliers le nombre de candidats à l'exil... Renforcer Frontex, très bien, mais ses compétences sont floues quand il s'agit d'intervenir dans les pays candidats à l'adhésion, dont le système judiciaire et policier reste souverain. Je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution.
M. Pascal Allizard. - Le coût de 100 milliards d'euros - dont 10 milliards d'euros pour la France - évoqué en cas de rétablissement des frontières intérieures ne correspond-il pas aux économies que nous avons réalisées en les abolissant, mais que nous n'avons pas affectées à un meilleur contrôle des frontières extérieures ?
M. Richard Yung. - Je suis favorable à la plupart de vos propositions. J'espère que l'installation de hotspots progresse. La remise en cause de la souveraineté que vous proposez n'est-elle pas irréaliste ? Quelle chance avons-nous de la voir aboutir ? Même la relocalisation n'est pas acceptée par tous les États. Quant à l'harmonisation des jurisprudences, comment voulez-vous la mettre en oeuvre ? Les juges sont indépendants.
M. André Reichardt, rapporteur. - Bien sûr, nous n'avons pas rappelé tous les principes dans cette proposition de résolution. L'aspect humanitaire de cette crise est évident, non moins que ses dimensions économiques ou sécuritaires. Nous proposons des mesures d'urgence pour remédier aux dysfonctionnements flagrants de Schengen. En particulier, il faut de vrais contrôles, biométriques, à l'extérieur, pour préserver la libre circulation à l'intérieur. On voit bien que la Grèce est débordée, et l'Italie n'a guère fait mieux qu'elle. Frontex doit donc monter en puissance, et la souveraineté des États passer au second rang. Il en va de l'avenir de l'Union européenne. Ce débat est indispensable. Les moyens de Frontex doivent être accrus. Les structures dont nous préconisons la création pourront assurer aussi un hébergement décent aux migrants. Il serait mieux qu'elles soient situées dans des pays tiers. Sinon, il est impossible de renvoyer les personnes déboutées. Pour la Macédoine et la Serbie, nous préconisons que Frontex puisse les aider si elles le demandent.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Pour harmoniser les jurisprudences en matière de droit d'asile, je proposais la création d'une cour d'appel européenne compétente pour traiter les recours juridictionnels contre les décisions administratives prises dans chaque État membre. Cela facilitera aussi la relocalisation, et sa jurisprudence obligera les instances nationales à converger.
M. André Reichardt, rapporteur. - Je m'y suis opposé, car je crois que c'est irréaliste. D'où la formulation retenue.
M. André Gattolin. - J'ai eu à intervenir auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui s'apprêtait à renvoyer un Tibétain en Chine car il n'avait pas trouvé le bon traducteur, et on ne lui avait pas laissé le temps de faire appel !
M. Daniel Raoul. - La proposition de M. Leconte me gêne car elle remet en cause plusieurs principes de droit. Envoyer le corps de garde-frontières européens dans un pays tiers me gêne aussi : ce serait un corps expéditionnaire !
M. Jean Bizet, président. - Cela se ferait à la demande du pays concerné.
M. Daniel Raoul. - Mais reviendrait à déplacer la frontière.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - La Macédoine et la Serbie n'ont pas accès à Eurodac ni aux bases européennes. Du coup, les migrants sont enregistrés plusieurs fois dans des systèmes différents. La Macédoine submergée a demandé à la Hongrie et à la Slovaquie de lui envoyer des effectifs, et ceux-ci ont manqué à Frontex, qui en avait besoin. Il aurait mieux valu répondre à la demande de ces pays en leur fournissant l'aide de Frontex.
Les contrôles biométriques nous rendraient plus crédibles face à la Turquie lorsque nous lui demandons de ne pas admettre nos ressortissants suspectés de vouloir se rendre en Syrie. Certes, la fermeture d'une voie en ouvre d'autres, ce qui fait la fortune des passeurs. C'est pourquoi nous devons avoir une voie d'accès robuste et durable. Quant aux structures que nous évoquons, il peut s'agir simplement de bureaux. La situation actuelle ne peut pas perdurer. Il faut donc consentir à un partage de souveraineté.
M. Daniel Raoul. - Un contrôle biométrique est-il réaliste ? Cela requiert de gros investissements, et le débit n'est pas le même.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Le système d'information de Schengen a coûté trois fois plus que prévu...
M. Jean Bizet, président. - Quels amendements voulez-vous porter au texte de la proposition de résolution, M. Leconte ?
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Il faudrait écrire : « Considérant qu'aux frontières de l'Union européenne la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Égypte font face à de très nombreux réfugiés qui résultent des crises syrienne, libyenne, mais aussi de la situation au Yémen, en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan, que la Turquie, le Liban et la Jordanie accueillent chacun plus de deux millions de réfugiés, que l'exil vers l'Europe d'une part de ces réfugiés s'explique par le besoin de trouver un endroit où une perspective de vie pourrait leur être offerte » et « Considérant que l'Union européenne doit être à la hauteur de ses valeurs fondatrices en ne laissant pas le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Tunisie et l'Égypte seuls face aux tragédies du Moyen-Orient, et que cette solidarité est la condition pour ne pas aggraver la situation dans ces pays et ses répercussions en Europe. »
M. Daniel Raoul. - Ça tourne à la logorrhée !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Ce sont des considérants. Je souhaite également que la proposition de résolution souligne qu'obtenir une protection donne aussi le droit au regroupement familial, et aborde la question de l'exemption de visas avec la Turquie.
M. Jean Bizet, président. - Ne bouleversons pas un texte, pour lequel vous étiez parvenus à un équilibre... Son point n° 38 ne déplace pas les frontières, mais prévoit l'appui de Frontex si le pays le réclame.
M. André Reichardt, rapporteur. - Ces nouveaux considérants ne font qu'expliciter la proposition de résolution, sauf en ce qui concerne le regroupement familial. L'« orientation » des migrants devrait permettre de prendre en compte toutes les questions dont celle du regroupement familial. Encore faut-il que les services concernés disposent de suffisamment d'informations.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Il faut créer des voies crédibles, robustes, légales. La remise en cause du droit au regroupement familial est dangereuse.
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose d'adopter la proposition de résolution en l'état. Elle sera ensuite examinée par la commission des lois.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'équilibre du texte n'est pas tout à fait atteint, puisqu'il ne réaffirme pas certains principes fondamentaux.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté - MM. Éric Bocquet et André Gattolin s'abstenant - la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Énergie - Sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et accords avec des pays tiers dans le domaine de l'énergie - Proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet et Michel Delebarre
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Le 16 février 2016, la Commission européenne a publié deux propositions d'actes concernant, dans les deux cas, des dispositifs de mise en oeuvre de l'Union de l'énergie ou du marché unique de l'énergie au sein de l'Union européenne. Ces deux propositions sont toutes deux axées sur la problématique de la sécurité d'approvisionnement.
Le premier texte est une proposition de règlement du Parlement et du Conseil sur la garantie de la sécurité d'approvisionnement en gaz naturel ; le second est une proposition de décision du Parlement et du Conseil créant un mécanisme d'échange d'informations sur les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie.
La base de l'enjeu « énergie » pour l'Union européenne ainsi que les engagements successifs, chaque année, des Conseils européens depuis 2013 vont tous dans le sens de la mise en place et d'un fonctionnement harmonieux d'un marché intérieur européen de l'énergie, en particulier pour tout ce qui relève de la sécurité d'approvisionnement et de la réduction de la dépendance énergétique de l'Union.
Depuis 2009, le traité de Lisbonne a habilité l'Union européenne à prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement du marché de l'énergie, assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique, promouvoir l'efficacité énergétique et l'interconnexion des réseaux.
J'aborderai tout d'abord le premier texte qui concerne la sécurité d'approvisionnement de l'Union européenne en gaz naturel.
La Commission fonde son initiative sur la stratégie de l'Union de l'énergie, exprimée le 25 février 2015, qui place en son coeur l'assurance pour les citoyens de l'Union européenne de bénéficier de l'approvisionnement nécessaire en énergie.
À l'expérience des crises gazières de 2006 et 2009, des avancées ont déjà été réalisées via une meilleure connexion des systèmes énergétiques par les gazoducs, une amélioration du fonctionnement du marché intérieur de l'énergie par la coopération régionale, et la mise en place de flux rebours ou flux inversés aux interconnexions frontalières.
Chaque État membre a été invité, dans le cadre de l'actuelle réglementation datant de 2010, à mettre en place des plans d'actions préventifs et des plans d'urgence en cas de crise pour assurer les clients protégés, c'est-à-dire au minimum les ménages, les services sociaux de base et les centrales de chauffage urbain, dans un scénario de crise correspondant à la défaillance de l'infrastructure gazière principale des pays en cause.
Pour autant, la Commission considère aujourd'hui que la capacité de l'Union européenne à réagir de façon cohérente et efficace à une grave crise d'approvisionnement est insuffisante. Les leçons tirées de tests de résistance effectués en 2014 montrent que les politiques nationales ne permettent pas de répondre à une crise d'approvisionnement dans un pays limitrophe. L'évaluation des risques et une politique préventive efficace pâtissent aussi d'un manque de transparence des contrats commerciaux de fourniture de gaz.
L'objet du règlement est donc de renforcer cette capacité de résistance de l'Union européenne à une crise d'approvisionnement en énergie gazière. À cette fin, un principe de solidarité est instauré : en cas de crise grave, les États membres voisins fourniront sur une base commerciale, qui exclut la gratuité, le gaz destiné aux clients protégés de l'État affecté que sont les ménages et les services sociaux essentiels. L'approche régionale remplacera l'approche nationale pour élaborer les mesures de sécurité d'approvisionnement. Cela permettra une meilleure coordination entre États et une meilleure évaluation des risques et des ressources. La coopération sera élargie aux pays de la Communauté de l'énergie créée en 2005, à savoir les sept pays suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Serbie, Kosovo, Moldavie et Ukraine. Ces pays seront associés à la prévention et à la gestion des crises gazières aux frontières Est et Sud-Est de l'Union européenne. Une transparence accrue sera enfin assurée sur certains contrats d'approvisionnement qui devront être notifiés à la Commission et aux États membres dès leur conclusion.
Le projet de règlement obligera les États membres, qui ont d'ailleurs déjà élaboré des plans d'actions préventifs et des plans d'urgence nationaux, à en établir à l'échelon régional qui se substitueront aux premiers ; les plans d'urgence incluront les arrangements techniques, juridiques et financiers nécessaires à la mise en oeuvre du principe de solidarité ; les États membres devront décider ensemble de construire des capacités de flux inversés à chaque point d'interconnexion frontalier. Enfin, les entreprises de gaz naturel informeront les États membres et la Commission sur certains contrats de sécurité d'approvisionnement.
Il faut rappeler que le précédent règlement du 20 octobre 2010 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel - et que le présent projet se propose d'abroger - avait déjà obligé chaque État membre à procéder à une évaluation des risques de son approvisionnement en gaz et à élaborer des plans d'actions préventifs et des plans d'urgence actualisés régulièrement.
Il avait également déjà défini des normes d'approvisionnement communes, des normes d'infrastructures et prescrit l'établissement de flux inversés. Il avait enfin renforcé les mesures d'urgence par la définition de mesures spécifiques au niveau communautaire. De même, le règlement de 2010 a déjà accru les pouvoirs de la Commission. Elle peut ainsi exiger qu'un État modifie son plan d'actions préventif ou son plan d'urgence.
M. Jean Bizet, président. - C'est à bon droit que le groupe de travail « subsidiarité » a souhaité attirer l'attention de la Commission sur cette première proposition. En effet, à ce stade, des questions se posent, principalement sur les innovations proposées concernant la coopération régionale, les compétences nouvelles de la Commission et les obligations imposées aux États membres.
La première interrogation peut porter sur la définition par le haut des régions envisagées. Cette définition s'appuie certes sur six critères, mais le dernier d'entre eux, la prise en compte des « structures de coopérations régionales existantes », n'est pas appliqué dans le cas particulier de la France. Notre pays est ainsi déjà partie prenante à un mécanisme d'échanges volontaires de documents pour l'évaluation conjointe des risques avec l'Allemagne et les trois pays du Benelux, dans le cadre de Gas platform. Pourtant le périmètre proposé en annexe de la proposition crée une région « Europe occidentale Nord-Sud » qui réunit la France et le Benelux.... avec l'Espagne et le Portugal. En d'autres termes, s'il convient bien sûr de privilégier les échanges et les discussions entre pays voisins, le volontariat doit l'emporter sur la contrainte.
En second lieu, le nouveau règlement prévoit la mise en place obligatoire de plans régionaux, plans d'actions préventifs et plans d'urgence, qui se substitueront aux actuels plans nationaux issus de la précédente réglementation. Cette disparition des plans nationaux au profit d'une seule planification régionale n'est pas forcément pertinente. Certains accidents d'approvisionnement peuvent n'avoir qu'un caractère national et ne justifient pas le déclenchement d'un mécanisme régional. L'approche locale permise par les plans nationaux d'urgence est un atout de réactivité et de proximité.
Il est également important de laisser aux États membres une latitude d'appréciation quant à la définition et la mise en oeuvre de leurs normes d'approvisionnement en fonction des caractéristiques de leurs systèmes gaziers respectifs. L'organisation de la sécurité d'approvisionnement - et donc le choix de s'inscrire dans un cadre régional - doit rester du ressort de chaque État membre. S'il convient d'encourager les mesures régionales, il peut être contreproductif de les imposer.
De même la proposition pourrait aussi contraindre les États membres, dont les normes de sécurité d'approvisionnement sont plus élevées que le minimum requis - c'est le cas de la France - à dégrader leurs normes, pour ne pas réduire, estime la Commission, la fluidité des marchés gaziers. C'est négliger que ces normes renforcées sont à même, en cas de crise, d'augmenter les marges de manoeuvre au bénéfice de l'Union européenne dans son ensemble.
Il y a donc là une série de dispositions qui ne nous semblent pas en conformité avec ce que la Commission est raisonnablement en situation de prescrire aux États membres dans ce qui demeure un domaine de compétence partagée.
Pour autant, nous nous trouvons au coeur d'une ambiguïté sur laquelle je souhaite attirer votre attention. Le traité de Lisbonne a introduit une nouvelle base juridique qui habilite l'Union européenne dans le domaine de l'énergie sur trois points : assurer le bon fonctionnement du marché de l'énergie ; assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique ; promouvoir l'efficacité énergétique et l'interconnexion des réseaux.
La Commission est donc dans son rôle lorsqu'elle suit les orientations que lui ont données en la matière les Conseils européens de 2013 et 2014 et qui ont conduit le président Juncker à faire de l'Union de l'énergie une des priorités politiques de la Commission qu'il préside.
Nous sommes nombreux, dans cette commission et plus largement au sein du Parlement, à plaider pour une politique qui vise à atteindre les objectifs de l'Union de l'énergie : la sécurité et la solidarité énergétique ; le marché intérieur ; la maîtrise de la consommation d'énergie ; la décarbonation et la promotion de la recherche et de l'innovation.
C'est pourquoi et par-delà les points que j'ai soulevés tout à l'heure, il nous est apparu, à M. Delebarre et à moi-même, plus pertinent de ne pas partir d'emblée sur la base d'un avis motivé dont la portée, fût-elle juridiquement plaidable, serait un signal politique négatif au regard de l'objectif lui-même de l'Union de l'énergie dont le principe fait consensus. Tout en soulignant que les modalités trop prescriptives que propose actuellement la Commission, en particulier s'agissant de la coopération régionale ou des normes d'approvisionnement, devront impérativement être revues.
Il nous semble donc nécessaire de se donner, dans le cadre de cette commission, le temps d'approfondir un dossier essentiel. Nous vous présenterons donc bientôt un rapport argumenté qui débouchera sur une proposition de résolution européenne et un avis politique circonstancié. J'ajoute, car l'information nous a été communiquée de Bruxelles hier, que des États membres, dont la France, qui éprouvent sur le projet les mêmes réserves que celles que je viens d'exposer, disposent désormais en Conseil de la minorité de blocage nécessaire pour obliger la Commission à revoir son texte, soit au moins quatre États membres représentant plus de 35% de la population de l'Union européenne.
Le second texte, une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil, crée un nouveau mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie.
La Commission, à la lumière de l'expérience, estime en effet que certains accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie, conclus entre un État membre d'une part et un ou des pays tiers d'autre part, s'avèrent incompatibles avec les dispositions de l'Union européenne en matière de sécurité énergétique : c'est le cas, par exemple, d'un accord qui prévoirait une clause de destination de l'énergie fournie. En toile de fond historique figure aussi le projet de conduit gazier Southstream, initié en 2007 par Gazprom et l'italien ENI pour acheminer vers l'Europe du gaz de Sibérie en évitant l'Ukraine. Pour la mise en place de cet accord, la Bulgarie avait conclu avec la Russie un accord, dénoncé ensuite par la Commission comme non-conforme aux normes européennes, comme d'ailleurs les cinq autres accords bilatéraux conclus pour le même projet entre la Russie d'une part et la Hongrie, la Grèce, la Croatie, la Slovénie et l'Autriche d'autre part.
L'actuel mécanisme d'échange d'informations de 2012 consiste donc, à soumettre ces accords intergouvernementaux à la Commission mais après leur conclusion. La Commission alors a beau constater l'incompatibilité de telle ou telle disposition des accords en question avec la norme européenne, leur remise en cause est pratiquement impossible.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Par la présente proposition, la Commission propose donc de pouvoir intervenir avant la conclusion de tels accords, ce qui « éviterait des conflits potentiels entre les obligations qui incombent aux États membres en vertu du droit international et en vertu du droit de l'Union. »
En réalité, la proposition de la Commission n'apparaît pas répondre à un besoin avéré et pose en revanche un problème de respect de la souveraineté des États membres.
D'abord la proposition ne répond pas à un réel besoin dans la mesure où la réglementation actuelle a déjà représenté une avancée majeure en termes de transparence. Plusieurs de ses dispositions confèrent déjà à la Commission tous les outils nécessaires pour obtenir des États membres la conformité avec les règles européennes des accords de fourniture d'énergie qu'ils peuvent passer avec des États tiers.
La Commission a reçu notification de 124 accords intergouvernementaux entrant dans le champ d'application de la réglementation en question, la plupart ayant été conclus avant l'entrée en vigueur du règlement de 2012. Sur ces 124 accords, 15 justifiaient des doutes quant à leur compatibilité avec le droit de l'Union, dont neuf qui ont conduit la Commission à inviter les États membres concernés à résilier ou renégocier les accords en cause - dont les six déjà mentionnés. Depuis 2012, en revanche, la Commission n'a reçu aucune notification d'accords en cours de négociation. La Commission, si elle l'estime utile, pourrait déjà engager une procédure d'infraction à l'encontre de l'État membre concerné.
La proposition ne répond pas en second lieu à un réel besoin dans la mesure où l'accord intergouvernemental n'est plus l'instrument le plus utilisé concernant l'énergie. Ces accords sont désormais l'affaire des entreprises et compagnies commerciales établies dans les pays membres ou les pays tiers partenaires.
Enfin, le mécanisme de 2012 établit déjà un dialogue transparent et une coopération volontaire entre la Commission d'une part et d'autre part l'État membre désireux de passer un accord intergouvernemental avec un pays tiers portant sur l'énergie. L'actuel règlement permet à tout État membre de solliciter l'assistance de la Commission avant d'engager des négociations et de solliciter son avis sur l'accord en question lorsqu'il est en voie de finalisation.
Enfin, et c'est le plus sensible, le principe d'une implication ex ante obligatoire de la Commission dans la vérification d'un accord intergouvernemental ou même dans les négociations elles-mêmes constitue une mise en cause importante et au surplus, nous l'avons vu, inutile, de la souveraineté des États membres.
C'est pour cet ensemble de raisons que nous vous proposons d'adopter, sur ce second texte, une proposition de résolution portant avis motivé, en application de l'article 88-6 de la Constitution.
M. André Gattolin. - Ma position est connue : je suis favorable aux propositions du Parlement européen. Pour créer l'Europe de l'énergie, nous devons effectuer un vrai travail de coordination. Sur Northstream 2, l'Allemagne a négocié unilatéralement avec la Russie, au grand dam de la Pologne et des pays baltes. Droit des entreprises ? Gazprom compte à son conseil d'administration la plupart des anciens dirigeants socio-démocrates allemands ! En matière gazière, la politique française, après ses errances algériennes des années 1980, est exemplaire, notamment avec la Norvège. Il y a un lobby pro-russe très fort en Europe. L'Allemagne a refusé d'inscrire cette question à l'ordre du jour du Conseil européen, comme le demandait la Pologne : c'est détestable. Résultat : la Pologne remet en cause le traité de Paris issu de la COP21. Cette politique d'oukase est dommageable. Je n'approuve pas cette proposition de résolution : la souveraineté des États sans coordination crée de la division. Je voterai donc contre ce texte. L'information ex post esàt insuffisante. Au besoin, nous pouvons créer des garde-fous au pouvoir de la Commission, dont les progrès inquiètent parfois.
M. Jean-Yves Leconte. - Gazprom utilise les prix pour diviser les Européens : la Pologne paie 40 % plus cher que l'Allemagne ! Ce sujet va-t-il garder la même importance à présent que le gaz de schiste américain est sur le point d'être exporté ? Les négociations de M. Schröder avec Gazprom ont fait gagner à l'Allemagne plus de compétitivité que sa réforme sur le coût du travail. Quel serait l'impact, en la matière, des projets de la Commission ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. - La baisse du prix de l'énergie est-elle durable ? Je n'en suis pas sûr. L'important est que nous l'achetions à un prix acceptable. Le gaz de schiste américain n'est pas encore là...
M. André Gattolin. - Quand la France a lancé son programme nucléaire, c'était moins pour des raisons de coût que pour assurer sa souveraineté énergétique. L'Europe doit penser de la même manière. Accepte-t-elle de se rendre dépendante d'un seul acteur, sous l'influence de l'Allemagne ? Doit-elle n'être qu'un gros marché, sans politique commune ?
M. Jean Bizet, rapporteur. - Nous poursuivons le même objectif. La réindustrialisation de l'Europe nécessite une politique européenne de l'énergie et une politique européenne du numérique. Nous différons sur les modalités. Il semble qu'il y ait déjà une minorité de blocage à Bruxelles sur le premier texte. Il faut donc orienter les choses différemment. Quel sera l'avenir du gaz de schiste ? Je l'ignore. C'est vrai que les négociations avec Gazprom ont aidé la compétitivité de l'Allemagne. C'est le pragmatisme allemand...
M. Jean-Yves Leconte. - Qui a plus d'influence que le pragmatisme luxembourgeois !
M. André Gattolin. - L'Union européenne risque d'imploser : Hongrie, République Tchèque et Pologne doivent être ménagés. Ce n'est pas ce qu'a fait l'Allemagne.
M. Jean Bizet, rapporteur. - Soulignons alors l'importance du dialogue entre États membres au point n° 11.
M. Jean-Yves Leconte. - La Pologne a vécu ce camouflet comme une attaque.
M. Jean Bizet, rapporteur. - C'est malsain.
M. André Gattolin. - N'ajoutons pas de difficultés à l'intégration européenne, quel que soit notre sentiment sur le Gouvernement polonais actuel. Avec l'ajout sur le nécessaire dialogue entre États membres, alors je m'abstiendrai.
M. Jean-Claude Requier. - Je découvre qu'on importe du gaz du Pérou ! Le gaz est une énergie d'avenir. Je suis pour une Europe de l'énergie, mais ces textes sont incompréhensibles...
M. Jean Bizet, rapporteur. - C'est le langage communautaire.
M. Jean-Claude Requier. - Je voterai la proposition de résolution.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté - M. André Gattolin s'abstenant - la proposition de résolution, modifiée portant avis motivé.
Questions diverses
M. Jean Bizet, président. - Nous avons reçu une proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement 2016/72 en ce qui concerne certaines possibilités de pêche, et nous avons été saisis en urgence par le Gouvernement sur ce texte. Il rectifie une référence de bas de page dans une annexe d'un règlement du Conseil et ajuste la date de mise en oeuvre des limites de captures applicables au lançon, une espèce à brève durée de vie. Les règles relatives à l'exploitation des ressources halieutiques relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne. Ce texte n'appelant pas d'observation particulière, je vous propose de lever la réserve d'examen parlementaire.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 11 h.