- Jeudi 17 mars 2016
- Agriculture et pêche - Maintien de la réglementation viticole - proposition de résolution européenne : examen du rapport de MM. Gérard César et Claude Haut
- Économie, finances et fiscalité - Exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » : proposition de résolution européenne et avis politique de M. René Danesi
- Économie, finances et fiscalité - Marchés d'instruments financiers : communication de MM. Éric Bocquet et Jean-Paul Emorine
- Nomination de rapporteurs
Jeudi 17 mars 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 30.
Agriculture et pêche - Maintien de la réglementation viticole - proposition de résolution européenne : examen du rapport de MM. Gérard César et Claude Haut
M. Jean Bizet, président. - Nous entendons d'abord le rapport de Gérard César et Claude Haut sur la proposition de résolution européenne de Roland Courteau et plusieurs de nos collègues concernant le maintien de la réglementation viticole. Ce texte a été déposé le 24 février. Conformément au règlement du Sénat, nous disposons d'un mois pour l'examiner. Il sera ensuite transmis à la commission des affaires économiques.
M. Claude Haut, rapporteur. - Cette proposition de résolution européenne porte sur un problème vini-viticole qui nous intéresse tous. Ce n'est pas la première fois que la Commission européenne exprime des idées de modification peu acceptables...
L'initiative de nos collègues est intéressante sur le plan institutionnel. Elle active une disposition prévue par l'article 88-4 de la Constitution qui permet au Sénat de formaliser une proposition de résolution sur « tout document émanant d'une institution européenne ». Hors transmission formelle d'un texte, il suffit que celui-ci existe, sous une forme ou sous une autre, en l'espèce un simple document de travail.
Cette faculté a été activée en 2009, par exemple, à l'occasion de la mise en place des profils nutritionnels et de l'élaboration du vin rosé. Nous nous souvenons tous de ces débats ! La viticulture est un secteur cher aux sénateurs, comme l'a montré leur pugnacité lors de la réforme des droits de plantation. Cette fois encore, il ne fait pas de doute que notre mobilisation conduira la Commission à reprendre ses travaux et à proposer une autre réglementation, plus respectueuse des professionnels et des traditions viticoles.
La révision de la réglementation viticole s'inscrit dans la réforme générale, marquée par une libéralisation encadrée du secteur. L'année 2016 est celle de l'entrée en application du nouveau régime des autorisations de plantation. Le texte sur la réglementation viticole est le deuxième « gros » texte visant le secteur. Il suscite les mêmes appréhensions. Pour mener à bien cette réforme, la Commission avait le choix entre une révision d'ensemble ou une révision sujet par sujet, petit bout par petit bout. C'est malheureusement cette seconde voie qui a été privilégiée.
Nos collègues ont eu connaissance de différents documents préparés par la Commission européenne qui concernent l'étiquetage et le régime applicable aux appellations et aux mentions traditionnelles. Cette révision est présentée comme un travail de simplification et d'actualisation, en cohérence avec le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est ce qu'on appelle la « lisbonnisation » des textes.
Le secteur viticole relève d'une réglementation spécifique, dont l'essentiel a été fixé en 2008 dans une organisation du marché dite « OCM vins ». Ce règlement du Conseil a été complété par des règlements de la Commission, au titre de sa compétence d'exécution. Ces textes sont encore en vigueur, même s'il n'existe plus d'OCM vins mais une OCM unique. Le traité de Lisbonne a modifié le régime des actes d'application. La nouvelle architecture est organisée autour des actes délégués et des actes d'exécution. C'est sur ce fondement que la Commission a préparé des textes exploratoires, qui posent plusieurs questions.
La première est celle du moment : il n'y a ni obligation ni urgence à adopter de nouveaux textes. La deuxième est celle de l'opportunité : une révision des textes s'impose lorsqu'il y a une obsolescence ou lorsqu'il y a une demande. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ni nécessité, ni urgence, ni demande. Sous couvert de simplification, quel est alors le but recherché par la Commission européenne ? Tout part d'un texte préparatoire, non signé, non daté, sans cote ni référence, ce qu'on appelle un « non paper », censé donner une piste de réflexion sans engager l'institution, en l'espèce la Commission. De bons contacts avec le milieu viticole nous ont permis d'en prendre connaissance. Il porte sur des sujets très importants pour la viticulture, l'étiquetage, les appellations d'origine protégée, les indications géographiques protégées. Les mentions traditionnelles de type « château », « clos », « vendanges tardives, ne sont pas mentionnées.
Cet avant-projet suscite beaucoup d'appréhension de la part des milieux professionnels et des États viticoles. Tous gardent en mémoire l'expérience désastreuse de la réforme annoncée des droits de plantation. Il ne faut pas répéter les erreurs du passé, ne pas s'engager dans une libéralisation débridée du secteur dans une conjoncture de grande vulnérabilité.
Dans la réglementation actuelle, les trois sujets - étiquetage, indications géographiques, mentions traditionnelles - sont liés. L'étiquetage renvoie à l'utilisation des labels de qualité et aux mentions traditionnelles. Les appellations ouvrent des droits, notamment celui de l'utilisation des mentions traditionnelles. La Commission européenne proposerait d'éclater cet ensemble.
Ce projet de réglementation revient à nier la spécificité viticole qui existe du point de vue normatif. Le vin est le seul produit élaboré à être réglementé de la production à la consommation, depuis les normes de fabrication jusqu'aux règles d'étiquetage.
Mais le plus important, c'est que ces règles ne visent pas seulement les aspects sanitaires et l'information du consommateur, mais sont des outils de gestion des marchés. Étiquetage, indications géographiques, mentions traditionnelles forment un tout. On ne peut parler d'étiquetage sans évoquer l'utilisation des labels géographiques. On ne peut parler de vins à indication géographique sans évoquer les vins sans indication géographique.
La Commission, sous couvert de simplification, risque de détruire cette organisation.
M. Gérard César, rapporteur. - Nous avons eu peu de temps pour préparer notre rapport. Mais nous avons mené des auditions et avons travaillé main dans la main, Claude Haut et moi, comme naguère Simon Sutour et moi sur les droits de plantation. Nous avions tous alors été très mobilisés et efficaces, nous le serons également sur la réglementation viticole.
Sur la forme, il nous faut apporter quelques corrections à la proposition de résolution. Elle est calquée sur une résolution en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Au point qu'elle fait référence au règlement... de l'Assemblée nationale ! Nous le corrigeons au point 3. Nous avons été un peu gênés par la formulation du point 9, « la Commission européenne travaille à une modification des règles viticoles ». La formule est sans doute un peu vague pour une résolution d'une assemblée parlementaire. Comme il a été indiqué, l'émotion vient d'un « non paper », un document non signé et non daté, présenté aux experts des États membres. Nous avons donc bien un texte auquel accrocher la proposition de résolution. Néanmoins, dès lors que la Commission a souhaité l'anonymat, en présentant un document non signé, il paraît difficile de faire référence à ce texte. Indiquons seulement que la Commission « prépare » une modification de la réglementation.
Au point 15, les auteurs de la proposition de résolution « dénoncent l'absence d'information transparente sur les initiatives de la Commission ». Cette critique est rituelle. Elle n'est pas toujours fondée. En l'espèce, il ne semble pas que, sur le strict plan des procédures, la Commission se soit rendue coupable de dissimulation. Elle a présenté ce « non paper » au tout début de la procédure d'adoption des actes délégués. De même, elle a exposé ses réflexions à la commission de l'agriculture du Parlement européen. Sur le plan formel, les procédures d'information ont été respectées. Nous proposons de supprimer ce paragraphe, inutilement accusateur. Enfin, aux points 17 et 18, on rappellera que les propositions de résolution européenne s'adressent au Gouvernement, et non à la Commission européenne.
Sur le fond, la proposition de résolution est inspirée par un double souci : conserver une cohérence en évitant une dispersion des textes et préserver les outils de valorisation des productions. Il va de soi que nous partageons totalement ces objectifs. La rédaction peut être cependant précisée sur certains points.
Les auteurs de la proposition sont attentifs à éviter toute confusion entre appellations protégées et références géographiques. Aujourd'hui, les règles d'utilisation des références à des provenances sont précisées dans un règlement de la Commission de 2009. Les vins bénéficiant d'AOP ou d'IG peuvent ajouter une référence géographique plus petite que celle de l'État (Alsace ou Vallée du Rhône par exemple). Ces indications géographiques sont réservées exclusivement aux vins sous AOP et IG.
Comme le dit le directeur de la CNAOC, « c'est un détail, mais un détail stratégique ». La tentation est grande d'utiliser pour certains vins sans IG une référence géographique valorisante mais pouvant prêter à confusion et entraîner la méprise du consommateur. C'est cette confusion qu'il faut éviter. Tel est l'objectif des points 13 et 18. La question s'est déjà posée lorsqu'avait été évoquée la possibilité d'introduire la mention « vin de Septimanie ». Le régime actuel est clair ; mais si la réglementation change, tout est possible ! Tel serait le cas par exemple, des vins de Bordeaux - appellation protégée - et des vins de Gironde. Ces derniers ne sauraient tirer avantage de cette proximité par le biais d'une référence ambiguë. Ce serait une usurpation de notoriété, le moyen de bénéficier d'un référencement géographique sans subir les contraintes de procédure et de contrôle. Pour le dire autrement et pour reprendre l'expression du directeur de l'INAO, « ce serait une façon d'avoir le beurre et l'argent du beurre ».
La proposition de résolution est donc parfaitement fondée.
Au point 17, la référence à la réglementation protectrice du secteur viticole ne paraît pas opportune. Il ne s'agit pas de « protéger » le secteur viticole, mais de conserver les outils de valorisation. Cette valorisation passe par la segmentation du marché.
La question des mentions traditionnelles n'est pas évoquée par la Commission dans ses textes préparatoires ; elle est pourtant fondamentale. Les mentions traditionnelles, « château » par exemple, très valorisantes, sont aujourd'hui réservées aux vins sous AOP et IG. Il existe une forte pression pour faire évoluer ce régime, notamment à l'étranger. Certains professionnels estiment que la position restrictive actuelle est fragile. Néanmoins, nous rappelons l'utilité de ces mentions traditionnelles adossées aux indications géographiques. Au total, nous proposons donc d'adopter une proposition de résolution européenne légèrement modifiée.
Depuis le dépôt de cette proposition de résolution, la situation a beaucoup évolué. Devant le Parlement européen, la DG Agri a annoncé qu'elle proposerait au commissaire « de retirer ce texte et de recommencer un nouveau processus de discussion ». Le commissaire européen est venu personnellement - et pour la première fois - devant le groupe d'étude du vin du Parlement européen et a confirmé qu'il reportait ce texte à l'automne. La présente proposition de résolution européenne n'en a pas moins de force.
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes parvenus aujourd'hui à un subtil équilibre grâce à la vigilance de personnes très sourcilleuses... La filière est en meilleure santé aussi parce qu'elle a su segmenter les produits en valorisant la qualité.
M. Simon Sutour. - Je ne doute pas de l'unanimité de notre commission sur ce sujet. Nos rapporteurs ont travaillé très vite, sur un texte européen qui n'est même pas encore formellement déposé ! Mais nous avons toujours intérêt à montrer à Bruxelles que nous sommes attentifs et méfiants.
M. Jean Bizet, président. - Et constructifs !
M. Simon Sutour. - Nous ne nous décourageons pas et n'écoutons pas tous ceux qui affirment « jamais vous ne gagnerez », comme M. Barnier, alors ministre de l'agriculture, sur le vin rosé. Cela s'est passé de la même façon sur les droits de plantation.
Concernant les actes délégués, j'ai rédigé un rapport en 2013, traduit en anglais, qui faisait le point sur les textes européens dont nous pouvons nous saisir. Les actes délégués et les actes d'exécution sont de plus en plus nombreux et cachent des décisions majeures. Je vous propose de compléter cette proposition de résolution par un avis politique, pour s'adresser non seulement à notre Gouvernement mais aussi à la Commission directement.
M. Jean Bizet, président. - C'est la logique.
M. Éric Bocquet. - Je vis dans une région brassicole, pardonnez-moi d'intervenir dans ce débat ! Mais il y a un paradoxe apparent à voir les producteurs de Californie, Australie, Afrique du sud ou Chili exercer de telles pressions alors que la demande mondiale augmente. Du reste, cette demande augmentant année après année, il n'y a pas de raison de contraindre les plantations.
M. Claude Haut, rapporteur. - Ce n'est pas le cas : des autorisations sont données pour un volume important chaque année.
M. Simon Sutour. - Trop important !
M. Claude Haut, rapporteur. - La concurrence de ces pays existe depuis longtemps. Si nous nous gardons, en Europe, de tomber dans une libéralisation totale, nous sommes en situation de lutter contre eux, mais il importe de conserver tous nos outils de promotion et de régulation, car ils font notre force.
M. Gérard César, rapporteur. - Chaque État peut augmenter ses plantations de 1 % par an, chaque région peut choisir son augmentation dans la limite du 1 % national. Certaines régions ont choisi un taux zéro, c'est-à-dire pas d'augmentation, par souci d'équilibre du marché, comme la région des vins de Bordeaux, par exemple. L'Allemagne, l'Autriche, ont choisi d'appliquer 0,5 %. Bref, chaque organisation de défense et de gestion (ODG) prend sa décision, en partenariat avec les interprofessions, qui sont puissantes.
M. Simon Sutour. - Les organisateurs du Tour de France ont sélectionné un vin chilien, pour les étapes extérieures !
M. Gérard César, rapporteur. - Cette résolution a valeur d'alerte, et Simon Sutour a raison de suggérer de saisir également la Commission par un avis politique.
Mme Patricia Schillinger. - Nous nous sommes battus également sur le Tokay gris... Une question : comment évolue la taxation de nos exportations en Inde et en Chine ?
M. Gérard César, rapporteur. - Cette question est indissociable des négociations du traité transatlantique... pour lesquelles la Commission est mandatée.
La protection des IG exige une vigilance et un combat permanents. Sur la réglementation viticole, les organisations professionnelles sont tout à fait d'accord pour maintenir le statu quo.
M. Simon Sutour. - Le régime des droits à plantation est sécurisé parce que les États ont fait pression pour revenir sur le projet de supprimer toute contrainte à compter de 2018. On aurait pu planter n'importe quoi, n'importe où.
Dans ma région, la viticulture ne s'est jamais aussi bien portée : la qualité paye. Depuis cinquante ans, les viticulteurs faisaient de gros efforts, par le réencépagement en particulier, sans guère en voir les résultats. Ils apparaissent enfin. Les « vins de cépage » ont été lancés aux États-Unis mais les domaines, clos, châteaux conservent prestige et visibilité. Il faut le dire, Georges Frêche y fut pour beaucoup. Et depuis dix ans, la marque « sud France » qu'il a inventée s'est imposée sur le marché. Nos départements, composés de terres sèches non irriguées, retourneraient à la friche, aux ronces et à l'état sauvage, si l'on arrachait la vigne.
M. Gérard César, rapporteur. - Oui, la qualité prévaut. On est loin du temps où un ministre pouvait parler de « bibine ».
Mme Gisèle Jourda. - C'était Georges Bonnet !
M. Gérard César, rapporteur. - Les cépages ont été améliorés.
M. Simon Sutour. - La vinification a fait également de gros progrès.
M. Gérard César, rapporteur. - Il en résulte de bons produits.
M. Jean Bizet, président. - C'est un exemple que pourraient suivre d'autres filières, comme la filière fromagère. Si un traité est finalement signé, nous aurons une position commerciale très offensive, grâce à l'identification, l'accroche territoriale, la qualité.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, modifiée, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Économie, finances et fiscalité - Exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » : proposition de résolution européenne et avis politique de M. René Danesi
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle la communication de notre collègue René Danesi, visant à exempter le cristal de la directive relative à la limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Cette directive du 8 juin 2011 concerne notamment le matériel d'éclairage tels que les lustres. Le cristal a toutefois bénéficié d'une première exemption de 2011 à 2016. Une consultation publique a été lancée puis une expertise. La Commission prendra ensuite une décision : le renouvellement de l'exemption sera accordé ou non. L'enjeu est de taille pour les cristalleries et pour l'emploi dans ce secteur.
M. René Danesi, rapporteur. - Aujourd'hui, la production cristalline dans l'Union européenne représente 197 entreprises, quelque 3 000 emplois directs et 9 000 emplois indirects. Un tiers de ces emplois concernent les lustres en cristal, uniques pièces fabriquées dans ce matériau visées par la directive de 2011 sur l'emploi de substances dangereuses dans les équipements électriques ou électroniques.
Le sujet est simple au plan conceptuel, il l'est moins au plan juridique, car il existe trois textes distincts : la directive de 1969 relative au cristal, la directive-cadre de 2008 sur les déchets, enfin la directive de 2011 tendant à réduire les risques de pollution induits par certains équipements électriques ou électroniques. La directive du 15 décembre 1969 définit quatre catégories de cristal, selon la teneur en oxyde de plomb : ainsi, le « cristal supérieur » doit en contenir au moins 30 %. Aucune teneur maximale ne figure dans la directive. La présence d'oxyde de plomb est indispensable aux caractéristiques visuelles qui font la réputation du cristal. En outre, plus il y a de plomb, plus la température de fusion est basse et plus le refroidissement est lent. Ces deux propriétés permettent aux artisans et aux industriels d'obtenir avec le cristal des pièces plus grandes et plus travaillées qu'avec du verre. Environ 50 tonnes d'oxyde de plomb sont utilisées chaque année dans les lustres en cristal fabriqué sur le territoire de l'Union.
La directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets a créé un comité scientifique qui a pour mission d'assister la Commission européenne dans l'élaboration d'un acte délégué portant sur les déchets. C'est ce comité qui examinera la demande de dérogation.
Le texte qui nous intéresse directement aujourd'hui est la directive dite RoHS, pour Restriction of use of certain Hazardous Substances in electrical and electronic equipment, du 8 juin 2011. Elle est relative à la limitation d'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques et poursuit une finalité de santé publique. En effet, des substances comme le plomb - mais aussi le mercure, le cadmium, le chrome et certains dérivés du brome - peuvent provoquer des pollutions très dangereuses pour la santé lorsqu'elles sont dispersées dans la nature. Pour prévenir ces graves inconvénients, la concentration maximale est limitée en pourcentage du poids des produits, 0,1% pour le plomb. Dans le cristal, le taux atteint 30 %...
Et pourtant, il n'était pas initialement envisagé d'inclure dans le champ de la directive le cristal, parce qu'il n'entre jamais dans la composition des équipements électriques ou électroniques stricto sensu. Néanmoins, la grande sensibilité de l'opinion publique à la pollution par le plomb a fait prévaloir une conception élargie des équipements électriques. D'où l'inclusion des lustres en cristal dans le domaine couvert par la directive RoHS.
Il est très rare de trouver dans une déchetterie des lustres en cristal, d'autant que les pièces brisées peuvent être réparées. Ainsi, la quantité de cristal provenant de luminaires susceptible d'aboutir en décharge est négligeable. En outre, le plomb présent dans le cristal est chimiquement intégré dans la matrice en verre, il ne peut donc migrer dans le sol. D'où l'absence totale de dangerosité du cristal pour l'environnement, avec des taux de migration dans le sol trois à quatre fois inférieurs au maximum admis, qui est de 10 milligrammes par kilogramme de déchet. Concrètement, le taux maximal admis par le droit de l'Union correspond à dix grammes de plomb pour une tonne de déchets. Une tonne de cristal de lustres déposée - ce qui est très hypothétique ! - dans une déchetterie laisserait s'écouler dans le sol 2,50 à 3,50 grammes de plomb. Négligeable...
Certains produits couverts par cette directive bénéficient d'exemptions fondées notamment sur l'impossibilité d'utiliser une substance moins dangereuse. Ces exceptions figurent à l'annexe III de la directive RoHS. Elles sont en vigueur au maximum pour cinq ans, mais l'annexe peut être modifiée à tout instant par la Commission au moyen d'un acte délégué tirant les conséquences du progrès technique. A priori, cette faculté permet de supprimer une exemption, pour prendre en compte l'apparition d'un procédé alternatif moins polluant. Cependant, la Commission européenne doit revoir en 2016 l'annexe III, donc se prononcer à nouveau sur la teneur en plomb des lustres en cristal. Elle applique dans ce cadre la procédure dite « progrès technique », même pour confirmer une exemption existante.
La Commission européenne a lancé une consultation publique en 2015. Celle-ci s'est achevée le 16 octobre 2015. Ensuite, la Commission a saisi un cabinet indépendant chargé de conduire une expertise technique approfondie. Le rapport du cabinet doit être publié prochainement. Après intervention du comité d'experts institué par la directive du 5 avril 2006, la Commission européenne prendra une décision au cours du deuxième semestre 2016.
L'avis politique et la proposition de résolution européenne examinés aujourd'hui sont donc susceptibles d'intervenir au moment de la remise du rapport d'expertise technique, avant la consultation du comité d'experts.
Théoriquement, deux objectifs pourraient être poursuivis : la reconduction de l'exemption pour cinq nouvelles années ou l'adoption d'une exemption définitive motivée par l'absence de menace pour la santé publique. Cette seconde solution présenterait l'avantage de mettre fin à toute interrogation sur l'avenir. Il vaut pourtant mieux y renoncer, d'abord parce qu'elle suppose une révision de la directive, donc une procédure incomparablement plus lourde que l'adoption d'un acte délégué, avec des délais incompatibles avec le calendrier actuel, puisque l'exemption en faveur des lustres en cristal arrive à échéance le 20 juillet 2016 ; ensuite, parce que l'idée d'atténuer une restriction à l'usage du plomb aurait un aspect sacrilège pour certains États, ce qui introduit un authentique risque politique ; enfin, parce que la recherche permettra peut-être un jour d'éviter l'emploi du plomb pour obtenir un matériau comparable au cristal.
Seule solution, proroger l'exemption pour cinq ans. Le dossier technique établi dans le cadre de l'audit montre qu'il n'y aura pas de substitution industrielle possible dans les cinq ans à venir. Il faut pourtant se résoudre à ce délai, car la directive n'autorise pas la Commission européenne à se prononcer pour une durée plus longue. La question se posera à nouveau en 2021.
L'avis politique et la proposition de résolution européenne qui vous sont soumis relaient de légitimes préoccupations de la Fédération des Cristalleries et Verreries à la Main et Mixtes (FCVMN), dont j'ai auditionné le président et le secrétaire général.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour votre éclairage sur un sujet assez technique mais d'une importance considérable pour la filière.
M. Daniel Raoul. - En volume - je ne sais pas en valeur - le cristal est bien plus utilisé en verrerie que pour les lustres. Quelles sont les applications du cristal dans les appareils électroniques ? A priori il n'y a pas de substitution possible au plomb pour élaborer un matériau nouveau n'étant pas du cristal. Dans le tableau de Mendeleïev, l'élément le plus proche serait l'étain, qui pose d'autres problèmes sanitaires. À terme, c'est le cristal qui risque de disparaître à la fin de l'exemption de cinq ans.
M. Michel Billout. - L'emploi de plomb est-il dangereux lors de la production ou en cas de bris du lustre, à cause du risque de libération de substances toxiques ? Dans ce cas, le risque serait plus important dans la production de verres de table.
M. René Danesi, rapporteur. - J'ai moi-même été très étonné du débat. L'utilisation d'oxyde de plomb dans la production de cristal est ce qui le distingue du verre. La directive ne concerne pas directement le cristal mais les équipements électriques et électroniques : dès qu'on évoque le plomb, surgit le principe de précaution !
M. Jean Bizet, président. - Le cristal est le support des équipements électriques lorsqu'il s'agit de lustres.
M. René Danesi, rapporteur. - C'est bien l'intérieur du lustre qui est l'objet premier de la directive, et par extension le support - même si peu de lustres se trouvent dans les déchetteries ! La directive ne concerne pas la production mais les déchets potentiels de cristal.
M. Daniel Raoul. - C'est capillotracté ! Par définition, le cristal est une matière inerte.
M. Jean Bizet, président. - Mais il est le support d'équipements électriques.
M. René Danesi, rapporteur. - À force de précautions, on en arrive à ces étrangetés. Le plomb est intégré au cristal du lustre, à la différence des anciens thermomètres qui pouvaient libérer du mercure s'ils étaient cassés. L'exemption ne vaut que cinq ans et non in aeternam, car la recherche, durant cette période, pourrait trouver une solution au risque. Il appartient aux cristalleries - ce qu'elles ont fait dans un rapport, en anglais ( !) - de démontrer qu'au cours des cinq dernières années, elles n'ont pas réussi à fabriquer du cristal sans plomb. Le président et le secrétaire général de la FCVMM n'ont actuellement connaissance d'aucune solution de substitution. Nous reparlerons du même sujet dans cinq ans...
M. Claude Kern. - C'est du grand n'importe quoi ! Cette directive vise le traitement des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E), pris comme un tout, après les plaintes d'entreprises de retraitement sur leur trop grande teneur en plomb. Ce sujet reviendra en 2021 et ensuite. L'utilisation de plomb pour la fabrication du cristal est indispensable.
M. Jean Bizet, président. - La vitrification de déchets nucléaires a aussi une explication. Ici, c'est une sorte de vitrification du plomb.
M. Daniel Raoul. - Exact.
M. Jean Bizet, président. - Notre proposition de résolution européenne doit prospérer afin que la filière continue à fabriquer des lustres en cristal. Ce n'est pas un danger pour le consommateur, mais une dérive du principe de précaution.
M. Daniel Raoul. - Pourquoi se focaliser sur les lustres ? Le danger est surtout dans les verres !
M. Jean Bizet, président. - C'est le support. C'eût été différent dans une directive sur les produits verriers...
M. Claude Kern. - ...ou alimentaires.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie encore le rapporteur.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Économie, finances et fiscalité - Marchés d'instruments financiers : communication de MM. Éric Bocquet et Jean-Paul Emorine
M. Jean Bizet, président. - Le 3 mars dernier, à la suite de la réunion du groupe de travail sur la subsidiarité, nous avons demandé à Éric Bocquet et Jean-Paul Emorine d'approfondir l'examen de deux textes sur les marchés d'instruments financiers (MIF). Un avis motivé sur la subsidiarité ne s'impose pas, selon eux. En revanche, ils nous soumettent un avis politique qui pourrait être adressé, avec votre accord, à la Commission européenne. En l'absence de Jean-Paul Emorine, malheureusement retenu par des obsèques dans son département, c'est Éric Bocquet qui nous présentera les conclusions auxquelles ils sont parvenus.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Nous avons travaillé dans des délais assez brefs sur un sujet extrêmement complexe qui, comme le vin, peut donner mal à la tête en cas d'excès... Nous avons échangé avec les services de Bercy. Le 18 février dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de directive COM (2016) 56 final et une proposition de règlement COM (2016) 57 final pour décaler d'un an, au 3 janvier 2018, la date d'entrée en vigueur du dispositif législatif MIF II. S'appuyant sur un large consensus des États et la perspective d'un accord très rapide au Conseil, elle justifie ce report par l'impréparation des systèmes informatiques aux nouvelles exigences réglementaires, tant chez les acteurs de marché que chez les superviseurs nationaux et européens - même si les États membres restent tenus par le calendrier initial de transposer la directive MIF II au plus tard le 3 juillet 2016. Si le nouveau calendrier est respecté, dix ans auront été nécessaires, depuis la crise financière, pour appliquer effectivement ces deux textes fondamentaux pour la régulation des marchés financiers. Nous nous en étonnons ; quelles en sont les véritables raisons et les conséquences ?
Selon le législateur européen, MIF II doit :
- apporter des solutions aux conséquences indésirables de MIF I qui, en favorisant la concurrence, avait fragmenté et opacifié davantage les marchés financiers - à l'encontre du but recherché,
- et à la suite de la crise et dans le sillage des objectifs du G20, améliorer la surveillance et la résilience des marchés en renforçant la transparence des transactions. MIF II prévoit une obligation de transparence, avant et après la négociation, élargie aux marchés des obligations et des dérivés ; le regroupement en un seul lieu de l'ensemble des données de marché - le consolidated tap - pour donner aux investisseurs et aux superviseurs une vue d'ensemble de toutes les activités de négociation ; une redéfinition des frontières entre le gré à gré et le marché organisé afin de couvrir réglementairement le plus grand nombre possible de transactions à l'intérieur du second ; un contrôle renforcé de certaines pratiques de marché comme le trading algorithmique, dont notamment le trading haute fréquence.
La législation MIF s'accompagne de très nombreuses mesures dites de niveau 2, notamment les actes délégués de la Commission et les normes techniques de réglementation (RTS). Conformément au mandat qui lui a été confié, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a élaboré des projets de RTS qui précisent, en 1 500 pages, de nombreuses obligations de transparence. Les articles 10 à 14 du règlement instituant l'AEMF organisent le processus d'adoption des mesures de niveau 2. Les projets de normes techniques de MIF II ont été publiés par l'AEMF le 28 septembre dernier - avec deux mois de retard sur l'agenda officiel - et doivent être approuvés par la Commission européenne. Cette dernière aurait dû le faire avant le 28 décembre 2015. Le Conseil et le Parlement européen devront ensuite donner leur accord dans le meilleur des cas dans un délai d'un à trois mois. Ces textes restent donc en débat sur le fond, et leur calendrier d'adoption ne peut être encore confirmé. Ce n'est qu'à l'issue de ce processus de validation que les systèmes informatiques adéquats pourront être développés.
Quelles seraient donc les causes du retard ? Alors que la Commission européenne s'abrite derrière un retard technique, certains États membres et des acteurs des marchés sont fortement préoccupés par la réglementation de niveau 2. Leurs demandes sur les normes précisant à quel type d'instrument et à partir de quel seuil doivent s'appliquer les obligations de transparence, pourraient être à l'origine de l'allongement de la négociation. L'exercice est délicat car il nécessite de tenir compte des interactions avec le fonctionnement des marchés et notamment des enjeux de liquidité.
La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, au terme de discussions avec la Commission européenne, a approuvé le report de l'application de MIF II sous deux conditions : une bonne prise en compte de certaines normes techniques de réglementation et un suivi renforcé de l'agenda d'adoption de ces normes. De récents amendements ont été déposés au Parlement européen sur certains aspects du paquet législatif MIF qui rouvrent de facto les discussions du trilogue sur les intentions initiales du législateur.
Quelles appréciations porter sur les deux propositions de la Commission ? Les discussions en cours entre l'AEMF, la Commission européenne, le Conseil, le Parlement européen et les acteurs de marché confirment que les enjeux dépassent largement ceux d'un simple retard informatique. Le report de l'application de MIF II révèle surtout un défaut de transparence et d'information. La dérive du calendrier d'adoption des normes réglementaires rendra-t-il le délai d'un an insuffisant ? Quel serait un agenda réaliste ? Ne faudrait-il pas reporter la date de transposition ?
La Commission européenne n'a pas informé les parlements nationaux du retard sur l'élaboration des normes de niveau 2. Elle les a privés des moyens pour juger, en connaissance de cause, de l'opportunité et du bien-fondé de la demande de report. En créant une dissymétrie d'information au détriment des parlements nationaux vis-à-vis du Parlement européen, elle échappe potentiellement à une demande des parlements nationaux sur le report de la date de transposition de la directive MIF II dans leurs propres législations. Seul le Parlement européen a été en mesure d'anticiper la situation et a demandé un report du délai de transposition nationale motivé par « l'incapacité de l'AEMF et de la Commission européenne à élaborer les normes techniques de réglementation et les actes délégués dans les délais prévus ».
Cette demande de report illustre aussi les difficultés liées à la multiplication des actes délégués et des mesures de niveau 2 ayant pris une ampleur considérable dans la réglementation financière. Comment s'assurer que les normes techniques de réglementation de MIF II, dont certaines très complexes, n'impliquent aucune décision stratégique ni aucun choix politique et que leur contenu respecte les intentions du législateur ? Comment s'assurer de leur pertinence et de leur qualité ? Certaines normes, encore très critiquées, représentent des enjeux considérables pour le bon fonctionnement des marchés européens. En cas d'inadaptation, leur révision est malaisée alors que leurs impacts sont potentiellement très négatifs. Les parlements nationaux n'interviennent pas directement dans l'élaboration de la législation de niveau 2. Pour autant, lorsque des normes réglementaires ont un impact significatif sur l'économie globale d'un texte, lorsque leur élaboration est difficile, une bonne administration par la Commission du processus législatif appelle une information minimale des parlements nationaux. Avec un partage équitable et équilibré de l'information, la Commission fournirait des moyens effectifs aux parlements nationaux pour qu'ils exercent concrètement leur rôle dans le processus législatif de l'Union. C'est dans cet esprit que nous vous proposons cet avis politique.
M. Jean Bizet, président. - Merci de vos explications sur ce texte assez complexe. Elles explicitent les motifs de cet avis politique que vous nous proposez.
M. François Marc. - Je remercie le rapporteur pour son argumentation développée. Je partage la nécessité de prendre en compte l'expression des parlements nationaux, mais la Commission ne pouvait faire autrement avec ce travail d'Hercule de recensement de toutes les données issues de 300 plateformes, avec 15 millions d'instruments financiers en Europe, afin d'évaluer comment la transparence peut et doit être améliorée avant et après la transaction. Faut-il enregistrer les communications avec les clients ? Voyez l'ampleur considérable de ce travail : les difficultés techniques sont compréhensibles. Le gendarme financier est légitime pour demander un report, d'autant que les standards techniques ne sont pas définis avec précision. Les choses avancent, même si c'est plus lentement que prévu.
Vous évoquiez le trading à haute fréquence, la rémunération des conseils et la recherche-action. Ces dernières années, les pratiques financières ont beaucoup évolué, à la suite de la crise et grâce à la grande créativité des acteurs financiers, notamment sur leurs outils informatiques, qui souhaitaient contourner la réglementation - avec les dark pools - et les principes de transparence. Parfois, l'innovation va plus vite que la régulation publique ; assurons-nous que les superviseurs puissent opérer dans des conditions acceptables, satisfaisantes et fiables à l'avenir. Mais je souscris à la nécessité de s'associer activement à ce travail afin d'avoir un regard pertinent sur l'évolution européenne, en prévision de futures crises.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Selon l'ancien responsable de Tracfin, une part considérable de la masse financière consolidée, notamment à la Bourse de New York, provient de produits financiers liés à des réseaux mafieux ou délictueux.
Les dix ans de travail sont-ils liés à la quantité des données ou résultent-ils de la mauvaise volonté de certains ? J'approuve l'esprit de votre avis politique. Nous sommes devant un problème énorme que les autorités mondiales ne maîtrisent pas.
M. Alain Vasselle. - Merci de votre éclairage sur ce dossier complexe. Quel impact un tel avis aura-t-il sur la commission ? Nous soulignons, déplorons ou considérons... N'est-ce pas un voeu pieux ?
M. René Danesi. - « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Certaines forces ne sont pas occultes : l'Angleterre et d'autres pays ne tiennent pas à la mise en place rapide du dispositif.
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'Angleterre est un paradis fiscal légal. L'Europe devrait avoir le courage d'aborder ce problème.
M. Jean Bizet, président. - Ne serait-ce pas plutôt un pays à l'esprit libéral avancé ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Non...
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Si je ne maîtrise pas tous les aspects techniques, justifier le report par un retard informatique me laisse sceptique. Quoique la City ne soit pas l'unique acteur à l'échelle mondiale, des forces non occultes existent. Nous avons vu le combat entre régulateurs et antirégulateurs pour la directive européenne sur les travailleurs détachés. Dix ans après le cataclysme ayant failli faire couler l'économie mondiale, lors duquel même les libéraux demandaient plus de régulation après la dérégulation des années 1980, fleurissent les dark pools et le shadow banking. Chaque seconde, 4,6 millions de dollars sont dépensés sur les marchés financiers mondiaux et 1,4 million d'ordres sont donnés sur les plateformes américaines. Comment réguler ? Selon Jean-Michel Naulot, ancien banquier et membre de l'Autorité des marchés financiers (AMF), il faut six mois de travail à l'AMF pour contrôler 5 à 10 minutes de trading haute fréquence - les ordinateurs faisant des opérations en nanosecondes.
M. Jean Bizet, président. - Dix puissance moins neuf !
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Sept mille ordres sont donnés en 350 millisecondes, et souvent annulés dans la milliseconde qui suit. Le principe de contrôle ex ante ou ex post n'a plus beaucoup de sens à cette vitesse-là ! En une seconde, 20 000 ordres sont passés, 24 heures sur 24 : lorsqu'on dort à Hong-Kong, on ne dort pas à Londres. Je regrette le retard de cette régulation qui semblait urgente il y a dix ans. Même Christine Lagarde, au Fonds monétaire international, tire la sonnette d'alarme. En cas de crise, les États pourront-ils éteindre l'incendie ? On ne perd que les batailles qu'on ne mène pas ; agissons au lieu de renoncer.
M. François Marc. - Il n'y a pas dix ans de délai. La directive MIF a été adoptée en 2004 et transposée en 2007, mais est apparue insuffisante avec la crise financière. En 2011, la Commission européenne a envisagé son abrogation et l'élaboration d'une directive plus ambitieuse, finalisée en 2014. Au total, l'élaboration stricto sensu a duré plutôt cinq ans. Rappelez-vous, nous avions déjà débattu de l'insuffisance de la régulation. Certains estimaient qu'il fallait laisser agir les opérateurs, d'autres, à notre instar, voulaient aller plus loin. Nos revendications étaient légitimes.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - En prenant comme point de départ la crise et le report à 2018, le délai d'élaboration sera bien de dix ans.
M. Jean Bizet, président. - En tant qu'élu normand, j'ai un oeil complaisant sur les pays outre-Atlantique, mais les sujets économiques et financiers sont d'une extrême habileté, voire malice. Voyez les contingences auxquelles nous sommes réduits pour mettre en oeuvre des clefs de sécurité ici ou là, avec les dernières gesticulations de la Banque centrale européenne. Le financement économique en pâtit en Europe, alors que cela n'a pas ralenti le développement de l'économie américaine. Cet avis souligne un défaut de transparence et d'information des parlements nationaux, conformément à l'esprit du traité de Lisbonne. Souvenez-vous du dernier rapport sur le suivi des résolutions européennes : dans 50 % des cas, elles sont suivies d'effet et dans 30 %, elles influencent la Commission ou le Conseil, même si, sur la forme, nous « déplorons » ou « constatons » - c'est le langage du Sénat !
M. Alain Vasselle. - Est-ce vrai tant pour les résolutions que pour les avis ?
M. Jean Bizet, président. - Oui, pour l'ensemble. La forme est enrobée, mais le fond est très important. Lors de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), à laquelle j'assiste avec Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, le Sénat français est très écouté car nous sommes réactifs et nos avis sont généralement considérés comme très pertinents.
M. Simon Sutour. - Le Secrétariat général des affaires européennes et la Commission européenne nous informent régulièrement du suivi de nos résolutions, en application du principe de subsidiarité prévu par le traité de Lisbonne et son « carton jaune » : nous agissons souvent avec d'autres parlements nationaux. Dans une étude de la Commission européenne sur le travail des parlements nationaux, le Sénat français était extrêmement bien placé.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Lors d'un débat à la commission des affaires étrangères, j'ai rappelé l'existence du rapport du président Bizet sur l'importance de nos résolutions européennes et de nos avis et ai incité ses membres à utiliser davantage cet instrument. On doit parfois faire preuve de pédagogie !
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, l'avis politique suivant qui sera adressé à la Commission européenne.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - La semaine dernière, nous avons reçu une importante délégation du Conseil national de Monaco. La principauté - tout comme Andorre et Saint-Marin - est en train de négocier un accord avec l'Union européenne. Je propose de désigner M. Christophe-André Frassa, président du groupe d'amitié, pour suivre l'évolution des négociations, avec MM. Louis Nègre et Simon Sutour, qui travaillent sur les questions relatives à la Méditerranée.
Je propose la nomination de Mme Gisèle Jourda et de M. Yves Pozzo di Borgo sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune, notamment de la présentation de la stratégie de sécurité par Mme Federica Mogherini en juin prochain.
La commission procède à ces désignations.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Seuls quelques hurons de notre commission s'intéressent au sujet, alors que l'Allemagne présentera son livre blanc en juillet, et que tout le monde est assis dans le lit de l'OTAN et considère qu'il n'existe pas de défense européenne. Nous nous heurtons à une pesanteur terrible. À l'invitation de Jean-Pierre Raffarin, la commission des affaires étrangères a reçu M. Thierry Breton, président d'Atos, ancien ministre de l'économie, qui a fait la proposition décapante à Jean-Claude Juncker et Jean-Yves Le Drian de créer un fonds européen de défense ; en France, un tiers de la dette provient du secteur de la défense. Cela réduirait le différentiel existant entre la France et l'Allemagne.
M. Jean Bizet, président. - La proposition de M. Breton paraît effectivement pertinente. Elle permettrait de faire contribuer les autres pays à l'effort de défense.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je l'avais envisagé dans un rapport, il y a trois ans, sur la défense européenne, et lorsque je représentais le Sénat à l'Union de l'Europe occidentale. Il faut examiner cette question !
La réunion est levée à 10 heures 10.