Mardi 8 mars 2016
- Présidence de Mmes Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises -Journée internationale des droits des femmes - Rencontre avec une délégation de femmes Meilleures Ouvrières de France
M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Chantal Jouanno, Madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, Madame la présidente de la délégation du Sénat aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, chère Christiane Hummel, mes chères collègues sénatrices, Madame la présidente Hélène Luc, toujours fidèle à nos manifestations, Mesdames et Messieurs les Meilleurs ouvriers de France.
Mes saluts s'adressent aussi aux jeunes ici présents.
J'ai souhaité venir à votre rencontre cet après-midi dans un lieu incarnant une femme, Marie de Médicis, qui a affronté un destin terrible lorsque son époux, le roi Henri IV, fut assassiné, puis lorsqu'elle fut victime de la journée des dupes ; qui connut l'exil et termina son destin dans la misère et la solitude.
Lorsque j'ai appris qu'une rencontre était organisée dans l'enceinte du Palais du Luxembourg avec des femmes MOF, j'ai tenu à venir vous saluer et à vous souhaiter à toutes ici présentes la bienvenue au Sénat.
Je félicite tout particulièrement, en cette journée du 8 mars, la délégation aux droits des femmes et les 91 sénatrices présentes dans notre assemblée. Certes, la féminisation du Sénat progresse, mais nous pouvons encore faire mieux !
Je tiens enfin et surtout à féliciter Christiane Hummel qui est à l'origine de cet événement.
Cette rencontre conjointe constitue une première pour les trois structures sénatoriales qui sont à l'origine de notre réunion : la délégation aux droits des femmes, bien sûr, la commission de la culture dont les compétences touchent aussi à l'éducation et à la formation, et la délégation aux entreprises qui, en dix-huit mois, a déjà mené une action dynamique en faveur notamment de l'apprentissage, que vous connaissez bien, Mesdames les Meilleurs ouvriers de France.
Toutes les initiatives qui concourent à faire évoluer les mentalités et à valoriser la formation par l'alternance et l'apprentissage, qui reste encore trop souvent le parent délaissé de notre système de formation, contrairement à beaucoup de nos voisins européens, doivent être encouragées. Les parcours d'excellence qui sont les vôtres, ce que vous représentez pour notre pays, constituent un exemple pour de nombreuses jeunes filles dans notre pays. La Rochefoucauld, dans l'une de ses maximes, soulignait que « l'exemple en dit plus que les paroles ». Et en effet, votre présence et votre exemple en disent beaucoup plus que de grands discours.
Au Sénat, nous sommes engagés en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage. C'est pourquoi nous voulons continuer d'agir et formuler des propositions. D'abord en exerçant notre mission de législateur. Une proposition de loi sera ainsi débattue au printemps. Autour d'un pacte national pour l'apprentissage, il s'agira d'accroître la place des régions, d'offrir des formations plus adaptées aux besoins des entreprises et des jeunes et de simplifier les procédures.
Un colloque a été organisé en ces lieux voilà quelques mois. Pour l'ancien ministre du travail et de la formation professionnelle que j'ai été, douze ans après avoir martelé, avec Jean-Louis Borloo, notre volonté de favoriser l'apprentissage, c'est un regret de constater que nous n'avons pas encore gagné la partie dans ce domaine.
Ensuite, nous avons voulu que le Sénat soit, lui-même, exemplaire. Nous avions commencé avec des apprentis dans nos services techniques, comme les cuisines ou l'entretien des jardins. Nous avons décidé d'élargir l'accueil d'apprentis à toutes les directions du Sénat, y compris aux directions chargées des missions institutionnelles. Notre objectif est, à la prochaine rentrée, d'accueillir treize apprentis. Il ne suffit pas de voter la loi, il faut également l'appliquer soi-même. Nous serons sans doute la première institution à nous engager dans cette voie de l'accueil d'apprentis et j'espère que notre exemple sera contagieux ! Demain, des apprentis pourront donc, au Sénat, participer à la rédaction de la loi ! Nous aurons ainsi contribué à décloisonner le concept de l'apprentissage au sein même de notre institution.
La plupart d'entre nous connaissent les quatre meilleurs ouvriers de France de la cuisine de la Présidence. Ils sont connus à l'échelle nationale et internationale. Nous y accueillons désormais, pour la première fois, quatre apprentis et deux stagiaires Bachelors de l'école Ferrandi, soit quatre garçons et deux filles. Certes, il nous reste une marge de progrès pour atteindre la parité. Néanmoins, cette cuisine offre à nos hôtes, à l'occasion des visites officielles ou d'État, une illustration du savoir-faire français dont la cravate tricolore que vous arborez constitue le symbole.
Il ne suffit pas de se préoccuper, une journée par an, de la situation des femmes. Cette rencontre montrera que, dans vos métiers respectifs, vous faites bouger des lignes et que la place des femmes dans l'entreprise est en train d'évoluer. C'est aussi ce qu'Élisabeth Lamure nous démontre : il est significatif qu'une femme préside cette délégation. Il faut dire qu'elle s'imposait tout naturellement pour cette mission.
Je vous souhaite, cet après-midi au Sénat, des échanges stimulants. Il s'agit d'une occasion de montrer que la parité constitue une chance mutuelle pour les femmes, comme pour les hommes, mais surtout pour la société, à un moment où elle est confrontée à plusieurs défis.
Soyez tous attentifs à un principe sur lequel nous avons progressé ensemble, par la volonté des femmes, essentiellement depuis la fin du XIXème siècle. Nous devons centrer les valeurs de la République autour des principes d'équité, d'égalité et de respect mutuel entre les hommes et les femmes. Ces valeurs font partie des valeurs de la République. La liberté, l'égalité et la fraternité représentent de grands principes, mais en cette période où la menace obscurantiste étend son ombre sur notre planète, il est bon de porter le regard vers la lumière des femmes et de poser le principe de la parité comme l'une des chances de notre société.
Pour conclure, mesdames et messieurs, quel meilleur symbole, en cette journée du 8 mars, que cette rencontre entre des femmes investies de responsabilités importantes au Sénat et des femmes qui, par leurs métiers respectifs, font bouger les lignes pour faire évoluer la place des femmes dans le monde de l'entreprise et de l'artisanat.
Je vous souhaite un très bon après-midi au Sénat.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. -Merci, Monsieur le Président, pour votre témoignage et votre présence à cette journée.
Le fait de présider la délégation aux droits des femmes me vaut l'honneur d'intervenir après vous en cette Journée internationale des droits des femmes. Je tiens à remercier tout particulièrement Christiane Hummel d'avoir pris l'initiative de cette rencontre, une grande première pour les présidentes de la commission de la culture, de la délégation aux entreprises et de la délégation aux droits des femmes.
J'attache beaucoup d'intérêt à ces échanges avec vous, aujourd'hui, au Sénat. Comme on vous l'a sans doute dit maintes fois, vous représentez l'excellence. Or l'excellence est un terme féminin, même s'il ne renvoie pas toujours à une image féminine. Il est regrettable de constater que, avec 23 % de femmes parmi les Meilleurs ouvriers de France, vous soyez encore moins nombreuses que nous, les sénatrices, qui représentons 26 % des membres du Sénat. Je souhaite que, les unes et les autres, nous progressions régulièrement en nombre dans nos domaines respectifs.
La notion d'excellence est particulièrement importante. L'excellence n'est en soi ni féminine ni masculine. Peu importe pour vous d'être meilleure parce que vous êtes une femme, vous voulez donner le meilleur. Nous partageons ce souhait dans notre travail de sénatrices. Nous souhaitons que personne ne se demande si nous sommes homme ou femme. Nous voulons être jugées simplement parce que nous cherchons le meilleur, que ce soit en politique ou dans nos métiers respectifs.
Pour nous, la féminisation des Meilleurs ouvriers de France doit absolument toucher à la fois les métiers considérés comme féminins, mais aussi les métiers jugés plus masculins. Je pense au bâtiment, dont une représentante est présente dans l'hémicycle, au secteur de l'industrie et, plus particulièrement, à celui de l'automobile.
Par le biais de l'apprentissage, nous avons les moyens de faire progresser la présence des femmes et, surtout, de lutter contre les stéréotypes. Faire tomber les stéréotypes qui enferment les femmes dans des fonctions et des comportements considérés comme féminins constitue en effet une préoccupation permanente de la délégation. De manière consciente ou inconsciente, il existe des stéréotypes partout. Dès le plus jeune âge, par exemple dans les jouets que nous offrons à nos enfants, dans les mots que nous prononçons devant eux, dans l'éducation que nous leur donnons, nous véhiculons des stéréotypes. Souvent inconscients, ceux-ci sont le fruit d'une longue histoire et non d'une malveillance particulière.
La délégation a travaillé sur les jouets voilà quelque temps. Nous allons travailler prochainement sur un sujet qui pourrait faire sourire : « femmes et voitures ». Là encore, que de clichés ! Les femmes ne savent pas faire de créneau, n'avancent pas, n'ont pas le sens de l'orientation, ne savent pas changer une roue, etc. Pour ce qui me concerne, tout n'est pas entièrement faux... À travers ce rapport d'information, nous souhaitons également aborder des sujets plus fondamentaux, comme la précarisation des femmes qui n'ont pas accès à un moyen de déplacement, les difficultés d'accès au permis de conduire et la place des femmes dans les métiers de l'automobile. Nous solliciterons tous les témoignages nécessaires, mais nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque nous lancerons nos premières auditions.
Je reviendrai pour finir sur les maîtres mots de cette rencontre : la lutte contre les stéréotypes et l'excellence. L'excellence n'est pas un sujet masculin ou se féminin. Elle doit être appréhendée pour elle-même ; c'est l'excellence que nous apprécions et que nous portons au sein de notre délégation.
Je laisse maintenant la parole à Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Mesdames et Messieurs, je suis heureuse de retrouver celles et ceux dont j'ai pu faire la connaissance grâce à Christiane Hummel ce matin. Comme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, je vous souhaite très chaleureusement la bienvenue au Sénat.
En préambule, je tiens à remercier notre collègue Christiane Hummel. Elle a le double mérite d'être à la fois un membre actif de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la délégation aux droits des femmes. Elle n'est pas la seule dans cet hémicycle. Je salue les sénatrices qui, comme Maryvonne Blondin, se montrent très actives pour pousser les sujets concernant les femmes au sein de la commission de la culture.
Le titre de Meilleur ouvrier de France que vous portez récompense l'excellence professionnelle élevée à son plus haut degré. Ancien professeur, je sais que ce titre consacre un long parcours, des études exigeantes, difficiles et une discipline souvent sans faille dans le travail et l'apprentissage. Chantal Jouanno a évoqué différents métiers plus ou moins liés à l'apprentissage. Les métiers de bouche sont souvent mis en avant dans la profession, mais il ne faut pas oublier tous les métiers de l'artisanat, notamment de l'artisanat d'art, auxquels notre commission est particulièrement attachée.
L'excellence au féminin est particulièrement importante. Dans vos professions respectives, elle est souvent incarnée par des hommes. Or, votre présence ici démontre que les femmes ont la capacité de faire carrière, réussir, s'illustrer. À travers votre engagement, vous défendez donc la cause de toutes les femmes, dans tous les secteurs professionnels.
Le Sénat entretient une relation particulière avec la société des Meilleurs ouvriers de France. C'est au Palais du Luxembourg, en effet, que sont remis chaque année les prix du concours de Meilleur apprenti de France qui récompense l'excellence des apprentis engagés sur le chemin de la réussite et de l'emploi.
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication que j'ai l'honneur de présider est très engagée à la fois sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes et sur la promotion des métiers manuels et des métiers de l'artisanat. Le mot « manuel » pourrait être considéré comme un terme dévalorisant. Ce n'est pas le cas. Il faut assumer ce terme. Il existe différents types d'intelligence, différents parcours de réussite pour nos jeunes. Nous devons nous y atteler pour faire avancer notre système éducatif.
Si les filles obtiennent généralement de meilleurs résultats scolaires, on constate toutefois qu'elles sont moins nombreuses à s'orienter vers certains métiers, notamment scientifiques. Dans les filières de la production et de l'artisanat, des secteurs restent encore insuffisamment connus des jeunes filles et nécessitent une attention accrue de la part du corps professoral et de tous ceux qui contribuent à l'orientation des jeunes.
Plus encore qu'aux obstacles institutionnels ou aux stéréotypes, c'est aux représentations que se heurte l'accès des jeunes filles à ces filières et ces professions. Il faut travailler pour lever les réticences des jeunes filles et les conduire à une meilleure appréciation de certaines voies de réussite et d'apprentissage. Notre commission a réfléchi à la manière de faire avancer le sujet. Nous avons engagé un grand travail sur l'orientation. Aucun rapport de fond n'a été réalisé ces dernières années sur ce thème clé, situé au coeur de l'éducation.
Mes collègues ont donc lancé un travail de terrain et réalisé plusieurs auditions afin de formuler des propositions qui pourront peut-être donner lieu à des avancées législatives. Parmi les thèmes retenus dans cette mission sur l'orientation figurent bien entendu la question des stéréotypes sexués et la revalorisation de l'apprentissage, auquel le Sénat est très attaché.
Je tenais à vous dire en conclusion toute mon admiration et ma reconnaissance pour la réussite que vous illustrez aujourd'hui. Vous êtes autant de modèles à suivre pour tous les jeunes qui s'interrogent sur leur avenir. Pouvoir suivre des modèles constitue la meilleure façon de s'engager dans les études, puis dans la vie professionnelle. Vous incarnez ces modèles. Je vous en félicite, au nom de notre commission.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. -Merci chère Catherine. La parole est à Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises. - Mesdames les présidentes, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises que j'ai l'honneur de représenter, permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être associée à cette rencontre. Je remercie Chantal Jouanno pour son invitation, ainsi que ma collègue Christiane Hummel pour son heureuse initiative.
La délégation aux entreprises a été créée voilà un peu plus d'un an à l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher. Sa mission est de nouer un dialogue entre le Sénat et les entreprises, qui font la croissance et l'emploi dans les territoires. Notre objectif est non seulement de mieux faire entendre la voix des entreprises au Parlement, mais aussi de rétablir la confiance des entreprises envers le législateur.
Pour cela, nous avons choisi d'aller à la rencontre des entrepreneurs là où ils sont, dans les territoires. Depuis plus d'un an, la délégation aux entreprises s'est ainsi déplacée dans une dizaine de départements. Elle y a rencontré plus de 200 entrepreneurs, avec des métiers très différents. De nombreux entrepreneurs ont souligné leurs difficultés pour recourir à l'apprentissage, alors même qu'ils nous ont dit combien ils en avaient besoin. Je me souviens en particulier de l'un d'eux, dans la Drôme, qui nous a dit que les compagnons étaient très précieux pour son entreprise, presque plus que les ingénieurs, car ils n'ont pas d'équivalent. Au moment où un quart de nos jeunes se retrouve au chômage, promouvoir l'apprentissage nous est vite apparu comme une urgence.
Nous avons organisé ici même une table ronde sur l'apprentissage en octobre dernier, et nous avons démarré un travail approfondi pour identifier tous les freins au développement de l'apprentissage et pour tenter de le réformer, de le rendre plus accessible et d'augmenter le nombre d'apprentis.
Au terme de ce travail, notre délégation a élaboré une proposition de loi qui a tout récemment été déposée sur le Bureau du Sénat. Le texte a plusieurs ambitions : redéfinir les objectifs de l'apprentissage, instaurer un pacte national pour favoriser son essor, renouveler la gouvernance et affirmer le rôle des régions dans ce domaine, offrir des formations plus adaptées aux besoins des jeunes et des entreprises, et prévoir des mesures de simplification administrative pour les entreprises, un sujet lui aussi très souvent évoqué.
J'espère que ce texte pourra bientôt être adopté par le Sénat, qui a depuis longtemps manifesté son attachement à l'apprentissage. Le 13 avril prochain, le Sénat accueillera d'ailleurs les seizièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage.
Développer l'apprentissage comme une voie de réussite, cela passe aussi par une meilleure reconnaissance des métiers auxquels il forme. Cette reconnaissance n'est pas du ressort de la loi, mais notre réunion de ce jour peut sans doute y contribuer. Vous êtes en effet d'éminents représentants de ces savoir-faire qui font la fierté et la richesse de notre pays.
Et je me réjouis de voir autant de femmes parmi vous aujourd'hui. Je sais pourtant que les filles restent largement minoritaires dans l'apprentissage : un apprenti sur trois est une fille, un sur quatre seulement au niveau V.
Je sais aussi que des jeunes filles Meilleures apprenties se trouvent parmi nous. À elles, comme aux Meilleures ouvrières de France, je veux dire toute mon admiration. J'y vois un beau message, et j'espère qu'elles donneront envie à d'autres ! Je ne peux que les encourager à continuer à se perfectionner au sein des entreprises et, pourquoi pas, à créer leur propre entreprise !
J'ai souvent regretté le très petit nombre de femmes (si ce n'est leur absence) dans les tables rondes que la délégation aux entreprises organise avec des entrepreneurs lors de ses déplacements. Hier encore, en Saône-et-Loire, un bassin d'emploi pourtant très industriel, notre table ronde réunissait une vingtaine d'entrepreneurs ; une seule femme, cadre dans son entreprise, y participait. Les femmes doivent devenir plus nombreuses dans le monde de l'entrepreneuriat, mais aussi plus visibles. Je ne peux que vous encourager mutuellement dans cette voie.
Je tenais donc à vous féliciter, à vous témoigner toute mon admiration et à vous souhaiter une très bonne journée parmi nous.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci. Vous avez raison d'insister sur les femmes entrepreneures. Souvent, les femmes se fixent à elles-mêmes des barrières pour franchir le pas. Je donne la parole à Christiane Hummel, qui va revenir avec nous sur l'origine de notre rencontre d'aujourd'hui.
Mme Christiane Hummel. - Mesdames les présidentes, c'est plutôt à moi de vous adresser des remerciements. Je tiens en particulier à remercier le Président du Sénat qui a accepté notre proposition de rencontre avec enthousiasme, tout comme vous, Mesdames, qui avez accepté de participer à cette manifestation.
Je suis maire d'une commune ; un jour, mes collaborateurs m'ont signalé que notre commune comptait trois meilleurs apprentis de France. J'ai alors décidé d'organiser une manifestation pour les mettre à l'honneur. Jocelyne Caprile, ici présente, Meilleure ouvrière de France en teinturerie-apprêtage, accompagnait ces jeunes et leurs familles. Elle m'a expliqué le dispositif des « Meilleurs ouvriers de France ».
Nous ne connaissons pas assez bien l'apprentissage et les opportunités qu'il offre. Je peste lorsque, lors des journées portes ouvertes organisées dans les collèges de ma commune, on propose aux jeunes femmes le métier de secrétaire médicale, dont nous n'avons plus guère besoin, alors qu'il faudrait leur présenter des secteurs porteurs comme par exemple le bâtiment. Il me semblait important d'agir et j'ai donc proposé à Jocelyne Caprile de mettre en place une manifestation pour le 8 mars 2016. Petit à petit, nous avons progressé dans notre réflexion et nous voilà aujourd'hui dans cette salle avec vous, mesdames les présidentes.
Je suis vraiment honorée que vous ayez accepté de soutenir ce projet de réunion. Ce matin, en rencontrant chacune des Meilleures ouvrières de France présentes ici, j'ai compris que, au-delà de votre mérite et de votre excellence, vous aviez un coeur énorme, comme toutes les femmes d'ailleurs. Ce coeur vous conduit à vous tourner vers les autres, vers les apprentis, vers vos concitoyens.
Vous avez décidé de créer une association pour promouvoir l'action des Meilleurs ouvriers de France et le travail que vous réalisez auprès des jeunes pour les inciter à se présenter aux Meilleurs apprentis de France. Vous m'avez fait l'honneur de venir tenir votre assemblée générale de fondation dans ma commune, La Valette-du-Var. Nous serons très heureux de vous soutenir encore. Avec l'appui des présidentes et de mes collègues, je pense que nous pourrons faire avancer l'apprentissage et résoudre les difficultés que connaissent les jeunes femmes aujourd'hui.
Je suggère maintenant que Jocelyne Caprile intervienne pour nous donner son sentiment sur l'événement que nous vivons aujourd'hui.
Mme Jocelyne Caprile, Meilleur Ouvrier de France teinturier-apprêteur. - Quelle belle aventure ! Je n'aurais jamais pensé que nous vivrions cette journée d'exception. Je vous remercie infiniment, Mesdames les présidentes, Madame Hummel, de nous avoir invitées dans cette si belle institution qui représente si bien la France. Si vous me le permettez, je vais vous présenter brièvement les Meilleurs ouvriers de France et notre parcours.
Mesdames les sénatrices, Mesdames et Messieurs, au nom de la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France et de notre groupe de femmes Meilleurs ouvriers de France, je vous remercie de l'intérêt que vous portez à cette rencontre.
C'est un grand honneur pour nous d'être accueillies dans un endroit aussi prestigieux que le Sénat, un lieu chargé d'histoire. Comme l'a mentionné M. le président du Sénat, la construction du Palais du Luxembourg avait été commandée par une femme, Marie de Médicis.
Depuis la création du concours en 1924, 9 000 titres de Meilleurs ouvriers de France ont été décernés sur 25 concours organisés tous les trois ans, dans 200 métiers différents. Les qualités communes à tous les Meilleurs ouvriers de France sont la passion de leur métier, le perfectionnisme, le dépassement de soi, l'amour du travail bien fait, le respect du travail, l'esprit d'initiative et l'exemplarité. Nous représentons un exemple pour la France, pour les jeunes.
Le concours des Meilleurs ouvriers de France exige généralement la réalisation d'un chef d'oeuvre représentant 500 heures de travail, sur quinze à dix-huit mois de préparation. Les oeuvres constituent chacune une référence d'excellence dans les domaines technique, scientifique, économique et artistique. Elles nous confèrent le titre très envié de l'un des Meilleurs ouvriers de France qui nous permet d'arborer fièrement au col notre médaille bleu-blanc-rouge. Nous sommes ainsi les ambassadeurs et les ambassadrices de la France dans le monde entier.
En 1986, dans le but de transmettre leur savoir et de développer l'apprentissage, les Meilleurs ouvriers de France ont créé le concours des Meilleurs apprentis de France, pour permettre aux apprentis de se distinguer. Chaque année depuis trente ans, 300 lauréats sont ainsi félicités lors d'une cérémonie organisée au Sénat. Cette reconnaissance les incite ensuite à préparer les Olympiades des métiers et le concours des Meilleurs ouvriers de France.
Dès la première année du concours, en 1924, 18 femmes sur 144 lauréats ont reçu le titre de Meilleur ouvrier de France. Près d'un siècle plus tard, nous ne sommes toujours que 12 % à la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France. Autrefois, les femmes représentaient des métiers dits alors « charmants », mais aujourd'hui désuets, comme les ombrelles, parapluies, boutons, bonneterie, guipure, etc. Aujourd'hui, les femmes s'imposent dans des métiers auparavant réservés aux hommes. Elles choisissent ainsi de devenir carreleur, comme Séverine. Les Meilleurs apprentis de France recèlent également des pépites, notamment une charpentière, une peintre en carrosserie et une spécialiste en maintenance d'équipements industriels. Évidemment, l'implication des maîtres d'apprentissage, en partenariat avec les lycées, est indispensable et je peux témoigner d'une réelle vocation pour la réussite de nos apprentis.
Je tenais à vous remercier pour cette journée mémorable, qui demeurera un symbole fort pour nous. Mesdames les sénatrices, aujourd'hui, vous nous avez permis de vivre une journée d'exception, un moment inoubliable ponctué de respect, d'admiration et d'une grande considération pour les femmes Meilleurs ouvriers de France que nous sommes. Nous vous en sommes infiniment reconnaissantes.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci. Nous disposons d'une heure pour échanger très librement autour de la question qui nous préoccupe toutes et tous : comment féminiser encore davantage les Meilleurs ouvriers de Franc ? Comment développer la place des femmes dans des métiers considérés a priori comme masculins ? Nous, politiques, devons faire en sorte d'améliorer la vie des femmes par le biais de lois, mais aussi en interpellant le Gouvernement, ou en échangeant avec les partenaires économiques et sociaux.
Les Meilleurs ouvriers de France me paraissent symboliser parfaitement l'exigence de qualité qui s'est toujours trouvée au coeur de la culture française. Nous aimerions échanger sur ce que vous vivez, et sur la façon dont nous pouvons améliorer la situation. Les sénatrices et sénateurs souhaitent sans doute vous poser des questions. Je sais qu'une carreleuse est présente parmi nous. Ce métier est considéré comme plutôt masculin. Pourriez-vous nous livrer votre témoignage ?
Mme Séverine Jean, Meilleur Ouvrier de France carreleur. - Mon métier n'est effectivement pas très courant pour une femme. Lorsque j'arrive sur des chantiers où il y a à peu près cent hommes et où je suis la seule femme, je commence par frapper un coup de pelle par terre et je me fais respecter d'emblée. Il faut qu'ils sachent qu'aucun d'eux ne doit venir empiéter sur mon secteur. Je n'ai pas de mal à me faire respecter. Lorsque j'ai appelé la première fois pour m'inscrire au concours, j'ai été surprise d'apprendre que j'étais la première femme à le faire depuis que le concours existe, c'est-à-dire depuis 1924. J'ai dû répéter plusieurs fois que j'étais candidate, tant mes interlocuteurs étaient étonnés. Je leur ai répondu que j'avais de grandes chances de réussir, mais que je retenterais le concours tous les trois ans si j'échouais. Il n'est pas très courant de voir des femmes dans les métiers du bâtiment. On nous donne généralement un an de survie... J'exerce ce métier depuis dix ans maintenant ! J'encourage les stagiaires, je leur explique qu'il faut se battre. Dans mon métier, il ne faut pas ouvrir les portes, il faut les défoncer pour être écoutée. Il faut se battre tous les jours, mais c'est un très beau métier.
Mme Christiane Hummel. - Monsieur Chabanne, vous êtes le secrétaire général du COET, le Comité d'organisation du concours des Meilleurs ouvriers de France et des expositions du travail. Comment devient-on Meilleur ouvrier de France ?
M. Jean-Luc Chabanne, secrétaire général du Comité d'organisation du concours des Meilleurs ouvriers de France et des expositions du travail (COET). - Avant de vous répondre, je présenterai le Comité d'organisation des Meilleurs ouvriers de France. Le concours est un examen de niveau III depuis 2001, équivalent du BTS dans les formations plus académiques. Il est organisé tous les trois ans par le ministère de l'Éducation nationale.
Ce diplôme présente une particularité : son référentiel repose en effet sur la reconnaissance des compétences en situation professionnelle. Ce sont les professionnels qui, tous les trois ans, réécrivent ce référentiel afin de coller au plus près de la réalité économique du moment.
Le concours se déroule en deux temps. Après l'inscription vient une première épreuve qualificative. Nous sommes très sensibles à l'égalité des chances. Ainsi, tout candidat - en majorité des artisans, travailleurs indépendants ou salariés - qui exerce l'un des 238 métiers que nous représentons, peut s'inscrire et démontrer qu'il possède les compétences requises.
À l'issue de cette qualification, le candidat retenu peut prétendre au concours final. Celui-ci permet de devenir non pas le meilleur, mais l'un des Meilleurs ouvriers de France. Il s'agit en effet d'une compétition avec soi-même, et non avec les autres. Sur trois ans, nous recevons 3 500 à 4 000 candidatures. 1 200 à 1 500 personnes sont reçues aux épreuves qualificatives pour une promotion de 250 à 300 Meilleurs ouvriers de France.
Le COET est aujourd'hui inscrit au code de l'Éducation nationale et permet aux professionnels de réécrire régulièrement la réalité de leur métier et de redéfinir les compétences attendues des candidats à chaque édition du concours.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Comment pouvez-vous contribuer à la féminisation des Meilleurs ouvriers de France ?
M. Bernard Hibert, vice-président du COET. - Je représente les présidents des groupes de métier, en charge de ces 238 métiers. Les Meilleurs ouvriers de France sont nés sous la IIIème République après une longue période d'interdiction d'une grande partie des métiers. Ce n'est qu'à partir de 1925, date de la création des chambres de métiers, que le corps social de l'artisanat s'est structuré.
Dès le départ, sous l'impulsion des pouvoirs publics, le concours s'est ouvert aux femmes. Ces dernières ont dû attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale, voire davantage, pour accéder aux études de médecine. Pendant la guerre, les femmes ont joué un rôle important, non seulement dans l'agriculture, mais aussi dans les métiers du bois et du bâtiment. La guerre explique également les flux migratoires du sud de l'Europe qui ont apporté de nouvelles techniques dans le bâtiment. Compte tenu des responsabilités assumées par les femmes pendant la guerre, il paraissait légitime que le concours des MOF, à l'initiative du ministère de l'Enseignement, accorde une place aux femmes.
Aujourd'hui, 80 % des entreprises artisanales sont pilotées conjointement par des hommes et des femmes. Le statut des femmes dans l'artisanat a évolué lentement, mais un statut de conjoint collaborateur a été créé. Lors des prochaines élections aux chambres de métiers, même si la parité ne sera pas entièrement respectée, les femmes pourront accéder aux postes d'élus consulaires.
Dans nos métiers, l'évolution sera permise par l'ouverture du concours aux options et à la diversité des activités.
Dans les entreprises, les femmes exercent davantage des activités tertiaires. On peut donc penser qu'en élargissant les options de métier, on collera davantage à la réalité de l'activité. Depuis une dizaine d'années, nous avons féminisé le concours en l'ouvrant à des activités de nature plutôt tertiaire. Nous avons ainsi créé une classe dans le conseil en solutions sanitaires, dont les métiers sont assez féminisés. La promotion a d'ailleurs couronné plus de femmes que d'hommes. Nous pourrions ainsi multiplier les exemples, et l'utilisation par les femmes des Meilleurs ouvriers de France pour s'émanciper ne peut que nous réjouir. Dans le même ordre d'idée, une personne travaillant en bureaux d'études peut concourir dans une activité de menuiserie. Dans les métiers du bâtiment, nous avons déjà fait des efforts en matière de féminisation, même s'il reste beaucoup à accomplir. Ces métiers peuvent être exercés par des hommes ou par des femmes, qui accèdent aussi aux bureaux d'études, comme le montre l'équilibre plus ou moins bien assuré dans les promotions de l'Ecole Spéciale des Travaux Publics, du Bâtiment et de l'Industrie (ESTP) ou les formations en BTS. Si nous organisons un concours de Meilleur ouvrier de France en menuiserie, par exemple, nous devons admettre le travail pluridisciplinaire et la démonstration de la qualité du geste par l'objet, mais aussi par la démarche globale de l'activité artisanale.
Si la Société nationale des MOF ne compte que 12 % de femmes, le concours lui-même a évolué, puisque 23 % de femmes sont promues. Ce taux est loin d'être suffisant, mais il constitue un premier signe d'évolution. Nous avons également observé, en trois concours, un rajeunissement de la moyenne d'âge. Aujourd'hui, elle s'élève à 38 ans, contre plus de 45 ans voilà quelques années, et je pense que l'apprentissage concourt à l'évolution de la sociologie de nos métiers.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Il est bon aussi de féminiser les métiers très masculins.
Mme Carole Peyrefitte, Meilleur Ouvrier de France Esthétique. - En cette Journée internationale des droits des femmes, après l'intervention de deux hommes, il est grand temps que les femmes prennent la parole ! En tant que vice-présidente de la chambre des métiers du Rhône, présidente des Meilleurs ouvriers de France de la région Auvergne-Rhône-Alpes, je vous remercie infiniment de nous recevoir aujourd'hui. Je tiens à remercier tout particulièrement Jocelyne Caprile pour avoir largement contribué à l'organisation de cette rencontre.
Vous vous interrogiez sur la manière de féminiser le concours. Madame Hummel, vous avez employé le seul mot essentiel à la vie du concours et à la vie des femmes chefs d'entreprise. Pour se diriger vers ce type de concours, il faut avoir du coeur ! Aujourd'hui, l'entreprise se féminise et le management féminin, plus à l'écoute des autres, monte en puissance.
Devenir Meilleur ouvrier de France constitue-t-il une vocation ? Je l'ignore. C'est mon père qui, un matin, au petit déjeuner, m'a incitée à passer le concours. Je ne pense pas qu'il existe une recette. Il faut le faire avec coeur. Les Meilleurs ouvriers de France représentent une voie d'excellence, de passion. Or, les femmes excellent dans la passion.
Mme Sylvia Barrault, Meilleur Ouvrier de France Gouvernante. - Je suis la vice-présidente de la classe des Meilleurs ouvriers de France Réceptionniste en hôtellerie. Ce concours existe grâce au bénévolat. Je participe à l'un des comités d'organisation et nous avons travaillé bénévolement durant 1 600 heures pour préparer le concours. Nous avons accueilli 47 inscrits ; cent jurys bénévoles étaient présents toute la journée. Il a fallu trouver des lieux nous accueillant gratuitement. Nous avons souhaité travailler avec les professeurs et les professionnels, mais les écoles hôtelières, fermées pendant les vacances scolaires, ne pouvaient pas nous recevoir. Nous avons dû chercher des lieux ou des entreprises qui nous recevraient au moins à prix coûtant. Nous avons la chance d'exercer un métier très représenté, compte tenu du nombre d'hôtels, mais j'ai échangé aujourd'hui avec plusieurs jeunes femmes venant de métiers relativement rares. Sans une aide financière pour faire vivre ces comités, je crains que les concours ne disparaissent dans certains métiers. Or, il s'agit pour beaucoup de concours féminins. J'adresse donc aux politiques une demande de subventions. Lors des jurys finaux, nous sommes remboursés à hauteur de soixante euros pour notre chambre d'hôtel parisienne. Dans ce concours, nous oeuvrons avec passion, mais dans une démarche aussi très bénévole.
Mme Marie-Brigitte Duvernoy, Meilleur Ouvrier de France Pianos d'art. - Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Je viens du métier de la restauration de pianos. Technicienne, j'ai travaillé en usine. C'est un métier dans lequel, surtout lorsque j'ai commencé, il y a trente ans, on ne nous faisait aucun cadeau. Pour se faire respecter, il faut être meilleure que les hommes. C'est la raison pour laquelle j'ai présenté le concours en équipe, avec mon compagnon, lui aussi restaurateur. Nous avons été reçus en 2000.
Ce concours m'a permis d'accéder à un master de conservation-restauration de biens culturels à la Sorbonne. Je ne pouvais alors que m'investir dans le COET pour permettre à d'autres personnes d'obtenir ce titre. En 2000, j'ai également eu l'honneur de recevoir le prix Met'FEM créé par la chambre des métiers de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur décerné aux femmes qui créent une entreprise dans un métier d'hommes. J'ai rencontré des femmes qui mènent un combat quotidien face au comportement des hommes.
Dans toutes les usines de pianos, y compris celle de Bösendorfer, l'atelier finition, accord, égalisation et réglage ne compte que des femmes. En revanche, sur la scène d'un concert ou d'un festival - lieux de prestige - les femmes apparaissent peu. Notre crédibilité doit être reconnue par nos pairs. Nous répondons toujours présentes pour résoudre des problèmes techniques, mais on doit aussi nous donner notre place. Nous faisons, nous aussi, avancer l'économie.
Notre concours a besoin de subventions. Les Meilleurs ouvriers de France pourront ensuite accompagner les apprentis pour leur apprendre l'excellence. Nous sommes réunis aujourd'hui pour progresser de manière positive. J'espère donc avoir apporté ma petite pierre à cet édifice.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Comment avez-vous été orientées vers le métier que vous exercez aujourd'hui ? Avez-vous été encouragées, dissuadées ? Comment l'Éducation nationale assure-t-elle l'orientation ?
Mme Noëllie Duperret, Meilleur Apprenti de France 2015 Charpentier. - J'ai participé au concours de Meilleur apprenti de France dans la catégorie Charpente. Au collège, j'étais plutôt bonne élève et tous mes professeurs m'incitaient à passer un baccalauréat général, ce que je ne souhaitais pas. J'ai insisté pour m'orienter vers un baccalauréat professionnel en charpente. J'ai cependant été très déçue. J'aurais dû partir en apprentissage dès le début. Le baccalauréat professionnel conduit à devenir chef d'équipe, à exercer un métier très théorique, éloigné de la pratique. J'ai donc refait un CAP en un an chez les Compagnons du devoir. J'aurais dû être mieux orientée après le collège.
Mme Christiane Hummel. - Pourquoi avez-vous choisi un baccalauréat professionnel ?
Mme Noëllie Duperret. - J'ai refusé de m'orienter vers un baccalauréat général, mais j'étais réticente vis-à-vis de l'apprentissage, car je savais que je serais la seule fille. Je me suis orientée vers un baccalauréat professionnel pour conforter mon choix.
Mme Christiane Hummel. - Comment vos parents ont-ils réagi ?
Mme Noëllie Duperret. - Ils m'ont toujours suivie.
Mme Léa Garigue, Meilleur Apprenti de France 2014 Peinture carrosserie décor. - Je suis carrossière peintre, Meilleur apprenti de France en peinture carrosserie, option décor. Je suis artisan depuis quelques mois. Je me suis, moi aussi, engagée dans un baccalauréat professionnel, une grave erreur quand vous souhaitez exercer un métier manuel. Le baccalauréat professionnel propose beaucoup de théorie et peu de pratique en entreprise, en dehors de quelques stages de deux à quatre semaines. En apprentissage, en revanche, nous sommes intégrés dans l'entreprise et nous apprenons à nous gérer nous-mêmes. Quand on sort du baccalauréat, on a certes acquis les bases, mais on ne maîtrise pas le métier comme on le devrait. Pourtant, le bac représente un niveau supérieur à l'apprentissage.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - La présidente de la commission de la culture et de l'éducation en prend bonne note.
Mme Léa Garigue, Meilleur Apprenti de France 2014 Peinture carrosserie décor. - Dans un métier d'hommes, les filles rencontrent de grosses difficultés, en particulier en cours ou dans les vestiaires. Par exemple, au lieu de la danse, il faut pratiquer le rugby, le football, le handball. Les lycées ne sont pas organisés pour nous accueillir. Avec 14 filles, voire moins, sur 600 élèves, la situation est plutôt compliquée.
Mme Pascale Allaert, Meilleur Ouvrier de France Teinturier. - J'ai obtenu le titre de Meilleur ouvrier de France Pressing en 2007. Je suis issue du métier du pressing. Mes parents étaient artisans et possédaient plusieurs établissements. Quand j'ai pris conscience des charges qu'ils supportaient, je n'ai pas souhaité prendre leur suite.
J'ai passé mon CAP Pressing en 1989, mon brevet de maîtrise Pressing en 1992. Je me suis lancée dans la formation en 1999 en tant que salariée et je suis aujourd'hui formatrice indépendante. Voilà quatre ou cinq ans, j'ai souhaité me reconvertir en tant que professeur des écoles. Or, j'ai constaté que mon titre de Meilleur ouvrier de France ne me donnait pas le niveau pour devenir professeur des écoles. Je fais pourtant de la pédagogie depuis dix ans. Le titre de Meilleur ouvrier de France est positionné au niveau III, c'est-à-dire à Bac+2 ; le brevet de maîtrise m'ouvre les mêmes portes. Je signale aussi que j'ai trois enfants. Quand ce concours sera-t-il mieux valorisé au niveau de l'Éducation nationale ?
Mme Maryvonne Blondin. - Je tenais à intervenir sur le sujet. La semaine dernière, le Sénat a débattu à l'occasion des trente ans du baccalauréat professionnel. Des mesures supplémentaires vont permettre de valoriser l'apprentissage et le baccalauréat professionnel. Pourtant, comme vous l'avez précisé, le fait que votre titre ne figure pas dans le référentiel de l'Éducation nationale pose certaines difficultés.
Ancien professeur, je m'intéresse au choix, par des femmes, de métiers plutôt masculins comme carreleur ou charpentier. Pour préparer ce débat, je me suis rendue dans un lycée des métiers et de l'écoconstruction du Finistère et j'ai rencontré les professeurs et les élèves. J'ai constaté qu'une seule fille suivait la formation de carreleur. J'ai eu l'impression qu'elle n'était pas très attirée par ce métier et qu'elle s'était orientée dans cette voie parce qu'elle ne savait pas vraiment quoi faire d'autre. Qu'est-ce qui vous a incitée à vous diriger vers ce métier ?
Mme Séverine Jean, Meilleur Ouvrier de France Carreleur. - J'ai un parcours un peu atypique et je pense que d'autres femmes se trouvent dans ma situation en France. Je viens d'une famille de commerçants qui se battent tous les jours pour que leurs enfants puissent avoir une vie confortable et étudier dans de bonnes écoles. J'ai vu mes grands-parents et mes parents se battre pour que nous menions une vie décente. J'ai toujours été élevée dans l'esprit du travail, de la rigueur, de la discipline et de la droiture. J'ai commencé à travailler en famille, dans l'entreprise de démolition automobile de mon père. À l'âge de 17 ans, je démontais des voitures. J'ai suivi un cursus scolaire normal. J'ai quitté le lycée en classe de première, parce que je ne souhaitais pas passer mon baccalauréat. J'ai intégré l'entreprise familiale.
J'ai pratiqué le motocross durant quatorze ans sur des circuits où les femmes étaient peu présentes. J'ai travaillé pendant dix ans dans la démolition automobile, à la grande surprise des clients ! J'ai ensuite choisi de créer ma propre entreprise. J'ai alors dû choisir un nouveau métier, en tenant compte de mes compétences physiques. À l'époque, je devais aussi m'occuper de mon bébé.
Je souhaitais exercer un métier physique. Le carrelage me correspondait tout à fait. Ce métier est fabuleux. Il nécessite une régularité de travail très soutenue. Vous n'avez pas le droit de vous arrêter ; tout doit être posé et jointé en fin de journée pour satisfaire le client. Nous jouons avec des couleurs. Quand je termine une maison, le résultat est magnifique et les clients ravis. Je me suis heurtée à des difficultés pour apprendre ce métier, notamment quand j'ai appelé l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Néanmoins, nous avons la chance, en France, de disposer de centres pour ceux et celles qui souhaitent se reconvertir, même si les personnes un peu différentes sont toujours mises de côté, surtout lorsque ce sont des femmes.
Mme Jocelyne Caprile. - Je ne suis pas sûre que l'on se lève un matin en se disant que l'on va devenir Meilleur ouvrier de France. Quand je me suis mariée, j'ai trouvé un emploi de remplacement dans un pressing, le temps que mon mari termine ses études. Je pensais rester ensuite à la maison pour élever nos enfants. Finalement, nous avons travaillé tous les deux et quand mes patrons ont vendu leur magasin, voulant assurer mon salaire, j'ai racheté leur entreprise. Avec deux enfants, je devais gagner ma vie.
Le concours représentait plutôt un challenge personnel pour savoir ce que je valais professionnellement et distinguer mon entreprise des autres. Après vingt ans de métier, j'avais à coeur de valoriser mon entreprise. Au cours de mon brevet de maîtrise, mon enseignante m'a encouragée à passer le concours des Meilleurs ouvriers de France. Je n'y avais jamais pensé. J'ignorais même qu'il existait dans mon métier. Pour la plupart d'entre nous, les Meilleurs ouvriers de France récompensent les métiers de bouche ou les métiers d'art, mais pas forcément les métiers de service. Or, l'excellence peut exister dans tous les métiers. J'ai donc préparé en parallèle le concours des Meilleurs ouvriers de France, que j'ai réussi avec brio ! Il m'a beaucoup apporté. Je n'y aurais jamais pensé, comme vous n'auriez sans doute jamais non plus pensé devenir sénatrices un jour. On ne décide pas. C'est la vie qui vous fait avancer...
M. Bernard Werner, Meilleur Ouvrier de France École Boulle. - Je suis tourneur sur bronze et orfèvre. J'ai eu la chance d'être nommé maître d'art en 1994. J'exerce un métier assez rare, avec un tour ovale. J'ai choisi deux élèves femmes. La première a passé son CAP en 1978 à l'École Boulle. Le métier de tourneur sur bronze traditionnel exige de tenir les outils à la main comme le tourneur sur bois. Il ne nécessite pas des efforts surhumains, mais il faut bien s'y prendre. J'ai obtenu une bourse du ministère de la culture pour perfectionner durant trois ans ces deux ouvrières déjà très qualifiées, dont un Meilleur ouvrier de France. Je leur ai transmis mes savoirs et la technique du tour ovale. L'une d'elles a pris ma suite en 1998. J'en suis fier. Je travaillais avec elle hier encore. La deuxième est entrée au Mobilier national, aux Gobelins.
Nous pourrions évoquer le niveau du Meilleur ouvrier de France et le ministère de la culture qui exige un Master pour accéder aux marchés publics, mais c'est un autre débat.
Mme Noëllie Duperret. - J'ai découvert le métier grâce à mon père, compagnon charpentier. Toute petite, j'ai éprouvé l'envie d'entrer chez les compagnons en charpente. J'ai d'abord obtenu mon baccalauréat professionnel avant d'effectuer un CAP en un an chez les compagnons. Le sujet du concours correspondait à mon travail d'adoption pour intégrer les Compagnons du devoir. Je suis actuellement aspirante et je réalise mon tour de France. Je change de ville et d'entreprise deux fois par an.
Mme Marianne Thoyer, Meilleur Ouvrier de France 2015 Graphisme. - Une femme Meilleur ouvrier de France est têtue et tenace. Si nous possédions une particularité génétique, ce serait la ténacité. J'ai passé les épreuves qualificatives du diplôme quinze jours après avoir fait un AVC, et j'ai produit mon chef-d'oeuvre en étant enceinte.
Dans le secteur du graphisme, les grands noms sont quasiment tous masculins à l'échelle nationale. Avec les Meilleurs ouvriers de France, nous avons toutefois la chance de disposer d'un diplôme de l'Éducation nationale dont le cahier des charges est rédigé par les professionnels, et en parfaite adéquation avec ce que l'on attend de nous dans la vie professionnelle. Si le titre de Meilleur ouvrier de France ne vous ouvre pas des portes, il vous fait acquérir une reconnaissance. Il prouve que vous avez acquis un savoir-faire et que vous êtes capable de le développer.
Il existe deux solutions pour féminiser ce diplôme. Les subventions au COET sont les bienvenues, mais l'argent n'est pas l'élément le plus important. La revalorisation du diplôme pourrait constituer une meilleure solution. Surtout, la communication nous fait vraiment défaut. Personne ne sait aujourd'hui que les Meilleurs ouvriers de France couvrent 238 métiers. On ne voit que les métiers de bouche, mais bien d'autres professions sont ouvertes. La féminisation du concours passera par une communication accrue sur les métiers et sur le fait qu'une femme est parfaitement capable d'obtenir ce diplôme. Sans doute faut-il trouver des solutions pour que les femmes n'aient pas peur de s'y atteler, malgré les enfants, le travail à la maison. Nous pouvons toutes le faire, j'en suis la preuve vivante.
Mme Thiodhilde Fernagu, tapissier. - Je suis tapissier au Sénat, et non tapissière, car il y a une différence entre ces deux métiers. J'ignore si l'on peut dire désormais « tapissière », mais généralement une tapissière réalise des rideaux et des coussins quand le travail d'un tapissier porte sur de gros fauteuils et canapés. Pour ma part, j'exerce le travail d'homme, c'est-à-dire que je réalise des canapés et des fauteuils. J'ai travaillé avec de nombreux hommes récemment, et il est très difficile, en tant que femme, de supporter à longueur de journée leurs petites blagues et leur flirt constant, d'autant que vous devez toujours réagir convenablement, sous peine de devenir une « sale bonne femme » si vous vous mettez en colère. Cette situation exige beaucoup d'intelligence, de calme et de diplomatie. Pour espérer évoluer dans le milieu, il faut bien s'entendre avec les hommes. J'espère devenir employeur à l'avenir et j'observerai sans doute la situation d'un autre oeil.
J'ignore s'il existe une différence entre les Compagnons du devoir et les Compagnons du tour de France. Je pensais que cette méthode de formation était réservée aux hommes jusqu'à très récemment. Alors que ces écoles sont de vraies références dans l'artisanat, il me paraît insensé qu'elles n'aient ouvert leurs portes que si tardivement aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les femmes ont-elles plus leur place chez les compagnons aujourd'hui ?
M. Jean-Luc Chabanne. - Je suis moi-même compagnon du devoir. Les femmes entrent en apprentissage depuis longtemps. En revanche, elles ne peuvent être reçues en tant que compagnons au sein de l'Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France que depuis 2003 officiellement, et depuis 1998-1999 officieusement.
Mme Noëllie Duperret. - Il existe trois types de compagnonnage. L'Association ouvrière des compagnons du devoir dont je fais partie accepte les filles depuis 2003. La Fédération compagnonnique et l'Union compagnonnique ne les acceptent en revanche toujours pas. Nous n'avons donc guère le choix...
M. Bernard Hibert. - Ces deux associations perçoivent néanmoins des subventions d'État.
Mme Annick Billon. - Merci, Mesdames les présidentes, merci, Madame la sénatrice, d'avoir organisé cette journée. Merci à vous toutes pour ces témoignages intéressants. Vous mettez souvent en avant vos qualités de femmes et vos difficultés en tant que mères dans le monde actif. Êtes-vous candidate au titre de Meilleur ouvrier de France pour mieux vous imposer dans votre profession, d'être reconnue et de devenir chef d'entreprise ?
M. Marc Laménie. - Merci à vous toutes pour vos témoignages très éclairants. Meilleurs ouvriers de France, vous êtes souvent créateurs d'entreprises. Mes collègues sénatrices peuvent en témoigner, au sein de la commission des finances du Sénat, dont je suis membre, nous abordons souvent le cas des petites entreprises et les embûches financières, sociales, économiques, fiscales qu'elles peuvent rencontrer, ainsi que la lourdeur et la complexité administrative. La tâche de simplification des démarches administratives reste immense. Comment le ressentez-vous et comment pouvons-nous faire progresser cette situation ?
Mme Hélène Luc, ancienne sénatrice. - Je suis très intéressée par la rencontre d'aujourd'hui. J'étais une ouvrière du textile - tisseuse sur soie - un très beau métier que j'ai beaucoup aimé, même si je n'ai pas eu l'honneur de devenir Meilleur ouvrier de France.
Ancienne présidente de groupe au Sénat, je suis aujourd'hui sénatrice honoraire. J'ai beaucoup appris de nos échanges. J'ignorais en particulier qu'une partie du travail destiné à l'organisation de ce concours était bénévole.
Je voudrais exprimer mon admiration pour ces Meilleures ouvrières et Meilleures apprenties de France, qu'elles soient charpentier, carreleuse ou peintre en carrosserie. Elles se sont battues pour être là où elles sont aujourd'hui, elles sont fières de leur travail, épanouies dans la vie et parviennent à tout mener de front.
En France, près de la moitié des femmes qui travaillent se concentrent dans une dizaine de métiers sur quatre-vingt-sept familles professionnelles. Il s'agit en général de la santé, des services sociaux et de l'éducation, de l'administration publique et du commerce de détail. Très souvent, cependant, elles se trouvent au bas de l'échelle. Il faut absolument améliorer cette situation. Les femmes ont la capacité de tenir le même métier et de percevoir le même salaire que les hommes.
Alors que j'étais sénatrice, je suis devenue présidente de groupe. J'étais la seule femme à exercer cette fonction au Sénat. On m'a souvent demandé comment je faisais avec tous ces hommes ! Comme vous, lorsque l'on fait son travail, que l'on défend ses idées, on gagne son statut et la reconnaissance.
Mme Charline Pritscaloff, Meilleur Ouvrier de France Fleuriste 2011. - Vous vous interrogiez sur la façon d'aider les petites entreprises. Je suis entrée en apprentissage après ma troisième. Je souhaitais depuis longtemps embrasser le métier de fleuriste et durant mon apprentissage, l'un de mes professeurs m'a donné la passion des concours. J'ai commencé dès la fin de mon brevet professionnel. Ce professeur, Meilleur ouvrier de France, nous a transmis l'amour du col tricolore.
Ce concours s'est soldé par une belle victoire, mais j'ai été licenciée : dans certaines petites entreprises, il n'est pas forcément bien vu d'être meilleur que le patron. Il n'est pas non plus toujours facile de trouver du travail, car nous faisons un peu peur, il faut bien le dire ! Les patrons pensent que nous coûtons trop cher. Or à un niveau III, le salaire n'est pas si exorbitant que cela. On m'a finalement proposé de reprendre une affaire. Je m'emploie tous les jours à la rendre plus belle, avec ma petite équipe de trois personnes, une apprentie et deux employés. J'ai créé un deuxième magasin récemment.
Or, mon quotidien est aujourd'hui accaparé par la paperasse, ce qui me désole. Entre les devis des clients, les factures et l'administration, j'y consacre deux à trois jours par semaine. C'est une douleur pour moi. Je voudrais vous dire que ces lois que vous adoptez régulièrement ne sont pas adaptées à nos petites entreprises. Par exemple, après la question des mutuelles, en ce début d'année, je dois désormais faire passer des entretiens à mes salariés. Mes employés et moi avons presque le même âge. Ils viennent me voir directement lorsqu'ils souhaitent me parler. Je suis toujours à leur écoute. C'est normal : je ne suis rien sans eux ! On pense qu'il y a eu un allègement des démarches, mais à chaque fois, en fait, c'est toujours plus de papier. Quand on a le malheur de répondre avec un peu de retard, on doit payer 10 % de plus. La moindre erreur est sanctionnée.
Cette année, une nouvelle loi a accordé des subventions pour la rémunération des apprentis de moins de dix-huit ans. Or, cette loi a entraîné deux effets pervers. Toutes les entreprises ont recruté des apprentis de moins de dix-huit ans en CAP, pour ne pas les payer, et de nombreux apprentis plus âgés se sont donc retrouvés sans travail, dans l'incapacité d'effectuer leur brevet professionnel.
Le CAP n'est pas une voie de garage, mais il est en train de le devenir ! On choisit son métier avec coeur et passion. Aujourd'hui, des jeunes sont orientés vers l'apprentissage alors qu'ils auraient pu se découvrir dans une autre voie. Moi, j'en rêvais de mon métier, mais ce n'est pas toujours le cas pour tout le monde ! Nous accueillons des jeunes qui sont là parce qu'ils doivent bien trouver quelque chose à faire, pas parce que ça les passionne... Du coup, ils ne sont pas motivés et certains nous quittent au bout de quinze jours. Ce départ représente un échec pour tout le monde et il nous place dans une situation délicate : il nous coûte un peu d'argent et, en outre, cela nous empêche d'accueillir un autre apprenti.
M. Michel Bellanger, président du concours du Meilleur Apprenti de France. - Nous consacrons au concours des Meilleurs ouvriers de France 1 000 à 1 500 heures, voire 2 000 heures pour certains. Nous le devons au soutien de nos collègues, mais aussi à celui de nos épouses. Si je devais partager mon ruban tricolore avec quelqu'un, je le partagerais volontiers avec mon épouse.
Mme Nathalie Calderini, Meilleur Ouvrier de France Coiffure. - J'ai trente-trois ans de métier et une entreprise de plus de vingt ans. Mon entreprise compte sept salariés, ce qui me donne droit à trois apprentis et deux contrats de qualification. Or, j'ai besoin de quatre apprentis. Les contrats de qualification ne peuvent pas s'épanouir dans mon entreprise alors que les apprentis trouvent automatiquement du travail à l'issue de leur apprentissage. Je devrais avoir le choix. Pourtant, aujourd'hui je dois refuser des jeunes dont j'ai besoin.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises. - Nous arrivons à la conclusion de nos échanges. Je tenais à réagir à vos interventions. Notre système éducatif présente de nombreuses qualités, mais il a également le défaut de ne pas intégrer de manière plus systématique l'apprentissage. Nous parlons trop des diplômes et pas suffisamment des métiers. Nous avons besoin de vos témoignages pour transmettre ce message à l'Éducation nationale et remédier à cette situation.
Vous avez parlé de paperasse. Tous les chefs d'entreprise que nous rencontrons soulignent combien le fardeau administratif est lourd pour eux. Un entrepreneur nous dit qu'il commence véritablement sa semaine le mercredi, une fois traitées toutes les démarches qui s'imposent à lui. Nous devons là encore y remédier. Nous élaborons trop de lois, des textes trop bavards. Nous devons absolument, en tant que parlementaires, nous autodiscipliner.
S'agissant de votre dernière intervention, nous travaillons actuellement sur une proposition de loi sur l'apprentissage. J'intégrerai volontiers cette question. Il faut réformer l'apprentissage pour qu'il devienne plus attractif, à la fois pour les apprentis et pour les entreprises qui les accueillent. Je vous remercie pour vos contributions.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous avons toutes les quatre été très intéressées de découvrir ce diplôme de Meilleur ouvrier de France, le parcours, la diversité des motivations, ses modalités organisationnelles, le bénévolat des organisateurs, le manque de moyens, les questions d'équivalence du diplôme pour se réorienter utilement par la suite. Toutes les remarques que vous nous avez exposées ont été consignées très précieusement. Lorsque nous découvrons que le compagnonnage reste majoritairement réservé aux garçons, que l'on vous dissuade insidieusement de suivre la voie que vous avez choisie, il y a matière à réflexion pour nous, législateurs, qui votons la loi et en suivons l'application. Prenons rendez-vous dans un an pour mesurer nos avancées. Je vous remercie d'avoir participé à cette rencontre.
Journée internationale des droits des femmes - Projection du film Des femmes et des hommes, de Frédérique Bedos, suivie d'un débat
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci à toutes et à tous pour votre présence. En cette journée du 8 mars, il nous a paru, à Catherine Morin-Desailly et à moi-même, particulièrement important de vous permettre de prendre connaissance du film de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes, qui aborde tous les aspects des inégalités entre femmes et hommes : place des femmes dans la politique, dans l'économie, plus particulièrement dans l'agriculture, violences faites aux femmes, sort des femmes pendant les guerres et après les conflits, manière dont les religions considèrent les femmes... Toutes ces questions, bien sûr, reflètent les débats que nous avons, session après session, à la délégation aux droits des femmes.
C'est lors d'une table ronde sur la place des femmes dans les différentes religions que notre délégation aux droits des femmes a eu l'occasion de rencontrer Frédérique Bedos. Nous avions alors diffusé des passages de ce film qui nous ont paru tout à fait éclairants sur le sujet.
Je dois remercier Catherine Morin-Desailly, qui très tôt a su identifier le talent hors normes de Frédérique Bedos et qui, depuis plusieurs mois, m'invitait à la rencontrer et à organiser une projection de son film au Sénat, suivie d'un débat.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Lorsque vous aurez vu ce film, vous comprendrez les raisons pour lesquelles j'ai insisté auprès de Chantal Jouanno pour que la délégation aux droits des femmes et la commission de la culture organisent conjointement cette projection.
Il me paraissait important de mettre aujourd'hui en avant une femme journaliste, une véritable artiste ! Bien que les réalisatrices et les productrices soient de plus en plus nombreuses dans les médias, nous n'atteignons cependant pas encore la parité. Cette journée nous offrait une occasion de montrer le travail remarquable de Frédérique.
Historienne d'art, Frédérique Bedos a commencé sa carrière à New York en tant que reporter culturel à Fashion & Design TV. Elle a ensuite travaillé à Londres pour MTV avant de rejoindre France 2, puis M6. Peut-être vous souvenez-vous l'avoir vue présenter les « Victoires de la musique ». Voilà quelques années, Frédérique a créé l'ONG Le projet Imagine, une initiative généreuse qui vise à mettre en valeur des femmes et des hommes exceptionnels et à nous donner ainsi un peu d'espérance. Frédérique se qualifie d'ailleurs de « journaliste de l'espérance ».
C'est dans ce cadre qu'elle a réalisé le film que nous allons regarder ensemble. Il a été présenté pour la première fois le 8 mars 2015. Diffusé sur TV5 Monde, il a, en un an, réuni déjà près de 33 millions de téléspectateurs. Vous contribuerez aujourd'hui au défi que Frédérique s'est fixé de rassembler 100 millions de spectateurs autour de ce film. Vous comprendrez aussi combien il est essentiel de le diffuser le plus possible dans le monde entier.
Je tiens à ce que nous l'applaudissions. Il est rare de voir des personnes mettre à ce point en pratique, au quotidien, l'espérance.
Mme Frédérique Bedos, réalisatrice. - Merci beaucoup. C'est un grand honneur de présenter ce film au Sénat. Ce film a été produit et réalisé dans des conditions particulières, au sein d'une ONG d'information, Le projet Imagine. Vous pourrez en savoir plus sur Internet à l'adresse : www.leprojetimagine.com.
Après une vingtaine d'années dans les médias, j'ai noté que ceux-ci, tant la télévision que la radio, mettaient souvent en évidence le pire de la nature humaine. Or nous n'avons pas forcément besoin des médias pour savoir que le genre humain est capable du pire ! Mais l'humanité est aussi capable du meilleur et les enjeux auxquels nous devons faire face devraient justement nous encourager à entreprendre de bâtir le meilleur. C'est sur cette analyse que j'ai créé cette ONG.
Ce sont aussi des souvenirs d'enfance qui ont porté ce projet. Je viens d'une famille particulière, formée d'une vingtaine d'enfants adoptés. Ces enfants venaient du monde entier, personne n'en voulait. En 2008, j'ai pris conscience que mes parents adoptifs étaient des héros, des héros modernes, de l'ombre, humbles, qui n'ont pas agi pour la gloire. J'ai pensé qu'il existait des personnes de cette trempe partout dans le monde. Ces héros ne refont pas le monde par des discours, mais « les mains dans le cambouis ». Ce faisant, ils sont porteurs d'un puissant message d'espérance auquel nous pouvons nous identifier, puisque ces femmes et ces hommes nous ressemblent. Ils ne possèdent pas le portefeuille de Bill Gates ni le cerveau d'Einstein, mais ils nous montrent que tout est possible et que l'avenir est entre nos mains.
J'ai souhaité les mettre en lumière au sein d'une ONG, d'une manière totalement indépendante et dans un esprit de redistribution.
Nous faisons, comme le disait Catherine, du journalisme avec espérance. Nous alimentons une rubrique de portraits de héros du monde entier, que nous aidons par ailleurs. Nous réalisons également de grands documentaires de société qui se situent eux aussi sur cette crête très fragile qui consiste à dénoncer l'indéfendable et à observer les problèmes bien en face, tout en gardant toujours un regard bienveillant, respectueux et constructif. Il s'agit de donner l'envie, à la fin du film, de s'emparer du sujet pour essayer de résoudre les problèmes et construire quelque chose de meilleur.
J'espère que ce film vous plaira. Diffusé par TV5 Monde, il a été vu par 33 millions de personnes, comme l'a déjà indiqué Catherine Morin-Desailly. Il est traduit en douze langues et de nombreuses chaînes ont décidé de le diffuser, en France avec Public Sénat, en Belgique avec la RTBF, mais aussi en Argentine, au Brésil, en Suisse, en Allemagne ou en Hongrie. Il est enthousiasmant de penser que le film pourra réunir 100 millions de spectateurs.
Ce soir, nous devrions nouer un débat très intéressant, constructif, riche. Il est toutefois dommage que nous restions à débattre entre nous. Nous devons absolument atteindre le grand public et c'est un peu la mission que nous nous sommes fixée au sein de notre ONG. Je vous remercie.
[Applaudissements.]
[Il est procédé à la projection du film. On y entend les témoignages suivants :
Phumzile Mlambo-Ngcuka, sous-secrétaire générale des Nations Unies, directrice exécutive de United Nations Entity for Gender Equality and the Empowerment of Women (UN Women) : « L'inégalité, la paix et la sécurité [...] ne peuvent être résolus sans l'autonomisation des femmes et l'égalité des sexes [...] La vie des mères doit être améliorée car elles pourront alors s'occuper de la qualité de vie de leurs propres enfants [...] Si on ne fait pas ce travail avec les femmes, elles donneront naissance à la génération suivante de pauvres. Et dans ce cas nous n'avançons pas, nous reculons ! »
Marcela Villarreal, directrice des partenariats à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO of the United Nations) : « L'égalité hommes-femmes est très étroitement liée à la réduction de la pauvreté et de la faim dans le monde. Nous estimons que plus de cent millions de personnes sortiraient de la faim si les femmes avaient le même accès aux ressources de production dans le secteur agricole que les hommes. »
Nicole Ameline, présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) : « L'égalité a souvent été considérée comme une question de femmes. C'est une question de société et d'humanité [...] Un sujet universel. N'oublions pas que nous sommes dans un monde d'hommes, construit par les hommes, pour les hommes. Longtemps, les femmes ont été des objets de droit, pas des sujets de droit. »
Patricia Barbizet, directrice générale d'Artemis : « Les Lehman Sisters n'auraient pas fait ce qu'on fait les Lehman Brothers [...] parce que des regards différents, des aspects différents auraient pu donner plus d'éthique, de réalisme et moins de concurrence. Le monde du business doit promouvoir l'éducation, la formation et l'accès à la vie professionnelle des femmes. Si les Japonaises se mettaient à travailler, la croissance japonaise repartirait, ne serait-ce que par l'apport que cela représenterait. C'est vrai dans tous les pays. On ne peut pas se priver de la moitié de la planète en termes d'intelligence, d'engagement... »
Huang Hug, élue une des cent personnalités les plus influentes du monde par le magazine Time en 2011 : « Ce qui s'est passé en 1949, lorsque les communistes ont pris le pouvoir en Chine, est le fait que Mao, au moins sur le plan administratif, a pensé que les femmes devaient être égales aux hommes [...] Mais en profondeur, culturellement, il reste encore cette énorme stigmatisation des femmes et de l'égalité des sexes.
Rama Mani, associée de recherche principale au Centre d'études internationales de l'Université d'Oxford, conseillère au World Future Council : « L'Évacide, littéralement le génocide des femmes avant même qu'elles naissent, traverse toutes les classes, toutes les castes et toutes les religions. Il y a 37 millions d'hommes de plus que de femmes, en Inde. C'est une question de sécurité internationale ! »
Zainah Anwar, féministe musulmane de Malaisie, co-fondatrice de l'ONG Sisters in Islam : « Découvrir par moi-même si ce que ces mullahs, ulémas, ces hommes, disent : qu'ils ont le droit de battre et violenter leurs épouses [...], si tout cela est vraiment dans le Coran. Le résultat a été incroyable. Pour nous, ce fut réellement l'aventure la plus libératrice que nous ayons vécue ! »
Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France : « Ne nous demandons pas si les religions sont misogynes. Demandons-nous si les traditions religieuses sont misogynes aujourd'hui, au XXIème siècle [...] Malheureusement, il faut être honnête et admettre que, bien souvent, ceux qui parlent au nom de ces traditions, leurs représentants officiels, bien souvent, en 2014, le sont [...] Au nom de la pudeur, on fait des textes une lecture obscène. »
Marwa Sharafeldin, Chercheure à l'Université de Londres en études orientales et africaines : « Arrêtez d'utiliser la religion pour priver les femmes de leurs droits ! »
Caroline Sinz, grand reporter : « Brusquement, je vais devenir victime, dans la foule place Tahir. J'avais pensé aux enlèvements, aux bombes mais je n'avais jamais pensé au viol... Je n'aurais jamais pensé que cela m'arrive en plein jour, sur une place publique, en plein reportage. Si j'ai été sauvée, c'est aussi pour parler. Quand on est journaliste, si on se tait, qui parlera à notre place ? »
Scilla Elworthy, fondatrice de Oxford Research Group, fondatrice de l'organisme philanthropique Peace Direct, membre du World Future Council, Prix Niwano pour la Paix 2003 : « Aujourd'hui, nous avons des conflits récurrents et non pas des conflits nouveaux. 50 % des accords de paix échouent dans les cinq ans. Pourquoi ? 50 % de la population qui est impactée par la guerre, les femmes et les enfants, ne se trouve pas à la table des négociations. »]
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. -Le sujet des inégalités entre hommes et femmes est posé avec finesse, sans doute parce que c'est une femme qui le traite. Le débat est donc ouvert.
Je voudrais juste, avant de vous donner la parole, vous dire combien nous avions été frappés, lors de la projection d'un passage de ce film en réunion de délégation, par l'interprétation faite des textes fondateurs des religions dans un sens défavorable à l'égalité entre hommes et femmes. On l'oublie souvent, mais c'est cette lecture qui a déterminé nos cultures et qui, inconsciemment, modèle encore nos pensées dans une logique inégalitaire. Ce film déconstruit ces textes fondateurs. Lors de notre débat, nous avions identifié les passages déterminants de ces textes dont la traduction dans le temps a pu encourager une lecture patriarcale. Mais bien d'autres sujets sont posés par ce film.
Mme Frédérique Bedos. - Vous avez vu la version de 52 minutes. Il existe une version de 1 heure 45. Le site internet du projet Imagine est en cours de refonte, mais nous pourrons accompagner tous ceux qui souhaitent organiser une projection en région. Je suis très impatiente d'engager l'échange.
Mme Françoise Morvan, présidence de la Coordination française pour le Lobby européen des femmes (CLEF). - Je souhaiterais revenir sur la proposition de Frédérique Bedos visant à faire en sorte que ce film soit largement connu. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDEF), la deuxième convention internationale signée et ratifiée sur le sujet, reste aujourd'hui méconnue et à bien des égards confinée dans les milieux féministes.
Nous organiserons un événement autour de la CEDEF alors que la France présentera cette année son septième rapport devant le comité CEDAW. L'objectif est de décrire la mise en oeuvre de la convention sur notre territoire et toutes les avancées réalisées en matière d'égalité. Les ONG ont la possibilité d'élaborer un rapport alternatif à celui des autorités françaises. La CLEF et ses 65 associations membres ont rédigé un rapport que nous présenterons également à Genève, début juillet.
Nous effectuons par ailleurs un tour de France pour faire connaître le travail de six universitaires de Tours, dirigées par Diane Roman, qui ont publié un ouvrage sur la CEDEF mettant en lumière les difficultés pour les femmes d'accéder à l'égalité. Pour l'instant, nous n'avons rencontré aucune difficulté à Lille, Rouen, Brest, Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Il devrait en être de même à Toulouse. La situation s'est révélée plus délicate à Marseille ou Nantes. Il s'agit moins de réticences que de questions de calendrier ou d'opportunités. Je saisis donc cette occasion pour demander votre aide, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, pour m'aider à solliciter les principales mairies.
En effet, même si notre ONG revêt une certaine importance, y compris à l'échelle internationale, je reste une présidente d'ONG. Or, il sera toujours plus facile pour un maire d'associer un président d'université et toutes les personnalités institutionnelles qui devraient assister à ces manifestations autour de la CEDEF. Il nous a parfois été reproché de travailler essentiellement avec des associations féministes. Nous diffuserons donc le film de Frédérique Bedos et nous organiserons une conférence avec des participations plus institutionnelles. Nous souhaiterions également monter des ateliers relatifs à la réalité de la région, en ce domaine, avec les associations féministes. Nous avons pour objectif de faire en sorte que la CEDEF soit affichée dans toutes les universités, les tribunaux et les écoles, comme l'est aujourd'hui la Déclaration universelle des droits de l'homme. Merci pour votre soutien.
Mme Maryvonne Blondin. - Qu'attendez-vous des mairies ? Que doivent-elles organiser pour vous aider dans votre projet ?
Mme Françoise Morvan. - Nous les sollicitons pour organiser le débat avec les représentants institutionnels. Nous avions prévu de traiter un thème dans chaque ville, par exemple celui de la prostitution à Nantes, celui de l'égalité à Brest, etc. On le voit dans la version longue du film, la Marine a accompli de nombreux progrès dans ce domaine. Nous tiendrons un débat sur les violences à Strasbourg, le 25 novembre.
Mme Frédérique Bedos. - Je m'aperçois que la version courte du film, que nous venons de voir, ne comporte que des témoignages féminins. Or, des hommes interviennent dans la version longue, notamment pour évoquer la féminisation de la Marine. Lorsque j'ai réalisé cette version de 52 minutes, je n'ai conservé que les moments les plus forts. Je ne me rendais pas compte que, ce faisant, j'avais retiré tous les hommes ! J'aimerais que le seul homme présent dans cette assemblée s'exprime et réagisse à ce film.
M. Yves Détraigne. - Je ne pensais pas être le seul homme présent ce soir ! Je suis frappé de constater que toutes les sociétés, toutes les cultures ont fonctionné sur un modèle de domination masculine, probablement pour des raisons liées à la force physique. L'homme décide, organise, laissant penser qu'avant même qu'intervienne une organisation de la société, c'est le plus fort qui a toujours eu raison. Ce constat étonne. Le film confirme que toutes les religions sont apparues au fil du temps dans une société où, par nature, l'homme, parce qu'il était plus fort, avait le dernier mot. Ce faisant, elles ont forcément été influencées par l'époque où elles sont nées et par le contexte culturel dans lequel elles sont apparues. Mais il est particulièrement étonnant de noter que les sociétés, dans le monde occidental du moins, ont évolué alors que certaines organisations, religieuses ou non, souvent dominées par des hommes, n'ont pas évolué. Ce décrochage interpelle. La plupart des religions suivent des dogmes très anciens auxquels il est, par définition, difficile de s'opposer. Un décalage se produit entre une société civile qui évolue et des dogmes religieux ou sociaux qui n'évoluent pas à la même vitesse. Les mouvements féministes permettent de réagir à cela.
Mme Frédérique Bedos. - En tant qu'homme, vous sentez-vous féministe ?
M. Yves Détraigne. - Je ne suis pas féministe au sens des mouvements qui donnent l'impression de vouloir tout bouleverser et de remplacer la domination qu'exerçaient autrefois les hommes par une domination qu'exerceraient les femmes...
Mme Frédérique Bedos. - Dans le film, Marwa Sharafeldin, féministe égyptienne, définit le féminisme comme le fait d'agir pour que les femmes soient reconnues comme des êtres humains.
M. Yves Détraigne. - C'est la moindre des choses ! Le film me semble très intéressant, car nous voyons que dans toutes les sociétés, c'est l'homme, probablement parce qu'il frappe le plus fort, qui a toujours eu raison.
Mme Frédérique Bedos. - Il semble effectivement que la domination exercée sur la femme représente la valeur la mieux partagée au monde, quelle que soit la culture, quel que soit le pays. Cette pratique paraît même universelle. L'analyste jungienne Anne Baring a écrit un livre pour réfléchir aux racines de celle-ci. L'une de ses théories est qu'avant même l'apparition de l'écriture, une civilisation agricole s'était mise en place et l'égalité semblait être de mise ; les femmes ne subissaient alors pas de violences particulières. D'après ses recherches, c'est le développement de l'urbanisation qui a fait naître des rivalités entre les grandes villes, entraînant avec elles une civilisation de la guerre. Lorsque les hommes ont endossé l'habit du soldat, ils ont commencé à dominer les femmes de façon brutale. Il ne s'agirait donc pas d'un comportement simplement naturel, mais aussi d'un état d'esprit.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - J'aimerais bien, pour aller plus loin sur ce point, que nous évoquions l'évolution des dogmes et des textes fondateurs des religions.
Mme Anne Soupa, présidente du Comité de la jupe. - Je préside le Comité de la jupe, une association catholique qui défend la place des femmes et leur rôle dans l'Église catholique. Je tiens à attirer votre attention sur les mouvements de réaction qui se développent actuellement contre les droits des femmes. Nous constatons sur ce point le décalage entre la société et les religions, mais nous pensons que, bon an mal an, les religions se plient aux évolutions de la société. Or la situation n'est pas aussi simple que cela. On assiste en effet en ce moment à d'importants mouvements de résistance de la part des religions, qui freinent l'adaptation de leur comportement et de leur discipline à l'état actuel de la société. On doit malheureusement constater une régression certaine du monde catholique depuis vingt ou trente ans. La situation se révèle plus complexe que nous pourrions le croire et demande une véritable mobilisation. Nous devons toutes et tous veiller à ce que ce décalage ne soit pas trop marqué entre la religion et l'état de la société et que ces résistances soient combattues au nom de la raison. On assiste au déploiement d'arguments obscurantistes que l'on n'aurait pas osé défendre voilà trente ou quarante ans. C'est grave ! Prenons-en conscience...
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Pourriez-vous, en quelques mots, expliquer ce qui s'est passé à cet égard sous le pontificat de Jean-Paul II ?
Mme Anne Soupa. - Sous le pontificat de Jean-Paul II a été théorisée la situation seconde de la femme. Auparavant, la société et l'Église étaient à peu près au diapason et avaient des conceptions à peu près semblables du rôle et de la place des femmes. Avec l'émancipation féminine, un fossé s'est creusé entre l'Église et la société et l'Église s'est retrouvée dans une position de réaction. L'une des causes de cette évolution est qu'elle avait rejeté la contraception avec l'Encyclique Humanae Vitae, en 1968. Dès lors, le Magistère catholique a déployé de plus en plus d'arguments justifiant la situation seconde de la femme. Jean-Paul II s'est appuyé sur une exégèse du chapitre 21 de la Genèse. À partir de la phrase « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je vais lui faire une aide qui lui soit assortie », il a défendu l'idée que cette aide venait de la femme, alors que le texte biblique parlait simplement du second, de l'« autre ». Devenant l'aide, la femme est confinée aux rôles de mère et d'épouse. Elle représente donc le complément de l'homme. Mais l'homme, lui, n'est jamais le complément de la femme ! C'est ainsi que l'on réinstalle dans les Écritures une soumission de la femme à l'homme que le courant exégétique s'acharne à redresser. Mais il est délicat d'essayer de défendre une progression harmonieuse de la place de la femme.
Mme Frédérique Bedos. - Et dans le contexte que vous décrivez, les femmes chrétiennes qui veulent vivre leur foi vont également être les vecteurs de cette façon de voir les choses. La femme constitue souvent son propre instrument de soumission, qu'elle transmet à ses enfants ! En se dressant contre des normes admises par la société qui nous entoure, les femmes prennent le risque de devenir des parias, d'être mises à l'index. Or, on a envie d'avoir des amis, d'être considéré dans la société... C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les droits se révèlent aussi mouvants. Rien n'est donc acquis et nous devons rester très vigilants, notamment dans nos pays où les jeunes femmes ont le sentiment que tout est acté, y compris dans la loi. Nous avons quand même dû voter une loi, en 2014, pour défendre l'égalité « réelle ». Cela démontre que la situation n'est pas aussi simple qu'il y paraît !
Rappelons à ces jeunes femmes de 18-20 ans que des inégalités persistent. En moyenne, les femmes perçoivent un salaire 27 % moins élevé que celui des hommes, à poste et responsabilités équivalents. Il existe aussi une précarité spécifique aux femmes. Aujourd'hui, en Europe, une mère isolée sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté, avec des conséquences terribles sur la génération suivante. À Paris, il y a des femmes enceintes qui vivent dans la rue. La crise économique de 2008 a d'abord fragilisé les femmes. Même si l'égalité est acquise dans la loi, dans les faits, les femmes ne peuvent pas toujours bénéficier de leurs droits compte tenu de leur précarité. En Grèce, certaines femmes battues par leur mari n'osent pas le quitter, car elles ne pourraient alors plus nourrir leurs enfants.
Je suis également frappée de voir combien la situation par rapport au territoire devient de plus en plus floue. À la faveur des flux migratoires, certaines pratiques illégales en France, telle que l'excision, sont néanmoins pratiquées au nom de la tradition. Mais les flux migratoires peuvent aussi être à l'origine de progrès dans ce domaine. Des femmes pratiquent l'excision en croyant faire le bien de leurs filles. Mais en France, au contact des médecins, elles apprennent que ce n'est pas le cas. De retour dans leur village d'origine, elles peuvent porter ce message auprès des autres mères pour que ces pratiques cessent, et cette transmission se révèle bien plus efficace que toutes les campagnes de communication, parfois perçues comme des tentatives de manipulation.
M. Gérard Lefort, comédien. - La violence que ce film met en évidence est énorme ; elle traverse toute l'histoire. Je suis membre d'Actrices et Acteurs de France Associés. La présidente et la vice-présidente sont présentes ce soir. Cette association comporte un collectif, le « Tunnel de la comédienne de 50 ans », car nous avons constaté qu'entre 45 et 60 ans, plus aucun rôle n'est proposé aux comédiennes. Cette situation découle de la puissance des stéréotypes et de la représentation que se font des femmes les hommes qui détiennent le pouvoir. Ce collectif compte une quarantaine de personnes qui déploient une grande énergie.
Une étudiante de l'Institut d'Études Politiques de Paris. - Je suis étudiante. Je n'appartiens à aucune association. Je souhaiterais revenir sur les propos du premier intervenant, M. Yves Détraigne. Je voudrais témoigner du fait que, dans notre génération, le féminisme est souvent extrêmement mal vu. L'idée, c'est que les femmes représentent des « hyènes en furie » - je caricature à peine - qui cherchent à se venger des hommes, à les détruire pour reprendre le pouvoir. Certaines filles de mon âge en deviennent presque misogynes et pensent que s'il y a des inégalités entre hommes et femmes, c'est que ces inégalités sont justifiées.
Je partage la définition du féminisme évoquée dans le film : les femmes doivent avoir des droits en tant qu'êtres humains à part entière. C'est aussi, il faut le remarquer au passage, le principe des mouvements de libération des Noirs aux États-Unis. Comment pouvons-nous réintroduire de la raison, du bon sens dans la tête de chacun dans notre pays ?
De la salle. - Il s'agit d'une question récurrente, qui a toujours existé. Je mène ce combat pour les femmes depuis les années 1970. Cette question est une affaire d'hommes et de femmes, mais c'est d'abord une affaire de femmes. Or les femmes ne sont pas unies sur une même vision des choses. Il est important de nouer un débat entre nous grâce à des rencontres comme celle d'aujourd'hui, et grâce à l'éducation populaire. Il ne faut pas s'étonner des désaccords qui nous opposent entre femmes. Sommes-nous réellement victimes de discriminations ? Certaines femmes pensent qu'être reconnue à part entière, c'est déjà se placer de côté, être moins bien considérée.
Mme Murièle Roos, éditrice. - J'ai créé le magazine Femme Majuscule pour les femmes qui assument leur maturité. Je pense qu'il est de notre responsabilité, femmes de 45-50 ans, de travailler le sujet du féminisme. Nous avons bénéficié de l'engagement de nos aînées. Nous devons passer le témoin aux plus jeunes, non pas de manière agressive, mais en les accompagnant, en demandant aux hommes de se tenir à nos côtés.
Nous nous heurtons aussi à un problème de représentation des femmes dans les médias. 100 % des médias français appartiennent à des hommes aujourd'hui. Je suis la seule femme qui possède un magazine s'adressant aux femmes. En France, aujourd'hui, une femme majeure sur deux, soit une électrice sur deux, est âgée de 50 ans et plus. Où sont-elles, dans les médias ? Nous devons travailler de façon solidaire sur ces problématiques. Il ne s'agit pas de livrer bataille, mais d'obtenir une représentation juste et conforme à la réalité.
J'assiste depuis deux jours à des réunions et il me paraît fou qu'en 2016, nous parlions encore de diversité lorsque nous évoquons les femmes, alors qu'elles représentent 51 % de l'humanité. Selon la définition du dictionnaire, longtemps écrit par les hommes, être féministe signifie travailler à l'égalité en droit entre les femmes et les hommes. Il faut donc le dire très clairement : nous demandons simplement à acquérir les mêmes droits que les hommes, car nous sommes des êtres humains comme eux, ni plus ni moins. Chaque fois que les femmes ont milité pour leurs droits, c'est la société tout entière, les femmes comme les hommes, qui en a bénéficié. Les femmes se sont ainsi battues pour obtenir la contraception. Or, il me semble qu'elle profite aussi aux hommes, aujourd'hui !
De la salle. - Je travaille à la télévision et je me bats pour la représentation des femmes à l'écran. Votre film éclaire d'une façon extraordinaire l'absence des femmes dans les instances dirigeantes de nos sociétés. Ce constat n'était pas dressé de manière agressive. Patricia Barbizet soulignait qu'il ne faut pas se priver de l'énergie et des compétences de la moitié de la planète. Ce film démontre que les femmes ont été bâillonnées pendant plusieurs siècles. J'ai pour priorité de leur donner les moyens de s'exprimer dans les médias. Lorsque nous concevons un plateau de télévision, même si l'exercice se révèle difficile, nous devons nous obliger à respecter l'équilibre entre les femmes et les hommes et le débat n'en sera que plus intéressant.
De la salle. - Les femmes ne doivent pas être cantonnées au rôle de témoin émotionnel.
De la salle. - Nous invitons de véritables expertes sur nos plateaux. Mes confrères se plaignent souvent de ne pas en trouver. Il faut simplement les chercher.
De la salle. - Je suis médecin de santé publique. J'écris aujourd'hui des articles à l'Université Paris Descartes en éthique clinique et j'ai suivi des cours de sexologie. J'ai également effectué une analyse et je discute régulièrement avec des professeurs de psychiatrie sur la physiologie, les différences entre femmes et hommes, les anomalies génétiques, le jeu des hormones. Je crois qu'en comprenant l'autre, on parvient à dialoguer et à améliorer la situation. Les hommes sont nombreux à m'écrire sur leurs peurs et leurs difficultés. Ils ne sont pas tous parfaits, mais certains sont sincères et éprouvent un réel malaise vis-à-vis du féminisme actuel. J'ai un jour écrit que le féminisme avait fragilisé les hommes et plusieurs psychiatres ont réagi. Cochin propose désormais un DU de sexologie - ils sont rares en France - avec des conseillers conjugaux et une anthropologue. Je souhaitais le souligner car cela pourrait vous intéresser.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Ce matin, Europe 1 invitait des hommes à échanger sur la manière dont ils voient les femmes. Les propos tournaient essentiellement autour des aspects sexuels. Il est symptomatique de constater que les relations entre les femmes et les hommes sont abordées prioritairement sous cet angle.
De la salle. - L'égalité ne signifie pas que nous sommes tous pareils. Je pense que certains hommes peuvent voir les femmes uniquement par ce prisme, mais ce n'est sans doute pas la majorité. Le journaliste qui a organisé ce débat aurait dû trouver un meilleur intervenant.
Mme Stéphanie Rameau, vice-présidente de Ni putes ni soumises. - Je tiens à vous remercier pour votre film qu'il faudrait diffuser dans les collèges et les lycées. Ce matin, je suis intervenue auprès d'élèves primo-arrivants en France pour expliquer les droits des femmes à des personnes issues de cultures différentes. Nous avons noué un débat très libre et je pense que ce film m'aurait beaucoup aidé, car il m'aurait permis de leur montrer que des témoignages sur les inégalités entre hommes et femmes pouvaient venir du monde entier. Je suis ravie d'être avec vous ce soir. Vos propos nourrissent mes réflexions. Nous devons effectivement travailler et débattre ensemble. Le 8 mars est la journée des femmes et des féminismes. Il existe en effet plusieurs féminismes, avec des façons de voir différentes. Je vous remercie encore de m'avoir associée à cette manifestation.
De la salle. - J'avais entendu parler de la tragédie de l'Inde, des meurtres de petites filles. Le film le montre très bien : l'Inde compte aujourd'hui 37 millions d'hommes voués à la solitude et à la frustration, qui ne trouveront pas de femme car elles ont disparu. Or, la frustration sexuelle ne permettra pas de diminuer la violence dans le monde, bien au contraire.
Je souhaitais faire un parallèle avec la situation de la planète. Les substances que nous déversons dans les rivières engendrent, semble-t-il, un phénomène de mutation des espèces par leur féminisation. On assassine des petites filles en masse en Inde et en Chine et, dans le même temps, on assassine la masculinité des espèces. C'est paradoxal ! Des études montreraient les conséquences très préoccupantes de ce phénomène sur les fils d'agriculteurs ou de viticulteurs. Les hommes se féminisent, les femmes disparaissent. Ces évolutions soulèvent de grandes questions, philosophiquement passionnantes, mais très angoissantes.
De la salle. - Je vous remercie pour cette invitation. Que faudrait-il faire pour que des pays comme la Chine et l'Inde changent ? J'ai compris que dans ces pays, le garçon prend en charge les parents vieillissants. Si le garçon présente une si grande valeur, c'est parce qu'il joue le rôle d'« assurance retraite ». À l'inverse, la fille coûte cher en dot. Pourquoi ces systèmes économiques n'ont-ils pas changé ? Est-ce à cause d'un profond ancrage culturel ? Par ailleurs, j'ai entendu une version de l'excision selon laquelle certaines femmes refuseraient d'y renoncer non pas sous la pression des hommes, mais au nom de leur appartenance au groupe. Il s'agit là de quelque chose de très fort pour un être humain.
Mme Frédérique Bedos. - Je n'ai pas de réponse toute faite sur la question des « femmes manquantes ». Le film montre que la réalité se révèle encore plus complexe. Il ne s'agit pas seulement d'une question de dot ou de retraite, puisque cette barbarie, qui consiste à se débarrasser des petites filles, touche aussi des milieux aisés et cultivés. En Chine, la situation semble évoluer positivement, la politique de l'enfant unique ayant été assouplie. Néanmoins, le pays est vaste, très disparate dans sa réalité, avec des différences énormes entre les grandes villes et les régions rurales les plus reculées. Le changement des moeurs prendra du temps, d'autant que la culture mettait en avant les garçons bien avant l'adoption de cette politique. En outre, comme vous le disiez, la pression sociale exige de faire partie du groupe. Si le groupe prône une certaine pratique, il est toujours difficile de s'en exonérer.
Je suis troublée lorsque je repense à la façon dont nous traitions les filles mères en France, voilà encore quelques décennies. Comment des femmes ont-elles pu se montrer aussi cruelles envers d'autres femmes ? Nous touchons là une question existentielle, qui concerne notre humanité. Cette question, qui concerne la moitié de l'humanité, est universelle.
Pendant l'année d'enquête nécessaire à la réalisation du film, j'ai relevé que nous avions affaire à la question de la différence primordiale entre l'homme et la femme. Si nous réussissions à diminuer significativement la violence faite aux femmes, la domination, l'instrumentalisation de la femme, il me semble que toutes les autres formes de violence, de racisme et de rejet de l'autre au nom de sa différence diminueraient. Cette différence primordiale reste l'élément le mieux partagé au monde ; elle traverse les frontières et les continents.
Nous devons être de plus en plus nombreux à nous emparer de ce sujet de cette façon, sans alimenter une guerre des sexes, mais en jouant sur notre humanité profonde. Je souhaite véritablement que des hommes s'emparent du sujet, car ils feront pencher la balance. Pour cela, il ne faut pas présenter le sujet de manière accusatrice. Il faut le dépouiller de toute idéologie pour s'en tenir aux faits. Les faits sont criants : ils montrent bien que le prix à payer pour l'humanité entière est trop élevé. Si nous voulons espérer demain un monde en paix, il faut commencer par là.
De la salle. - Je me suis rendue en Inde très récemment et j'ai eu l'occasion de discuter avec des femmes indiennes. À Bangalore, une grande ville industrielle du sud, j'ai vu une pancarte qui indiquait : « Prenez soin de nos petites filles, elles sont très importantes ». J'y ai vu un signe d'espoir.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Je vous remercie pour ce très beau débat. Je rappellerai l'un des premiers mots de ce film : le féminisme est un flux et un reflux. Je le dis surtout aux plus jeunes. Nous pouvons observer des reflux dans certains domaines. Le rejet du féminisme en fait partie. Bravo, Frédérique ! Nous diffuserons votre film le plus largement possible.
Mercredi 9 mars 2016
- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -Les femmes victimes de la traite des êtres humains - Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations de Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno et Mireille Jouve
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Notre ordre du jour concerne le rapport sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains.
Nous voici au terme d'un travail de cinq mois, puisque nous avons commencé nos réflexions le 22 septembre 2015, en entendant la coordinatrice européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains.
Je voudrais tout d'abord féliciter notre secrétariat pour la parfaite organisation de la journée d'hier, très réussie de l'avis unanime. Les deux manifestations de l'après-midi (rencontre avec les Meilleures ouvrières de France et projection du documentaire Des femmes et des hommes, de Frédérique Bedos) ont nécessité un travail de préparation important et un suivi compliqué jusqu'au soir. Mais les résultats étaient au rendez-vous car nous avons vraiment eu une belle journée au Sénat, même si nous persistons à regretter de ne pas avoir eu un véritable temps d'échanges avec notre président, Gérard Larcher.
Mes remerciements s'adressent aussi à tous ceux et celles qui ont contribué à ce travail qui nous réunit aujourd'hui sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains.
Puisque nous en sommes aux « coups de chapeau », je voudrais saisir l'occasion de cette réunion pour rendre hommage aussi, en notre nom à tous, aux associations qui, dans le domaine de la lutte contre la traite, sont des acteurs de terrain à part entière. Mais Brigitte Gonthier-Maurin en parlera plus en détails tout à l'heure.
J'en reviens à notre rapport d'information.
De manière symbolique, l'un des moments forts de ce travail a été la table ronde du 25 novembre 2015 qui a réuni des acteurs de la lutte contre la traite, principalement des associations : la traite des êtres humains s'inscrit en effet dans le continuum des violences faites aux femmes, puisque 70 % de ses victimes sont des femmes et des filles, et que, inversement 68 % des personnes poursuivies et 72 % des individus condamnés pour faits de traite sont des hommes.
De manière tout aussi symbolique, nous achevons nos travaux le lendemain de la Journée internationale des droits des femmes et à la veille du dernier passage en séance publique de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Dans ce rapport, on retrouve des échos d'autres thèmes de travail déjà retenus par notre délégation : prostitution et viols de guerre, entre autres exemples.
Les nombreux travaux que les deux assemblées parlementaires ont consacrés à la prostitution, notamment dans le cadre de la proposition de loi dont la procédure parlementaire touche à sa fin, ont montré la connexion entre la prostitution et les réseaux de criminalité internationale responsables des trafics d'êtres humains, de drogue, d'armes et d'organes.
Rappelons-le, la traite des êtres humains « rapporte » chaque année 32 milliards de dollars et trois milliards pour la seule Europe. C'est énorme !
Notre réflexion s'est inscrite dans une actualité brûlante, comme l'ont montré :
- le lien entre la traite des êtres humains et la crise des migrants, illustré par le déplacement de certaines d'entre nous dans la jungle de Calais, en janvier dernier ;
- et le lien entre la traite et les agissements de groupes comme Daech, ainsi que l'a souligné notre rencontre avec une rescapée de Daech, le 18 février dernier. Dans le référentiel de ces groupes, les femmes et les filles ne sont que des marchandises qui s'achètent et se vendent.
L'importance de la traite des êtres humains pour notre délégation est renforcée par la présence d'une représentante par groupe parmi les co-rapporteures. Le fait que nous puissions dépasser les clivages politiques pour travailler ensemble à faire avancer les droits des femmes est pour moi très important et je suis contente que cela ait pu être la « marque de fabrique » de notre délégation pour trois rapports : femmes militaires en avril 2015, bilan de la lutte contre les violences conjugales en février 2016 et le présent rapport sur les femmes, victimes de la traite.
Chacune de nous va donc successivement présenter un aspect de notre rapport, qui inscrit la politique publique de lutte contre la traite conduite par notre pays dans son cadre international, rappelle que cette politique est récente puisque nous n'en sommes qu'à notre premier plan de lutte, indique les pistes d'amélioration possibles, s'agissant notamment des mineur-e-s, de la formation des magistrats et de l'indispensable sensibilisation du grand public, et montre les liens entre le phénomène de la traite des êtres humains et la crise des migrants, dans un contexte d'immense vulnérabilité pour ces populations soumises aux agissements de passeurs sans scrupules.
Les recommandations qui le concluent concernent la gouvernance de la lutte contre la traite, son cadre juridique, ses moyens budgétaires et humains, son environnement diplomatique et la formation des acteurs.
Je donne donc sans plus tarder la parole à Joëlle Garriaud-Maylam pour préciser le cadre international dans lequel s'inscrit en France la politique de lutte contre la traite des êtres humains.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteure. - Merci, madame la présidente.
Le cadre juridique international de la lutte contre la traite des êtres humains repose sur plusieurs textes essentiels adoptés dans le cadre de l'ONU, du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne ou de l'Organisation internationale du travail (OIT) :
- la convention des Nations Unies contre la criminalité organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, dit protocole de Palerme (15 novembre 2000) : il s'agit du premier instrument par lequel la communauté internationale s'est dotée d'une définition commune de la traite des personnes ;
- la convention du Conseil de l'Europe contre la traite des êtres humains, dite convention de Varsovie (16 mai 2005), dont le champ d'application est plus large que le protocole, puisqu'elle vise toutes les formes de traite, nationales ou transnationales, qu'elles soient liées ou non à la criminalité organisée. Un organe conventionnel, le GRETA, a pour mission de veiller à la bonne application de la convention : son action est décisive pour encourager les états à progresser dans la mise en oeuvre de leur politique de lutte contre la traite et son président, qui est Français, a été entendu dans le cadre de la préparation du rapport ;
- l'Union européenne n'est pas en reste, à travers la directive 2011/36/UE relative à la prévention de la traite, la Stratégie en vue de l'éradication de la traite pour la période 2012-2016 et la mise en place d'une coordinatrice, Myria Vassiliadou, que nous avons rencontrée en septembre, dont la mission est notamment d'améliorer la coopération et la cohérence des actions menées par les institutions européennes et les États membres en ce domaine ;
- enfin, il convient de mentionner le protocole de l'OIT sur le travail forcé, qui vise à mieux prévenir et à renforcer la lutte contre le travail forcé, notamment dans le contexte de la traite des êtres humains. Le Sénat a adopté le 28 janvier dernier le projet de loi autorisant la ratification de ce protocole, qui a été transmis à l'Assemblée nationale.
Le travail forcé constituant l'une des formes de la traite, l'une de nos recommandations, qui devrait d'ailleurs être satisfaite d'ici la fin du mois de mars, est d'adopter au plus vite cet instrument juridique.
Je voudrais maintenant plus particulièrement insister sur l'action internationale de notre pays pour lutter contre la traite. La France étant à la fois un pays de destination et de transit de la traite, elle mène une action diplomatique volontariste pour lutter contre ce phénomène, qui repose sur une approche globale (prévention, répression et accompagnement des victimes) associant l'ensemble des acteurs (justice, forces de l'ordre, services sociaux, société civile), autour de trois axes : la promotion de la ratification des conventions internationales par l'ensemble des États parties et leur pleine mise en oeuvre ; la participation dans les instances internationales, à travers, par exemple, des contributions à l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ; la conduite d'action de coopération multilatérale et bilatérale.
Dans le contexte budgétaire actuel, on constate une réduction des moyens du ministère des affaires étrangères. Cette tendance obère la capacité de suivi, d'influence et d'action de notre diplomatie dans le domaine de la lutte contre la traite.
En matière d'action internationale, nous recommandons donc au Gouvernement de poursuivre la promotion, dans les enceintes internationales, de la ratification par tous les États des conventions visant à lutter contre la traite des êtres humains, dans toutes ses dimensions, et de maintenir, voire d'augmenter les contributions à l'ONUDC et aux instances internationales compétentes en matière de lutte contre la traite.
- Enfin, pour conclure, je souhaiterais dire deux mots de l'exemple britannique, qui nous a été présenté par une délégation de personnes membres de la Fondation pour la lutte contre la traite des êtres humains et l'esclavage (Human trafficking Foundation), que nous avons reçue au Sénat le 13 janvier dernier. Leur action pourrait en effet constituer une source d'inspiration possible pour notre pays en matière de lutte contre la traite.
Le Parlement britannique a adopté en mars 2015 le Modern Slavery Act, loi contre l'esclavage moderne qui vise à améliorer la protection des victimes et à alourdir les sanctions applicables. Elle comprend aussi une section relative à la transparence des chaînes d'approvisionnement des entreprises, le but étant d'instaurer une logique vertueuse dans laquelle la transparence sur les fournisseurs entraînera de facto une hausse des standards en matière de lutte contre la traite.
Le Royaume-Uni a également adopté en novembre 2014 un plan stratégique pour les années 2015 à 2017, et nommé un commissaire indépendant en charge de la lutte contre l'esclavage moderne.
Les membres de la fondation que nous avons rencontrés oeuvrent depuis plusieurs années pour établir un réseau de parlementaires de tous les pays européens susceptibles d'agir contre la traite des êtres humains, et comptent sur le Sénat pour faire vivre cette dynamique en France. Ils nous ont invités à venir présenter les conclusions de notre rapport à Londres.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La parole est à Mireille Jouve pour évoquer le cadre juridique national de la lutte contre la traite et le contenu du premier plan national.
Mme Mireille Jouve, co-rapporteure. - L'arsenal juridique national de lutte contre la traite des êtres humains est relativement complet. Il tire les conséquences, dans notre droit, des principaux instruments internationaux que nous a présentés Joëlle Garriaud-Maylam.
Pour autant, la définition actuelle de la traite des êtres humains, telle qu'elle figure dans le code pénal, bien que récemment élargie à plusieurs formes d'exploitation (travail forcé, réduction en servitude, réduction en esclavage), n'intègre pas le cas des mariages forcés, alors que, comme l'a souligné l'ambassadrice Michèle Ramis, « le mariage forcé est souvent une porte d'entrée dans la traite ».
Nous recommandons donc qu'une référence explicite complète la définition de la traite à l'article 225-4-1 du code pénal.
Au-delà de la définition de la traite et des sanctions applicables, notre arsenal législatif prévoit un certain nombre de droits au profit des victimes de la traite : des droits sociaux, un accueil sécurisant, dont nous parlera Brigitte Gonthier-Maurin, et une protection accrue en matière d'entrée et de séjour.
Sur ce dernier point, je rappelle que l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse de traite. Cette carte est renouvelée pendant la durée de la procédure pénale et, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné.
Dans les faits, les victimes de la traite restent insuffisamment informées de leurs droits en ce domaine, et on constate des pratiques hétérogènes selon les préfectures. Une instruction du ministère de l'intérieur datant de mai 2015 devrait permettre d'améliorer la situation, mais on ne peut encore dresser un bilan de son efficacité.
C'est pourquoi, nous recommandons une harmonisation des pratiques préfectorales en ce qui concerne la délivrance des titres de séjour au profit des victimes de la traite.
J'en viens maintenant à la MIPROF et au premier plan d'action national contre la traite. La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), créée en 2013, assure la coordination nationale en matière de lutte contre la traite, conformément à la convention de Varsovie.
Malgré son champ d'action très étendu, elle ne dispose pas de crédits spécifiques pour conduire son action, qui est entravée par des moyens budgétaires et humains insuffisants. En outre, la logique interministérielle, qui devrait impliquer les ministères de l'intérieur, de la justice et des affaires sociales en particulier, paraît devoir être renforcée.
En effet, son champ de compétences requiert un travail de coopération étroit entre les différents services des ministères, ainsi qu'une approche pluridisciplinaire, qui vaut d'ailleurs tant pour la traite que pour les violences conjugales.
C'est pourquoi nous recommandons le rattachement de la MIPROF au Premier ministre.
La MIPROF a été chargée de préparer le premier Plan d'action national contre la traite des êtres humain pour la période 2014-2016, qui marque l'instauration d'une politique publique à part entière en ce domaine.
Présenté en mai 2014, ce plan constitue une réelle avancée car il définit pour la première fois les fondements d'une politique publique transversale de lutte contre la traite sous toutes ses formes, en retenant une approche intégrée qui englobe la prévention, la protection et la répression.
Il contient 23 mesures, réparties entre trois grandes priorités :
- identifier les victimes pour mieux les protéger (11 mesures) ;
- poursuivre et démanteler les réseaux de la traite (8 mesures) ;
- faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière (4 mesures).
La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a été nommée rapporteur indépendant, chargée de mener l'évaluation de cette politique.
Or, le plan n'est que partiellement mis en oeuvre, en raison de moyens insuffisants. Il faut espérer que la promulgation de la loi sur le système prostitutionnel permettra de renforcer les moyens budgétaires de la MIPROF.
Nous recommandons donc de garantir les moyens budgétaires et humains nécessaires pour permettre la mise en oeuvre des 23 mesures du plan.
Nous rappelons aussi que, en matière de traite, nous n'en sommes qu'au tout premier plan d'action. On peut donc espérer que les efforts réels entrepris par les pouvoirs publics produiront progressivement des résultats tangibles, au même titre que les progrès réalisés en matière de violences faites aux femmes, après quatre plans interministériels successifs.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Brigitte Gonthier-Maurin va nous présenter le rôle des associations dans la lutte contre la traite des êtres humains.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - En effet, madame la présidente, c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Nous le savons bien à la délégation, les associations représentent des partenaires indispensables de la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. La lutte contre la traite des êtres humains n'échappe pas à ce constat et les associations effectuent dans ce domaine un indispensable travail d'expertise et de proximité sur le terrain, qui leur permet d'accompagner les victimes avec l'humanité que requiert leur situation de très grande vulnérabilité.
En effet, elles leur offrent un accueil et une écoute privilégiés, une information primordiale sur leurs droits, une aide psychologique et sociale, et, si nécessaire, sont en mesure de les orienter vers des services spécialisés.
N'oublions pas que les victimes sont souvent en situation de stress post-traumatique et qu'un accueil purement institutionnel ne suffit pas.
Les associations jouent également le rôle de « lanceurs d'alerte » susceptibles d'identifier les failles constatées sur le terrain dans la politique publique, et de détecter les points d'urgence ou de vigilance particuliers.
Par exemple, au cours de la table ronde du 25 novembre organisée par la délégation, l'un des participants a mis en évidence une identification insuffisante de la problématique de la traite des êtres humains dans les départements d'outre-mer, ce qui a pour conséquence, dans ces territoires, une absence de prise en charge des victimes et de formation des professionnels.
Nous avons rencontré ces associations, et vous les connaissez pour la plupart, mais je tiens à les citer pour leur rendre hommage : Hors la Rue, l'Amicale du Nid, ECPAT France, le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », le dispositif national Ac.Sé (accueil sécurisant) et France Terre d'Asile.
Je souhaiterais présenter plus particulièrement les deux dernières d'entre elles, dont j'ai pu constater le rôle décisif sur le terrain, au cours de deux déplacements.
Tout d'abord, le dispositif national Ac.Sé a été créé en 2001 par l'association ALC, qui en assure la coordination nationale. Il repose sur un réseau de 70 associations et centres d'hébergement, répartis sur 40 départements. Il a notamment pour vocation de mettre à l'abri et de prendre en charge de manière globale de jeunes femmes victimes de réseaux criminels et de proxénétisme, qu'elles soient françaises ou étrangères, en situation régulière ou irrégulière. Il fonctionne sans condition de coopération dans des procédures judiciaires.
Avec Hélène Conway-Mouret, nous nous sommes rendues à Nice le 15 janvier 2016 où nous avons rencontré les bénévoles de l'Association ALC-dispositif national Ac.Sé. Nous avons également pu visiter et rencontrer les équipes du Centre d'hébergement et de réinsertion sociale des Lucioles.
Nous avons constaté que le dispositif Ac.Sé a fait la preuve de son efficacité, la diversification des modalités d'accueil permettant dans la plupart des cas de répondre aux besoins spécifiques de chaque victime. Par exemple, en 2014, la coordination du dispositif Ac.Sé a été sollicitée pour 79 demandes d'orientation, en provenance de 23 villes différentes.
J'en viens maintenant à l'association France Terre d'Asile. Je rappelle qu'elle a été fondée en 1970 et qu'elle a pour principal objectif le maintien et le développement de l'asile, en visant à garantir en France l'application de toutes les conventions internationales pertinentes en ce domaine. Elle soutient à ce titre des actions en faveur des réfugiés, de l'intégration des migrants et de l'accompagnement et de la protection des mineurs isolés étrangers. Elle nous a servi de guide au cours de notre visite dans la « jungle » de Calais que je qualifierais d'éprouvante.
Je veux rendre ici un hommage tout particulier aux membres de cette association qui effectuent un travail extrêmement difficile, dans le contexte actuel de crise migratoire, oeuvrant en faveur de populations extrêmement vulnérables et démunies, plus particulièrement des femmes et des enfants. Je suis pour ma part très inquiète car je crains que le démantèlement des camps ait pour conséquence de dégrader encore les conditions de survie des hommes et des femmes qui s'y trouvent.
L'association France Terre d'Asile a proposé la mise en oeuvre d'un projet d'identification, d'information et d'orientation des victimes de la traite dans le Calaisis sur une période de dix-huit mois, qui s'inscrit dans le cadre du plan national et qui doit s'appuyer sur une coordination étroite avec les acteurs locaux et nationaux, institutionnels et associatifs.
Pour autant, malgré leur rôle incontournable, leur expertise et leur expérience du terrain, les associations ne sont pas toujours suffisamment sollicitées dans le cadre de la politique de lutte contre la traite des êtres humains.
Nous recommandons en conséquence de recourir plus systématiquement à l'expertise du secteur associatif pour définir les outils visant à identifier, à accompagner et à protéger les victimes.
Les besoins sont immenses et les associations font face à un manque de moyens susceptibles d'entraver leur capacité d'action dans la durée. Le manque de visibilité et l'incertitude pesant sur leurs subventions publiques peuvent aller jusqu'à remettre en cause leur pérennité, comme nous l'a rappelé l'un des participants à la table ronde du 25 novembre.
Face à ce constat, nous recommandons une sanctuarisation dans la durée des moyens budgétaires et humains qui leur sont attribués.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie, ma chère collègue. Je vais vous présenter la contribution de Corinne Bouchoux, excusée pour raisons de santé, à qui j'adresse en notre nom à tous et toutes des voeux de prompt rétablissement.
L'intervention de Corinne Bouchoux concerne les perspectives d'amélioration de la gouvernance de la lutte contre la traite des êtres humains.
Si une politique publique à part entière de lutte contre la traite des êtres humains s'est mise en place, avec la création de la MIPROF et le lancement du premier plan d'action national, ce qui constitue de réelles avancées, nous avons néanmoins identifié plusieurs points qui demeurent perfectibles :
- un recours encore trop rare à la qualification de traite des êtres humains par les magistrats, au regard de l'ampleur du phénomène. Par exemple, entre mai et janvier 2015, seules 45 infractions de traite des êtres humains ont été constatées, contre 313 en matière de proxénétisme et 100 en matière de conditions de travail et d'hébergement indignes.
Ce recours encore limité à l'infraction de traite est dommageable, dans la mesure où l'incrimination de traite couvre un champ plus large et un plus grand nombre de situations que celle de proxénétisme. Cette défaillance est liée à la complexité de cette infraction dont les magistrats ne sont pas suffisamment familiers, même si on constate de réelles avancées, notamment en région parisienne. Une circulaire de politique pénale ayant été diffusée en janvier 2015 pour rappeler aux magistrats l'intérêt de recourir à cette qualification, on peut espérer des progrès en ce domaine.
- Deuxième marge de progression possible identifiée par le rapport : une formation encore insuffisante des différents professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de la traite.
Comme en matière de violences conjugales, nous sommes parvenues au constat que la formation des professionnels concernés est perfectible, et qu'elle aboutit à une mobilisation insuffisante des services dans la lutte contre la traite des êtres humains et à une identification trop lacunaire de ses victimes, notamment s'agissant des mineur-e-s sous emprise. Nous recommandons en conséquence de renforcer la formation des différents professionnels (magistrats, police, gendarmes, professionnels de santé, inspecteurs du travail, services sociaux, personnel hospitalier et services de police aux frontières) aux différents aspects de la traite des êtres humains, dans le cadre de la formation initiale et continue.
En outre, afin d'accompagner les magistrats et de renforcer le volet répressif de la lutte contre la traite des êtres humains, nous recommandons la mise en place d'un référent dédié au sein des parquets les plus concernés par cette problématique.
- Troisième aspect susceptible d'amélioration : l'absence d'outils adaptés au cas des mineur-e-s victimes de la traite, malgré une réelle prise en compte de cette problématique par les pouvoirs publics.
La prise en charge des mineur-e-s victimes de la traite pâtit de plusieurs lacunes : accès insuffisant à l'assistance d'un tuteur (les associations ont particulièrement insisté sur ce point et sur la nécessité d'y remédier), manque d'accueil sécurisant, inadaptation du système de l'aide sociale à l'enfance (ASE), que connaît bien Michelle Meunier, absence d'office spécialisé en matière d'exploitation des mineur-e-s.
Les pouvoirs publics sont conscients de cet enjeu, dans un contexte où l'on constate notamment un abaissement préoccupant de l'âge des victimes. Ainsi, le plan d'action national prévoit l'expérimentation, à Paris, d'un accueil sécurisant pour les mineurs, qui pourrait être étendu à l'ensemble du territoire si elle est concluante. C'est une mesure importante, mais qui requiert des financements adéquats.
Au regard de tous ces constats, nous recommandons la désignation d'un tuteur formé à la question de la traite pour les mineur-e-s isolé-e-s étrangers et pour les mineur-e-s en danger dans leur milieu familial, victimes ou potentiellement victimes de la traite.
En outre, nous soutenons avec intérêt l'expérimentation en cours en matière d'accueil sécurisant pour les mineur-e-s et souhaitons sa généralisation si elle s'avère concluante.
- Quatrième axe d'amélioration : une sensibilisation insuffisante du grand public au phénomène de la traite des êtres humains dans toutes ses dimensions, qui demeure encore mal appréhendé.
Or, plusieurs anecdotes racontées par nos interlocuteurs ont mis en évidence que la société civile peut aider à identifier les victimes et à rompre leur isolement.
Nous invitons donc les pouvoirs publics à faire de la lutte contre la traite une grande cause nationale - comme l'ont été les violences faites aux femmes - et à lancer le plus rapidement possible une campagne de sensibilisation du grand public aux différentes formes de traite. En outre, nous recommandons la prise en compte de la traite dans les programmes d'enseignement.
- Cinquième point d'amélioration, une connaissance statistique encore trop limitée du phénomène de la traite, alors qu'il est primordial de pouvoir disposer de données statistiques fiables sur ce phénomène. Le dispositif statistique repose actuellement sur deux offices principaux, l'un spécialisé sur les questions de prostitution, et l'autre sur celles de travail illégal. Nous recommandons de confier à la MIPROF un rôle de coordination des publications des offices existants.
Je donne donc la parole à Hélène Conway-Mouret pour exposer le lien entre la question de la traite des êtres humains et la crise des migrants.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - Merci, madame la présidente.
Nous traversons actuellement une période de régression, voire de menaces concernant les droits des femmes partout dans le monde et nous devons contribuer à une prise de conscience, qui me semble tarder, des dangers liés à cette dégradation. Nous devons nous réjouir que le Parlement européen ait consacré la journée internationale des droits des femmes, hier, à la question des femmes réfugiées et demandeuses d'asile. La commission des droits de la femme et de l'égalité des genres a consacré en février un rapport à cette question, présenté par Mary Honeyball. Ce document souligne le lien entre traite, trafic des êtres humains et violences sexuelles. Il constate que l'intervention des passeurs et l'utilisation d'itinéraires de migration peu sûrs engendrent des problèmes spécifiques pour les femmes, plus particulièrement des risques importants de violences sexuelles. Il relève des cas de violences et d'abus sexuels tant pendant le voyage des migrants que dans les centres d'accueil en Europe.
C'est un fait, la crise migratoire actuelle a des conséquences sur la traite des êtres humains. En effet, tous les éléments sont réunis pour favoriser l'expansion des réseaux de traite : des populations généralement jeunes, démunies, en situation de vulnérabilité extrême, souvent cachées pour fuir les services administratifs ou policiers qui pourraient entraver leur périlleux parcours vers le pays où ils espèrent trouver refuge et travail.
Si la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants sont deux phénomènes juridiquement distincts, comme le souligne le rapport, on ne peut ignorer la porosité existant entre les deux notions, qui a d'ailleurs été soulignée par les ambassadrices Michèle Ramis et Patrizianna Sparacino-Thiellay : la vulnérabilité des migrants peut les faire « tomber » aux mains de réseaux de traite, et il est parfois difficile de distinguer ces deux formes de trafics.
C'est malheureusement ce que nous avons pu constater sur le terrain, au cours d'un déplacement à Calais, le 11 janvier 2016, à l'invitation de France Terre d'Asile. Ce camp aux conditions de vie infrahumaines, en cours de démantèlement partiel depuis le 29 février dernier, peut être qualifié « d'enfer » pour des migrants en situation d'extrême fragilité.
Le risque de traite des êtres humains est bel et bien une réalité dans les camps, au point que France Terre d'Asile a mis en place à Calais une structure dédiée à la lutte contre la traite des êtres humains, comme le rappelait Brigitte Gonthier-Maurin. Le fait de pouvoir ouvrir des solutions d'hébergement spécifiques permet à mon avis la protection des personnes contre les réseaux mafieux. Les femmes et les jeunes filles se retrouvent parfois, dans ces camps, dans des situations de détresse terrible, comme a pu en témoigner l'association Gynécologie sans frontières.
Autre problème, les victimes de la traite sont particulièrement difficiles à identifier dans la mesure où les migrants se trouvent bien souvent dans une situation clandestine qui leur fait craindre toute démarche officielle pour sortir de la traite.
Dans ce contexte, nous recommandons la création, de toute urgence, des 50 postes de médiateurs culturels prévus par le plan d'action national, des intermédiaires connaissant la langue et la culture des migrants s'avérant essentiels pour gagner leur confiance.
En outre, l'évaluation des personnes en situation de vulnérabilité par l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) est aujourd'hui insuffisante dans la mesure où le questionnaire défini à l'arrêté du 23 octobre 2015, sur lequel se basent ses agents, est incomplet. Il ne mentionne qu'un nombre partiel de vulnérabilités limitées à la grossesse, la maladie ou le handicap. Plusieurs catégories de personnes vulnérables ne sont pas visées, parmi lesquelles les victimes de traite, qui ne seront identifiées que si elles font expressément état d'un besoin de prise en charge spécifique.
Cette absence de recherche systématique des victimes de traite parmi les demandeurs d'asile constitue une carence non négligeable dans notre système d'accueil, qui limite très fortement l'identification précoce des victimes potentielles. Nous recommandons donc que soit complété le questionnaire de l'OFII de façon à prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilités visées au deuxième alinéa de l'article L. 744-6 du CESEDA.
S'agissant de la question du traitement des demandes d'admission des victimes de la traite, notre déplacement à Nice nous a confortées dans l'idée qu'il faut renforcer la coordination des acteurs pour une instruction plus rapide des dossiers. Nous avons été favorablement impressionnées par le dispositif de coordination des acteurs concourant à la lutte contre la traite des êtres humains mis en place à la préfecture des Alpes-Maritimes, et nous suggérons ainsi que cet exemple soit largement diffusé par le ministère de l'intérieur.
Pour compléter ces propos sur les conséquences de la crise des migrants sur la traite des êtres humains, je souhaiterais également vous faire part des enseignements que j'ai tirés d'un entretien avec plusieurs expertes du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l'ONU en décembre :
- la création de « hot spots » où sont enregistrés les migrants dans le pays où ils arrivent atteint ses limites car il ne s'agit généralement pour eux que d'un pays de transit (voir les migrants arrivant à Calais qui souhaitent à tout prix rejoindre l'Angleterre) ;
- une solution à encourager pourrait être d'essayer de limiter à la source les départs par la répression des trafics dans le cadre de législations nationales plus rigoureuses ; cela semble déjà être le cas par exemple au Soudan où la législation s'est considérablement durcie ;
- les observations de terrain confirment que les migrants sont généralement des hommes, jeunes et célibataires, ensuite rejoints par leur famille, mais de plus en plus souvent accompagnés d'enfants. Il y a là incontestablement un danger potentiel pour ces enfants, si l'on se réfère au fait que 10 000 mineurs non accompagnés auraient disparu après leur enregistrement à leur arrivée en Europe, selon Europol, depuis un an et demi, ce qui laisse craindre leur exploitation, notamment sexuelle, par le crime organisé ;
- les passeurs se transforment en trafiquants pour diversifier leurs ressources et le trafic d'êtres humains s'insère dans tous les trafics mafieux ;
- une difficulté notable à prendre en compte tient à l'approche différente de la place et du rôle des femmes dans les pays d'origine des migrants : une réflexion sur l'intégration de ces populations est donc cruciale. Une formation à nos valeurs, et en particulier à l'importance de l'égalité entre les hommes et les femmes doit leur être dispensée en vue de leur intégration.
Pour conclure cette présentation polyphonique de nos travaux, je souhaiterais insister sur un point plus général de vigilance qui a été porté à notre attention par l'ambassadrice Patrizianna Sparacino-Thiellay : une tendance de fond au « grignotage » des droits des femmes dans les enceintes internationales serait à l'oeuvre, à travers une série de revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris au sein du bloc occidental. L'une de nos recommandations appelle donc le Gouvernement à maintenir la vigilance de la diplomatie française dans la défense des droits des femmes au niveau international, afin de lutter contre cette tendance relativiste qui semble remettre en cause l'universalité des droits acquis.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je pense que nous serons d'accord pour proposer à M. le président du Sénat l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée d'un débat sur ce sujet. Je vous propose de lui écrire dès à présent à cet effet.
Avant d'examiner nos recommandations, je vous suggère d'aborder le titre de ce rapport.
Que penseriez-vous de : « Femmes, premières victimes de la traite des êtres humains », ou « Traite des êtres humains : une violence faite aux femmes » ? Nous pourrions aussi choisir « Traite des êtres humains, esclavage moderne : la nouvelle barbarie contre les femmes », ou même « Femmes victimes de la traite des êtres humain : le nouveau visage de la barbarie ».
Mme Catherine Génisson. - Je pense que ces propositions de titre ne tiennent pas compte d'une dimension essentielle de la traite, selon moi : ses conséquences terribles pour les mineurs.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteure. - Je privilégierais pour ma part le terme d'enfant, de préférence à celui de mineur, car ce dernier renvoie à une logique juridique, alors que les victimes de la traite sont souvent, hélas, de petites filles. Le sort des enfants est lié à celui des femmes ; il faut que cela apparaisse dans le titre.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - Nous avions décidé initialement de centrer notre réflexion sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains. Les déplacements auxquels nous avons participé à Calais puis à Nice y étaient d'ailleurs consacrés. Cela me semble normal que le titre reflète ce choix, même si d'autres problématiques, dont la question des mineurs, sont aussi développées dans le rapport. Pour ma part, je suis favorable à « Traite des êtres humains, esclavage moderne : la nouvelle barbarie contre les femmes ».
Mme Laurence Cohen. - Je pense, comme cela a déjà été dit, que nous devons mentionner la situation des mineurs dans le titre. Quant à l'idée de « nouvelle barbarie », je ne suis pas d'accord, on constate malheureusement que cette barbarie s'appuie sur une histoire ancienne... Je propose le titre suivant : « Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineurs, premières victimes ».
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La situation actuelle relève quand même d'une dimension jamais atteinte jusqu'à présent, qu'il s'agisse des réseaux mafieux ou de groupes comme Daech... On a atteint avec ces groupes un niveau à mon avis inégalé de barbarie, même si on a l'impression que le sort fait aux femmes par ces groupes ne suscite pas la révolte universelle que l'on pourrait attendre. On a l'impression que les lycéennes enlevées par Boko Haram ne suscitent plus vraiment d'émotion...
Mme Michelle Meunier. - Je voudrais saluer le travail considérable que représente ce rapport, très complet. Je trouve important que toutes les familles politiques représentées au Sénat y aient participé et s'unissent d'une même voix contre un fléau révoltant. Pour ma part, le titre « Femmes, premières victimes de la traite des êtres humains » me convient.
Mme Annick Billon. - Il me semble pourtant que les conséquences de la traite sur les mineurs ne sont pas occultées par le rapport, qui consacre de longs développements à cette thématique.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Que diriez-vous de « Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineurs, premières victimes » ?
La délégation adopte donc pour son rapport d'information le titre : Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineurs, premières victimes.
Je vous propose maintenant de passer aux recommandations.
La recommandation 1 concerne le rattachement de la MIPROF aux services du premier ministre.
La recommandation 1 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 2 tend à confier à la MIPROF la coordination des publications des offices existants afin d'améliorer l'information statistique sur le phénomène de la traite des êtres humains.
La recommandation 2 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 3 vise la valorisation de l'expertise du secteur associatif engagé dans la lutte contre la traite des êtres humains.
La recommandation 3 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 4 suggère que la coordination exemplaire des acteurs de la lutte contre la traite des êtres humains observée dans le département des Alpes-Maritimes puisse être largement diffusée par le ministère de l'intérieur.
La recommandation 4 est adoptée à l'unanimité.
M. Marc Laménie. - Cette recommandation me semble judicieuse, car la lutte contre la traite des êtres humains peut gagner en efficacité, en rassemblant tous les intervenants sous l'autorité du préfet.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 5 appelle à la désignation d'un tuteur formé à la lutte contre la traite des êtres humains, pour les mineurs potentiellement victimes de la traite.
La recommandation 5 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 6 concerne la généralisation de l'expérimentation de l'accueil sécurisant pour les mineurs en cours à Paris.
La recommandation 6 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 7 propose de compléter l'article 225-4-1 du code pénal pour que la définition de la traite fasse explicitement référence aux mariages forcés.
La recommandation 7 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 8 appelle à une l'adoption rapide de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et du projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'OIT.
Mme Maryvonne Blondin. - Cette recommandation sera très vite satisfaite puisque nous examinerons cette proposition de loi pour la dernière fois demain, jeudi 10 mars.
La recommandation 8 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 9 vise l'harmonisation des pratiques préfectorales concernant la délivrance des titres de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains.
La recommandation 9 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 10 tend à modifier le questionnaire visé par le CESEDA pour permettre une meilleur détection des victimes de la traite.
La recommandation 10 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 11 concerne les moyens budgétaires et humains destinés à la mise en oeuvre du plan national d'action.
La recommandation 11 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 12 soutient la création des postes de médiateur culturel prévus par le plan d'action.
La recommandation 12 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 13 vise la sanctuarisation des moyens attribués aux associations qui participent à la lutte contre la traite des êtres humains.
La recommandation 13 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 14 concerne le niveau des contributions de la France à l'Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime, et à toutes les organisations internationales compétentes en matière de lutte contre la traite des êtres humains.
La recommandation 14 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Nous abordons les recommandations concernant la diplomatie et l'action internationale de la France.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - Peut-être pourrions-nous faire remonter la recommandation concernant la nécessaire vigilance vis-à-vis de la défense des droits des femmes au niveau international, actuellement menacée ? Il s'agit à mon avis d'une priorité de premier rang.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je suis d'accord. La recommandation 15 appelle à la vigilance de la diplomatie française pour la défense des droits des femmes dans les enceintes internationales, à un moment où une tendance relativiste semble remettre en cause l'universalité de ces droits.
La recommandation 15, modifiée par un amendement rédactionnel de Mme Catherine Génisson, est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 16 invite le Gouvernement à promouvoir, dans les enceintes internationales, la ratification par tous les États des conventions internationales portant sur la traite des êtres humains.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - Nous devrions compléter cette recommandation par une phrase invitant notre Gouvernement à être vigilant aussi s'agissant de la ratification par notre pays de ces instruments juridiques internationaux.
La recommandation 16, ainsi complétée, est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 17 condamne sans appel les pratiques de groupes comme Boko Haram et Daech concernant l'esclavage des femmes et leur exploitation sexuelle et étend cette condamnation à tous les États qui participent directement ou indirectement aux trafics scandaleux qui contribuent à financer ces barbares.
La recommandation 17, modifiée par un amendement rédactionnel de Mme Catherine Génisson, est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Nous abordons les recommandations destinées à renforcer la formation des acteurs de la lutte contre la traite et la sensibilisation du grand public.
Mme Laurence Cohen. - Il me semble que, là encore, nous devrions inverser l'ordre de présentation de nos recommandations de manière à formuler en priorité la recommandation relative à la campagne de sensibilisation.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je suis d'accord. La recommandation 18 invite donc les pouvoirs publics à déclarer la traite des êtres humains « grande cause nationale » et à promouvoir une campagne d'information destinée au grand public.
La recommandation 18 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 19 vise la mise en place d'un référent « traite des êtres humains » au sein des parquets.
La recommandation 19 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 20 préconise la prise en compte de la traite des êtres humains dans l'enseignement.
La recommandation 20, modifiée par un amendement rédactionnel de Mmes Michelle Meunier et Laurence Cohen, est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - La recommandation 21 concerne le renforcement de la formation des professionnels dans le cadre de la formation initiale et continue.
La recommandation 21 est adoptée à l'unanimité.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je me félicite, comme vous tous et toutes, de cette belle unanimité qui caractérise nos travaux. Il est particulièrement important qu'une telle unanimité se manifeste sur tous les sujets concernant l'égalité entre hommes et femmes et la défense des droits des femmes.
Mme Michelle Meunier. - C'est en effet une belle synergie, mais je trouve que nous pourrions aller encore plus loin dans cette recherche de consensus en travaillant avec la délégation de l'Assemblée nationale. Il aurait été pertinent que nous travaillions ensemble dans le domaine des violences conjugales, par exemple.
Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Ce serait en effet une évolution très positive, de même que nous travaillons régulièrement avec le Haut conseil à l'égalité dans une dynamique à laquelle je suis très attachée.