Jeudi 18 février 2016
- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -Audition d'Alain Parant, démographe, conseiller scientifique de Futuribles international
M. Roger Karoutchi, président. - Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir en votre nom Alain Parant, démographe, conseiller scientifique de Futuribles international, qui a longtemps travaillé à l'Institut national d'études démographiques (Ined).
Nous l'avons vu au cours des précédentes auditions, il n'est pas toujours aisé d'appréhender le futur, de connaître, par exemple, les effets de la crise financière ou du développement de la robotique dans les vingt, trente ou quarante prochaines années. Cela donne lieu à des appréciations diverses selon les chercheurs ou les scientifiques.
En revanche, malheureusement ou heureusement, je ne sais, les données démographiques sont, elles, relativement objectives. Elles dessinent des tendances lourdes de ce que sera la société française et le monde en général d'ici à la fin du siècle. Il s'agit là d'un élément de réflexion primordial pour accompagner nos analyses et insuffler les changements de législation qui s'imposent.
Si vous en êtes d'accord, monsieur Parant, je vais vous céder la parole pour une petite vingtaine de minutes afin de laisser le temps nécessaire aux échanges et aux questionnements de notre délégation à la prospective.
M. Alain Parant, démographe, conseiller scientifique de Futuribles international. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à venir parler des phénomènes démographiques, qui, je le précise d'emblée, malgré une inertie bien réelle, contiennent toujours une part d'incertitude, a fortiori lorsque l'on raisonne à des horizons lointains. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai longtemps travaillé à l'Ined, que j'ai dû quitter victime de la limite d'âge, et je continue d'exercer mes talents à Futuribles international.
En son temps, Alfred Sauvy, dont je fus l'élève, avait soulevé le dilemme « croître ou vieillir ». Je l'ai quelque peu revisité sous la formule : « Croître ou décroître, mais vieillir. » Il n'est en effet pas certain que l'ensemble des pays du monde soit toujours en phase de croissance. D'où cette interrogation : dans un monde vieillissant, quelle pourrait être la place des jeunes ?
Le diaporama que je vais vous projeter se scinde en deux parties, pour bien distinguer la démographie mondiale de la démographie française.
On entend souvent parler d'une stabilisation à long terme de la population mondiale. Les dernières projections disponibles à l'horizon 2100 laissent entendre, au contraire, que nous en sommes encore loin. Autrement dit, la « bombe P » - P pour population -, pour reprendre le titre d'un célèbre ouvrage écrit en 1968 par les époux Ehrlich, a de beaux jours devant elle.
Entre 1950 et le début des années quatre-vingt-dix, nous sommes passés de quelques 47 millions de nouveaux Terriens à 93 millions, soit un quasi-doublement. Malgré une légère baisse de son taux annuel d'accroissement, la population mondiale continue d'augmenter d'environ 80 millions d'unités chaque année. Si l'Asie représente l'essentiel de cette croissance, elle connaît un tassement au cours des dernières années, contrairement à l'Afrique, en phase ascendante continue.
Une telle dynamique démographique au niveau mondial s'explique par deux facteurs : l'allongement des durées de vie et la fécondité.
Sur longue période, pratiquement tous les pays connaissent une augmentation des durées de vie. Les Terriens, quel que soit l'endroit où ils résident, vivent de plus en plus longtemps. La tendance générale est à un allongement relativement important des durées de vie, passées, entre 1950 et 2015, d'un peu moins de cinquante ans à pratiquement soixante-dix ans. L'Afrique, malgré des progrès intéressants, reste toujours à la traîne. Les femmes ont des espérances de vie un peu plus élevées que celles des hommes.
Cet allongement est toutefois inégal : les habitants des pays où l'espérance de vie est la plus faible ne connaissant pas forcément les progrès les plus rapides, alors que ceux des pays plus développés comme la France continuent de vivre de plus en plus longtemps. Les contraintes sont fortes : le phénomène de vieillissement démographique entraîne une pression sur les richesses créées de plus en plus importante et impose un certain nombre d'arbitrages ; reste à savoir dans quelle mesure ces derniers vont aller dans le sens d'un allongement de la durée de vie.
Par ailleurs, dans la mesure où il concerne des individus qui vivent en moyenne déjà relativement plus longtemps, l'allongement de la durée de vie résulte d'une combinaison de facteurs de plus en plus délicate à obtenir. Nous sommes entrés dans une phase de rendements décroissants en la matière puisque les niveaux atteints sont élevés, y compris en Afrique, continent qui a connu une croissance de la durée de vie grâce à l'importation à doses massives de techniques anti-mortelles, au coût relativement bas. Les réserves de survie vont être partout de plus en plus difficiles à mobiliser.
Deuxième facteur, la fécondité, qui est encore globalement supérieure au niveau de remplacement. L'allongement de la durée de vie de générations de Terriennes bénéficie à leurs propres enfants, notamment aux filles.
L'indice conjoncturel mondial de fécondité est en baisse. D'un niveau encore élevé jusqu'au début des années soixante-dix, il a ensuite diminué sur tous les continents. L'Afrique a connu une baisse plus tardive, au début des années quatre-vingt-dix, et reste largement déconnectée, avec encore près de 5 enfants par femme, contre 6,5 en moyenne auparavant. Ailleurs, la moyenne oscille entre 2 et 2,5 enfants par femme, exception faite de l'Europe entendue au sens large, qui en est à 1,5 enfant par femme en moyenne. La fécondité reste donc très inégale selon les différents endroits de la planète, avec une baisse globale et quelques remontées locales en Afrique, où elle est déjà élevée, ainsi qu'en Asie du Sud.
Si les femmes, de façon générale, ont moins d'enfants, elles ont tendance à les avoir plus tardivement. Il y a une différence relativement importante entre les continents les plus développés - Océanie, Europe, Amérique du Nord - et le reste du monde, où les femmes ont tendance à avoir leurs enfants plus jeunes. L'âge moyen à la maternité est environ de 30 ans dans les régions les plus développés, de 27 ans dans les régions les moins développées ; d'où des réserves de fécondité beaucoup plus faibles dans les premières que dans les secondes.
J'en viens aux perspectives élaborées par la Division de la population des Nations unies pour tous les pays du monde dans la population excède 90 000 habitants. La méthodologie se révèle de plus en plus complexe. L'un de mes anciens professeurs de démographie, Louis Henry, me disait ceci : « Ce n'est pas parce que la méthode est très élaborée qu'elle donne forcément de meilleurs résultats. » En l'occurrence, le problème réside dans le postulat de ressemblance, aux termes duquel les pays les moins avancés dans la voie de la transition démographique - le passage d'une fécondité et d'une mortalité élevées à une fécondité et une mortalité basses - sont appelés à suivre avec retard le chemin tracé par les pays les plus avancés. Or, depuis une quinzaine d'années, force est de constater une remontée de la fécondité dans les pays les moins avancés.
Aujourd'hui, la population mondiale atteint à peu près 7 milliards d'êtres humains. Pour cette présentation, j'ai retenu quatre projections, articulées sur les hypothèses de fécondité suivantes à l'horizon 2100 : en moyenne, 1,8 enfant dans la variante basse, 2,1 enfants dans la variante médiane, 2,8 enfants dans la variante haute, ce qui donne une grande incertitude puisque la population mondiale oscillerait entre 6,5 milliards et près de 18 milliards d'êtres humains ; la quatrième variante, celle à fécondité constante, n'est qu'une hypothèse d'école.
Pour ce qui est des projections de répartition de la population entre les grandes régions du monde d'ici à 2100, c'est l'Afrique qui va connaître la progression la plus importante, quelle que soit la variante retenue - fécondité basse ou fécondité hausse. J'écarte volontairement la variante médiane, celle qui est généralement assimilée à la variante la plus probable, donc celle pour laquelle il n'y aurait prétendument rien à faire. L'Afrique verrait sa part atteindre 36 % dans le cadre de la variante haute et 42 % dans la variante basse (contre 15 % aujourd'hui), quand celle de l'Asie passerait de 60 % actuellement à 46 % ou 41 %.
En termes de structure par âges, nous allons assister à ce que j'appelle l'« inversion des pyramides ». Je distingue trois grands groupes de pays : les régions plus développées, les régions moins développées et les pays les plus pauvres, au nombre de quarante-huit, dont trente-quatre en Afrique, dans lesquels les personnes vivent avec moins de 1,90 dollar par jour. Les projections montrent clairement que la base des pyramides se rétrécit et que leur sommet gonfle. C'est par là que se fera la croissance démographique. Pour utiliser une image forte, ce sont les plus âgés qui vont se reproduire plus vite que les plus jeunes.
J'en viens à la France. Je considère que notre pays est une exception démographique très relative, ce qui me place en décalage avec certains de mes confrères ; comme quoi, monsieur le président, les démographes peuvent ne pas partager la même vision des choses. Plusieurs facteurs m'amènent à cette réflexion.
Premièrement, les naissances sont encore nombreuses, mais moins que naguère et de plus en plus tardives. L'âge moyen des mères à la naissance des enfants est de 30,5 ans. L'âge moyen à la naissance du premier enfant dépasse 28 ans, contre 24 ans à la fin des années soixante-dix. La question est de savoir jusqu'à quel point peut augmenter l'âge moyen à la maternité sans que cela ait d'effet sur le niveau de la fécondité, étant entendu que l'aptitude physiologique à procréer diminue avec l'âge, aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
Deuxièmement, des années sont gagnées sur la mort, mais avec de substantiels écarts et pour une qualité de vie incertaine. J'ouvre une brève parenthèse pour rappeler le recul de l'espérance de vie constaté l'année dernière et justifié aux yeux de certains par des causes d'ordre climatique, ce qui ne me convainc pas totalement. Pour le dire simplement, toujours plus vieux peut-être, mais pas tous toujours plus vieux et en tout cas pas au même rythme. L'écart d'espérance de vie entre les hommes et les femmes atteint pratiquement sept ans en France. On tend à vivre un peu plus vieux en ville qu'en zone rurale profonde, pour des raisons d'accès aux soins de secours de première urgence. Le mariage conserve, paraît-il, puisque les mariés vivent plus longtemps que les non-mariés... à moins qu'un effet de sélection n'opère au détriment de certains nubiles. Surtout, des différences importantes s'observent entre les catégories socioprofessionnelles, mettant en évidence ce que l'on appelle l'inégalité sociale devant la mort.
Troisièmement, l'apport migratoire passé n'est pas négligeable, comme l'a montré une ancienne collègue de l'Ined, Michèle Tribalat, mais son attractivité présente reste problématique, au regard des difficultés rencontrées pour trouver du travail aux populations immigrées et pour intégrer leurs descendants.
Quatrièmement, le socle familial est majoritairement traditionnel - 67 % des enfants de moins de 18 ans vivent avec leurs deux parents -, mais il évolue sur fond de complexification des parcours matrimoniaux et de diversification des situations. D'où le phénomène de zapping matrimonial et les problèmes qu'il engendre, notamment en termes d'accumulation patrimoniale. Nous y reviendrons.
Cinquièmement, enfin, la France apparaît comme une mosaïque territoriale de « très pleins démographiques », zones à forte densité, qui voisinent avec de quasi-déserts humains.
Par conséquent, la situation démographique française est pour moi loin d'être idyllique. La croissance future sera assurément incertaine. Elle dépendra de l'évolution de la fécondité, des durées de vie, du solde migratoire. La seule certitude réside dans le fait que notre pays a un potentiel de vieillissement démographique relativement important.
La comparaison du taux de fécondité par groupe d'âges permet d'expliquer l'augmentation de l'âge moyen à la maternité. Actuellement, les jeunes filles de 15 à 19 ans ne font pratiquement plus d'enfants. Celles de 20 à 24 ans en font beaucoup moins que par le passé. Celles de 25 à 29 ans ont assuré le relais depuis la fin des années soixante-dix, mais leur taux de fécondité accuse une baisse depuis quelque temps. Le relais a été pris par les femmes âgées de 30 à 34 ans, dont la fécondité plafonne désormais et a même tendance à baisser. L'augmentation concerne dorénavant les femmes âgées de 35 à 39 ans. Mais leur impact sur la fécondité totale reste faible. On touche maintenant à la limite. J'avais déjà alerté, voilà une quinzaine d'années, sur la nécessité de mener une politique familiale ambitieuse. Je persiste et je signe tant les résultats, malheureusement, parlent d'eux-mêmes.
Le palier atteint par les naissances vivantes est nettement inférieur à celui qui était constaté à partir de 1946, lors du baby-boom, jusqu'en 1974, en dépit de la légère remontée apparue dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix et au début des années 2000. La diminution du nombre de naissances alors que la population augmente témoigne de la baisse de la fécondité. L'âge moyen des mères à la maternité a connu son niveau le plus bas en 1975 puis est remonté très rapidement d'un peu plus de quatre ans pour atteindre ce qui pourrait être un plafond au regard de simples considérations physiologiques.
L'écart constaté en termes d'espérance de vie à la naissance et à 60 ans entre les femmes et les hommes traduit un véritable échec de santé publique. Comme si d'aucuns avaient oublié que les hommes, aussi, étaient mortels. Il semble qu'au moment de la création de la PMI on ait oublié les pères. On n'a pas non plus anticipé la tendance des femmes, depuis une quarantaine d'années, à adopter le comportement des hommes, qu'il s'agisse de consommation d'alcool, de drogues, de tabagisme, de stress au travail. Il s'agit d'une véritable bombe à retardement démographique, avec tout ce que cela implique de répercussions en termes de mortalité. Ce n'est pas l'espérance de vie des hommes qui augmente tout à coup plus rapidement, c'est plutôt celle des femmes qui progresse un peu moins vite depuis quelque temps.
Un regard sur la courbe de l'espérance de vie à 60 ans montre que les gains, pour l'essentiel - 70 % -, s'observent au-delà de cet âge. Autrement dit, les réserves de survie se situent dans les âges élevés. Dans la mesure où les personnes atteignant la seconde moitié de leur vie se voient offrir la possibilité de vivre plus longtemps, cela ajoute du vieillissement démographique.
Alors que le nombre des décès annuels avait atteint un palier, autour de 550 000, il est en train de remonter. Il arrivera un moment où la courbe des décès croisera celle des naissances vivantes, vers 2030 ou 2040 selon la variante de projection prise en compte.
La pyramide des âges française au 1er janvier 2016 prend la forme d'une meule de foin : un socle plus étroit que la partie centrale, compte tenu des effets du baby-boom ; une dissymétrie fortement marquée à droite dans la partie supérieure, illustrant la surmortalité des hommes à tous les âges. Les populations très âgées, notamment dépendantes, sont des populations de femmes. On s'est focalisé sur le choc démographique affectant les retraites, en oubliant celui sur la santé et la dépendance, dont le risque est affreusement minoré, notamment par certains de mes confrères.
La pyramide des âges de notre pays partage un profil commun avec celles du Royaume-Uni et de la Suède, mais se démarque de celle de l'Allemagne, de l'Espagne ou de l'Italie. On retrouve là l'incidence de la chute de la fécondité. L'Allemagne compte davantage de cercueils que de berceaux depuis 1975.
Qu'en est-il, pour la France, des projections sur la proportion de jeunes de moins de 20 ans et des 60 ans ou plus selon deux variantes extrêmes de vieillissement ? Dans le meilleur des cas, la proportion de jeunes de moins de 20 ans se maintient ; dans le pire des cas, elle continue à diminuer. J'entends par « pire des cas » un taux de fécondité à 1,8 enfant par femme, étant entendu que l'Insee se montre prudent dans ses projections démographiques, trop prudent certainement, pour des raisons qui permettent de minorer les effets du vieillissement démographique... et des mesures à prendre en conséquence pour garantir la pérennité du système de protection sociale, plus particulièrement des branches vieillesse et assurance-maladie.
En 2012-2013, les 60 ans ou plus ont dépassé, en proportion, les moins de 20 ans. Même dans le cadre d'un maintien de la fécondité à 2,1 enfants par femme jusqu'en 2060, la proportion des 60 ans ou plus frôle tout de même les 30 %. Si la fécondité tombe à 1,8 enfant en moyenne par femme, ce qui est plus que probable, cette proportion atteindrait pratiquement 34 %.
En 2026, la génération 1946, première génération du baby-boom, fêtera ses 80 ans. Toutes choses égales par ailleurs, à partir de cette date, la fraction la plus âgée de la population va connaître une progression accélérée ; l'incertitude est relativement grande quant au niveau mais pas quant à la tendance.
Ainsi que le montrent les pyramides des âges estimées et projetées de 2007 à 2060, la France va continuer de vieillir, y compris dans le cas d'une fécondité élevée. La croissance démographique s'est faite par le sommet de la pyramide des âges depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années cinquante. Il en sera de même dans le futur.
J'en viens à ce que j'appelle les effets propres du vieillissement démographique, effets induits, toutes choses égales par ailleurs, par la seule déformation de la structure par âge. Ces résultats sont tirés d'une étude réalisée par Futuribles en 2013, dans le prolongement d'une première étude réalisée en 1995 pour le compte de la Commission des communautés européennes. Il s'agissait, sur la base des projections d'Eurostat, d'évaluer les ajustements à opérer en matière d'assurance maladie et de retraites pour compenser l'effet du vieillissement projeté sur la période 2010-2050 selon deux variantes de vieillissement contrastées.
Pour absorber le choc du vieillissement démographique et ne pas toucher au système de santé actuel, autrement dit pour laisser inchangé le taux de remboursement selon l'âge, il faudrait majorer le taux de la cotisation maladie (entendu ici comme l'ensemble des prélèvements à opérer sur la richesse totale créée) entre 2010 et 2050 soit de 28 %, dans le cas d'un vieillissement minimal, soit de 48 %, dans celui d'un vieillissement maximal.
S'agissant de la retraite, quatre leviers sont envisageables.
Premier levier : faire assumer par les actifs l'intégralité du choc du vieillissement démographique, au travers d'une augmentation de 27 % à 42 % du prélèvement opéré sur la richesse créée.
Deuxième levier : faire assumer l'intégralité de ce choc par les retraités, ce qui sera en grande partie le cas à en croire les dernières projections du Conseil d'orientation des retraites en date de 2015, au travers d'un abaissement relatif des pensions par rapport aux salaires. Sur la base d'un niveau de vie actuel de 100 pour les actifs et pour les retraités, nous aurions, demain, 100 pour les premiers mais de 71 à 59 pour les seconds.
Troisième levier : reporter l'âge frontière entre activité et retraite, de 6,1 à 9,6 années, en dépit des allongements et des mesures déjà prises dans le cadre de la réforme de 2010.
Quatrième et dernier levier : augmenter la population active occupée de 41 % à 71 %. La charge du financement de la protection sociale retraite serait alors supportée par un nombre plus important de personnes, pour faire en sorte que la charge pesant sur chaque actif reste inchangée. On compte aujourd'hui 25 millions d'actifs occupés. Faites le calcul...
En Europe, l'Espagne et l'Italie connaissent depuis le début des années quatre-vingt un effondrement de la fécondité et seront condamnées à un effort massif d'ici à 2050 pour financer un vieillissement démographique rapide. Cela suppose de plus que doubler la population active occupée.
Malgré une fécondité plus élevée, la France se retrouve au même niveau que l'Allemagne, faute d'avoir entrepris des réformes similaires. Nous pouvons nous gargariser d'avoir une fécondité et une croissance démographique plus dynamiques, encore faudrait-il trouver du travail aux nouveaux venus.
L'emploi en France s'annonce donc comme le grand défi de demain. Ne l'oublions pas, la part des cotisations directement assises sur l'emploi dans les recettes totales de notre système de protection sociale dépasse 60 %. Le taux d'emploi est la proportion de la population en âge de travailler, de 15 à 64 ans, effectivement au travail : il est de l'ordre de 60 % dans notre pays quand, chez la plupart de nos principaux partenaires, il avoisine 70 %. En France, le taux d'emploi des 15-24 ans ne décolle pas. À l'autre extrême, la France est distancée chez les 55-59 ans par la Suède, l'Allemagne et le Royaume-Uni, et encore davantage chez les 60-64 ans, du fait de la barrière toujours présente de l'âge de la retraite à 60 ans. Malgré un léger rebond du fait de la mise en oeuvre des réformes de 2003 dans la fonction publique, la tendance de fond est à la stagnation.
Par ailleurs, l'évolution de la répartition des ménages ordinaires selon le nombre de personnes, depuis le recensement de 1962, reflète une montée de la solitude. La cohabitation est beaucoup moins répandue aujourd'hui qu'hier. Coexistence des générations ne signifie pas cohabitation. Les ménages comptant six personnes ou plus ont quasiment disparu, tout comme ceux de cinq personnes. Les ménages de quatre et de trois personnes accusent une diminution sensible. Les ménages de deux personnes sont en augmentation mais c'est surtout le ménage unipersonnel qui est en hausse. Si solitude résidentielle et solitude sociale ne sont pas synonymes, la première confine tout de même à la seconde dans les âges élevés. Compte tenu d'une variante de décohabitation basse ou haute, le nombre de personnes par ménage, qui était de 2,31 en 2005, pourrait passer à 2,08 ou 2,04 en 2030. Alors qu'on comptait un tiers de ménages d'une personne, cette proportion pourrait atteindre 43,2 %, voire 46 %, la proportion de personnes vivant seules passant de 14 % à 20,3 % ou 22,1 %.
Je conclurai mon exposé par une analyse de la dynamique des territoires à enjeux spécifiques. Trois types de territoires sont à distinguer.
Les territoires de la dynamique métropolitaine regroupent les aires urbaines comportant plus de 500 000 habitants et plus de 20 000 cadres des fonctions de gouvernance métropolitaines : Île-de-France, grandes métropoles régionales, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Strasbourg, Saint-Étienne...
Les territoires spécialistes de la valorisation des revenus sont ceux dont la principale source de revenus est « résidentielle » : revenus des retraites en grande partie, salaires des navetteurs et dépenses touristiques. C'est l'économie présentielle.
Les territoires en marge rappellent la « France du vide », formulation dont certains de mes collègues ne veulent pas entendre parler. Ce sont des territoires ruraux maillés de petites et moyennes villes en stagnation ou en déclin démographique entre 1999 et 2012.
Les incertitudes sont nombreuses. Les zones métropolitaines auront-elles l'aptitude à fonctionner dans le cadre de réseaux internationaux, européens a minima ? Si des potentialités existent, encore faut-il les transformer. Les territoires spécialistes de la valorisation des revenus parviendront-ils à se développer en cas de baisse du niveau des pensions ? Leur urbanisation rejaillira-t-elle de manière positive sur les territoires en perdition avec un regain à la marge ? Ces derniers seront-ils capables de connaître un développement intrinsèque ? Il faut en tout cas faire vite tant ils sont au bord du gouffre.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, ma vision, pas très optimiste certes, de la situation actuelle et de l'avenir. Elle s'inscrit dans la ligne suivie par Futuribles, celle d'un « catastrophisme éclairé », qui est, pour moi, le comble de l'optimisme : envisager le pire pour trouver les moyens à mettre en oeuvre afin d'empêcher qu'il ne se produise.
M. Roger Karoutchi, président. - Moi qui fus le principal collaborateur de Philippe Séguin pendant de nombreuses années, je connais bien la notion de pessimisme actif.
Il est une évidence que vous avez rappelée et sur laquelle nous pourrions tous nous accorder : face à un avenir loin d'être prometteur, il y aurait du sens à mener une véritable politique familiale au sens large, qu'il s'agisse de quotient familial, d'allocations familiales, de places en crèche, de mesures éducatives.
M. Philippe Kaltenbach. - En Europe, les différences entre les pays du Nord et les pays du Sud tiennent également au fait que, en Espagne et en Italie, notamment, les jeunes sont massivement touchés par le chômage, peinent à trouver du travail et à s'insérer dans la vie professionnelle. Quand on a 25 ou 30 ans, l'absence de perspectives d'emploi n'incite pas à fonder une famille.
Par ailleurs, vous n'avez, semble-t-il, pas du tout évoqué l'incidence extrêmement forte des flux migratoires. La France ne serait pas à ce niveau si elle n'avait pas connu d'importantes vagues d'immigration dans les années trente, cinquante, soixante qui ont contribué à revitaliser la population française.
Dans aucun de vos schémas prospectifs vous n'intégrez une éventuelle reprise de l'immigration dans l'hypothèse, nécessité faisant loi, d'un déclin démographique. Même si certains poussent des cris d'orfraie à l'évocation de cette question, elle mérite d'être posée.
M. Alain Parant. - Si la crise en Espagne, en Italie et en Grèce a effectivement eu un effet sur le taux de fécondité, notamment des plus jeunes adultes, cet effet est très récent, il remonte à la période 2012-2014. La fécondité en Espagne et Italie a baissé plus tardivement qu'ailleurs, au milieu des années soixante-dix, mais est descendue à 1,3 ou 1,4 enfant en moyenne par femme dès les années quatre-vingt-dix.
Le taux élevé de fécondité observé en France ne s'explique pas uniquement par la politique familiale. L'Allemagne ou la Suède mènent aujourd'hui une politique familiale beaucoup plus combative, en termes de rémunération du congé parental par exemple. Pourtant, la fécondité ne suit pas. La Suède s'est décidée à agir en 1986, quand elle s'est retrouvée au point bas de 1,5 enfant en moyenne par femme. En 1991, elle était remontée à 2,1. Ce n'était qu'un effet d'aubaine. La fécondité est ensuite redescendue. L'exemple suédois est utile pour montrer qu'il existe des niveaux de fécondité durablement hors d'atteinte pour les pays les plus développés.
Le vrai problème, en Espagne, était le manque de logements. On pouvait y avoir des enfants même en étant dans une situation de dépendance à l'égard de ses propres parents à la seule condition de ne pas vivre sous le même toit qu'eux. Il fallait donc des logements et ce n'est pas un hasard si c'est en Espagne que la crise des subprimes a produit ses plus graves effets. Les jeunes qui avaient contracté un emprunt pour se loger se sont retrouvés dans l'incapacité de le rembourser au moment de la crise économique.
En Italie, vous pouviez avoir des enfants même si vous n'aviez pas de logement mais à la condition d'être marié. La situation a ensuite évolué.
La France a-t-elle encore une politique familiale ? On peut en discuter. Le niveau relativement élevé de la fécondité s'explique par deux phénomènes. D'une part, les droits des enfants naturels et des enfants légitimes sont quasi identiques depuis une trentaine d'années ; or la part des naissances hors mariage atteint 60 %. D'autre part, on compte peu de femmes infécondes, de l'ordre de 12 % à 13 %. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, ce pourcentage monte à 20 %-22 %.
L'immigration est intégrée dans les calculs. Dans les projections que j'ai évoquées pour la France, on retient le nombre de 150 000 entrées nettes dans la variante du vieillissement minimal. Les projections d'Eurostat sur lesquelles je me suis appuyé pour mettre en évidence les effets propres du vieillissement démographique prennent également en compte le facteur migratoire, à un niveau élevé, mais inférieur à celui qui est actuellement observé. Or je pense que l'ampleur du phénomène migratoire, au-delà même de la question des réfugiés, sera bien plus importante car l'Afrique est dans une impasse démographique totale.
La population de ce continent a été multipliée par quatre entre 1950 et 2015. Elle est de un milliard aujourd'hui et pourrait encore quadrupler d'ici à la fin du siècle. Comme l'a montré la Banque mondiale dans son dernier rapport, la croissance y est encore très faible, car assise sur les matières premières et peu sur les produits manufacturés, et toujours fortement dépendante des importations. Sans compter les problèmes de gouvernance et une fécondité qui repart à la hausse. Les schémas imaginés en s'appuyant sur les évolutions passées de l'Asie et de l'Amérique latine ne valent pas pour l'Afrique. Le taux d'alphabétisation des femmes y est relativement plus faible, les pratiques contraceptives efficaces peu répandues pour des raisons essentiellement cultuelles, d'ailleurs. Ce continent est en outre à l'écart de la division internationale du travail.
Le rythme de croissance de la population africaine n'a pas d'équivalent dans le passé. Deux hypothèses sont envisageables : un regain de la mortalité ; ou une émigration massive, mais vers où ? Les projections d'Eurostat n'intègrent pas ce scénario de l'impasse démographique africaine. Il n'en demeure pas moins que le facteur migratoire est pris en compte.
Pour la France, j'ai mentionné les travaux de Michèle Tribalat : elle estimait en 2011 la population d'origine étrangère (immigrés plus première génération née en France) à 12,3 millions (sur les quelque 63 millions d'habitants Français métropolitains), compte tenu notamment de la forte vague d'immigration observée dans les années deux mille. La question clé reste celle de l'intégration des personnes immigrées et de leurs descendants dans un contexte de marché du travail aussi restreint. C'est un problème auquel, pour le moment, l'Allemagne n'est pas confrontée.
M. Roger Karoutchi, président. - Cela ne va peut-être pas durer.
M. Yannick Vaugrenard. - Les écarts constatés dans les projections démographiques mondiales en fonction de la variante retenue sont spectaculaires. Et vous avez bien fait de préciser, monsieur Parant, que les phénomènes migratoires étaient pris en compte car il est effectivement compliqué d'avoir une approche objective sur la question. Les causes des migrations ont évolué : l'insécurité, la pauvreté, le changement climatique, facteur de plus en plus déterminant, la pression démographique, que vous venez d'évoquer. Comment ne pas comprendre que les jeunes Africains n'acceptent pas les conditions de vie qui leur sont aujourd'hui proposées ?
S'agissant des schémas prospectifs élaborés en matière de retraites, je ne suis pas persuadé qu'ils intègrent un élément sur lequel nous avons pu débattre à l'occasion d'une précédente audition : l'automatisation de l'ensemble des métiers. Même si de nouveaux emplois seront créés et que la pression démographique restera élevée, on comptera probablement moins d'actifs demain, et ce quelles que soient les politiques publiques menées. Par conséquent, cette diminution attendue de la population active apparaît comme la variable fondamentale dans tous les calculs faits en vue d'assurer l'équilibre des caisses de retraites et accentue encore davantage les difficultés auxquelles nous devrons faire face.
Par ailleurs, vous avez bien rappelé cette évolution sociétale majeure qu'est le nombre de plus en plus important de personnes vivant seules. Vieillir seul coûte plus cher que de vieillir à deux. D'où une difficulté supplémentaire en matière de financement des retraites.
Voilà autant d'éléments qui soulignent le niveau de responsabilité que les politiques auront à assumer, bien au-delà d'ailleurs, faut-il le préciser encore une fois, des échéances électorales à venir. L'enjeu essentiel est là : serons-nous capables de dépasser l'immédiateté de l'action politique pour nous engager sur de véritables projets de société ?
M. Alain Parant. - Vous allez encore plus loin que moi dans le catastrophisme !
Sur l'emploi et la proportion d'actifs occupés, cela fait quelque temps que j'ose le dire sans être forcément suivi, nous devons nous attendre à des temps difficiles.
Dans La machine et le chômage, publié en 1980, Alfred Sauvy mettait en avant un phénomène de « déversement » des emplois dû à l'évolution du progrès technique, déversement du monde agricole vers un secteur industriel, puis de l'industrie vers un secteur tertiaire entendu au sens large et englobant, par exemple, l'agroalimentaire. Nombre de métiers industriels se sont fortement tertiarisés. C'est ce que j'appellerai la réserve ultime. Il reste encore en France de nombreux besoins non satisfaits, des offres d'emplois de base non pourvues, notamment en matière de services à la personne.
Contrairement aux pays du Nord, en France, la formation continue est insuffisamment mise en valeur et notre système éducatif loin d'être optimal. Au demeurant, favoriser l'adaptabilité tout au long de la vie ne résoudra pas la difficulté principale : identifier les emplois dont nous aurons besoin demain et anticiper la transformation des emplois actuels. Avec l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les métiers de soudeur ou de robinetier d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec ceux d'hier, d'où des difficultés accrues pour recruter faute d'une bonne adaptation de l'offre de formation.
Il existe effectivement une incertitude sur le volume d'emplois futurs et le nombre d'actifs occupés, mais l'échéance est tout de même lointaine. À un horizon de dix ou quinze ans, les besoins seront largement insatisfaits. J'invite donc les politiques à se relever les manches pour prôner des mesures qui donneraient, enfin, de bons résultats, en particulier en termes de taux d'emploi des plus âgés et des plus jeunes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Disons-le clairement, avec de plus en plus d'allocataires, de moins en moins d'emplois, la faute à l'amélioration fabuleuse de la productivité et la robotisation, la question centrale est : comment entretenir tous ces vieux ? Faut-il continuer à travailler le plus longtemps, le plus intensément possible ? À l'évidence, nous sommes dans une impasse. Peut-être est-ce dû à un biais de raisonnement, au fait que nous ne posions pas bien le problème. Dans le schéma actuel, on demande aux actifs de remplir les caisses, pour leur redistribuer l'argent une fois qu'ils ne le seront plus. Quid du niveau de rendement des placements effectués ? Ma foi, l'économie ne donnera que ce qu'elle pourra donner. Prenez l'assurance vie : les taux s'effondrent et certains fonds sont proches de la rupture.
Puisque problème de redistribution il y a, ne faudrait-il pas appréhender le capital accumulé au fur et à mesure du vieillissement en termes non pas de valeur monétaire mais de valeur d'usage, de qualité de vie ? Il s'agirait de développer une approche différente, de sortir du raisonnement assis sur la seule redistribution monétaire par le travail, qui, me semble-t-il, conduit à une impasse totale dans la mesure où il va concerner de moins en moins de personnes. Comment résoudre une telle aporie ?
Je m'inscris dans la ligne d'un catastrophisme éclairé. Il n'y pas de raison qu'on ne trouve pas de solution, surtout avec les nombreuses avancées technologiques. Je le redis, j'ai l'impression que c'est parce que l'on pose mal le dilemme que l'on n'arrive pas à progresser. Si je suis confus, j'en suis désolé, mais formaliser le problème n'est pas simple.
M. Alain Parant. - Le problème, ce n'est d'avoir du mal à le formaliser, c'est d'avoir du mal à l'accepter.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est déjà mieux !
M. Alain Parant. - Une nuance toutefois : en France, la capitalisation représente à peine 6 % du financement de la protection sociale.
M. Pierre-Yves Collombat. - Dans d'autres pays, c'est beaucoup plus !
M. Alain Parant. - Certes. La France continue de faire reposer son modèle sur une redistribution assise sur des prélèvements instantanés.
M. Pierre-Yves Collombat. - Cela nous a été présenté comme la solution miracle. Maintenant, un peu moins.
M. Alain Parant. - Dans les années quatre-vingt-dix, j'ai eu l'occasion de débattre de cette question de la capitalisation avec Denis Kessler qui, pour des raisons démographiques, prédisait l'effondrement du système français de retraite par répartition et mettait en avant les rendements moyens passés élevés des placements financiers mais ne se risquait pas à me garantir a priori les mêmes rendements futurs. Un ancien directeur de l'Ined, Jean Bourgeois-Pichat, a publié à la même époque, dans la revue Population, deux articles soulignant la difficulté de la transition d'un système de répartition vers un système de capitalisation, une transition faisant supporter une sorte de double peine aux actifs du moment.
Ce n'est pas parce que la retraite par capitalisation y est faiblement développée que la France n'est pas concernée. Rappelons que 60 % du CAC40, comme d'autres places boursières en Europe et ailleurs, sont la propriété de fonds de pension américains.
La Suède a réformé son régime de retraites en mettant en place un dispositif dit de « comptes notionnels », dans lequel le montant des retraites est indexé sur l'évolution de l'espérance de vie et de la croissance économique. Ce fut une véritable révolution copernicienne. Nous, nous n'en sommes qu'à des ajustements paramétriques.
Il y a une quinzaine d'années, j'avais plaidé pour une transmission accélérée des patrimoines, une piste de réflexion brillamment développée par André Masson avec son idée de « viager mutualisé ». Aujourd'hui, le patrimoine est détenu à 80 % par les 60 ans ou plus. L'âge moyen de l'héritier au décès de son deuxième parent, qui est l'élément déclencheur de la transmission patrimoniale, est de 60 ans. D'où l'idée de favoriser une transmission plus rapide, au bénéfice notamment des jeunes qui en auraient besoin pour acquérir un logement, même si certains d'entre eux, j'y reviendrai, n'ont pas toujours, en la matière, un comportement très conséquent.
Comment fonctionnerait ce viager mutualisé ? Je possède un patrimoine. Je le liquide, une partie sous la forme de capital pour faire bénéficier les jeunes générations, une partie sous la forme de rente, pour compléter ma pension de retraite et assumer les frais liés au grand âge et à la dépendance.
Pour ma part, je suis favorable à tout ce qui peut favoriser la mobilité des personnes dans le grand âge, je ne suis pas un partisan du maintien à domicile à tout-va.
Il faudrait pour ce faire une révolution des mentalités. Le viager n'est pas une idée populaire.
M. Philippe Kaltenbach. - Sauf au cinéma !
M. Alain Parant. - Dans le viager classique, il a des gagnants, qui touchent même parfois le jackpot, et des perdants. Le viager mutualisé joue sur la loi des grands nombres pour minimiser les risques. D'ailleurs, la Caisse des dépôts et consignations a récemment lancé un produit de ce type.
Pour l'instant, la France ne s'inscrit pas dans cette logique de transmission rapide. Ce pourrait aussi être un moyen de développer le logement. Soit on taxe les transmissions patrimoniales, soit on favorise le logement. Il faudrait pouvoir lever certaines rigidités françaises en matière de logement et construire là où les besoins existent, dans les zones de tension.
Je disais que les jeunes n'avaient pas un comportement forcément très conséquent. Qui dit zapping matrimonial dit, souvent, garde partagée, donc fardeau financier, et ce à un moment de la vie où l'on a des salaires modestes ou, pire, des difficultés pour entrer sur le marché du travail. Si vous ajoutez le fait que les plus anciens rechignent à transmettre leur patrimoine, faites le calcul : la génération de trentenaires aujourd'hui est mal partie pour accumuler du patrimoine, du moins massivement.
Dans les enquêtes européennes sur les modes de vie, les valeurs et les aspirations de la population, les seniors se montrent de moins en moins enclins à transmettre leur patrimoine rapidement. Ils estiment avoir déjà beaucoup donné à leurs enfants - les « enfants rois » - et entendent bien profiter à plein de ce patrimoine au cours de la retraite.
Il faut agir vite sur le patrimoine, y compris dans le domaine de l'assurance dépendance. La prestation spécifique dépendance (PSD) faisait l'objet d'une récupération sur la succession, pas l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), qui l'a remplacée : la PSD bénéficiait à 180 000 personnes, l'Apa, à 1,3 ou 1,4 million. Jusqu'à quel point va-t-on pouvoir financer la dépendance, dans un contexte de montée de la solitude et de retour de flamme de certains comportements, aussi bien chez les plus âgés que chez les plus jeunes ? La génération « kangourou » a pris le pas sur les Tanguy. On retourne vivre chez ses parents, même quand on a des enfants, ce qui n'est pas toujours bien vécu. Notre pays ne prend pas suffisamment en compte ces évolutions sociétales en matière de retraite ou de politiques sociales.
Pour livrer une opinion toute personnelle, je pense que l'on juxtapose trop de concepts philosophiques dans nos choix politiques. De quoi la politique familiale est-elle le nom quand une partie de la population est écartée du bénéfice des prestations familiales ? Quelque part, ces exclus peuvent se dire que la République ne veut pas de leurs enfants. Sous le prétexte de faire du social, pratiquement 90 % des allocations familiales sont versées sous condition de ressources. Autrement dit, ce n'est plus une politique familiale au sens où elle a été conçue.
Dans une vraie politique de redistribution, on inclut les prestations familiales dans le revenu imposable. Mais on ne mixe pas une politique sociale avec une politique familiale. Idem en matière de retraite. Les femmes ayant élevé des enfants ont droit à des trimestres de cotisation gratuits. Certains avantages sont supprimés pour pallier les difficultés de financement de la branche retraite. Pourquoi mixer politique sociale et politique vieillesse, politique de l'emploi et politique vieillesse comme dans le cas de la gestion par l'âge ? Ce n'est pas satisfaisant et il faudrait y remettre un peu d'ordre en stipulant : une politique égale une philosophie. Sinon, cela fait plus de mécontents que d'heureux.
M. Éric Jeansannetas. - La dynamique des territoires à enjeux spécifiques que vous nous avez présentée ne concerne que la France métropolitaine. Je souhaiterais avoir votre regard sur la France ultramarine, où démographie et pyramide des âges ne suivent pas les mêmes tendances.
M. Alain Parant. - À l'exception de Mayotte, qui bénéficie d'un apport important de population, l'outre-mer a vu sa fécondité s'effondrer. Ce problème démographique n'est pas nouveau puisqu'il est apparu dès les années quatre-vingt. J'avais essayé d'alerter à l'époque mais je n'ai pas été entendu. Les outre-mer cumulent les difficultés : vieillissement accéléré, sous-emploi massif, retour de métropole des néo-retraités. Ces derniers, par leur pouvoir d'achat, vont permettre de mettre un peu d'huile dans les rouages. Mais cela ne va pas durer longtemps et la contestation sociale, que l'on sent déjà monter, risque d'être très forte.
Je signale par ailleurs que les données démographiques ultramarines nous sont transmises en décalage, faute de recensements effectués aux mêmes époques. Qui plus est, elles ne sont pas aussi riches.
M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie, monsieur Parant, pour cette audition passionnante.