- Mercredi 10 février 2016
- Approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu - Examen du rapport et du texte de la commission
- Groupes de travail - Désignation de membres
- Enjeux économiques et financiers de la construction du Grand Paris Express - Audition conjointe de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec, président du conseil de surveillance, et Philippe Yvin, président du directoire, de la Société du Grand Paris
Mercredi 10 février 2016
- Présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 32.
Approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Éric Doligé, rapporteur. - Nous examinons ce matin deux conventions fiscales, l'une, avec la Suisse, sur le sujet particulier de l'échange d'informations, et l'autre, avec Singapour, de portée générale. L'Assemblée nationale a déjà examiné ces deux textes.
Il n'est pas nécessaire de rappeler - l'actualité s'en charge pour nous - combien une bonne coopération fiscale avec la Suisse est importante. Un seul chiffre permet de prendre toute la mesure des enjeux : 85 % des 45 000 régularisations effectuées depuis 2013 auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) proviennent de la Confédération helvétique. En février 2015, l'affaire « Swiss Leaks » révélait un vaste système de fraude fiscale organisée par la banque HSBC. En janvier 2016, les médias faisaient état de près de 38 000 comptes non déclarés, soit près de 12 milliards d'euros, détenus par des citoyens français auprès de la banque UBS.
Pourtant, les échanges de renseignements fiscaux entre la France et la Suisse sont, depuis 2009, régis par un dispositif juridique conforme aux derniers standards de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). La convention fiscale bilatérale de 1966, modifiée par un avenant du 27 août 2009, prévoit un mécanisme d'échange d'informations « à la demande », c'est-à-dire au cas par cas, grâce auquel l'État requérant peut obtenir des éléments de nature à prouver que certaines bases fiscales ont été illégalement soustraites à l'impôt.
En dépit de cette règle, la coopération demeurait difficile. En effet, la ratification de cet avenant avait été conditionnée par la Suisse à la signature d'un échange de lettres, daté du 11 février 2010, qui paraphrase l'avenant par des formulations ambiguës. Alors qu'il aurait pu être utilisé par la France pour appuyer ses demandes, cet échange de lettres est en pratique invoqué par la Suisse pour écarter de nombreuses requêtes, jugées « non vraisemblablement pertinentes » ou contraires à un « principe de proportionnalité ».
Le problème porte sur deux points précis. La Suisse se fonde sur l'échange de lettres, d'une part, pour interpréter strictement l'obligation de fournir le nom et l'adresse du contribuable visé - ce qui a notamment pour conséquence d'interdire à la France d'effectuer des « demandes groupées » sur plusieurs personnes à la fois, pourtant très utiles dans le cas d'entités liées entre elles ; d'autre part, pour imposer l'identification préalable de la banque ou l'établissement qui détient les informations, ce que par définition l'administration française ignore fréquemment. À défaut de ces éléments, la Suisse ne s'estime pas liée par les demandes.
C'est très précisément à ces insuffisances que s'est heurtée la demande effectuée par la France le 24 janvier 2013 dans le cadre de ce qui est devenu « l'affaire Cahuzac ». D'une manière générale, l'attitude vétilleuse des autorités suisses a bien souvent cette conséquence de rendre les réponses inutilisables - si elles sont transmises. Sur les 426 demandes effectuées entre le 1er janvier 2011 et le 15 avril 2013, seules 29 réponses ont été reçues par la France - soit 6,5 % du total - et 6 ont été jugées satisfaisantes.
Avec la modification des commentaires de l'OCDE sur son modèle et plus généralement la pression internationale croissante sur la Suisse, la mise en conformité du dispositif est devenue possible, et même inévitable. La négociation a toutefois pris du retard, en raison du rejet en 2014 par le Parlement suisse de la nouvelle convention bilatérale sur les successions, dans laquelle avait été inclus le nouveau dispositif. Il a donc été décidé d'élaborer un texte spécifique, qui a abouti au présent accord du 25 juin 2014.
Cet accord prévoit trois avancées notables.
Premièrement, il assouplit les conditions d'identification de la personne visée par la demande : celle-ci doit toujours être « identifiée », mais plus forcément par son nom et son adresse. Ceci constitue une réponse à la dissimulation parfois grossière du bénéficiaire effectif des avoirs derrière un prête-nom ou une structure intermédiaire. Par ailleurs, elle ouvre la possibilité de procéder à des « demandes groupées », conformément à une demande récurrente de la France et aux recommandations de l'OCDE.
Deuxièmement, cet accord met fin à l'obligation d'identifier au préalable l'établissement financier qui détient les informations recherchées. Le nom et l'adresse de la banque ne seront fournis par l'autorité requérante que dans la mesure où ils sont connus : en fait, c'est déjà ce que dit l'accord actuel, mais la nouvelle formulation « efface » son interprétation restrictive.
Troisièmement, l'accord prévoit une clause de portée générale, qui stipule que les éléments de la convention et du protocole « doivent être interprétés de manière à ne pas faire obstacle à un échange effectif de renseignements ». Il s'agit d'une sorte de précaution supplémentaire, recommandée par l'OCDE, et qui devrait prévenir d'éventuelles interprétations restrictives à l'avenir.
Ces trois améliorations sont de nature à éviter que l'administration suisse ne se dérobe. Cet accord s'applique aux faits survenus à compter du 1er février 2013, une portée rétroactive qui correspond opportunément au délai de prescription fiscale.
Bien sûr, le présent accord se limite à améliorer l'échange « à la demande » entre les deux pays, dispositif qui conserve sa faiblesse intrinsèque : il suppose de savoir au préalable ce que l'on cherche, ce qui est par définition rarement le cas, et repose in fine sur la bonne volonté des autorités interrogées.
Toutefois, il est raisonnable d'espérer que la Suisse mette en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici à 2018, comme elle s'y est engagée, avec 94 autres pays, le 29 octobre 2014 à Berlin, et comme elle le pratique déjà avec les États-Unis dans le cadre de la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act). La loi fédérale a été récemment modifiée afin de permettre la mise en oeuvre de ce dispositif, qui signe véritablement la fin du secret bancaire. L'échange automatique oblige en effet les États à transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, conformément à une « norme commune de déclaration » particulièrement exigeante présentée par l'OCDE l'année dernière.
La réelle amélioration de la coopération fiscale avec la Suisse devra bien sûr être confirmée dans les prochaines années, mais les premiers effets sont indéniables. La perspective de la levée du secret bancaire a d'ores et déjà conduit près de 45 000 « repentis » à se manifester auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) depuis 2013, produisant 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, 2,7 milliards d'euros en 2015, et probablement 2,1 milliards d'euros en 2016. La place de Genève, qui ne fait pas mystère de ces bouleversements, incite désormais ses clients à régulariser leur situation.
Nous n'en attendons qu'avec davantage d'impatience les chiffres du « jaune » budgétaire sur la coopération fiscale de la France avec ses partenaires... qui n'est étrangement plus disponible depuis deux ans. Compte tenu du contexte, j'interrogerai le ministre en séance publique à ce sujet.
Si le renforcement simultané de l'échange à la demande et de l'échange automatique ne mettra pas fin à la fraude fiscale internationale, il constitue néanmoins un progrès très important, qui aurait été difficilement concevable il y a seulement deux ou trois ans. C'est pourquoi toutes les initiatives politiques qui vont en ce sens doivent être soutenues avec constance et détermination.
Compte tenu de ces observations, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cet accord est-il de nature à régler toutes les questions liées aux frontaliers, y compris les problèmes parfois insolubles que posent les droits de succession ?
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'accord améliore, pour les ressortissants français, la transmission d'informations. Les questions touchant aux frontaliers relèvent de la convention fiscale dans son ensemble ; c'est un autre sujet.
M. Éric Bocquet. - Nous approuvons bien sûr cet accord, tout en souhaitant que l'on aille, comme le veulent l'OCDE et le Groupe d'action financière (GAFI), vers un accord multilatéral de transmission automatique d'informations qui règlera efficacement la question et rendra caduques, à terme, les accords bilatéraux.
Il reste beaucoup de chemin à faire : il n'est ici question que des particuliers ; il faudra aussi que l'on s'intéresse aux grands groupes et aux multinationales.
M. André Gattolin. - La France adresse de nombreuses demandes d'informations à la Suisse. La réciproque est-elle vraie ? La Suisse adresse-t-elle aussi à la France des demandes d'informations sur des citoyens helvétiques ou y a-t-il dissymétrie ?
La Suisse a longtemps fait preuve d'une mauvaise volonté flagrante à l'égard des demandes françaises, mais si j'ai bon souvenir, il me semble que dans l'affaire Cahuzac, il a aussi été reproché à l'administration française, placée sous l'autorité du ministre concerné, d'avoir volontairement retenu des formulations qui devaient amener une absence de réponse. N'y a-t-il pas là un effet pervers ?
M. Richard Yung. - C'est un accord relatif à l'échange des données que nous sommes appelés à examiner. La matière fiscale n'y est pas traitée. Au demeurant, bien des contentieux persistent en ce domaine avec la Suisse. Je rappelle que nous avons dénoncé la convention fiscale sur les successions, qui engagent des affaires immobilières extrêmement complexes. Si bien qu'un peu à la manière du Danemark, nous réglons les choses au coup par coup.
Cet accord sur l'échange de données représente un pas en avant important. La Suisse a toujours été très réticente : notre rapporteur a rappelé que les deux chambres du Parlement suisse ont rejeté, en 2014, l'accord qui leur était soumis, alors que la ministre fédérale et le secrétaire d'État aux finances plaidaient en sa faveur.
Cela dit, ainsi que l'a également souligné le rapporteur, c'est l'entrée en vigueur d'un accord européen sur l'échange automatique qui constituera le vrai progrès. Comme les États-Unis, qui grâce à leur puissance ont pu imposer un tel accord à la Suisse, nous finirons par y arriver. J'ai assisté, à Berne, à une réunion où l'on a vu les seize plus grands banquiers de la place jurer, la main sur le coeur, que la banque suisse ne serait plus que transparence et clarté. Acceptons-en l'augure.
L'un des points importants est l'intégration des cantons dans le dispositif, car une grande partie de la fiscalité est cantonale. Les « négociations » que l'on connaît ont lieu localement : il est essentiel que les cantons transmettent les informations sur les accords de rescrit auxquelles elles donnent lieu.
Mme Fabienne Keller. - Cet accord sur les échanges de données est-il de nature à améliorer la situation des transfrontaliers, qui estiment subir une double imposition, tant au titre du revenu que des cotisations sociales, notamment de retraite ? J'aimerais une réponse circonstanciée sur ce point.
Richard Yung a évoqué les cantons. L'accord est-il bien applicable tant dans les douze cantons qu'au niveau fédéral, soit pour l'ensemble des données ?
M. Marc Laménie. - A-t-on un aperçu de ce que peut apporter cet accord pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscale ? Dispose-t-on d'une estimation de ce phénomène ?
M. Roger Karoutchi. - Je voterai ce texte mais reste assez sceptique. Pour avoir entamé, comme ambassadeur de la France auprès de l'OCDE, les négociations avec la Suisse, j'ai souvenir qu'elle se montrait alors parfaitement fermée à toute demande française. Les choses se sont très mal passées jusqu'en 2012, après quoi la Suisse, sous la contrainte des affaires, a un peu évolué. Le Gouvernement suisse a alors établi trois niveaux d'échange de données. Le premier, basique, portait sur des informations élémentaires ; le deuxième consistait en une remise d'information sur demande ; le troisième, qu'il n'a jamais voulu atteindre, concernait l'échange automatique, qui devait conduire les autorités suisses à transmettre d'elles-mêmes des informations en cas de soupçon de fraude. Où en est-on ? Pour moi, la Suisse en reste à l'information sur demande, sans aller jusqu'à un engagement global, comprenant l'échange automatique.
M. François Marc. - Vous indiquez que la Suisse devrait mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations à compter de 2018. Mais s'en tiendra-t-elle au plus petit commun dénominateur, et les exceptions déjà reconnues par FATCA deviendront-elles la règle ? Existe-t-il, au niveau européen, une action coordonnée pour négocier avec la Suisse les modalités de mise en oeuvre du dispositif ?
M. Alain Houpert. - Quid des demandes d'information sur des binationaux ? La Suisse les décline-t-elle, considérant que ces binationaux sont Suisses ou bien considère-t-elle leur nationalité française ?
M. Éric Doligé, rapporteur. - Éric Bocquet a raison de dire qu'il faut aller vers un accord multilatéral. Le présent accord est bilatéral, c'est déjà un premier pas.
J'indique à André Gattolin que nous ne disposons pas des chiffres sur les demandes d'informations de la Suisse, puisque le « jaune » budgétaire fait défaut depuis deux ans. En revanche, nous savons qu'il y a une grande une dissymétrie : les demandes adressées par la France sont nombreuses, celles adressées par la Suisse sont rares.
M. André Gattolin. - Il y en a donc quelques-unes.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Richard Yung a témoigné de sa maîtrise du sujet. Les cantons devraient être soumis aux mêmes contraintes que le Gouvernement fédéral, car le présent accord vise les États et leurs collectivités territoriales.
En réponse à Fabienne Keller, qui s'est interrogée sur la double imposition des frontaliers, je précise que cette question n'est pas couverte par le présent accord, qui ne porte que sur l'échange de données. Il devra être traité dans un autre cadre.
En réponse à Marc Laménie nous ne disposons pas d'information globale sur les montants de la fraude et de l'évasion fiscales. Nous n'avons connaissance que des montants récupérés chaque année par le STDR, que j'ai cités, et qui devraient être de 2,1 milliards en 2016.
Je comprends le scepticisme de Roger Karoutchi. On a vu par le passé qu'en dépit des accords signés, la Suisse s'exonérait assez facilement de délivrer les informations, en se montrant pointilleuse sur les lettres de demande et la réciprocité. Mais la loi récemment votée l'oblige désormais à transmettre automatiquement ces informations. Le principal effet de cette loi est qu'elle a jeté le trouble chez ceux qui ont un compte en Suisse, dont beaucoup ont choisi de régulariser.
Pour répondre à François Marc, le standard de l'OCDE est plus large que le FATCA. Les Américains, grâce à leur poids, ont déjà beaucoup obtenu, et l'on peut espérer qu'à partir de 2018, grâce à l'engagement pris avec 94 autres pays, l'échange automatique d'information devienne réalité. J'ajoute, en réponse à André Gattolin, que la France et l'Union européenne ont signé en 2015 un accord permettant la mise en oeuvre l'échange automatique.
À Alain Houpert, qui s'interroge sur le traitement réservé par la Suisse aux demandes concernant des binationaux, j'indique que le critère retenu est celui de la résidence : la Suisse transmet les informations qu'elle détient sur les non-résidents fiscaux aux États dont ils sont résidents fiscaux. Si un binational franco-suisse est résident fiscal en France, ses informations seront transmises.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée.
Approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Éric Doligé, rapporteur. - Alors que l'accord avec la Suisse vise à répondre à un problème ponctuel et précis, le présent accord avec Singapour s'inscrit dans le mouvement continu de renégociation de nos conventions fiscales, engagé depuis plusieurs années.
L'actualité, pourtant, n'est jamais loin. D'abord parce que certaines informations demandées à la Suisse auraient pu opportunément être demandées à Singapour à l'époque... Ensuite, et surtout, parce que cette convention a été négociée dans le contexte agité des débats sur le projet « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE, qui vise à lutter contre la délocalisation abusive des bénéfices.
Ces débats nous rappelé qu'une convention fiscale n'est pas seulement un texte technique. C'est un acte politique. Ce n'est pas sans raison que notre commission avait organisé, le 1er juillet dernier, une audition conjointe sur le thème de la diplomatie fiscale. De fait, c'est dans une convention fiscale que se joue la répartition entre les États du droit d'imposer les bases fiscales, et donc sur le partage des fruits de la croissance mondiale. Et c'est dans une convention fiscale que les entreprises et les particuliers trouvent, ou pas, une incitation à aller investir et s'installer dans un autre pays.
En l'espèce, cette convention fiscale signée le 15 janvier 2015 viendra se substituer au texte actuel, qui date du 9 septembre 1974 et ne correspond plus à la réalité des échanges économiques entre les deux pays.
Plaque tournante du commerce et des investissements en Asie du Sud-est, premier partenaire de la France dans la région, hub portuaire et aéroportuaire majeur, Singapour a en effet vu son économie évoluer en profondeur, délaissant en quatre décennies les activités manufacturières au profit d'une spécialisation en finance et en innovation dans les activités à haute valeur ajoutée - chimie, pharmacie etc. Très exposée au retournement de la conjoncture mondiale, la cité-État cherche aujourd'hui à attirer de nouveaux investissements dans ces secteurs de pointe. Cela tombe bien : la France y excelle. Ses champions industriels et ses ingénieurs bien formés ne pourront que tirer parti d'un nouveau cadre fiscal, plus favorable aux investissements et aux échanges commerciaux.
Le texte de l'accord est, en pratique, très proche modèle de base élaboré en 2010 par l'OCDE. Il n'en demeure pas moins que chaque clause a fait l'objet d'une négociation : les différences avec le modèle résultent des compromis entre les deux pays, ainsi que d'une volonté de conserver « ce qui fonctionne » dans la convention de 1974, afin de ne pas créer d'incertitude juridique.
Par rapport à l'accord de 1974, la nouvelle convention fiscale offre un cadre plus favorable aux investissements, ce qui pourrait d'abord profiter aux entreprises françaises.
En premier lieu, la retenue à la source opérée sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 %. Comme les investissements français à Singapour excèdent les investissements singapouriens en France, ceci permettra aux entreprises françaises y détenant des filiales de faire « remonter » plus facilement leurs bénéfices vers la France.
En deuxième lieu, les intérêts sont exonérés de la retenue à la source de 10 % s'ils résultent de prêts inter-entreprises, ce qui est un mode de financement très utilisé par les entreprises françaises.
En troisième lieu, une clause particulière permet de protéger le régime français des sociétés d'investissement immobilier, notamment celui des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC), qui est particulièrement favorable. Celles-ci se verront appliquer la législation de leur État, en l'occurrence une retenue à la source de 30 % sur les dividendes distribués à des non-résidents, en lieu et place de la retenue à la source de 5 % prévue par la convention.
En quatrième lieu, un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois pour être considéré comme un « établissement stable », et donc imposable à Singapour, contre six mois auparavant.
Enfin, la présence française à Singapour est également encouragée par le maintien de clauses particulièrement favorables, déjà présentes dans le texte de 1974, pour les étudiants, stagiaires, apprentis et enseignants.
Dans le même temps, la nouvelle convention fiscale préserve le droit des États à imposer des activités sur leur territoire. On signalera notamment trois clauses.
D'abord, le maintien d'une imposition à la source des redevances provenant d'activités littéraires et artistiques. Ce n'est pas grand-chose par rapport au droit commun de l'imposition à la résidence, mais cela devrait tout de même bénéficier surtout à Singapour.
Ensuite, l'introduction de la notion d'établissement stable de services. Aujourd'hui, il n'est pas toujours facile de dire si une prestation de services relève d'un établissement stable ou pas. L'introduction de cette notion, certes de nature à profiter à Singapour, va surtout dans le sens d'une meilleure sécurité juridique pour les entreprises. Son seuil de déclenchement - douze mois sur quinze, au lieu de six mois sur douze dans les autres accords récents - demeure toutefois très favorable aux prestataires français.
Enfin, la suppression du système des crédits d'impôt forfaitaires : ce mécanisme ancien permettait de réduire de 10 % à 15 % l'impôt payé en France - quel que soit le montant réel de l'impôt payé à Singapour. Le Trésor public français en sera le grand bénéficiaire, après la fin de la période de transition. Le système des crédits d'impôt forfaitaires, qui représentait une forme de subvention à l'exportation vers les pays en développement, paraît aujourd'hui anachronique dans le cas d'un pays comme Singapour. Il sera remplacé par un crédit d'impôt égal au montant réellement acquitté à Singapour, conforme au modèle OCDE.
La convention comporte enfin une série d'améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l'optimisation fiscale abusive.
Relevons, notamment, l'introduction d'une clause anti-abus générale, visant à combattre les montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, de tirer indûment un avantage fiscal des stipulations de la convention. Les clauses de ce type, systématiquement introduites par la France dans les nouveaux accords, ont d'ores et déjà permis à l'administration fiscale d'effectuer des redressements.
Un autre point important est le renforcement du mécanisme d'échange d'informations à la demande. Celui-ci était déjà conforme au dernier standard de l'OCDE depuis la signature de l'avenant du 13 novembre 2009 à la précédente convention, mais il est dorénavant précisé que les renseignements obtenus peuvent être utilisés, sous conditions, à d'autres fins que des fins fiscales, comme la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La coopération fiscale avec Singapour est satisfaisante, et devrait encore être renforcée par le prochain passage à l'échange automatique, auquel la cité-État s'est engagée à horizon 2018.
Bien sûr, la présente convention fiscale n'est pas exempte de critiques. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'un texte de ce type est toujours le résultat d'un compromis, et qu'il est difficile d'obtenir satisfaction sur tous les points.
On peut tout d'abord regretter l'absence de clauses traitant des sociétés de personnes et entités transparentes, qui figurent pourtant dans d'autres conventions récentes. L'interposition de ces entités, notamment en matière immobilière, constitue pourtant un montage courant - pour ne pas dire grossier - pour échapper à l'impôt. En théorie, la doctrine administrative interne et l'interprétation actuelle des deux parties permettent de régler la plupart des cas. Mais quelques précautions supplémentaires dans l'accord eussent été bienvenues, pour se prémunir contre d'éventuels conflits d'interprétation à venir.
Ensuite, on note l'absence de clauses anti-abus « sectorielles », par exemple sur les intérêts, dividendes et redevances, comme c'est le cas dans les autres accords récemment signés par la France. La clause générale a toutefois vocation à couvrir l'ensemble des possibles abus, et devrait être dorénavant privilégiée dans la pratique conventionnelle de la France.
D'une manière générale, les avantages certains de cet accord l'emportent nettement sur ses quelques faiblesses. Ce texte, très attendu par les acteurs économiques, devrait marquer une étape importante du développement des relations économiques entre la France et Singapour, pour le bénéfice mutuel des deux États, de leurs entreprises et de leurs citoyens. Compte tenu de ces observations, et considérant que ses avantages sont très supérieurs aux quelques inconvénients qui demeurent, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi sans modification.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous avez évoqué une retenue à la source de 5 % sur les dividendes. Mais qu'en est-il dans le cadre d'une activité offshore ? Je pense aux sociétés enregistrées à Singapour mais n'y exerçant pas leur activité. Comment l'administration française considère-t-elle de tels dividendes lorsqu'ils sont perçus par un ressortissant français ? Il me semble que s'il n'y a pas, comme c'est le cas à Hong-Kong, d'imposition sur les bénéfices offshore, elle ne peut se prévaloir du crédit d'impôt ?
M. Éric Doligé, rapporteur. - S'il s'agit d'un montage dont l'objectif est la dissimulation, il devrait tomber sous la clause anti-abus de la convention, et sous les dispositions de notre droit interne.
M. Richard Yung. - L'objectif est d'encourager les fonds étatiques singapouriens à investir en France, mais n'oublions pas qu'une importante communauté de quelque 10 000 citoyens français est établie à Singapour, où les intérêts français sont principalement investis dans la finance et l'immobilier. La société Dragages est ainsi le principal constructeur de l'île. Cette convention n'est donc pas indifférente pour la communauté française.
L'autre objectif est de prévenir la fraude fiscale et les abus, sachant que Singapour est en quelque sorte devenue une alternative à la Suisse, et que les banques suisses, lorsqu'elles ont fermé certains comptes, ne manquaient pas d'adresser leurs clients à un correspondant de bonne volonté sur l'île... Toutes les clauses de la convention sur lesquelles vous avez insisté sont donc bienvenues. Nous voterons ce texte, qui constitue un progrès.
M. Éric Bocquet. - Singapour est un territoire plus particulier encore que la Suisse, avec laquelle les choses ont progressé parce que les Américains ont pesé de tout leur poids.
La présente convention, qui compte de nombreux articles très détaillés, appelle de notre part une analyse fouillée et c'est pourquoi nous réserverons pour l'instant notre vote, afin de vérifier que ce texte répond bien aux objectifs de transparence que nous appelons de nos voeux.
M. André Gattolin. - Comme Éric Bocquet, j'estime que ces conventions bilatérales ont un sens mais qu'elles s'inscrivent aussi dans la politique globale de l'Union européenne. Je rappelle qu'un traité commercial a été signé entre l'Union européenne et Singapour en 2013, puis un traité d'investissement - avec d'ailleurs une fameuse clause d'arbitrage ISDS (Investor-State Dispute Settlement) qui fait l'objet d'un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne, laquelle doit décider s'il s'agit d'un traité mixte dont certaines clauses devraient être ratifiées par les parlements nationaux.
D'où ma question : la convention ici proposée a-t-elle des équivalents entre Singapour et d'autres pays de l'Union européenne ou bien jouons-nous les pionniers ? Quelle cohérence globale entre ce texte et les accords d'investissement négociés puis ratifiés par l'Union européenne ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je veux insister sur l'importance des relations avec Singapour. Présidente du groupe d'amitié du Sénat, je suis aussi l'élue d'un département qui compte la plus grande communauté singapourienne de France, sur la base de Cazaux. Nos relations avec Singapour sont étroites en matière de défense, et nous assurons la formation des pilotes de la cité-État, dont il ne faut savoir qu'ils se retrouvent très vite, en vol, au-dessus du territoire de la Malaisie. J'insiste sur ces relations, qui ont un impact économique fort.
Sur le plan financier, enfin, Singapour est une place très forte et très solide. Si elle perdait son triple A, cela poserait bien des difficultés. Pour toutes ces raisons, j'estime que la France doit travailler étroitement avec l'île, sans se limiter aux relations nouées dans un cadre européen.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Richard Yung connaît bien la situation locale. L'important est en effet de régler le problème de la fraude fiscale, grâce à un accès aux données - ce qui est aussi de nature à améliorer la fluidité des investissements.
Éric Bocquet demande si cette convention permet d'atteindre l'objectif de transparence. Les accords bilatéraux ne permettent sans doute pas de régler tous les problèmes, mais ils nous font avancer vers cet objectif. L'analyse détaillée qu'il entend mener de ce document sera l'occasion de poser des questions, auxquelles il sera répondu en séance, mais dès à présent, nous pouvons considérer que ce texte constitue une avancée significative au regard de la situation antérieure.
André Gattolin a rappelé l'existence d'accords au niveau européen, dont un accord d'investissement de 2015. Cet accord stipule cependant que les clauses des conventions fiscales bilatérales l'emportent sur celles de l'accord d'investissement.
Enfin, dans l'intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx, qui a témoigné de nos relations fortes avec Singapour, j'ai bien senti le souhait de voir la France connaître une situation aussi florissante.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour.
Groupes de travail - Désignation de membres
MM. Éric Bocquet, Michel Bouvard, Michel Canevet, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Philippe Dallier, André Gattolin, Charles Guené, Bernard Lalande et Albéric de Montgolfier sont désignés membres du groupe de travail sur les assiettes fiscales et les modalités de recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial, MM. Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, MM. Thierry Foucaud, Roger Karoutchi, Mme Fabienne Keller, MM. François Patriat et Daniel Raoul sont désignés membres du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport.
MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, François Marc et Jean-Claude Requier sont désignés membres du groupe de travail sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
M. Vincent Delahaye, président. - Nous sommes tous d'accord pour que le rapporteur général, qui a bien d'autres activités et ne peut faire partie de tous les groupes de travail, puisse participer à leurs travaux en tant que de besoin.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Souhaitons que l'administration fasse preuve de bonne volonté dans la transmission des simulations pour la DGF.
M. Vincent Delahaye, président. - La ministre Marylise Lebranchu nous a assuré lors de son audition la semaine dernière que nous disposerions de toutes les simulations souhaitées. Je ne doute pas que notre rapporteur général, membre de droit, en sa qualité, du groupe de travail, saura y veiller.
La réunion est suspendue à 10 h 25.
Enjeux économiques et financiers de la construction du Grand Paris Express - Audition conjointe de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec, président du conseil de surveillance, et Philippe Yvin, président du directoire, de la Société du Grand Paris
La réunion est ouverte à 10 heures 31.
M. Vincent Delahaye, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, président du conseil de surveillance, député-maire de Cachan, et M. Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris.
C'est la première fois depuis sa création en 2010 que nous recevons la Société du Grand Paris pour une audition. Nous avons naturellement vocation à nous intéresser aux grands opérateurs de l'État, surtout quand, comme c'est le cas aujourd'hui, il s'agit d'un opérateur qui va dépenser 25 milliards d'euros dans les années à venir.
Cette audition est aussi d'actualité, puisque nous avons décidé de créer un groupe de travail sur le financement des infrastructures de transports. Elle marque en quelque sorte le lancement de ce groupe de travail.
Enfin, elle permettra peut-être également de réagir à l'annonce du Premier ministre, samedi dernier d'une contribution exceptionnelle de l'État pour le financement de la ligne de RER Éole.
La Société du Grand Paris a été créée par la loi du 3 juin 2010. Elle a pour mission principale de concevoir et d'élaborer le schéma d'ensemble et les projets d'infrastructures composant le réseau de transports publics du Grand Paris baptisé Grand Paris Express et d'en assurer la réalisation.
Ce réseau est constitué de soixante-douze gares, que la Société du Grand Paris a pour mission de construire et d'aménager, et de deux cents kilomètres de lignes nouvelles interconnectées au réseau existant - métro, RER et Transilien.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris. - Je préside le conseil de surveillance de la Société du Grand Paris depuis juillet dernier, succédant à André Santini, qui avait été nommé par le Gouvernement lors de la précédente mandature. La tradition qui s'est installée veut que ce soit un maire qui préside le conseil de surveillance. Préalablement, je présidais le comité stratégique de la Société du Grand Paris.
La gouvernance de la Société du Grand Paris est composée du directoire, du conseil de surveillance qui regroupe les représentants de l'État, ceux de chaque département et de la région Île-de-France, co-financeurs du projet et enfin du comité stratégique, qui regroupe les maires ou les chefs d'exécutif des intercommunalités de l'ensemble des territoires accueillant soit une gare, soit le réseau.
Ce comité stratégique a été installé en même temps que les autres instances lors de la mise en place de la Société du Grand Paris. Sa vocation est de créer une instance de réflexion des maires et des exécutifs locaux.
Sur le fond, je voulais simplement préciser que la Société du Grand Paris a été installée dans le cadre du dispositif législatif que portait Christian Blanc, secrétaire d'État chargé du Grand Paris. La Société du Grand Paris visait à façonner l'avenir de la métropole parisienne à travers l'un de ses enjeux, celui de la mobilité en tentant de relayer les grands sites aéroportuaires et de développement économique.
Les deux assemblées ont fait évoluer le projet jusqu'à en faire un projet de développement territorial à vocation économique - renforcer la métropole dans la compétition mondiale - mais, dans le même temps aussi, faire en sorte que les Franciliens, et notamment les Parisiens de la première urbanité, trouvent un moyen de circuler dans des conditions de confort. Je ne vous fais pas de dessin sur la réalité actuelle de cette situation...
M. Francis Delattre. - Les relégués vont pouvoir s'exprimer !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. - Bien évidemment, le projet a été conçu pour permettre une mobilité entre banlieues. Quand vous habitez dans ma commune du Val-de-Marne, pour aller de l'autre côté du département, vous êtes obligés de rentrer dans Paris. Les dysfonctionnement du système de transports actuel en Île-de-France le conduisait à l'embolie. Nous savions très bien que, dans les vingt années à venir, il ne serait plus possible de faire fonctionner le système.
Dans un deuxième temps, cette commande passait par une redistribution des dispositifs, et notamment le fait que tous les territoires non visités, quels qu'ils soient dans la région francilienne, en bénéficient. Je répondrai volontiers à vos questions sur l'enjeu de la réorganisation de l'ensemble des fonctionnalités de mobilité pour permettre à l'ensemble des Franciliens de profiter de ce dispositif.
Le dispositif a été mis en place. Il est actuellement à l'oeuvre, puisque la ligne 15 Sud est en cours de réalisation.
Je voulais terminer mon propos en rappelant qu'on ne peut opposer les territoires entre eux. C'est une grande difficulté que de rentrer à la fois dans la mise en oeuvre d'un projet qui va, dans les dix ans à venir, constituer une réponse aux difficultés de mobilité des Franciliens, tout en étant par ailleurs dans le questionnement et l'amélioration du réseau actuel, qui dysfonctionne, qui est malade, notamment les RER, du fait de l'absence d'interventions et de travaux. La Cour des comptes vient d'évoquer cette période de trente ans pendant laquelle les réseaux existants ont souffert de sous-investissements chroniques.
Une question lancinante est donc évoquée dans les territoires chaque fois que les dispositifs sont en oeuvre, dans les réunions publiques, etc., celle d'arriver à faire aboutir ce grand projet, qui est sûrement le premier grand projet d'infrastructure que notre pays assume aujourd'hui. Il convient toutefois, dans le même temps, de ne pas écarter les enjeux pour améliorer le dispositif et le réseau actuel. C'est tout l'enjeu de la conciliation entre le projet du Grand Paris Express et le plan de mobilisation pour les transports porté par la région Île-de-France, qui a avant tout vocation à améliorer le réseau existant.
M. Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris. - Comme l'a indiqué à l'instant Jean-Yves Le Bouillonnec, le projet du Grand Paris Express est l'une des composantes du plan d'amélioration des transports en Île-de-France qui résulte de l'accord entre les élus régionaux et le Gouvernement intervenu successivement en 2011 sous l'égide de Maurice Leroy, puis en 2013, sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
En ce qui concerne le Grand Paris Express lui-même, il s'agit de réaliser un nouveau réseau de métro entièrement automatique de deux cents kilomètres. Il s'agit aussi de prolonger la ligne 14 du métro existant pour assurer une meilleure liaison entre le coeur de l'agglomération parisienne et l'aéroport d'Orly.
Toutes ces lignes constituent des projets qui sont menés en parallèle. Chaque ligne progresse à son rythme en fonction des études et des travaux qui, comme le rappelait Jean-Yves Le Bouillonnec, vont commencer bientôt, notamment sur la ligne 15 Sud.
Ce projet représente aujourd'hui, en prenant en compte les décisions du Premier ministre annoncées le week-end dernier, un ensemble financier d'environ 28 milliards d'euros, qui se décomposent en 24,5 milliards d'euros pour les lignes du Grand Paris Express, leur conception et leur réalisation, auxquels il convient d'ajouter une contribution de la Société du Grand Paris au plan de mobilisation des transports en Île-de-France pour environ 3 milliards d'euros, afin de financer notamment l'amélioration des RER - les schémas de modernisation des RER - ainsi que les interconnexions.
Pour répondre à la remarque qui a été faite il y a quelques instants, l'enjeu de ce nouveau réseau n'est pas seulement de construire deux cents nouveaux kilomètres de métro, mais également de veiller à ce qu'il soit connecté avec l'ensemble du réseau existant : les interconnexions sont presque aussi importantes que la construction du réseau lui-même.
Cela signifie que l'ensemble des lignes de RER, du métro historique et des Transiliens vont être connectées au nouveau réseau à au moins un point d'interconnexion. Ceci permettra aux habitants de la grande couronne et, au-delà, aux salariés qui viennent des départements voisins tous les jours pour travailler en Île-de-France d'avoir accès au réseau grâce à ces points d'interconnexion, et de gagner ainsi beaucoup de temps dans leur trajet quotidien entre leur domicile et leur travail.
Nous prenons également grand soin de préparer l'intermodalité, qui suppose un aménagement des espaces publics autour des gares. Cette intermodalité, nous la voulons numérique et électrique, c'est-à-dire totalement dématérialisée : avec votre Smartphone, vous pourrez demain prendre le Grand Paris Express et, pour faire le dernier kilomètre, trouver les aménagements nécessaires autour des gares pour prendre un véhicule électrique, un vélo, le bus. Il faudra pour cela réorganiser les lignes de bus autour des soixante-huit nouvelles gares, chiffre arrêté aujourd'hui, les trois lignes du prolongement de la ligne 11 étant réalisées sous l'égide de la RATP.
La Société du Grand Paris a également vocation à acquérir le matériel roulant qui va circuler sur ces lignes. Celui-ci sera ensuite racheté par le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF). Nous estimons à environ deux milliards d'euros le montant que nous consacrerons à l'acquisition des trains nécessaires pour circuler sur ces lignes.
La Société du Grand Paris développe également autour des gares, sur le foncier qu'elle acquiert des opérations immobilières et des opérations d'aménagement. En effet, la loi du 3 juin a donné compétence à la société pour compléter son intervention en tant que réalisateur du nouveau réseau de transports par des opérations connexes portant sur le foncier des gares et des opérations d'aménagement, toujours en accord avec les maires concernés.
Le modèle de financement de la société repose pour l'essentiel sur des ressources fiscales affectées par le Parlement, qui a décidé, dans la loi de juin 2010, de lui affecter trois recettes spécifiques : la taxe locale sur les bureaux en Île-de-France, la taxe spéciale d'équipement et l'imposition forfaitaire sur les entreprises du réseau (IFER).
Ces recettes représentent environ 500 millions d'euros aujourd'hui, et ont donc vocation à permettre le remboursement d'emprunts à très long terme, qui vont être contractés au fur et à mesure de l'avancement des travaux par la Société du Grand Paris.
La Société du Grand Paris bénéficiera aussi, quand le réseau sera mis en service, de recettes d'exploitation que paieront les exploitants, sous forme de péage, comme ceux que perçoit Réseau ferré de France (RFF) aujourd'hui pour les voies ferrées, soit environ 200 millions d'euros, et de recettes domaniales venant de ses propriétés - commerces, publicité, recettes issues du numérique - le tout représentant environ 40 millions d'euros par an, qui viendront s'ajouter aux recettes parafiscales.
La Société du Grand Paris dispose actuellement, du fait qu'elle perçoit des taxes depuis 2010, d'une trésorerie importante d'environ 900 millions d'euros. Il lui faut néanmoins d'ores et déjà avoir recours à l'emprunt. Pour cela nous avons conclu deux accords, l'un avec la Caisse des dépôts et consignations et l'autre avec la Banque européenne d'investissement (BEI), ce qui représente pour chacune des deux institutions environ 4,5 milliards d'euros.
Nous bénéficions également pour nos études, à hauteur de 30 millions d'euros, d'une subvention de l'Union européenne, au titre du programme d'interconnexion pour les grandes agglomérations européennes. Nous venons également de bénéficier de subventions du Programme investissement d'avenir au titre des innovations apportées par la conception du métro.
La montée en puissance du projet se traduit dans notre budget, puisque celui-ci comportait environ 650 millions d'euros de dépenses en 2015 tandis que le budget 2016 s'élèvera à 1,11 milliard d'euros.
La ligne 15 Sud, qui sera la première à entrer en service d'ici la fin 2022, entre le Pont de Sèvres, à Boulogne-Billancourt, et Noisy-le-Grand, à Champs-sur-Marne, représente huit lots de génie civil, pour un montant d'environ trois milliards d'euros de marchés de travaux publics. L'ensemble de ces marchés sera lancé d'ici la fin de ce premier semestre et attribué d'ici un an. C'est évidemment, pour les entreprises de travaux publics qui connaissent en ce moment quelques difficultés, un chantier important.
M. Vincent Delahaye, président. - Je vais me permettre de poser quelques questions sur un sujet que je connais bien, et dans lequel la ville dont je suis le maire est impliquée.
Je m'interroge avant tout sur le financement de ce grand projet, qui me semble essentiel pour la région Île-de-France - même si certains peuvent s'estimer oubliés ou insuffisamment bien traités. Le fait d'avoir une liaison de banlieue à banlieue et de pôle économique à pôle économique, sans forcément passer par le coeur de Paris, est capital pour le développement de notre région Île-de-France.
Pour ce qui est du financement, vous nous indiquez des recettes annuelles - taxe sur les bureaux, taxe spéciale d'équipement, taxe sur les IFER - qui représentent 500 millions d'euros. 500 millions d'euros pour financer 28 milliards d'euros me paraît, même sur une très longue durée, insuffisant même si les taux sont bas aujourd'hui. Vous indiquez pouvoir emprunter 9 milliards d'euros à relativement court terme. N'y a-t-il pas encore des incertitudes sur le financement global ? J'ai l'impression qu'il y en a plus que ce vous voulez bien nous dire...
J'avais proposé, en son temps - et je propose toujours - que l'on puisse prévoir une taxe sur des plus-values immobilières autour des gares. Je pense qu'il s'agit d'équipements qui apportent une valeur ajoutée aux propriétaires. Si certains territoires n'en veulent pas, ils peuvent la refuser, mais pour ceux qui la souhaitent, je pense qu'il ne serait pas aberrant qu'une partie de cette valeur ajoutée serve au financement de ces équipements.
En tout état de cause une taxe de cette nature serait justifiée d'un point de vue économique et permettrait sans doute de réaliser plus rapidement cette infrastructure indispensable à l'Île-de-France. Je voudrais connaître votre sentiment sur cette proposition.
Je voudrais également savoir à quels projets vont être affectés les 3 milliards d'euros dont vous avez parlé concernant la modernisation des transports de la région visant à améliorer les réseaux existants. Des précisions ont-elles déjà été apportées ou les choses sont-elles encore en cours de discussion ?
Par ailleurs, comment ce projet du Grand Paris Express peut-il s'articuler avec les projets de candidature de la région aux jeux Olympiques de 2024 et à l'exposition universelle de 2025 ? Existe-t-il déjà des réflexions et un travail en commun ? J'imagine que oui. Ce serait bien de nous l'indiquer.
On a enfin, avec la loi de programmation des finances publiques de 2014 à 2019, un jaune budgétaire relatif aux opérateurs de l'État comprenant le montant de leurs dix plus importantes rémunérations. La Société du Grand Paris a participé à l'exercice pour la première fois à l'automne dernier, et apparaît au septième rang. Ma question ne porte pas sur le montant, mais sur la capacité de la Société du Grand Paris à recruter les meilleurs collaborateurs. Y a-t-il de la concurrence ou y arrivez-vous assez facilement dans le cadre du budget actuel ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Vous nous avez fourni une belle plaquette, avec de beaux chiffres - 23 milliards d'euros -, des taux de rentabilité de 7 % à 8 %, etc. Malheureusement, l'expérience prouve qu'en matière d'investissements dans les grandes infrastructures, on est très souvent face à des débordements de coûts. Quelle garantie a-t-on que ces chiffres soient respectés ?
La deuxième question porte sur le mode de financement du Grand Paris Express. Il existe des emprunts. Certains sont sur fonds d'épargne. Pouvez-vous être plus précis sur le taux auquel vous empruntez ? N'est-il pas plus intéressant que ce soit l'État qui emprunte ? Quel est l'intérêt de passer par une structure intermédiaire ? Passer par les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations ou par d'autres types d'emprunts n'a-t-il pas pour conséquence de renchérir le coût du financement ?
Je voudrais enfin faire part de mon étonnement s'agissant des cartes. La brochure de présentation décrit souvent la liaison avec l'aéroport Charles-de-Gaulle comme essentielle. Objectivement, tous les RER B qui vont à Charles-de-Gaulle sont maintenant omnibus, et les conditions pour aller à Orly sont une catastrophe, puisqu'il faut changer à Massy-Palaiseau pour cause de rupture de charge.
M. Vincent Delahaye, président. - Belle gare !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Certes, mais quand on va à Shanghai avec le Maglev, on met 7,5 minutes pour parcourir exactement la même distance !
Je ne parle même pas des conditions de sécurité : le président d'une compagnie aérienne m'a confié que presque 100 % des employés de sa compagnie ont été victimes d'agressions dans le RER B à certaines heures !
Concrètement, pourquoi le projet de CDG Express en liaison directe n'est-il pas intégré à ce projet ? Quel va être le gain de temps pour la liaison directe avec les aéroports ? Selon les tableaux, il est relativement minime !
N'est-on pas en train d'établir des projets concurrents qui vont du coup diminuer la viabilité d'un projet de liaison directe avec les aéroports ? Cela reste problématique. On parle de compétitivité, et on dit qu'il existe des avantages considérables, en France, sur les liaisons aéroportuaires, avec des aéroports qui disposent notamment de possibilités d'extensions, contrairement aux autres aéroports, comme Londres en particulier : si les liaisons avec les aéroports restent aussi catastrophiques, nos trois aéroports parisiens n'en tireront pas l'avantage compétitif qu'ils devraient en tirer. Pourquoi ne prévoit-on donc pas une liaison directe vers ces aéroports dans le projet ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Je voudrais que l'on revienne sur les premiers travaux préparatoires, qui ont débuté en avril 2015 sur la ligne 15 Sud. Je veux que l'on nous explique les retards qui sont d'ores et déjà annoncés pour la mise en service de cette ligne. Au départ, elle devait être mise en service en 2020 ; on évoque maintenant 2022. Sur le plan de la sémantique, on parle plus de décalage que de retard. Je crois que ce sont néanmoins de vrais retards, et je pense que nos collègues auront à coeur d'entendre vos explications.
Deuxième question : où en sont les enquêtes publiques ? L'année 2016 va être consacrée aux enquêtes publiques et aux déclarations d'utilité publique à l'échelle de l'ensemble du projet. Des concertations doivent être menées avec les collectivités territoriales et avec les habitants. Le sont-elles ?
Parmi les inquiétudes, il faut également tenir compte des aléas du sous-sol parisien. Est-on sur ce point parfaitement au clair ?
Je pense également à l'achat des tréfonds. Je n'oublie pas que le Parlement a voté le changement juridique et la création possible d'une servitude d'utilité publique, sans obligation d'achat des tréfonds mais, pour autant que je sache, le décret d'application en Conseil d'État n'est pas encore paru. Si ? ... Vous me rassurerez donc sur ce point.
Vous avez par ailleurs indiqué qu'il fallait investir deux milliards d'euros en matériel ferroviaire. Comment va-t-on faire l'acquisition de ce matériel ferroviaire ?
S'agissant de la politique que vous conduisez en matière de marché public, je pense qu'il serait utile que vous nous rappeliez les dispositifs que vous mettez en oeuvre. En existe-t-il qui puissent permettre aux PME et aux TPE de participer aux appels d'offres afin de leur faciliter l'accès à la commande publique ?
Enfin, je relève que vous avez écarté les partenariats public-privé (PPP). J'aimerais en connaître la raison.
M. Philippe Yvin. - Le modèle de financement a été arrêté en 2013. Il est basé sur des taux d'emprunt autour de 4,5 %, chiffre fixé par prudence. Il s'agit des modèles financiers que donnent l'État et la Caisse des dépôts et consignations. Aujourd'hui, on en est très loin... C'est une excellente nouvelle car tout argent gagné au début sera utile au projet, mais il faut rester prudent.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - À combien en est-on effectivement ?
M. Philippe Yvin. - Pour ce qui concerne la BEI, le taux sera fixé au jour où nous dégagerons les tranches de 100 millions d'euros chacune. À chaque tranche, un taux fixe à quarante ans sera déterminé. Si nous avions emprunté en septembre dernier, nous aurions bénéficié d'un taux fixe à 1,75 % de la part de la BEI.
Il s'agit également de prêts à quarante ans pour la Caisse des dépôts et consignations. J'insiste sur ce point, car vous savez qu'il est aujourd'hui difficile d'obtenir des emprunts obligataires au-delà de vingt ans. Des prêts à quarante ans sont donc extrêmement favorables. Basés sur le livret A, leur taux serait aujourd'hui de 1,5 %.
Par ailleurs, nous allons cette année débloquer la dotation de la Société du Grand Paris, de manière à préparer notre insertion sur le marché obligataire.
Grâce aux contacts internationaux que nous avons par l'intermédiaire de CDC international avec les fonds souverains internationaux, nous n'aurions aujourd'hui aucune difficulté, si nous le souhaitions, à lever des fonds.
En ce qui concerne les coûts, il faut évidemment rester modeste. Il y a une différence entre les coûts que vous pouvez estimer sur la base d'études préliminaires et les coûts que vous pouvez ensuite préciser au moment du vote de l'avant-projet qui est remis par les maîtres d'oeuvre. Nous aurons, lorsque nous obtiendrons les résultats des huit premiers lots de génie civil, une idée plus précise de la façon dont les entreprises sont en mesure de répondre aux objectifs fixés par notre maître d'oeuvre.
Je reste prudent en la matière, compte tenu du volume en jeu. Aujourd'hui, par rapport aux estimations faites en 2012, nous sommes dans l'épure, mais j'ai indiqué à plusieurs reprises, notamment au conseil de surveillance, que c'est le résultat des études d'avant-projet qui nous donnera une idée plus précise du montant de l'investissement de chacune des lignes.
Vous m'avez demandé des précisions par rapport à notre contribution au plan de mobilisation des transports. En ce qui concerne le RER E, à l'ouest, un milliard d'euros avaient déjà été prévus dans l'accord conclu avec la région en 2013. Le Premier ministre a décidé d'ajouter 500 millions d'euros à cette contribution. La contribution de la Société du Grand Paris à ce projet sera donc de 1,5 milliard d'euros.
Je précise que, bien entendu, cet engagement supplémentaire sera financé par des recettes nouvelles, car il ne s'agit absolument pas, à travers cette décision du Gouvernement, de mettre en cause la solidité de notre modèle financier. Le Gouvernement prévoit de compléter la part de la taxe sur les bureaux affectés à la Société du Grand Paris par une part qui existe déjà. Il ne s'agira donc pas d'augmenter cette taxe. Je rappelle que le produit de la taxe sur les bureaux est actuellement réparti entre la Société du Grand Paris, la région Île-de-France, et l'Union pour le logement social. Une part est par ailleurs reversée au budget général de l'État. Celle-ci devrait être désormais affectée à la Société du Grand Paris pour lui permettre de compléter ses emprunts à très long terme auprès de la Caisse des dépôts et consignations et pour financer cette contribution supplémentaire de 500 millions d'euros annoncée par le Premier ministre.
M. Vincent Delahaye, président. - Quel est le montant de cette part ?
M. Philippe Yvin. - La partie actuellement disponible pour le budget de l'État est de 35 millions d'euros par an. Sur la base des accords que nous avons avec la Caisse des dépôts et consignations, il faudrait entre 25 et 30 millions d'euros pour compléter le montant de la taxe sur les bureaux perçue par la Société du Grand Paris pour faire face à cet investissement de 500 millions d'euros.
Par ailleurs, s'agissant du plan de mobilisation, 352 millions d'euros sont apportés par la Société du Grand Paris à la modernisation des RER, 300 millions d'euros pour le prolongement de la ligne 11 du métro entre la mairie des Lilas et Rosny-sous-Bois, et 800 millions d'euros pour le prolongement de la ligne 14 au nord. J'ai indiqué que le prolongement entre Paris et Orly de la ligne 14 figurait dans les projets, mais il existe déjà un prolongement au nord depuis la gare Saint-Lazare qui rejoindra la mairie de Saint-Ouen, puis, à terme, la grande gare de Pleyel sous la responsabilité de la RATP, à hauteur de 800 millions d'euros soit, au total, 3 milliards d'euros.
967 millions d'euros ont déjà été engagés par la Société du Grand Paris au cours de ses différents conseils de surveillance, dans le cadre des conventions de financement conclues, soit avec la SNCF, soit avec la RATP.
Vous m'avez interrogé sur le positionnement de la Société du Grand Paris vis-à-vis de la candidature de la France aux jeux Olympiques de 2024 et à l'exposition universelle de 2025. Nous entretenons évidemment des liens étroits avec les deux comités d'organisation. Pour ce qui concerne les Jeux olympiques de 2024, nous participons au Comité des transports qui a été mis en place.
Le Premier ministre, à l'été 2014, a souhaité que nous puissions être au rendez-vous en 2024 pour une partie du réseau. Notre objectif est d'être prêts pour ce qui concerne la ligne 15 Sud, la ligne 16 entre Noisy-le-Grand et Pleyel, la ligne 17 entre Pleyel et l'aéroport de Roissy, la ligne 14 Sud entre Paris et Orly, et la ligne 18, chère au président, entre Orly et Saint-Quentin-en-Yvelines.
Pour ce qui concerne l'exposition 2025, vous le savez, Jean-Christophe Fromentin a conçu son projet en liaison étroite avec le Grand Paris Express. Son idée est que le village global soit à proximité immédiate d'une gare - plusieurs sites ont été évoqués, comme le triangle de Gonesse ou Saclay - et que des villages thématiques soient également réalisés autour de plusieurs gares du Grand Paris Express. Nous travaillons étroitement avec lui, ainsi qu'avec Pascal Lamy.
En ce qui concerne le sujet des rémunérations des collaborateurs de la Société du Grand Paris, nous sommes certes un EPIC, mais en concurrence directe avec le secteur privé pour le recrutement d'ingénieurs de très haut niveau, denrée rare dans ce secteur. Deux cents personnes travaillent aujourd'hui pour la Société du Grand Paris, ce qui est peu compte tenu de l'ampleur du projet, mais nous voulons rester très concentrés sur la fonction de maître d'ouvrage. Par ailleurs, environ 1 200 personnes travaillent aujourd'hui à plein-temps sur le projet dans des entreprises privées - cabinets d'architecte pour concevoir les gares ou grandes sociétés d'ingénierie ferroviaire, qui sont excellentes et qui ont une réputation mondiale remarquable. Toutes sont aujourd'hui mobilisées : SETEC, Egis, SISRA, Ingérope, Artelia. Elles recrutent elles aussi pour ce projet des ingénieurs de très haut niveau. Pour l'instant, nous arrivons à faire face à la demande, mais il est vrai que le vivier de ces ingénieurs spécialisés en ferroviaire est assez réduit.
Vous avez évoqué la concurrence possible avec le CDG Express. Nous défendons, avec Augustin de Romanet, l'idée que les deux projets sont tout à fait complémentaires. La ligne 17 a une vocation triple. Elle va bien sûr servir à relier l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle au centre de Paris. Nous avons d'ailleurs déjà anticipé sur le futur hub Air France qui sera vraisemblablement réalisé à partir des années 2030 compte tenu de la croissance du trafic. C'est également une ligne qui finira au Mesnil-Amelot, ce qui n'est pas anodin. Le Mesnil-Amelot, situé en Seine-et-Marne, constituera en effet une gare de rabattement extrêmement importante pour l'entrée dans la métropole, y compris pour les 20 % de salariés de la plate-forme qui habitent l'Oise.
Deuxième objectif de la ligne 17 : c'est une ligne qui va soutenir des territoires à très fort potentiel économique, comme Pleyel bien sûr, le territoire du Bourget - sujet que connaît bien Vincent Capo-Canellas, car ce territoire jouit d'un très gros potentiel et est en plein développement économique autour des métiers de l'aérien - la zone du triangle de Gonesse, qui va être ouverte à l'urbanisation, conformément au schéma directeur de la région Île-de-France, et tous les territoires autour de l'aéroport de Roissy.
Le troisième objectif de cette ligne 17, qui sera à tarification STIF, contrairement au CDG Express, concerne les salariés : 80 % des déplacements des salariés de Charles-de-Gaulle, comme d'Orly se font aujourd'hui en voiture individuelle, faute de transports en commun adaptés. C'est donc un enjeu extrêmement important pour les dizaines de milliers de salariés qui travaillent sur ces plates-formes, alors que le CDG Express est une ligne directe sans arrêt entre la plate-forme aéroportuaire et la gare de l'Est destinée aux voyageurs qui souhaitent accéder directement au coeur de la métropole.
Ce sont deux projets complémentaires, et je rappelle que c'est d'ailleurs le Parlement, dans la loi de 2010, qui a décidé qu'aucun financement public ne serait affecté au CDG Express. C'est donc un projet qui doit trouver un financement autonome à travers ses deux entreprises-supports que sont SNCF Réseau et ADP.
Vous avez évoqué, Monsieur Delahaye, la taxe sur les plus-values immobilières. Je rappelle que vous l'aviez votée puisqu'elle figurait dans la loi de 2010, sur proposition de Christian Blanc. Le Parlement l'a supprimée dans une loi de finances ultérieure, mais c'est quelque chose que vous aviez effectivement adopté à l'origine.
Marie-Hélène Des Esgaulx a évoqué le calendrier. Là aussi, il faut rester prudent : ce sont des travaux de très grande ampleur. Nous pouvons rencontrer des difficultés, notamment liées au sous-sol parisien. Il faut en tenir compte. Le calendrier ne doit pas être un sujet de polémique. Un tunnelier progresse de dix à vingt mètres par jour. Une fois que les neuf tunneliers de la ligne 15 Sud seront en route, ils iront à leur rythme ! Les objectifs fixés sont raisonnables, mais ce n'est qu'au fur et à mesure de l'avancement des travaux que le calendrier pourra être confirmé.
Vous avez parlé à juste titre du sous-sol parisien : on a bien vu que l'on rencontrait des difficultés dans les études d'avant-projet de la ligne 15 Sud, y compris à Cachan, commune de Jean-Yves Le Bouillonnec. La ligne traverse d'anciennes carrières et des poches de gypse qui peuvent être extrêmement dangereuses quand celui-ci se dissout au contact de l'eau. Nous disposons en France d'un comité des experts de travaux souterrains. Il se réunit très régulièrement pour vérifier l'ensemble des études techniques des maîtres d'oeuvre et valider les solutions. C'est un sujet délicat.
Ce projet a fait l'objet de plusieurs milliers de sondages géotechniques. C'est la plus grande campagne jamais réalisée à ce sujet en Île-de-France. Nous la poursuivrons au fur et à mesure des besoins.
Enfin, vous avez abordé le sujet des tréfonds. Je remercie le Parlement d'avoir voté cette disposition dans la loi de transition énergétique. Sans cela, nous n'aurions pu tenir les délais, puisque nous aurions eu plusieurs milliers de parcelles de tréfonds à acheter, ce qui était impossible dans les délais.
Grâce à la création d'une servitude d'utilité publique, nous pouvons, dès lors que la déclaration d'utilité publique est obtenue, lancer les travaux et indemniser a posteriori les propriétaires, sans avoir besoin d'acheter ces tréfonds, comme pour un immeuble ou pour un terrain.
S'agissant des enquêtes publiques et de leur calendrier, deux déclarations d'utilité publique ont déjà été obtenues pour la ligne 15 Sud et pour la ligne 16. Deux enquêtes publiques ont été réalisées en 2015 pour la ligne 14 Sud et la ligne 15 Ouest ; les dossiers vont être transmis prochainement au Conseil d'État. Il nous reste trois enquêtes publiques à réaliser : elles vont l'être au cours de ce premier semestre. Celle de la ligne 18 commencera fin mars. Suivra celle relative à la ligne 17. Nous finirons autour du 10 juillet avec la ligne 15 Est. Nous espérons donc, d'ici la fin du printemps 2017, avoir obtenu l'ensemble des déclarations d'utilité publique nécessaires.
Pour ce qui concerne les matériels roulants, la loi prévoit qu'ils devront être achetés par la Société du Grand Paris. Ils seront ensuite rachetés par le STIF au fur et à mesure des besoins pour être mis à la disposition des opérateurs. Pour la première fois, des lignes de métro vont en effet être mises en concurrence entre différents opérateurs, conformément aux réglementations européennes, sauf la ligne 14 Sud, la RATP bénéficiant d'un droit de suite puisqu'elle exploite déjà la ligne 14. Les autres lignes feront quant à elles bel et bien l'objet d'une mise en concurrence.
Pour ce qui concerne les marchés publics, nous avons souscrit à la plate-forme de la chambre de commerce et d'industrie de Paris, de manière que les PME et TPE puissent être informées en continu des marchés auxquels elles peuvent accéder. Ce sera notamment le cas de tout ce qui concerne les marchés des gares, où les entreprises de bâtiment trouveront facilement leur place, mais il faut bien dire que, pour les gros lots de génie civil, il faut que nous arrivions là aussi, pour être au plus proche du calendrier, à limiter les interfaces entre différentes entreprises. Ce seront donc plutôt des groupements de grande importance. Très peu d'entreprises sont en effet capables de les réaliser.
Enfin, vous avez évoqué les partenariats public-privé (PPP). C'est un sujet quelque peu difficile. Le PPP, classiquement, pour un secteur industriel et commercial, fonctionne avec des recettes commerciales. Or, compte tenu de la répartition des responsabilités en Île-de-France sur ce sujet, il était pratiquement impossible de conjuguer les deux, puisqu'il existe une autorité politique indépendante, le STIF, syndicat de collectivités locales, qui prend les décisions pour ce qui concerne les dépenses et les recettes de fonctionnement du système de transport, des opérateurs de transport encaissant ces recettes. Nous ne pouvons donc construire un modèle avec des recettes commerciales. On aurait pu envisager une réalisation de type conception-réalisation, mais ceci n'a pas été retenu à l'origine du projet. Cela aurait pu l'être. Au stade actuel, on ne peut évidemment pas revenir sur le modèle de maîtrise d'ouvrage public tel qu'il a été engagé.
M. Francis Delattre. - Toutes mes excuses si je suis intervenu un peu rapidement tout à l'heure... J'ai été élu sénateur sans l'investiture de personne. Je suis un homme libre. Je me suis présenté quinze fois aux élections : j'ai toujours été élu comme un homme libre, et je m'exprimerai ici comme un homme libre !
Je défends un territoire en difficultés, le Val-d'Oise. Vous nous expliquez que vos projets sont destinés à réduire les inégalités urbaines : excusez-moi de vous dire que le projet est excellent pour 6,5 millions d'habitants de la région Île-de-France et déplorables pour les autres 5,5 millions, hormis Massy et quelques pôles aux limites du projet. Pour le reste, nous payons des taxes et nous ne bénéficions pratiquement d'aucun service !
Je citerai simplement les discussions que nous avons eues sur les lignes 14, 15 et 17, qui constituent la liaison La Défense-Roissy. Sur un pareil trajet, on aurait pu estimer que le Val-d'Oise compterait des gares permettant des interconnexions intelligentes. Nous n'en avons aucune !
On nous a expliqué que l'intérêt résidait dans le fait que La Défense soit à moins de trente minutes de Roissy. C'est défendable mais, pour un territoire comme le nôtre, cela ne l'est pas !
Vous disiez très justement que des interconnexions sont possibles. Dans le département du Val-d'Oise, toutes les villes de la vallée de Montmorency vous ont écrit pour que le Transilien H soit au moins intégré dans la gare stratégique de Saint-Denis-Pleyel : aucun des maires n'a jamais reçu une réponse de l'un de vous deux ! Le président du conseil général peut-être, mais pour ce qui nous concerne, rien !
Que devons-nous dire à nos populations ? Nous payons pourtant la taxe spéciale en question ! On nous dit qu'on va tous profiter du système. Je prétends que ce projet est très beau pour ceux qui en bénéficient, mais que ce sont les territoires les plus en difficultés qui restent à l'écart. C'est là qu'il y a le plus de ghettos, c'est là que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) va devoir dépenser dans les années qui viennent des sommes incroyables. Pensez-vous que ce soit une politique équilibrée ?
Notre président dit à juste titre que les liaisons de ville à ville sont une très bonne chose. Nous sommes d'accord. Nous avions deux projets de liaisons tangentielles avec le système classique, à l'est et l'ouest. La tangentielle Est a démarré péniblement, et la tangentielle Ouest est différée.
Ce n'était pas un projet stupide, monsieur le directeur, puisqu'il utilisait des infrastructures déjà existantes et complètement à l'abandon ! Ce projet qui nous permettait de nous organiser, notamment avec les Yvelines, est tombé totalement à l'eau ! Pourquoi ? Vous allez nous dire que c'est de la responsabilité du STIF, mais le STIF est focalisé sur le projet du Grand Paris Express, et c'est naturel !
Pour être plus précis et en revenir à la ligne 14 Saint-Lazare-Saint-Denis-Pleyel, vous dites que le projet sera à peu près achevé dans deux ou trois ans. Nous sommes d'accord mais, pour l'instant, prendre les transports en commun entre Pleyel et Roissy reste un véritable parcours du combattant ! Le premier contact des touristes avec Paris est proprement scandaleux, c'est incroyable dans un pays comme le nôtre !
La rocade formée par les lignes 15 et 16, quant à elle, est exemplaire : qu'est-ce qu'on aimerait y être ! C'est vrai que c'est ce qui manque à la région parisienne, mais nous sommes un département qui reste en dehors de toutes les rocades. Nous sommes de facto interdits de toute possibilité de développement ! Tout le monde sait, ici comme ailleurs, que les déplacements sont essentiels pour les projets que nous avons.
Par ailleurs, je pense que tout mettre à La Défense est dangereux par les temps qui courent : la région parisienne a besoin d'aménagements, comme tout le reste du territoire, et ce projet qui recentralise tout ne va pas dans ce sens !
Je ne suis pas maire de Cergy, mais Cergy se transforme. Cergy, qui était une ville nouvelle, un pôle de développement, est en train de se développer en cul-de-sac, entre l'A 104, qui ne se boucle pas, et l'absence de transports en commun. Et pourtant, messieurs les directeurs, nous avons aussi des écoles d'ingénieurs à Cergy et nous avons l'ESSEC ! L'École centrale voulait s'implanter dans la vallée de Seine, qui est une zone industrielle où l'on trouve des centres de développement et de recherche de deux constructeurs nationaux, qu'on a mis d'office je ne sais plus trop où, alors qu'ils auraient dû s'installer sur les sites où se trouve l'industrie que nous souhaitons sauvegarder.
Peut-être que tout ceci ne vous intéresse pas, mais ce sont des sujets qui, au quotidien, nous préoccupent !
Puisque nous avons exceptionnellement l'occasion de vous dire les choses, je terminerai avec ce qui nous gêne le plus. On aurait au moins pu bénéficier, autour du corps central de votre projet, de liaisons correctes !
Je vais citer un dernier exemple de ce qui nous préoccupe. Nous avons deux universités, celle de Villetaneuse et celle de Cergy. Vous pensez que ce sont des universités pourries ? Non ! Les deux pôles sont cités parmi les meilleurs pôles mathématiques mondiaux ! Pourquoi ne leur donne-t-on pas une chance de pouvoir travailler, mutualiser, etc. ? On n'a pas de transports ! Je ne dis pas que notre projet vaut celui de l'Ouest, mais les enfants du Nord doivent bénéficier des mêmes opportunités que ceux de l'Ouest ! Avec ce projet, vous allez aggraver les différences territoriales, et les territoires relégués finiront par en payer lourdement les conséquences !
M. Roger Karoutchi. - Monsieur le président, il serait temps de réfléchir à la disparition de la Société du Grand Paris et de faire en sorte que ce qui était initialement envisagé autour du STIF soit réorganisé.
La Société du Grand Paris est devenue un système dans lequel les Franciliens, entreprises comme particuliers, paient de plus en plus d'impôts, ce qui permet à l'État de dire qu'il possède un trésor de guerre, dont il fait ce qu'il veut. Il annonce un coût d'un milliard d'euros pour ceci, Manuel Valls annonce hier 500 millions d'euros pour participer au prolongement d'Eole... Je ne critique pas le Gouvernement actuel, puisque c'est le précédent qui a mis cette structure en place, mais celle-ci permet de lever taxes et impôts sur l'Île-de-France pour financer l'intégralité des travaux du Grand Paris Express.
Je regrette l'extension déraisonnable du Grand Paris Express, d'autant que les maires de gauche et de droite y ont participé. Ce devait initialement être un cercle - qui avait d'ailleurs été prévu par la RATP et la SNCF - avec une sorte de doubles périphériques urbain, composé d'un métro à proximité - 5 à 7 kilomètres de Paris - et un projet de métrophérique SNCF à 15 ou 20 kilomètres de Paris, passant en grande couronne.
Les deux projets ont été supprimés au profit du Grand Paris Express. Chacun a voulu ajouter des lignes et des gares et, aujourd'hui, la 14 Nord a deux ans de retard, voire trois ans, sur un total de cinq ans, tout comme la 15. Plus personne ne croit que tout sera terminé en 2030. Tout le monde considère que l'on s'en sortira vers 2035 ou 2040. Vous dites d'ailleurs vous-mêmes qu'il ne faut pas polémiquer sur le calendrier : si ! Pour les gens desservis, il y a quand même un problème de calendrier.
Notre président de séance estime qu'il faut tenir compte de l'augmentation de la valeur foncière autour des gares. Peut-être mais, dans le même temps, on a reconnu que, pour financer les travaux de transports en Île-de-France -- et pas seulement le Grand Paris Express - on avait considérablement augmenté le versement transport (VT) des entreprises franciliennes depuis cinq à dix ans. Si l'on augmente à nouveau le poids des taxes, elles auront intérêt à partir en régions : ce sera beaucoup plus intéressant que de rester en Île-de-France !
Je comprends très bien que la structure qui a été créée avance mais, la réalité, c'est que, d'ici cinq ans, il faudra se remettre autour d'une table, revoir le projet, probablement le réduire ou en tout cas le simplifier. Le grand projet, la grande desserte qui plairait à Francis Delattre, était composée en grande partie de la 18. Or, on en est à dire que la liaison entre Versailles-Chantiers et Saint-Denis-Pleyel verra le jour bien après 2030.
L'état du réseau actuel est scandaleux, la SNCF, durant vingt ans, n'ayant rien investi dans le matériel en Île-de-France afin de financer les TGV. Elle a voulu faire du national avec l'argent des Franciliens ! Résultat : entre 1980 et 2000, on n'a pas modernisé le réseau, on a eu les accidents que l'on a connus à cause d'un matériel usé ou d'un réseau vétuste. On essaye maintenant de faire du rattrapage, on ajoute le Grand Paris Express - projet auquel je suis par ailleurs favorable ! On n'arrivera pas à régler la facture de la rénovation de l'existant tout en créant le Grand Paris Express. Si les marchés financiers basculent, ou si une crise financière se produit dans les années qui viennent, nous ne pourrons pas tout payer. À un moment, il faut peut-être se montrer raisonnable !
M. Vincent Eblé. - Merci à Jean-Yves Le Bouillonnec et à Philippe Yvin de venir à notre rencontre pour évoquer ce beau sujet que, comme les orateurs précédents, je connais bien pour avoir été membre du conseil de surveillance de la SGP pendant quelques années en tant que président du conseil général de Seine-et-Marne.
Notre commission des finances se préoccupe en premier lieu des questions de financement et d'équilibre économique avant d'étudier les questions de configuration des investissements, leur géographie, leurs tracés, leurs caractéristiques techniques, toutes autres questions néanmoins passionnantes.
Apprécier un investissement, c'est étudier son utilité. La question essentielle des interconnexions - vous ne vous y êtes pas trompé, cher Philippe, puisque vous l'avez évoquée dès votre propos introductif - est tout à fait centrale. Elle pose la question de savoir à qui cette infrastructure peut bénéficier demain. Si nous réalisons, sur un schéma circulaire, un « manège de chevaux de bois qui tourne sur lui-même » - je reprends là une métaphore qui a déjà été utilisée, mais que tout le monde n'a pas entendue - l'investissement est déraisonnable !
Le Grand Paris Express n'a pas uniquement vocation à desservir un certain nombre de gares selon un schéma circulaire : il faut évidemment que l'ensemble du système de mobilité francilienne soit irrigué. Puisque les financements sont effectivement franciliens dans la totalité du territoire régional, il faut, lorsqu'on paye à Château-Landon, Louan-Villegruis-Fontaine ou Cocherel, que l'on puisse se dire que le dispositif, même s'il n'arrive pas chez soi, n'est pas inutile pour les déplacements. La question des interconnexions est donc centrale. Vous le savez, Philippe, et vous le dites mais, dans la réalité, nous n'avons, nous, aucune garantie que ces interconnexions vont exister. Je rejoins donc, de ce point de vue, notre collègue Delattre, qui plaide pour sa paroisse valdoisienne.
Prenons une gare qui n'est pas en Seine-et-Marne, celle du Vert de Maisons, censée mettre le réseau en contact avec le RER D et tout le réseau francilien sur les lignes R, c'est-à-dire Melun et, au-delà, Montereau, Nemours, Fontainebleau, voire Montargis : ce sont des centaines de milliers d'usagers qui n'ont pas d'interconnexion. Ils vont donc continuer à aller sur Paris-Centre selon les schémas habituels, et croiser ce nouveau réseau sans même avoir la possibilité de le prendre ! Il y a là une véritable question qui n'est pas simplement un effet de manche, mais qui est absolument centrale du point de vue de la fonctionnalité !
Au Sénat, comme dans toutes nos assemblées locales ou nationales, il y a des fluctuations, des équilibres politiques, selon les échéances électorales. Un seul rapport de force ne bouge jamais, c'est le rapport de force entre Franciliens et provinciaux. D'ailleurs, j'ai relevé que les prises de parole émanent beaucoup de Franciliens - et pour cause ! Ce rapport de force ne bougera pas plus dans l'avenir. Or, si nous sommes majoritaires dans les prises de parole ce matin, dans l'assemblée, nous sommes minoritaires.
La question est donc de savoir comment ce dispositif peut bénéficier du soutien de financements publics nationaux. Aujourd'hui, le financement est à 100 % francilien. Je rappelle qu'avec 6 millions de voyageurs par jour, les transports publics franciliens transportent un nombre de voyageurs bien supérieur à celui du réseau à grande vitesse de province. Or, par qui le réseau à grande vitesse français a-t-il été financé, et par qui l'est-il encore aujourd'hui ? Il est financé sur des budgets nationaux ! Il existe pour partie des contributions territoriales, en particulier régionales, mais enfin, il y a une sérieuse contribution du budget de l'État !
Cette affaire est essentielle, pas seulement pour les dynamiques franciliennes : c'est la région capitale qui est concernée, et il n'existe pas de contribution nationale. C'est donc une vraie question qui reste ouverte, et qu'il faudrait à mon avis pouvoir reprendre.
M. Philippe Dallier. - Je vais essayer de positiver un peu. Tout comme je crois à la métropole du Grand Paris - pas forcément celle qu'on a mise en place - je crois à ce projet de transports qu'est le Grand Paris Express. Il est nécessaire pour la métropole, pour la région, même si tout le monde n'a pas la chance d'avoir une gare à proximité, et pour la France entière, l'attraction de la région capitale étant un enjeu national.
On peut aussi rappeler, comme Vincent Eblé l'a fait, que ce projet est financé par les Franciliens. Je l'ai répété plusieurs fois en séance, nos collègues de province disent souvent que l'on investit 30 milliards d'euros au détriment d'autres investissements. Pas du tout ! Au moins, la présentation que vous nous avez faite a le mérite d'être claire : vous nous avez rappelé les différentes sources de financements, particuliers, entreprises d'Île-de-France, emprunts à long terme.
Ceci étant dit, le plan financement tient sur une page, et c'est assez rassurant quand on le voit présenté ainsi, mais j'aimerais savoir s'il en existe une version année après année, à quarante ans, cinquante ans, soixante ans.
À mon avis, il existe, ce n'est pas très difficile à faire. J'aimerais connaître les différentes hypothèses. Vous en avez déjà formulé une sur les taux d'intérêt, qui pourraient bouger. 4,5 % par rapport à la situation actuelle, c'est effectivement prudent. Cela donne de la marge, mais il existe d'autres hypothèses en fonction de l'avancement des travaux et des retards éventuels. De ce point de vue, si jamais on arrivait à tenir tous les délais, tout le monde se réjouirait, même si l'on peut penser qu'il existe des risques.
Il est vrai qu'on a terminé les emprunts du métro parisien dans les années 1970, alors que celui-ci datait du début du XXe siècle. Après tout, emprunter sur quarante ans ou cinquante ans, même s'il fallait rallonger un peu les délais pour cause de difficultés, pourquoi pas ? J'aimerais donc être rassuré et voir ce tableau, s'il existe.
Enfin, un point sur la tarification. On n'en parle pas beaucoup. Pourtant, on sait bien que ce sera peut-être la variable d'ajustements principale. On a beaucoup parlé, cette semaine et la semaine dernière, de la manière de financer le passe Navigo à tarif unique. Tout cela est très sympathique : avant les élections régionales, on le met en service, et on s'aperçoit ensuite qu'il manque 300 à 400 millions d'euros. Il va falloir les trouver quelque part. On a un accord entre l'État et la région. Chacun fait un effort, la RATP aussi si j'ai bien compris, et c'est le statu quo : on reste sur la base des 70 euros par mois, tout le monde paye le même tarif.
Étant donné l'ensemble des projets de transports qu'il faut financer, il est à mon sens évident qu'on ne pourra en rester à une tarification qui progresserait suivant le coût de la construction, ainsi que l'indique votre tableau.
C'est une hypothèse, mais je me demande si elle est crédible, et je voulais savoir si vous en aviez fait d'autres pour pallier à l'avenir un problème de financement.
M. Vincent Capo-Canellas. - On voit que la question des transports passionne, et qu'elle est essentielle à tous les territoires de l'Île-de-France au sens large. On est sans doute face à un défi colossal. On voit bien qu'il existe un retard de transports en Île-de-France. Quand on compare le montant de l'investissement à rapporter au nombre de voyageurs, on voit bien qu'il existe un déficit, et que ce déficit n'est pas prêt d'être couvert.
Première question : on constate une certaine porosité entre les financements de la SGP et le plan de mobilisation de la région, et on comprend, en écoutant Philippe Yvin, que cette porosité a sa limite. Les 500 millions d'euros annoncés par le Premier ministre supposent que le prélèvement au profit du budget de l'État s'arrête. Cela représentera 30 millions d'euros de moins pour le budget général. La question qui se pose est de savoir si, au-delà du projet que vous portez, il n'y a pas une réflexion plus globale - et vous êtes sans doute outillé pour nous aider à y réfléchir - sur le financement des transports en Île-de-France, ainsi que sur la gouvernance.
Il existe d'autres modèles, mais on a le sentiment qu'on n'est pas allé jusqu'au bout de la question des transports, que des territoires se sentent aujourd'hui oubliés ou insuffisamment desservis, et qu'on n'a pas épuisé la modernisation du réseau de transports. Il suffit de considérer les problèmes que connaissent la ligne A et la ligne B du RER. Abonnez-vous au compte Twitter du B : je vous garantis que c'est édifiant. Il ne se passe pas deux heures sans incident ! C'est scandaleux. On ne sait même pas comment on peut avancer !
Cela me permet de rebondir sur la question des gares, sur laquelle Fabienne Keller a déjà beaucoup travaillé. Pour construire l'intermodalité, ne faut-il pas savoir qui possède les gares, qui les finance, qui les entretient ?
Dernier point concernant la question des délais et des jeux Olympiques : aura-t-on besoin d'un véhicule législatif pour accélérer un certain nombre de procédures ? On voit bien, sur les acquisitions foncières et sur l'ensemble des procédures de marchés publics ou d'urbanisation, qu'il existe un certain nombre de limites qui peuvent être contraignantes.
Enfin, je rejoins Philippe Dallier : même s'il reste beaucoup de choses à faire, ce qui est fait ici est utile à l'ensemble du pays.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. - Le terme de « défi » colossal est exactement celui qui caractérise la réalité dans laquelle nous nous trouvons.
L'inaction a duré quarante ans. On n'a pas seulement placé l'acteur public en obligation de tout remettre en état, mais de répondre à l'évolution de quarante ans de modes de vie des habitants. Il s'agit d'un double défi, réhabiliter ce qui existe afin que les installations puissent fonctionner dans les meilleures conditions de sécurité, de confort et de dignité - l'exemple de la ligne B est un exemple d'indignité - et, dans le même temps, faire en sorte que la capacité de la région Île-de-France reste à l'image de la vocation mondiale de ce territoire, qui nous concerne tous.
Le vrai problème vient du fait que l'acteur public, à chaque fois qu'il doit affronter ce double défi, hésite au point de ne rien faire. C'est ce qui s'est passé pendant quarante ans.
Je salue la loi de 2010, dont j'ai été un ardent défenseur. J'ai siégé ici, en commission mixte paritaire, tout en étant très perplexe sur les conditions que proposait le Gouvernement. Ce défi est celui nous tentons de relever. Beaucoup de questions qui ont été posées sont d'une très grande pertinence, relèvent de la compétence du STIF. À côté, ce réseau sera l'instrument de demain, qui modifiera la vie des gens d'aujourd'hui.
Quand vous êtes à Saint-Rémy-les-Chevreuse et que vous désirez aller à Nanterre, vous devez passer par l'intérieur de Paris. Demain, vous irez soit à Massy, soit à Arcueil-Cachan, et vous vous rendrez, par les axes, directement à Nanterre, réduisant ainsi de trois-quarts la durée du déplacement.
La Société du Grand Paris a été conçue comme l'opérateur qui allait réaliser ce réseau nouveau pour le territoire francilien des prochaines années. Pourquoi l'a-t-on fait ? Parce que les opérateurs préexistants étaient incapables de l'assumer.
C'est pourquoi on en est arrivé à l'idée de la Société du Grand Paris, que je défends aujourd'hui parce que je pense que c'est le seul moyen de faire bouger toutes les lignes en même temps. Sans cela, rendez-vous dans quarante ans, avec une situation pire encore, et en ayant raté les trains du Grand Paris mondial et le développement du territoire !
Les questions que vous posez, cher Francis Delattre, sont pertinentes. Je les ai évoquées avec Vincent Eblé et Michel Berson quand je présidais Paris Métropole. Le réseau que nous construisons n'aura de réalité que s'il sert l'intégralité du territoire francilien. C'est pourquoi le STIF, la RATP et la SNCF ont la responsabilité de réordonner l'intégralité du fonctionnement du réseau actuel qui, depuis trente ans, ne dessert pas les territoires éloignés. Quand il le fait, c'est dans des conditions qui ne sont plus compatibles avec la vie des gens.
Enfin, ce projet sert tous les territoires. La population s'est éloignée du coeur de Paris au fil des décennies et des siècles. Aujourd'hui, nous ne pourrons faire fonctionner ce territoire que si nous répondons aux besoins de tous.
Je me permets de dire enfin que ce projet comporte aussi une véritable démarche urbaine pour toutes les villes traversées. Toutes celles qui construisent une gare ont également engagé un processus de rénovation urbaine. Des ingénieries tout à fait nouvelles peuvent être mises en oeuvre, notamment en matière numérique. Je suis très marqué par la potentialité numérique que peut porter ce projet. On va faire travailler durant des années et des années des entreprises françaises dans ce secteur.
Au total, je pense que la création de la Société du Grand Paris est un choix pertinent, compte tenu de l'état catastrophique dans lequel se trouvait la région Île-de-France en matière de mobilité, et dont les premières victimes étaient les Français.
M. Philippe Yvin. - Quelques compléments par rapport à ce qu'évoquait Francis Delattre. Je confirme ce qu'a dit Jean-Yves Le Bouillonnec : beaucoup des questions que vous avez soulevées à fort juste titre relèvent des orientations politiques du STIF.
Sur le point précis des interconnexions, notre responsabilité est d'avoir un dialogue constructif mais très ferme avec les opérateurs historiques pour que celles-ci soient réalisées.
Bien entendu, cette opération comporte des coûts. Une enveloppe de 1,5 milliard d'euros a été réservée pour cela, dont 30 % financés par la Société du Grand Paris et 70 % par le contrat de plan État-région. Celui qui est entré en vigueur prévoit ce complément. C'est extrêmement satisfaisant pour les interconnexions.
Pour ce qui est du cas particulier de la ligne H, nous sommes très favorables à l'arrêt à Saint-Denis-Pleyel. C'est un coût important, du fait de la position de cette ligne au milieu du plus gros faisceau ferré de région parisienne, celui de la gare du Nord. Je pense, notamment dans la perspective de l'installation du village olympique à Saint-Denis et des travaux de franchissement du réseau ferré qui sont envisagés, que cet arrêt serait très opportun. Comme nous l'a demandé le STIF, nous avons engagé des études avec la SNCF en ce sens.
Je pense que le choix proposé au Parlement par Christian Blanc, celui d'un outil dédié à ce projet indépendant des aléas budgétaires, était le bon. Si on l'avait fondu dans une autre structure, je crains que ce projet ne soit pas allé très loin.
J'ai déjà largement répondu à propos des interconnexions. Le Premier ministre a confirmé ce week-end la réalisation de la gare de Bry-Villiers-Champigny. C'est la seule gare nouvelle SNCF sur l'ensemble du projet. Je puis vous dire que les études ont maintenant bien avancé, puisque nous sommes saisis de scénarios qui vont être soumis au STIF et qui pourraient faire l'objet d'un débat public assez prochainement. Les solutions envisagées par SNCF Réseau paraissent réalisables dans le cadre du budget d'interconnexion que j'évoquais précédemment.
Philippe Dallier a évoqué le sujet du plan de financement à long terme. Nous communiquerons à la commission ces tableaux, qui existent bien entendu.
S'agissant du problème du financement du fonctionnement des transports en Île-de-France, celui-ci se posera dans les années qui viennent, compte tenu des derniers travaux d'infrastructures. Je vous renvoie à l'excellent rapport produit par Gilles Carrez sur le sujet il y a quelques années, qui évoquait différentes pistes. Il méritera d'être repris.
En ce qui concerne la question de l'éventuel véhicule législatif nécessaire pour tenir les calendriers, nous les avons déjà obtenus pour le foncier. Vous le savez, la loi de 2010 a déjà prévu la prise anticipée des parcelles avec la déclaration d'utilité publique, les décrets mentionnant également l'urgence. C'est ce qui avait été prévu, je le rappelle, au moment du texte de loi sur la réalisation du stade de France. De ce point de vue, je pense que nous sommes assez protégés.
Il reste un sujet que vous avez soulevé, celui de l'allotissement. C'est un sujet délicat, compte tenu de notre souhait de faire participer les PME et les TPE, mais il est vrai que l'ordonnance sur la généralisation des allotissements peut poser problème pour les très gros marchés de génie civil, qui pourraient être interrompus du fait de la rédaction actuelle de l'ordonnance. C'est une question qui méritera d'être abordée pour sécuriser les calendriers.
M. Marc Laménie. - J'ai un regard extérieur. En tant que représentant d'un département rural, je suis un peu éloigné de ce grand projet - mais nous devons rester solidaires.
Mes interrogations - nous sommes à la commission des finances - portent sur l'enjeu financier. Nous sommes conscients qu'il s'agit là d'un investissement très important. Le but est d'améliorer la vie quotidienne de tous les Franciliens, et nous soutenons les transports publics, mais 90 % du projet sont souterrains et, même si je fais confiance aux ingénieurs et à toutes celles et tous ceux qui travaillent dans l'ombre, je m'interroge sur la pertinence de ce choix.
Par ailleurs, vous l'avez évoqué, toutes les procédures - déclaration d'utilité publique, enquêtes, etc. - sont très compliquées. Au total, je crois qu'il s'agit d'un sujet qui demande beaucoup de compétences et qui est très complexe.
M. Philippe Dominati. - L'état catastrophique du réseau existant a été souligné par plusieurs intervenants, quelles que soient les sensibilités politiques.
Le fait de créer une structure comme la Société du Grand Paris pour porter le projet du Grand Paris Express constitue une spécificité bien française, sans équivalent en Europe, qui traduit l'incapacité de l'État à trancher et à arbitrer entre ses multiples sociétés de transport sur le plan national, qu'il s'agisse de la SNCF ou de la RATP. Les élus parisiens, par le passé, ont connu l'affrontement entre Meteor et Eole, avec des retards de livraison qui se comptent en décennies.
Je remercie les deux présidents pour leur présence. Ils ne sont pas en cause. C'est le résultat de l'arbitrage politique. Certes, en tant que représentants de l'État, vous ne pouvez que défendre le projet de Christian Blanc, mais celui-ci masque toutefois l'incapacité de l'État à avancer en matière de transports en Île-de-France.
Ma première question m'est suggérée par ce qu'a dit Roger Karoutchi : il existe une société spécialisée, dont le caractère est régional, la RATP. Pourquoi la Société du Grand Paris ? La RATP n'a-t-elle plus les compétences pour assurer ce service aux Franciliens ? N'a-t-elle plus d'ingénieurs capables d'avoir une vision pour la région métropole ? Je ne comprends pas l'utilité de la Société du Grand Paris dans ce contexte.
En deuxième lieu, l'État ne veut pas payer. Vous l'avez tous dit : ce sont les Franciliens et les entreprises franciliennes qui paient. À l'origine, on devait percevoir 4 milliards d'euros sur les sommes prêtées à l'industrie automobile. On touchera au mieux 1,5 milliard d'euros. Allez-vous faire appel au capital de l'État au lieu d'emprunter immédiatement les 4 milliards d'euros ? Quel est l'engagement maximum de l'État ? Cela représente environ deux ans de recettes des entreprises et des usagers franciliens. En fait, la Société du Grand Paris est là pour éviter à l'État de payer. Les entreprises vont acquitter une partie de leur fiscalité à la Société du Grand Paris, une autre partie, par le biais du versement transport, allant aux autres mécanismes de transports. En saucissonnant les prélèvements sur les contribuables franciliens et sur les entreprises, on peut multiplier les sociétés.
D'ailleurs, on pourrait peut-être envisager une cinquième société d'État pour la liaison Charles-de-Gaulle Express ! On parle de société privée : rappelez-moi qui en sont les actionnaires ? À la SNCF comme chez ADP, c'est l'État qui tient les rênes !
La troisième conséquence est dramatique : aucune de ces sociétés d'État ne tient jamais les délais. Cela ne s'est jamais produit, que ce soit pour la SNCF ou pour la RATP. Or, l'environnement institutionnel a changé depuis la création de la Société du Grand Paris. Depuis quelques jours, nous avons la Métropole du Grand Paris, une superstructure, qui plus est régionale. À quand le pouvoir régional ? Il est anormal que le contribuable régional finance la totalité du système - à moins que l'on me démontre que l'État va apporter beaucoup plus d'argent que prévu en capital...
Il existe aussi un problème de légitimité vis-à-vis des Franciliens. Vous êtes une société d'État qui porte le nom de Société du Grand Paris. Il y a à présent une collectivité nouvelle qui s'appelle Métropole du Grand Paris. Allez-vous changer de nom ? Arrêtons la confusion avec ce millefeuille ! Les gens ne savent pas s'ils ont en face d'eux des fonctionnaires de l'État ou des politiques élus démocratiquement pour représenter des collectivités territoriales ! C'est l'une des questions qui se pose, en attendant la fusion, qui me semble plus que nécessaire, des entreprises d'État, dans ce périmètre régional. Peut-être peut-on gagner du temps, et symboliquement, transformer le nom de la Société du Grand Paris en Société d'exploitation des transports collectifs d'Île-de-France, par exemple !
M. Charles Guené. - Je ne suis pas un régional de l'étape. Cela rassurera donc Vincent Eblé sur l'éclectisme de ses collègues.
Le Grand Paris Express est certes une société d'investissements, mais je suis assez surpris qu'on n'examine pas l'équilibre global du système, en particulier l'exploitation.
Ce sujet a été abordé par plusieurs collègues. On voit bien qu'un tel système a des coûts de fonctionnement. Je suppose que la société d'investissements ne s'occupe pas des gares, ni du coût de fonctionnement en général, le fonctionnement devant être mis en balance avec les péages qui sont facturés.
Ces péages vont-ils permettre à l'exploitation de trouver l'équilibre ? Certes, vous avez évoqué un trafic supplémentaire, mais cela sera-t-il suffisant pour équilibrer cette exploitation ? On sait que les variables d'ajustement sont basées sur le tarif aux usagers ou sur des financements complémentaires de la part d'acteurs comme le STIF ou les sociétés d'exploitation elles-mêmes.
Pouvez-vous nous en dire plus, ou est-ce totalement étranger à votre préoccupation ?
Mme Marie-France Beaufils. - Je ne suis pas non plus francilienne, mais je suis cependant très intéressée par l'évolution du système de transports de l'Île-de-France. Beaucoup d'habitants de Touraine viennent en effet travailler en Île-de-France, jusque sur le plateau de Massy. On ne peut donc se désintéresser de la façon dont fonctionne le réseau de transports.
Je rappelle que les difficultés que l'on rencontre sont très anciennes : une part de celles-ci provient de l'insuffisance de financements du réseau ferré. La difficulté à passer du Sud pour aller vers l'Est et rejoindre Lyon fait partie des problèmes liés au noeud ferroviaire que l'on essaye de traiter depuis des décennies, pour lequel le manque de financement a été criant durant très longtemps. Je continue à regretter - et on y reviendra probablement ailleurs - qu'on ait abandonné les recettes autoroutières destinées à financer la remise à niveau du réseau ferré : cela aurait pu participer au désengorgement d'une partie du réseau francilien, ce qui constitue un élément important qu'il ne faut pas oublier...
Mme Fabienne Keller. - Absolument : l'Écotaxe !
Mme Marie-France Beaufils. - Vous avez mis en avant l'intermodalité, la nécessité d'avoir des interconnexions de qualité : je partage complètement votre sentiment. Toutefois, vous avez également rappelé que les lignes seraient soumises à concurrence en matière d'exploitation. Ne risque-t-on pas de se heurter à une certaine incohérence entre la volonté d'interconnexion et la mise en concurrence ?
Par ailleurs, vous avez mentionné le fait que vous alliez pouvoir intervenir autour des gares. C'est un vrai sujet puisque, dès qu'on réalise une infrastructure, les propriétaires essaient immédiatement de tirer profit de l'investissement public, sans y avoir obligatoirement participé. Vous souhaitez favoriser le traitement des inégalités sur le territoire : encouragerez-vous la construction de logements sociaux dans le périmètre autour des gares ? Faire en sorte que les salariés franciliens puissent se loger à proximité des gares qui vont leur permettre de se déplacer vers leur lieu de travail me semble un sujet non négligeable.
Mme Fabienne Keller. - En introduction, je voudrais, comme Marie-France Beaufils, si elle me le permet, déplorer la disparition de l'Écotaxe. Ce n'est pas la première fois, avec Marie-Hélène Des Esgaulx, que nous regrettons la suppression de cette ressource pérenne, qui manque cruellement chaque année, au financement des réseaux ferroviaires et à celui des voies d'eau.
J'aurai quatre questions à poser.
La première, qui me tient à coeur - mais vous allez me dire que tout est décidé - concerne ce que Marc Laménie a évoqué à propos de la profondeur de ce réseau.
Je ne me résous pas à ce que l'ensemble des gares soient situées entre moins trente mètres et moins quarante mètres, si je ne m'abuse, certaines étant encore plus profondes, ce qui représente, je le rappelle, un immeuble de huit à dix étages. Nos brillants architectes vont nous faire des gares formidables avec lumière naturelle, montées et descentes très profondes, mais je rappelle que c'est beaucoup plus profond que les stations les plus profondes du RER actuel. J'ai un peu suivi le processus de discussions, qui a conduit progressivement à passer en dessous d'un certain nombre d'infrastructures. L'existence de gares urbaines a imposé la contrainte souterraine, mais je voudrais néanmoins souligner qu'à terme, quand le réseau sera construit, il ne restera plus que les gares - peu importe où passe le tuyau, qui n'a pas d'usage pour le voyageur - qui demeureront très profondes pour des décennies.
C'est donc un regret que je formule. Pourriez-vous expliquer brièvement pourquoi on en est arrivé là et dire si aucune solution d'aération des gares n'est envisageable, ce qui réduirait considérablement les coûts ?
En deuxième lieu, je voudrais aborder un sujet qui m'est cher, celui des gares et vous poser la question de leur gouvernance : quel pilotage pour la phase investissement puis pour la phase exploitation ?
La question suivante n'est pas tout à fait la même : quelle gouvernance pour les quartiers de gares, qui génèrent un potentiel économique, qui permettent des logements bien desservis, mais aussi des commerces, des bureaux, des activités publiques, sociales, culturelles, etc. ? De nouveaux centres-villes pourraient se développer autour des gares. Quelles réflexions pourriez-vous impulser pour qu'elles fassent l'objet d'une véritable gouvernance ?
En bonne provinciale, je vous poserai une question qui concerne le maillon ferroviaire Massy-Valenton, qui supporte aujourd'hui les TGV d'interconnexion, qui passent notamment à Massy et à Champs-sur-Marne, les RER C, et les trains de fret -- à peu près deux cents par jour, avec des sections à voies uniques qui sont aujourd'hui un des principaux blocages des liaisons province-province, qui passent par le Sud de Paris. Il y a eu, je crois, une enquête publique préalable commune avec le Grand Paris puisque, derrière la création d'un nouveau maillon, on trouve aussi la création de la gare d'Orly, donc l'interconnexion avec la ligne 14. Le nouveau maillon Massy-Valenton est plutôt pour 2030, mais pourriez-vous nous donner des assurances sur la cohérence des projets tels qu'ils sont planifiés aujourd'hui ? C'est un petit point, mais cela peut rentabiliser des lignes rapides existantes sur la France entière, en facilitant l'interconnexion, et permettre également des dessertes efficaces en TGV de la grande couronne de Paris.
M. Michel Berson. - Je voudrais formuler une réflexion d'ordre général sur le projet du Grand Paris Express et poser ensuite une ou deux questions concernant la ligne 18, ligne stratégique, qui concerne le plateau de Saclay, qui m'est cher, comme chacun le sait.
Je n'ai pas le même sentiment qu'un certain nombre de mes collègues, qui se sont exprimés ce matin de façon peut-être un peu sévère à l'égard de la Société du Grand Paris.
Je pense que la Société du Grand Paris est un outil indispensable pour réaliser ce grand projet particulièrement ambitieux qu'est le Grand Paris Express.
Les opérateurs traditionnels - STIF, RATP, SNCF - n'étaient pas en capacité de réaliser un projet aussi ambitieux, aussi novateur, il fallait une structure dédiée, souple, non bureaucratisée. - j'espère qu'elle ne se bureaucratise pas - et qui dispose de ressources propres, sans quoi on n'aurait pu réaliser le projet qui va permettre de donner un contenu, une réalité à ce qu'on appelle le Grand Paris, c'est-à-dire l'une des huit grandes métropoles mondiales, qui existe aujourd'hui, qui s'organise, qui se développe, qui se structure. Grâce à cette infrastructure nouvelle, le Grand Paris existera vraiment, mais pas avant. On en a donc encore pour dix à quinze ans !
S'agissant de la ligne numéro 18, une enquête publique est intervenue, suivie d'une concertation qui a eu lieu l'an dernier, en mai ou juin. Je crois que ni la rentabilité ni l'opportunité de cette ligne ne peuvent aujourd'hui être mises en question.
Cependant, j'ai quand même quelque inquiétude sur sa réalisation. Je voudrais savoir, messieurs les présidents, quelles réponses vous apportez aux questions suivantes...
Première question qui fait débat en ce moment, celle du tracé aérien ou du tracé souterrain, avec une différence budgétaire de l'ordre de 250 millions d'euros, si mes informations sont bonnes. Ces 250 millions d'euros ne font pas l'objet d'un financement spécifique. Ils sont pris sur l'enveloppe globale qui, elle, n'a pas bougé. En outre, il faut comptabiliser les six gares supplémentaires nées de la concertation. On est en effet passé de quatre à dix gares avec le même budget. Sur le plan financier, il existe un blocage.
Par ailleurs, est-il opportun de réaliser une ligne souterraine ? Pour le fervent défenseur des laboratoires de recherche que je suis, il y a là un vrai problème ! La contrainte des vibrations est une contrainte très forte pour les laboratoires. Il s'agit là du premier pôle scientifique et technologique européen, où sont déjà concentrés plus de 15 % de la recherche française. Par conséquent, aussi bien pour des raisons budgétaires que scientifiques, il ne me paraît pas souhaitable de construire un métro souterrain. Le tracé aérien peut être intégré sur le plan environnemental.
C'est mon sentiment, mais je voudrais savoir si ce débat continue. Une enquête publique commence sur ce secteur fin février ou fin mars. On va avoir le même débat : la Société du Grand Paris tient-elle bon sur le projet arrêté pour l'instant ?
Concernant le financement de ce projet, on m'a donné des chiffres que vous allez me confirmer. La ligne 18, d'Orly à Versailles, coûte, me dit-on, de l'ordre de 2,7 milliards d'euros. Le tronçon plus court, celui qui doit être réalisé pour 2024, c'est-à-dire le tronçon Orly-CEA-Saint Aubin, est de l'ordre de 1,2 à 1,4 milliard d'euros.
Je voudrais, si c'est possible, avoir des chiffres concernant la réalisation de la ligne 18 dans sa globalité et dans son tronçon prioritaire. Quand on connaît bien le projet, 2024 paraît une contrainte très forte pour le tronçon prioritaire. Le Premier ministre a souhaité accélérer la réalisation de ce tronçon, ce qui me paraît être une bonne chose, car c'est un tronçon stratégique pour faire vivre les atouts de ce plateau. Est-ce encore tenable, compte tenu des retards déjà pris, notamment sur la ligne 15, qui constitue un bon exemple ? Personnellement, j'émets quelques doutes, mais j'aimerais connaître votre sentiment.
Enfin, il demeure un problème de financement. Je ne reviens pas sur les 500 millions d'euros, ni sur les 4 milliards d'euros d'emprunts, etc. Quand on additionne les chiffres, on voit bien que le compte n'y est pas ! Par conséquent, il faudra imaginer d'autres recettes. Les recettes commerciales, lorsque les tronçons seront réalisés et en exploitation, ne seront pas négligeables, mais ne permettront pas de réaliser la soudure. Je pense qu'il faudra donc envisager d'autres recettes que les trois recettes fiscales existantes, ou que les recettes commerciales qu'on peut imaginer.
Les collectivités territoriales vont-elles être à nouveau mises à contribution ? Ce sont elles qui ont demandé le passage de quatre à dix gares : c'est un coût supplémentaire. Vont-elles être amenées à y participer ? Les voyageurs vont-ils être également sollicités à un niveau beaucoup plus élevé que ce que l'on imagine, sachant que le prix du transport en commun, en région Île-de-France, est le moins cher d'Europe ? Quand on achète un billet, on paye à peine 30 % du coût du transport, alors que, dans la plupart des pays, on est aux environs de 50 %. Est-ce une piste actuellement en cours d'examen ?
Toutes les idées qui ont été lancées pour consolider le financement du projet ont finalement été abandonnées : taxation des plus-values foncières, participation du transport routier, Écotaxe... Il me paraît nécessaire de continuer à y travailler si nous voulons réaliser pour 2030 ou 2035 le Grand Paris, qui, sans le Grand Paris Express, n'aurait ni squelette ni structures et ne pourrait devenir suffisamment attractif et compétitif à l'échelle mondiale.
M. Éric Doligé. - On a parlé de l'Île-de-France, du Grand Paris et du reste : pour moi, il n'y a pas le Grand Paris et le reste, il y a la France. Nous qui sommes dans le reste du pays, nous sommes très concernés par ce dossier. J'aimerais donc savoir si, dans le cadre des réflexions et du fonctionnement du Grand Paris Express, il a vraiment été tenu compte du reste et si, dans le cadre des financements, il existe une réflexion sur ce sujet.
Cela a été dit : nous sommes très concernés, car beaucoup de provinciaux font le va-et-vient pour venir travailler en région parisienne.
Deuxièmement, vous avez parlé des PPP, et vous avez dit que ce n'était pas possible du fait de l'absence de recettes : je ne pensais pas qu'il fallait des recettes pour réaliser des PPP, sachant qu'on en fait beaucoup sans recette. Je n'ai donc pas très bien compris votre réponse.
Troisièmement, j'aimerais savoir s'il y a un dossier particulier, à l'intérieur de ce projet global, qui fait ressortir l'importance des fouilles, les coûts et les délais qu'elles entraînent ? Quel impact cela peut-il avoir sur le dossier ?
S'agissant du financement, j'ai une idée - mais elle n'est peut-être pas bonne. J'ai entendu ce matin que le montant de la fraude dans les transports parisiens représentait environ 300 millions d'euros par an. Peut-être pourriez-vous, à l'intérieur de la Société du Grand Paris, monter une brigade anti-fraude pour essayer de récupérer cette somme afin de financer votre projet. C'est une idée qui n'est peut-être pas saugrenue...
Cinquièmement - cela rejoint ce qui a été dit tout à l'heure par certains - il y a la Société du Grand Paris, la Métropole du Grand Paris, la région Île-de-France, le STIF, Grand Paris Express, etc. Pour nous, vu de l'extérieur, c'est totalement illisible : alors qu'on a parlé de simplification, de millefeuilles, etc., on est en train d'en créer de nouveaux dans de nouveaux domaines.
Enfin, je constate une fois de plus que, dans les grandes infrastructures, on est incapable, en France, de réaliser un projet dans des délais raisonnables, compatibles avec l'évolution de la société. C'est vrai dans ce cas particulier, mais aussi dans nos provinces reculées où, pour faire un pont sur la Loire, il faut entre vingt et trente ans. Le jour où il est réalisé, tout a changé : c'est vraiment insupportable !
On est là dans le même cas de figure, avec des projections très loin dans le temps, qui seront dépassées. Vous n'y pouvez rien, mais c'est une constatation assez dramatique si l'on veut être compétitif sur le plan international, un certain nombre de pays allant plus vite dans la réalisation de leurs infrastructures.
M. Gérard Longuet. - Paris est la capitale de la France. La carte de la France a été profondément et durablement modifiée par le réseau national des TGV. Je souhaiterais que l'on puisse disposer, à un moment ou à un autre, d'une réflexion écrite sur l'articulation du réseau du Grand Paris avec les différents accès au TGV national.
J'ai bien noté ce qui était prévu pour Paris-Massy, Charles-de-Gaulle et, d'une certaine façon, Saint-Lazare mais rien, dans les documents qui existent sur la gare du Nord, la gare de Lyon, ou la gare de l'Est ne nous éclaire actuellement. Je suis persuadé que vous y avez réfléchi : une note écrite sur ce sujet serait la bienvenue.
M. Philippe Yvin. - Marc Laménie évoquait les procédures. Elles sont en effet très complexes, mais on ne peut que respecter la législation. Il est vrai qu'on a créé ces dernières années, au confluent du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement, un certain nombre de procédures dont beaucoup sont des transpositions de directives européennes qui amènent à franchir beaucoup d'obstacles avant d'arriver au projet. On évoquait les délais, mais il y a tout ce qui existe en amont.
Ce dont je puis témoigner, c'est que nous n'avons pas perdu de temps depuis la création de la Société du Grand Paris, alors que les travaux vont commencer bientôt sur la ligne 15 Sud. Cinq ans, ce n'était pas de trop.
Il nous reste encore beaucoup d'étapes à franchir. Outre les déclarations d'utilité publique, il nous reste toute une série de procédures environnementales, prévues par les lois sur l'eau et sur la protection des espèces animales et végétales, sur les installations classées pour l'environnement, etc. La Société du Grand Paris, comme tous les maîtres d'ouvrage, se doit donc d'être exemplaire en la matière.
Philippe Dominati a repris les propos de Roger Karoutchi sur l'opérateur unique en Île-de-France. C'est un point de vue. Connaissant le système depuis une trentaine d'années, je pense que le choix de Christian Blanc était le bon. L'idée d'un opérateur dédié à un projet précis, avec des financements spécifiques, me semble-t-il, était bonne.
Pour ce qui concerne l'exploitation, je rappelle que la Société du Grand Paris n'est en rien concernée par l'exploitation des transports, qui relève uniquement du STIF. Nous sommes uniquement une société de projet.
Marie-France Beaufils a émis des inquiétudes concernant les sujets de la concurrence et de l'interconnexion : les travaux d'interconnexion vont être réalisés dans le cadre du projet. Notre intention - ceci a été soulevé par beaucoup d'orateurs - est de travailler très étroitement, dès l'amont des travaux, avec la SNCF et la RATP, de façon à ce que ces travaux soient opérationnels le jour de la mise en service des nouvelles lignes.
C'est un sujet déconnecté du choix des opérateurs, qui appartiendra au STIF. Ces opérateurs, qu'il s'agisse de la RATP ou d'autres, en fonction des résultats des appels d'offres, disposeront de ces interconnexions opérationnelles entre les nouvelles lignes et le réseau historique.
Vous avez évoqué le logement, qui nous tient à coeur. Dans toute la mesure du possible, sur le foncier que la Société du Grand Paris est amenée à acquérir, nous mettrons en oeuvre des opérations de logement, en accord avec les maires concernés sur la nature des programmes qu'ils souhaitent développer dans leur commune.
Je rappelle que les estimations du comité scientifique international, qui travaille depuis l'origine du projet sur les impacts économiques du Grand Paris Express, établissent celui-ci à environ 10 % du PIB de la région Île-de-France, soit 60 milliards d'euros sur 600 milliards d'euros de PIB.
Je rappelle que l'Île-de-France ne consomme qu'environ 22 % des 30 % de PIB qu'elle produit. Il existe une redistribution des richesses créées aujourd'hui par l'Île-de-France. Ce projet est donc non seulement financé entièrement par les Franciliens, mais une partie des richesses supplémentaires qu'il générera en Île-de-France bénéficieront aussi aux autres régions françaises.
Fabienne Keller a posé plusieurs questions.
La profondeur des gares résulte des études techniques. Un débat existe depuis l'origine pour savoir s'il faut ou non les faire en aérien ou en souterrain. Quand on voit les difficultés, sur la ligne 18, à faire accepter des viaducs en Île-de-France, on comprend qu'il aurait été très difficile d'aller au-delà de 15 % de réseau aérien, ainsi que cela a été retenu. En outre, en zone urbanisée dense, notamment en petite couronne, il est très difficile d'insérer des viaducs.
De plus, la profondeur des gares est uniquement liée à la nature du sous-sol parisien et au relief. De nombreuses collines traversent la géographie de l'Île-de-France. Il faut donc s'y adapter. On a toujours essayé d'être le plus haut possible. Beaucoup de gares sont à vingt mètres. Cela dépend vraiment de la nature des sous-sols. Les études d'avant-projet recherchent toujours une implantation le plus haut possible pour limiter les coûts.
La gouvernance est un sujet que vous aviez soulevé dans votre rapport. Nous partageons beaucoup de vos préoccupations, mais ce sujet relèvera là aussi des choix politiques qui pourront être faits par le STIF.
S'agissant des quartiers autour des gares, nous sommes dans le droit commun des opérations d'aménagement. Il appartient aux collectivités territoriales concernées, soit les communes, soit les établissements publics territoriaux de la métropole ou les communautés d'agglomération qui viennent de se créer en grande couronne, de prendre des décisions. Nous avons mis en place des comités de pôle pour chacune des soixante-huit gares. La Société du Grand Paris finance une étude à hauteur de 100 000 euros pour chacune d'elles afin de préparer les aménagements des espaces publics environnants.
Au-delà, pour ce qui est des opérations d'aménagement, il s'agira d'une collaboration entre les collectivités territoriales et leurs outils d'aménagement quand elles en ont déjà - sociétés d'économie mixte ou établissements publics d'aménagement de l'État - mais si les maires souhaitent que nous nous impliquions, nous le ferons bien volontiers.
Pour ce qui est de l'affaire de Massy-Valenton, les décisions n'ont pas été prises. Cela rejoint plusieurs questions qui ont été posées sur la rocade TGV, qui constituait un projet SNCF très intéressant, mais qui n'a pas fait l'objet de décisions pour l'instant.
Là où le sujet se pose, sur la ligne 14, les travaux préparatoires vont permettre d'intégrer, le moment venu, le choix de la ligne TGV pour Orly, soit qu'elle s'arrête à Pont-de-Rungis, soit qu'elle s'arrête à l'aéroport d'Orly proprement dit. La décision ne nous appartient pas, mais ce sera possible avec la configuration du réseau que nous préparons.
Michel Berson a rappelé les questions qui se posent pour la ligne 18. C'est effectivement un débat qui persiste. Certains riverains des villages de l'Essonne et des Yvelines au bord de la vallée de Chevreuse refusent en effet le tracé en viaduc. Le surcoût, en souterrain, serait de 150 millions d'euros pour cette seule partie, mais si on l'enterrait à cet endroit, il faudrait le faire sur l'ensemble de la ligne. Cela représente un surcoût de 900 millions d'euros, ce qui est totalement irréaliste.
Je précise à Michel Berson que les estimations actuelles pour la ligne 18 sont de 2,73 milliards d'euros, ainsi qu'en a décidé le conseil de surveillance en novembre dernier, et d'environ 2 milliards d'euros pour la partie allant jusqu'à Saint-Quentin. La décision que nous avons prise est de ne pas interrompre la construction des viaducs, ce qui n'a pas de sens, mais de demander à notre maître d'oeuvre d'étudier le tracé entre Orly et Saint-Quentin en un seul tenant.
Éric Doligé est revenu sur les PPP : autant les PPP avec recettes commerciales n'étaient pas envisageables, autant on aurait pu penser aux PPP que nous connaissons dans les départements pour la construction de collèges, pour lesquels la collectivité paie des loyers. C'est un schéma qui aurait pu se concevoir. Nous le savons tous, financièrement, cela aurait coûté plus cher, puisque les sociétés privées empruntent à un taux plus élevé, mais on aurait peut-être gagné du temps et de l'argent en délais. C'est un débat qui a été tranché par le Gouvernement précédent avant que je ne prenne mes fonctions. On aurait pu concevoir des sociétés de projet par ligne qui fassent appel à des investisseurs privés. Ce n'est pas le choix qui a été fait. Aujourd'hui, il paraît difficile de revenir dessus.
Vous avez évoqué le sujet des fouilles archéologiques. C'est un vrai sujet. Des fouilles archéologiques peuvent en effet provoquer un certain retard, comme sur la ligne 15 Sud. On pouvait s'y attendre, la périphérie proche de Paris ayant eu beaucoup d'implantations humaines depuis l'âge de fer. On a ainsi trouvé des sites mérovingiens, et même, à Vitry, un os de mammouth ! Il faut donc vraisemblablement, au-delà du diagnostic, réserver un certain temps pour les fouilles. Ceci a été intégré dans le calendrier des travaux pour six mois environ, en espérant que les fouilles n'iront pas au-delà.
Je crois avoir répondu aux questions qui ont été posées. S'agissant du TGV, la rocade est un projet SNCF...
M. Gérard Longuet. - Ce qui serait intéressant, c'est de savoir ce que vous en pensez.
M. Philippe Yvin. - Nous répondrons précisément à la question de Gérard Longuet par écrit s'agissant des TGV actuels. L'ensemble du projet SNCF, dont l'avant gare à Pleyel, avant la gare du Nord, est un projet qui appartient à la SNCF.
M. Vincent Delahaye, président. - Merci, messieurs les présidents, d'avoir répondu très largement aux questions de nos collègues.
La réunion est levée à 12 heures 33.