Jeudi 4 février 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9h05.
Institutions européennes - Audition de M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat et nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous avions noué d'excellents contacts avec votre prédécesseur, Mme Wasum-Rainer. Tous ceux qui vous connaissent apprécient votre parfaite connaissance de notre pays et de notre langue ainsi que votre attachement aux bonnes relations franco-allemandes. Je forme donc des voeux pour que le dialogue avec notre commission soit régulier et fructueux.
Nous avons d'excellents contacts avec nos collègues et amis du Bundesrat. En décembre, nous avons travaillé à Berlin sur les deux dossiers sensibles que sont la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme. Ensemble, nous avons entendu deux commissaires européens : M. Dimitris Avramopoulos, commissaire à la migration, aux affaires intérieures et à la citoyenneté et M. Neven Mimica, en charge de la coopération internationale et du développement. Mon homologue, M. Peter Friedrich, a organisé ces réunions avec beaucoup d'efficacité. À l'issue de nos échanges, nous avons adopté deux déclarations communes, l'une sur la crise migratoire et l'autre sur la lutte contre le terrorisme. Cette dernière fait écho à celle déjà adoptée au Sénat le 30 mars 2015, lors d'une réunion interparlementaire associant, sous la présidence de M. Gérard Larcher, plusieurs présidents de commissions des affaires européennes, dont M. Peter Friedrich. La crise migratoire, qui touche très directement l'Allemagne, nous rappelle l'urgence d'un contrôle effectif des frontières. Les attaques terroristes de Paris soulignent avec force cette exigence. Si l'Europe ne parvient pas à maîtriser ses frontières, sa crédibilité sera ruinée dans les opinions publiques. Ce matin, les Échos estimait qu'un retour aux frontières intérieures coûterait 5 milliards aux entreprises.
Quelle est votre appréciation sur ces deux questions ?
Avec nos collègues du Bundesrat, nous avons pris date pour une nouvelle réunion qui se tiendra au Sénat après les élections régionales du mois de mars. Trois sujets feront l'objet de travaux communs. Le Traité de libre-échange entre l'Union et les États-Unis (TTIP) focalise beaucoup d'interrogations dans nos deux pays. Nous avons deux collègues spécialisés sur le sujet : MM. Bonnecarrère et Raoul. M. le Président du Sénat nous a demandé d'être particulièrement attentifs et transparents pour éviter la crispation de l'opinion française.
La politique européenne de l'énergie donne matière à rapprocher nos points de vue pour rechercher des solutions conformes à l'intérêt commun. Je suis particulièrement attaché à ce sujet, mon département ayant accueilli le premier EPR. Votre pays s'est fortement engagé financièrement sur le projet ITER. Les écologistes et, plus largement, l'opinion allemande sont favorables à la fusion alors qu'ils combattent la fission. Cette technologie ne sera disponible au mieux que dans un demi-siècle.
M. Daniel Raoul. - Nous en reparlerons !
M. Jean Bizet, président. - Le marché unique du numérique doit favoriser une Europe productrice, défendant un Internet conforme à ses valeurs, sachant réguler le rôle des grandes plateformes et assurant une protection effective des données personnelles. La Chancelière est très sensible à ce sujet et nos deux spécialistes, M. Gattolin et Mme Mélot, seront heureux de vous entendre.
Nos deux pays doivent également travailler ensemble à l'approfondissement de la gouvernance de la zone euro et à une véritable convergence fiscale et sociale. Au moment où nos amis anglais nous amènent à nous interroger, la convergence de vues entre la France et l'Allemagne sur l'approfondissement de la zone euro est essentielle.
Tels sont les thèmes sur lesquels nous souhaitons recueillir vos analyses et vos réflexions.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France. - Je vous remercie pour votre accueil et vos questions.
L'Europe se trouve dans une situation grave, et je pèse mes mots. Des défis majeurs s'imposent à nous, pour ne pas parler de crise, et nous devons produire des réponses efficaces. Pour satisfaire les citoyens européens lassés des annonces et des déclarations, il faut des résultats, et cela passe par l'application des décisions que nous avons prises. La lutte contre le terrorisme, la crise des réfugiés et le conflit en Ukraine sont autant de mises à l'épreuve des valeurs européennes. Nous devons nous assurer qu'elles restent partagées par tous, car elles sont la base de l'édifice européen.
En luttant contre le terrorisme, nous défendons nos valeurs, nos libertés, nos façons de vivre, nos démocraties, nos sociétés ouvertes. Les attentats de Paris ne visaient pas seulement la France ; nous nous sommes tous sentis visés. Au-delà des déclarations, il est essentiel de mettre en oeuvre un contrôle des frontières extérieures efficace et systématique, sans que cela signifie pour autant l'abandon du droit d'asile, de nos valeurs ou la mise en place d'un nouveau rideau de fer. Nos deux ministres de l'Intérieur, en déplacement en Grèce et en Turquie, doivent s'entendre sur l'installation concrète des hotspots, ces postes d'enregistrement et d'accueil des migrants décidés depuis des mois. La coopération des services de police et de renseignement est capitale. Il est étonnant, pour ne pas dire scandaleux, que l'auteur de l'attaque contre un commissariat parisien en janvier ait pu circuler librement pendant des années en Europe, alors même qu'il était considéré comme dangereux. Les échanges d'informations sont donc impératifs et il nous faut agir vite. Ce genre de situation ne doit pas se répéter : nos concitoyens ne comprendraient pas.
Ce qui est en question dans le conflit en Ukraine, c'est la défense du droit international et le respect des frontières nationales. Au nom de ces valeurs, nous ne pouvons que condamner l'annexion de la Crimée et les opérations du Donbass. Le processus de Minsk est un début de solution politique. Un cessez-le feu fragile est installé. Il reste à proposer une solution pérenne.
La crise des réfugiés est très présente dans le débat allemand. L'Allemagne a accueilli l'an dernier plus d'un million de migrants. Cet automne, c'étaient 70 à 80 000 par semaine, soit le nombre de réfugiés arrivés en France en un an. Le flux s'est affaibli en début d'année, pour atteindre 2 à 3 000 personnes par jour, soit un million de migrants dans l'année, ce qui est encore beaucoup trop surtout si le phénomène s'installe dans la durée. Soyons pragmatiques. Il faut endiguer ce flux dans les semaines et les mois à venir.
Le gouvernement allemand vient de soumettre une nouvelle proposition législative au Parlement pour durcir la mise en application du droit d'asile. Il ne s'agit pas d'en remettre en cause le principe, mais les conditions dans lesquelles il s'applique. Des centres d'enregistrement spéciaux ont été mis en place pour les personnes en provenance des pays sûrs, comme les Balkans occidentaux, et nous avons élargi la liste à l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie. L'objectif est d'y traiter les demandes d'asile en trois semaines maximum, y compris dans les cas de recours en justice. En effet, il n'y a pas de politique du droit d'asile efficace sans décisions rapides.
Des efforts restent à faire. Parmi les demandes traitées, 60 % ont abouti à l'attribution d'un titre de séjour. Pour les 40 % restants, les effets doivent également être visibles et se traduire par des reconduites à la frontière. Nous travaillons aussi à renforcer notre soutien aux demandeurs d'asile, en privilégiant les aides en nature plutôt qu'en argent. Le titre de séjour accordé aux réfugiés de guerre ou aux demandeurs d'asile est de trois ans, contre un an pour la protection subsidiaire, le regroupement familial n'étant pas autorisé pendant deux ans.
Le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne est essentiel. Depuis l'automne, nous coopérons avec la Turquie pour réduire les flux migratoires. La frontière turque est un point de passage qui a pris une importance significative en 2015. D'où l'intérêt de la contrôler davantage. Enfin, sur les 160 000 migrants qui auraient dû être relocalisés après les décisions européennes, moins de 300 l'ont été en janvier 2016. Rien ne sert que l'Union prenne des décisions, si c'est pour qu'elles ne soient pas appliquées.
Hors des frontières européennes, nous travaillons avec les pays voisins, nous soutenons le Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), nous tissons des liens diplomatiques pour résoudre le conflit en Syrie. La crise des réfugiés domine le débat allemand autant que la sécurité préoccupe l'opinion publique en France. Le délai pour apporter des réponses ne se compte même plus en mois, mais en semaines.
Quant à l'approfondissement de la zone euro, nous sommes loin d'être parvenus au bout du chemin. Responsabilité et solidarité vont de pair. Encore une fois, l'argent ne peut pas tout résoudre.
Tous ces défis incitent l'Europe à dépasser ses positions anciennes. Il faut envisager de nouvelles étapes d'intégration qui passeront par un partage plus large de la souveraineté. Osons le dire : la législation est européenne mais la mise en oeuvre est nationale. On ne peut pas reprocher aux institutions européennes la non-application des mesures qu'elles ont prises, puisqu'on ne leur a pas donné le droit ni les moyens de les appliquer. Les problèmes surgissent dès lors que les États membres ont failli à appliquer ces décisions. Nous devons protéger nos frontières, harmoniser nos politiques d'asile, renforcer notre coordination économique et mieux partager les responsabilités.
M. Alain Vasselle. - Merci pour cet exposé très clair. On nourrit en France un débat sur la déchéance de nationalité. L'Allemagne envisage-t-elle de mettre en oeuvre une disposition comparable ? La question se pose également au sujet de l'état d'urgence. En ce qui concerne le contrôle des frontières, y a-t-il lieu de faire évoluer Schengen ?
M. André Gattolin. - Votre exposé est riche. En matière de sécurité, comment financer les mesures en faveur de Frontex ? L'Allemagne avait proposé un financement propre. Dans cette période de budget contraint, doit-on prévoir un mode de financement additionnel ?
Lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre, on a constaté des tensions sur le projet de gazoduc Nord Stream 2, notamment entre l'Allemagne et la Russie, mais aussi avec la Pologne et les pays baltes. L'Italie reproche à l'Allemagne de faire cavalier seul. Quel est votre point de vue ?
L'agenda européen est-il compatible avec les négociations internationales que mène la Commission au sujet du traité de libre-échange avec les États-Unis, ou de l'évolution du statut de la Chine au sein de l'OMC ? Un eurodéputé allemand, Bernd Lange, a rappelé à juste titre que 80 % des enquêtes anti-dumping et anti-subvention de l'Union européenne concernaient la Chine. L'Allemagne, mais aussi la France, se montrent très discrètes sur le sujet et laissent avancer seule la Commission.
M. Philippe Bonnecarrère. - Nous sommes très honorés de vous recevoir. Votre nomination à Paris est une marque d'attention de la Chancelière pour notre pays.
Nous partageons votre aspiration à un niveau plus élevé d'intégration européenne, tout en mesurant la difficulté d'y parvenir dans un contexte où les opinions publiques rejettent le système. Au sujet du Brexit, comment imaginer que Londres ait un pouvoir de décision sur la zone euro sans en faire partie, d'autant que l'Allemagne est particulièrement attachée à la convergence économique entre les pays ?
Alors que la Chancelière est très investie dans la réussite des négociations du traité transatlantique, l'opinion publique allemande semble partagée et les manifestations sont fréquentes à Berlin. Votre pays est-il en mesure de concrétiser cette négociation avec les États-Unis au moment où l'opinion publique allemande s'inquiète de l'immigration ?
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - L'héritage de l'histoire et notamment du IIIème Reich préserve l'Allemagne de tout débat sur la déchéance de nationalité. C'est un processus qui a provoqué un drame terrible pour certaines populations, les Juifs particulièrement. Pour les mêmes raisons historiques, l'Allemagne reste très prudente sur un éventuel engagement des forces militaires à l'intérieur du pays. Elle se réserve cette possibilité en cas de catastrophe naturelle mais c'est à peu près tout. En revanche, pour lutter contre le terrorisme, nous donnons à la police et aux services de sécurité les moyens dont ils ont besoin pour conduire leur action. Je reste convaincu que sans une protection correcte des frontières extérieures de l'Europe, nous ne pourrons pas maintenir un système de frontières ouvertes à l'intérieur de l'espace européen. Le système de Schengen évolue. La Commission observe la situation grecque pour voir si le pays est en manquement sérieux par rapport à ses obligations, auquel cas elle autorisera d'autres États membres à rétablir le contrôle aux frontières pour une durée allant de six mois à deux ans. La flexibilité du système de Schengen doit servir à faire évoluer les pratiques. Si l'on veut des résultats, il faut aller vite. À quoi servirait-il d'autoriser un État membre à rétablir un contrôle de ses frontières s'il ne peut pas l'assumer ? Nous ferons évoluer la législation de Schengen si c'est nécessaire. L'objectif reste de protéger les frontières extérieures pour laisser ouvertes les frontières intérieures.
Le ministre des finances allemand a suggéré de prélever un point d'impôt sur l'essence et le gasoil pour financer Frontex, en profitant des prix bas. La Commission commence à y réfléchir. C'est la première fois qu'un ministre des finances allemand propose un financement propre dans ce type de situation. Évitons de renvoyer M. Schäuble dans ses filets : il risquerait de ne plus faire de proposition en ce sens !
Nord Stream 2 n'est pas un projet politique, mais concerne les entreprises. Il s'agit d'élargir la construction du gazoduc initial en le conformant aux règles de la politique énergétique européenne. Sans vouloir polémiquer, ceux qui critiquent le projet prêchaient pour un South Stream qui arrivait en Italie. Pourquoi l'un serait plus légitime que l'autre ? Tout est affaire de déception à gérer. La France souhaite relier au réseau les autres pays de l'Europe de l'Est, via la plateforme allemande. La République tchèque peut déjà être alimentée par l'Ouest. La Pologne ne souhaite pas ouvrir un accès au gaz russe par l'Allemagne. Encore faudrait-il qu'elle soit en mesure d'assurer son indépendance énergétique. On a connu le même type de polémique quand Nord Stream 1 a été lancé.
Nous sommes convaincus que le traité transatlantique (TTIP) présente plus d'avantages que d'inconvénients. Il ouvrira le marché américain aux petites et moyennes entreprises européennes. Les Européens pourront participer à la définition des standards mondiaux sans abandonner la main aux Chinois. Pour convaincre l'opinion allemande, nous devons nous assurer que le traité ne menacera pas les standards que l'Europe a mis en place en matière de protection de l'environnement ou de protection sociale. Quant aux mécanismes d'arbitrage, la Commission a fait des propositions qui devraient aboutir. En ce qui concerne l'évolution du statut de la Chine au sein de l'OMC, le débat n'est pas nouveau. La Commission a défini des conditions qui n'ont pas été remplies jusqu'ici. Je ne crois pas que le dossier avancera très vite.
Est-ce le bon moment pour faire plus d'intégration ? Comme le disait Jean Monnet, « les crises forgent l'Europe ». Dans le passé, plus d'Europe impliquait de trouver un nouveau champ d'application pour la législation européenne. Désormais, il s'agit d'approfondir la mise en oeuvre de cette législation, ce qui est sans doute plus difficile.
Il n'est pas question que les Anglais aient un droit de regard sur ce que fait la zone euro. Cependant, la législation doit continuer de se faire à 28, notamment dans le secteur bancaire. Les Anglais nous demandent de les exclure d'une « Union sans cesse plus étroite ». Pour autant, rien ne nous interdit de la réaliser.
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'annexion de la Crimée n'est pas défendable. Cependant, le discours pragmatique de Bruxelles, porté par M. Hollande et Mme Merkel, qui a débouché sur les accords de Minsk, s'oppose au discours militant des pays baltes et nordiques, qui souhaiteraient faire payer la Russie. J'ai eu la curieuse impression que vous penchiez pour la seconde voie. M. Porochenko fait beaucoup d'efforts. M. Biden est partisan d'un référendum qui risque d'alourdir la situation. Faut-il continuer à sanctionner les Russes ?
M. François Marc. - La doctrine de l'Allemagne évolue-t-elle par rapport à la politique de la Banque centrale européenne pas toujours bien perçue, notamment par le système bancaire ?
La politique agricole commune (PAC) a constitué l'un des socles les plus importants de l'action européenne. La logique libérale prévaut désormais, avec par exemple la fin des quotas laitiers. Cette doctrine de libéralisation croissante a-t-elle les faveurs de l'Allemagne ?
M. Didier Marie. - L'Allemagne a-t-elle accru son soutien à la France sur les théâtres d'opérations extérieurs, au Sahel, en Irak et en Syrie ? Elle avait en effet répondu formellement à notre appel à solidarité. Qu'en est-il de son intervention concrète ?
Quelle appréciation portez-vous sur le déploiement du plan d'investissement Juncker et ses retombées en Allemagne ?
Les discussions de MM. Cameron et Tusk au sujet du Brexit nous inquiètent. Les questions soulevées par la Grande-Bretagne ont été considérées comme légitimes. La libre circulation des citoyens est un sujet qui reste en suspens. La proposition de M. Cameron a d'abord été rejetée ; celle de M. Tusk revient à maintenir le statu quo. Le risque de contagion est réel. Quelle est la position de votre pays ?
M. Alain Richard. - Alors que la France cultive un partenariat avec l'Allemagne pour trouver une solution politique appuyée sur un effort militaire en Syrie, la Turquie fait valoir ses propres intérêts. L'Allemagne et la France ont-elles vraiment une position commune ? Quelles demandes M. Erdogan adresse-t-il à l'Union européenne ? Depuis 1963, la Turquie est associée à l'Union et nous avons officialisé le statut de pays candidat en 1999. Renforcer ce statut est-il un objectif pour M. Erdogan ?
M. Claude Kern. - Plusieurs pays ont du mal à respecter les accords de Schengen et à contrôler leurs frontières. Ne faudrait-il pas créer une douane européenne ?
En tant qu'Alsacien, j'ai une question un peu plus provocatrice : la politique allemande distingue les bénéficiaires du droit d'asile des autres. Que deviennent ces déboutés ? N'est-il pas illusoire de penser qu'ils rentreront chez eux ? Ne se rendront-ils pas plutôt dans d'autres pays de l'Union européenne ?
M. Daniel Raoul. - Que deviennent les engagements de l'Allemagne à la COP 21 ? J'ai du mal à comprendre la politique énergétique allemande. Ayant évacué le nucléaire, votre pays brûle du lignite, le pire des charbons. Quant à ITER, je doute que son rendement soit supérieur à 1 d'ici un siècle.
L'engagement de Mme Merkel en faveur du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI, ou TTIP) s'explique par la structure du produit intérieur brut (PIB) allemand, très différente de la nôtre. L'agriculture n'y représente que 0,9 % du PIB, d'où la tentation allemande de favoriser l'industrie au détriment de l'agriculture. Nous allons essayer d'éviter qu'elle ne serve de variable d'ajustement.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En tant que sénatrice des Français de l'étranger, j'appelle votre attention sur un problème récurrent, celui des enfants franco-allemands de parents séparés. Le système du Jugendamt protège les droits de l'enfant et, par voie de conséquence, les droits du parent allemand. Ainsi, très peu d'enfants sont confiés à leur parent français. Je souhaite qu'on veille davantage au respect des droits du parent non allemand, notamment en ce qui concerne les visites et l'éducation dans sa langue. Ce problème est sans doute dû au moindre perfectionnement du système français de protection et de défense des enfants.
M. Pascal Allizard. - Il y a quelques jours, le ministre français de l'agriculture s'est dit favorable à la levée des sanctions à l'encontre de la Russie en juillet. Quelques heures après, Mme Merkel s'y est dit défavorable. Les contre-sanctions russes ont des effets très négatifs sur l'agriculture française, notamment pour les éleveurs de porcs. En outre, les producteurs porcins français et allemands ont porté devant Bruxelles un dossier d'accusation de concurrence déloyale et de dumping lié à la TVA.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - Ce n'est pas parce que mon père est né en Estonie que je me cantonnerai à la position balte sur l'Ukraine !
La politique de voisinage engagée il y a une quinzaine d'années par l'Union européenne était quelque peu naïve. Nous pensions que nos voisins n'avaient pas de voisins.
M. Jean Bizet, président. - Notre commission l'a souvent dit !
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - Cela n'excuse en rien la conduite de M. Poutine. Les sanctions européennes distinguent la situation de la Crimée de celle du Donbass. L'illégitimité de l'annexion de la Crimée perdurera, les sanctions qui y sont attachées aussi. Pour le Donbass, l'objectif des sanctions économiques est de faire avancer le processus politique, qui patine aujourd'hui en grande partie à cause de M. Poutine mais aussi de l'Ukraine qui ne fait pas tout ce qu'elle devrait. Si l'on annonce une levée des sanctions pour juillet, l'effet politique est nul. La décision, qui dépendra de l'évolution du dossier, ne sera prise qu'à l'été. Nous devons entretenir des relations correctes avec les Russes et M. Poutine doit comprendre que cela est souhaitable pour son économie.
Nous nous sommes résignés à l'indépendance de la Banque centrale européenne (BCE). L'opinion publique allemande la jugera sur ses résultats, et non sur ses annonces. La politique monétaire doit être indépendante, mais nous verrons quelle sera l'efficacité des mesures prises.
En matière agricole, si un filet de sécurité est nécessaire, il ne faut pas qu'il se transforme en matelas. Pour nous, les mécanismes de marché doivent continuer à fonctionner. La position allemande sur la TVA est conforme au droit européen. S'il faut comparer les deux systèmes, prenons en compte tous les avantages : ainsi en est-il de la réduction du prix du diesel pour les agriculteurs français de 0,20 à 0,25 centimes par litre ou de votre système de sécurité sociale agricole. La comparaison globale n'est pas si facile.
Le Parlement allemand a décidé, sur proposition du Gouvernement, l'envoi d'avions de reconnaissance Tornado en Turquie - c'est extrêmement important du point de vue militaire, car sans reconnaissance, impossible de frapper - et de plusieurs centaines de soldats supplémentaires pour assurer des formations au Mali.
Les progrès du plan d'investissement Juncker sont dus à la Banque européenne d'investissement, qui est l'instrument le plus adapté.
La libre circulation et la non-discrimination sont des principes absolus. Mais l'idée d'un « frein d'urgence » serait acceptable dès lors qu'il s'agirait de décisions communautaires, prises par le Conseil sur proposition de la Commission. Tous les pays confrontés à une situation similaire pourraient se prévaloir de ce mécanisme. En revanche, les textes qui circulent ne disent rien des conditions de sa mise en oeuvre.
Je ne pense pas que M. Erdogan veuille adhérer à l'Union européenne.
M. Jean Bizet, président. - C'est également le sentiment de notre commission.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - L'abandon de pouvoir lié à au partage de souveraineté avec l'Union européenne ne lui convient pas. En revanche, M. Erdogan souhaite que l'Union traite avec lui d'égal à égal. Il a besoin d'être respecté. Nous sommes donc dans des faux-semblants, où les négociations sont pour, les Turcs, source de prestige, même si elles n'aboutissent pas. Qu'on poursuive donc !
M. Jean Bizet, président. - Mme Garriaud-Maylam opine du chef !
M. Alain Richard. - C'est ainsi depuis François Ier et Soliman le Magnifique.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - Il faut renforcer Schengen, qu'il s'agisse d'une douane européenne, d'une force de protection ou autre. Cela passera peut-être par une coopération plus étroite des douanes nationales.
Les déboutés du droit d'asile doivent partir. Nous avons fait preuve d'humanité en renvoyant les Albanais à Tirana et non en Autriche comme le prévoient les accords de Dublin. Nous essayons d'éviter les débordements, sans pouvoir contrôler tous les mouvements.
En matière de politique énergétique, l'Allemagne s'est engagé à réduire ses émissions de CO2 : elle le fera. Son objectif est d'étendre la part du renouvelable, dont les prix deviennent concurrentiels sur le marché. L'Allemagne s'interroge sur la meilleure façon de faire évoluer son énergie carbonée. Il est impossible d'avoir une industrie et des prix concurrentiels tout en supprimant à la fois le nucléaire et le charbon.
J'ai pris note, madame la sénatrice, de votre remarque sur les enfants franco-allemands dont les parents sont séparés. Je n'ai pas de réponse précise à ce stade.
M. Jean Bizet, président. - Vous dites, monsieur l'ambassadeur, que vous n'êtes pas fermé à l'idée d'un filet de sécurité en matière agricole. La filière française, très fragile, porte ses propres contradictions. La politique de restitution n'existe plus depuis des années. À l'instar du Farm Bill américain et du Food Stamp Program, pourquoi ne pas envisager de stocker pour redistribuer ? Cela permettrait de désengorger le marché. Aux États-Unis, la notion assurantielle est privilégiée et permet de conforter l'agriculture dans sa fonction de production. Après la PAC productiviste des débuts, la PAC réformée qui a fait le jeu des paiements directs, et la PAC compliqué de nos jours, ne peut-on passer à la PAC assurantielle ? Les Allemands semblent y être plutôt défavorables.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - Autrefois, les fédérations agricoles allemandes et françaises coopéraient étroitement pour trouver des compromis satisfaisants pour les agriculteurs des deux pays. J'appelle de mes voeux un retour à cette pratique. Plutôt que de comparer les avantages obtenus par chacun et de se déchirer devant la Commission européenne, essayons de définir ensemble des objectifs et des solutions. Quand les syndicats agricoles des deux pays s'entendront, les politiques suivront.
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat, qui représente les territoires, était autrefois surnommé la « Chambre de la châtaigne ». On ne peut pas se détourner de ces problématiques perturbatrices. Je propose que nous réunissions au Sénat M. Xavier Beulin et son homologue allemand du DBV pour travailler conjointement. Quand le couple franco-allemand adopte une position commune, il est ensuite plus facile de dialoguer à vingt-huit pays.
M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur. - Organisez la rencontre et j'apporterai volontiers ma contribution.
M. Jean Bizet, président. - Merci.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - À la suite de la réunion du groupe de travail « subsidiarité » qui s'est tenue tout à l'heure, je propose que Mme Colette Mélot et M. André Gattolin soient nommés rapporteurs pour nous présenter, le cas échéant, un avis motivé sur la proposition de directive européenne concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10h25.