- Mercredi 20 janvier 2016
- Prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire - Table ronde sur l'impact des normes relatives aux liens d'intérêts sur la recherche
- Prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire - Table ronde sur la prévention des conflits d'intérêt et gestion des liens d'intérêt
Mercredi 20 janvier 2016
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 9 heures.
Prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire - Table ronde sur l'impact des normes relatives aux liens d'intérêts sur la recherche
M. Alain Milon, président. - Mesdames, messieurs, en ce début d'année, notre commission aborde l'un des sujets qu'elle avait identifiés comme prioritaires à l'occasion des débats législatifs de l'automne. La question des liens d'intérêt et de la recherche. À l'initiative du président Gérard Larcher, les rapporteurs du projet de loi de modernisation de notre système de santé se sont rendus le 14 septembre dernier à l'institut Gustave Roussy. Nous y avons rencontré les équipes de soignants et de chercheurs qui nous ont fait part des difficultés qu'ils rencontrent du fait du cadre législatif et réglementaire actuel sur les liens d'intérêt, jugé trop contraignant. Ces remarques ont trouvé un écho dans nos débats sur le projet de loi puisque plusieurs de nos collègues ont insisté, à l'inverse, sur la nécessité de renforcer le cadre réglementaire pour prévenir les liens d'intérêt. Je relève que tous sont d'accord sur la nécessité de lutter contre les conflits d'intérêt mais que la question des liens d'intérêt, plus complexe, pose des questions sur l'équilibre à trouver entre les conditions permettant le progrès thérapeutique et celles garantissant que les intérêts industriels ou personnels ne priment pas sur l'intérêt du patient. Nous avons donc souhaité réunir deux tables rondes pour dresser un panorama des enjeux posés, pour la recherche, et pour sa qualité par la réglementation en matière de liens d'intérêt.
La première table ronde est consacrée à l'impact des normes relatives aux liens d'intérêt sur la recherche. Nous avons le plaisir d'accueillir M. le professeur Marc Tardieu, directeur de la Fondation maladie rares, Mme le professeur Agnès Buzyn, présidente et Mme le docteur Chantal Bélorgey, directrice des recommandations, des médicaments et de la qualité de l'expertise de l'Institut national du cancer (INCa) et Mme Elisabeth Herail, chef du service de déontologie de l'expertise de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
Nous vous avons transmis une liste de sujets qui nous semblent intéressants mais qui n'est qu'indicative et je propose donc que chacun prenne successivement la parole pour un propos liminaire.
Mme Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer. - Merci de nous donner la parole sur un sujet qui nous occupe énormément dans les agences d'expertise. Je rappellerai, à titre liminaire, que l'Institut national du cancer est une agence d'expertise sanitaire, avec un certain nombre d'avis rendus dans le champ sanitaire conformément aux dispositions de la charte de l'expertise sanitaire et de la loi votée après l'affaire du Mediator. Mais l'institut est également une agence d'expertise scientifique : nous finançons la totalité de la recherche sur le cancer et nous avons à gérer effectivement la question des conflits d'intérêt entre chercheurs, lorsque les dossiers de recherche sont examinés par notre comité d'évaluation. J'insiste sur ce point, parce que le volet recherche n'est pas du tout soumis aux mêmes obligations ; il n'est pas cité par la loi qui a suivi l'affaire du Mediator et qui ne concerne que l'expertise sanitaire. La question, qui se pose en effet à nous en permanence et qui concerne les conflits d'intérêt dans le champ de la recherche, n'a pas forcément trait aux liens d'intérêt avec l'industrie, car de nombreux chercheurs n'ont pas de lien avec les industriels. Il peut cependant y avoir des conflits d'intérêt entre eux pour des raisons de compétition nationale et internationale dans le champ de la recherche. Les déclarations publiques d'intérêt (DPI) que nous leur soumettons, dans le cadre des procédures que nous avons instaurées en interne, sont très souvent inadéquates par rapport à la gestion des conflits d'intérêt. En effet, on va demander aux chercheurs quels sont les liens qu'ils entretiennent avec les industriels et les financements qui en ressortent. Cependant, les conflits d'intérêt au titre du projet sont jugés à l'aune de critères différents, à savoir la compétition entre chercheurs et la nature de leurs relations, ainsi que les éventuels projets de recherche en commun. La question que vous nous posez implique de délimiter le périmètre de la gestion des conflits d'intérêt et de déterminer jusqu'à quel point cette démarche doit avoir un impact sur les projets de recherche. Car si vous pensez que la question de la recherche dans le domaine de la santé doit se soumettre aux mêmes règles que celles de l'expertise, à ce moment-là, les DPI, telles qu'elles existent, s'avèrent inefficientes. Nous soumettons les chercheurs qui viennent participer à un projet de recherche à une obligation de DPI et ceux-ci mentionnent leurs intérêts industriels le cas échéant. Mais, au-delà de cela, ils doivent attester de l'absence de conflit d'intérêt avec leur équipe de recherche. La question devient alors celle des conflits intellectuels.
Le deuxième point concerne davantage le champ de l'expertise sanitaire. Dans tous les pays du monde, les conflits d'intérêt s'entendent comme devant reposer sur un trépied, à savoir la transparence des liens, l'indépendance des experts et la qualité de l'expertise. Lorsqu'on observe les débats que nous avons avec nos tutelles et les élus sur ces sujets, l'indépendance des experts est mise en avant en permanence, tandis que personne ne semble se soucier de la qualité de l'expertise. Or, à l'arrivée, nous avons un vrai souci dans ce domaine. Nous ne pouvons parfois pas conduire d'expertise car nous n'avons pas d'expert en France, ni d'experts internationaux, qui n'aient de liens d'intérêt avec le sujet lorsque celui-ci est extrêmement pointu. L'Institut est parfois dans l'impossibilité de rendre des avis ou alors, parfois, lorsque nous associons des experts totalement indépendants, il nous est reproché que les avis sont ineptes. Je trouve que ce trépied, en France, n'est pas équilibré. La transparence devrait revenir au premier plan, comme c'est le cas aux États-Unis, alors qu'actuellement, on ne se soucie que de l'indépendance des experts en interprétant tout lien d'intérêt comme un conflit d'intérêt. Cette dérive vers une interprétation jusqu'au-boutiste des liens d'intérêt comme un conflit rend l'expertise sanitaire très périlleuse en ce moment.
Mme Elisabeth Herail, chef du service de déontologie de l'expertise de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). - Je m'exprime au nom de l'ANSM qui est une agence de régulation en matière d'expertise sanitaire. Celle-ci a succédé à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) suite à l'affaire du Mediator. Il est très clair que l'aspect déontologique y est majeur. En tant qu'agence de régulation, nous prenons en moyenne 18 000 décisions par an et la déontologie vise, à travers la transparence, à assurer le processus décisionnel et à renforcer la confiance du patient envers la décision prise par l'Agence. À cet égard, notre politique est très pragmatique en matière de prévention et de gestion des conflits d'intérêts car, comme cela vient d'être dit, le danger réside dans la confusion entre lien et conflit d'intérêt. Nous devons bien identifier les liens d'intérêt susceptibles, par leur intensité ou leur caractère récent notamment, de constituer des conflits d'intérêts dans des dossiers qui sont soumis à notre évaluation. Il nous faut ainsi conduire un travail très précis de qualification afin de prévenir d'éventuelles situations de conflit d'intérêt, lesquelles, comme vous l'imaginez, seraient assez mortifères pour l'agence si l'une de ses décisions impliquait des conflits d'intérêt.
M. Marc Tardieu, directeur de la Fondation pour les maladies rares. - Je vous remercie de m'avoir invité. Je m'exprime au titre de mes fonctions au sein de la Fondation pour les maladies rares mais aussi au titre de mon expérience personnelle. Cependant, en guise d'illustration des points qui viennent d'être évoqués, je suis professeur de pédiatrie et j'étais chef de service en neurologie pédiatrique, et passé 65 ans, j'ai fait le choix de ne pas avoir d'activités de consultanat et de me trouver actuellement en surnombre universitaire au sein d'une unité INSERM. Pendant des années, j'étais un pur académique, sans aucun lien avec l'industrie et depuis ces dix dernières années, j'ai noué des liens pour la valorisation et la thérapeutique visant l'invention de nouveaux traitements. J'ai ainsi deux contrats en cours avec Novartis et Sanofi consistant à siéger à un board international qui dirige un essai thérapeutique de traitement de la sclérose en plaques de l'enfant qui est une maladie rare. En outre, j'ai développé, ces dix dernières années, un traitement par thérapie génique dans une maladie rare qui me met en lien avec l'industrie, puisqu'il faut valoriser les recherches que nous conduisons.
La Fondation pour les maladies rares est une fondation de recherche qui a pour mission d'assurer une expertise et de distribuer des fonds. Elle a également comme mission d'assurer le lien entre le monde académique et le monde industriel, afin de valoriser les recherches que nous conduisons et d'accélérer les choses. Le but de cette démarche est de parvenir à réaliser des essais thérapeutiques.
J'aborderai ainsi deux à trois points. Tout d'abord, le problème de l'expertise et de ses relations avec les conflits d'intérêt, notamment d'ordre financier. Il me semble que tout est dirigé actuellement vers le lien entre l'industrie et de l'argent qui circule. Ce problème est très sérieux et il y a des tricheurs comme l'indiquent les scandales qui ont choqué le public. Tout ce qui est lien avec un industriel n'est pas en soi une perversion, car l'industrie produit de la recherche de très haut niveau. Il est indispensable que la recherche académique soit valorisée et fasse le lien. Toutes les universités ont des cellules de valorisation ! En soi, avoir un lien, un échange, un travail, avec l'industrie est une bonne chose. La rémunération de ce travail à son juste prix ne crée pas forcément une dépendance et ce point-là doit être valorisé. Qu'est-ce qui est une dépendance et que représente une dépendance pour la rémunération au juste prix d'un travail ? Cet équilibre-là est important et repose sur la transparence ; j'ai moi-même des relations, comme je vous le disais, avec Sanofi et Novartis. Les trois cent euros perçus pendant l'année dernière doivent être déclarés. La relation doit être analysée avec l'industrie, mais aussi au sein du monde académique où se trouvent également d'autres conflits.
J'en viens à mon second point. Est-ce qu'un lien d'intérêt peut modifier les résultats de la recherche ? Cette question est très importante. Je dirai que le cas de l'industriel payant très cher un chercheur ayant pour mission de trouver des résultats biaisés en sa faveur doit surement exister. Ce sont des tricheurs mais je pense qu'ils sont très rares ! Ce qui est important, c'est que le type des sujets de recherche retenus dépend de son financement. Il existe ainsi des champs de recherche qui ne sont pas soutenus, faute de financement public ou privé. Par ailleurs, certains sujets peuvent être refusés, en raison des complications qu'ils peuvent susciter. C'est le cas, en particulier, lorsqu'on étudie les inconvénients d'un traitement ou d'une vaccination. Ainsi, se pencher sur les conséquences des vaccinations génère ipso facto un conflit public comme j'ai pu le constater lorsque, dans le cadre de travaux auxquels je participais, nous avions mis en exergue un léger risque qui avait suscité d'importantes réactions contraires, voire passionnées, de l'ensemble de la communauté notamment académique. On peut prétexter un conflit pour refuser de conduire un travail par peur des complications.
Enfin, le dernier point est de savoir à qui doit être versé l'argent. C'est là la seule différence avec les États-Unis où l'institution peut récupérer de l'argent reçu par ses membres à l'occasion d'heures de travail payées par l'institution mais consacrées à un projet extérieur. Ce point-là n'est pas abordé en France. Lorsque je déclare tous mes contrats à l'université, l'hôpital, en revanche, n'en a nullement connaissance. Je vois d'ailleurs un point émerger. En effet, nombre de mes collègues créent une start-up destinée à valoriser leurs travaux. C'est très bien mais cependant, on se trouve quelque peu dans la confusion des genres puisqu'on crée une entreprise mais sur ses heures de travail et avec un but qui n'est pas seulement universitaire.
Pour la fondation qui s'occupe des maladies rares, ma principale préoccupation concerne la qualité des expertises. Ma seconde préoccupation concerne la valorisation de notre recherche et les liens avec l'industrie, dans un contexte budgétaire restreint. En effet, notre budget n'est pas tellement abondé par l'État, mais par l'AFM-Téléthon et par des milliers de dons. Que l'industrie puisse abonder notre budget et obtienne des informations sur les différents projets à valoriser et que nous conduisons me paraît normal. Mais la manière dont cette démarche est assurée doit demeurer claire. Il faut que chacun reste chez soi ! À cet égard, le concept selon lequel l'industrie verse des financements à des fondations n'est pas, pour l'heure, totalement clarifié alors qu'une démarche saine peut être mise en oeuvre de manière simple.
Mme Chantal Bélorgey, directrice des recommandations, des médicaments et de la qualité de l'expertise de l'Institut national du cancer. - Je vous remercie de votre invitation et vais compléter ce qu'a évoqué Mme Buzyn. Il faut noter que la loi de 2011, dite loi Bertrand, a principalement ciblé l'expertise sanitaire en en donnant d'ailleurs une définition, à savoir l'expertise qui conduit le décideur à prendre une décision. Il y a, à cet égard, une grande différence avec l'expertise scientifique qui n'entre pas dans le champ de cette loi. La recherche n'est donc pas incluse dans ce champ. Il existe ainsi une charte de l'expertise sanitaire, fixée par décret, alors qu'il n'y a pas, à ma connaissance, de charte réglementaire de l'expertise scientifique. Si l'on regarde la charte de l'expertise scientifique consultable sur le site internet du ministère de la recherche, la grande différence réside dans la transparence. Celle-ci se retrouve certes dans les deux chartes, mais la charte de l'expertise scientifique ne va pas aussi loin, comme le soulignaient les précédents orateurs, sur la définition de l'indépendance ainsi que de l'obligation d'afficher et d'analyser les critères de différenciation entre un lien et un conflit. En outre, l'interprétation de ce qu'est un lien ou un conflit peut être différente d'un organisme à un autre, voire d'une situation à une autre. Il faut ainsi procéder au cas par cas, en fonction du dossier que l'expert sanitaire aura à analyser. Il peut évidemment se trouver en conflit sur un dossier et non sur un autre, même si ces deux dossiers font intervenir, à un moment donné, une industrie.
En revanche, j'introduis la recherche dans l'expertise sanitaire en rappelant que, dans sa déclaration, l'expert sanitaire doit indiquer s'il est investigateur d'un essai clinique conduit par un industriel. Le fait qu'il soit investigateur-coordonnateur, c'est-à-dire celui qui coordonne l'ensemble des investigateurs dans un pays, est considéré comme un lien d'intérêt majeur et c'est là qu'intervient la notion de recherche dans l'expertise sanitaire. En effet, je ne la vois pas intervenir ailleurs ! Les experts coordonnateurs sont d'ailleurs choisis par les industriels en raison de leur connaissance et nous avons en France des spécialistes du cancer mondialement reconnus qui peuvent être investigateurs-coordonnateurs et c'est tant mieux ! Mais ceux-ci ne peuvent plus, en conséquence, être choisis par nos agences sanitaires. C'est là un vrai sujet. Ainsi, dans le domaine du mélanome, la France dispose de grands experts et des médecins reconnus mondialement. Malheureusement, ces personnes ne peuvent devenir les experts de l'ANSM par exemple. Il faut mettre en perspective cette différence entre l'expertise scientifique et sanitaire et l'impossibilité que je décrivais précédemment. Être dans un board indique certes une reconnaissance mondiale, mais représente un lien d'intérêt majeur et potentiellement un risque de conflit d'intérêt ! C'est pourquoi de tels experts ne peuvent travailler avec nos agences. C'est vraiment un problème.
Enfin, je terminerai mon propos liminaire en rappelant que les interprétations de la loi en matière de conflit d'intérêt peuvent être différentes d'une agence à l'autre. Un guide d'interprétation est désormais nécessaire en la matière dans les différentes agences sanitaires.
M. Alain Milon, président. - Merci madame Bélorgey. Madame Herail, vous avez été interpelée. Je vous laisse répondre avant de passer la parole à mes collègues.
Mme Elisabeth Herail. - Effectivement, l'ANSM a établi une grille des liens d'intérêts selon laquelle tout lien actuel d'un expert qui serait membre d'un board d'un industriel ou investigateur coordonnateur empêche sa nomination au sein d'une instance consultative, commission ou groupe de travail de notre agence. Nous considérons cela comme une incompatibilité. En revanche, peut-on recourir à cet expert de manière ponctuelle ? Si la personne est coordonnatrice principale d'un essai, on peut toutefois lui confier une expertise ponctuelle à la condition qu'elle ne soit pas en conflit d'intérêt avec le sujet qu'elle va examiner. En outre, dans le cadre de ces expertises ponctuelles, une disposition de la charte de l'expertise sanitaire prévoit qu'à titre exceptionnel, et pour des raisons motivées comme l'extrême technicité du sujet évalué, une agence ou une instance consultative peut entendre une personne qui serait en conflit d'intérêt sur le sujet examiné. La personne ainsi auditionnée ne participera ni au vote, ni aux délibérations de la commission.
En outre, l'analyse des conflits d'intérêt est effectivement conduite in concreto. Avant chaque séance de commission ou de groupe de travail, on croise donc l'ordre du jour avec les intérêts déclarés par chacun de ses membres concernés. Si l'un d'eux a été, au cours de l'année précédente, investigateur principal dans le cadre d'un projet qui est lié à cet ordre du jour, il ne pourra pas participer à la délibération de l'instance sur ce point. Si un autre sujet qui ne présenterait aucun rapport avec la firme ou le sujet de son évaluation, venait à être abordé dans l'ordre du jour, cette même personne pourrait participer aux travaux de l'instance. Ainsi, l'analyse est bel et bien conduite point par point, ce qui implique, d'un point de vue opérationnel, un travail d'analyse in concreto conséquent pour les secrétariats des différentes instances concernées. Notre service de déontologie conduit ainsi une analyse a priori des liens des membres de nos commissions et groupes de travail lors de leur nomination. Dès lors, j'insiste sur le travail très lourd de prévention des conflits d'intérêt qui est conduit par l'ANSM. Il est indispensable. On ne reviendra pas en arrière car, en ce qui nous concerne, en tant qu'autorité de régulation et de police sanitaire de médicaments et produits de santé, la loi Bertrand a su instaurer un équilibre. Encore faut-il cadrer au cas par cas, mais je ne pense pas qu'il faille aller plus loin, ni régresser.
M. Alain Milon, président. - Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaiterais vous faire part de la réflexion que nous avons entendue lors de notre visite à l'Institut Gustave Roussy. Les chercheurs de cet établissement privé à but non lucratif nous ont dit que, lorsqu'ils devaient participer à une expertise, ils devaient déclarer leurs liens d'intérêt. Or, dans cette procédure, ils devaient déclarer non leurs liens d'intérêt, mais ceux de l'Institut lui-même. Il leur fallait ainsi déclarer des sommes relativement importantes qui n'étaient nullement celles qu'ils percevaient, ce qui les empêchait de devenir experts. Leur contestation de la loi Bertrand visait le fait que se trouvaient, dans les agences, des experts qui ne disposaient pas d'une expertise suffisante puisqu'ils n'étaient plus chercheurs.
Mme Agnès Buzyn. - Puisqu'il s'agit de l'Institut Gustave Roussy, je ne vais parler que du cancer dans cette instance. On demande à nos chercheurs, monsieur le président, de déclarer les sommes qu'ils ont reçues pour leur travail individuellement ou qui ont été versées à l'établissement pour leur travail, y compris comme investigateur principal d'un essai clinique. Normalement, à ma connaissance, dans la déclaration publique d'intérêt, il ne leur est pas demandé de noter les sommes globales reçues par l'Institut Gustave Roussy. En revanche, lorsqu'ils participent à des essais cliniques et reçoivent de l'argent reversé à l'Institut, ces données doivent être précisées. Pour compléter mon propos liminaire, nous constatons à l'INCa une forme de dérive. Je ne sais si celle-ci va se poursuivre, mais on a l'impression de deux mondes qui sont en train de se séparer. Il est tellement handicapant pour ces chercheurs de remplir ces DPI qu'ils ne le supportent plus ! Ils refusent ainsi de se rendre aux expertises car ils en ont assez. Les chercheurs sont beaucoup plus intéressés par un travail pour l'industrie, non pas forcément pour leurs rémunérations individuelles, mais parce que leur participation à un board international leur permet, en tant que chercheurs, d'obtenir des informations pertinentes pour leurs recherches, et ce, avant tout le monde et toutes les publications, tout en profitant des échanges avec les experts les plus connus mondialement. C'est donc un intérêt intellectuel majeur. Même s'ils renonçaient à leurs rémunérations, ces chercheurs demeureraient intéressés par le fait de siéger dans ces boards, puisque cette participation leur permet de maintenir une avance essentielle dans leurs recherches. Les chercheurs préfèrent ainsi travailler avec l'industrie pour ce motif de stimulation intellectuelle, tandis que les agences les fatiguent avec leurs procédures bureaucratiques et tatillonnes. En outre, chaque agence suit une grille d'interprétation spécifique. Les chercheurs se sentent ainsi mis en cause dans leur indépendance et le prennent très mal ! Les chargés de missions et les responsables de groupes passent la moitié de leur temps à adresser des mails d'excuses aux experts nationaux, en leur expliquant les motifs qui ont présidé à leur rejet, suite à la lecture de leur déclaration d'intérêt. Seuls demeurent, à terme, des experts institutionnels qui se trouvent dans toutes les agences et dont on peut se demander quelle va être leur expertise, puisqu'ils ne participent plus ni aux essais thérapeutiques, ni aux boards. Se fait jour ainsi une différence entre des experts institutionnels qui n'ont plus aucun lien avec la recherche et les experts professionnels que nous ne pouvons jamais solliciter. Ce tableau est certes quelque peu caricatural, mais vu le montant de rémunérations de nos experts, compte tenu des travaux qu'ils effectuent et en comparaison avec ce qu'ils perçoivent en siégeant dans un board international, tout cela participe à la création de deux mondes séparés !
M. Alain Milon, président. - Docteur Bélorgey, souhaitez-vous réagir et compléter ce qui vient d'être dit ?
Mme Chantal Bélorgey. - Oui. La loi est telle que c'est à l'expert de faire sa déclaration et il est responsable de son contenu. Les agences ne sont pas là pour contrôler la véracité des déclarations. D'ailleurs, le législateur a écarté, au moment du vote de la loi, la proposition selon laquelle les agences auraient eu cette mission. Le déclarant se retrouve confronté à la complexité de la déclaration qui peut être demandée, avec des outils informatiques différents, pour chaque agence. Les experts n'ont d'ailleurs pas été formés à cette culture. Enfin, l'expert sanitaire n'est pas reconnu, à l'inverse du chercheur, que ce soit au plan financier ou au plan de la carrière. Il me semble que c'est un point important.
M. Marc Tardieu. - Cette situation de l'expert professionnel n'est pas réservée à la France. On le voit aussi aux États-Unis ! Celui qui ne touche à rien peut être expert et ce, dans beaucoup de domaines. Un chercheur ou un clinicien qui a le choix soit d'aller vers la valorisation et la création d'un essai thérapeutique et être dans un board mondial - nous ne sommes d'ailleurs que quatre dans le board que j'évoquais tout à l'heure - soit d'être retenu par l'ANSM opte, sans aucun doute, pour la première option ! L'argent n'est pas en cause, mais ce qui importe c'est la reconnaissance de son expertise et le renforcement de sa capacité d'aller plus vite vers un traitement. Ce point-là est essentiel. J'ai d'ailleurs, de manière amicale, été interdit de séjour à l'ANSM parce que j'appartiens à ce board. Une telle situation me paraît tout à fait absurde, puisque ma participation à ce board international ne préjuge d'aucun lien d'importance avec la firme Novartis, mais reflète davantage que je connais bien mon sujet.
M. Alain Milon, président. - Je passe la parole à notre collègue Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. - Ce qui vient d'être abordé, notamment au cours de la dernière intervention, me paraît capital. Qu'est-ce qui est considéré comme un lien d'intérêt ? Est-ce que celui-ci renvoie à une personne qui ne vit que de l'expertise ou au contraire à une indemnisation minimale, comme celle de trois cent euros pour une année qui vient d'être évoquée, ou même une somme qui indemnise matériellement les déplacements et autres activités, sans fournir des moyens substantiels pour un professeur ou un chercheur ? Il faudrait envisager une limite physique ou matérielle, afin de ne pas ennuyer l'ensemble du monde de la recherche avec des procédures bureaucratiques sans fin. Nous connaissons cela également, car chaque fois que nous sommes invités à un déjeuner, il nous faut nous prémunir contre d'éventuels conflits d'intérêt. Cette loi était nécessaire car il y avait, comme vous l'avez souligné, des tricheurs qui ont déclenché toute cette affaire, mais il faut demeurer modéré. Il importe de savoir de quoi vit le chercheur et être capable de trouver pour l'expertise sanitaire des experts de qualité. En effet, siégeant au conseil d'administration de l'ANSM, je vois bien que certains domaines d'expertise sont relativement secs et nous ne trouvons pas d'experts compétents. On se tourne alors vers des experts étrangers qui, pour beaucoup, ne veulent pas entrer dans ce système de déclaration qui leur est intolérable. Nos agences se renvoient les experts traditionnels et ceux-ci sont toujours à peu près les mêmes. Est-ce que l'expertise est mauvaise pour autant ? Ce n'est pas là mon propos. Mais je souhaite qu'on puisse revoir le mode d'indemnisation de l'expertise. Précédemment, dans mon centre hospitalo-universitaire, nous avions créé une association pour recueillir les fonds versés par les laboratoires, mais c'est là un problème. Par ailleurs, dans beaucoup de domaines, nous avons besoin de l'expertise de chercheurs que nous ne trouvons plus désormais dans certains secteurs.
M. Marc Tardieu. - Vous avez abordé deux points. D'une part, y a-t-il un niveau de somme, qui serait subsidiaire par rapport au salaire ou le doublerait ? D'autre part, quel est le compte où est déposée la somme concernée : s'agit-il d'un compte bancaire personnel ou de celui d'une association ? Ce dernier type de compte est devenu très marginal, mais existe encore. Faut-il une fondation ou une structure fléchée au sein du CHU ? Peut-on déterminer une somme qui serait totalement subsidiaire par rapport à mon salaire ? Je ne le sais. En revanche, peut-on être pleinement transparent par rapport aux sommes données dans le cadre de contrats ? Je le pense. Lorsqu'on nous demande de déclarer nos conflits d'intérêt et d'être transparent, j'annonce que j'ai un contrat avec SANOFI qui ne me met strictement pas en conflit. Je préfèrerais annoncer que je suis au board et que je reçois, transports inclus, une certaine somme qui m'apparaît comme très raisonnable. Lorsque j'ai reçu des sommes plus importantes, je les ai versées à une association, même si j'aurais pu les flécher au sein du CHU. Cette démarche me paraît beaucoup simple. Cependant, la notion de fondation qui permet de déposer des sommes qui soient connues et inspectables me paraît la meilleure solution. Mettre en public la somme reçue et avoir une structure d'accueil qui soit claire, saine et respectable me semble une démarche nécessaire.
Mme Elisabeth Herail. - S'agissant de la qualité de l'expertise, nous suivons à l'Agence des règles déontologiques assez sévères. Mais sur des sujets sensibles comme les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) de cohorte ou encore le Truvada, qui ont donné lieu à une expertise assez poussée et à des groupes de travail, il a été compliqué de trouver des experts qui ne soient pas en conflit d'intérêt sur le sujet. On a tout de même réussi à réunir un groupe d'experts et la qualité de l'expertise qui a été menée, à la fois au sein de l'agence et par la commission, ne peut être mise en doute. Il faut être prudent sur ce point. En outre, en matière de déontologie, les règles posées par l'Agence européenne du médicament sont également extrêmement sévères. Celle-ci considère notamment que la participation à un board constitue un lien majeur. En matière de décision, de police sanitaire et de produits de santé, il est vrai que le niveau d'exigence concernant les liens d'intérêt demeure très élevé aux niveaux national et européen. Certains scandales ont fait que les agences d'évaluation des produits de santé ont placé assez haut leur niveau d'exigence.
M. Alain Milon, président. - Quelle est la différence entre un lien d'intérêt, un lien majeur d'intérêt et un conflit d'intérêt ?
Mme Elisabeth Herail. - Prenons des exemples pratiques. Vous êtes actuellement investigateur principal pour un grand groupe pharmaceutique et vous ne pouvez pas, concrètement, participer à une instance consultative : il s'agit là d'une incompatibilité. Vous avez été, l'année dernière, investigateur principal ou vous renoncez à l'être cette année, vous pouvez être nommé membre de l'instance mais lorsqu'il y aura un sujet qui aura trait à la molécule sur laquelle vous avez été investigateur principal l'année passée et dans les quatre ans qui la précède, vous serez en conflit d'intérêt. Vous ne pourrez pas participer à la discussion de la séance sur le sujet. Enfin, vous avez été simple investigateur, mais non investigateur principal, vous présentez un lien d'intérêt qui est considéré comme n'étant pas majeur. Autrement dit, vous pourrez assister à la séance de l'instance sur le sujet. C'est une sorte de gradation. Je ré-insiste sur le fait que cette appréciation s'avère très complexe pour nos services.
Mme Agnès Buzyn. - Par rapport à la remarque émise par M. Barbier sur la façon dont nous interprétons ce lien en fonction de la somme reçue, j'indique que nous avons fait l'exercice au sein de l'INCa de mettre une limite financière, qui est de 1 500 euros par an. Une telle somme est totalement arbitraire car elle s'avère dérisoire par rapport à celle que peuvent toucher certains experts. Cependant, une telle somme représente beaucoup d'argent pour nos concitoyens. Notre comité de déontologie discute ce point qui s'avère assez compliqué. Une autre question se pose : l'expert est-il en lien avec un seul laboratoire avec lequel il part régulièrement en congrès - ce qui laisse présager un lien fort -, ou ce même expert est-il l'expert de douze laboratoires différents pour une pathologie donnée dont il est le spécialiste ? Comment, dans ce cas, interpréter les liens d'intérêt avec l'industrie ? L'appréciation est compliquée. Ensuite, pour revenir à ce que disait M. Tardieu, à savoir que cette somme ne devrait pas être remise directement à l'expert, mais être directement versée aux fondations ou à des structures, jusqu'à présent, de nombreux investigateurs des essais cliniques reversaient les sommes à des associations ou des services, dans les centres hospitalo-universitaires (CHU) ou les centres de lutte contre le cancer (CLCC). Ces associations ne sont plus permises par la loi et les fondations hospitalières vont se mettre en place. Or, il faut savoir que les services fonctionnaient avec les associations qui assuraient le financement des déplacements des médecins et concourraient aux travaux entre collègues pour monter tel ou tel essai académique. Ce n'est pas l'hôpital qui est en mesure de payer de telles activités ! Je ne parle même pas des congrès : il faut ainsi près d'un an d'avance avec plus d'une dizaine d'autorisations pour s'y rendre quand on travaille dans un CHU ou un hôpital public ! On est remboursé dix-huit mois après et seul un congrès par an est autorisé ! Le travail des médecins français dans les hôpitaux va être complexifié, du fait de ne plus avoir accès à des sommes maniables. Auparavant, des infirmières pouvaient également en bénéficier. Or, les fondations hospitalières telles qu'elles sont prévues par la loi ont uniquement vocation à financer de la recherche. Toute une structure hospitalière est totalement remaniée et je ne sais comment les services vont pouvoir fonctionner pour toutes ces réunions de travail qui sont permanentes et nécessaires lorsqu'on est chercheur et qu'il importe d'être informé de toutes les innovations dans son domaine.
Enfin, j'aborderai un dernier point. En cancérologie, tous nos experts sont soumis à des injonctions contradictoires majeures. Tous les plans cancer successifs, y compris le troisième, leur demandent d'augmenter le nombre de patients dans les essais cliniques. Pour deux raisons : premièrement, lorsqu'un patient est inclus dans un essai clinique, il a accès à l'innovation et souvent à des médicaments innovants. C'est donc une forme d'égalité d'accès à l'innovation que de pouvoir participer à l'essai clinique, y compris dans les territoires les plus reculés. Je pense, à cet égard, aux départements d'outre-mer qui n'ont pas à l'heure actuelle accès à ces essais cliniques. On a donc le devoir d'élargir l'offre d'essais cliniques et de les répartir sur l'ensemble du territoire. Deuxièmement, l'ensemble de la littérature médicale montre que la participation d'un établissement à un essai clinique améliore la qualité des soins prodigués à l'ensemble de ses patients, y compris ceux qui ne sont pas inclus dans l'essai. Pourquoi ? Parce que cette démarche oblige les praticiens à suivre des procédures. Lorsqu'on suit un essai clinique, on respecte au plus près les recommandations. Participer à la recherche clinique est ainsi décrit par le plan cancer à la fois comme un mode d'accès à l'innovation et une manière d'améliorer la qualité des soins. On demande également au secteur privé de s'engager dans la recherche clinique. On demande ainsi aux experts cliniques d'inclure un nombre grandissant de malades dans leurs essais et dès qu'ils deviennent coordonnateurs principaux, on les exclut de l'expertise sanitaire. Gérer l'application du Plan cancer est un travail bien compliqué !
Mme Annie David. - Je dois avouer ma perplexité en vous écoutant sur les sujets que vous abordez. À vous entendre, vous n'avez pas tout à fait la même manière d'aborder le sujet. Ces dissonances rajoutent à la perplexité sur le sujet. N'y aurait-il pas nécessité à entendre une voix un peu plus concordante sur ces sujets très délicats ? Vous avez vous-mêmes évoqué différents scandales et nous sommes en plein drame humain suite à la mise en oeuvre d'un essai clinique. Tous ces liens d'intérêt sont tout de même liés à une industrie qui brasse beaucoup d'argent. Vous parliez de sommes qui peuvent apparaître comme importantes pour certains, comme 1 500 euros ou 300 euros, mais compte tenu de la hauteur des enjeux, ces chiffres paraissent assez faibles et ce, d'autant plus lorsqu'on connaît les chiffres d'affaires de certains laboratoires pharmaceutiques. Il y a beaucoup d'argent en jeu ainsi que de nombreuses personnalités impliquées dans cette affaire. On a du mal à s'y retrouver. D'ailleurs, j'ai trouvé ce matin que le processus instauré par l'ANSM me convient tout à fait car il permet d'être vigilant. Apparemment, Mesdames, Monsieur, vous semblez trouver que cette démarche est un peu trop rigide. Nous sommes nous-mêmes en proie, lorsqu'il faut faire la loi, à de nombreuses questions. Il faut que nous ayons confiance en nos chercheurs et ne pas penser qu'a priori, ils vont être des tricheurs. Il y en a certes eu, mais peu. Vous avez raison, et il faut insister sur point. S'il est vrai qu'il faut avoir ces exemples en tête, il ne faut pas pour autant se limiter à eux. J'aurais besoin, pour faire la loi dans de bonnes conditions, d'être un peu plus rassurée quant à votre propre vision sur cette situation.
Mme Agnès Buzyn. - Entre mes propos et ceux de Mme Herail, il peut apparaître une différence. En fait, cette différence est uniquement de perception. L'INCa n'est pas une agence de régulation puisqu'elle fournit un certain nombre de recommandations en matière de bonnes pratiques et de stratégie. Nous suivons les mêmes procédures qu'à l'ANSM et à la Haute Autorité de santé (HAS). Éventuellement, nous auditionnons un expert qui aurait des liens majeurs, sans qu'il participe aux débats. Nous avons également instauré une traçabilité complète de nos débats lorsqu'il s'agit des avis et des recommandations. Sur ces points-là, les différentes agences se sont coordonnées. Alors que j'entends que l'ANSM ne semble pas l'éprouver, nous, sur certains sujets très pointus, nous avons une vraie difficulté à trouver des experts. Je sais que c'est également le cas pour la Haute Autorité de santé. Suite aux différents scandales, notre procédure est rigide et protège. Elle devrait cependant pouvoir être amendée dans certains cas. Ainsi, on fait actuellement des recommandations pour la prise en charge des femmes présentant un haut risque génétique de cancer du sein. Il y a cinq spécialistes en France, notamment sur les IRM qui remplaceraient les mammographies. Tous les radiologues, qui sont spécialisés sur cette question, ont développé des protocoles avec les vendeurs d'IRM. On doit ainsi les exclure. On n'arrive ainsi pas à produire cette expertise au risque d'accroître les délais et de douter de la qualité de l'expertise. Mon propos n'était pas de revenir sur la loi en tant que telle, mais de souligner la nécessité d'être attentif à ce qu'à l'arrivée, la qualité de l'expertise soit au rendez-vous. Pour certaines expertises, je suis angoissée et ça n'interpelle personne ! Nous sommes tous tellement focalisés sur les risques de conflits d'intérêt et sur l'indépendance qu'à l'arrivée, des agences risquent de rendre des avis non pertinents ou ne peuvent pas les produire du tout ! On s'est d'ailleurs posé la question, pour certaines expertises, de les abandonner purement et simplement. Je souhaitais revenir sur ce point, car nos procédures sont parfaitement identiques entre nos agences.
Mme Elisabeth Herail. - Notre agence ne se situe pas au même niveau d'intervention : nous délivrons des autorisations et juridiquement, on ne peut donner une autorisation avec une instance consultative dans laquelle il y aurait une personne qui serait en conflit d'intérêt. Il ne s'agit pas de remettre en cause la qualité morale des personnes concernées, mais il ne faut pas qu'il y ait de doute, pour une personne extérieure, quant à la qualité du processus décisionnel et l'impartialité qui a présidé à l'édiction de cette mesure. On ne discute pas de l'opportunité pour soigner un mélanome de prescrire telle molécule ou non. Notre problématique est bien spécifique : notre agence accorde des autorisations. Nous nous situons dans une phase plus en amont que les autres agences et nous n'avons pas le droit à l'erreur pour une double raison. Nous ne pouvons prendre des décisions avec des experts qui seraient dans une position de conflit d'intérêt afin de protéger le patient d'une part, et d'un point de vue institutionnel d'autre part, car nous ne voulons pas voir notre décision remise en cause sur ce principe-là. L'ANSM n'est pas une instance de recherche. Je crois que la loi du 29 décembre 2011 a été prise évidemment en réaction à l'affaire du Mediator. Le tropisme de cette loi a été l'expertise sanitaire et très exactement la prise de décision. Le sujet de l'évaluation impliquant des experts, qui avaient des liens majeurs avec l'industrie, a été remis en question. Cette loi a tenté de répondre à la question de savoir comment éviter les conflits d'intérêt en matière de décision prise dans ce domaine. Faudrait-il une nouvelle loi pour la recherche ? Je ne sais pas, mais le tropisme a été celui-là pour la loi du 29 décembre 2011.
M. Marc Tardieu. - Mon intervention est très proche. Une part de la difficulté de lecture de ce qui a été dit ce matin est imputable au sujet lui-même qui demeure très complexe. De plus, il y a une différence entre l'expertise entendue strictement, qui vise à donner des moyens à l'industrie, et l'expertise scientifique plus générale qui aborde l'évaluation de projets et ainsi que les bonnes pratiques de recherche clinique et les liens avec l'industrie. Ces trois sujets là sont un peu différents et peuvent relever de pratiques différentes. L'échange d'argent en recherche clinique est un sujet différent de celui qui incombe à l'ANSM qui doit donner un accord. Dans ce cadre, il s'agit de sommes bien plus importantes. Il faut ainsi bien distinguer ces trois sujets dans ce qui vient d'être dit.
Mme Chantal Bélorgey. - J'insisterai à nouveau sur l'interprétation de la loi et des décrets. Comme vous le disiez, il est utile de disposer d'un organisme qui apporte une interprétation des textes qui soit identique pour savoir ce qu'est un lien et ce qu'est un conflit. Certes, il faut appréhender les situations au cas par cas, mais on peut avoir des interprétations juridiques qui soient utiles à l'ensemble des agences. Je vois là un certain besoin. D'un autre côté, lorsque nous émettons des recommandations et que nous établissons des bonnes pratiques, c'est-à-dire ce qui guide les médecins à prescrire tel ou tel médicament dans certaines situations et quels sont les produits préférables pour les patients, même s'il ne s'agit pas là d'une décision à proprement parler, de type ANSM, c'est tout de même une recommandation forte pour la pratique de tous les jours. Dans ce cas-là, nous appliquons évidemment la loi puisqu'il s'agit d'une expertise sanitaire qui conduit à la formulation de ces recommandations. Et nous aurons besoin d'une interprétation sur certains sujets quand, par exemple, un grand médecin, qui va dans les principaux congrès mondiaux de cancérologie, ne peut pas participer à la commission d'expertise qui propose les recommandations sur ce sujet. On peut être très sévère et l'être un peu moins sur certains points. Je ressens fortement ce besoin d'interprétation.
M. Alain Milon, président. - Avant de passer la parole à mon collègue René-Paul Savary, permettez-moi une boutade. Pour moi, l'organisme dont vous me parlez, c'est le ministère de la santé, mais celui-ci dispose-t-il d'une capacité d'expertise suffisante ?
M. René-Paul Savary. - Toujours dans la boutade, on peut se demander si les chercheurs n'ont pas intérêt à ouvrir un compte en Suisse, ce qui leur permettrait de régler le problème, ou à partir pour l'étranger ! Sur cette question, on voit bien que le principe de précaution l'a emporté sur celui de l'innovation. Je suis tout de même attristé par certains de vos propos, qui sont certes fort brillants, car ils indiquent clairement que le législateur a fait une loi pour les tricheurs et non pour le plus grand nombre. Cette situation doit nous interpeler, puisque cette fâcheuse habitude me paraît perdurer dans l'ensemble des domaines qui nous sont soumis. Par ailleurs, Mme Herail nous a parlé de l'agence européenne. Les principes de déontologie, qui ne sont pas seulement propres aux Français mais qui concernent l'ensemble de l'Europe, me semble-t-il, peuvent-ils être tels que l'on puisse faire confiance à cette agence européenne et ainsi supprimer notre agence française ? Puisqu'on souhaite acquérir une renommée mondiale, il nous faut partager le fruit de nos recherches ! Nous approchons-nous de cette échéance ?
Mme Elisabeth Herail. - Je ne le pense pas. A l'inverse, je pense que l'ANSM a de beaux jours devant elle. En tout état de cause, même si l'évaluation et l'autorisation de certains médicaments peuvent être données au niveau de l'agence européenne, celle-ci s'appuie, pour cela, sur les évaluations des agences nationales. La surveillance d'un produit relève, quant à elle, des instances nationales. L'ANSM n'est donc pas prête de mourir quoi qu'il en soit !
M. Jean-Louis Tourenne. - Je m'interroge sur l'origine des difficultés à légiférer sur ce point pour éviter qu'on handicape l'innovation et la recherche et pour éviter par ailleurs l'utilisation abusive par un certain nombre de nos concitoyens des moyens qui sont mis à leur disposition. Avons-nous si peu de compétence qu'on soit obligé d'opérer une sélection nationale de ceux qui doivent intervenir dans les différents domaines que vous avez cités précédemment, à savoir l'information, la coordination, ou encore l'expertise en agence ? De telle façon que, comme ils sont si peu nombreux, pour essayer d'obtenir, de leur part, un peu de leur compétence, on est obligé de recourir à des contournements byzantins, selon les sujets et les industries concernés. Bref, de passer un temps considérable et de mobiliser de l'énergie pour essayer d'obtenir une expertise aussi savante que possible ! Ou bien, n'avons-nous que peu d'experts volontaires car ils sont trop peu rémunérés ? Ou encore, notre situation combine-t-elle ces deux difficultés ? Auquel cas, le remède n'est pas le même. Par conséquent, les réponses que l'on peut apporter en tant que législateur seraient différentes, selon l'origine que vous déterminez des maux.
Mme Catherine Génisson. - Peut-être que mes questions s'inscrivent en contrepartie de celles de mon collègue Jean-Louis Tourenne. Comme il a été dit au début de l'entretien, je pense qu'il est important de faire la différence entre l'expertise sanitaire et l'expertise en matière de recherche. Un grand nombre des difficultés de fonctionnement provient de l'amalgame spécieux qui est fait entre ces deux notions. La seconde chose, qu'a également soulevée M. Tourenne, concerne l'absence de reconnaissance à leur juste valeur, en France, de nos chercheurs de renommée internationale. C'est là que la perversité commence et qu'il y a manifestement une perversité des pouvoirs publics. Lorsqu'on dit que les sommes versées à des chercheurs sont reversées soit à une association ou à une autre structure afin de permettre à ceux-ci de pouvoir participer à des travaux ou de se rendre à un congrès, c'est tout de même très pervers ! Il y a là une anomalie, à savoir un manque de reconnaissance en matière de soutien à la recherche publique et privée qui oblige à déployer des stratagèmes qui sont la source de nombre de dysfonctionnements. Actuellement, la loi me paraît coercitive et inadaptée tout en ne prévenant pas les dérives. Votre table ronde est passionnante et elle va nous obliger à travailler avec vous pour sortir de l'actuel système qui me semble très vicieux et qui empêche, au bout du compte, le développement de la recherche et le travail serein de nos chercheurs.
M. Alain Milon, président. - Quelles sont donc les pistes ?
Mme Agnès Buzyn. - La difficulté à trouver des experts varie en fonction de la rareté de la recherche. Plus le sujet concerne des maladies rares, plus le vivier des experts sera réduit. Ceux-ci seront d'ailleurs enclins à travailler par ailleurs sur des produits innovants, ce qui en réduit encore le nombre pour nos expertises. Lorsque l'expertise concerne le cancer du côlon, il est plus aisé de trouver des experts sans lien d'intérêt. La difficulté provient du sujet de l'expertise d'une part et d'autre part qu'un médecin chercheur, qui est investigateur et s'implique dans la recherche clinique, a beaucoup plus d'avantages à persister dans cette voie que d'être expert sanitaire, fonction chronophage et mal reconnue. Comme le soulignait Chantal Bélorgey, tout ce temps dédié au collectif n'est pas du tout valorisé pour la carrière hospitalière et universitaire, tandis qu'un article innovant dans une revue scientifique internationale est de nature à la favoriser. Il y a ainsi vraiment un sujet de valorisation universitaire de cette expertise et je ne sais à quel point l'Agence peut le régler.
J'avais un dernier mot concernant la recherche clinique. Les chercheurs fondamentalistes reçoivent des financements pour aller dans les congrès. Les chercheurs hospitalo-universitaires ont, quant à eux, de réelles difficultés à travailler. L'hôpital public n'est pas fonctionnellement adapté aux besoins éprouvés par les groupes de travail en permanence. S'agissant enfin de la recherche clinique en cancérologie, 83 % des essais en cancérologie sont d'origine académique et non industriel. On en a l'image inverse ! La mise en oeuvre de protocoles de soins contre le cancer est en fait financée par le ministère de la santé pour faire avancer la médecine. Or, on les traite, dans nos grilles d'analyse, de la même manière qu'un protocole industriel, du moment que les chercheurs sont investigateurs principaux. Par le biais d'une instance commune, on pourrait ainsi harmoniser notre vision des liens d'intérêt majeur, mineur et des conflits d'intérêt. Ce serait important. Une seconde piste résiderait ainsi dans la valorisation du travail, pour la collectivité, lorsqu'on a une carrière hospitalière à effectuer.
M. Marc Tardieu. - Le problème de la valorisation de ce travail d'expertise est en effet majeur. Cette activité ne compte absolument pas pour devenir professeur par exemple. Payer plus l'expert est également une solution lorsqu'il est fondamentaliste et qu'il n'est, par conséquent, pas très bien payé. Un professeur d'université, praticien hospitalier, est bien payé et le fait de le rémunérer davantage pour les expertises ne changera rien. La reconnaissance comme spécialiste est un motif d'invitation aux congrès pour faire une conférence. L'argent versé sert davantage à payer la participation des plus jeunes, parfois des infirmières. On ne facilitera donc pas la tâche aux experts en les payant nettement mieux lorsqu'il s'agit d'hospitalo-universitaires.
Mme Elisabeth Herail. - La valorisation de l'expertise est en effet un point sur lequel nous sommes tous d'accord. Je suis d'accord avec ce que vient de dire le professeur Tardieu car je pense que la réponse à apporter n'est pas nécessairement financière, même s'il faut reconnaître que le niveau de rémunération que nous proposons demeure très bas et qu'il faudrait qu'on le revalorise. Ce n'est pas le sujet principal. Comment assurer la prise en compte du temps donné à la collectivité dans la carrière ? Ce sujet est très complexe et sensible, car différents acteurs y interviennent, outre le ministère de la santé, comme le ministère de la recherche ou encore les universités. Notre agence, dans le cadre d'un chantier prioritaire, poursuit actuellement une réflexion sur la revalorisation de cette expertise sanitaire. Le point central demeure la carrière pour laquelle l'expertise n'est pas suffisamment prise en compte. J'ajouterai que lorsqu'on est investigateur principal dans une recherche académique, ce n'est pas une incompatibilité pour l'Agence, mais plutôt pour les instances !
Mme Laurence Cohen. - Ce sujet va continuer de nous mobiliser pour améliorer la loi. Suite à vos propos, je demeure soucieuse quant au manque de moyens consacré à la recherche, d'une manière générale, et à la situation des agences. En tant que parlementaire, je suis membre du conseil d'administration de l'ANSM, et j'ai pu constater, depuis que j'y siège, que des choix cornéliens ont été opérés par l'Agence, du fait des budgets contraints. De tels choix peuvent ainsi réduire son champ d'intervention. J'émettrai une remarque sur le sujet de l'expertise. Je suis très inquiète lorsque surviennent plusieurs scandales. Prenons le sujet de la vaccination. On constate aujourd'hui une défiance grandissante en France à son égard. D'ailleurs, la ministre de la santé a pris récemment un certain nombre de résolutions pour essayer de dépasser ces difficultés. Je trouve, pour ma part, qu'y compris au niveau de l'expertise scientifique, - je ne sais si cela est lié à des liens ou des conflits d'intérêt -, la situation n'est pas satisfaisante. Aujourd'hui, la nocivité des sels aluminiques dans les adjuvants des vaccins est un sujet reconnu en France, en Europe et dans le monde. Il y a un certain blocage pour que tous ces travaux soient mis sur la table et qu'une décision soit prise pour permettre de lever les doutes et les inquiétudes. Lorsque je parle de conflits ou de liens d'intérêt - je ne reviendrai pas sur les différences d'ordre sémantique qui s'avèrent d'une grande subtilité -, je regrette le fait que les laboratoires organisent des ruptures de stocks qui font que les patients sont obligés de recourir à des vaccins qui ne correspondent pas obligatoirement au choix qu'ils auraient fait. C'est un sujet très précis que j'évoque et qui a déjà été abordé par l'ANSM. Il a fallu demeurer opiniâtre pour qu'il n'y ait pas que les seuls experts de cette agence qui puissent s'exprimer sur cette question, mais qu'il y ait des avis à la fois extérieurs et divergents afin de formuler une réponse qui soit à la hauteur des enjeux. Chaque agence a certes ses spécificités, mais comment mieux y travailler et s'assurer qu'il n'y ait pas, de manière sous-jacente, un certain nombre de conflits ou de liens qui empêche d'aller au bout des choses ?
M. Georges Labazée. - Mon propos rejoindra celui de mon collègue René-Paul Savary. Lorsque vous vous retrouvez dans des colloques internationaux, vous travaillez avec des homologues de pays européens. En l'absence de législation commune, ceux-ci ne bénéficient-ils pas d'un réel avantage pour conduire plus rapidement leurs travaux et assumer leurs missions ?
M. Michel Amiel. - Je formulerai une remarque à titre liminaire. Deux concepts me paraissent particulièrement importants dans les sujets que nous abordons. D'une part, nous vivons dans une société de la pression de la transparence. Permettez-moi une anecdote personnelle qui me paraît illustrative. Le fait d'accepter un repas avec un laboratoire pharmaceutique apparaît comme un conflit d'intérêt ! D'autre part, l'argent demeure un tabou. Lorsque vous évoquiez précédemment la somme de 1 500 euros. Pour le commun des mortels, il est vrai que cette somme représente beaucoup d'argent. Que dire du million et demi d'euros que peut gagner un footballer et là, ce n'est plus un tabou ! Il y a une carence au niveau médical pour des questions d'argent ! Les médecins de santé publique sont payés de manière catastrophique, ce qui ne suscite guère les vocations ! Il me paraissait important de le dire. C'est un peu le règne de l'hypocrisie. S'agissant de l'expertise, et plus particulièrement celle de l'efficacité des médicaments, un sujet m'a toujours beaucoup étonné. Tout d'abord, force est d'admettre que nous avons évolué dans le bon sens. Bon nombre de médicaments, clairement inutiles, ne sont plus prescrits du fait de leur non-remboursement puis de leur obsolescence. À cet égard, je me rappelle, il y a trente ans, les oxygénateurs cérébraux. En revanche, et ne voyez aucune polémique dans mon propos, les médicaments homéopathiques, qui sont remboursés, ne sont pas soumis au même type d'expertise puisqu'ils dérogent, par définition, aux catégories visées par l'expertise clinique. C'est une question que je me pose. Enfin, à la suite de la question de mon collègue Georges Labazée, comment situez-vous notre pays par rapport à d'autres grands pays comme l'Allemagne, les États-Unis ou encore la Grande-Bretagne ou les États scandinaves ? Ce qu'on exige en France est-il finalement plus sévère et les mesures prises à la suite de la loi de 2011 freinent-elles l'évolution des recherches cliniques fondamentales ?
M. Yves Daudigny. - Ce débat est passionnant, mais complexe. Je crois comprendre que la loi de 2011 répondait en son temps à un scandale mais n'est plus aujourd'hui adaptée à la situation ordinaire en imposant trop de contraintes ou de freins. Y-a-t-il une solution au-delà de la transparence totale ? J'aimais également obtenir des comparaisons avec d'autres pays. À plusieurs reprises, vous avez évoqué les États-Unis mais que se passe-t-il, sur cette question, en Allemagne et au Royaume-Uni ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je compléterai ce que vient de dire notre collègue Yves Daudigny. J'ai assisté à l'ensemble des travaux sur le Mediator qui a créé un traumatisme et débouché sur la loi de 2011. Comme vous l'avez évoqué Mme Herail, cette loi a été faite pour la mise sur le marché des médicaments. C'est peut-être là que vient la confusion entre la recherche et la mise sur le marché qui ne sont pas de même nature. Peut-être, comme vous l'avez estimé, cette loi a-t-elle instauré un équilibre. J'ai entendu, parmi les intervenants, des voix discordantes et je crois que la question porte sur le réexamen de la loi de 2011 qui s'applique depuis la recherche médicale jusqu'à la mise sur le marché des médicaments. Ne faut-il pas scinder le problème entre ces deux voies ? Quant à la question de l'Europe, nous sommes notamment allés, dans le cadre de cette enquête, à la MHRA (« Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency ») à Londres ainsi qu'à l'Agence européenne des médicaments, et je n'y ai pas trouvé de différences quant au luxe de précaution qui s'avérait, dans les deux cas, impressionnant. Que ce soit à Londres ou au niveau européen, on constate ainsi cette même préoccupation d'éviter le conflit d'intérêt. Je rappellerai tout de même que les médicaments doivent obligatoirement passer devant l'agence européenne.
Mme Elisabeth Herail. - Effectivement, d'un point de vue juridique, nos règles notamment déontologiques et le principe selon lequel on soumet à l'expert une déclaration d'intérêt qui est rendue publique, sont d'origine communautaire, tout comme le sont les règlements pour les AMM centralisées et nationales et les mécanismes d'autorisation. C'est d'ailleurs la directive 2001-83 qui a introduit cette notion de déclaration d'intérêt. Comme vous le savez, nous avons une obligation de transposer les dispositions de la directive. Donc, je dirai que la base de notre démarche est communautaire. Il y a ainsi une obligation juridique à ce que tous les États-membres aient transposé cette directive. Par ailleurs, vous ne pouvez participer aux commissions et groupes de travail de l'agence européenne si votre déclaration d'intérêt date de plus d'une année ! Je pense également qu'on s'achemine vers cette voie. Le sujet est ainsi communautaire puisque nous avons une obligation légale de le transposer et de l'appliquer. En outre, nos corps de contrôle, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et la Cour des comptes, veillent à ce que nous appliquions ces règles. L'exercice est donc assez contraint. S'agissant des médicaments homéopathiques, leur régime relève d'une directive communautaire de 1999 qui précise que ces médicaments doivent bel et bien être enregistrés et relever d'une autorisation. Il est également prévu que, dans le cadre des essais cliniques, certains médicaments homéopathiques doivent présenter un dossier de sécurité pharmaceutique s'ils revendiquent un effet thérapeutique déterminé. Sur cette question, l'approche suivie est de nature communautaire puisque nous avons transposé la directive en question.
Enfin, je ne suis pas spécialiste de la vaccination, dont le sujet vient d'être évoqué, mais celle-ci va au-delà de la déontologie stricte. Cette question amène à examiner la prise en compte des avis minoritaires et leur intégration dans la prise de décision. Je pense que nous avons évolué sur ces sujets, mais la nécessité de la prise en compte de ces avis minoritaires est également d'essence communautaire et relève de la directive 2001-83 qui visait notamment à rendre transparents les travaux des commissions et aussi d'y faire apparaître les opinions minoritaires. En ce qui concerne l'ANSM, si nous formons un groupe de travail sur la vaccination, nous y appliquerons les mêmes règles de déontologie que pour les autres sujets. En ce qui concerne le sujet un peu plus vaste des moyens d'intervention, les ressources budgétaires disponibles impliquent mécaniquement une priorisation des actions. Quant aux experts étrangers, le cas s'est déjà posé et nous leur appliquons les mêmes règles de déontologie que pour nos experts nationaux. Certaines règles d'incompatibilité pourraient cependant s'avérer différentes à l'étranger de celles qui sont appliquées dans nos instances.
Mme Chantal Bélorgey. - Dans les domaines qui nous concernent et notamment celui de l'élaboration des bonnes pratiques, les règles ne sont pas les mêmes à l'étranger. La transparence, en vertu de laquelle les experts doivent officiellement déclarer s'ils ont des liens avec l'industrie pharmaceutique, se retrouve partout. Mais la publication de liens existants ne vaut pas ipso facto exclusion des comités de travail. Cette différence avec la France est porteuse de davantage de subjectivité dans la formulation de recommandations de bonne pratique. En France, il faut au moins un an pour finaliser une recommandation de bonne pratique alors que les grandes instances internationales, comme l'ASCO (« American Society of Clinical Oncology »), sortent et actualisent des recommandations très rapidement. En cancérologie, la dynamique d'actualisation des connaissances scientifiques est très importante et implique une grande rapidité. Je pense que nous sommes un peu désavantagés avec ces règles d'analyse des DPI qui ont conduit à doubler le temps de constitution d'un groupe de travail d'experts. Mme le professeur Agnès Buzyn reviendra sur les coûts impliqués, mais cette multiplication de la durée induit des conséquences sur le temps nécessaire à la formulation de recommandations.
Le deuxième point sur lequel je souhaiterais de nouveau insister, c'est que la loi s'applique beaucoup plus aux AMM, comme c'était la volonté initiale du législateur. Mais il existe des textes réglementaires également. Or, ceux-ci sont peut-être allés un peu loin dans leur contenu et je sais que la déclaration publique d'intérêt (DPI), qui fait l'objet d'un décret, va être revue très prochainement. Cette démarche fournirait l'occasion de distinguer entre ce qui relève nécessairement du conflit d'intérêt et d'autres éléments de cette DPI qui peuvent interpeller. C'est donc un projet qu'il faut avoir en tête.
Enfin, s'agissant des propositions, il est clair qu'il faut simplifier le dispositif tant pour les agences que pour les experts. Je citerai, par exemple, le site unique des DPI qui n'existe toujours pas faute de décret bien qu'il ait été prévu par la loi. Je citerai également la nécessité d'une interprétation unifiée et celle de faire rentrer dans la formation des professionnels de santé cette notion de lien et de conflits d'intérêt avec les conséquences qu'ils induisent. Enfin, la valorisation dont nous avons parlé est importante. S'agissant du champ d'application de la loi, celle-ci est aujourd'hui très ciblée sur les produits de santé. Sachez qu'à l'INCa, nous sommes confrontés à d'autres sujets qui dépassent les produits de santé, par exemple l'agroalimentaire ou encore les intoxications au radon. Ainsi, d'autres industries interviennent et nous appliquons la loi de manière identique, quand bien même je ne suis pas certaine qu'on soit obligé de le faire.
Mme Agnès Buzyn. - Si l'on comprend très bien l'objectif de la loi pour les agences de régulation et la Haute Autorité de santé, il est vrai que son extension et son interprétation jusqu'au-boutiste semblent également répondre à un risque d'image. De ce fait, on ne juge jamais les liens d'intérêt en opportunité, mais ex nihilo, alors qu'on devrait être très attentif à analyser au cas par cas. Mme Chantal Bélorgey citait l'agroalimentaire. Nous avons rendu un rapport, qui a pris trois ans de travail, sur nutrition et agrobusiness, étayée par une revue extensive de la littérature dans ce domaine. Des corps de contrôle regardent actuellement les experts qui étaient présents et émettent des remarques d'ordre formel. Très peu d'experts s'avèrent pertinents sur ces questions et nos conclusions ont été les premières au monde, s'agissant notamment des liens entre la consommation de charcuterie et le cancer. Ces conclusions ont été confirmées six mois après par l'Organisation mondiale de la santé, dans un rapport concordant. On nous remet en cause la présence d'un expert sur la viande, au prétexte qu'il était expert pour la filière bovine, alors que cet expert avait expliqué que la consommation de viande pouvait induire un risque de cancer. Nous allons être attaqués sur la pertinence d'avoir gardé cet expert, sous le prétexte qu'il avait un lien d'intérêt potentiel, alors que la conclusion du rapport remettait en cause, en quelque sorte, la filière bovine. On ne sait plus comment prendre les sujets ! C'est également pour vous dire l'absurdité de ne pas prendre en compte la qualité du rapport final et de nous juger ex nihilo uniquement sur les DPI ! Cette démarche nous pose un problème.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie. Je souscris à votre conclusion car nous sommes dans le même champ de médiatisation. On prend parfois une petite phrase pour lui donner un effet disproportionné. Dans votre secteur, c'est un peu la même chose ! Il va falloir que nous regardions cela de près. Un autre problème me semble important : si tout le monde est d'accord sur la transparence, celle-ci peut-elle garantir de nous protéger des mauvaises intentions ? Merci, en tout cas, de votre participation à cette réunion.
Prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire - Table ronde sur la prévention des conflits d'intérêt et gestion des liens d'intérêt
M. Alain Milon, président. - Ces dernières années ont été marquées par un nombre important de scandales impliquant la recherche, l'évaluation des produits de santé et leur coût. Les citoyens ont plus que jamais une exigence de transparence en matière de liens d'intérêt, qui conditionne la confiance qu'ils peuvent avoir dans les traitements qui leurs sont prescrits et dans ceux qui les prescrivent. Il faut donc lutter contre les conflits d'intérêt et encadrer les liens d'intérêt.
Pour autant, les chercheurs affirment que le développement de nouveaux traitements et l'accès rapide des patients à ceux-ci impliquent nécessairement la création de liens avec l'industrie. Une approche trop stricte en matière de prévention des liens d'intérêt menace-t-elle la recherche ? A l'inverse, les liens d'intérêt sont-ils suffisamment bien encadrés et, si non, quelles sont les mesures qui doivent être prises ?
Après une première table ronde, ce matin, sur l'impact des normes relatives aux liens d'intérêt sur la recherche, nous abordons maintenant la question de la prévention des conflits d'intérêt et de la gestion des liens d'intérêt.
Nous recevons M. Gérard Arnold, directeur de recherche émérite, co-auteur pour le CNRS d'une étude sur « comment les conflits d'intérêts peuvent influencer la recherche et l'expertise », M. Michel de Lorgeril, médecin, membre du CNRS et de la Société européenne de cardiologie, M. Jean-Sébastien Borde, président du conseil d'administration de Formindep, médecin néphrologue hospitalier et M. Joël Moret-Bailly, professeur de droit à l'Université Jean Monnet et co-directeur de l'ouvrage Les conflit d'intérêts à l'hôpital (2015).
Nous vous avons transmis une liste de sujets qui nous semblent intéressants mais qui n'est qu'indicative et je propose donc que chacun prenne successivement la parole pour un propos liminaire.
Avant de vous laisser la parole, je vous présente pour 2016 tous mes voeux, notamment de réussite dans vos recherches respectives.
M. Gérard Arnold, directeur de recherche émérite, co-auteur pour le CNRS d'une étude sur « comment les conflits d'intérêts peuvent influencer la recherche et l'expertise » - Je vous remercie de m'avoir convié ici et vous présente, à mon tour, mes meilleurs voeux.
Je suis peut-être un peu marginal ici dans la mesure où je suis, avant tout, un biologiste de l'abeille. A ce titre, j'ai donc suivi attentivement les différentes controverses scientifiques sur le rôle des produits phytosanitaires dans la mortalité des abeilles. C'est ce sujet qui m'a amené à m'intéresser à la sociologie et à intégrer l'Institut des sciences de la communication du CNRS.
Mon apport à cette table ronde sera donc de donner un éclairage sur le fonctionnement des groupes d'experts en dehors du champ biomédical.
M. Jean-Sébastien Borde, président du conseil d'administration de Formindep, médecin néphrologue hospitalier - Je suis néphrologue hospitalier et vice-président de Formindep. Si j'ai eu auparavant de nombreux liens avec l'industrie pharmaceutique, je n'en ai aujourd'hui plus aucun.
Je souhaiterais commencer par la définition de la notion de conflit d'intérêt, telle qu'elle a été proposée par de nombreuses organisations, notamment internationales (OCDE, Conseil de l'Europe...) et synthétisée par la commission Sauvé.
Les différentes définitions convergent pour définir le conflit d'intérêt comme un lien qui peut avoir ou paraître avoir une incidence sur le jugement ou l'activité de l'expert. Aucune définition de la notion ne comporte une gradation dans l'importance de ce lien, ni de distinction entre lien d'intérêt et conflit d'intérêt, parce que tout lien peut amener à un conflit.
M. Michel de Lorgeril, médecin, membre du CNRS et de la Société européenne de cardiologie - Merci de m'avoir convié pour évoquer ce sujet qui revêt une importance particulière pour les médecins. Nous sommes en effet confrontés à une profonde crise de confiance de la part des patients qui remettent en cause la compétence des médecins, voire leur honnêteté. Cette situation est le reflet d'une très grande angoisse et le politique doit se saisir de cette question de toute urgence.
Il est important d'avoir à l'esprit la géographie de la recherche biomédicale et la distinction entre ses différents territoires.
Le premier de ces territoires est la recherche pré-clinique, réalisée au sein des universités notamment. Ce domaine, qui représente 60 % des budgets de recherche au niveau mondial, souffre d'une profonde crise de crédibilité. On estime que 85 % à 90 % des travaux de recherches précliniques ne sont jamais reproduits, alors que le propre de la recherche scientifique est d'être reproductible. Dès lors, les budgets consacrés à la recherche pré-clinique sont bien souvent considérés comme de l'argent gaspillé. Ce constat n'est pas propre à la France mais est global. Dans ce domaine, les liens qui peuvent exister entre les chercheurs qui sont notamment des doctorants ou des post-doctorants et ceux qui les financent ne sont pas problématiques.
S'agissant, deuxièmement, de la recherche clinique dans le domaine de la technologie médicale, les liens entre chercheurs et financeurs sont « gagnant-gagnant ». Les médecins qui développent des idées nouvelles, notamment concernant des dispositifs de santé ou des technologies nouvelles, ont besoin des financements qui ne sont apportés par l'industrie que lorsque cette dernière y voit un intérêt commercial. Ces liens sont donc à encourager, même si on peut débattre du niveau de protection des brevets et de la rémunération de l'inventeur.
Le troisième territoire est celui de la recherche visant à approfondir les connaissances médicales sans débouché commercial ou industriel. Ce domaine manque cruellement de moyens car il ne permet pas d'espérer un retour sur investissement conséquent. La problématique des liens entre l'industrie et les experts ne pose donc pas non plus de problème.
Enfin, le quatrième territoire est celui de l'écosystème du médicament et des vaccins. Dans ce domaine, on assiste à quelque chose que l'on peut qualifier, sans exagérer, d'épouvantable. Un monstre que personne ne contrôle a étendu ses ramifications partout, y compris au sein des agences nationales et internationales chargées de la régulation de l'industrie du médicament. Or, l'industrie du médicament est absolument nécessaire. Combattre ce monstre exige donc de couper ses tentacules.
M. Joël Moret-Bailly, professeur de droit privé et sciences criminelles, co-directeur de l'ouvrage « Les conflits d'intérêts à l'hôpital » (2015) - Je suis moins pessimiste que le docteur de Lorgeril. Je m'intéresse à la problématique des conflits d'intérêt depuis le début des années 2000. Mes travaux ne concernent pas seulement la santé mais portent sur une analyse comparative des différents domaines concernés par cette problématique. Je développe, par ailleurs, une approche de droit comparé entre la France et les États-Unis, s'agissant plus spécifiquement des conflits d'intérêt dans le domaine de la santé. J'ai fait partie jusqu'à la fin 2012 du comité de déontologie de la Haute Autorité de santé (HAS).
M. Alain Milon, président. - Avant de laisser la parole à mes collègues, je vous invite à nous livrer vos observations sur les questions qui vous ont été adressées par écrit.
M. Jean-Sébastien Borde. - En matière d'expertise sanitaire, il est possible d'évaluer le risque qu'un lien d'intérêt influence la décision ou le jugement d'un expert. Il existe énormément d'études sur le sujet, qui montrent que le jugement est biaisé quel que soit le mode de rétribution de l'expert. Je citerai, par exemple, une étude récente sur les médicaments contre la grippe qui montre que 87 % des recommandations formulées par des experts ayant un lien d'intérêt avec l'entreprise commercialisant le produit en question, sont positives, contre 17 % des recommandations formulées par des experts dépourvus de tels liens.
Les études montrent, par ailleurs, que les études financées d'une manière ou d'une autre par l'industrie pharmaceutique ont quatre fois plus de chances d'être positives que les études indépendantes. L'étude ACCOR-lipid a montré que le fénofibrate n'avait aucun intérêt thérapeutique en association avec les statines. Par la suite, il a été prouvé que 27 % des experts ayant un lien d'intérêt avec des entreprises commercialisant le fénofibrate ont présenté cette étude dans un sens inverse à ses conclusions. 77 % de ces auteurs ont même recommandé de continuer la prescription de fénofibrate pour les patients sous statines.
On voit bien à quel point le fait d'avoir un lien d'intérêt biaise le jugement, alors même que les experts n'en ont, bien souvent, pas conscience eux-mêmes.
Formindep considère donc qu'il n'est pas concevable que des agences sanitaires chargées d'émettre des recommandations sur un produit de santé s'appuient sur des travaux d'experts ayant un quelconque lien avec l'industrie pharmaceutique.
Nous avons formé en 2009 un recours contre les recommandations de la HAS concernant le diabète et le Conseil d'Etat les a annulées en 2011, jugeant que la HAS n'avait pas suivi ses propres règles de prévention des conflits d'intérêts.
De nouvelles recommandations ont été publiées en 2013 sur la base d'expertises réellement indépendantes et sont, pour le moins, différentes. Par exemple, la cible d'hémoglobine glycosylée, qui était inférieure à 6,5 % dans les recommandations de 2006, est comprise entre 6,5 % en 9 % dans les recommandations publiées en 2013.
De même, les glitazones, qui avaient été décrits dès leur mise sur le marché comme des molécules dangereuses par la revue Prescrire étaient, dans les premières recommandations, préconisées en seconde intention alors même que ce type de molécule n'a démontré aucun bénéfice clinique. En 2013, cette classe thérapeutique n'a pas été recommandée et elle a même été retirée du marché.
Certains objectent qu'il n'est pas possible de trouver suffisamment d'experts indépendants. Je voudrais vous lire une citation tirée du New England Journal of Medicine, qui constitue une référence parmi les périodiques médicaux : « Nous avons trouvé que c'était parfois difficile mais presque toujours possible de trouver des experts ayant l'expertise nécessaire, sans être confrontés à des conflits d'intérêt, pour rédiger les éditoriaux et les synthèses ». Atteindre l'objectif d'indépendance des experts n'est donc pas hors de portée. D'ailleurs, depuis qu'une politique un peu plus sélective a été mise en oeuvre à la HAS et à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), on arrive à trouver des experts indépendants, même si la situation actuelle n'est pas pleinement satisfaisante. Je voudrais illustrer mon propos avec un exemple inquiétant qui concerne le comité scientifique temporaire spécialisé dans les anti-viraux contre l'hépatite C. En décembre 2004, les six membres du comité saisi par le directeur général de l'ANSM pour donner un avis sur une demande d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) pour un nouveau médicament, ont considéré que ce dernier est moins bien toléré, moins évalué que ceux sur le marché et qu'il entraîne davantage d'effets secondaires, et ont donc refusé à l'unanimité la demande. Or, en amont de cette décision, trois experts entretenant des liens avec l'entreprise pharmaceutique concernée avaient été auditionnés par téléphone. Ils avaient identifié quatre-vingt-dix avantages pour ce produit, et ont plaidé pour l'autorisation de l'ATU, afin d'assurer un accès précoce et le plus large possible à l'innovation technologique. En définitive, le directeur général de l'ANSM a octroyé l'ATU, faisant fi de l'avis du comité scientifique pourtant unanime pour la refuser. On voit donc à quel point les pressions et le lobbying de l'industrie pharmaceutique peuvent influer sur les décisions, y compris celles des agences sanitaires. A quoi bon réunir un comité si d'emblée la décision a déjà été prise par le directeur général, d'autant que l'intitulé même de sa saisine était orienté ?
M. Gérard Arnold. - Je serai peut-être un peu moins pessimiste que l'interlocuteur précédent. Dans le cadre de mes activités sur l'impact des pesticides sur les abeilles, j'ai pu constater une très nette amélioration de la situation depuis dix ans et un renforcement de l'indépendance des experts au sein de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a mis en place plusieurs groupes de travail auxquels je participe. Si à l'époque les travaux de ces agences étaient orientés en faveur des entreprises phytosanitaires, leurs rapports témoignent désormais d'une belle indépendance, grâce à la pression des apiculteurs, des ONG et de l'opinion publique. Les conditions de recrutement des experts tiennent compte de leurs liens d'intérêt. Un expert entretenant des liens d'intérêt avec l'industrie phytosanitaire ne pourra pas participer à la rédaction du rapport, mais il pourra éventuellement être entendu par l'EFSA comme « hearing expert » s'il a des informations que ses confrères n'ont pas. Mis à part en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il est difficile de trouver des experts disponibles pour participer aux groupes de travail de l'EFSA, tant ils sont accaparés par leurs obligations administratives et la recherche de financements. En outre, les publications scientifiques ne sont pas suffisamment examinées et critiquées, faute de temps et de personnel. Beaucoup se contentent de lire les résumés sans analyse critique. Il existe pourtant des publications de très mauvaise qualité qui témoignent sans ambiguïté d'un conflit d'intérêt. Ainsi, un article a été récemment publié dans une grande revue, Plos one, qui concluait à l'innocuité des produits phytosanitaires sur les abeilles. Or, des experts ont montré des conflits d'intérêt chez les relecteurs, voire au sein même de la société d'édition. La publication d'un article dans une grande revue comme Nature ou Science ne garantit pas l'absence de conflit d'intérêt. C'est pourquoi, lorsque nous avions examiné en 2001, à la demande du ministère de l'agriculture, les conséquences du Gaucho sur les abeilles, nous avions exigé d'être épaulés par des assistants, en pratique des post-doctorants employés par l'Anses, qui ont décortiqué à plein temps pendant deux ans la littérature scientifique sur ce sujet. Les personnes qui travaillent dans les agences sanitaires ne disposent pas du temps suffisant pour procéder à ces analyses critiques. Il existe également un double discours dans certaines institutions de recherche. Ainsi, le comité d'évaluation du CNRS n'a pas vraiment apprécié que je réalise des expertises judiciaires alors même qu'il encourage les scientifiques à s'occuper des problèmes de société et à participer à des groupes d'experts.
M. Michel de Lorgeril. - Dans le domaine de la recherche préclinique, il n'y a pas de problème majeur de conflits d'intérêts. Au contraire, les professeurs d'université et les thésards essaient de susciter l'intérêt de l'industrie pour financer leurs recherches. S'agissant des équipements médicaux et des nouvelles technologies, les liens et les conflits d'intérêt sont bénéfiques.
La difficulté, en termes de santé publique et de recherche médicale, concerne le médicament. Je soutiens l'action du Formindep ; il faut améliorer la transparence des experts. Mais je pense que l'on est à côté du problème car le véritable enjeu concerne la naissance des données scientifiques. Quand on veut commercialiser un nouveau médicament, d'où naissent les données qui permettent aux médecins, aux experts et aux autorités d'analyser les avantages et les risques de ce produit ? Le système actuel n'est pas transparent ; il est surtout absurde et biaisé. Il revient à demander au directeur marketing d'un fabricant de cigarettes si ces dernières sont dangereuses pour la santé, ou de solliciter Monsanto pour donner son avis sur le Round-up. On devine quelle sera leur réponse ! L'avis du propriétaire de la molécule étudiée est sans intérêt. Il dira forcément que cette molécule est bénéfique, ou s'efforcera de minimiser ses effets toxiques. Si une entreprise veut commercialiser un médicament pour le coeur, elle s'appuiera sur des rapports, des expériences, qu'elle réalise elle-même mais dont les données brutes resteront dans le plus grand secret. Aucun expert, aucune agence sanitaire en France comme au niveau européen n'y aura accès, au nom du secret industriel. Il y a certes des contrôles sur le rapport rendu, mais jamais sur les données brutes qui ont permis sa rédaction. Les investigateurs sur le terrain qui testent le médicament, ou qui collectent les données, sont toujours salariés de l'entreprise pharmaceutique. La base de données est ensuite « nettoyée », puis retraitée par les statisticiens, qui sont employés par des agences rémunérées par les industriels, lesquelles agences ont évidemment intérêt à voir reconduits leurs contrats. In fine, le rapport transmis à l'agence sanitaire a été rédigé par les experts travaillant pour l'industriel. Évidemment, cet industriel sait qu'il est suspect, aussi demande-t-il à des universitaires de cosigner ses études, qui paraissent dans des revues prestigieuses appartenant souvent à des grands groupes pharmaceutiques, autrement dit à ce que j'appelle le monstre. Il n'y a donc aucune transparence dans la production des données brutes concernant un nouveau médicament. Lors des précédents scandales sanitaires comme celui du Vioxx, qui s'est terminé par une transaction s'élevant à plusieurs milliards de dollars après le lancement d'une « class action » aux Etats-Unis, nous n'avons pas réussi à avoir accès à ces données alors même que nous savons que certains industriels ont menti, exagéré les effets bénéfiques ou caché les effets toxiques d'une nouvelle molécule. Comment peut-on laisser prospérer un système aussi fou ?
La première urgence, c'est de rendre totalement indépendant l'investigateur, qui teste les effets bénéfiques et néfastes d'une nouvelle molécule, par rapport à l'industriel qui en a la propriété. La France est probablement le pays le mieux placé au monde pour faire cette réforme, car l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a déjà mis en place des centres d'investigation clinique. Il faut que ces investigateurs soient des fonctionnaires, et prévoir de lourdes sanctions s'ils biaisent les résultats. Ce n'est qu'ainsi que l'on sortira de l'emprise du monstre. Évidemment, les industriels s'opposeront à cette réforme, comme j'ai pu le constater lors de la rédaction de mes six ouvrages sur cette question. Avec l'aide de statisticiens et d'épidémiologistes, j'ai analysé des études d'industriels parues dans de grands journaux et j'ai constaté qu'elles ne tenaient pas debout, mais on s'en aperçoit hélas avec beaucoup de retard. Il a ainsi fallu attendre trente ans de commercialisation de la statine, un médicament anti-cholestérol consommé par sept millions de personnes, pour découvrir par hasard qu'elle augmentait de 300 % le risque de développer du diabète. A l'assurance maladie, il y a des épidémiologistes et des statisticiens qui pourraient établir un lien entre la prescription de statine et l'apparition de l'épidémie de diabète. Malheureusement, le président du comité scientifique de l'assurance maladie, je ne vous raconte pas la liste de ses conflits d'intérêt...
M. Joël Moret-Bailly. - En droit, la distinction entre lien d'intérêt et conflit d'intérêt est très claire. Les acteurs de la santé, comme les experts auprès de la HAS par exemple, doivent déclarer les liens qu'ils entretiennent avec tel ou tel organisme alors qu'il revient aux administrations ou à l'autorité de régulation de qualifier si ces liens déclarés constituent ou non un conflit d'intérêt au regard de tel ou tel sujet. C'est fondamental : un acteur peut être en conflit d'intérêt à propos d'une question mais pas vis-à-vis d'une autre. Il sera alors exclu d'un groupe de travail mais pourra participer à un autre.
J'insiste, à mon tour, sur la très forte évolution des pratiques des agences de santé au regard des conflits d'intérêt depuis 15 ans. Elle a été permise en particulier grâce aux actions de Formindep. Je pense notamment à celle intentée en 2011 à l'encontre des recommandations de bonnes pratiques de la HAS. Ces recommandations ont été annulées par le Conseil d'État, ce qui a constitué un électrochoc. Les pratiques ont vraiment évolué à partir de ce moment-là.
J'en viens maintenant aux difficultés d'application de la réglementation actuelle. Travailler sur les conflits d'intérêt nécessite des moyens. Aux États-Unis, bien que les comparaisons entre nos deux pays soient difficiles en raison des différences de système de protection sociale, les institutions de la taille de la HAS comptent deux à trois personnes dédiées à temps plein à l'analyse des déclarations d'intérêt. Un autre point d'importance : la question de la quantification des conflits d'intérêt. Y'a-t-il des conflits d'intérêt majeurs et d'autres mineurs ? La France rencontre un problème législatif sur cette question. Jusqu'à la loi Bertrand de 2011, il y avait conflit d'intérêt lorsqu'une situation portait une atteinte à l'indépendance des experts. Depuis 2011, cette référence a été supprimée et la loi française considère que tout lien d'intérêt signifie nécessairement qu'il y a conflit. Cela entraîne des difficultés immenses pour le recrutement d'experts par les agences. J'ignore si nous avions, avant 2011, suffisamment d'experts en France mais il est clair que la nouvelle législation renforce la difficulté à en recruter. C'est d'ailleurs ce qui m'a conduit à cesser mes fonctions au sein du comité de déontologie de la HAS car cette évolution législative me mettait dans une grande difficulté juridique que je résumerais par ce dilemme : soit la Haute Autorité appliquait la loi mais ne pouvait plus fonctionner car elle ne pouvait plus recruter d'experts, soit elle continuait à remplir ses missions en recrutant des experts mais violait la loi. Je ne pouvais donc pas cautionner une pratique qui mettait la HAS dans l'illégalité, d'autant que cela aurait pu m'être reproché, par la suite, devant une juridiction pénale.
Sur la question de l'impact des liens d'intérêt sur la recherche, il me semble évident que c'est le cas. Si l'on dit à un chercheur, dont le temps est limité, que des financements existent sur un sujet, sa préoccupation première sera de pouvoir se financer afin de se concentrer, dans un second temps, sur les questions qui l'intéresse fondamentalement. La question des financements a donc un impact sur la recherche. Ce n'est pas forcément un mal d'ailleurs : les industriels ont besoin de la recherche fondamentale et il n'est pas inutile de travailler sur les sujets qui les intéressent. De plus, les industriels sont intéressés par le contact avec les praticiens hospitaliers pour avoir accès à leurs patients. En un mot, l'accès aux chercheurs, c'est l'accès au terrain. Il y a donc bien une incidence, bonne ou mauvaise, entre les liens d'intérêt et la recherche.
Une dernière remarque sur l'accès aux données et leur fiabilité. C'est un sujet sur lequel les Etats-Unis ont engagé une très vaste réflexion, en particulier sur le contrôle en amont, afin de ne pas avoir une information pré-formatée et sélectionnée par ceux qui auraient intérêt aux résultats.
M. Alain Milon, président. - Je vais donner la parole dans un instant à nos deux collègues Gilbert Barbier et Yves Daudigny, qui travaillent actuellement sur un rapport sur le médicament. Je reviens avant cela sur la définition exacte des liens d'intérêt : sont-ils uniquement financiers ou peuvent-ils être aussi idéologiques ?
M. Gilbert Barbier. - Je m'interroge sur le « monstre » décrit par Michel de Lorgeril. Si ce monstre n'avait pas existé en cardiologie, les bêtabloquants auraient-ils pu être inventés ? N'en serions-nous pas encore à la digitaline pour le traitement de l'insuffisance cardiaque ? S'agissant des catégories d'intérêt évoquées tout à l'heure, je les confronte à mon expérience de chirurgien. J'ai eu à poser les premiers pacemakers, d'abord externes puis épicardiques avant d'autres évolutions. Les représentants des marques produisant ces appareils étaient au bloc opératoire. Je n'ai jamais rien perçu personnellement même si le laboratoire donnait quelques aumônes aux associations d'internes pour leur participation à des congrès. Cette image du « monstre » donne une image trouble, de sous-main, de financement occulte de toute l'innovation en matière de médicaments et de produits de santé, qui me semble exagérée. Je ne peux pas laisser condamner tous les praticiens en les faisant passer pour complice. Beaucoup a été fait. Loin de moi l'idée de défendre d'ailleurs aveuglément l'industrie pharmaceutique. Nous essayons avec mon collègue Yves Daudigny de déshabiller ce « monstre » de façon objective et sans caricature, ce qui n'est pas sans difficulté. Je reprends la question du professeur Moret-Bailly sur le nombre d'experts en allant plus loin : avons-nous surtout suffisamment d'experts de qualité ? Il y a une différence entre ceux se déclarant experts et ceux, capables dans des domaines pointus, d'être véritablement des experts de qualité.
M. Yves Daudigny. - Je veux vous faire part de deux inquiétudes. L'une personnelle : elle tient aux analyses de Michel de Lorgeril au sujet du cholestérol pour lequel vous considérez que les statines sont finalement plus dangereuses que réellement curatrices. Le débat sur ce traitement est très intense dans les publications. Comment obtenir un avis équilibré ? Ensuite une inquiétude plus générale concernant le fait que les données brutes ne sont ni connues, ni accessibles. Or, si j'ai bien compris, le travail des experts, aussi indépendants soient-ils, ne peut se faire qu'à partir de ces données. Quelles solutions possibles pour remédier à ce point de départ défavorable qui influence par la suite l'ensemble de la chaîne de validation ?
M. Michel de Lorgeril. - Les liens d'intérêt ne sont pas seulement financiers. On le constate dans la justice également : un magistrat peut être dessaisi d'une affaire qui impliquerait un proche par exemple. Les liens idéologiques, que vous évoquiez monsieur le président, peuvent exister et d'ailleurs être pires que des liens financiers.
Je reviens sur mon idée de « monstre ». Il apparaît au tournant des années 70-80 lorsque l'industrie pharmaceutique passe des mains des ingénieurs, des pharmaciens à celles des financiers. Le seul objectif devient alors l'acquisition de profit. Il faut savoir que l'industrie pharmaceutique est parmi les plus rentables qui soit avec des retours sur investissement de l'ordre de 20 %. Aucun autre secteur ne peut faire autant de promesses, ce qui place l'industrie pharmaceutique sous pression. Les grands progrès scientifiques de la cardiologie moderne, comme les bêtabloqueurs, ont été réalisés dans les années 1970, c'est-à-dire avant ce tournant. Désormais, les progrès réalisés sont technologiques, comme l'histoire du défibrillateur ou du pacemaker le montre bien. Ces progrès techniques ne sont possibles que grâce à l'industrie et dans ce cas je soutiens pleinement les liens et conflits d'intérêt qui peuvent exister.
Sur la question des experts de qualité, l'exemple des statines et du cholestérol nous apporte un bon éclairage. L'industrie teste ses médicaments avec ses propres experts mais en collaborant avec des médecins hospitalo-universitaires. Les données brutes collectées sur les patients sont totalement dans les mains des industriels, qui vont ensuite les traiter - on parle de nettoyer les données brutes. Il n'est pas possible alors de contrôler le suivi des données : le patient ayant reçu le placebo va-t-il effectivement décéder avant celui à qui aura été administré le médicament ? Qui dispose de ces données ? Seul l'industriel les possède. Les données servant au rapport transmis à l'ANSM chargée de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) sont traitées et analysées par des statisticiens. Les experts de l'autorité, comme les médecins ayant collaboré au test, n'ont pas accès aux données brutes et ne pourraient d'ailleurs pas les contrôler. Un essai sur les statines aujourd'hui concerne plus de 5 000 patients, suivis sur cinq ans. Comment contrôler ces données ? D'autant que des techniques permettent de biaiser les résultats en recrutant des patients-cobayes dans des pays étrangers avec des langues différentes. Comment un expert français pourrait-il aller vérifier des données brutes en Bulgarie ? Par ailleurs, si les dossiers des patients décédés pendant la période de test peuvent être consultés, ceux qui sont déclarés comme n'ayant pas fait un infarctus ne peuvent pas être vérifiés. Cela nécessiterait de se plonger dans des milliers de dossiers, ce qui est impossible.
Il me paraît indispensable que les essais cliniques soient conduits dès l'origine par des experts indépendants. Les tests de phase 1 et 2, permettant de rechercher s'il n'y a pas une toxicité inacceptable, sont généralement faits dans des centres d'essais cliniques qui dépendent de l'Inserm. C'est maintenant ce qu'il faut faire pour les tests de phase 3, qui permettent d'évaluer l'efficacité d'un médicament avant sa commercialisation. Il y a ensuite ce que j'appellerai une phase 4 sur les conséquences de long terme d'un médicament. Cette dernière phase prend beaucoup plus de temps que les premières qui peuvent se dérouler sur trois ou quatre ans.
Un dernier mot pour répondre à votre interrogation au sujet des experts vraiment indépendants. Nous venons de lancer une pétition sur les statines dont les études sont biaisées ou du moins controversées. Les industriels les défendent, de même que certains praticiens qui sont mal à l'aise à l'idée de reconnaître qu'ils ont pu se tromper en en prescrivant depuis une quinzaine d'années. Ils ne peuvent pas reculer, d'autant plus s'ils sont en situation de conflit d'intérêt. Prenons un exemple terrible : l'affaire du Médiator. Pratiquement tous les cardiologues universitaires recevaient des cadeaux des laboratoires Servier. Il a fallu attendre la dénonciation d'Irène Frachon, pneumologue à Brest, pour prendre conscience de la toxicité du Médiator. Aucun des cardiologues universitaires français n'avaient dénoncé, avant elle, les complications pourtant cardiologiques de ce traitement. C'est dramatique ! Les vrais experts sont rarement indépendants car ils sont très rapidement liés à un industriel. Un vrai expert doit avoir travaillé sur un sujet, mené des recherches sur la physiologie ou le métabolisme du cholestérol par exemple. Il ne s'est pas contenté de co-signer des papiers écrits par un nègre de l'industrie après avoir ouvert les portes de son service pour que l'industriel ait pu avoir accès à ses patients. Il doit avoir une expertise fondamentale. En France, le professeur Even, qui est indépendant, fait partie de ces experts qui ont travaillé et repris des essais cliniques sur la question du cholestérol. Ses conclusions rejoignent les miennes : le domaine est complètement corrompu.
M. Jean-Sébastien Borde. - Il serait, selon certains, difficile de trouver des experts indépendants, et encore plus de trouver de bons experts indépendants. Je ne sais pas sur quoi repose une telle opinion. En revanche, nous disposons de données convergentes qui démontrent que les recommandations des experts sous influence sont mauvaises. C'est un fait établi. J'attends qu'une démarche similaire soit entreprise concernant les recommandations des experts indépendants.
Le terme d'innovation thérapeutique est aujourd'hui couramment utilisé. D'où vient ce concept récurrent ? Quelle est sa définition ? Il devrait s'agir d'un médicament nouveau, apportant un bénéfice supérieur au médicament précédent, avec un rapport bénéfice/risque acceptable. Son service médical rendu (SMR) devrait être important, tout comme l'amélioration du service médical rendu (ASMR), sans avoir d'effets secondaires majeurs. Cela relève d'une évaluation normale du médicament, qui ne constitue en rien une rupture avec les pratiques habituelles.
Qu'en est-il réellement de l'innovation thérapeutique ? Sur les trois dernières années pour lesquelles des données sont disponibles, 559 évaluations de l'ASMR ont été réalisées pour de nouveaux médicaments. Sur ce total, 87 % ont conclu à une ASMR nulle, 7 % à une amélioration mineure, 3,6 % à une amélioration moyenne, 1,4 % à une amélioration importante et seulement 0,4 % à une ASMR majeure. Il n'y a donc pas d'innovation thérapeutique aujourd'hui.
Cela s'explique par le prix élevé qui est fixé pour tous les nouveaux médicaments, y compris pour ceux qui n'apportent aucune amélioration du SMR, en contradiction avec le code de la santé publique selon lequel, sans ASMR, leur prix ne devrait pas être supérieur à celui des médicaments de référence. La plupart des médicaments mis sur le marché ont pourtant un prix plus important que celui des médicaments plus anciens, bien qu'ils soient moins bien évalués et aient une ASMR nulle.
Dans ces conditions, les industriels vont chercher à maximiser leurs profits. Il est facile de synthétiser une molécule proche de celles existantes, d'en faire une évaluation rapide, sur des critères secondaires et sans intérêt clinique, et de demander une AMM, qui est obtenue systématiquement. L'ASMR sera nulle, ce qui est sans conséquence puisque le prix du médicament sera élevé. Ce système ne favorise pas l'innovation thérapeutique.
Au contraire, les entreprises pharmaceutiques, dont les effectifs consacrés à la recherche et au développement diminuent d'année en année, développent très peu de nouveaux médicaments et se contentent d'activités de recherche sans grande complexité. Elles préfèrent racheter des molécules à de petites entreprises de biotechnologie, comme le Sovaldi par Gilead à Pharmasset ou l'Avastin par Roche à Genentech. Il s'agit de blockbusters qui rapportent énormément, pour lesquels le risque industriel est nul et qui garantissent un retour sur investissement très important. Ainsi, en 2013, année de crise, la valorisation boursière du laboratoire Roche a progressé de 7 milliards d'euros. Plus généralement, les entreprises pharmaceutiques constituent des valeurs défensives.
Il n'y a donc aujourd'hui pratiquement pas d'innovation thérapeutique, malgré toute l'attention médiatique et le marketing autour des biotechnologies. La plupart des anticorps monoclonaux mis sur le marché n'ont aucun intérêt et se caractérisent par une absence d'ASMR. Le système augmente de manière exponentielle le coût des médicaments, sans justification.
Sur ce point, l'exemple italien mériterait d'être étudié. Dans ce pays, le coût annuel des médicaments s'élève à 18 milliards d'euros, contre 34 milliards en France, malgré des déterminants de santé et des résultats en matière de santé publique proches. Quelle est l'explication de cet écart, qui va presque du simple au double ? Une opération anticorruption menée notamment dans le domaine de la santé par le juge Di Pietro, à la suite de laquelle des peines de prison ont été prononcées à l'encontre des personnes qui, bien qu'en situation de conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, avaient pris des décisions dans le domaine sanitaire. Le système a ensuite été réformé, aboutissant à un prix des médicaments bien inférieur, pour la très grande majorité d'entre eux, à celui qu'on connaît en France.
Comment financer l'innovation thérapeutique et lui permettre d'accéder rapidement au marché ? Il faut qu'elle subisse une véritable évaluation et s'accompagne d'une ASMR réelle. La toxicité devrait également être testée avant la mise sur le marché. Il faut cesser d'octroyer des autorisations temporaires d'utilisation à des médicaments plus toxiques ou moins efficaces que ceux déjà existants pour le seul motif qu'il faudrait faciliter l'accès à l'innovation thérapeutique. C'est un concept purement marketing.
M. Joël Moret-Bailly. - Un engagement idéologique peut bien sûr être à l'origine d'un conflit d'intérêt, la loi visant d'ailleurs tous les intérêts directs ou indirects qui biaiseraient le jugement. D'un point de vue scientifique également, une personne appartenant à une école de pensée et refusant même de concevoir l'existence d'une position adverse se trouverait dans une telle situation. Je n'ai toutefois pas connaissance de jurisprudence sur des cas concrets dans lesquels une telle question se soit posée.
On a souvent en tête l'image d'un expert agissant seul et omniscient dans son domaine, mais on pourrait imaginer une forme d'expertise plus collective. Il me semble parfaitement possible d'avoir une opinion informée sur une question sans en être un expert, par exemple en tant que spécialiste en méthodologie. C'est bien d'ailleurs ainsi que fonctionne le Parlement, dont les membres ne sont pas des experts de toutes les questions sur lesquelles ils sont amenés à voter. Il faut chercher de nouvelles formes d'expertise à travers des groupes de travail élargis, composés de personnes capables d'évaluer une information, et un travail collectif. Quant aux personnes qui, malgré leur expertise reconnue, sont en situation de conflit d'intérêt, il est tout à fait possible de les auditionner, de recueillir leur point de vue sans qu'ils participent à l'expertise en tant que telle.
M. Gérard Arnold. - Les mêmes problématiques se retrouvent dans le domaine phytosanitaire. Il est essentiel que les effets non intentionnels des innovations soient testés avant leur mise sur le marché, pour éviter que ne se reproduisent des situations comme celles des insecticides systémiques pour les abeilles. Ils ont été mis sur le marché sur la base de mauvaises pratiques d'évaluation, et les problèmes détectés ont conduit à leur interdiction.
Quant à la qualité des experts, sans être un spécialiste très pointu d'un domaine, un biologiste peut, en étudiant la littérature et les données, être en mesure de se faire un jugement sur une question précise. A mon avis, on ne manque aujourd'hui d'experts ni en France, ni en Europe.
Je confirme par ailleurs l'importance de l'accès aux données brutes. Ce sont les firmes qui testent elles-mêmes les pesticides, et de ce fait nous n'y avons pas accès, ce qui représente un obstacle important lorsqu'on cherche à évaluer leur toxicité.
M. Daniel Chasseing. - Je tiens, à mon tour, à féliciter le président pour le choix des intervenants à ces deux tables rondes.
Le terme de « monstre » m'a un peu effrayé mais j'ai été très intéressé par les éléments que vous nous avez présentés. La prudence des médecins généralistes face aux sollicitations des visiteurs médicaux ne semble en effet pas de nature à prévenir tous les risques.
J'ai bien entendu que les choses se passent mieux dans d'autres domaines mais on mesure le travail qui incombe au législateur pour assurer l'indépendance des agences de régulation vis-à-vis de l'industrie du médicament.
Mme Catherine Génisson. - Je partage l'intérêt de mes collègues pour ce sujet et je me réjouis que notre commission s'en saisisse.
Vous parlez de « monstre omniprésent », toutefois, dans le domaine de la cardiologie, les experts qui ont participé aux recommandations sur les statines sont également ceux qui ont permis des avancées notables, notamment en ce qui concerne les stimulateurs cardiaques.
Je ne conteste pas les dérives que vous avez décrites. Toutefois, il ne me paraît pas possible de séparer de manière hermétique la recherche théorique et ses applications pratiques. Un expert indépendant ne saurait être un expert qui se borne à faire des expérimentations théoriques.
Mme Laurence Cohen. - Je souhaite poser trois questions à nos invités.
Premièrement, je m'interroge sur la notion de balance bénéfice/risque, qui conduit à accepter l'existence de nombreux effets indésirables, parfois lourds pour les patients. Je souhaiterais qu'une réflexion pluridisciplinaire puisse être menée à ce sujet.
Deuxièmement, concernant l'innovation, le souci de la rentabilité mène de plus en plus à mettre sur le marché des médicaments qui ne guérissent pas mais permettent seulement d'atténuer les symptômes de la maladie.
Enfin, au sujet de ce que vous qualifiez de « monstre », que pensez-vous de l'idée de créer un grand pôle public du médicament ?
M. Alain Milon, président. - Avant de donner la parole à nos invités, je voudrais rappeler à Mme Cohen que la médecine a une obligation de moyens mais non de résultat.
M. Michel de Lorgeril. - Pour répondre à la question qui m'a été posée : en règle générale, la spécialisation des praticiens hospitaliers fait que ceux qui posent des appareils tels que les pacemakers ne sont pas ceux qui prennent en charge la cardiologie préventive.
Concernant le lien nécessaire entre la théorie et la pratique, le problème est que les effets adverses des médicaments sont trop souvent masqués par les industriels qui produisent les médicaments.
La notion d'analyse bénéfice/risque est fondamentale et il convient d'appréhender les éventuels effets adverses d'un médicament à la lumière des bénéfices qu'il peut avoir pour le patient. Par exemple, un anticoagulant a des effets toxiques pour l'organisme mais doit être prescrit dans la mesure où il permet d'empêcher un accident cardio-vasculaire.
Un mot pour répondre sur la différence entre les médicaments protecteurs et les médicaments guérisseurs. Par exemple le diabète, qui est une maladie du mode de vie, est soigné par des médicaments parce que les patients refusent de changer drastiquement leur mode de vie. Mais là, on traite plus le chiffre que le diabète en lui-même. Il n'y aucune évidence scientifique à ce qu'en diminuant le taux de glucose, les risques cardio-vasculaires ou optiques diminuent véritablement. Pourtant, l'innovation en matière de médicament anti-diabétique est telle actuellement qu'un nouveau produit sort tous les trimestres. Le monde médical reste sceptique sur la portée de ces médicaments et l'absence d'experts indépendants disposant des données brutes rend impossible le fait de trancher le débat.
Je n'ai pas d'avis sur l'idée soulevée d'un pôle public du médicament. Les médecins et les chercheurs ont besoin d'avoir accès aux données brutes des tests des médicaments et ils ne peuvent pas se référer aux données produites par les seuls industriels. Les essais cliniques doivent donc être réalisés par la puissance publique de manière totalement indépendante de l'industriel.
Je rappelle les quatre stades dans l'expertise du médicament. Lorsqu'un chercheur, qu'il travaille dans une industrie ou dans une institution publique, découvre une molécule potentiellement innovante, ce ne peut être au propriétaire de cette molécule de conduire les tests sur son efficacité et sa toxicité. Cette deuxième phase de test, après les tests menés par le chercheur, doit être menée par des scientifiques indépendants du propriétaire. Il serait d'ailleurs opportun que ce test soit réalisé dans plusieurs pays différents. Dans un troisième temps, d'autres experts indépendants doivent contrôler la bonne conduite de la deuxième phase de test avant de délivrer l'AMM. Enfin une quatrième instance doit vérifier que l'AMM a bien été respectée par les médecins. À ce titre, il est troublant de constater que les deux médicaments anti-cholestérol les plus prescrits actuellement en France après un infarctus n'ont pas d'AMM pour la prévention après infarctus. Personne ne contrôle le bon respect des AMM. De même, lorsqu'un expert s'exprime dans les médias sur un médicament, la loi Kouchner oblige à ce que soit diffusée la liste de ses liens d'intérêt. Or, ce n'est jamais le cas !
M. Jean-Sébastien Borde. - L'article 178 de la loi de modernisation du système de santé modifie la déclaration des liens d'intérêt par les industries pharmaceutiques qui doivent en particulier déclarer le montant de leurs conventions avec des praticiens de santé. Cette disposition a fait débat lors du débat parlementaire et vient déjà d'être contestée devant le Conseil d'État.
Aux États-Unis, la base open payment recense toutes les conventions, et leur montant, que les praticiens et les professeurs ont noué avec un laboratoire. Manifestement, la recherche américaine n'en a pas souffert ! De même, chaque journaliste interviewant un praticien signale les entreprises pour lesquelles ce dernier travaille. En France, cette obligation n'est jamais respectée par les médecins. Le Conseil national de l'ordre des médecins, qui est chargé du contrôle de cette disposition, ne joue pas le jeu, à la fois par manque de volonté et par manque de moyens. Il conviendrait donc de réfléchir à une disposition qui permettrait d'obliger les médias à citer les liens d'intérêt des praticiens de santé ou à prévoir une sanction pour les praticiens qui ne les déclareraient pas spontanément.
Concernant l'indépendance de la recherche, des initiatives aux États-Unis devraient nous inspirer. Depuis 2007, l'association des étudiants en médecine a développé un classement des universités en fonction de leur politique de gestion des conflits d'intérêt. Les résultats étaient, au départ, catastrophiques mais ce classement a conduit les universités à mettre en place une telle politique. Les meilleures universités américaines comme Harvard ou Standford n'ont plus de lien avec les industries pharmaceutiques. Leurs chercheurs n'ont pas le droit d'être rémunérés pas les laboratoires ni pour des activités de conseil, ni même pour des interventions dans des symposiums, les cadeaux sont également interdits. Des dispositions similaires pourraient être prises en France.
Par ailleurs, il ne me semble pas normal que le directeur général de l'ANSM puisse aller à l'encontre de l'avis de son comité sans avoir au moins à justifier sa position.
S'agissant de l'évaluation sanitaire des médicaments, Formindep prône la création d'un corps d'experts sanitaire européen indépendant qui soit correctement rémunéré pour cette tâche. Aujourd'hui, les experts n'ont qu'une rémunération symbolique dans les agences de santé. Or, expertiser un médicament demande du temps.
Enfin, à la suite de la loi santé, les entreprises du médicament doivent désormais déclarer tous les montants des avantages et des conventions qu'elles nouent avec les praticiens de santé. Il est indispensable de savoir pourquoi et combien les laboratoires rémunèrent les médecins car il est évident qu'aujourd'hui un certain nombre de praticiens sont payés pour assurer un rôle marketing. Cette disposition de la loi est particulièrement importante à nos yeux.
M. Gérard Arnold. - Je ne voudrais pas vous laisser sur une image angélique des comités d'experts. J'ai parlé jusqu'à présent uniquement de l'Anses et de l'Efsa. Je vous suggère d'être attentifs au prochain rapport de l'Intergovernmental platform on biodiversity and ecosystem (IPBES), équivalent du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) pour la biodiversité, dont j'ai été relecteur. Il est émaillé de plusieurs conflits d'intérêts. Ainsi, c'est une employée du fabricant de pesticides Syngenta qui a rédigé une grande partie du propos sur l'effet des pesticides. La situation est donc loin d'être parfaite dans tous les groupes d'experts ou les institutions internationales. Nous avons toutefois été en tête en France sur cette question, et désormais l'Efsa est un modèle pour le monde entier. D'importants progrès restent toutefois à réaliser au niveau international.
M. Joël Moret-Bailly. - Comme je l'ai dit tout à l'heure, les liens d'intérêts ont bien sûr un impact sur les résultats de la recherche. En revanche, il ne me semble pas que la législation ait des conséquences néfastes sur la recherche française. La seule obligation qui pèse sur les experts est celle de déclarer leurs liens d'intérêts, et elle n'influe en rien sur la capacité à être chercheur. En revanche, elle doit avoir un impact positif sur la qualité de l'expertise puisque la détection des liens d'intérêts permet de les écarter.
On peut imaginer que l'application de la législation permet d'éviter de nombreux conflits d'intérêt. Il ne faut toutefois pas se limiter à l'examen de la situation de personnes prises individuellement mais s'intéresser à la structuration des champs sociaux. Certaines sont potentiellement génératrices de conflits d'intérêt, comme le fait de subordonner des financements publics en matière de recherche à l'obtention préalable de financements privés.
Il ne me semble pas que la législation actuelle empêche l'accès à l'innovation et aux thérapies innovantes, puisqu'elle porte avant tout sur l'expertise et non sur la recherche.
Enfin, il me semble que quatre évolutions normatives seraient nécessaires. Tout d'abord, il serait pertinent de revenir sur la disposition de la loi Bertrand qui fait de tout lien un conflit d'intérêt, notamment dans un souci de cohérence législative. En effet, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui sera prochainement examiné par le Sénat, reprend, en l'élargissant, la définition posée par le rapport Sauvé selon lequel constitue un conflit d'intérêts le lien qui peut « raisonnablement » avoir un impact sur le comportement de l'agent public concerné. Il faut éviter les divergences entre la loi concernant les fonctionnaires et celle concernant les acteurs sanitaires, qui seraient néfastes pour la compréhension des acteurs et le développement en France d'une culture de lutte contre les conflits d'intérêt. Je suis par ailleurs choqué par le fait que les déclarations d'intérêt en matière sanitaire requièrent que tous les liens d'intérêt des cinq dernières années soient mentionnés, alors que la prescription délictuelle est de trois ans. Il me semble possible de déclarer trois ans de liens d'intérêt, mais plus complexe de remonter cinq ans en arrière. Ce détail de la législation me semble fondamental pour assurer la régulation de l'expertise.
La question du portail unique est liée à ce débat. Une déclaration unique, que son titulaire pourrait mettre à jour régulièrement, ne représenterait pas un coût pour les personnes concernées. En revanche, si la déclaration doit être démultipliée auprès de chaque agence ou groupe de travail, c'est décourageant pour des experts qui ressentent ainsi une grande perte de temps. Si ce portail unique, qui est pourtant censé exister, fonctionnait véritablement et permettait la réduction du temps de déclaration, il s'agirait d'une mesure extrêmement incitative à l'expertise.
Enfin, je suis assez réticent à l'idée d'avoir des experts fonctionnaires. A mon sens, un bon expert est avant tout un bon chercheur : il doit être au courant des dernières évolutions de la recherche et y être impliqué. Un équilibre doit être trouvé, et je ne crois pas à la création d'un corps d'experts qui le seraient pendant 40 ans. Il faut dissocier la mission d'intérêt général et le statut de la fonction publique de l'expertise, choix qui a par exemple été fait aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ce qui compte avant tout c'est le chercheur, pas le fonctionnaire. Quant à la création d'un pôle public d'expertise, l'idée est trop générale pour y répondre de manière précise.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie pour vos très intéressants propos. De mon point de vue, il ne faut pas opposer chercheurs et experts, car il serait difficile d'avoir des experts non chercheurs, ou à la fois l'indépendance et l'objectivité. Par ailleurs, où est l'indépendance quand on est salarié ?
La séance est levée à 12 heures 50.