- Mardi 12 janvier 2016
- Jeudi 14 janvier 2016
- Politique commerciale - Effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques : examen du rapport et proposition de résolution européenne de M. Michel Magras et Mme Gisèle Jourda
- Politique de coopération - Rencontre avec la commission des affaires européennes du Bundesrat (17 et 18 décembre 2015) : rapport d'information de M. Jean Bizet, Mme Gisèle Jourda, MM. Daniel Raoul et Simon Sutour
- Politique de coopération - Relations de l'Union européenne avec la Mongolie : avis politique de M. Jean Bizet
- Nomination de rapporteurs
- Questions diverses
Mardi 12 janvier 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 18 heures.
Institutions européennes - Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes, sur les conclusions et les suites du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, monsieur le ministre, je vous adresse tous mes voeux à l'aube de cette nouvelle année.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre invitation, qui sera l'occasion de revenir sur le Conseil européen qui s'est tenu les 17 et 18 décembre. Les sujets à l'ordre du jour des chefs d'État et de gouvernement demeurent d'une très grande actualité. C'est pourquoi, au-delà des conclusions du Conseil européen, nous souhaitons connaître votre analyse sur l'évolution des différents dossiers dans les semaines qui viennent.
En premier lieu, la lutte contre le terrorisme occupe tous les esprits. Nous avons élaboré en avril 2015 une résolution européenne appelant l'Union à une véritable mobilisation contre ce fléau, notamment avec un PNR européen. Sous la présidence du Président Larcher, la réunion interparlementaire du 30 mars s'est conclue par une déclaration commune appelant à une mobilisation européenne. Les tragiques attentats du 13 novembre et leurs ramifications démontrent que la dimension européenne du combat contre le terrorisme djihadiste demeure essentielle. Nous en avons encore débattu en décembre avec nos collègues allemands du Bundesrat. Quelles ont été les conclusions du Conseil européen sur cette question cruciale ?
La crise migratoire est un autre défi majeur pour l'Europe. Si elle doit respecter sa tradition d'accueil des personnes persécutées et ses engagements internationaux, elle ne peut accepter de voir venir sur son sol, de façon anarchique, tous ceux qui souhaitent la rejoindre pour des motifs économiques. Schengen, grand acquis de l'Union, c'est la libre circulation mais aussi le contrôle des frontières extérieures, le renforcement de la coopération pour lutter contre les trafics en tous genres et la criminalité transfrontière. Nous avons également débattu de ces questions avec nos collègues allemands. La Commission européenne a présenté des propositions le 15 décembre. Sur quelque 50 000 kilomètres de frontières européennes extérieures, plus de 40 000 sont maritimes : un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes doit donc être créé, création demandée de longue date par le Sénat. De même, il a été question d'instituer des documents de voyage aux fins de retour. Nos collègues Jean-Yves Leconte et André Reichardt examineront ces propositions. Quelles ont été les orientations du Conseil européen ? Quelles sont les perspectives ?
Enfin, la question sensible des relations entre le Royaume-Uni et l'Union, que notre collègue Fabienne Keller suit depuis plusieurs mois déjà. Le Conseil européen de février devrait l'examiner à nouveau. Quelles sont, à ce stade, les pistes envisageables pour répondre aux demandes de David Cameron sans remettre en cause les acquis de la construction européenne ? Alors que les nuages s'amoncellent au-dessus de l'Union, il ne faudrait pas que la Grande-Bretagne la quitte : ce serait dramatique pour elle mais aussi pour l'Union. Les 18 et 19 janvier, Fabienne Keller et moi-même serons à Londres pour rencontrer nos voisins d'Outre-manche.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. - Je vous adresse également mes meilleurs voeux : que cette année de tous les périls pour l'Europe permette de la renforcer.
Demain matin, les priorités européennes de la France seront présentées par le Premier ministre en Conseil des ministres.
Les travaux du Conseil européen des 17 et 18 décembre ont porté sur les grandes crises auxquelles l'Europe est confrontée - réfugiés, terrorisme - mais aussi sur plusieurs chantiers structurants pour l'avenir de l'Union : approfondissement de l'union économique et monétaire, renforcement du marché intérieur, Union de l'énergie, référendum britannique.
Concernant les réfugiés, priorité a été donnée, sous l'impulsion du Président de la République, à la mise en oeuvre concrète des décisions déjà prises, dans le cadre du Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), concernant les hot spots, la répartition solidaire des réfugiés, le retour des migrants illégaux et le contrôle des frontières extérieures. Si l'un de ces maillons se révélait faible, le dispositif tout entier serait fragilisé et décrédibilisé. La réponse de l'Europe à cette crise doit être conforme à nos valeurs mais ferme à l'égard de ceux qui ne relèvent pas de la protection européenne.
Les hot spots dans les pays de premier accueil - Grèce et Italie - ont pour but d'enregistrer les réfugiés, d'effectuer les contrôles de sécurité, de distinguer ceux qui relèvent de la protection internationale des autres. Or, leur mise en place est trop lente : sur les six hot spots prévus en Italie, deux n'ont toujours pas d'officiers Frontex et trois sont dépourvus d'agents du Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA). Sur les cinq hot spots grecs, trois seulement fonctionnent, dont deux sans agents du BEAA. Leur capacité d'accueil ne dépasse pas 1 850 réfugiés, alors que les arrivées journalières se chiffrent en milliers, notamment en Grèce, et que les naufrages se poursuivent en Méditerranée centrale, ce qui démontre que le trafic en partance de Libye n'a pas cessé.
Le bilan actuel des relocalisations n'est pas plus satisfaisant : alors qu'en deux ans, 160 000 réfugiés devaient être répartis dans toute l'Europe, ils ne sont aujourd'hui que 272 à l'être, dont 190 depuis l'Italie et 82 depuis la Grèce. Certains pays n'ont pas encore nommé d'officiers de liaison avec les pays de premier accueil et d'autres n'ont pas répondu aux sollicitations du BEAA.
La politique de retour a fait l'objet d'un plan d'action adopté par le Conseil JAI du 15 octobre. Depuis septembre, 683 personnes non admises à bénéficier du statut de réfugié en Europe ont été ramenées dans leur pays d'origine. Frontex devra avoir les moyens de financer ces retours qui ne peuvent dépendre uniquement de l'Italie ou de la Grèce.
L'aide humanitaire doit être à même de maintenir les réfugiés dans les pays frontaliers de la Syrie comme la Turquie, le Liban et la Jordanie. La France a tenu ses engagements en faveur du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du programme alimentaire mondial (PAM). Le rôle central de la Turquie dans la résolution de la crise migratoire a été rappelé lors d'une réunion informelle avec le chancelier autrichien, la chancelière allemande, le président de la Commission européenne, le vice-président Timmermans, le Premier ministre turc et moi-même. M. Ahmet Davutoðlu a présenté l'avancement du plan d'action négocié avec la Commission européenne : création de passeports biométriques, amélioration de l'accès au travail des Syriens, renforcement des contrôles des ressortissants de pays tiers non européens qui transitent par la Turquie pour venir en Europe. Nous avons également évoqué la coopération avec la Bulgarie et la Grèce, la lutte contre les filières de trafiquants, la coopération avec Europol. Le 7 janvier, M. Timmermans a néanmoins rappelé que le flux de migrants partant de la Turquie vers la Grèce restait trop important.
Le Conseil européen a soutenu le « paquet frontières » adopté par la Commission européenne le 15 décembre. Celui-ci inclut une révision ciblée du code frontières de Schengen, pour permettre des contrôles systématiques aux frontières extérieures, y compris de citoyens européens qui reviennent dans l'Union ; il comporte aussi une révision du mandat de Frontex, afin que cette agence puisse procéder à des opérations qui relevaient jusqu'à présent de la souveraineté des États membres, grâce à la création d'un corps de garde-frontières européens. Ainsi, l'Union pourrait intervenir rapidement à ses frontières extérieures, sans en référer à un État membre, ce qui permettrait d'éviter les situations que nous avons connues en Hongrie, puis en Grèce. En outre, grâce à ces garde-frontières européens, le gouvernement d'union nationale libyen pourra demander à l'Union européenne d'opérer dans les eaux territoriales pour lutter contre les départs de bateaux.
Hier, j'ai rencontré à La Haye le ministre des affaires étrangères néerlandais, qui va assurer la présidence du Conseil des ministres pendant ce semestre. Durant sa présidence, le « paquet frontières » devra avoir été adopté.
Le deuxième grand sujet concerne la lutte contre le terrorisme. Pour la première fois, l'article 42-7 du traité de l'Union européenne - à savoir la clause d'assistance mutuelle - a été évoqué : la France a sollicité l'appui de l'Europe, pour ses opérations militaires contre Daech en Syrie et en Irak, ainsi que pour ses opérations au Sahel ou en République centrafricaine. La réponse a été unanime et la majorité des États membres a déjà fait connaître la teneur de sa contribution militaire. Ainsi, le Bundesrat, qui doit se prononcer avant toute opération militaire, a donné son accord à une très large majorité. La construction de l'Europe de la défense est donc en marche.
En matière de lutte contre le terrorisme, la priorité est à la mise en oeuvre du plan d'action décidé lors du Conseil européen du 12 février. En décembre, tirant les premières leçons des attentats du 13 novembre, les chefs d'État et de Gouvernement ont insisté sur l'importance des échanges via les systèmes d'information Schengen et Europol. Tout agent contrôlant les entrées dans l'espace Schengen doit connaître les signalements émis par tout État de l'Union, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
L'accord intervenu sur le PNR européen, outil indispensable, constitue une étape importante : le Parlement européen doit maintenant confirmer en plénière l'engagement qu'il a pris dans le cadre du trilogue.
Trois autres sujets ont été abordés lors du Conseil. D'abord, l'approfondissement de l'union économique et monétaire, à la suite du rapport des cinq présidents. Le Conseil européen a insisté sur la gouvernance de la zone euro et la nécessaire mise en oeuvre de l'union bancaire. Après que le deuxième pilier est entré pleinement en fonction - le mécanisme de résolution unique étant opérationnel depuis le 1er janvier -, la construction du troisième pilier doit être achevée, afin de garantir les dépôts. Nous allons donc poursuivre notre débat avec l'Allemagne.
Deuxième sujet : des propositions législatives devront être présentées pour approfondir le marché intérieur, notamment le marché unique du numérique. Nous serons très vigilants sur la régulation des plateformes, les droits d'auteur et la diversité culturelle. L'union des marchés de capitaux devrait améliorer le financement des PME.
L'Union de l'énergie, troisième sujet abordé par le Conseil, concerne des dossiers précis comme celui du gazoduc Nord Stream. Le « paquet énergie-climat » et le projet de l'Union de l'énergie qui ont été confirmés par la COP 21, doivent être transcrits dans les textes législatifs pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe tout en respectant les objectifs de transition énergétique.
Enfin, un point de l'ordre du jour du Conseil européen a été consacré au référendum britannique. David Cameron a présenté ses demandes. Avant le Conseil, il a été décidé que cette négociation serait conclue en février. Le président de la Commission européenne et le président du Conseil européen vont donc consulter l'ensemble des États membres sur les quatre points soulevés par le Gouvernement britannique. S'il faut tenir compte de ses demandes, cela ne peut se faire au détriment des acquis de l'Union. Tout ce qui peut rassurer les Britanniques et améliorer le fonctionnement de l'Union doit être retenu, mais sans bouleverser les relations entre les pays de la zone euro et les autres. Rien ne doit freiner l'intégration de la zone euro. De même, tout ce qui touche à la liberté de circulation et à la citoyenneté européenne ne saurait être remis en cause. En revanche, la Cour de justice a rendu des arrêts qui permettent de lutter contre les abus sociaux : nous devons en tenir compte.
Entre le Conseil européen de février et le référendum britannique, qui interviendra six à huit mois après, tous les dossiers risquent d'être suspendus dans l'attente du résultat, de crainte qu'une décision ne soit utilisée par les partisans du non. Ce ne serait pas acceptable. En outre, l'accord auquel nous parviendrons aura-t-il une réelle influence sur le vote des Britanniques ? Il est permis d'en douter, car depuis des lustres, des partis et des médias expliquent aux Anglais que l'Union est une abomination. À nous de convaincre ce peuple de rester avec nous alors qu'une crise de civilisation nous menace.
Le Conseil européen a également échangé sur la crise syrienne et sur la situation en Libye. Nous devons avoir une position cohérente pour que les autres grandes puissances travaillent, avec nous, à une issue politique. Dans l'affaire libyenne, tous les pays voisins et tous ceux qui comptent dans la région, comme la Turquie, les Émirats et le Qatar, doivent privilégier la formation d'un gouvernement d'union nationale. Les Libyens qui refuseraient cette voie devront être privés de soutiens internationaux.
2016 est l'année de tous les dangers pour l'Europe : soit l'Union se disloquera, car chacun cherchera des solutions nationales, soit elle se renforcera. J'ai ainsi été à Varsovie après les élections polonaises pour rappeler les valeurs de l'Union mais aussi pour dire que la Pologne doit rester au coeur de l'Union.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour votre présentation.
M. Pascal Allizard. - Face à la crise migratoire, quelles sont les relations de l'Union européenne et de l'ONU avec l'Égypte et la Libye ? Les frontières de ce pays sont en effet particulièrement poreuses.
Certains pays ne poussent-ils pas la Grande-Bretagne à sortir de l'Union ?
Mme Fabienne Keller. - Comme l'a signalé le président Bizet, nous irons bientôt à Londres. Les négociations devraient se conclure lors du Conseil de février. Comme je vous l'avais demandé en décembre dans l'hémicycle, monsieur le ministre, comment notre Gouvernement entend-il négocier avec la Grande-Bretagne ? Aborderons-nous la discussion avec les Britanniques de façon bilatérale, par petits groupes ou au niveau européen ? Les Allemands ne semblent pas défavorables à une restriction de l'accès aux droits sociaux des immigrants européens en Grande-Bretagne, alors qu'une telle mesure contreviendrait aux principes de libre circulation et d'égalité des droits des citoyens européens. D'après les Allemands, un récent arrêt de la Cour de justice permettrait d'instaurer un délai de latence.
M. Jean Bizet, président. - Le discours de la Chancelière est moins frontal à l'égard des Britanniques. Une décision du tribunal fédéral des affaires sociales à l'égard de ressortissants roumains a en effet retenu l'attention de certains dirigeants allemands.
M. André Gattolin. - Le Conseil de décembre n'a pas pris de grandes décisions et a passé sous silence de graves questions. Quel partenariat voulons-nous avec la Turquie ? Sa réaction au dramatique attentat de ce matin à Istanbul démontre la volonté du gouvernement turc d'étouffer l'information.
Rien non plus sur l'Allemagne qui fait cavalier seul en ce qui concerne le Nord Stream II alors qu'il en va de l'indépendance énergétique de l'Europe.
Toujours rien sur les toutes prochaines négociations entre l'Union européenne et la Chine, qui veut voir évoluer son statut au sein de l'OMC. Face aux études alarmistes nord-américaines, la Commission européenne minimise les risques. Heureusement, les industriels européens se mobilisent face à ce Tafta (grand marché transatlantique ou Transatlantic free trade area) à la puissance dix.
Face à tous ces problèmes, la Commission européenne se montre de plus en plus autonome et gère les dossiers selon son propre rythme.
M. Jean Bizet, président. - Je partage l'inquiétude de mon collègue sur la demande de la Chine d'être classée comme une économie de marché. Les effets d'une telle décision seraient extrêmement importants.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - J'ai représenté Laurent Fabius, pendant la COP 21, lors d'une réunion sur la Libye qui s'est tenue à Rome sous la co-présidence des États-Unis et de l'Italie. L'Italie veut jouer un rôle premier dans ce dossier et souhaite la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Même si le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies a changé, Martin Kobler ayant pris le relais de Bernardino León, l'objectif reste le même : aboutir à un gouvernement et un parlement libyens uniques. Le Conseil présidentiel, présidé par M. Fayez al-Sarraj, doit être la préfiguration du futur gouvernement libyen. Les deux parlements devront s'engager à soutenir le gouvernement qui s'installera à Tripoli et qui reprendra en main diverses institutions, dont la banque centrale qui finance depuis des mois des milices. L'Égypte, la Tunisie, le Niger et l'Algérie soutiennent ce processus pour éviter que Daech et d'autres groupes terroristes ne s'emparent de ce pays. Bien sûr, la France souhaite que cette solution l'emporte car la situation actuelle entraîne de graves conséquences sur la sécurité, les flux migratoires et la stabilité de la région.
Des pays encouragent-ils la Grande-Bretagne à sortir de l'Union ? Je ne le crois pas. Les États-Unis n'y ont pas intérêt car ils préfèrent que la Grande-Bretagne y exerce son influence. Si ce pays sortait de l'Union, elle ne serait plus liée que par des accords commerciaux, comme la Norvège ou la Suisse : son poids politique au sein de l'Union serait réduit à néant. Tous les pays qui aiment la Grande-Bretagne lui diront donc qu'elle doit rester dans l'Union.
À la suite de la tournée de David Cameron dans les capitales européennes, il a été dit qu'un accord bilatéral avec l'Allemagne avait été conclu, mais Mme Merkel a démenti cette information : en tout état de cause, l'accord devra être conclu à 28. Nous devons aider la Grande-Bretagne à préparer son référendum, sans pour autant démanteler l'Union européenne. Les demandes britanniques portent sur divers points, dont la gouvernance économique et le lien avec la zone euro. Tout ce qui permettra une simplification du marché intérieur emportera l'adhésion des 28, mais pas à n'importe quel prix. Pour ce qui est de la souveraineté, tout ne peut être accepté. Certes, les parlements nationaux doivent pouvoir se prononcer sur la législation européenne, mais sans aller jusqu'au droit de véto.
L'immigration est le point le plus sensible : les arrêts Dano et Alimanovic de la Cour de justice ont eu un grand retentissement. L'Allemagne avait refusé d'accorder des prestations sociales à des Roumains qui étaient venus dans ce pays dans le but de les percevoir assez rapidement. Cette jurisprudence permet de lutter contre les détournements de la liberté de circulation. En revanche, on ne peut interdire pendant quatre ans l'accès à des droits liés au travail en raison de la nationalité des demandeurs. Nous verrons bien si la Grande-Bretagne modifie son système de prestations sociales ou transige sur la durée. Nous aiderons le Premier ministre à faire campagne pour le maintien de son pays dans l'Union.
Notre partenariat avec la Turquie est important et j'affirme ma solidarité avec ce pays qui a connu ce matin un terrible attentat qui visait des touristes. Notre coopération en matière de sécurité est essentielle. En outre, ce pays est un grand partenaire économique et stratégique. En revanche, il n'a pas su jusqu'à présent réguler les flux migratoires. S'ils ont ralenti, ils restent considérables, passant de près de 10 000 personnes par jour à 3 000. Mais cette décrue n'est-elle pas simplement liée à la saison hivernale ? Les passages continuent donc et l'efficacité de notre partenariat avec ce pays laisse à désirer.
Personnellement, je ne crois pas que l'Europe puisse sous-traiter le contrôle de ses frontières à un pays tiers, quel que soit le niveau de partenariat qu'elle entretient avec lui. Nous approfondissons notre partenariat avec la Turquie, dans le contexte que vous savez au Proche-Orient, en Syrie tout particulièrement ; une enveloppe de trois milliards d'euros est prévue dans les prochaines années, des aménagements peuvent être apportés en matière de visas par exemple, après un examen approfondi - mais tout cela ne signifie pas que l'Europe délègue le contrôle de ses frontières, ce sont bien les règles de Schengen qui s'appliquent avec l'ensemble de nos partenaires extérieurs à cet espace et nous ne pouvons faire comme si, parmi les populations qui fuient la guerre et les tourments de l'Histoire, il n'y avait personne qui puisse menacer notre sécurité.
Le statut d'économie de marché pour la Chine résulte de son accord d'adhésion à l'OMC signé en 2001 : cet accord prévoit qu'au terme d'une période de quinze ans, soit fin 2016, ce statut sera accordé à la Chine si elle respecte un certain nombre de règles et de procédures.
M. André Gattolin. - Il n'y a donc pas d'automaticité...
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Non, la Commission européenne va évaluer, par des critères objectifs, si la Chine respecte les règles et procédures visées, en particulier sur le chapitre des aides d'État aux entreprises - la décision d'accorder le statut en résultera. Sur ce point, c'est bien la Commission européenne qui a la main et notre position est celle de la majorité des autres États membres, en particulier pour la sauvegarde de nos outils de lutte antidumping.
Le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), enfin, va connaître un nouveau cycle de négociation. L'Union européenne a fait des propositions et nous savons que les Américains freinent sur deux dossiers importants : les marchés publics, en particulier sub-fédéraux, sur lesquels l'État fédéral indique qu'il n'a pas la main, c'est un enjeu important parce que l'échelon des États fédérés représente la majeure partie des marchés publics ; les indications géographiques, ensuite, parmi d'autres dossiers agricoles auxquels nous sommes très attachés. Il faut continuer à négocier pour avancer, sans perdre de vue qu'un accord n'a de sens que s'il est équilibré. Car quel que soit l'intérêt de parvenir à un accord dans l'échéancier prévu, la substance l'emporte sur le calendrier ; or, comme le montre une étude qui circule, les termes actuels ne sont pas équilibrés, au détriment de l'Europe.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour ces réponses claires et précises. L'Europe doit avoir une prospective plus ambitieuse, alors qu'elle s'en est encore trop tenu à de la coordination intergouvernementale, et nous devons aller de l'avant sur des dossiers très importants, en particulier en matière économique et sociale. Car nos concitoyens savent combien les réponses aux problèmes d'aujourd'hui sont d'essence communautaire. Nous ne manquerons pas de vous alerter, monsieur le ministre, des problèmes dont nous serons saisis.
La réunion est levée à 19h10.
Jeudi 14 janvier 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8h40.
Politique commerciale - Effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques : examen du rapport et proposition de résolution européenne de M. Michel Magras et Mme Gisèle Jourda
M. Jean Bizet, président. - Je vous réitère mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. Notre ordre du jour appelle en premier lieu l'examen du rapport de notre collègue Gisèle Jourda sur la proposition de résolution européenne qu'elle a déposée le 18 décembre dernier avec Michel Magras.
L'Union européenne et le Vietnam ont conclu, en août, un accord de libre-échange qui pourrait avoir un effet très négatif sur la filière sucrière dans nos régions ultrapériphériques. Nos deux collègues ont présenté devant la délégation à l'Outre-mer un rapport d'information qui décrit précisément les multiples enjeux de la filière canne pour nos DOM, avant de déposer une proposition de résolution européenne formulant une série de préconisations. Une fois que nous nous serons prononcés, la proposition de résolution sera transmise à la commission des affaires économiques, qui disposera d'un mois pour l'examiner. Je cède maintenant la parole à Gisèle Jourda, pour qui le sucre de canne et les sucres spéciaux n'ont plus aucun secret !
Mme Gisèle Jourda. - Le 4 août dernier, l'Union européenne et le Vietnam ont conclu un accord de libre-échange. Globalement, la France peut se féliciter du bon équilibre de ce texte en termes d'accès au marché, de marchés publics ou de protection des indications géographiques. Cependant, il comporte une disposition très négative s'agissant des sucres spéciaux, produits particulièrement sensibles pour la France et ses DOM. En effet, un contingent de 20 000 tonnes de sucre a été accordé au Vietnam par la Commission, contingent incluant les sucres spéciaux, qui sont une filière vitale pour les Régions ultrapériphériques (RUP) françaises.
Cette disposition de l'accord illustre de la part de la Commission une méconnaissance totale du caractère stratégique de la filière « canne » dans les RUP françaises, voire une tactique délibérée tendant à faire de ces régions des variables d'ajustement pour la conclusion de ce type d'accords commerciaux globaux qui vont en se multipliant, et menacent notre filière.
Parallèlement à sa proposition de résolution européenne, votre délégation à l'Outre-mer a présenté, le 10 décembre dernier, un rapport d'information sur lequel j'ai travaillé avec son président, Michel Magras. Nous y présentons les multiples enjeux de la filière canne à la Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe. Le rapport relève la politique contradictoire de la Commission européenne, qui d'un côté conduit des politiques agricole et régionale ambitieuses et, de l'autre, une politique commerciale brutale, ignorant les intérêts et spécificités de régions qu'elle prétend par ailleurs promouvoir.
La Commission européenne n'a pas pris en compte le caractère sensible des sucres spéciaux, malgré les demandes réitérées du Gouvernement français en faveur de leur exclusion de l'accord ou du moins d'un contingent très réduit.
La Commission répond que le risque économique n'est pas avéré. En cas de problème, argumente-t-elle, une clause de sauvegarde permettra d'apaiser les inquiétudes. Elle considère enfin que le Vietnam ne produit pas de sucres spéciaux et que le contingent prévu de 20 000 tonnes ne fait que prendre acte du flux actuel des exportations vietnamiennes.
Cette analyse n'est pas pertinente, c'est le moins que l'on puisse dire : de tels accords créent leurs propres dynamiques, en l'espèce la capacité du Vietnam à prendre appui sur les opportunités que l'accord lui offre pour développer sa propre filière sucrière, y compris et surtout pour les sucres spéciaux.
Si la production annuelle de sucres spéciaux vietnamiens est aujourd'hui limitée dans une fourchette de 1 à 4 tonnes, le Vietnam produit 1,5 million de tonnes de sucre de canne et en est exportateur net depuis 2013. Le savoir-faire de ses producteurs, conjugué à des volumes importants, lui permettra de développer rapidement et massivement sa filière de sucres spéciaux destinés à l'export, et ce à des coûts de revient incomparablement bas.
Que représentent les sucres spéciaux pour nos DOM ? La France, grâce à ses départements ultramarins, est le seul des 28 États de l'Union européenne à produire du sucre de canne. Cette filière est une ressource essentielle pour la Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, ainsi que pour la Guyane. Elle représente plus d'un tiers de la surface agricole utile de ces départements et près de 40 000 emplois directs, indirects et induits.
Indépendamment de l'accord avec le Vietnam, de nombreux autres accords sont en négociation ou le seront bientôt. Certains ont déjà été signés. Mon rapport écrit détaille les pays avec lesquels de telles négociations s'ouvriront, avec un impact fort sur les économies des DOM.
Nos départements d'Outre-mer peuvent-ils adapter leur compétitivité face à cette vague de concurrence qui se profile ? La réponse est non. Car pour contrer cette nouvelle donne concurrentielle, la marge d'évolution des conditions de production et de compétitivité des DOM pour les sucres spéciaux est quasi nulle, du fait de conditions de compétitivité qui les pénalisent.
Plusieurs caractéristiques placent en effet ces territoires dans une situation défavorable par rapport à leurs nombreux concurrents actuels et potentiels. D'abord le climat, qui touche des installations dont les coûts d'entretien sont très élevés et dont les manifestations extrêmes, comme les cyclones, ne sont pas rares. Ensuite, la superficie cultivable est réduite par les contraintes naturelles : outre l'insularité, les exploitations ne sont pas extensibles et le relief accidenté vient encore compliquer la donne. L'augmentation des surfaces cultivées en canne pour augmenter la productivité n'est donc pas une option envisageable.
La proposition de résolution formule les préconisations suivantes : une cohérence de bon sens entre la politique commerciale de la Commission et ses politiques agricole et de cohésion, notamment en ce qui concerne les RUP ; l'aménagement de l'accord avec le Vietnam pour, au minimum, aboutir à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Je précise que les responsables français qui suivent la négociation m'ont fait savoir que la réponse de la Commission sur ce point majeur était toujours attendue, ce qui est très problématique ; la proposition de résolution préconise également l'amélioration indispensable de l'efficacité des mécanismes de défense commerciale et de stabilisation en cas de déséquilibre prévisible ou avéré sur les marchés concernés ; enfin, la prise en compte systématique par la Commission des intérêts spécifiques des régions ultrapériphériques dans les négociations commerciales et une pression accrue du Gouvernement, à cette fin, sur les services de la Commission.
Je vous propose d'apporter un petit complément à un texte par ailleurs déjà précis, complet et équilibré.
Ces quatre modifications aux paragraphes 13, 34, 40 et 41 de la proposition se fondent sur la communication de la Commission européenne d'octobre 2015 intitulée Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable. La Commission s'y engage à publier ses propositions de texte lors de toutes les négociations d'accord de commerce et d'investissement - comme elle le pratique déjà pour le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) - dès l'issue des négociations et sans attendre la fin de la révision juridique.
La Commission s'engage aussi vis-à-vis des parties concernées à plus de transparence dans les procédures de défense commerciale, en mettant davantage de documents à disposition et en leur facilitant l'accès à ces derniers via une plateforme web spécifique.
Il faut prendre la Commission au mot et inscrire ses propres engagements dans le texte qui nous est proposé, plus particulièrement les dispositions générales relatives à la transparence.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie de votre présentation sur cet accord dont les implications sont en effet désagréables.
M. Simon Sutour. - Voilà une nouvelle illustration des difficultés de l'Union européenne avec ses RUP. Peu d'États sont concernés : outre la France, l'Espagne (Canaries) et le Portugal (les Açores et Madère) ; nos territoires sont les plus lointains. Lors de la renégociation de la politique régionale, le volet consacré aux RUP a failli être supprimé. Or notre collègue Georges Patient et moi-même en avions démontré l'efficacité dans un rapport récent. Nous avons agi et obtenu gain de cause.
La canne à sucre est l'une des productions agricoles majeures des DOM, qui sont soumises à une concurrence inégale. J'ai visité, avec Georges Patient, des exploitations de canne à sucre en Guyane. Les agriculteurs guyanais n'ont pas le droit d'utiliser certains produits qui sont employés massivement au Surinam et au Brésil, à quelques dizaines de kilomètres. Conséquence : leurs exploitations reçoivent les insectes chassés par leurs voisins... Il y a aussi notre législation sociale plus avancée.
Avec cette proposition de résolution européenne, nous donnons de la voix, et nous mandatons en quelque sorte notre Gouvernement pour faire valoir, à Bruxelles, la pression que nous lui imposons au Parlement ...
La mobilisation finit quelquefois par payer : ainsi de l'octroi de mer, ressource principale des collectivités d'outre-mer, sauvé de la suppression par une prise de conscience et une action certes tardives mais finalement efficaces. Je remercie Gisèle Jourda de sa pugnacité et de sa conviction sur ce dossier. Je me félicite que la question soit portée par des sénateurs de métropole.
M. André Gattolin. - Je m'associe à ces remerciements. C'est une bonne proposition de résolution.
Le 9 septembre, des membres français du Parlement européen, toutes tendances confondues (dont Patrick Le Hyaric, Marielle de Sarnez, Emmanuel Maurel, Tokia Saïfi, José Bové), ont écrit à la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, pour l'alerter sur l'accord tarifaire France-Vietnam - sans réponse pour le moment.
Une partie de la canne à sucre exportée par le Vietnam est en réalité produite en Thaïlande et au Cambodge. Les accords dits « Tout sauf les armes » qui dispensent les 48 pays les moins développés de droits de douane pour leurs exportations vers l'Union européenne ont permis au Cambodge de développer en quelques années une industrie d'exportation de la canne à sucre. Mais ce développement s'accompagne d'une déforestation et d'un accaparement des terres. Le Parlement européen a déposé deux résolutions à ce sujet en 2012 et 2014.
La question du contingent vietnamien ne recouvre donc pas l'ensemble du problème. L'accord « Tout sauf les armes » est positif, mais il a des effets pervers, dans ce secteur et dans d'autres.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci de cette ouverture sur un sujet dont les implications économiques et humaines sont importantes. Vous avez pointé les faiblesses de la négociation conduite avec le Vietnam. Or, au cours des auditions que je conduis sur le TTIP en ma qualité de rapporteur de notre groupe de suivi, mes interlocuteurs m'ont présenté cette négociation comme un modèle et un succès pour la diplomatie française ! C'est en effet la première fois qu'une reconnaissance des indications géographiques (IG) est incluse dans une négociation avec un pays émergent. Pour le ministère de l'agriculture, c'est un standard à appliquer aux futures discussions.
Je vous remercie donc de mettre en évidence les problèmes sérieux que pose cette négociation dont je n'entends par ailleurs que des louanges.
Mme Gisèle Jourda. - Nous avons, en France, l'art d'entretenir les paradoxes... Notre pays ne se réduit pas à l'Hexagone : nos collectivités d'outre-mer n'ont que ce type d'économie comme ressource. À la Réunion, où sévit le chômage de masse, le maintien de la filière canne est un enjeu majeur.
La Commission européenne a beaucoup investi dans l'amélioration des cultures. Les superficies ont été réduites pour éviter les traitements par voie aérienne. Pour y faire face, nous devons aider nos agriculteurs à obtenir un déclenchement automatique des mécanismes de compensation et de défense commerciale, qui ne sont jamais mis en oeuvre par la Commission. À nous de nous faire entendre pour la défense de ce fleuron de notre économie.
J'entends avec intérêt les éléments présentés par André Gattolin. Il importe d'accroître le contrôle sur les origines de nos importations.
Enfin, je salue la qualité de la collaboration avec Michel Magras sur ce rapport, d'autant que nous avons dû travailler dans l'urgence. J'espère me montrer digne de l'héritage de Simon Sutour au sein de la délégation à l'outre-mer.
M. Jean Bizet, président. - Je vous invite maintenant à voter sur ce texte de nature à conforter les démarches du Gouvernement auprès des instances communautaires.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, le rapport ainsi que la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
Politique de coopération - Rencontre avec la commission des affaires européennes du Bundesrat (17 et 18 décembre 2015) : rapport d'information de M. Jean Bizet, Mme Gisèle Jourda, MM. Daniel Raoul et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - La crise des migrants et la lutte contre le terrorisme constituent un double défi pour l'Union européenne et appellent des réponses coordonnées. Nos commissions des affaires européennes ont à cet égard un rôle indéniable à jouer, en tant que relais des attentes de nos concitoyens et des territoires mais aussi en tant que force de proposition. C'est dans ce contexte qu'une délégation de notre commission, composée de Gisèle Jourda, Daniel Raoul, Simon Sutour et moi-même, s'est rendue à Berlin les 17 et 18 décembre dernier, à l'invitation de Peter Friedrich, président de la commission des affaires européennes du Bundesrat. L'audition de deux commissaires européens sur le thème des migrations, MM. Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des affaires intérieures et des migrations, et Neven Mimica, commissaire en charge de l'aide au développement et de la coopération, et une réunion de travail entre nos deux commissions ont ainsi été organisées.
Avant de détailler le contenu de cette réunion, je rappellerai en quelques mots le rôle du Bundesrat. Incarnant un « Parlement des gouvernements des États fédérés », il est en quelque sorte l'organe par l'intermédiaire duquel les seize Länder participent directement, en leur qualité d'États membres, à la formation de la « volonté politique » de la Fédération qui profite, à l'inverse, de l'expérience politique et administrative des Länder. Constitutionnellement, il s'agit d'un « organe permanent » qui se renouvelle régulièrement avec les élections des parlements régionaux, ce qui confère toute sa légitimité démocratique à l'institution ; mais pour cette même raison, il n'est pas facile de nouer des relations suivies avec ses membres. Les débats sont généralement consacrés à une ou deux grandes questions qui font l'objet de discussions approfondies, mais l'essentiel de l'activité parlementaire se fait au sein des seize commissions dans lesquelles chaque Land délègue un membre.
En matière européenne, lorsque la législation des Länder, l'organisation de leur administration ou leurs procédures administratives sont concernées de manière prépondérante par un projet de texte, l'opinion du Bundesrat doit être « prise en considération de manière déterminante ». Le Bundesrat a le dernier mot pour définir la position allemande au Conseil, sauf en ce qui concerne l'élargissement, la politique extérieure et la politique de sécurité qui relèvent, prioritairement, de la Fédération. Vous trouverez plus de détails sur le mode de fonctionnement du Bundesrat dans le rapport.
Venons-en à nos échanges avec les commissaires européens. Le choix du thème des migrations n'est pas anodin en Allemagne, comme l'actualité récente l'a encore démontré. L'Allemagne a ainsi accueilli environ 1,1 million de demandeurs d'asile en 2015, la plupart utilisant la route des Balkans. Précisons que 428 468 réfugiés proviennent de Syrie et près de 100 000 demandeurs sont issus de pays d'Europe : Albanie et Kosovo. Les capacités d'accueil allemandes sont fortement sollicitées, au risque de susciter des tensions au sein de la population. Le Gouvernement a octroyé une aide de 670 euros par mois et par demandeur d'asile devant être versée aux communes et aux Länder afin d'améliorer la prise en charge.
Les deux commissaires ont souligné que la crise actuelle mettait en cause le projet européen ainsi que l'espace Schengen. La libre circulation doit continuer à être la règle, le rétablissement des frontières nationales l'exception. L'Europe doit manifester sa solidarité et sa responsabilité en allégeant, notamment, la pression qui s'exerce sur l'Allemagne et ses Länder. Les commissaires ont exprimé leur grande déception quant à la mise en oeuvre du plan de la Commission du 9 septembre 2015 visant à relocaliser 160 000 réfugiés. Seuls 11 pays sur 28 ont déclaré qu'ils participeraient à la répartition plus équitable et 250 personnes seulement ont été jusqu'à présent relocalisées. La crise des réfugiés représente un grand défi et un catalyseur pouvant faire le lit du populisme. Le plan de relocalisation nécessite, à l'évidence, un travail de conviction et de pédagogie qui doit être préféré à une politique de punition. En tout état de cause, l'alternative est, selon eux, entre le « courage » ou la « régression ».
Ils plaident pour le renforcement et le développement des hot spots, qui permettent d'enregistrer et d'identifier les migrants. Deux fonctionnent seulement à l'heure actuelle : l'un à Lampedusa, l'autre à Lesbos. Trois devraient être prochainement opérationnels.
Le contrôle des frontières extérieures de l'Union constitue un autre impératif : à cet égard, le nouveau plan présenté le 15 décembre 2015 par la Commission substitue à Frontex une nouvelle agence au mandat renforcé et dotée de moyens techniques et humains autonomes. Cette agence aura notamment un bureau chargé de l'éloignement. Ce plan doit être pris en considération. La question des expulsions d'illégaux devrait par ailleurs être examinée par la Commission au printemps 2016. Ce plan va de pair avec la révision du règlement dit Dublin III qui confère à l'État de premier accueil le soin d'instruire la demande d'asile. Cette révision doit répondre à un esprit de solidarité entre les États membres, dès lors que le système actuel n'est, à l'évidence, plus soutenable. Il convient enfin de renforcer la coopération avec la Turquie - sur laquelle il y aurait beaucoup à dire - et les pays des Balkans occidentaux. Il faut aussi intensifier l'aide au développement à destination des pays d'origine des migrants, dans la lignée des conclusions du sommet de La Valette. Les commissaires ont conclu sur l'idée que les migrants, s'ils faisaient l'objet d'une bonne intégration, pouvaient constituer une chance pour nos sociétés - j'ajouterai : à eux de ne pas la gâcher !
La déclaration commune sur le sujet que nous avons adoptée avec la commission des affaires européennes du Bundesrat est venue compléter cette discussion. Elle insiste sur la nécessité de mettre en place une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Union européenne, via notamment des programmes de réinstallation. Il s'agit pour l'Union européenne d'affirmer ses valeurs, en dépassant sa dimension purement économique. La défense du droit d'asile fait partie des priorités, celle-ci devant néanmoins être exigeante afin de juguler toute dérive et contrôler ainsi les migrations d'essence économique. La déclaration commune souligne le rôle majeur d'une protection plus efficace des frontières extérieures, notamment en vue de maintenir l'acquis de Schengen qui constitue l'une des plus grandes réalisations de l'Union européenne. Toute réponse à la crise des migrants passe également par le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne et l'intensification de l'aide à destination des régions en crise. Peut-être, à une époque, n'avons-nous pas suffisamment prêté attention à cette coopération.
Nous avons également adopté une déclaration commune visant la lutte contre le terrorisme. Plusieurs pistes devraient être approfondies : la clause de défense mutuelle, la protection des frontières extérieures, la lutte contre les trafics d'armes, le contrôle coordonné et systématique aux frontières, la lutte contre la radicalisation via internet. L'Europe doit se doter des moyens nécessaires pour combattre les menaces extérieures qui pèsent sur elle. Il est urgent de sortir l'Europe de la défense du domaine du concept pour la faire entrer dans celui de l'opérationnel. Il s'agit aussi de défendre les valeurs communes de l'Union européenne. La déclaration commune insiste sur le rôle des parlements nationaux dans l'élaboration d'une réponse européenne au terrorisme, celui-ci constituant une menace pour la démocratie. Elle rappelle ainsi la nécessité d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et le développement d'un réseau européen en la matière.
Le texte des deux déclarations communes figure en annexe du rapport.
Cette rencontre devrait être suivie, dans les prochains mois, d'une nouvelle réunion, organisée cette fois-ci au Sénat. Trois sujets devraient faire l'objet de travaux communs. D'abord, il importe que le tandem franco-allemand définisse une position commune sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (dit « TTIP », pour Transatlantic Trade and Investment Partnership), qui donnera une orientation forte pour les 28. Le deuxième sujet concerne la politique européenne de l'énergie, au coeur de la réindustrialisation de notre continent. Ne nous le cachons pas : s'il est signé, le TTIP déclinera simplement la politique nationale des États-Unis en matière d'énergie. Enfin, le troisième sujet porte sur le marché unique du numérique.
Nous avons publié voici quelques années une déclaration commune sur la PAC. Depuis la situation s'est dégradée dans certains départements, notamment en Normandie dans la filière laitière. Je crains que les visions française et allemande des problématiques agricoles ne divergent de plus en plus, l'Allemagne ayant rejoint le camp des pays libéraux. En matière agricole, l'ultra-libéralisme n'est pas la solution.
M. Daniel Raoul. - En effet, s'agissant du TTIP, l'Allemagne et la France tiendront des positions divergentes dans la négociation. Le poids de l'agriculture devient marginal chez notre voisin, et sa pugnacité en sera réduite d'autant. Malgré tout, j'ai été frappé par la communauté de vues entre nos deux commissions.
À la page 33 du projet de rapport, dans le point 3 de la déclaration commune, il me semble qu'une erreur de traduction doit être corrigée afin notamment de viser la « communauté de valeurs européennes ».
M. Simon Sutour. - Il est utile de rencontrer les commissions des affaires européennes des autres États membres, comme nous le faisons pour la deuxième fois avec l'Allemagne et chaque année avec l'Italie.
Le projet de rapport explique bien ce qu'est le Bundesrat, que certains présidents de groupe considèrent comme le nec plus ultra du bicamérisme, alors que ses pouvoirs sont limités. La rencontre commune de nos deux commissions avec les deux commissaires européens - M. Mimica, que nous avions entendu en sa qualité de président de la commission croate des affaires européennes, et M. Avramopoulos, ancien maire d'Athènes et membre de la Vouli - a été particulièrement fructueuse. C'est une bonne méthode de travail. La France et l'Allemagne représentent 150 millions d'habitants et le tiers du PIB de l'Union européenne.
Sur la forme, la déclaration commune n'est pas celle des deux commissions, mais celle de leurs présidents, à la demande des Allemands. Je me félicite que ma suggestion sur la coopération euro-méditerranéenne ait été prise en compte, grâce à l'habileté de Peter Friedrich, président de la commission allemande, qui a su surmonter les réserves de certains de ses membres.
M. André Gattolin. - En effet, votre rapport restitue fidèlement la place du Bundesrat dans les institutions allemandes. Toutefois, il serait à mon sens possible de distinguer plus explicitement les compétences exclusives, concurrentes et subsidiaires de l'État et des Länder.
Il est écrit que « la Fédération est représentée par le Président de la République fédérale » et que la Loi fondamentale « détermine les domaines qui relèvent de sa compétence » : il faudrait ici ajouter « exclusive ». C'est globalement juste, mais les Länder peuvent intervenir lorsque la loi fédérale le permet explicitement.
Le paragraphe suivant énumère les domaines d'intervention transférés aux Länder : il faudrait préciser qu'il s'agit là de compétences concurrentes.
On lit plus bas : « Les Länder ne peuvent légiférer qu'avec l'assentiment de la Fédération dans les domaines suivants ». Il serait plus juste de parler d'absence d'intervention de la Fédération. Parmi ces domaines est citée la politique énergétique, ce qui exagère le poids des Länder : la définition de la stratégie de production et de distribution de l'énergie relève entièrement du domaine fédéral.
Les possibilités d'arrangement entre l'État et les Länder pourraient être évoquées. « Dans ces mêmes domaines, la Fédération ne peut légiférer que s'il existe un besoin de réglementation uniforme à l'échelle de l'État fédéral » : il s'agit là des compétences concurrentes. Il faudrait préciser « dans certains de ces domaines ».
Un rappel de la réforme de la Loi fondamentale en 2006, dont les conséquences ont été importantes, serait bienvenu.
M. Jean-Yves Leconte. - Voilà un rapport très intéressant. Toutefois, les convergences dans le domaine de la lutte anti-terroriste y sont mises en avant, alors que nos échanges avec nos collègues font apparaître de nombreux décalages. La protection des libertés, la biométrie, le suivi des personnes soupçonnées : autant de points de divergence. À l'heure où nous envisageons une évolution de notre législation, son état actuel est déjà problématique aux yeux des Allemands ! Il est indispensable de parler de ces divergences, car rien ne sert d'aller plus loin dans la lutte anti-terroriste si nos partenaires ne nous suivent pas. Mes positions sur le sujet sont bien connues ; elles seraient considérées d'extrême droite en Allemagne !
M. Jean Bizet, président. - Il reste quand même de la marge...
M. Jean-Yves Leconte. - Ne négligeons pas les sensibilités allemandes dans ce domaine. L'impression de convergence globale cache de nombreux points de désaccord.
L'Europe de la défense, ensuite, qui désigne les capacités de notre continent à intervenir à l'extérieur, n'est pas la défense de l'Europe, que nous avons confiée à l'OTAN : il ne faut pas confondre les termes...
M. Simon Sutour. - Et vous êtes atlantiste, en sus !
M. Richard Yung. - Seulement deux hot spots ont été ouverts, l'un en Italie, l'autre en Grèce, alors que nous en avons besoin de bien davantage et que les financements ne paraissent pas manquer, ni les spécialistes : cette lenteur est-elle le fait des Grecs et des Italiens ?
Je salue les passages du projet de rapport sur le Bundesrat, lequel a une approche très pragmatique de son travail, en particulier lorsqu'il est consulté sur la mise en oeuvre de la législation y compris avant l'adoption des textes. Il est tout à fait utile de consulter, avant d'adopter des textes, ceux qui auront la charge de les appliquer, nous le savons par défaut...
M. Jean Bizet, président. - Merci pour ce débat. Comme nous y invite Daniel Raoul, nous devons effectivement veiller à ce que l'agriculture ne soit pas la variable d'ajustement du TTIP. Nous pourrons également, comme le souhaite André Gattolin, examiner de plus près les compétences spécifiques du Bundesrat, voir s'il n'y aurait pas des convergences nouvelles à rechercher. Nous pourrions éventuellement nous réunir avec nos collègues allemands et italiens ; par exemple, un déplacement au Mont-Saint-Michel me semblerait tout à fait approprié, pour identifier les pistes de travail sur le TTIP. Le président du Sénat a, à cet égard, appelé de ses voeux notre plus grande attention, car ce traité risque bien, s'il n'est pas maîtrisé, d'entraîner une véritable onde de choc dans notre économie, concomitante de celle qui suivra la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine. Une réunion avec nos collègues allemands et italiens, voire espagnols si cela était possible, serait tout à fait utile pour trouver des positions communes.
En attendant, je vous propose d'adopter ce rapport d'information.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous serions bien inspirés, également, de nous rapprocher de nos collègues du Parlement polonais.
M. Simon Sutour. - Pour l'Espagne, il faut compter avec le fait que la commission des affaires européennes est commune au Sénat et aux Cortes ; d'autre part, la situation politique actuelle est très particulière outre-Pyrénées.
À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du présent rapport d'information.
Politique de coopération - Relations de l'Union européenne avec la Mongolie : avis politique de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président. - Du 15 au 18 septembre dernier, la délégation française auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE s'est rendue à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, pour participer aux travaux de sa réunion d'automne.
Plusieurs délégations, dont la nôtre, ont manifesté leur surprise devant ce choix. N'était-ce pas pousser très loin à l'Est les frontières de l'Europe - fussent-elles les frontières d'une Europe sentimentale ou rêvée ? Pourquoi demander à cette assemblée parlementaire, chargée de la coopération et de la sécurité en Europe, de se réunir en Mongolie ? Cette mission nous en a apporté la réponse.
Ce morceau de steppe d'Asie centrale est pris en tenailles entre la Russie et la Chine, mais c'est un pays qui tend à desserrer cet étau géographique, historique et politique depuis qu'il a réussi une « transition de velours » vers la démocratie. Cependant il reste désespérément en quête d'un « troisième voisin », selon sa propre expression, empreinte d'humour et de réalisme.
Ce choix de l'OSCE a eu le mérite de saluer un pays qui a fait de grands efforts pour se rapprocher de notre idéal démocratique. Je rappellerai qu'en 2012, la Mongolie était devenue le cinquante-septième État partenaire de l'OSCE.
En effet, la Mongolie - outre une longue et prestigieuse histoire qui remonte à Gengis Khan et repose sur une langue unique, un alphabet propre et une culture originale - présente un intérêt stratégique indéniable pour l'Europe, surtout depuis l'admirable « transition de velours ».
La Mongolie a été sous domination chinoise depuis le XVIIe siècle jusqu'en 1911, date de la proclamation de son indépendance. Cet épisode fut de courte durée puisque, infiltrée par les Bolchéviques, la Mongolie est en 1924 transformée par la force en république soviétique, satellite de l'ancienne URSS ; elle restera sous le régime du Parti unique jusqu'en 1990. Les premières élections libres ont lieu en 1992 et depuis on a assisté à deux authentiques alternances politiques.
Depuis 1989, l'Union européenne, qui a agi sur ce dossier avec une grande prescience, développe et approfondit ses relations avec la Mongolie et depuis 2013, l'Union européenne considère la Mongolie comme une priorité.
En avril 2013, un accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Mongolie a été signé ; il sert de cadre juridique au développement des relations. Il s'agit d'un dialogue politique, mais aussi de relations commerciales, d'aide au développement et de coopération dans le domaine de l'agriculture, du développement rural, de l'énergie, du changement climatique, de la recherche et, enfin, de l'éducation et de la culture.
L'Union européenne est devenue le troisième partenaire commercial de la Mongolie après la Russie et la Chine. Les exportateurs mongols bénéficient d'une exonération presque totale des droits de douane lorsqu'ils accèdent aux marchés de l'Union, grâce au système des préférences nationales.
En 2014, l'Union et la Mongolie ont célébré le 25e anniversaire de leur coopération qui coïncidait presque avec le 25e anniversaire de l'accès à la démocratie. En 2015, la Mongolie et la France ont célébré le 50ème anniversaire de l'établissement de leurs relations diplomatiques.
La Mongolie étant devenue une cible prioritaire, l'Union européenne a donné 15 millions d'euros aux activités de coopération et de développement avec ce pays pour la période 2011-2013. Le programme indicatif pluriannuel au titre de l'instrument de la coopération au développement prévoit une enveloppe de 65 millions d'euros pour la période 2014-2020. La Mongolie pourra également bénéficier d'un soutien au titre des programmes thématiques et régionaux, ainsi que pour les actions financées par l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme et les programmes d'appui aux acteurs non étatiques. Ce soutien supplémentaire est estimé à 14 millions pour la période 2014-2020. Le montant total de l'aide de l'Union européenne en faveur des actions de coopération au développement en Mongolie s'élèvera ainsi à 79 millions sur cette période.
Quatre États membres de l'Union ont une ambassade en Mongolie : l'Allemagne, la France, la République tchèque et le Royaume Uni - et la Mongolie compte 18 autres ambassades étrangères. L'Allemagne fait mieux que nous : son ambassade est quatre fois plus nombreuse que la nôtre et les échanges commerciaux germano-mongols quatre fois supérieurs aux nôtres. À cela, il y a des raisons historiques : l'Allemagne réunifiée a récupéré l'excellente implantation de la RDA datant de l'époque soviétique.
La Mongolie maintient avec habileté l'équilibre entre la Chine et la Russie. La Chine traite la Mongolie avec égard en raison des minorités mongoles sur son territoire. La Russie, depuis l'affaire ukrainienne, s'est aliénée la bonne volonté mongole ; mais Oulan-Bator se contente de faire savoir qu'elle appelle de ses voeux une Russie agissant selon les critères et les standards des démocraties occidentales.
Le Japon et la Corée du Sud, qui souhaitent contenir la Chine en Asie, entretiennent d'excellentes relations avec la Mongolie à hauteur de leur très bonne pénétration du marché mongol. Ainsi, 30 000 Mongols travaillent en Corée du Sud comme travailleurs étrangers.
Les Américains et les Indiens, plus discrets, semblent les grands absents du paysage, ce qui paraît conforter le choix de l'Union européenne et qui devrait nous conduire, nous autres Français, à accompagner ce choix prioritaire.
Les Mongols me sont apparus comme un peuple jeune et ouvert qui continue à savourer le retour à la liberté malgré une grande pauvreté et d'immenses difficultés économiques. Étonnamment, bien qu'ils soient un très petit pays, ils pensent « grand » et ils restent déterminés et optimistes. La situation politique est très stable. Nous avons retiré de notre séjour une impression très favorable.
Cependant, nous avons constaté la complexité et l'inefficacité du circuit financier communautaire, ce qui conduit à un mauvais usage de crédits pourtant importants et en hausse. Nous suggérons que ces crédits soient « décentralisés » et mis en oeuvre en étroite coopération avec les quatre ambassades de l'Union européenne présentes à Oulan-Bator. C'est le sens de l'avis politique que je vous propose d'adopter, pour que le personnel de nos ambassades serve mieux les projets des entreprises locales, aussi bien que ceux des entreprises européennes cherchant à se développer en Mongolie.
M. Richard Yung. - C'est ce que demandent les Mongols eux-mêmes...
M. Jean-Yves Leconte. - Effectivement, sachant que la Mongolie est enserrée entre la Chine et la Russie, les Mongols sont très sensibles à ce que nous pouvons faire pour le développement de leurs entreprises, comme des nôtres, dans leur pays.
M. André Gattolin. - Je le confirme à mon tour, pour l'avoir constaté avec le groupe d'amitié France-Mongolie : nos amis mongols, à propos de l'Europe, comme de la France ou de l'Allemagne, parlent d'une « troisième frontière », ils veulent se rapprocher de nous parce qu'ils craignent la Chine comme la Russie, c'est une constante de leur histoire. La Mongolie traverse une période de forts changements, sa population qui était traditionnellement nomade s'est sédentarisée, en particulier dans les faubourgs pauvres d'Oulan-Bator. Il y a beaucoup à faire dans ce pays, nous avons par exemple développé une coopération entre l'École nationale d'administration (ENA) et l'École de la Gouvernance d'Oulan-Bator, mais nous sommes encore très loin du compte. Le pays ne compte que trois millions d'habitants, mais il est le huitième par la surface et son sous-sol est riche. Il connaît une transition politique rapide mais les risques de tensions y sont très forts dans les années à venir et l'État ne semble pas doté des outils pour y faire face.
J'approuve donc cette proposition, même si je doute que la Commission européenne nous suive et quand bien même nous serions d'accord à quatre pays de l'Union qui disposent d'une ambassade à Oulan-Bator...
M. Michel Billout. - La question se pose également de l'ingénierie nécessaire aux dossiers de coopération avec l'Union européenne, on l'a vu avec les anciens pays de l'Est comme la Bulgarie : en fait-on assez de ce côté-là ? Et nos ambassades disposent-elles des moyens suffisants pour accompagner les entreprises désireuses de s'implanter en Mongolie, comme les entreprises mongoles cherchant des coopérations avec des Européens ?
M. Jean Bizet, président. - Cet avis politique peut y aider, à condition que les ambassadeurs s'en saisissent et coordonnent leur travail sur place - ils ne sont que quatre, mais ils ne représentent pas les plus petits pays de l'Union européenne... À ce titre, cet avis politique est un levier d'innovation pour inciter la Commission européenne à faire mieux.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, l'avis politique qui sera transmis à la Commission européenne.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - Le groupe de travail sur la subsidiarité a estimé que le nouveau paquet « économie circulaire » présenté par la Commission européenne posait des problèmes au regard de la subsidiarité. Je vous propose de demander à nos collègues Claude Kern et Michel Delebarre, qui avaient examiné le précédent paquet, d'approfondir cette question d'ici notre prochaine réunion, compte tenu du délai très serré de huit semaines dont disposent les parlements nationaux pour émettre un avis motivé.
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat a été saisi de deux textes émanant du Parlement européen qui concernent la réforme de la loi électorale de l'Union européenne. Les propositions du Parlement européen pourraient avoir des conséquences significatives sur les modalités d'organisation des élections européennes dans les États membres. Je suis surpris que ces textes ne nous aient pas été transmis au titre du contrôle de subsidiarité. Je vous propose, en toute hypothèse, d'en faire un examen sur le fond et de relever le cas échéant les problèmes de subsidiarité. Le Parlement néerlandais, le Bundesrat et la Chambre des Lords vont se saisir également.
M. Jean-Yves Leconte. - Il y a là effectivement un sujet, en particulier sur la question du vote des Européens qui vivent hors d'Europe et sur la question du double vote dans le pays d'origine et dans le pays de résidence.
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose d'en être rapporteur, avec Fabienne Keller.
M. Jean Bizet, président. - Une directive du 8 juin 2011 a limité l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Elle concerne notamment le matériel d'éclairage tels que les lustres. Le cristal a toutefois bénéficié d'une exemption depuis 2011 jusqu'en 2016.
Une consultation publique est en cours. Sur cette base, le renouvellement de l'exemption sera accordé ou non. La décision qui sera prise revêt un enjeu important pour les cristalleries et pour l'emploi.
Je vous propose donc de désigner un rapporteur pour étudier cette question et, le cas échéant, préparer un avis politique que nous adresserions à la Commission européenne : Monsieur Danesi, acceptez-vous d'en être le rapporteur ?
M. René Danesi. - Oui.
Il en est ainsi décidé.
Questions diverses
M. Simon Sutour. - Un point de méthode : Patricia Schillinger n'est pas présente parce qu'elle a dû assister à la réunion d'une délégation dont elle est membre. Des chevauchements se produisent chaque semaine : les délégations ne pourraient-elles pas tenir compte de nos contraintes horaires le jeudi matin ?
M. Jean Bizet, président. - Un bilan de la réforme des méthodes de travail du Sénat sera effectué. Votre observation pourra être prise en compte à cette occasion.
La réunion est levée à 10h05.