Mercredi 13 janvier 2016
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Audition de M. Philippe Wahl, candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de La Poste
La réunion est ouverte à 11 h 30.
La commission entend M. Philippe Wahl, candidat proposé aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous accueillons M. Philippe Wahl, président-directeur général (PDG) du groupe La Poste, que nous avions déjà reçu le 25 mars dernier, cette fois-ci en application de l'article 13 de la Constitution en vue de son éventuelle confirmation dans ses fonctions.
Le 25 septembre 2013, vous avez été nommé, par le Président de la République sur proposition du Gouvernement, PDG de La Poste, succédant à Jean-Paul Bailly qui avait décidé de ne pas aller au terme de son mandat. C'est à présent pour cinq années que vous seriez nommé à la tête du groupe La Poste, devenu une société anonyme à capitaux entièrement publics depuis la loi du 9 février 2010.
Le groupe subit depuis plusieurs années une forte baisse de son activité courrier, mais enregistre une progression des ventes sur ses activités colis et express, ce qui compense les effets de la dématérialisation. Le plan stratégique « La Poste 2020 » illustre cette transformation radicale du modèle économique et stratégique postal imposée par la révolution numérique.
La Poste conserve des missions de service universel très importantes, mais qui affectent négativement ses comptes : présence territoriale, avec son réseau de 17 000 points de contacts ; distribution de la presse... Vous nous donnerez votre analyse de ces évolutions structurelles, ainsi que votre vision de l'avenir de ce groupe, deuxième employeur de France avec plus de 266 000 collaborateurs.
Cette audition est organisée dans la foulée de celle réalisée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Je tiens ici à rappeler quelques règles de procédure : nous devrons dépouiller les bulletins de vote simultanément, le vote ne pouvant avoir lieu qu'à l'issue de la réunion, sans délégation possible. Cette séance est publique, ouverte à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo.
M. Philippe Wahl, candidat proposé aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste. - Je suis honoré de présenter à votre commission ma candidature à la présidence de La Poste. Je serai très bref sur ma situation personnelle, qui n'a guère changé depuis deux ans et demi, mon activité essentielle ayant été de diriger La Poste. Seul fait nouveau : je suis âgé de 59 ans alors que je n'en avais que 57 en 2013 !
Le projet que je vous proposais à l'époque reposait sur un diagnostic, une vision et des plans d'action. Je les confronterai à l'expérience.
Le diagnostic était celui d'une très forte baisse du volume de courrier, de 3 % en 2008, de 5 % en 2010, qui menaçait le modèle stratégique de La Poste. De fait, en 2015, la baisse de volume du courrier a atteint 6,7 %, supérieure à la prévision de 6 % inscrite dans la trajectoire. À prix du timbre constant, il aurait manqué plus de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires au 1er janvier. Aucune autre entreprise française n'est confrontée à un défi économique de cette ampleur. Cette réalité est constatée dans tous les pays du monde : la baisse du volume de courrier a été de 20 % en Allemagne entre 2004 et 2014, de 30 % en France, de 50 % aux Pays-Bas, de 60 % au Danemark...
À cette baisse de volume s'ajoutent la baisse de fréquentation des bureaux de poste, comme de tous les lieux physiques de commerce, et des taux d'intérêt particulièrement bas, qui affectent particulièrement la Banque postale, plus liquide que les autres banques.
La vision, c'était, face à ces vents contraires, la nécessité de transformer le modèle stratégique de La Poste. La compétence de notre groupe réside dans sa force de travail, force de proximité humaine pour tous, tous les jours, partout sur le territoire. Elle est la seule entreprise à disposer de cette capacité de projection.
Notre volonté de diversifier le groupe et de le transformer écarte toute voie malthusienne. Nous gardons les 17 000 points de contact et la distribution du courrier six jours sur sept. Nous acceptons et revendiquons le cadre imposé. Notre vision est aussi fondée sur la notion de service public. Nous sommes fiers de nos quatre missions de service public, que nous avons modernisées. Notre cadre territorial d'action comportait trois formats : l'agence postale communale, le bureau de poste et le relais poste. Nous y avons ajouté la maison de services au public, le facteur-guichetier, le point de contact postal avec l'économie sociale et solidaire et le relais-poste urbain.
Nous nous sommes tenus à nos plans d'action, et même si 2014 a été une année très difficile au cours de laquelle nous avons consommé du cash, ses résultats ont été meilleurs que ceux de la trajectoire à laquelle nous nous étions engagés auprès de nos actionnaires, État et Caisse des dépôts et consignations (CDC). L'année 2015 sera celle d'un redressement du résultat d'exploitation du groupe et du retour à un cash positif. Nos plans d'action ont été tenus, nous maitrisons l'avenir économique du groupe, grâce à l'engagement des postières et des postiers, qui ont été associés à notre réflexion stratégique. En 2014, le comité exécutif a effectué un tour de France des 7 000 cadres supérieurs. Nous avons engagé des négociations sociales, conclues en février 2015 par l'accord social « Un avenir pour chaque postier », premier accord majoritaire dans l'histoire de La Poste.
Ces réalisations éclairent nos intentions pour l'avenir. La période 2016-2021 se traduira par une accélération des bouleversements numériques et un renforcement de la concurrence. Notre projet est d'approfondir, d'accélérer la transformation et la construction de la première entreprise française de services de proximité.
L'équation stratégique est simple. Le courrier traditionnel représente encore 43 % de notre chiffre d'affaires. Chez notre principal concurrent, en Allemagne, ce volume n'est que de 17 %. Nous sommes donc un opérateur plus vulnérable. Le maître mot des cinq années à venir est la diversification, avec la croissance de la Banque postale, mais aussi de GeoPost, dont le déploiement international est renforcé. Il est numéro un en France, numéro deux en Allemagne et au Royaume-Uni, numéro un en Pologne. Notre métier, la livraison du e-commerce et du commerce, est un métier de proximité, du dernier kilomètre, du dernier mètre. C'est un métier de réseau. Le développement à l'international renforce notre base domestique : 20 % des colis viennent de l'import-export. Notre projection internationale accroît la récolte de colis pour la plateforme France, ce qui renforce l'emploi national.
Quand j'en ai pris la responsabilité, la branche services-courrier-colis ne traitait que le courrier. Je lui ai apporté Coliposte et une branche de services, car ils sont l'avenir, avec la silver economy.
Votre Poste changera de forme et de visage, mais pas de valeurs - au premier rang desquelles l'innovation. Nous avons créé l'envoi de colis par la boîte aux lettres, grâce au numérique. Nous avons présenté au Consumer Electronics Show de Las Vegas, la semaine dernière, le bouton numérique annonçant l'envoi d'un colis pour faire passer le facteur. Nous sommes aussi devenus propriétaires d'une plateforme internet de livraison de restauration à domicile, Resto-in. Preuve que nous croyons à la chaîne de valeur numérique.
Nous restons fidèles à nos missions de service public, à commencer par la présence postale territoriale. Nous nous sommes engagés à créer 500 maisons de services au public d'ici la fin de cette année ; 110 l'ont déjà été. Pour les plus petites communes, nous expérimentons le facteur-guichetier, qui reprend la tradition du receveur-distributeur. Il y en aura 265 à la fin de l'année. Le facteur-guichetier de Malicorne-sur-Sarthe tient le guichet de 8 h 30 à 11 h 30, puis distribue le courrier l'après-midi. C'est un moyen de conserver un bureau de poste de plein exercice à mi-temps. Nous aurons créé mille facteurs-guichetiers fin 2017, après discussion préalable avec les élus locaux. La Poste a également créé de nouveaux lieux tels que NOMADE à Bordeaux, où des auto-entrepreneurs nous louent des surfaces : c'est une autre façon d'utiliser le bureau de poste comme lieu de vie.
En 2020, La Poste aura changé de visage mais pas d'identité ni de valeurs. En 2021, elle sera la première entreprise de proximité humaine de France, avec une incroyable capacité de contact, d'échanges et de présence humaine. Loin d'écarter le savoir-faire postal, la révolution numérique le rend encore plus nécessaire. La Poste réduit la fracture numérique : les 95 000 facteurs ont tous un smartphone. Cette mutation culturelle est difficile pour le personnel. La dépense de formation est considérable : nous nous sommes engagés à former 100 % des postiers sur deux ans et 80 % chaque année, avec un plan de développement managérial.
Ainsi, nous serons fidèles à notre histoire, à nos valeurs, à nos clients, à nos territoires, et nous nourrirons une entreprise dont la croissance et la rentabilité vont s'affirmer dans les années à venir.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci de votre concision.
M. Philippe Leroy. - On ne peut qu'adhérer à votre stratégie et apprécier votre enthousiasme, qui vous rend convaincant. Nous partageons votre souci de diversifier, moderniser l'entreprise, de la rendre accessible à de nouveaux marchés tout en gardant la proximité dans les villes et les campagnes. Vous allez devoir faire face à un énorme travail de formation. De quelle façon les personnels acceptent-ils cette évolution redoutable ? Comment réussir la mutation des personnels les plus anciens ? Afin d'assurer vos missions de service public, vous allez devoir former vos nouveaux clients. J'ai le sentiment que vous les négligez, alors qu'ils vont devoir s'adapter aux nouveaux services. Avez-vous pensé aux personnes âgées qui devront recourir au numérique ?
M. Martial Bourquin. - Merci pour votre exposé clair et précis. Face à la baisse du courrier et au changement des métiers, deux choix sont possibles. Certains opérateurs européens délaissent complètement les métiers traditionnels de la poste et l'implantation territoriale. Ce n'est pas votre orientation. Au contraire, vous vous appuyez sur vos 90 000 facteurs. Les sénateurs responsables des territoires vous en remercient, car nous avons besoin, dans la ruralité et dans les quartiers, d'une poste bien présente qui mette en place une politique de service public. Les atouts ne manquent pas : la Banque postale est remarquable, vous êtes un leader logistique international : si le volume du courrier baisse, celui des colis est en forte augmentation. Comment faites-vous pour capitaliser ce changement ?
La revue municipale était très bien distribuée par les facteurs ; avec Mediapost, c'est une catastrophe. Les nouveaux métiers ne devraient-ils pas être intégrés ?
M. Gérard César. - Le rôle des facteurs est fondamental dans l'aménagement du territoire. Le plafond du retrait d'argent dans les relais poste a posé problème ; a-t-il été relevé ? La Banque postale, que les collectivités territoriales peuvent mettre en concurrence, est essentielle ; sa progression est à souligner.
Qui finance les maisons de services au public ? Les communes ou La Poste ? Ces questions sont essentielles pour le monde rural. Enfin, merci d'associer les élus aux décisions : la Poste travaille bien avec les élus, et réciproquement !
M. Michel Le Scouarnec. - Vous voulez accroître la puissance internationale du groupe La Poste. Quelle est l'évolution des effectifs ? La déshumanisation est en marche. La population est pourtant très attachée au facteur. J'ai peur que la transformation de La Poste ne s'accompagne de pertes d'emplois au niveau local, engendrant des dépenses supplémentaires pour les communes, notamment rurales, déjà frappées par la baisse des dotations. Dans les petits villages de montagne déjà privés de haut débit, la disparition de la Poste serait une catastrophe : attention à ce que ces communes ne subissent pas une double peine !
M. Daniel Dubois. - Je suis persuadé que La Poste a un rôle majeur à jouer avec les maisons de services au public, mais j'ai l'impression qu'on ne prend pas la bonne route. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit un schéma d'amélioration de l'accessibilité des services au public, piloté par le conseil départemental. Le Président de la République s'engage pour installer mille maisons de services au public dans les territoires ruraux. La Poste s'y engouffre par obligation, sans cohérence ni efficacité. Dans ma communauté de communes, deux ou trois maisons de services au public ont été installées dans des bureaux de poste libres. On ne sait pas comment elles vont fonctionner, et 80 % du territoire est délaissé. Ce chemin est hasardeux pour vous.
Quel est votre avenir ? Il est naturellement très lié à la proximité, mais celle-ci est très liée au numérique. Or celui-ci est très peu présent dans le milieu rural - qui concentre la demande de services publics. Comment pouvez-vous agir pour assurer une complémentarité ?
M. Roland Courteau. - Les organisations syndicales ont rédigé une plateforme commune sur la réparation, statutaire et pécuniaire, du préjudice de carrière des reclassés de La Poste. Quelle est votre réponse ?
Quelle est l'évolution précise de l'emploi au sein de La Poste ? Quelle est la part des recrutements en contrat à durée déterminée ou indéterminée et en temps partiel ?
La sécabilité affecterait l'activité des facteurs, les tournées des partants étant réparties entre ceux qui restent. Les particuliers ne connaîtraient plus leur facteur ; les erreurs se multiplieraient ; les agents n'auraient plus le temps de remplir leur rôle social. Ce que j'évoquais déjà en 2011 serait en-deçà de la réalité. Qu'en est-il ?
M. Jackie Pierre. - En milieu rural, les bureaux de poste se transforment en agences, voire en relais. Si cela se passe plutôt bien pour l'instant, le mouvement s'accélère et la présence physique de La Poste en tant que telle diminue. Les maires y pallient en acceptant vos propositions, mais avec leur expérience de l'abandon financier de l'État, ils craignent un retrait du financement de La Poste qui les placerait au pied du mur. Si vous décidiez ce retrait, les maires seraient condamnés à payer à votre place. Deux agences ont été inaugurées le mois dernier dans les Vosges, mais l'inquiétude grandit. Quelles garanties offrez-vous aux maires ?
M. Franck Montaugé. - Lors de l'installation du Conseil national des villes (CNV) en octobre, le Premier ministre a dit son attachement à la présence des services publics dans les quartiers ressortant de la politique de la ville. L'agglomération que je préside vient d'entrer dans le champ de la politique de la ville. On m'annonce une forte volonté de La Poste de diminuer sa présence territoriale, voire de la faire disparaître...
Je n'arrive pas à me figurer ce que signifie la diversification dans le domaine de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les contacts avec la population sont-ils à considérer dans une médiation avec les structures existantes travaillant dans les services à la personne et l'accompagnement à domicile ? Ce sujet mérite des précisions. Je souhaite que le déploiement de ces nouveaux services soit parfaitement intégré avec l'ensemble des services publics rendus sur les territoires afin de ne pas affaiblir les structures présentes.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Dans le cadre de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », les agents de La Poste pourront faire passer l'épreuve théorique du permis de conduire à partir du 1er février 2016. Cinquante agents ont été formés, à Paris, Lyon et Marseille. Concrètement, comment procéderont-ils ? Passera-t-on l'épreuve dans le bureau de poste ? Nous n'avons pas obtenu en séance de réponse du ministre sur l'impact économique de cette mesure et son coût pour La Poste. L'effectif va-t-il augmenter, ou va-t-on en rester à une mesure d'affichage ?
Vous avez expérimenté le travail dominical le 20 décembre, pour livrer les colis de Noël, sur la base du volontariat, dans sept villes dont Nice. Quel en est le bilan ? Est-ce rentable ? Pensez-vous reconduire cette initiative à des occasions précises ?
Vous avez parlé du bouton connecté Domino. Cette expérimentation sera-t-elle mise en oeuvre ? Où et quand ? Vous avez également présenté à Las Vegas votre hub numérique regroupant les objets connectés. Quand cette application sera-t-elle lancée ?
M. Yannick Vaugrenard. - Merci de votre exposé, et de l'attention que vos collaborateurs accordent aux propositions des élus locaux. Le rôle de La Poste en faveur du service public et de l'aménagement du territoire est incontestable. Le postier représente parfois le dernier lien social, notamment pour les personnes âgées dans des territoires reculés ; c'est parfois la seule personne qu'elles voient dans la semaine. Comment faire perdurer ce savoir-faire de contact, reconnu par l'ensemble de vos clients ? Quel type de formation professionnelle proposerez-vous ? Comment ces nouveaux métiers sont-ils perçus par vos collaborateurs ? Vous inspirez-vous de l'expérience d'autres pays confrontés à la même problématique ?
M. Gérard Bailly. - Merci de vous soucier de l'information des parlementaires et de leur donner la possibilité de vous poser régulièrement des questions directes.
La baisse du volume du courrier se poursuivra. Vous devez vous orienter vers autre chose. La Poste peut être un grand serviteur de la vente directe - c'est le producteur qui vous le dit. Ici, pendant quatorze ans, je n'ai jamais pu obtenir de morceau de Comté au restaurant du Sénat. On me répondait que c'était beaucoup trop cher. Lorsque le nouveau responsable est arrivé, je lui ai dit que j'étais sûr que des coopératives pourraient en envoyer par voie postale. Désormais, le Comté arrive tous les lundis. Cet été, j'ai été scandalisé de voir du Comté à 28 euros aux Sables d'Olonne alors qu'on peut en recevoir à 13 ou 14 euros le kilo par Chronopost ! La Poste devrait travailler avec les filières productrices pour développer la vente directe, alors que les commerçants prennent des marges extraordinaires.
M. Alain Duran. - Nous comprenons l'équation stratégique que vous avez rappelée, entre le maintien d'une offre de bon niveau et une structure financière solide, mais il existe des difficultés sur le terrain. Nous sommes interpellés par les facteurs sur les réorganisations de tournées provoquant du retard dans la distribution, un malaise et des arrêts de travail qui désorganisent à leur tour le service. Comment La Poste prépare-t-elle ses salariés aux changements et comment prend-elle en compte les spécificités des territoires ruraux, en particulier à la montagne ? Chez moi, il neige en hiver, ce qui peut retarder la distribution ; l'été, nous recevons de nombreux touristes, ce qui peut allonger les tournées. Jusqu'à présent, l'organisation était basée sur l'annualisation du temps de travail et le principe du fini-parti. On me dit qu'actuellement les emplois du temps, trop encadrés, enlèvent toute souplesse. Pourquoi changer ce qui fonctionne ?
Les maisons de services au public apporteraient, dites-vous, une bonne réponse aux besoins des territoires ruraux. Quel est le bilan qualitatif ? Qui y participe, au-delà des signataires nationaux ?
M. Daniel Gremillet. - La France a réussi dans deux domaines, l'électricité et la poste. Vous avez mis en place avec succès les relais-poste, qui contribuent également à maintenir une certaine activité lorsqu'ils sont tenus par des commerçants ou des artisans. Ne peut-on être plus performant ? Ne pourrait-on viser la délivrance d'un pli recommandé ou d'un colis à n+1, plutôt que n+2 quand l'usager est absent ?
Face à la fracture numérique, comment faire en sorte de répondre au sentiment d'abandon en offrant les mêmes services à tous les citoyens ?
M. François Calvet. - Quelles sont les relations de La Poste avec les pays frontaliers ? Les bilans de santé de nos malades de l'hôpital transfrontalier franco-espagnol de Puigcerdà sont envoyés à Madrid, puis de là à Paris, puis à Perpignan, puis dans nos montagnes près de Font-Romeu. La facture est un peu chère ! L'énergie n'est pas économisée. J'essaie de faire en sorte qu'un employé de La Poste puisse aller chercher ces bilans, dans l'intérêt des malades. Avez-vous des accords particuliers ?
J'essaie, depuis des années, d'installer un distributeur de billets dans une commune de 1 600 habitants, Osséja, qui compte de nombreuses maisons de santé employant plus de mille salariés, où La Poste est seule présente. J'ai proposé d'y participer avec la réserve parlementaire ; on m'a répondu que c'était impossible car il y a un distributeur à 4 kilomètres. Or nous sommes en zone de montagne. Je lance donc un appel, quelque peu désespéré....
M. Yves Rome. - Je me félicite de la lucidité de votre diagnostic. Vous avez dit que La Poste devait être à l'avant-garde numérique, passant de l'internet des objets à l'internet des services. J'aborderai un sujet plus sociétal : le sentiment d'abandon dont souffrent nos territoires. Le rôle que vous devez jouer avec les maisons de services au public est important pour recoudre le tissu démocratique. Quels partenariats envisagez-vous de nouer avec d'autres institutions, comme les opérateurs téléphoniques ?
Vous n'avez pas, ou très peu, évoqué le rôle de La Poste dans la transition énergétique.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Les communes partenaires de La Poste pour les agences postales rencontrent des problèmes de réactivité. Il en va de la crédibilité, et donc de la pérennité du service.
Concernant le maintien d'un service public de qualité, nous sommes de plus en plus confrontés, dans les zones rurales, à des horaires de tournée inacceptables. Un artisan ne peut pas recevoir son courrier après 16 heures ou 17 heures !
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le malaise de vos agents, qui fait mauvais écho à votre démarche de modernisation.
M. Marc Daunis. - J'écouterai avec attention votre réponse sur les reclassés. Comme M. Vaugrenard, j'ai constaté l'évolution du dialogue avec les élus sur le terrain : merci. Vous êtes engagé dans la bataille pour maintenir votre coeur de métier, tout en assurant diversification et reconversion. Une des clés du succès de cet engagement sera votre capacité d'adaptation aux réalités concrètes du terrain, étant donné la diversité des situations, au-delà de la vision globale de l'entreprise. Comment associer les élus ?
Dans les Alpes-Maritimes, une convention avec le parc naturel régional des Préalpes d'Azur adapte les réponses et réunit les partenaires. Allez-vous généraliser ces dispositifs contractuels précisant les engagements des uns et des autres ? Comment y associez-vous des personnels qui s'inquiètent ? Le succès viendra de votre capacité à les mobiliser et à maintenir leur savoir-faire : voyez l'importance du facteur humain dans les circuits courts et l'ESS. Si le personnel n'est pas motivé, l'entreprise est vouée à l'échec.
M. Michel Magras. - Félicitations pour votre analyse et pour la stratégie mise en place à la tête de La Poste. Intégrez-vous dans cette politique nationale les spécificités liées à la diversité ultramarine ? Nous sommes les champions de l'e-commerce dans le monde entier ; avez-vous une stratégie propre pour les territoires d'outremer, où la concurrence avec les services privés est particulièrement forte ?
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Chers collègues, merci de votre concision.
M. Philippe Wahl. - Présence postale et aménagement du territoire sont des points fondamentaux. Le groupe La Poste restera l'entreprise la plus territoriale de notre pays ; c'est notre volonté stratégique. Mais nous ne pourrons réussir seuls. Partout, nous devrons nouer des partenariats exemplaires, dynamiques et inventifs avec les collectivités locales. Bien évidemment, cela suppose des contrats, respectés de part et d'autre. J'y suis personnellement très attentif. Notre groupe compte 260 000 personnes, 17 000 points de contact : la gestion décentralisée s'impose. Vous pouvez contacter mon adjoint Jacques Savatier directement, mais l'idéal serait que les situations locales se règlent localement. Nous ferons les changements nécessaires, car ce point est fondamental.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est noté.
M. Philippe Wahl. - La décentralisation responsabilise chacun.
Oui, nous nous sommes engouffrés dans les maisons de services au public, mais le besoin est réel. Nous avons choisi d'avancer sans attendre. La Poste ne peut rester seule présente s'il n'y a pas de mutualisation de l'effort. Il existe 110 maisons de services au public, il y en aura 500 à la fin de l'année. Si certains besoins apparaissent dans des zones décentrées, parlez-en avec les responsables locaux. Nous nous adapterons aux situations locales, et notamment au rôle renforcé des intercommunalités. Soit nos bureaux ou les maisons de services au public accueilleront les services déjà créés par les collectivités, soit nous accepterons de transférer un bureau de poste flageolant dans une autre structure. Nous avons une vision globale, et la volonté de travailler avec le Sénat sur la présence postale territoriale et la proximité humaine. Pour le rural et le rural profond, le bon format, c'est le facteur-guichetier. J'ai rencontré celui de Malicorne-sur-Sarthe, guichetier le matin, facteur l'après-midi : l'emploi est enraciné dans le territoire. Nous espérons pérenniser notre présence postale, qui tient à la fréquentation et au flux d'affaires. Vous le savez en tant que maires. Nous le ferons ensemble.
J'ai plutôt le sentiment d'avoir renforcé nos moyens dans les quartiers. Nous avons augmenté les financements au travers du nouveau contrat tripartite avec l'Association des maires de France (AMF) et l'État. Nous sommes les acteurs de la politique de la ville - souvent l'un des seuls, avec la collectivité locale. Les partenaires sont là : caisses d'assurance maladie, d'assurance vieillesse, d'allocations familiales, ERDF, GRDF... La maison de services au public dans le bureau de poste de de Meilhan-sur-Garonne, dans le Lot-et-Garonne, comprend une permanence du tribunal d'instance.
Ouverture au partenariat, engagement à respecter la méthode, décentralisation de la gestion, telle est notre vision. C'est une source de business et de croissance de notre chiffre d'affaires. Quand nous distribuons des téléphones mobiles, nous avons tout intérêt à être les seuls sur le marché !
La Banque postale a répondu au défi que lui ont adressé les collectivités et le Gouvernement. En 2011, elle a obtenu le droit de financer les collectivités. Elle n'accordait aucun crédit en 2011 ; en 2015, elle est le premier financeur des collectivités, devant le groupe BPCE, avec plus de 4 milliards d'euros de crédits ! Localement, nous accordons 8,6 milliards d'euros de crédits de court et moyen terme aux sociétés d'économie mixte, aux établissements publics locaux et pour le logement social, contre zéro en 2011. Aucune banque ne s'est ainsi adaptée à la situation et à la demande des territoires.
Certes, un banquier doit aussi savoir dire non, même à un élu important. Mais nous devons aussi intégrer les évolutions des finances locales, et nous avons répondu présent.
Notre stratégie internationale est indispensable pour nourrir l'emploi national et continuer à profiter de la vague du e-commerce. Chaque année, nous distribuons un milliard de colis ; nous sommes le numéro cinq mondial, après FedEx, UPS, DHL et la poste chinoise. La croissance de GeoPost dépasse les 10 % par an, ce qui renforce nos résultats et nourrit l'emploi français. Mais nous ne remplirons pas les besoins de notre force de travail avec les seuls objets colis, même si j'ai rapproché ColiPoste des services courrier et que Chronopost s'est davantage concentré sur les flux des facteurs.
Le travail dominical n'est pas une question de principe mais de marché. La livraison le dimanche 20 décembre, sur la base du volontariat des facteurs, a été un succès, et permis d'alléger le poids des derniers jours avant Noël. Le marché voudra-t-il une généralisation ? Si Amazon, qui est notre premier client et devient notre premier concurrent, le fait, La Poste le fera aussi. Je l'ai dit dès janvier 2014 aux organisations syndicales.
Oui, un malaise existe chez les postiers. Ils sont les premiers à ressentir la baisse du volume du courrier : mois après mois, leur sacoche est moins lourde. Le fini-parti n'est plus possible, avec les enjeux économiques actuels. Le travail des facteurs change : l'automatisation a réduit le temps de préparation de la tournée mais celle-ci est plus longue, le facteur travaille plus à l'extérieur, moins à l'intérieur. Si les volumes ont baissé de 30 %, les effectifs n'ont pas été réduits à due proportion, parce que nous avons cette tradition de dialogue, humaniste et de proximité.
On peut identifier trois grands modèles postaux. La poste allemande, notre premier concurrent, a abandonné les bureaux et la banque pour se concentrer sur la logistique. La poste italienne a opté pour le modèle financier : elle est avant tout banque et compagnie d'assurance, et seulement le cinquième opérateur de colis, derrière DHL, Bartolini, UPS et FedEx. Imaginez cette situation en France... Nous relevons du modèle nippo-suisse, celui de la poste multi-métiers. Ce n'est pas mélanger la carpe et le lapin, car notre coeur de métier est la proximité, la capacité de contact humain avec des millions de personnes, chaque jour. Notre banque, comme notre service courrier, sont des services de proximité et de masse.
Monsieur Bailly, nous venons de lancer Chronofresh, un service d'envoi direct par la Poste avec maintien de la chaîne du froid.
M. Gérard Bailly. - Parfait !
M. Philippe Wahl. - Dans tous les métiers de proximité que nous allons développer, nous rencontrons les structures de l'ESS, en bonne intelligence, même si nous entendons les remarques ici et là. Nous trouverons les bons partenariats. Nous avons signé la charte « Alliance dynamique » avec toutes les structures de l'économie sociale et solidaire - sociétés coopératives et participatives, fondations, associations, pour les circuits courts et partager les moyens. Le financement de la CDC nous permettra de travailler en bonne intelligence sur ce sujet.
Nous avons considérablement développé notre activité numérique, avec le bouton connecté Domino pour envoyer des colis via la boîte aux lettres. Notre hub est une plate-forme connectant des milliers d'objets connectés à domicile. Aurions-nous des clients intéressés ? Oui : l'entreprise Legrand, la mutuelle Malakoff Médéric, BNP Real Estate, les opticiens Atoll, et bientôt Engie travaillent avec nous. La Poste est une entreprise incroyablement numérique : tous les colis sont connectés et suivis numériquement.
Les nouveaux services du facteur sont des services de proximité : veille, visite aux personnes âgées... Nous avons noué un partenariat avec la caisse d'assurance retraite en Côte-d'Or : le facteur rend visite deux fois par an aux personnes âgées, leur adresse un questionnaire qui permet de les suivre et de faire de la prévention. La caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) aurait intérêt à étendre ce dispositif à l'ensemble du territoire.
La présence de La Poste est plus forte encore outremer qu'en métropole : la Banque postale y est la première banque. Nous y développons une pédagogie numérique particulière et sommes très engagés, avec une organisation interne spécifique, sans séparation des activités courrier, banque et colis. C'est une façon de s'adapter au territoire.
Sur le permis de conduire, soyons précis : le ministère de l'intérieur a détaché cinquante personnes pour l'examen pratique ; lorsque les décrets seront pris, des centaines de milliers de jeunes Français viendront passer l'examen théorique du code dans nos bureaux de poste. Ce sera plus pratique que de faire du stop pour se rendre à la sous-préfecture !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Et le contrôle d'identité ?
M. Philippe Wahl. - Nous en faisons chaque jour, pour les retraits d'argent et les colis !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci. Nous allons procéder au vote.
La commission procède ensuite au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Voici le résultat des votes :
- nombre de votants : 24
- blancs ou nuls : 4
- suffrages exprimés : 20
- pour : 19
- contre : 1.
Ce vote sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Désignations de rapporteurs
La commission désigne M. Michel Magras en qualité de rapporteur sur la proposition de résolution européenne n° 282 sur les conséquences des accords commerciaux entre l'Union européenne et les pays tiers (problématique des sucres spéciaux).
La commission désigne Mme Élisabeth Lamure en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 276 ratifiant l'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme.
La commission désigne M. Gérard César en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 277 ratifiant les ordonnances prises sur le fondement des articles 21 et 55 de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Questions diverses
M. Jean-Claude Lenoir, président. - La proposition de loi n° 256 de nos collègues Michel Le Scouarnec et Jean-Pierre Bosino sur le logement a été renvoyée à la commission des finances. À la demande de plusieurs d'entre vous, dont M. Michel Le Scouarnec, je propose que notre commission demande à être saisie pour avis sur ce texte.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 13 heures.