- Mercredi 4 novembre 2015
- Nomination d'un rapporteur et demande de saisine pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Tome I du rapport général - Examen des principaux éléments de l'équilibre
- Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Participation de la France au budget de l'Union européenne (article 22) - Examen du rapport spécial
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural - Examen du rapport spécial - Communication sur les relations entre le budget communautaire et le budget national à travers la politique agricole commune (PAC)
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - CAS « Aides à l'acquisition de véhicules propres » et « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs », et budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » - Examen du rapport spécial
- Jeudi 5 novembre 2015
Mercredi 4 novembre 2015
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 08.
Nomination d'un rapporteur et demande de saisine pour avis
La commission nomme M. Éric Doligé rapporteur sur le projet de loi n° 3152 autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 (AN - XIVe législature) sous réserve de sa transmission.
La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 128 (2015-2016) de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Loi de finances pour 2016 - Tome I du rapport général - Examen des principaux éléments de l'équilibre
La commission procède ensuite à l'examen du Tome I du rapport général de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur les principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous en voilà à cette étape traditionnelle de l'examen du projet de loi de finances qu'est l'analyse des principales orientations du budget de l'année à venir et des hypothèses macroéconomiques qui le fondent.
Le Gouvernement retient, pour 2016, une prévision de croissance de 1,5 %, après 1 % en 2015. Dans son scénario, l'activité française continuerait de profiter des facteurs favorables apparus durant l'année en cours : une certaine reprise économique dans les pays de la zone euro, la faiblesse des taux d'intérêt et du taux de change de l'euro, favorisée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Cette prévision est en ligne avec celles de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Consensus Forecasts. Le Haut Conseil des finances publiques, dont les formulations sont toujours prudentes, considère, quant à lui, que l'objectif est « atteignable ».
Pour autant des incertitudes demeurent : le dynamisme du commerce international pourrait être plus faible qu'anticipé ; l'activité économique aux États-Unis montre, ainsi qu'on l'a vu hier encore dans la presse, des signes de faiblesse ; les économies émergentes affichent un net ralentissement, en particulier en ce qui concerne la Chine ; à cela s'ajoutent les déséquilibres apparus dans les pays émergents et la volatilité élevée des marchés financiers, qui montrent des signes de nervosité depuis les événements intervenus en Chine cet été. On voit que les sujets d'inquiétude ne manquent pas.
Pour ce qui est de l'inflation, le Gouvernement anticipe une progression des prix de 1 % en 2016. Toutefois, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que l'accélération de l'inflation pourrait être moins rapide que prévu. Le regard sur l'inflation a changé et les gouvernements, qui craignaient autrefois son envol, souhaitent aujourd'hui la voir redémarrer.
Des facteurs tant favorables que défavorables pourraient influer sur son évolution au cours des mois à venir. D'un côté, un rebond des prix à la consommation pourrait être encouragé par la reprise économique et par un recul du chômage. De même, l'accélération de l'activité en France pourrait conduire à une hausse de l'utilisation des capacités de production, dont la faiblesse actuelle limite les pressions inflationnistes.
Le manque de dynamisme de l'inflation pourrait conduire la BCE à assouplir encore sa politique monétaire dans les prochains mois, en allongeant et en augmentant l'ampleur de son programme étendu d'achats d'actifs. Une telle mesure d'assouplissement serait certes susceptible d'avoir une incidence directe sur le financement de l'économie, mais aurait aussi pour conséquence de réduire le taux de change de l'euro, augmentant ainsi l'inflation importée. Un effet similaire découlerait de la hausse des taux d'intérêt américains, dont tout indique, bien qu'elle soit repoussée de mois en mois, qu'elle finira par intervenir.
D'un autre côté, il semble peu probable que survienne, au cours de l'année 2016, un rebond significatif des prix de l'énergie. Dans un rapport publié en octobre, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pointe une décélération de la demande mondiale de pétrole et l'abondance de l'offre pétrolière. De même, le ralentissement des pays émergents, notamment de la Chine, pourrait avoir des conséquences désinflationnistes. Nous ne sommes pas à l'abri, si l'on en croit certains économistes, d'un scénario « à la japonaise », avec une inflation en berne des années durant.
J'en viens maintenant à la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement. Tirant profit d'une amélioration du contexte économique, de même que d'un nouveau report du délai de correction du déficit excessif de 2015 à 2017 par les autorités européennes en mars 2015 - le deuxième depuis le début de la législature -, le Gouvernement a fait du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017 son principal objectif budgétaire. Ainsi, il anticipe un déficit de 2,7 % en 2017, après 3,3 % en 2016.
Toutefois, entre 2014 et 2015, le solde effectif n'afficherait qu'une amélioration très modeste, de 0,1 point, pour s'établir à - 3,8 % du PIB cette année. On peut ainsi s'interroger sur la capacité du Gouvernement à gravir les deux marches nécessaires pour que le déficit revienne sous le seuil de 3 % du PIB, ce qui supposerait d'améliorer notre solde public de 0,5 point de PIB en 2016, puis de 0,6 point en 2017.
Alors que jusqu'à présent, le Gouvernement présentait le solde structurel comme le « pilier » de sa politique budgétaire - souvenez-vous de nos échanges de l'an dernier avec Michel Sapin - il semble que le thermomètre ait changé, et que cet indicateur soit passé au second plan.
Certes, du fait d'une exécution budgétaire 2014 plus favorable qu'anticipé, l'objectif de solde structurel figurant dans l'article liminaire du projet de loi de finances respecte les orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques 2014-2019. Pour autant, la trajectoire de solde structurel proposée par le Gouvernement ne se conforme pas aux exigences européennes en la matière : elle prévoit une amélioration du solde structurel de 0,4 point en 2015, puis de 0,5 point de PIB en 2016 et 2017, soit des ajustements inférieurs aux recommandations que le Conseil de l'Union européenne a assorties à sa décision de report du délai de déficit excessif.
Par ailleurs, le Gouvernement n'est en mesure d'afficher un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2016 et 2018, soit le niveau minimal requis pour les États soumis à la procédure de déficit excessif, que grâce à la modification des modalités de calcul du solde structurel, intervenue dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018. Il semble que la stratégie budgétaire gouvernementale consiste en une interprétation étroite du Pacte de stabilité et de croissance, se bornant à une amélioration du déficit effectif.
Une telle stratégie n'est pas sans danger : il est évident que le respect de ces engagements est très largement tributaire du rythme de la croissance économique ; or, la reprise pourrait être moins rapide que prévu, en particulier dans un contexte de ralentissement des économies émergentes. Dans cette hypothèse, l'amélioration du déficit effectif serait moindre qu'espéré et notre pays ne serait pas en mesure de présenter les ajustements structurels demandés par les autorités européennes, s'exposant par conséquent à des sanctions.
La trajectoire de redressement des comptes publics proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, si la croissance était inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017, et le taux d'endettement continuerait de croître sur toute la période, pour atteindre plus de 98 % du PIB en 2017.
Ce risque d'aléa conjoncturel n'est pas le seul. On en entend moins parler aujourd'hui, mais ce que j'exposais naguère sur le risque grec vaut toujours. La France reste exposée, au titre du prêt bilatéral qu'elle a accordé à la Grèce et de sa participation au Fonds européen de stabilité financière (FESF), à voir son déficit public se dégrader dans l'éventualité de l'annulation d'une partie de la dette de la Grèce.
À titre d'exemple, une réduction de 10 % de la dette publique grecque aurait pour effet, l'année où elle interviendrait, d'accroître le déficit public de 4 milliards d'euros, soit près de 0,2 point de PIB. À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes liées au non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.
Annoncé par le Gouvernement dès la fin de l'année 2013, le programme d'économies de 50 milliards d'euros au cours de la période 2015-2017, dont 16 milliards d'euros en 2016, demeure inchangé.
M. Maurice Vincent. - Il est gravé dans le marbre.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Certes, mais ce qui étonne, c'est qu'alors que des annonces de dépenses nouvelles ont été faites, rien n'a bougé de ce côté : comment seront-elles compensées ?
À titre indicatif, il convient de relever qu'une part importante de l'effort en dépenses serait supportée par les administrations de sécurité sociale, qui devront réaliser, en 2016, des économies d'un montant de 7,4 milliards d'euros sur un total de 16 milliards - un objectif déjà difficile à atteindre. Francis Delattre y reviendra dans quelques instants, lorsqu'il nous présentera son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Bref, l'intangibilité de ce chiffre de 50 milliards d'euros porte à s'interroger. Je l'ai dit, les annonces de dépenses nouvelles sont nombreuses : les financer sans accroître notre déficit supposerait de trouver des économies pour les compenser, donc de faire évoluer cet objectif de 50 milliards d'euros.
Le fait est que certaines de ces dépenses nouvelles ne sont pas, à ce jour, financées. S'il était nécessaire, nous en sommes tous d'accord, d'actualiser la loi de programmation militaire (LPM), comme cela a été fait en juillet dernier, j'observe que le besoin de financement, qui sera de 2,2 milliards d'euros en 2016 et de près de 7 milliards d'euros sur la période 2016-2019, n'a pas été compensé.
Et je pourrais citer d'autres exemples : l'enveloppe de 15 millions d'euros destinée à favoriser l'accueil des personnes handicapées dans les établissements médico-sociaux français ; la généralisation du service civique, qui devrait être à l'origine d'une hausse de 150 millions d'euros des crédits dédiés en 2017 ; la hausse des financements alloués à l'action de la France pour le climat, de 3 à 5 milliards d'euros d'ici à 2020 ; les mesures catégorielles en faveur des personnels de la gendarmerie et de la police nationale, et j'en passe.
Pour remplir nos engagements auprès de la Commission européenne et ne pas aggraver le déficit, il faudra bien trouver des économies supplémentaires en conséquence.
La comparaison des principaux indicateurs des finances publiques des États de la zone euro s'avère particulièrement défavorable à la France, qu'il s'agisse du niveau du déficit public, de la dette des administrations ou du taux de prélèvements obligatoires.
Parmi les éléments les plus préoccupants figure le fait que les dépenses publiques ont crû, en moyenne annuelle, de 2,1 % en valeur entre 2011 et 2014 en France, contre 0,9 % par an au cours de cette période dans la zone euro. Alors que d'autres pays, et en particulier ceux du Sud, ont fait des efforts d'ajustement importants, la France a laissé croître sa dépense publique.
Le caractère dégradé de la situation budgétaire de la France, relativement à ses partenaires européens, résulte en grande partie d'une maîtrise insuffisante de la dépense publique ; ceci est d'autant plus évident que le taux de prélèvements obligatoires affiche un niveau élevé et a continûment augmenté au cours des dernières années.
Cette situation s'explique sans doute par les difficultés à engager des réformes structurelles rencontrées par un Gouvernement qui privilégie la technique du « coup de rabot ».
De manière plus générale, l'essentiel des efforts d'économies consentis jusqu'à présent a concerné les dépenses les plus aisées à réduire sans réformes. Ainsi, entre 2011 et 2014, seules les dépenses d'investissement ont affiché une baisse relative, leur part dans le PIB ayant reculé de 7,5 % ; en outre, les dépenses dont la progression a été la plus faible au cours de cette période sont celles dédiées aux achats courants de biens et services et à la masse salariale, laquelle a fortement ralenti en raison du « gel » du point d'indice de la fonction publique, et non, comme ont su le faire les pays d'Europe du Sud, en raison de réformes de structure, qui auraient permis de dégager des économies substantielles si bien que l'augmentation de nos dépenses atteint plus du double de celle de la moyenne de la zone euro.
Le Gouvernement ne paraît pas vouloir changer de logique pour les années à venir, puisque les prévisions d'évolution des dépenses publiques qui figurent dans le programme de stabilité 2015-2018 font apparaître que les réductions les plus fortes à l'horizon 2017 concerneraient les achats courants et les investissements - ce qui ne manque pas d'inquiéter. Je rappelle, en regard, que les effectifs de l'État sont repartis à la hausse. De toute évidence, aucune réflexion n'a été engagée quant à la structure des dépenses publiques, au risque de grever fortement les perspectives de redressement des comptes publics à moyen et long termes.
Le rapport que nous avons commandé à la Cour des comptes sur les évolutions de la masse salariale de l'État est plein d'enseignements. Il m'a inspiré des réflexions, que je veux ici vous livrer, sur la durée du travail dans la fonction publique.
La gestion de la masse salariale dans les administrations publiques constitue un enjeu d'importance ; en effet, les rémunérations ont représenté près de 278 milliards d'euros en 2014, soit 23 % de la dépense publique totale. La direction du budget estime le coût de la réduction du temps de travail dans la fonction publique à 2,5 milliards d'euros en année pleine en 2005 - 700 millions d'euros pour la fonction publique d'État et 1,8 milliard d'euros pour la fonction publique hospitalière, les données faisant encore défaut pour la fonction publique territoriale. On voit que l'enjeu est loin d'être négligeable. La Cour des comptes a montré dans son rapport que le temps de travail annuel moyen, à temps complet, était de 1 594 heures dans le secteur public, contre 1 684 heures dans le secteur privé. J'ajoute que, toujours selon la Cour des comptes, seul un quart des fonctionnaires de l'État sont soumis au régime de droit commun de 1 607 heures, ce qui signifie que les trois quarts, dont un nombre important d'enseignants, sont sous régime dérogatoire. Par ailleurs, une étude de l'OCDE publiée en 2013 a fait apparaître que la durée moyenne du travail dans les administrations centrales était inférieure en France à la moyenne des autres pays membres de l'Organisation.
Anticipant sur les questions que vous ne manquerez pas de me poser sur les réformes de structure que nous avons à proposer, je vous dirai qu'en voilà une : réformer le temps de travail dans la fonction publique. La Cour des comptes a estimé qu'une augmentation du temps de travail de 1 % permettrait de dégager une économie, pour l'ensemble de la fonction publique, de 700 millions d'euros. En extrapolant ces résultats, une augmentation d'une heure de la durée hebdomadaire de travail, ce qui correspond à la suppression de quelque six jours de congés, serait à l'origine d'une économie de près de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques, en raison du non remplacement de 111 000 agents. À cela s'ajouterait une économie en heures supplémentaires, dont je rappelle que le coût s'élevait à 1,5 milliard d'euros en 2013 dans la seule fonction publique de l'État - sans parler du nombre de rachats de jours de congés épargnés. Il faudra bien, à un moment, lever le tabou.
Mais le Gouvernement ne semble pas prêt à engager des réformes structurelles. Il m'a donc paru nécessaire d'examiner la sensibilité de la trajectoire des finances publiques qu'il retient au rythme d'évolution de la dépense publique, en faisant varier ce dernier selon deux scenarii. Le premier retient une croissance des dépenses en volume de 1,3 % en 2016 et 2017, ce qui correspond au taux moyen d'évolution de la dépense en 2014-2015. Le second retient une croissance des dépenses en volume de 0,7 % sur la même période, soit une progression intermédiaire entre le taux d'évolution constaté en 2014-2015 et la prévision du Gouvernement.
À titre d'illustration, si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an, soit celle du second scénario, le déficit structurel serait de 1,2 % du PIB en 2017. Quant au déficit effectif, il ne reviendrait pas en deçà du seuil de 3 % du PIB en 2017, puisqu'il s'établirait à 3,2 %. La dette publique, enfin, atteindrait 97,3 % du PIB, soit près d'un point de plus que la prévision retenue par le Gouvernement.
Ces résultats montrent bien que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et devra donner plus de substance à son programme d'économies, en engageant les réformes structurelles nécessaires.
La bonne réalisation du programme de 50 milliards d'euros d'économies paraît d'autant plus importante que celui-ci doit également contribuer à financer les réductions de prélèvements obligatoires annoncées par le Gouvernement au cours des années à venir. Si, comme l'année dernière, des mesures relativement importantes sont prévues pour l'impôt sur le revenu, le taux de prélèvements obligatoires n'en reste pas moins quasiment stable, parmi les plus élevés en Europe et dans le monde : il passerait de 44,6 % du PIB à 44,5 % entre 2015 et 2016, après 44,9 % du PIB en 2014. La baisse n'est donc guère que de 0,1 point. Elle s'expliquerait principalement par les réductions d'impôts opérées au profit des entreprises. En effet, le prochain exercice serait marqué par la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité. Ainsi, entre 2014 et 2016, les prélèvements sur les entreprises seraient réduits de 33 milliards d'euros. Mais ces mesures ne font qu'infléchir très légèrement le taux de prélèvements obligatoires.
Malgré la réduction des impôts pesant sur les entreprises, la baisse des prélèvements obligatoires ne serait au total que de 2,4 milliards d'euros en 2016. Les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016 porteraient, à eux deux, près de 6 milliards d'euros de baisses nettes des prélèvements au titre de l'année à venir, mais d'autres mesures adoptées dans le cadre de textes financiers antérieurs continuent à monter en charge, à l'instar de la non-déductibilité du résultat des entreprises de certaines taxes, figurant dans le collectif de la fin de l'exercice 2014, qui serait à l'origine d'une hausse des impositions de 0,3 milliard d'euros en 2016. De même, la réforme de la fiscalité écologique intervenue dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2014 conduirait à une hausse des prélèvements de 1,7 milliard d'euros l'année prochaine. Par ailleurs, nul ne sait encore l'incidence que pourraient avoir les mesures du projet de loi de finances rectificative - je pense notamment à celle qui pourrait concerner la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Je rappelle enfin, pour mémoire, que l'exercice 2016 devrait être marqué par des hausses d'impôts locaux, pour un montant proche de 0,8 milliard d'euros - révélant un transfert accru de la fiscalité de l'État vers les collectivités territoriales du fait de la diminution de leurs dotations.
Par conséquent, le taux de prélèvements obligatoires ne reculerait que très modérément en 2016, après avoir atteint un point haut en 2014, et serait encore supérieur en 2015 de 1,9 point de PIB à son niveau de 2011. Cette situation est, en grande partie, imputable aux impositions directes pesant sur les ménages, qui représenteraient encore 15,9 % du PIB en 2015, en dépit de la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, contre 14,5 % en 2011. On voit, et le ministre lui-même l'a reconnu, que les ménages ont eu à supporter l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics et que la récente décélération de la pression fiscale ne leur profite pas véritablement.
Cette analyse est confortée par le fort accroissement de la part, dans les prélèvements obligatoires totaux, des impositions directes acquittées par les ménages, qui atteindrait 35,7 % en 2015 contre 34 % en 2011, alors que la part de la charge fiscale des entreprises reculerait de 41,9 % à 38,5 %. Ceci explique largement le « ras-le-bol fiscal » évoqué jusque dans les rangs de la gauche.
Loin de moi l'idée de regretter la réduction des prélèvements sur les entreprises, qui avaient atteint des sommets, mais ce que je regrette, c'est l'absence d'effort réel d'économies, et le fait que la France se singularise par le taux de progression de sa dépense publique, qui atteint plus du double de la moyenne de la zone euro. Non seulement nous ne faisons pas les efforts nécessaires que d'autres ont faits, mais le Gouvernement annonce des mesures nouvelles qui ne sont pas financées et supposeraient pourtant que l'on aille au-delà des 50 millions d'euros d'économies programmés. On mesure là les limites d'un ajustement budgétaire reposant essentiellement sur des hausses de la fiscalité. Les Français n'oublient pas que cette majorité avait annoncé un quinquennat en deux phases, et que si un effort fiscal leur était demandé dans un premier temps, viendrait bientôt une réduction des dépenses - que l'on attend toujours. Il eût été préférable que la stratégie budgétaire repose dès le début de la législature sur une baisse de la dépense publique plutôt que sur la hausse de la fiscalité.
Dans le cadre du présent projet de loi, le Gouvernement prévoit une stabilisation de la part de la dette publique dans la richesse nationale à compter de 2016. Cette part se rapproche dangereusement des 100 % : au cours de l'exercice prochain, la dette représenterait 96,5 % du PIB, soit 0,2 point de plus qu'en 2015. Le Gouvernement table sur une stabilisation en 2017, et une décrue en 2018, mais je préfère, quant à moi, m'en tenir prudemment au cadre de l'annualité budgétaire. Le montant des émissions de dette devrait rester élevé. Ainsi, selon un récent communiqué de l'Agence France Trésor, les émissions de dette nettes des rachats réalisées pour le compte de l'État s'élèveraient à 187 milliards d'euros en 2016, soit un niveau identique à celui observé en 2015.
Avant d'aborder spécifiquement la situation budgétaire de l'État, je souhaiterais m'arrêter quelques instants sur la trajectoire des finances locales proposée par le Gouvernement.
Vous savez qu'en 2016, les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales reculeraient de 3,5 milliards d'euros, comme au cours de l'exercice précédent. Si la trajectoire proposée par le Gouvernement prévoit, malgré tout, une augmentation des ressources totales des administrations publiques locales de 1,1 % en 2016, soit de 2,7 milliards d'euros, celle-ci ne permettrait pas de compenser la progression des dépenses locales de 1,2 %, soit 3,8 milliards d'euros, au cours de l'année à venir. Moyennant quoi, les collectivités locales n'auront d'autre choix, pour équilibrer leurs comptes, que de recourir à l'emprunt, de prélever sur leurs réserves de trésorerie ou bien encore de procéder à des hausses d'impôt - d'ores et déjà estimées à 0,8 milliard pour 2016. Sans compter, ainsi que l'a clairement montré le rapport d'information de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, les conséquences immanquables sur l'investissement public de la diminution des concours financiers de l'État.
Les collectivités territoriales n'ont, de fait, que peu de marges de manoeuvre pour procéder aux économies attendues dans le cadre de la trajectoire gouvernementale. De nombreuses hausses des dépenses résultent de décisions de l'État. La Cour des comptes a ainsi estimé le coût de la réforme des rythmes scolaires entre 350 millions d'euros et 620 millions d'euros, celui des normes techniques en matière de transport public à 453 millions d'euros par an jusqu'en 2019, les décisions nationales sur les dépenses de personnel des collectivités territoriales à 450 millions d'euros en 2015 et la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) à 450 millions d'euros en 2015. Ajoutons que le Conseil national d'évaluation des normes a estimé que les 303 projets de textes examinés au cours de l'année 2014 représenteraient un coût brut de 1,4 milliard d'euros en année pleine, pour 633 millions d'euros d'économies.
Dans ces conditions, ainsi que ne manque pas de le souligner l'Association des maires de France (AMF), il est fort probable que la diminution des dotations de l'État se traduise par un nouveau recul des dépenses d'investissement des collectivités territoriales qui restent, à court terme, les dépenses les plus aisément modulables. Sachant que les collectivités locales portent l'essentiel de l'investissement public, ceci pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la construction et les travaux publics. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat spécifique que nous aurons sur ce sujet.
J'en viens aux principales caractéristiques du budget de l'État pour 2016.
Les recettes nettes de l'État devraient s'établir à 292,3 milliards d'euros en 2015 et 301,7 milliards d'euros en 2016, soit une hausse de 2,8 %. Une partie de cette augmentation, à hauteur de 1,6 milliard d'euros, provient des recettes non fiscales de l'État. Quant aux recettes fiscales, elles devraient croître de 5,8 milliards d'euros. Cette hausse provient principalement de l'impôt sur le revenu - pour 2,7 milliards d'euros - et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - pour 3,2 milliards d'euros.
Si l'on y regarde de près, on constate que la majeure partie de ces augmentations n'est pas liée à des mesures nouvelles mais au dynamisme de l'évolution spontanée des recettes. La seule mesure significative est relative à l'impôt sur le revenu : le relèvement de la décote prévu à l'article 2, dont nous débattrons largement.
En matière de politique fiscale, le Gouvernement fait preuve d'une réelle indécision. Loin du « grand soir » et de l'ambition annoncée d'une « remise à plat », il se contente de petites retouches. Celle de la décote rend l'impôt sur le revenu de plus en plus illisible - les radicaux ne me démentiront pas - et porte à s'interroger sur ce qu'il reste de légitimité à un impôt qui touche de moins en moins de contribuables.
Le projet de loi de finances est assez optimiste quant à l'élasticité des recettes fiscales à la croissance. Le Gouvernement table ainsi sur un rebond tant de la TVA que de l'impôt sur le revenu, selon un scénario qui contraste largement avec ce que l'on a connu dans les années passées. Je rappelle que l'exécution 2014 a fait apparaître 9,7 milliards de moins-values fiscales, ainsi que l'a souligné la Cour des comptes.
J'ai déjà souligné l'augmentation de la charge fiscale pesant sur les ménages. L'impôt sur le revenu est bien sûr concerné : son rendement devrait connaître une hausse de près de 40 % entre 2012 et 2016, passant d'environ 51 milliards d'euros à près de 70 milliards d'euros. L'augmentation du produit de l'impôt sur le revenu ne s'est pas accompagnée d'un accroissement similaire du nombre de contribuables et la concentration déjà importante de cet impôt sur le revenu a été encore accrue par les réformes successives intervenues ces dernières années. Je pense à la réforme du quotient familial, qui pèse pour près de 85 % sur les foyers fiscaux situés dans le dernier décile de la population imposable, ou à la suppression de l'exonération sur les heures supplémentaires.
Une part de l'augmentation globale du produit de l'impôt sur le revenu est certes liée à son évolution spontanée, mais même après neutralisation de la croissance spontanée de l'impôt sur le revenu, ce sont au total près de 7 milliards d'euros supplémentaires qui ont pesé sur les ménages de 2013 à 2016, du seul fait des mesures prises par la majorité gouvernementale depuis 2012.
L'accélération, depuis 2012, des départs des assujettis à l'impôt sur le revenu montre que cette aggravation de la pression fiscale pose problème. Un rapport sur l'exil fiscal, que l'on doit à l'initiative du Parlement, témoigne que le nombre de redevables qui partent pour l'étranger connaît une très forte progression. Nombreux sont les départs vers la Belgique de contribuables dont le revenu fiscal de référence est élevé. Il y a là un vrai sujet.
J'ajoute que la suppression de la première tranche et le relèvement à venir de la décote sont très loin de compenser la progression de 40 % de l'impôt sur le revenu entre 2012 et 2016.
Les dépenses fiscales continuent d'augmenter en 2016 pour atteindre 83,4 milliards d'euros, soit près de 30 % des dépenses du budget général. Cette hausse est d'autant plus problématique que la majorité des dispositifs ne sont pas soumis à évaluation : pour 90 dépenses fiscales sur un total de 450, le Gouvernement est incapable de produire une estimation. Pour 18 d'entre elles, on n'attend aucun bénéficiaire en 2016.
M. Claude Raynal. - Ce ne sont donc pas des dépenses...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mais si aucun contribuable ne s'y intéresse, cela devrait porter à simplifier. Il y a là, pour le moins, un problème de suivi. Sans parler des coûts de gestion. Quand on voit le nombre de postes que perd cette année la direction générale des finances publiques, on se dit que l'on pourrait peut-être lui simplifier un peu le travail.
L'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés totalisent à eux seuls 53,1 milliards d'euros de dépenses fiscales, dont plus de 13 milliards d'euros de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et 5,5 milliards d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR). Si ces dispositifs, qui viennent d'atteindre leur régime de croisière, méritent d'être préservés, il reste des marges de manoeuvre sur le reste. Encore une fois, 88 de ces niches donnent lieu à des dépenses non chiffrées, 57 le sont pour moins d'un million d'euros, 18 n'ont aucun bénéficiaire. J'ajoute que l'incapacité des services à fournir un chiffrage n'est pas sans incidence sur la capacité de contrôle du Parlement.
En 2016, les dépenses du budget général de l'État devraient s'élever à 306,2 milliards d'euros, soit une hausse de 10,6 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015. Hors mesures de périmètre, la hausse est ramenée à 1,3 milliard d'euros.
Le montant élevé des mesures de périmètre et de transfert est lié à la reprise sur le budget général des aides au logement, des moyens précédemment dévolus à la prime pour l'emploi fusionnée avec le RSA-activité et à la « rebudgétisation » de certains crédits du ministère de la défense.
Je vais m'attacher à analyser les dépenses de l'État sous trois angles : l'évolution d'un exercice à l'autre, posant notamment la question du quantum prévu d'économies tendancielles, la comparaison de la budgétisation avec les normes pluriannuelles régissant l'évolution des dépenses de l'État et enfin la répartition des crédits par destination.
L'évolution tendancielle des dépenses de l'État en 2016 est revue à la baisse par rapport à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques, en raison de l'ajustement des hypothèses d'inflation. Hors charge de la dette, pensions et transferts aux collectivités locales et à l'Union européenne, l'évolution tendancielle est ainsi estimée à 5 milliards d'euros par an, contre une évaluation à 5,4 milliards d'euros par an dans la loi de programmation des finances publiques. C'est la composante relative à la masse salariale qui explique cette diminution.
Les économies annoncées sur le champ de l'État et de ses opérateurs par rapport à cette hausse tendancielle s'élèveraient à 5,1 milliards d'euros portant principalement sur les opérateurs - 1 milliard d'euros - et les dépenses d'intervention - 2,7 milliards d'euros. Beaucoup de ces économies ne sont pas documentées : ainsi, sur le total de 2,7 milliards d'euros d'économies sur les dépenses d'intervention annoncé, seuls 375 millions d'euros sont rattachés à des mesures précises. J'ajoute que les économies annoncées dans le projet de loi de finances pour 2016 compenseraient à peine l'évolution tendancielle des dépenses.
En réalité, les crédits des ministères continuent d'augmenter entre 2015 et 2016 et devraient connaître une hausse, à périmètre constant, de 200 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.
L'État ne tient pas les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation : les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2016 dépassent de plus de 500 millions d'euros les plafonds de la loi de programmation. De même, l'objectif de stabilisation des effectifs de l'État, défini en loi de programmation des finances publiques, n'est pas tenu : ceux-ci augmentent depuis 2015 et la hausse devrait être particulièrement sensible en 2016. C'était jusqu'à présent le ministère de la Défense qui servait de variable d'ajustement, et c'était dans ses effectifs que l'on piochait pour financer, par exemple, les créations de postes dans l'Éducation nationale. On est revenu de cette logique, et la Défense est mieux soutenue, pour des raisons auxquelles nous souscrivons, mais il aurait fallu reporter l'effort ailleurs, pour assurer la stabilité des effectifs de l'État, qui repartent à la hausse, tant en effectifs qu'en masse salariale.
L'impact de la révision de la loi de programmation militaire (LPM) est limité à un surcroît de 4 875 équivalents temps plein travaillés (ETPT). À cette hausse des effectifs de la défense s'ajoute une augmentation supplémentaire de 4 716 ETPT dans les autres ministères. Ce n'est pas raisonnable. Nous agissons, en cela, à rebours de nos partenaires européens. La révision de la LPM aurait dû être gagée par des suppressions sur d'autres ministères.
M. Maurice Vincent. - La défense n'est pas la seule priorité. Que faites-vous de la justice ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cela n'interdit pas de gager ces besoins sur les effectifs d'autres ministères. Si l'on considère que la magistrature, que la police, ont besoin d'effectifs, il faut trouver des économies ailleurs.
M. Richard Yung. - À l'écologie ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On peut trouver des réserves aux ministères des affaires sociales ou de l'agriculture - je pense aux contrôleurs. Songez aux doublons avec les services des collectivités locales. Nous ne manquons pas de propositions et nous en reparlerons.
Le budget de l'État se répartit en trois agrégats d'ampleur comparable : les dépenses de personnel, hors compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'intervention parmi lesquelles deux tiers environ de dépenses de guichet, c'est-à-dire dont le versement est automatique dès lors que le demandeur remplit les conditions requises et sur lesquelles l'État n'a aucune maîtrise.
La méthode du « rabot », je le répète, a touché ses limites, ce dont témoignent les difficultés rencontrées par le Gouvernement pour diminuer les crédits des missions dès lors que ne sont pas redéfinies les politiques publiques associées. La maîtrise des dépenses de l'État suppose d'en redéfinir le champ d'action et les priorités. Sinon, on touche aux limites du système, et le risque est grand voir sacrifiées les dépenses d'investissement.
D'ores et déjà, elles ont été réduites, pour l'État, de 10 % en six ans, et le programme d'investissements d'avenir (PIA) - que l'on peut considérer comme une forme de débudgétisation - n'a pas suffi à enrayer cette diminution. Si l'on ajoute à cela la baisse de l'investissement des collectivités territoriales, il y a de quoi s'inquiéter. Notre pays est un pays qui n'investit plus.
Le solde budgétaire de l'État devrait connaître une légère amélioration en 2016 et passer de 73 milliards d'euros à 72 milliards d'euros. Cependant, la prise en compte des décaissements effectués au titre des investissements d'avenir, conformément aux recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport relatif à la gestion budgétaire de l'exercice 2014, conduit à alourdir le déficit de l'État. Celui-ci serait en effet de 75,5 milliards d'euros en 2015 et de 74,2 milliards d'euros en 2016.
Le besoin de financement de l'État devrait s'élever à 200,2 milliards d'euros en 2016, en hausse de près de 8 milliards d'euros par rapport à 2015. Il se décompose entre 127 milliards d'euros pour l'amortissement de la dette déjà émise - selon la technique bien connue du sapeur Camembert, on creuse un trou pour en combler un autre - et 72 milliards d'euros de déficit à financer.
La dette de l'État continue donc d'augmenter et devrait atteindre 1 750 milliards d'euros en 2016. La finance est bien le meilleur ami de notre Président de la République puisque les taux d'intérêt restent, pour l'instant, assez faibles, permettant d'alléger la charge de la dette. Cela étant, je ne m'étendrai pas sur les conséquences, que je vous ai largement exposées l'an dernier, d'une remontée des taux de 100 points de base, qui représenterait à terme, sachant que la maturité moyenne de notre dette est de sept ans, plus de 20 milliards d'euros.
M. Vincent Delahaye. - Le rapporteur général a rappelé, s'agissant des hypothèses sur lesquelles se fonde ce budget, que si la prévision de croissance retenue était jugée « atteignable », il n'en va pas de même de la prévision d'inflation, plus discutable. Mais quid des autres paramètres ? L'augmentation attendue de la masse salariale, à hauteur de 2,8 %, surprend. De même que la progression de 5 % de l'investissement, alors que tous les indicateurs, qu'ils concernent les ménages, les entreprises ou les administrations publiques ne devraient pas porter à un tel optimisme.
En ce qui concerne les dépenses, nombre d'économies annoncées ne sont pas documentées, ainsi que l'a relevé la rapporteure générale de la commission des finances de l'Assemblée nationale elle-même. J'aimerais savoir quelles sont les références utilisées pour établir le tendanciel d'évolution des dépenses.
Les 2,2 milliards d'euros qui sont venus s'ajouter à la loi de programmation militaire ne sont pas pris en compte dans ce projet de loi de finances. Ce n'est pas négligeable.
S'agissant des recettes fiscales nettes, les 286 milliards d'euros attendus pour 2016 ne représenteraient-ils pas un record historique ?
Si le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) modère les prélèvements sur les sociétés, n'oublions pas les augmentations importantes décidées en début de quinquennat, qui continuent de produire leurs effets. Cela représente une centaine de milliards d'euros de prélèvements supplémentaires chaque année. J'aurais aimé que notre rapporteur général dresse un tableau permettant de comparer les effets de ces augmentations et les allègements apportés par le CICE, afin d'établir un solde net par année. Je suis presque sûr qu'au total, les prélèvements se sont aggravés.
Je m'interroge, enfin, sur les « recettes diverses ». Peut-on raisonnablement penser que la vente des fréquences de la bande des 700 MHz, qui doit produire 2 milliards d'euros interviendra en 2016 ? À quoi correspond le produit Coface, inscrit pour 1,7 milliard d'euros ? Même question pour les produits divers, à hauteur de 4 milliards d'euros.
M. Richard Yung. - J'ai trouvé la tonalité de cette présentation positive et encourageante, à rebours du jeu de rôle qui prévaut généralement dans cet exercice. Le rapporteur général nous a ainsi indiqué que l'hypothèse de croissance retenue était raisonnable. J'ajoute qu'elle est prudente : ce chiffre de 1,5 % est probablement en deçà de ce que sera la croissance de l'économie française en 2016. Cela libère la discussion des chicanes habituelles sur les prévisions de croissance.
Les dernières données dont nous disposons sur l'économie américaine sont plus encourageantes que ne le laisse penser le seul ralentissement intervenu au deuxième trimestre : elles montrent qu'au troisième trimestre, la consommation a repris. C'est un moteur important, même s'il ne remplacera pas entièrement le moteur chinois. Le problème, à mon sens, tient davantage à l'inflation. Les derniers chiffres sont loin de l'hypothèse de 1 % retenue - sur les douze derniers mois, on est même à - 0,1%. C'est un vrai souci, et la preuve en est que toute la politique de la BCE tend désormais à remonter vers 2 %. Et l'on peut prédire que cette politique d'achat d'actifs va se poursuivre, voire s'amplifier. Il faudrait remonter au moins à 1 %, sinon plus. Nous sommes loin de l'époque où l'inflation était considérée comme un mal et on lui retrouve, aujourd'hui, quelques charmes.
En ce qui concerne le déficit, vous avez souligné que le plan d'économies de 50 milliards d'euros n'était pas suffisant et qu'il faudrait porter le fer dans les effectifs de la fonction publique. J'observe que lors des discussions à l'Assemblée nationale, Hervé Mariton, expert en la matière, n'en a pipé mot. Il a certes dit que ces 50 milliards d'euros n'étaient que roupie de sansonnet, et que c'est le double qu'il s'agissait pour votre camp de proposer. Comment ? Il faut y prêter l'oreille, car nous savons que l'on a toujours à apprendre de lui : par une réforme des retraites « vigoureuse » - tout est dans cet adjectif -, pour 20 milliards d'euros d'économies ; par une réforme de l'indemnisation du chômage - avec la fin des emplois aidés -, pour 10 milliards d'euros ; par la révision et la simplification des normes, pour 20 milliards d'euros ; par une réforme de la politique du logement, qui mettrait fin à l'hyperfiscalisation et à l'hypersubventionnement, pour 15 milliards d'euros ; par un transfert des recouvrements de la sécurité sociale des Urssaf à Bercy, pour 20 milliards d'euros ; par une économie de 10 milliards d'euros sur les collectivités territoriales. Voilà le tableau. Un tableau dans lequel je ne vois rien, cependant, concernant une réduction des effectifs de la fonction publique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous reparlerons bientôt des 35 heures.
M. Éric Bocquet. - La discussion générale sera l'occasion de détailler nos propres contre-propositions. Pour l'heure, je suis tenté de m'inspirer de notre ami Coluche, à qui l'on doit l'expression « laver plus blanc que blanc », pour vous dire que vous peignez plus noir que noir. Il est vrai que les perspectives en matière budgétaire sont assez sombres, ce qui confirme, à notre sens, que les choix engagés ne sont pas les bons, mais je m'étonne de vous voir adopter la manière noire, car au fond, l'ancienne et la nouvelle majorité partagent le même objectif de réduction drastique de la dépense publique. Les uns proposent 50 milliards d'euros d'économie, les autres 100 milliards d'euros, et la dépense publique est présentée comme un mal absolu. C'est oublier qu'elle participe à la création de richesse.
Il serait utile de faire un point sur le contexte européen. La reprise évoquée reste très timide, et la BCE, contrevenant à ses propres règles, en est venue, depuis le mois d'avril, à injecter 60 milliards d'euros par mois dans les circuits financiers. À cela s'ajoute le « plan Juncker », à hauteur de 315 milliards d'euros sur trois ans. Quel en est le bénéfice pour la France, et comment expliquer que la part qu'elle en retire reste à ce jour sans effet sur l'économie réelle ?
La réforme fiscale dont nous avons besoin, toujours annoncée, n'est pas en vue, comme en témoigne la valse-hésitation de ces derniers jours. En matière de justice fiscale, on reste loin du compte.
Vous avez évoqué l'exil fiscal, qui concernerait un nombre croissant de contribuables. J'aimerais connaître votre avis sur cette question, comme rapporteur général de la commission des finances du Sénat et donc comptable des deniers de la République.
Vous dites qu'il n'y a pas débat sur le CICE et le CIR. Nous le contestons, et nous ne sommes pas les seuls : de plus en plus d'économistes relèvent la difficulté à mesurer leurs effets.
Lorsque vous avez parlé de la dette, vous avez omis de rappeler qu'elle est détenue, pour deux tiers de son montant, par des investisseurs non-résidents. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette réalité.
M. Philippe Dallier. - Le fait est qu'un certain nombre d'annonces ne sont pas financées. À celles que vous avez citées, j'ajouterai celle de Marylise Lebranchu concernant la revalorisation des grilles indiciaires de la fonction publique, qui aura un impact sur le budget de l'État et sur celui des collectivités territoriales. Pourrait-on disposer de chiffres précis et les intégrer ?
Même question sur l'évolution des prélèvements obligatoires. A-t-on intégré la hausse à venir des impôts locaux ? Le mistigri de la hausse des impôts est passé de l'État aux maires, dont la plupart devra supporter l'impopularité de ces augmentations. Certaines collectivités ont déjà augmenté leurs impôts en 2015, du fait de la baisse des dotations, et l'on peut penser que le pire reste à venir.
M. Serge Dassault. - Je rappelle que le Fonds monétaire international (FMI) appelle la France à une réforme fondamentale de ses dépenses publiques. Qu'attend-on pour s'y mettre ?
Notre rapporteur général ne considère-t-il pas que ce budget est plus électoraliste qu'il ne répond aux enjeux réels ? On ne résoudra pas les problèmes de la France en achetant des voix. Quel est son sentiment sur les prévisions de déficit pour 2016 et 2017 ? Le Gouvernement s'égosille à dire que l'on arrivera en dessous des 3 % en 2017 : cela me paraît toutefois assez difficile.
Notre rapporteur général ne craint-il pas une augmentation prochaine des taux d'intérêt si, comme on semble le prévoir de l'autre côté de l'Atlantique, les Américains prenaient la décision de remonter les leurs, ce qui serait catastrophique ?
Le nombre de départs de contribuables - plus de 100 000 - a de quoi alarmer. « Faire payer les riches », voilà bien un dogme stupide. Car ils partent investir ailleurs.
Notre rapporteur général a raison de dire que les réductions de dépenses ne sont pas documentées. Il est facile de dire que l'on augmente une dépense aujourd'hui et que l'on compensera ailleurs dans le futur. C'est pourtant ce que l'on fait avec les dépenses de sécurité sociale, alors que l'on pourrait réduire dès à présent un certain nombre de dépenses sociales, qui sont légion.
M. Claude Raynal. - Je veux m'efforcer de lever l'embarras qu'ont pu provoquer chez notre rapporteur général les propos d'allure louangeuse de mon collègue Richard Yung.
Vous jugez l'hypothèse de croissance de 1,5 % retenue en 2016 atteignable, en relevant que l'activité économique continuera de profiter de facteurs favorables : « reprise économique dans la zone euro, faiblesse des taux d'intérêt et de l'euro en lien avec la politique de la BCE, amélioration du climat des affaires, etc. » Vous n'oubliez qu'une chose : les effets de la politique gouvernementale. Mais peut-être cela tient-il dans le « etc. » ?
Je suis surpris de vous voir ressortir la notion de « solde structurel », que vous tirez de la naphtaline où notre commission des finances, consciente que sa définition est difficile à établir et suscite des dissensions entre les économistes, l'avait placée. Sans compter que l'impact sur la croissance d'une politique guidée par cette exigence de réduction du déficit structurel serait considérable, ainsi que l'a magistralement démontré, chiffres en main, Michel Sapin. Je suis étonné, enfin, de voir Les Républicains que vous vous targuez d'être adopter le point de vue incantatoire de l'Union européenne. « De Gaulle, reviens ! Ils sont devenus fous », ai-je envie de m'écrier.
Nous traversons, d'évidence, une période économique trouble. Nous connaissons les fragilités qui s'imposent à nous. Vous reprochez au Gouvernement d'en rester au chiffre de 50 milliards d'euros de réduction des dépenses. Mais il ne faut pas confondre les adaptations budgétaires annuelles, comme celle qui résulte de la volonté unanime de renforcer les moyens de la défense nationale, donc ses effectifs, ce qui ne va pas sans coût - et qui doit trouver, vous avez raison en cela, sa compensation - avec le programme, structurel, de réduction des dépenses de 50 milliards d'euros, qui doit suivre sa trajectoire. Il s'agit d'un plan d'action sur trois ans dont les chiffres, si l'on veut qu'il reste lisible, ne doivent pas varier sans cesse.
Les réformes structurelles que vous appelez de vos voeux ? Celle que vous proposez nous laisse un peu sur notre faim. Sa seule vertu est de ne pas vous engager dans la course à l'échalote à laquelle on assiste aujourd'hui : 100 milliards, 120 milliards, 150 milliards d'euros, chaque fois que se déclare une nouvelle candidature aux primaires de votre parti, les enchères montent un peu plus. Au regard de quoi, l'économie de 2 milliards d'euros sur la fonction publique que vous avancez n'est pas de taille. D'autant que si vous pensez que l'on peut supprimer six jours de congé sans contrepartie, vous vous faites des illusions.
Vous nous avez présenté un intéressant graphique, qui remonte jusqu'à 2005, sur l'évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises, mais en avez livré un curieux commentaire. Car il fait apparaître que c'est entre 2010 et 2012 que l'effort fiscal demandé aux ménages a commencé à s'alourdir et qu'entre 2012 et aujourd'hui, il n'est passé que de 15,4 % du PIB à 15,9 %. Le Gouvernement n'a fait que poursuivre un mouvement déjà largement entamé.
Quant à votre raisonnement sur l'effort demandé aux collectivités territoriales et son impact sur l'impôt local, on peut le retourner comme un gant. En 2016, dites-vous, l'effort de 3,5 milliards d'euros qui leur est demandé risque de susciter une augmentation des impôts locaux à hauteur de 0,8 milliard d'euros. Et bien, voilà qui montre que 80 % de l'effort ainsi demandé peut être accompli de façon relativement indolore, je veux dire sans augmentation des impôts.
Dire que le pays n'investit plus en mettant en avant la baisse de 10 % des investissements de l'État me semble, pour le moins, excessif. Ce qui doit faire aujourd'hui le moteur de l'investissement, ce n'est pas l'investissement public, qui augmente la charge des prélèvements obligatoires - à rebours de votre voeu de ne pas voir augmenter les impôts. Quant à l'investissement des collectivités locales, il peut s'accommoder d'un recul temporaire : les infrastructures, les équipements publics, sur nos territoires, sont de qualité. En revanche, c'est l'investissement économique qu'il faut rechercher. Il faut faire en sorte que ceux qui créent de la richesse investissent.
M. Marc Laménie. - Mon unique question concernera le poids de la masse salariale des administrations publiques. Sur les 278 milliards d'euros que vous avez mentionnés, quelle est la part de la fonction publique territoriale ?
M. François Patriat. - Notre rapporteur général est souvent mesuré. Je m'explique d'autant plus mal son manichéisme d'aujourd'hui. Aucun pronostic, aucune mesure ne trouve grâce à ses yeux. Au fil de son exposé, je suis passé de la curiosité au doute, puis au désespoir. Il est vrai que je me sens souvent pris, dans nos échanges, entre le désespoir et la béatitude. Pourquoi ne pas tenir compte des réalités, et ne pas voir ce qui est concrètement fait ? Certes, tout n'est pas parfait dans ce budget, mais reconnaissez, même si vous y mettez un bémol, qu'il réduit la dépense publique, et tente de résorber les déficits budgétaires. Pourquoi ne pas relever qu'enfin, grâce aux mesures que prend le Gouvernement, la France et l'Allemagne sont à égalité en termes de compétitivité ?
Sur la baisse des dotations, on en reste invariablement à la partition des pleureuses. Malgré la dramatique réforme de la taxe professionnelle, qui a gravement amputé les ressources des régions, je puis témoigner, en tant que président de région, que les économies qui nous ont été demandées par le Gouvernement - 22 millions d'euros sur deux ans - ne m'ont pas conduit à réduire l'investissement, sans augmenter les impôts - au reste, depuis trois ans, les régions n'en ont pour ainsi dire plus.
Mme Marie-France Beaufils. - Je complèterai ce qu'a dit Éric Bocquet, en revenant sur la diminution des dotations aux collectivités territoriales. Il serait intéressant de connaître les premières réflexions de la commission d'enquête diligentée par l'Assemblée nationale. L'OFCE, qui a travaillé sur les conséquences de cette diminution, considère que son impact sur la dépense publique des collectivités territoriales serait d'environ 0,55 % du PIB. Il eût été intéressant d'avoir quelques détails. La Banque postale a publié une note de conjoncture : l'impact de la baisse des dotations sur l'épargne brute des collectivités serait également un élément intéressant à retenir.
Les collectivités sont des acteurs de la commande au monde économique dont l'efficacité est reconnue par les entreprises, alors que le supplément d'allègements consenti aux entreprises, j'en suis convaincue, n'aura pas la même efficacité sur l'investissement.
M. Roger Karoutchi. - Dans les périodes d'échec, on a tendance, à gauche comme à droite, à pointer du doigt le quinquennat précédent. De grâce, cessons de regarder dans le rétroviseur. Si le Gouvernement, en dépit des moyens de prévision dont il dispose, n'en était pas à reporter la réforme de la DGF, celle de l'allocation adultes handicapés (AAH) et à se rendre compte que les retraités payent des impôts locaux, vous pourriez peut-être faire la leçon à nos candidats à la primaire, mais vu la situation, un peu de modestie ne nuit pas.
A-t-on réellement prévu l'impact de la baisse des dotations aux collectivités locales sur l'investissement productif ? Claude Raynal relève, avec beaucoup d'esprit, qu'une baisse des dotations de 3,5 milliards d'euros est indolore puisqu'elle ne conduit qu'à 800 millions d'euros de hausse des impôts locaux. Mais c'est indolore d'un point de vue fiscal parce que les collectivités vont réduire leurs investissements. Je puis en témoigner pour les Hauts-de-Seine.
M. Claude Raynal. - C'est un choix.
M. Roger Karoutchi. - C'est le choix de ceux qui n'ont plus d'argent.
M. Claude Raynal. - Les Hauts-de-Seine ?
M. Roger Karoutchi. - À force de péréquation.
Je me pose une question : intègre-t-on, dans les prévisions, les évolutions démographiques, qui conduiraient à produire des prévisions différentes en termes de chômage, de retraites ?
M. François Marc. - J'apporterai quelques nuances à la présentation du rapporteur général.
Vous estimez que la trajectoire du solde structurel est devenue secondaire aux yeux du Gouvernement, je le conteste. S'agissant de l'élasticité des recettes, je considère, comme d'ailleurs le Haut Conseil des finances publiques, que la prévision est juste. À la différence des années 2012 et 2013, où elle avait été plus faible que ce que l'on avait anticipé, elle devrait même être supérieure.
Les finances publiques seraient, vous y avez insisté, mal maîtrisées ? Vous relevez l'augmentation annuelle moyenne de 2,1 % en valeur, entre 2011 et 2014, des dépenses publiques. J'attire votre attention sur le fait que si la dépense publique reste élevée, c'est que son augmentation moyenne, entre 2007 et 2012, a été très importante, de 3,2 % par an en moyenne. Depuis 2012, on est entre 1 % et 1,5 %. Ce qui montre assez que des efforts considérables ont été engagés et que votre propos mérite largement d'être nuancé.
J'en viens à l'effort demandé aux ménages. Vous ne pouvez pas dire, à la fois, que de moins en moins de ménages payent l'impôt sur le revenu - ce qui est une réalité, puisqu'ils ne sont plus que 46 % à 47 % à y être assujettis - et que cet impôt est de plus en plus lourd, arguant qu'il aurait augmenté de 40 % entre 2012 et 2016. Il faut mettre ces deux réalités en regard : l'augmentation de l'imposition des ménages les plus aisés a pour contrepartie une augmentation de revenus pour les plus modestes.
Dernière remarque, enfin. Alors que les échéances de nos prêts à la Grèce n'interviendront qu'à l'horizon 2020-2021, il est peu probable que la France soit appelée à contribuer, comme vous le laissez entendre, en 2016.
Mme Fabienne Keller. - Quatre points me semblent particulièrement intéressants. En premier lieu, l'analyse des évolutions de la masse salariale, qui, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, n'est pas maitrisée, puisque la charge augmente. En deuxième lieu, l'anesthésie de la dette qui, augmentant en volume alors que sa charge diminue, n'en continue pas moins de frôler les 100 % du PIB. En troisième lieu, l'impôt sur le revenu qui a augmenté de 40 % alors que, n'en déplaise à François Marc, les revenus des plus modestes sont loin d'avoir progressé d'autant. En quatrième lieu, la chute des investissements de l'État, qui, sans le programme d'investissements d'avenir (PIA), serait plus qu'une chute, un crash.
Ma première question ne vous surprendra pas : elle concerne l'investissement des collectivités locales. La déstabilisation récente sur le calcul de la DGF au moment même où les collectivités élaborent leur plan pluriannuel décourage l'investissement. On le ressent clairement sur le terrain : les investissements de bien des collectivités se sont réduits de moitié. Aux effets désastreux sur l'emploi se rajoute l'impopularité des augmentations d'impôts locaux rendues nécessaires par le recul des dotations.
Je veux insister, en second lieu, sur les annonces non compensées. Il est surréaliste d'entendre le Président de la République annoncer en septembre, à l'ONU, une augmentation des crédits dévolus au climat et à l'aide au développement, pour 2 milliards d'euros et 4 milliards d'euros respectivement, et de constater, cinq jours plus tard, à l'occasion de la présentation du budget, que l'aide publique au développement est sacrifiée. Où est la sincérité ? Et je ne parle pas des autres annonces, à l'avenant. Le Gouvernement a le front de nous indiquer que c'est par voie d'amendement que ces annonces, faites il y a plusieurs semaines, et pour certaines au plus haut niveau de l'État, seront financées.
Une suggestion, pour finir. Il serait plein d'enseignements de comparer les grands agrégats de notre budget à ceux d'autres pays européens comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, les Pays-Bas - bref, des pays qui ont fait le choix d'autres stratégies budgétaires.
M. Maurice Vincent. - Notre pays se trouve dans une situation macroéconomique complexe. Il faut à la fois restaurer la compétitivité des entreprises, réduire le déficit public et maîtriser la dette. On peut considérer que les résultats attendus de ce projet de loi de finances restent insuffisants, mais on ne saurait nier qu'ils vont dans la bonne direction. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez une réduction plus rapide du déficit public et de la dépense publique mais je vous mets en garde : aller trop vite affaiblirait la croissance et pourrait provoquer une perte de recettes fiscales mettant en péril l'objectif de redressement des comptes publics. C'est pourquoi l'équilibre qu'a retenu le Gouvernement me semble le bon.
Au vu de vos propositions, il est clair que les fonctionnaires sont dans le collimateur. Ce que vous proposez représenterait, nous dites-vous, près de 2 milliards d'euros d'économies. Je relève qu'au regard des masses budgétaires, et surtout de l'effort que vous demandez, ce n'est pas grand-chose. Je relève de surcroît que dans le programme de votre camp, la suppression de l'ISF, dont vous n'avez rien dit ici, représente 5,5 milliards d'euros. Autrement dit, si l'on fait le compte, ce sont encore 3 milliards d'euros de perdus. Sans parler du caractère contestable de tels choix.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'ai peine à croire à une stabilisation de la dette publique en 2016, ainsi que l'annonce le Gouvernement. Je regrette que le graphique dans lequel vous retracez son évolution ne remonte pas en deçà de 2014, ayant souvenir qu'en 2013, on était à 93,5 % du PIB. Je comprends mal, de surcroît, comment on arrive au chiffre de 2015, de 96,3 %, alors qu'au deuxième trimestre, on était à 97,6 %. Il me semble que se référer au montant des émissions de dette n'est pas satisfaisant. Le Conseil d'analyse économique juge que si la croissance ne progresse pas, on devrait plutôt arriver à 145 % du PIB en 2040. Au regard de quoi, je m'étonne que vous repreniez cette idée d'une stabilisation de la dette publique en 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'y mets, au contraire, un point d'interrogation.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je serais plus tranquille si vous disiez clairement que vous n'y croyez pas.
M. Yvon Collin. - Je reviens sur la question des niches fiscales, ce serpent de mer. Quelle part des dépenses est imputable aux dispositifs successifs d'exonérations fiscales en faveur de l'investissement locatif ? N'est-il pas temps pour notre commission de mener un travail destiné à évaluer l'efficacité de ces dispositifs ? Je sais bien que comme disait le président Chirac, il y a un chien dans chaque niche. Mais qu'il serait peut-être bon, sur celles concernant le logement, d'affronter.
M. Jean-Claude Requier. - Le temps est gris, l'humeur maussade et quand on écoute France Info le matin, c'est pour entendre en boucle la litanie de tout ce qui va mal. Autant dire que l'exposé du rapporteur général m'a donné un coup de plus sur la tête. Il est vrai que l'état des finances publiques et du déficit a de quoi alarmer.
La perception de l'inflation a bien changé. Dans ma jeunesse, c'était l'ennemi - souvenez-vous du blocage des prix sous Raymond Barre. Aujourd'hui, on aspire au retour de l'inflation, d'une inflation douce et équitable, sorte de cannabis qui soulagerait nos douleurs.
Nous autres radicaux sommes enfants de Caillaux : nous sommes pour l'impôt sur le revenu. Pour nous, il ne s'agit pas de réduire le nombre de contributeurs, mais bien plutôt de l'augmenter, et nous aurons sûrement un amendement à proposer en ce sens. Car l'impôt sur le revenu fonde la citoyenneté et l'attachement à la République.
Une question, pour finir. Dans les tableaux que vous nous présentez, il est question, s'agissant des dépenses de l'État en 2016, tantôt de 375 milliards d'euros, tantôt de 306,2 milliards d'euros. D'où vient cette différence ?
M. Philippe Dominati. - Ce budget prévoit un retour du déficit public en dessous des 3 % en 2017. N'oublions pas que cet objectif devait initialement être atteint en 2013, dès la première année du mandat du Président de la République. Et il est vraisemblable qu'il ne le sera pas la dernière.
Je reviens sur le temps de travail dans la fonction publique. Si l'on compare, mission par mission, nos effectifs à ceux de nos voisins, on se rend compte qu'ils sont analogues à ceux d'États développés comme l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie. Et pourtant, nous peinons à accomplir ces missions. Comme le montre le classement de l'OCDE, chez aucun de nos homologues européens, le temps de travail n'est aussi bas qu'en France. Quelles conclusions tirer de ce constat ?
Il a été question, dans votre présentation, de la baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises. Elle était plus que nécessaire, tant le risque de décrochage de nos entreprises était élevé. Pour autant, la charge fiscale n'a pas été ramenée à un niveau qui assurerait leur compétitivité au regard des autres grands pays européens. On ne peut pas laisser entendre que cet effort est suffisant. J'aimerais vous voir indiquer quel est le gap qui subsiste et quelles orientations il conviendrait de prendre. Je veux bien que la réforme de la taxe professionnelle ait pénalisé les collectivités territoriales, mais elle a surtout pesé sur les entreprises, qui remettaient cet argent dans l'économie. Ceci pour dire qu'il reste beaucoup à faire pour restituer aux entreprises la part qui leur revient.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vincent Delahaye a souligné l'optimisme des prévisions en matière d'investissement et regretté que le financement des dépenses nouvelles soit mal documenté. Pour ce qui concerne l'abondement des crédits de la Défense, la vente des fréquences de la bande des 700 MHz doit venir en compensation, mais rien n'est encore certain à ce jour car le processus d'enchères vient d'être lancé par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) : il y aura un délai entre le moment de l'attribution des fréquences et la perception des sommes.
La recette « Coface » est constituée pour une large part du produit de la vente des bâtiments de projection et de commandement à l'Égypte. Il s'agit de la contrepartie de l'indemnisation versée en 2015 aux industriels français du fait de l'annulation de la vente des Mistral.
Nous essayerons de retracer, comme vous le souhaitez, l'effet agrégé de l'augmentation des prélèvements sur les entreprises et des allègements apportés par le CICE. Le fait est que le taux de prélèvements sur les entreprises reste élevé, comme le soulignait à l'instant Philippe Dominati. En dépit du CICE et du Pacte de responsabilité, les mesures fiscales prises l'an dernier, notamment en loi de finances rectificative, et celles des années précédentes, qui continuent à produire leurs effets, ont alourdi la charge. Je pense à la non-déductibilité des charges financières.
Quant aux critères sur lesquels s'appuie le Gouvernement pour élaborer un tendanciel d'évolution des dépenses, vous les retrouverez aux pages 140 à 146 du rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances.
En réponse à Richard Yung, j'indique qu'en estimant l'hypothèse de croissance « atteignable », je n'ai fait que reprendre, par souci d'objectivité, le terme employé par le Haut Conseil des finances publiques. On peut toujours espérer mieux, mais le Haut Conseil reste nuancé. L'inflation, en revanche, pose une vraie question. Tous les gouvernements espèrent une remontée, mais on ne voit rien venir.
Si je m'étonne que le programme d'économies reste à 50 milliards d'euros, c'est que des mesures nouvelles sont annoncées, qu'il faudra bien financer...
Mes remarques sur le temps de travail ont suscité beaucoup de questions. Nous avons commandé un rapport à la Cour des comptes, qui a mené un travail très complet. Il ouvre des pistes. Passer de 35 heures à 39 heures représenterait une économie, sur les trois fonctions publiques, de 7 milliards d'euros. Je suis dans mon rôle en le faisant savoir. D'autres pays ont su faire des efforts en matière de fonction publique et ont une croissance plus importante que la nôtre.
Je ne dis pas - ceci pour répondre à Éric Bocquet - que le CICE est un dispositif idéal, mais il a apporté un peu de stabilité qu'il ne faut pas remettre en cause. Quant au CIR, notre déplacement à Toulouse a montré que même si tout n'est pas parfait - la perfection n'est pas de ce bas monde - il a aidé à relocaliser la recherche en France.
Sur l'exil fiscal, un rapport, que l'on doit à l'initiative du Parlement, est publié chaque année, qui donne des éléments de comparaison. Je le tiens à votre disposition.
La dette est détenue, pour un tiers, par des résidents français, pour un tiers par des résidents de l'Union européenne, et pour un dernier tiers par des résidents hors Union européenne. Si bien qu'en effet, elle est détenue aux deux tiers par des non-résidents, ce qui pose la question d'une hausse des taux d'intérêt si les investisseurs décidaient de se détourner de la France. C'est notre différence avec le Japon, pays surendetté mais dont la dette est essentiellement domestique.
Philippe Dallier s'interroge sur l'impact des mesures dites « Lebranchu », qui d'après les estimations de la Cour des comptes représenteront, à l'horizon 2020, 4 à 5 milliards d'euros par an de dépense - dont 2,5 à 3 milliards d'euros pour la fonction publique d'État. Elles ne monteront que progressivement en charge et auront un impact relativement limité en 2016.
La baisse des dotations aux collectivités produit un double effet : baisse de l'investissement et hausse des impôts locaux. On attend ainsi, pour 2016, une hausse contrainte des prélèvements de 800 millions d'euros.
Le FMI n'est pas seul, Serge Dassault, à appeler la France à des réformes. La Commission européenne le fait aussi. Ce budget est-il « électoraliste » ? Je dirais que le Gouvernement y reconnait les erreurs faites par le passé en matière de fiscalité, qu'il essaie de corriger - ce qui posera, s'agissant de l'impôt sur le revenu, d'autres problèmes.
Je vous rejoins pour penser que le seuil des 3 % ne sera pas atteint en 2017. Quant aux taux d'intérêt, le seul élément qui plaide pour leur stabilité, sachant qu'en effet, les États-Unis ne font que repousser leur remontée de semaine en semaine, c'est la faiblesse de la croissance en Europe.
Sur les départs de contribuables à l'étranger, je vous renvoie, comme Éric Bocquet, au rapport que j'ai signalé.
Je ne suis pas un sectateur du solde structurel, Claude Raynal, mais j'observe que le ministre lui-même a évolué, puisqu'il nous a parlé du déficit effectif exprimé en euros sonnants et trébuchants. Qu'on le veuille ou non, nous sommes tenus par nos engagements européens. Je vous rappelle que nous sommes en procédure de déficit excessif et avons dû prendre des engagements écrits sur un programme de réformes et des mesures de stabilité. La notion de solde structurel fait partie des critères européens, et nous faisons partie de l'Union européenne. Nous ne devons pas nous écarter de nos prévisions de déficit, si bien que toutes les mesures nouvelles devraient être financées par des économies à due concurrence. C'est bien pourquoi je m'interroge sur le fait que le montant de 50 milliards d'euros d'économies programmés ne varie pas.
Les mesures structurelles ? Je viens d'en donner un exemple, pour 7 milliards d'euros, avec le temps de travail dans la fonction publique. Je pourrais vous en citer bien d'autres - le jour de carence, le glissement vieillesse technicité (GVT) -, y compris sur d'autres sujets, comme la réforme des retraites, la contribution aux régimes spéciaux, etc. J'observe que des pays voisins ont fait ces réformes de structures, que nous n'avons pas engagées.
Sur les 278 milliards d'euros représentant la masse salariale des administrations publiques, la part des collectivités territoriales compte pour 77,8 milliards d'euros. Ceci pour répondre à la question de Marc Laménie.
Tenir compte des réalités, François Patriat ? Il n'est que de dresser quelques comparaisons. Le coût horaire du travail est en France de 34,8 euros quand il est de 30,9 euros en Allemagne.
La réforme de la taxe professionnelle ? Cette « taxe imbécile » - le mot n'est pas de moi... - pénalisait les entreprises industrielles de main d'oeuvre. La contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui l'a remplacée a d'abord été faite pour y remédier, et c'est un impôt dynamique : la meilleure preuve en est qu'il est très convoité... Si cette contribution n'était pas productive, les régions ne se battraient pas pour elle.
Je rejoins Marie-France Beaufils, qui s'interroge sur l'impact de la baisse des dotations sur l'investissement des collectivités. Toutes les études convergent. Selon l'Observatoire des finances locales, l'investissement des collectivités représentait 58,7 milliards d'euros en 2013 ; Il a chuté de 7,1 % en 2014, à 54,1 milliards d'euros, et de 8,5 % en 2015, à 49,5 milliards d'euros. L'impact de la baisse des dotations est bien double : augmentation de la fiscalité - 800 millions d'euros en 2016 - et baisse de l'investissement, qui fragilise un certain nombre de secteurs. N'oublions pas que les collectivités n'ont pas droit au déficit. Or, la réduction des dépenses de fonctionnement a ses limites, compte tenu de leur rigidité.
Roger Karoutchi a raison de souligner à son tour que la baisse de la DGF a des conséquences directes sur l'investissement.
François Marc m'interroge sur les prêts à la Grèce. Il faut distinguer entre les engagements financiers de la France au titre de la dette grecque et les aides qui seront apportées par le mécanisme européen de stabilité (MES) à la République hellénique. C'est dans le premier cas que réside le risque pour 2016. Je vous renvoie au travail sur l'exposition de la France à un éventuel défaut de la Grèce que nous avons réalisé en juillet.
Les gains salariaux liés aux réformes de l'impôt sur le revenu ? Hors progression spontanée des recettes, l'impact des mesures fiscales sur le revenu atteint 7 milliards d'euros, ce qui va bien au-delà des gains qu'ont pu enregistrer les foyers sortis de cet impôt.
Fabienne Keller a raison de déplorer les effets de la baisse des dotations sur l'investissement des collectivités : près de 10 milliards d'euros entre 2013 et 2015.
Il est juste de relever que les annonces, notamment liées au climat, pour 3 à 5 milliards d'euros d'ici à 2020, ne sont pas, pour l'heure, financées. Quant aux éléments de comparaison que vous demandez, nous vous les fournirons.
En dépit des efforts que relève Maurice Vincent, nous ne sommes pas en phase avec nos engagements européens. La Commission nous a concédé à deux reprises un report de notre engagement de retour du déficit public sous les 3 %. Quant aux pistes que j'ai citées, pour mémoire, elles me sont inspirées par le récent rapport de la Cour des comptes.
Le montant de la dette, Marie-Hélène Des Esgaulx, doit être mesuré au 31 décembre, car les émissions varient en cours d'année, si bien que l'on ne peut considérer que tous les trimestres sont équivalents. Je me permets de vous renvoyer aux simulations réalisées pour mesurer les effets d'une variation de la dépense publique ou de la croissance sur la dette.
Yvon Collin s'interroge sur l'efficacité des dépenses liées aux exonérations en faveur de l'investissement locatif. Notre groupe de travail sur le logement a montré que la dépense attachée aux dispositifs successifs représente un coût annuel de 1,8 milliard d'euros. Il est vrai qu'il faut s'interroger, mais les constructeurs objectent que c'est la seule aide qui leur est consentie et que sans elle, la construction s'effondrerait.
Jean-Claude Requier, fidèle à la mémoire de Joseph Caillaux, pose une vraie question. Le caractère universel de l'impôt sur le revenu, entre la loi de finances pour 2015 et celle-ci, se trouve largement entamé. Même si la contribution sociale généralisée (CSG) n'est pas concernée, il y a là un vrai sujet, auquel je suis sensible.
La différence que vous observez dans le montant des dépenses de l'État tient au prélèvement sur recettes.
Je ne peux que constater, comme Philippe Dominati, que les 3 % ne seront pas atteints en 2017. Il est vrai que les effectifs de la fonction publique sont globalement, en France, en phase avec ceux des autres pays européens. Mais nous avons un vrai problème de temps de travail, ainsi qu'il le souligne. Il y a là une question d'équité. Quand on sait que les sapeurs-pompiers font 90 gardes de 24 heures par an - les présidents de conseils généraux ne me démentiront pas - ou qu'à Paris, les policiers municipaux peuvent être amenés à faire 28 heures de service actif de nuit, on comprend que des comparaisons se fassent.
Je le rejoins sur la fiscalité des entreprises. Je l'ai dit, en dépit de l'oxygène qu'ont apporté le CICE et le Pacte de stabilité, d'autres mesures sont venues alourdir la charge et continuent à produire leurs effets, si bien que le taux de prélèvements obligatoires reste élevé.
J'appelle à la vigilance sur le prochain projet de loi de finances rectificative, qui pourrait encore amener d'autres mesures. Résultat, la France se classe parmi les pays dont le taux de prélèvements obligatoires sur les entreprises est parmi les plus élevés.
La commission donne acte au rapporteur général de sa communication.
Mme Michèle André, présidente. - Je rappelle que le 12 novembre, à l'issue de l'examen des articles de la première partie, nos rapporteurs spéciaux pour les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et du compte de concours financier « Avances aux collectivités territoriales », auxquels sont rattachés les articles 58 et 62 du projet de loi de finances, nous présenteront leur rapport.
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 - Examen du rapport pour avis
Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Francis Delattre, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. - Je débuterai mon propos par un rappel de la place des finances sociales dans les perspectives pluriannuelles des finances publiques. La part des dépenses des administrations de sécurité sociale est supérieure d'environ six points à celle des dépenses de l'État et de ses agences, présentées un peu plus tôt par le rapporteur général. Les administrations de sécurité sociale contribuent ainsi à hauteur de 40,6 % au programme d'économies annoncé par le Gouvernement sur la période 2015 à 2017, ce qui représente environ 20 milliards d'euros sur un programme global d'économies de 50 milliards d'euros. L'un des buts de cette présentation est d'évaluer si les mesures prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 permettront d'atteindre cet objectif.
Le taux de prélèvements obligatoires des administrations de sécurité sociale reculerait de 24,2 % à 24 % du PIB entre 2015 et 2016 du fait de la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité, qui constitue l'un des éléments positifs du projet de loi de financement pour 2016.
En 2016, les administrations de sécurité sociale devraient réaliser 7,4 milliards d'euros d'économies, sur un total de 16 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques. Nous sommes ici face à un paradoxe : en dépit de ces économies, un déficit global de 9,3 milliards d'euros subsisterait en 2016, pour les organismes relevant des lois de financement de la sécurité sociale.
Tout d'abord, 3,4 milliards d'euros d'économies seraient réalisées dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) - ce qui semble crédible. Restent les 4 milliards d'euros suivants, sur lesquels j'appelle votre attention : 1 milliard d'euros de moindres dépenses proviendraient de mesures d'ores et déjà décidées et, en particulier, de la montée en charge de la réforme de la politique familiale, qui intègre la modulation des allocations familiales votée à l'automne dernier, et de la réforme des retraites de janvier 2014. 500 millions d'euros seraient également économisés sur les dépenses de gestion des organismes de protection sociale, d'après les précisions du secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert. 300 millions d'euros d'économies seraient liées aux mesures de lutte contre la fraude et au ralentissement des dépenses d'action sanitaire et sociale des organismes. Ensuite, 1 milliard d'euros d'économies sont attendues à la suite de la négociation entre les partenaires sociaux au titre de la réforme des retraites complémentaires, et 800 millions d'euros dans le champ de l'assurance chômage, ce qui semble plus discutable dans la mesure où le Gouvernement n'est pas responsable de la gestion de ces régimes.
J'en viens aux grands équilibres et aux mesures proposées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Le Gouvernement prévoit un déficit cumulé de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 9,3 milliards d'euros en 2016. Il s'agirait d'une amélioration de 3,1 milliards d'euros par rapport à la prévision d'exécution pour 2015. Néanmoins, la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale a été décalée : à l'été 2014, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale prévoyait en effet un retour à l'équilibre dès 2017. Or, selon les prévisions du projet de loi de financement pour 2016, le régime général ne connaîtrait un solde positif, de l'ordre de 1,8 milliard d'euros, qu'en 2019. Toutefois, le FSV et les autres régimes obligatoires de base resteraient déficitaires, ce qui conduirait à un déficit cumulé de 2 milliards d'euros.
Afin de mesurer la réalité de l'« effort » prévu en 2016, il convient de s'intéresser aux soldes tendanciels des régimes de sécurité sociale. En l'absence de mesures nouvelles et en prolongeant simplement la tendance observée, le déficit de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV atteindrait 13,8 milliards d'euros en 2016. Les mesures contenues dans le projet de loi de financement pour 2016 devraient permettre d'améliorer ce solde de 4,5 milliards d'euros. Cet effort est plus faible qu'en 2015 et en 2014 : la loi de financement pour 2015 prévoyait un effort de 5,6 milliards d'euros et celle pour 2014 de 8,9 milliards d'euros.
Ainsi, sur les 7,4 milliards d'euros d'économies prévues dans le champ des administrations de sécurité sociale, présentées précédemment, les mesures nouvelles d'économies contenues dans le projet de loi de financement pour 2016 ne représentent que 3,8 milliards d'euros. En réalité, le Gouvernement se repose en grande partie sur les effets de mesures engagées durant les années passées.
Concernant la dette sociale, nous avons une vraie difficulté. Tout le monde connaît la situation déficitaire de nos régimes sociaux, mais peu de gens se soucient des modalités de leur financement. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui gère la trésorerie commune des régimes et joue en quelques sortes le rôle de holding financière, dispose de la possibilité d'emprunter à court terme. Cependant, aujourd'hui, elle ne peut plus faire face à ses besoins de trésorerie car elle supporte une partie des déficits des années précédentes.
Le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, a donc décidé de faire sauter le verrou de la reprise annuelle de 10 milliards d'euros par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) afin de lui permettre de reprendre cette année 13,6 milliards d'euros supplémentaires, qui étaient portés jusqu'alors par l'ACOSS.
Nous assistons ici à un moment de vérité : il était normalement prévu que la dette sociale reprise par la CADES soit entièrement amortie à l'horizon 2024 ou 2025, compte tenu des ressources qui lui ont été affectées. Il est tout de même incroyable que nous financions encore une part de nos dépenses sociales par des émissions sur les marchés financiers, faisant ainsi supporter ces dépenses par les générations à venir.
L'opération de reprise proposée cette année ne dégraderait pas l'horizon de la CADES à court terme. Mais un vrai problème se pose concernant l'apurement de la dette courante et des déficits futurs, notamment du FSV, pour lesquels aucune reprise par la CADES n'est prévue.
Naturellement, j'ai entendu, comme vous, les explications du secrétaire d'État chargé du budget, qui indique qu'il s'agit simplement d'une anticipation de transfert de déficits connus, en raison des conditions favorables de refinancement sur les marchés financiers. Mais cette consolidation des déficits cumulés en 2013 et 2014 constitue bien une aggravation de la dette.
Passons maintenant aux principales mesures relatives aux recettes. Le projet de loi de financement pour 2016 met en oeuvre la seconde phase du Pacte de responsabilité en faveur des entreprises. Il s'agit là de mesures positives. Tout d'abord, le projet de loi de financement poursuit la baisse du taux de cotisation patronale d'allocations familiales de 1,8 point, pour les rémunérations situées entre 1,6 et 3,5 SMIC. Le coût de la mesure serait ainsi de 3,1 milliards d'euros en 2016 contre environ 4,1 milliards d'euros en année pleine, en raison du décalage d'un trimestre justifié par le Gouvernement par la nécessité de financer un ensemble de nouvelles mesures en faveur des entreprises adoptées dans le courant de l'année 2015, dont le suramortissement des investissements industriels, que nous avions tous soutenu.
La deuxième mesure porte sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Une nouvelle étape vers sa suppression est mise en oeuvre, en allégeant de 1 milliard d'euros cette imposition. 79 000 petites et moyennes entreprises (PME) seront ainsi exonérées de C3S en 2016 et environ 20 000 verront leur impôt diminuer.
Ces mesures sont intégralement compensées par l'État, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, ce que Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », nous confirmera.
Je signale en revanche un petit hiatus concernant certaines exonérations de cotisations sociales « zonées », que le Gouvernement proposait de supprimer dans son projet de loi initial mais que l'Assemblée nationale a décidé de maintenir. Il semble en effet raisonnable de conserver le dispositif relatif aux zones de revitalisation rurales (ZRR).
Le projet de loi de financement prévoit également, comme chaque année, un grand nombre de réaffectations et de réajustements de recettes internes. Comme vous pouvez le constater dans le schéma qui vous est présenté, ces mouvements sont très complexes mais ils semblent suivre une certaine cohérence. Parmi ces « tuyaux », il convient de signaler celui relatif au FSV. Dans un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, dit « De Ruyter », celle-ci a considéré que les prélèvements sociaux sur les revenus du capital étaient contributifs, compte tenu de leur affectation aux régimes de sécurité sociale, et qu'il n'était donc pas légal d'y assujettir les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale en France. Ces prélèvements sociaux seront transférés à des prestations de solidarité financées par le FSV, telles que la prise en charge des cotisations des chômeurs. Ce « réajustement de tuyau » permettrait donc de régler ce contentieux.
J'en viens maintenant à la situation des différentes branches de la sécurité sociale. La branche maladie est celle qui connaît le déficit le plus important : celui-ci augmenterait de 1 milliard d'euros en 2015. En 2016, ce déficit atteindrait 6,2 milliards d'euros. Les mesures proposées dans le projet de loi de financement permettraient ainsi de réduire le déficit de 1,3 milliard d'euros en 2016, grâce à un taux d'évolution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) fixé à 1,75 %, contre 2 % en 2015. Cet objectif, qui implique la réalisation de 3,4 milliards d'euros d'économies, semble atteignable. Un certain nombre de mesures sont ainsi prévues, concernant l'efficacité de la dépense hospitalière, la médecine ambulatoire, le prix des médicaments et enfin la pertinence et le bon usage des soins. En écartant l'effet de la baisse du taux de cotisation des professionnels de santé sur les comptes de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS), le montant total des économies prévues en 2016 s'établit à 3,1 milliards d'euros, soit un montant légèrement inférieur à celui initialement prévu pour 2015.
Concernant la branche vieillesse, le Gouvernement prévoit un retour à l'équilibre en 2016. J'ai rencontré les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), qui estiment qu'un très léger déficit pourrait subsister. Toutefois, nous sommes clairement sur une tendance de réduction du déficit à court terme. L'effet conjugué de la faible inflation et du recul de l'âge de départ à la retraite permettraient d'infléchir la dépense. Toutefois, le Conseil d'orientation des retraites (COR) estime que l'adoption de nouvelles mesures serait nécessaire pour garantir l'équilibre financier à plus long terme ; un déficit réapparaîtrait en effet dès 2019.
La situation du FSV, qui a pour mission principale de financer la prise en charge des cotisations des chômeurs ainsi que l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), est durablement dégradée. Son déficit atteindrait 3,7 milliards d'euros en 2016. La Cour des comptes critique d'ailleurs régulièrement son « sous-financement ».
La branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) devrait présenter un excédent de 600 millions d'euros en 2016 et n'appelle pas de commentaire particulier. Néanmoins, dans le cadre de l'accord des régimes complémentaires Agirc-Arrco, le Gouvernement aurait promis de compenser la hausse des cotisations au bénéfice de ces régimes par une baisse du taux de cotisation AT-MP.
Après un déficit de 3,2 milliards d'euros en 2013, la situation de la branche famille s'améliorerait en 2016. Le déficit ne serait plus que de 800 millions d'euros. Toutefois, les mesures d'économies décidées ces deux dernières années, en particulier la modulation du montant des allocations familiales, touchent environ 600 000 familles dont certaines appartiennent à ce que l'on peut qualifier la « classe moyenne ». De plus, la mise en oeuvre cette réforme a mobilisé 300 équivalents temps pleins (ETP).
En conclusion, sous réserve de l'adoption des amendements que je vais vous présenter dans quelques instants, je propose de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie notre rapporteur pour avis qui nous permet de comprendre cette tuyauterie très complexe, alors même que les enjeux financiers sont conséquents - je pense en particulier à la CADES.
On observe que l'Allemagne maîtrise mieux ses dépenses d'assurance maladie que nous, malgré le vieillissement de sa population : comment l'expliquer ? Est-ce grâce à la médecine ambulatoire ? Le système de choix des médecins ?
Les conséquences de l'arrêt « De Ruyter » comprennent un remboursement de la contribution sociale généralisée (CSG) des non-résidents, à partir de crédits budgétaires en 2016. Mais est-ce que le Gouvernement prévoit bien le changement de nature de la CSG des non-résidents ?
M. Maurice Vincent. - J'ai bien compris que Francis Delattre souhaitait une accélération de la baisse des déficits, mais nous pensons que ce serait une erreur. Deux branches enregistreront des excédents en 2016. C'est une amélioration considérable des résultats grâce à la gestion du Gouvernement. Il ne faut pas aller plus loin, sinon, nous aurons un effet dépressif sur le pouvoir d'achat des ménages.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que depuis 2012, aucune franchise, aucun déremboursement n'ont été votés. Les économies sur l'assurance-maladie nous rapprochent progressivement de l'équilibre.
M. Charles Guené. - Je crois que certains dispositifs zonés que le Gouvernement envisageait de supprimer ont été maintenus par l'Assemblée nationale ; il s'agit des zones de revitalisation rurale (ZRR), des zones de restructuration de la défense (ZRD) et des bassins d'emploi à redynamiser (BER). Je souhaiterais connaître le montant de l'économie que permettrait leur suppression.
M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. - L'Assemblée nationale a décidé de maintenir ces trois dispositifs. Ceux concernant les zones rurales doivent en effet être conservés. La suppression des trois dispositifs aurait représenté 15 millions d'euros en 2016.
M. Charles Guené. - Ce sont des sommes importantes pour ces zones.
M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. - Pour répondre au rapporteur général, les Allemands ont recours à un panier de soins plus restreint que celui qui existe en France. Le système allemand organise également une concurrence entre les caisses, au niveau des Länder.
M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. - Les amendements n° 1 à 13 proposent de supprimer les tableaux présentant l'exécution pour 2014, l'exécution en cours pour 2015, l'ensemble des objectifs de dépenses pour 2016 et la trajectoire pluriannuelle jusqu'en 2019.
Il s'agit là de marquer un désaccord de fond avec la politique menée par le Gouvernement et ses propositions pour l'année à venir. La trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux a été reportée à plusieurs reprises. Or l'effort porté les mesures nouvelles du projet de loi de financement pour 2016, de l'ordre de 4,5 milliards d'euros, est inférieur à celui prévu en 2015. Le Gouvernement se fonde ainsi en large partie sur des mesures d'économies décidées par le passé et découlant notamment des réformes de la politique familiale et des retraites.
Cette proposition de suppression est cohérente avec la position adoptée par la commission des finances sur le projet de loi de règlement pour 2014 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2014 à 2019.
L'amendement n° 14 vise à supprimer un article inséré par l'Assemblée nationale, portant sur le régime social des indemnités de départs des dirigeants et mandataires sociaux et les indemnités de licenciement versées aux salariés. L'intention est louable mais le dispositif apparaît peu utile : il concernerait dans les faits seulement six personnes, pour une assiette très réduite. De plus, en dehors des cas de départ forcé, les indemnités des mandataires et dirigeants sont déjà soumises à cotisations dès le premier euro.
Les amendements n° 15 et 16 proposent une alternative au crédit d'impôt sur les contrats d'assurance maladie complémentaire souscrits par des personnes âgées de plus de 65 ans dont le Gouvernement propose la création. L'amendement n° 15 vise à supprimer l'article 21, qui crée une nouvelle dépense fiscale alors même qu'il existe déjà de nombreux dispositifs en faveur de l'accès à la couverture complémentaire santé. L'amendement n° 16 propose de relever de sept points le plafond de ressources de l'aide à la complémentaire santé (ACS) pour les personnes âgées de plus de 65 ans. Cette mesure est plus ciblée que celle du Gouvernement et repose sur un dispositif déjà connu. Elle bénéficierait à environ 180 000 retraités dont les revenus sont inférieurs à environ 1 023 euros (contre 973 euros actuellement).
L'amendement n° 17 instaure, comme l'année passée, trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière afin de lutter contre l'absentéisme. Cette question concerne d'ailleurs aussi les collectivités territoriales.
Enfin, l'amendement n° 18 vise à ce que le Gouvernement remettre prochainement une étude d'impact complète de la réforme, à compter de 2017, du financement des soins de suite et de réadaptation (SSR) proposée à l'article 49. Les préparatifs n'ayant pas pu être achevés à temps, nous ne disposons d'aucune évaluation de son incidence financière, ce qui éveille des craintes chez certains établissements privés.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je soutiens les amendements présentés par Francis Delattre. Certains sont des amendements de cohérence avec la position de la commission des finances du Sénat sur de précédents projets de loi et manifestent un désaccord de fond sur les prévisions et les objectifs de dépenses. J'insisterai notamment sur l'amendement n° 17 sur le rétablissement du jour de carence, que je soutiens particulièrement. Avec Philippe Dallier, nous avons eu l'occasion de rencontrer la Fédération hospitalière de France (FHF). Pour l'ensemble des fonctions publiques, on peut mesurer les conséquences de la suppression, en 2014, d'un jour de carence : il en est résulté une nette hausse de l'absentéisme. L'année dernière, nous avions déposé un amendement pour le rétablir : nous y reviendrons cette année encore.
Mme Marie-France Beaufils. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ne répond pas, selon nous, aux besoins des Français. Les amendements proposés par le rapporteur pour avis ne permettent pas d'améliorer la situation, donc nous ne les adopterons pas.
Les amendements de suppression n° 1 à 13 sont adoptés, ainsi que les amendements n° 14, 15 et 16.
M. Jean-Claude Requier. - Nous nous abstenons sur l'amendement n° 17.
Les amendements n° 17 et 18 sont adoptés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, sous réserve des amendements qu'elle propose.
La réunion est levée à 12 h 04
Loi de finances pour 2016 - Participation de la France au budget de l'Union européenne (article 22) - Examen du rapport spécial
La réunion est ouverte à 14 h 33.
Au cours d'une séance tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur spécial, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 22).
M. François Marc, rapporteur spécial. - L'article 22 du projet de loi de finances pour 2016 évalue le prélèvement sur recettes au profit du budget de l'Union européenne à 21,51 milliards d'euros, soit 767 millions d'euros de plus que le montant prévu par la loi de finances initiale pour 2015, en hausse de 3,7 %. La contribution française au budget communautaire prend la forme d'un prélèvement sur les recettes de l'État, voté chaque année en loi de finances. Entre 1982 et 2016, le montant en valeur de notre contribution a été multiplié par 5,5, passant de 4,1 à 21,51 milliards d'euros. Les écarts considérables entre la prévision et l'exécution de cette participation au budget de l'Union sont récurrents et posent problème au regard de la sincérité du prélèvement voté chaque année. L'estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement doit être aussi précise et fiable que possible.
Deuxième bénéficiaire des dépenses de l'Union européenne, la France reste le deuxième État contributeur au budget communautaire derrière l'Allemagne et devant l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne. Notre solde net, qui représentait moins de 400 millions d'euros en 1999, a été multiplié par près de vingt depuis, mais 2014 marque un arrêt apparent de la dégradation : de 9,4 milliards d'euros en 2013, il est revenu à 7,9 milliards d'euros en 2014.
Mais cette amélioration n'est qu'apparente et ne révèle aucune tendance de fond. Elle s'explique, selon le Gouvernement, par deux facteurs conjoncturels. D'abord, les contributions des États membres ne prennent pas en compte, en 2014, les rabais et corrections, à l'exception du chèque britannique, dans l'attente de l'entrée en vigueur en 2016 de la nouvelle décision « ressources propres » (DRP), avec effet rétroactif au 1er janvier 2014. Les corrections et rabais instaurés par cette DRP et dus au titre de 2014 et 2015 n'auront d'impact que sur les contributions nationales 2016. Ensuite, le budget 2014 est inférieur à celui de 2013 ; le solde de la France étant négatif, toute diminution du niveau de dépenses améliore son solde net. J'ajoute que la baisse relative de la part de notre RNB dans celui de l'Union contribue à éroder la part de notre prélèvement assise sur la ressource RNB.
Comme à l'accoutumée, l'avant-projet de budget a été présenté par la Commission européenne au printemps ; la négociation du budget communautaire 2016 donne lieu aux postures habituelles : cet avant-projet prévoit une baisse de 5 % des crédits d'engagement et une hausse de 1,6 % des crédits de paiement par rapport au budget 2015, le Conseil y a opéré des coupes notables dans sa proposition du 4 septembre 2015, tandis que le Parlement européen a voté, le 27 octobre 2015, un projet encore plus ambitieux que celui de la Commission, tant au regard des crédits d'engagement que des crédits de paiement. La proposition d'augmentation des crédits formulée par nos collègues députés européens rendra plus difficiles les négociations lors de la phase de conciliation qui devrait aboutir d'ici la fin novembre. À nouveau, l'état du stock de restes à liquider (RAL), qui devrait dépasser 220 milliards d'euros à la fin 2016, est préoccupant.
Une note positive toutefois : le budget de l'Union est toujours davantage tourné vers l'investissement et la croissance, ainsi qu'en témoigne la mise en place en 2015 du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) qui vise la réalisation de 315 milliards d'euros d'investissements et répond à l'objectif de soutien à la croissance en Europe.
La DRP du 7 juin 2007 est en cours de remplacement par la DRP du 26 mai 2014, applicable à compter du 1er janvier 2016 avec un effet rétroactif sur 2014 et 2015. Cette nouvelle DRP a fait l'objet d'un projet de loi en autorisant l'approbation, sur lequel j'ai rendu un rapport. Je répète qu'il s'agit à mon sens d'une occasion de réforme manquée : la nouvelle décision maintient l'essentiel du système en vigueur, voire aggrave ses défauts en créant de nouveaux rabais.
Sous réserve de ces différentes observations, je recommande toutefois à la commission d'adopter sans modification l'article 22 du projet de loi de finances pour 2016. Je conserve ma foi dans la construction européenne et vous invite à faire de même.
M. André Gattolin. - Le budget doit être voté et contrôlé par le Parlement. Or pour ce qui est de ce prélèvement sur les recettes de l'État, nous sommes dans une situation étonnante : face à un débit correspondant au prélèvement de 21 milliards d'euros, nous n'avons aucune entrée puisque pour des raisons comptables, aucune précision n'est apportée sur ce qui revient à l'économie française. Dans ces conditions, il est difficile d'expliquer à nos concitoyens l'intérêt de l'Union européenne et d'un budget commun.
La présentation de la contribution française devrait comprendre un document consolidé faisant figurer les pénalités versées par la France dans le cadre de contentieux pour usage abusif des aides agricole - héritage des gouvernements précédents. Nous n'avons pas de vision cumulative de ce que nous payons réellement. Dans mon rapport sur la citoyenneté dans l'Union, je proposais que le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) présente un document annuel sur les actions de l'Union européenne en France. Comment expliquer, sinon, l'intérêt de l'Union avec les éléments fragmentaires dont nous disposons sur ce que versent et reçoivent l'État et les collectivités territoriales ?
M. Éric Bocquet. - Vous avez évoqué un budget davantage tourné vers l'investissement et la croissance, mais nous n'en voyons pas les effets concrets. Les principaux piliers en sont le plan Juncker qui devrait libérer 315 milliards d'euros sur trois ans et l'assouplissement quantitatif mis en place par la banque centrale européenne (BCE) depuis le mois d'avril. Quelle part de ces fonds a reçu la France ? Quelle est votre analyse sur l'absence d'effets, pour le moment, en termes de relance économique ?
M. Richard Yung. - Le plan Juncker est une avancée, mais 315 milliards pour vingt-huit pays et étalés sur trois ans, ce n'est pas non plus une relance à la Roosevelt ! Le budget sur la période 2014-2020 est en baisse par rapport à la période précédente. Il y a des efforts à faire. Concernant les financements et les ressources propres, où en est le projet de taxe sur les transactions financières, régulièrement évoqué ? Le dispositif actuel est à bout de souffle, fragilisé par les nombreux rabais et corrections. Fidèle à ses principes, la France ne demande pas de rabais, mais l'effort doit être collectif. Peut-on espérer une remise à plat du dispositif à une échéance de deux à trois ans ?
M. Jacques Chiron. - Notre récent rapport d'information sur le e-commerce évalue à 168 milliards d'euros le montant de TVA qui échappe aux pays européens. Or une part du produit de la TVA est perçue par le budget européen. La Commission européenne s'attaque-t-elle à cette question ?
M. Francis Delattre. - On parle des 315 milliards d'euros du plan Juncker, mais en réalité ce sont 23 à 25 milliards d'euros disponibles, dont on attend un effet levier. Cet effet est-il réellement à la hauteur des espérances ? Une première sélection de projets éligibles en France a-t-elle été effectuée ? Par ailleurs, à travers son plan d'assouplissement quantitatif, la BCE soulage la dette des États et injecte de l'argent frais : quelle est la part reçue par les banques françaises ?
M. Yvon Collin. - Environ 500 millions d'euros ont été débloqués au niveau européen pour répondre à la crise de l'élevage. Est-ce une aide dédiée la filière porcine française ou une enveloppe globale ?
M. François Marc, rapporteur spécial. - C'est une enveloppe globale.
M. Yvon Collin. - Je vous remercie. Les aides à la pomme sont presque entièrement allées à la Pologne, ce qui explique ma question.
M. Jean-Claude Requier. - La France est le deuxième contributeur du budget européen et participe au chèque britannique depuis 1984. L'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède obtiennent des rabais sur ce rabais. La France et l'Italie, pourtant des pays latins supposés tricheurs, sont les plus vertueux.
Votre note de présentation répond à la question que je me posais sur la différence entre les restes à liquider, qui s'élèvent à 220 milliards d'euros, les restes à payer, et les restes à réaliser de nos budgets communaux.
M. François Marc, rapporteur spécial. - Merci de vos questions qui témoignent de votre intérêt pour l'Europe.
Je conviens avec André Gattolin que les Français devraient être mieux informés des interventions européennes. Le jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances relatif aux relations financières avec l'Union européenne détaille, rubrique par rubrique, les moyens budgétaires alloués par l'Union européenne à la France. En revanche nous n'avons pas, pour le moment, de bilan économique ni d'évaluation des conséquences et effets leviers de ces interventions sur la dynamique économique de notre pays.
Vous trouverez dans la note de présentation des éléments explicatifs sur la proportion du budget de l'Union européenne qui concerne la France. Ainsi, 10,5 % des dépenses, soit 13,5 milliards d'euros, sont réalisées sur notre sol. Nous sommes le deuxième bénéficiaire, principalement grâce à la PAC dont la part dans le total des aides est néanmoins en baisse : de 75 % les années précédentes, elle est passée à 68 % en 2013 puis à 63 % en 2014. En revanche, en se référant au retour par habitant, la France arrive en vingtième position avec 205 euros par an. En 2008, nous étions quinzième. Toujours à l'aune du retour par habitant, nous ne sommes que le onzième bénéficiaire de la PAC avec 205 euros par habitant, l'Irlande occupant la première place avec 269 euros par an. Ces chiffres nourrissent une inquiétude justifiée. Nous ne recevons aucun rabais ou surplus, et nous avons le sentiment de ne pas bénéficier d'un traitement de faveur.
Les contributions subies ou pénalités pour non-respect des règles figurent aussi dans le jaune budgétaire relatif à nos relations financières avec l'Union européenne. Nous y reviendrons, avec un point particulier sur la PAC.
Le comité de suivi du plan Juncker est en cours d'installation. Pour l'instant, la dotation de l'Union européenne au titre de ce plan s'élève à 16 milliards d'euros, celle de la Banque européenne d'investissement (BEI) à 5 milliards. Depuis le début de l'année, 28 opérations ont bénéficié du soutien du FEIS, dont deux concernent la France : un programme sur l'efficacité énergétique des bâtiments et un autre sur les énergies renouvelables. Toutefois, en phase de mise en place, les données n'ont pas encore été agrégées.
Il est vrai qu'une baisse des réalisations budgétaires européennes a été constatée entre 2013 et 2014 ; mais la programmation des dépenses est quant à elle en hausse de 2 % par an, même si, par la suite, les réalisations peuvent se révéler inférieures. Concernant la remise à plat que vous appelez de vos voeux, le groupe de haut niveau présidé par Mario Monti, formé il y a un an, réfléchit à une architecture pertinente des ressources de l'Union : le système en vigueur a mal vieilli. Enfin, l'affectation de la taxe sur les transactions financières a été annoncée ici et là, au profit de la transition énergétique, des ressources propres de l'Union... Nous n'avons pas d'éléments plus précis à ce sujet.
Pour répondre à Jacques Chiron, nous devons redoubler d'efforts pour lutter contre la fraude à la TVA, dont le montant estimé est supérieur au budget européen. À nous d'activer les dispositifs anti-fraude.
Les 500 millions d'euros d'aides agricoles sont attribués en plus du budget de la PAC : 64 millions reviendront à la France, principalement aux filières lait et porc. Elles seront financées grâce à des prélèvements sur les pays qui ont dépassé leurs quotas laitiers en 2014, notamment l'Irlande, l'Allemagne et le Danemark.
Le reste à payer, sur lequel m'interroge Jean-Claude Requier, est le total des factures en décalage d'un exercice à l'autre. Cet agrégat comptable est similaire aux restes à réaliser de nos budgets locaux. Alors que le reste à liquider est la somme des engagements sur plusieurs exercices qui ne sont pas encore couverts par des crédits de paiement.
Mme Michèle André, présidente. - La commission des affaires européennes examinera jeudi 5 novembre une proposition de résolution européenne sur le plan Juncker déposée par nos collègues Jean-Paul Emorine et Didier Marie, qui sera envoyée pour examen au fond à la commission des finances.
L'article 22 est adopté sans modification.
Mme Michèle André, présidente. - Cette année, l'article 22 sera examiné jeudi 19 novembre à la suite de la discussion générale sur le projet de loi de finances.
Loi de finances pour 2016 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural - Examen du rapport spécial - Communication sur les relations entre le budget communautaire et le budget national à travers la politique agricole commune (PAC)
Puis la commission procède à l'examen du rapport de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». Elle entend ensuite leur communication, conjointement avec M. François Marc, rapporteur spécial des affaires européennes, sur les relations entre le budget communautaire et le budget national à travers la politique agricole commune (PAC).
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Il nous est proposé de doter la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de 2,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,7 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une contraction respective de 9 % et 6 % par rapport à 2015. Sur le fond, l'exercice 2016 est peu marqué par le plan de soutien à l'élevage annoncé le 22 juillet dernier, qui prévoit notamment des allègements et reports de charges pour un montant estimé d'au moins 600 millions d'euros. Les mesures devraient être imputées sur 2015 et largement financées par le dégel de la réserve de précaution. À la fin de l'été 2015, seuls 110 millions d'euros ont ainsi été dégelés. Je suivrai les modalités de mise en oeuvre du plan avec vigilance et j'interrogerai en séance publique le Gouvernement sur son mode de financement.
Au regard de l'insuffisance de ce plan, qui ne contient presque rien en matière de réformes structurelles, j'ai déposé le 16 octobre 2015, avec de nombreux collègues, une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture, qui sera examinée le 9 décembre prochain en séance.
En 2013, notre commission avait rendu public un rapport sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires qui concluait que l'agriculture française restait insuffisamment compétitive et tournée vers l'export. Or, notre balance commerciale agricole et agroalimentaire se détériore et elle est négative si l'on en retranche nos exportations de vins et d'alcools. Nous perdons chaque année des parts de marché. Dans ce contexte alarmant, je déplore que le soutien à l'export ne soit pas une priorité pour le Gouvernement. Non seulement notre recommandation d'une réforme profonde du dispositif public de soutien n'a pas été suivie, mais les moyens mêmes de ce dispositif sont en baisse : 5,85 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances contre 10,2 millions d'euros en 2015, soit une réduction de près de 42 % de la dotation. Une telle évolution ne peut que compromettre la présence des produits agricoles et agroalimentaires français sur les marchés internationaux.
De même, les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas passent de près de 30 millions d'euros à moins de 4 millions d'euros en 2016. Le Gouvernement fait valoir le transfert du financement de la gestion des risques, notamment l'aide à l'assurance récolte, au second pilier de la PAC mais la sincérité de la prévision me semble douteuse. Ce doute est renforcé par le niveau de nos refus d'apurement communautaires.
Ces corrections ont atteint 429 millions d'euros en 2014 et devraient s'établir à 871 millions d'euros en 2015, puis à 360 millions d'euros au moins en 2016 et 2017. Début 2015, 1,1 milliard d'euros de corrections dues pour l'année en cours et pour les deux exercices suivants ont été identifiés ; mais le Gouvernement a choisi de faire porter le coût des deux tranches 2015 et 2016 sur l'exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017. Au-delà de ces acrobaties budgétaires, dont l'intérêt en termes d'amélioration du solde 2016 est entendu, je regrette que le Gouvernement continue de faire le choix de mouvements ex post pour couvrir ces dépenses, qui devraient faire l'objet d'une dotation en loi de finances initiale. Une fois de plus, ce n'est pas le cas, alors que la France subira certainement de nouvelles corrections l'année prochaine.
Pour conclure, une remarque positive sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », dit Casdar. Je me félicite de l'augmentation du financement d'actions par le biais de procédures d'appels à projets : 29 % des crédits du compte en 2016, contre 12,82 % en exécution 2014. Je plaide pour la poursuite de cette tendance. En effet, la justification des dépenses reste encore insuffisante pour s'assurer que les crédits ne sont pas distribués en vertu d'une logique d'abonnement des organisations par lesquelles ils transitent.
En conclusion, je vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'adopter ceux du compte spécial.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - Les conclusions de notre récent rapport sur la filière forêt-bois, restent entièrement d'actualité, à commencer par un soutien renforcé à l'innovation et à la stratégie de montée en gamme. L'audition des responsables du pôle de Compétitivité « Xylofutur », situé en Aquitaine, dans le cadre de la préparation de l'examen du présent projet de loi de finances, l'a confirmé.
Les crédits du programme 149 « Forêt » sont quasi-stables en 2016, la légère diminution s'expliquant par la réduction de la subvention à l'Office national des forêts (ONF). Justifiée par le redressement du cours du bois, celle-ci n'est pas entièrement compensée par la réinscription au budget de la subvention au Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui n'avait pas bénéficié de dotation en 2015 et avait dû se financer sur son fonds de roulement, largement excédentaire. L'État tient ses engagements à ce niveau.
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) pour 2016-2020 de l'ONF fait l'objet d'une négociation anticipée et devrait être signé avant la fin de l'année. Selon mes informations, les objectifs de l'opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois seront revus à la baisse, ce que je ne peux que regretter ; toutefois, la nouvelle direction, que nous avons entendue, fixe des objectifs qu'elle juge réalistes et atteignables. Le nouveau COP prévoit une stabilisation des moyens en personnel de l'ONF et son retour à l'équilibre financier en cohérence avec sa dotation budgétaire. Il est urgent de tourner l'office vers une logique de résultats et d'accroître ses récoltes de bois. L'ONF doit mettre en place une véritable politique commerciale, structurée et dotée d'une expertise autonome. Ses efforts en matière d'organisation interne doivent également être poursuivis.
À la fin de l'année 2015, le CNPF, autre opérateur majeur du programme « Forêt », pourrait faire face, selon ses responsables, à des problèmes de trésorerie. Il conviendrait que le Gouvernement anticipe ces éventuelles difficultés.
Les onze dépenses fiscales rattachées au programme 149 représentent un coût total de 113 millions d'euros en 2016. Les deux mesures de fiscalité forestière fiscales les plus coûteuses sont les exonérations au titre de l'ISF et des droits de mutation à titre gratuit. D'après la Cour des Comptes, le coût strictement forestier de ces deux mesures fiscales patrimoniales serait en réalité plus proche de 20 millions d'euros. Le coût du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (Defi) devrait être de 9 millions d'euros.
Au lieu de réduire le coût global des dépenses fiscales dont bénéficie la filière, il serait pertinent de rééquilibrer progressivement les soutiens publics vers les mesures fiscales incitatives telles que le Defi ou le Compte d'investissement forestier et d'assurance (Cifa).
Le programme 206, consacré au fonctionnement de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), met en évidence l'attention que le Gouvernement porte à ce sujet. Les principales actions - moyens de la DGAL, dépenses consacrées à l'Anses et dépenses liées à la lutte contre les maladies animales - seront reconduites en 2016. Ce budget acte également la création de soixante postes de contrôleur sanitaire et phytosanitaire. En deux ans, 120 postes auront été créés, complétés en 2017 par soixante postes supplémentaires. La baisse des crédits ne reflète donc pas une exigence diminuée en matière de sécurité sanitaire.
J'ai, enfin, souhaité faire le point sur l'incidence de la tuberculose bovine dans les cheptels, qui fait peser un risque sur l'agrément de nos produits à l'exportation, ainsi que sur les moyens utilisés pour la combattre. J'attire l'attention du Gouvernement sur le financement de ces mesures nécessaires, mais qui en l'état, se ferait à enveloppe réduite par rapport à 2015.
Pour conclure, je suis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du compte spécial.
Mme Michèle André, présidente. - J'invite nos rapporteurs à présenter, dans le prolongement de ces rapports, le contrôle sur la politique agricole commune (PAC).
M. François Marc, rapporteur spécial. - J'ai conduit cette année avec Yannick Botrel et Alain Houpert un contrôle sur les relations entre le budget de l'Union européenne et le budget national à travers la PAC, en mettant l'accent sur la problématique des refus d'apurement communautaires. Ce type de contrôle commun entre rapporteurs spéciaux de plusieurs missions me semble être une expérience intéressante.
Nous avons déjà abordé la question des refus d'apurement communautaires lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2014 : le 24 juin dernier, la commission entendait Hervé Durand, directeur général adjoint de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture ainsi que Frédéric Lambert, chef du service gouvernance et gestion de la PAC du ministère. Nous avons procédé à de nombreuses auditions, avec le cabinet du ministre de l'agriculture, l'administration du ministère, les opérateurs payeurs (Agence de services et de paiement et FranceAgriMer), les syndicats agricoles (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, Confédération paysanne et Coordination rurale). À Bruxelles, nous avons rencontré le cabinet du commissaire à l'agriculture Phil Hogan, la directrice générale du budget et les services de la direction générale de l'agriculture, ainsi que les spécialistes économiques et agricoles de la représentation permanente de la France et des parlementaires européens, dont notre ancien collègue Jean Arthuis, président de la commission des budgets du Parlement européen.
Plus importante et plus ancienne des politiques communautaires, la PAC, initialement axée sur le soutien des prix, s'est orientée après 1992 sur un soutien à la production, avec des aides directes dites couplées. Depuis 2003, cette politique donne une place croissante au développement rural à travers la modulation. Elle recourt également de plus en plus à des soutiens dits découplés, appelés droits à paiement unique (DPU), évalués sur une base historique indépendamment de la production. Le bilan de santé de la PAC en 2008 a conduit à renforcer ce découplage. La nouvelle PAC 2014-2020, entrée en vigueur en 2015, remplace les DPU par une aide en trois parties : les droits au paiement de base (DPB), le paiement vert et le paiement redistributif. Ces aides relèvent du premier pilier de la PAC, qui regroupe comme auparavant les paiements directs et les mesures de soutien aux marchés agricoles. Le deuxième pilier reste consacré au développement rural, dont la programmation a été largement régionalisée. Ces deux piliers sont financés par deux fonds, qui font partie du budget général de l'Union européenne : le Fonds européen agricole de garantie (Feaga), qui finance essentiellement les mesures de soutien aux marchés, et le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
Le budget PAC 2014-2020 s'élève à environ 410 milliards d'euros, soit une diminution de 2 % par rapport à 2007-2013 : 313 milliards d'euros pour le premier pilier et 96 milliards d'euros pour le second. L'enveloppe destinée à la France pour le premier pilier devrait être de l'ordre de 54 milliards d'euros, soit un peu moins de 8 milliards d'euros par an en moyenne, en baisse de 3,7 %. Quant aux dépenses de développement rural sur notre territoire, elles devraient augmenter de 11 % pour atteindre 9,9 milliards d'euros, soit 1,42 milliard d'euros par an. En 2016, le financement communautaire atteindra 9,7 milliards d'euros, dont 7,3 milliards d'euros au titre du premier pilier et 2,4 milliards d'euros au titre du deuxième pilier : nous appliquons donc la PAC avec intelligence en maintenant le maximum d'aides couplées grâce à l'utilisation de toutes les marges permises par la réglementation européenne. En outre, les taux de cofinancements communautaires qui concernent le second pilier ont légèrement évolué : le taux de droit commun passe à 53 % au lieu de 50 %.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - Pour comprendre les refus d'apurement communautaires, il faut présenter la procédure assez complexe de paiement des aides et de mode de remboursement par l'Union européenne. En effet, les règles de gestion de la PAC confient à la Commission la gestion du Feaga et du Feader, mais en vertu du principe de gestion partagée, le paiement des aides est délégué aux États membres par l'intermédiaire d'organismes payeurs nationaux ou régionaux accrédités par la Commission, tels que FranceAgriMer ou l'Agence de services et de paiement (ASP). Ceux-ci doivent préalablement contrôler l'admissibilité des demandes d'aide, directement ou par l'intermédiaire d'organismes délégués. Les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir l'exécution efficace et correcte des opérations financées et prévenir et poursuivre toute irrégularité.
Nous utilisons pour cela le système intégré de gestion et de contrôle (SIGC), pierre angulaire du système de paiements aux agriculteurs, qui prévoit une base uniforme pour les contrôles administratifs et sur place, ainsi que pour le système informatique auquel l'administration nationale a recours. Le SIGC est mis en place dans les États membres par les organismes payeurs agréés. Il est également utilisé pour gérer les contrôles et garantir le respect des critères et des normes relevant de la conditionnalité. Il repose sur des bases de données informatisées et interconnectées.
Les dépenses effectuées par les organismes payeurs sont ensuite remboursées aux États membres par la Commission, tous les mois dans le cas du Feaga et tous les trimestres dans celui du Feader. Ces remboursements sont sujets à des corrections financières que la Commission peut apporter dans le cadre de procédures d'apurement des comptes : ce sont les refus d'apurement communautaires. Lorsque la Commission estime, à l'issue de ses contrôles, que les paiements ne sont pas conformes aux règles ou que le SIGC présente des lacunes, elle récupère auprès de l'État membre le montant qui aurait été indûment payé, calculé soit sur la base des pertes réelles, soit selon une extrapolation, soit selon des taux forfaitaires, de 2 %, 5 %, 10 %, ou 25 % des dépenses, selon la gravité des erreurs. Un organe de conciliation peut être convoqué afin de rapprocher les positions des protagonistes. In fine, la Commission européenne adopte une décision, qui peut suivre ou non le résultat de la négociation, et que l'État membre peut toujours contester devant la Cour de justice de l'Union européenne. En pratique, le ministère de l'agriculture procède au paiement par redéploiement de ses crédits ou par un abondement du programme 154 par décret d'avance ou loi de finances rectificative.
Pendant les années 1990 et 2000, le montant moyen de nos refus d'apurement représentait un peu moins de 100 millions d'euros par an. L'exercice 2011 a marqué un niveau minimal record, à 18,41 millions d'euros. En 2012 et 2013, ce montant était de 63,73 millions d'euros et 41,2 millions d'euros. Mais depuis 2013, les refus d'apurement supportés par le budget national explosent : avec 429 millions d'euros en 2014 et 871 millions d'euros en 2015. En 2016 et 2017, on table sur un minimum de 360 millions d'euros, à la suite de l'identification, début 2015, de 1,1 milliard d'euros de corrections dues pour l'année en cours et pour les deux exercices suivants. Le Gouvernement a choisi de faire porter le coût des tranches 2015 et 2016 sur l'exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017. Le ministre de l'agriculture a précisé fin 2014 que la France a réussi à éviter un niveau de refus d'apurement de près de 4 milliards d'euros. En effet, la procédure de conciliation a permis de passer de l'application d'un taux forfaitaire à un niveau de corrections plus proche des réalités. Ce milliard d'euros ne représente que 2 % du total des aides PAC reçues sur la période 2008-2013.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Ce montant élevé correspond au cumul de plusieurs années de corrections, de 2008 à 2013. La Commission européenne se serait montrée particulièrement rigoureuse, sous la pression croissante de la commission du contrôle budgétaire (Cocobu) du Parlement européen et de la Cour des comptes européenne. Les causes des corrections qui nous sont infligées sont multiples : il s'agit des aides à la surface, les photographies aériennes et leur interprétation ayant été jugées inadaptées, du calcul des DPU ou encore de la mise en oeuvre des contrôles au titre de la conditionnalité.
Le registre parcellaire graphique a été contesté ainsi que le travail de photo-interprétation visant à distinguer les surfaces non agricoles, dont les éléments de paysage, et donc à identifier les surfaces admissibles. Selon la direction générale de l'agriculture de la Commission européenne, le Gouvernement français aurait sa part de responsabilité, puisque chaque État membre définit les règles de la PAC qui s'imposent à lui, y compris dans les modalités d'attribution des droits à paiement. Ainsi, l'Allemagne a choisi de rendre éligibles les éléments paysagers avec le respect de leur maintien à l'identique. À l'inverse, notre pays a préféré utiliser un pourcentage d'éléments topographiques de 3 % ou 4 %, sans obliger au maintien individuel des éléments. Nous avons ensuite attribué des droits à paiements sans respecter la règle que nous avions fixée. Cela a d'ailleurs conduit des agriculteurs, notamment dans l'Ouest, à raser leurs haies pour prévenir le risque contentieux.
Quelles conséquences tirer de ce constat ? Le Gouvernement a mis en place deux plans d'action depuis 2013, l'un concernant les aides du Feaga, le second les aides cofinancées par le Feader afin de répondre à la Commission européenne et de faire évoluer les procédures et systèmes de gestion et de contrôle. Sur le premier pilier, il est proposé d'améliorer la qualité du registre parcellaire graphique, de réviser le calcul des droits à paiements et de réformer le système de sanction découlant des contrôles mis en oeuvre au titre de la conditionnalité. Au niveau du deuxième pilier, le ministère et les organismes payeurs ont préparé de nouvelles instructions concernant le renforcement du contrôle administratif, le contrôle du respect des marchés publics, la vérification des obligations sociales et fiscales et le contrôle du caractère raisonné des coûts. Ces plans nécessiteront des moyens supplémentaires et du temps pour leur mise en oeuvre.
Nous faisons quatre recommandations. Premièrement, simplifier les règles de la PAC, au niveau national comme au niveau européen. Il s'agit d'exiger du ministère et des opérateurs qu'ils ne rajoutent pas de la complexité par rapport aux textes européens, ce qui rejoint la question de la lutte contre la suradministration du monde agricole. Il s'agit aussi de dialoguer avec nos partenaires et avec la Commission européenne pour simplifier les règles de la PAC. Deuxièmement, simplifier les procédures de déclaration pour les agriculteurs. 90 % des bénéficiaires des aides PAC recourent à la procédure dématérialisée, dite téléPAC ; la procédure de télédéclaration dure trois heures, ce qui est encore trop long. Troisièmement, étaler les refus d'apurement : la Commission européenne ne doit pas procéder à des redressements sur cinq ou six ans, qui conduisent à des corrections très élevées. Quatrièmement, la France doit poursuivre la mise en oeuvre des plans d'action et mobiliser l'Institut géographique national (IGN) pour l'actualisation des photos et pour une expertise en matière de photo-interprétation. Il faudra répondre à des défis technologiques, comme le recours aux images satellite : le niveau d'exigence de la Commission européenne est de 50 centimètres alors que la précision de nos photos était d'1,5 mètre... Le travail est titanesque. La numérisation des éléments non agricoles, comme les mares, bosquets et rochers, représente un gros effort : l'IGN dispose d'un inventaire de 200 millions d'objets dans les terres agricoles, il s'agira d'inclure 40 millions d'objets supplémentaires au titre des éléments paysagers.
Mme Michèle André, présidente. - Merci pour la précision et la qualité de ce rapport. Nous restons sur notre faim en ce qui concerne les activités et les espaces précis qui ont fait l'objet de redressements importants, faute de réponses précises du ministère de l'agriculture.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous sommes dans la caricature administrative. C'est Courteline ! Si l'on votait les crédits de la mission, il faudrait un amendement pour supprimer autant de postes de contrôleur que possible. Ce serait rendre service aux agriculteurs. La surtranposition en matière agricole est un vrai mal français. Dans la loi Macron, une disposition autorise le suramortissement pour les coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma). Pourquoi n'a-t-elle pas été étendue aux coopératives ? Quant aux forêts, même si les ventes de bois sont meilleures, n'y a-t-il pas un risque que l'ONF cherche à faire du profit à court terme en remplaçant les feuillus par des résineux ?
M. Michel Bouvard. - Le contrôle des superficies pose problème car les systèmes géostationnaires ne tiennent pas compte de la pente, de sorte qu'il manque des hectares à l'arrivée. Nos contrôleurs semblent croire que la terre est plate partout. C'est important pour le calcul des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), dont il faut saluer la progression. J'ai une interrogation persistante sur les crédits du service de restauration des terrains en montagne (RTM), hébergé par l'ONF, mais qui dépend des crédits budgétaires de l'État. Ces crédits seront encore cette année inférieurs à ce qu'ils étaient dans la constatation de 2013-2014, malgré une légère progression par rapport aux inscriptions budgétaires de 2015, puisqu'ils s'établissent à 8,6 millions en autorisations d'engagement et à 9,6 millions en crédits de paiement. Le rapport précise qu'ils doivent servir à entretenir 392 000 hectares et 20 000 ouvrages d'art. Beaucoup de ces ouvrages ont vieilli et nécessitent des travaux importants. Il manque au moins 500 000 euros pour assurer le renouvellement et le repeuplement de certaines zones et l'entretien des ouvrages d'art. Plus grave, une partie significative de ces crédits sont inscrits au programme 180 « Prévention des risques » qui dépend du ministère de l'environnement, et les montants alloués ces trois dernières années sont divisés par deux. Alors que les phénomènes d'érosion se multiplient en montagne, les préfets et les collectivités n'ont plus les moyens de faire réaliser les expertises et les ouvrages de protection nécessaires contre les risques hydrauliques et les glissements de terrain.
M. Michel Canevet. - Yannick Botrel a tout lieu de se satisfaire de la légère baisse des crédits des programmes « Forêts » et « Sécurité sanitaire », conforme aux objectifs de réduction de la dépense globale de l'État. En revanche, je comprends qu'on ne puisse valider de telles propositions budgétaires. Les organisations agricoles s'inquiètent du peu de moyens qui leur sera dévolu pour surmonter la crise qu'elles subissent. Les plans d'urgence ne seront pour la plupart pas financés en 2015, ce qui aura des incidences en 2016 alors que le budget est déjà réduit. Les exploitants agricoles n'arrivent plus à joindre les deux bouts, et le secteur agricole a besoin de moyens pour financer ses évolutions structurelles. On a su, pour les collectivités locales, introduire dans le projet de loi de finances pour 2016 une réforme de la DGF mais on reste impuissant en ce qui concerne les activités agricoles. Notre agriculture souffre d'un manque de compétitivité. Puisqu'on ne peut fonctionner avec des prix artificiellement fixés et déconnectés du marché, il faut réduire les charges pesant sur les agriculteurs - réduction qui ne pourra se faire que sur les postes sur lesquels les pouvoirs publics ont une certaine maîtrise. Un allègement de charges s'impose. Les quelques mesures que prévoit le Gouvernement ne suffiront pas à satisfaire l'ensemble de la profession. L'agriculture reste un facteur d'aménagement du territoire très significatif dans notre pays : si le nombre d'exploitations agricoles baisse de 3 %, il continue à se créer chaque année dans le Finistère 300 emplois salariés de plus dans l'agriculture. Au vu des annonces faites en 2015, les mesures d'urgence pourront-elles être financées en 2016 ? Sera-t-il possible de baisser les charges qui pèsent sur les agriculteurs, afin qu'ils puissent équilibrer leurs comptes ?
M. Marc Laménie. - Les rapporteurs ont insisté sur la situation inquiétante du monde agricole, et notamment celle des éleveurs. Les moyens humains ont baissé. Comment cette diminution se répartit-elle entre l'administration centrale et les directions locales de l'agriculture qui ont été englobées dans les directions départementales des territoires ? La dispersion est telle que l'on n'a quasiment plus de moyens pour gérer les risques et les aléas. Des pistes sont-elles envisagées pour combler ce manque ?
M. Antoine Lefèvre. - C'est un paradoxe que les crédits de l'agriculture soient en baisse, alors que plusieurs filières sont en crise. Comment justifier la baisse de la compensation des exonérations de charges sociales pour l'embauche des travailleurs saisonniers ? En Allemagne, c'est l'inverse qui se produit. L'an passé, les crédits consacrés à l'installation des jeunes agriculteurs avaient augmenté. Pourquoi cette dotation baisse-t-elle de 6 % cette année ? La baisse des crédits alloués aux mesures environnementales et climatiques est surprenante ; idem pour l'agriculture biologique. Dans le cadre de la transition énergétique, on aurait pu s'attendre à leur maintien. Enfin, les chambres d'agriculture accompagnent l'aménagement du territoire, notamment en secteur très rural. Beaucoup n'arrivent plus à payer leurs charges, car l'État a puisé dans leurs réserves ces dernières années.
M. Didier Guillaume. - Le rapporteur général a eu raison de lier le budget de l'agriculture au budget européen : on ne peut s'en tenir au budget franco-français en matière d'agriculture. Dire que les crédits en matière agricole diminuent en 2016 n'est pas objectif. Si le budget national pour l'administration baisse de 2,8 %, celui de la PAC est à un niveau que nous n'aurions jamais pensé atteindre il y a quelques années. Si l'on cumule le budget européen et le budget agricole français sur la partie interventions agricoles, il n'y a pas de baisse des crédits. Ce matin, au petit-déjeuner organisé par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, le président de la fédération, très positif quant au budget, a surtout évoqué les normes et le plan Ecophyto 2. Quant au budget consacré au soutien à l'élevage, le Premier ministre s'est engagé à prévoir les financements nécessaires dans le projet de loi de finances rectificative.
M. Michel Canevet. - En 2015.
M. Didier Guillaume. - Oui, et nous aurons les orientations pour 2016. Je ne vois pas pourquoi le Gouvernement reviendrait sur ces engagements pris en concertation avec le syndicat majoritaire. On enregistre dans ce budget 1,7 milliard d'euros de baisse de charges : le pacte de responsabilité s'applique aussi pour les agriculteurs. Est également prévue la création de 185 postes pour l'enseignement et la recherche, essentiels pour améliorer la compétitivité de notre agriculture. Ce n'est jamais assez. Considérons cependant ce qui a augmenté. Pour avoir une activité compétitive, nous devrons changer de modèle, ce que nous ne pourrons faire qu'en développant la recherche. Si le budget consacré à l'installation des jeunes agriculteurs est en légère baisse, c'est qu'on s'est engagé sur 6 000 installations en 2016, comme en 2015 - or les crédits prévus l'an dernier n'ont pas été intégralement dépensés. Avec la multiplication des crises sanitaires, les postes de contrôleur que l'on créera aideront les éleveurs face à des maladies comme la fièvre catarrhale ovine (FCO). Dans ce genre de crise, l'Europe doit lâcher du lest. Elle ne peut se contenter de fermer un cheptel.
Sur l'amortissement des Cuma, le rapporteur général a raison. Il faudra vérifier la régularité du suramortissement pour les coopératives par rapport à leur régime fiscal. Si c'est juridiquement possible, nous serons favorables à cette extension du suramortissement.
Enfin, nous n'avons jamais eu autant de moyens pour soutenir l'export. Une plateforme a été mise en place. Elle est gérée à la fois par le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'agriculture. En réalité, il n'y a aucune baisse d'interventions dans ce budget. En revanche, on constate une baisse dans l'administration centrale. Les moyens des ex-directions départementales de l'agriculture ont fondu, car la révision générale des politiques publiques est passée par là.
M. Roger Karoutchi. - La modernisation de l'action publique aussi !
M. Didier Guillaume. - Cela pose problème dans les départements très ruraux. Quant aux chambres d'agriculture, elles sont sorties de ce budget. Le programme d'amaigrissement de trois ans qui leur était consacré a été stoppé pour prendre en compte leurs difficultés. Telles sont les raisons pour lesquelles nous devrions voter les crédits de cette mission.
M. Yvon Collin. - Yannick Botrel regrette que le contrat d'objectifs et de performances sur les forêts révise ses ambitions à la baisse. La France est un grand pays forestier, je suis surpris que nos ambitions ne soient pas à la hauteur de ce patrimoine. Suivons l'exemple de la Suède, avec sa filière Tetra Pack, très organisée. Il faudrait faire de la forêt une cause nationale.
M. Bernard Lalande. - J'ai été surpris par la démonstration de notre rapporteur sur la balance commerciale agricole, qui procède en retirant les vins et les alcools. L'agroalimentaire est notre deuxième fleuron derrière l'aéronautique et devant les produits de luxe et les cosmétique et encore devant la pharmacie. La filière vins et spiritueux a connu il y a une quinzaine d'années un problème qualitatif important qui a incité la profession à améliorer ses produits et à développer l'export.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Comme le rapporteur général, je déplore le nombre excessif de contrôleurs. Ce matin, Xavier Beulin nous le disait encore. Pour le suramortissement des Cuma, il me semble que c'est un amendement du projet de loi de finances pour 2016 qui l'autorise, pas la loi Macron. L'érosion des crédits est généralisée. Comme le dit Michel Canevet, les besoins sont pourtant très réels. Or, on constate une certaine schizophrénie entre la promesse du Gouvernement de dégager 600 millions d'euros pour les éleveurs et le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles dont la dotation augmente de 30 millions d'euros par rapport à l'an passé, ce qui est tout à fait insuffisant à l'heure où la compétitivité est notre talon d'Achille. Je rejoins Antoine Lefèvre : il est en effet paradoxal que les crédits baissent. Le budget prévoit 7,5 millions d'euros de compensation de moins sur les travailleurs occasionnels. Je suis heureux que Didier Guillaume prenne le président de la FNSEA pour un messie.
M. Didier Guillaume. - Juste pour un professionnel.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - La mission enregistre en 2016 une perte de 677 postes par rapport à 2015.
M. Didier Guillaume. - Cela devrait vous inciter à voter pour !
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - Le nombre des contrôleurs en revanche ne diminue pas. Les normes et les contrôles sont insupportables pour les agriculteurs. Faisons-leur un peu confiance, ils sont là pour travailler. Enfin, monsieur Lalande, j'ai simplement dit que notre balance commerciale agricole et agroalimentaire était négative si l'on retranche les exportations de vins et d'alcools, ce qui signifie que la part traditionnelle de nos exportations se détériore.
M. Bernard Lalande. - C'était l'inverse il y a quinze ans.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - Le budget du ministère de l'agriculture s'établit en 2016 à 4,5 milliards d'euros, en diminution de 2,8 %. Un certain nombre de transferts de dépenses s'opèrent sur le budget européen. Les crédits RTM alloués par l'État concernent la création et l'entretien d'un parc de 20 000 ouvrages de génie civil (pare-avalanches, barrage etc.). Il concerne également le génie biologique et se répartit sur pas moins de 392 000 hectares. Dans l'exécution budgétaire de 2014, nous serions à 9,5 millions d'euros en d'autorisations d'engagement et à 7 millions d'euros en crédits de paiement. En 2016, le budget prévoit une reconduction à 9 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 9, 7 millions d'euros en crédits de paiement.
Le rapporteur général a parlé de l'enrésinement d'un certain nombre de massifs. Les besoins en résineux représentent 70 % du marché. C'est une revendication des professionnels que de planter ce bois d'avenir, essentiel dans le bâtiment. À Rennes, on a construit un collège entier tout en bois. Le pôle de recherche Xylofutur devrait contribuer à développer encore davantage les possibilités de ce marché. Le Fonds forestier national a été supprimé au début des années 2000. Lorsqu'il existait, on repeuplait 50 000 hectares chaque année ; nous en sommes désormais à 5 000. Tous les professionnels déplorent cette carence.
La crise de l'agriculture est triple. La consommation de viande bovine diminue chaque année. Notre filière est de grande qualité, or 50 % de la viande est utilisée pour des steaks hachés, sans aucune exigence de qualité, de sorte que les éleveurs en viennent à brader leur viande. La fièvre catarrhale ovine aggrave la crise, même si le président de la FNSEA estime que le Gouvernement a plutôt bien géré la situation. L'Italie a bloqué ses importations, l'Espagne également, la Turquie a fermé ses frontières. Le plan d'urgence devrait faire effet progressivement. Tous les agriculteurs ne sont pas atteints de la même manière.
Les besoins doivent être identifiés ; le projet de loi de finances rectificative viendra réajuster les moyens mis à disposition pour sauver tout ce qui peut l'être. Des initiatives importantes ont été prises en matière de contributions sociales. Au-delà de la question économique, il faut agir sur la fiscalité et les charges sociales.
Le ministre n'a pas non plus ménagé sa peine sur la filière porcine, également en crise. L'accord trouvé est une réussite. Certains opérateurs en position hégémonique peuvent dicter leurs conditions : quand un abattoir qui représente 40 % des abattages nationaux ne veut pas jouer le jeu, on est vite bloqué. Un effort est fait en faveur de la modernisation des équipements dans les exploitations, qu'il s'agisse du parc des bâtiments ou des outils industriels. Les abatteurs qui disposent de l'ensemble de la filière, jusqu'à la commercialisation, sont en capacité de réaliser des investissements tels que ceux que Leclerc a réalisés à l'abattoir de Kermené dans les Côtes-d'Armor, le plus moderne au monde, dit-on. Il faudrait reconsidérer l'ensemble de la filière par segment.
Après les ponctions opérées ces dernières années, les chambres d'agriculture sont encouragées à se restructurer. Les créations de postes concernent surtout les contrôleurs sanitaires - un contrôle nécessaire et productif qui garantit la qualité de nos exportations.
Enfin, pour gérer les risques, un système assuranciel s'installe et devrait monter en puissance. Les fonds communautaires sont également sollicités, et devraient couvrir 100 % des besoins sous peu.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - En 2016, il ne restera rien du plan d'urgence pour l'élevage, sauf les 30 millions d'euros de plus pour le plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAE).
M. François Marc, rapporteur spécial. - En ce qui concerne les refus d'apurement, la France se situe dans la bonne moyenne. Bon an mal an, environ 2 % des versements émanant de l'Europe donnent lieu à des constats d'erreurs dans la plupart des pays. Cela pèse particulièrement en France vu l'importance des sommes en jeu. Quant aux responsabilités, Bruxelles nous a répondu que certaines administrations nationales avaient été plus perspicaces en ce qui concerne la transposition et l'application des règles, notamment dans le domaine paysager. La situation devrait s'améliorer.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La France surtranspose-t-elle ou non les normes environnementales européennes ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. - C'est une tradition franco-française que de rajouter des normes, de laver plus blanc que blanc. Le monde agricole n'est pas le seul à s'en plaindre. Déjà en 52 avant Jésus-Christ, l'administration gallo-romaine était très vétilleuse.
M. Didier Guillaume. - Une mission a été mise en place par le monde agricole qui rendra son rapport en février 2016. Le Gouvernement s'est engagé à revenir sur ces normes en cas de sur-transposition avérée.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - Dans le cadre de la procédure d'apurement, on nous a clairement dit que la France avait sur-transposé. Il faut se rappeler que le contrôleur lui-même est contrôlé, et ne tient pas à voir son travail invalidé.
Dans la période récente, le Gouvernement s'est montré efficace sur la restructuration des élevages hors sol. Alors qu'il y a encore un an, il fallait deux ans pour construire un bâtiment agricole dans les Côtes-d'Armor, le délai est désormais réduit à quatre mois pour les porcheries et les élevages de volailles. Jusqu'à 40 000 unités pourront bénéficier d'un régime d'enregistrement simple, ce qui contribue à réduire les délais.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission «Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales».
Elle décide de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
La commission donne acte de leur communication à MM. Yannick Botrel, Alain Houpert et François Marc, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Loi de finances pour 2016 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - CAS « Aides à l'acquisition de véhicules propres » et « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs », et budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » - Examen du rapport spécial
Enfin, la commission procède à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur spécial, sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et le compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres », du rapport de Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteur spécial, sur les programmes « Infrastructures et services de transports » et « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et le compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs », et du rapport de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial, sur le programme « Météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - En 2016, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » contribuera largement à la réduction des dépenses publiques, ses autorisations d'engagement diminuant de 8 %, et ses crédits de paiement de près de 2 %. La réduction de 671 emplois, soit 2,18 % de ses effectifs, fait de ce ministère le deuxième contributeur derrière celui de l'économie et des comptes publics. La mission fait l'objet d'un traitement budgétaire rigoureux depuis au moins quatre exercices, aussi bien en loi de finances initiale qu'en exécution, à travers des annulations très substantielles de crédits, ce qui rend la fin de gestion particulièrement complexe.
De façon plus préoccupante, les efforts demandés au ministère depuis quatre ans, sans adaptation de ses missions, font peser plusieurs risques : les services comme les opérateurs atteignent leurs limites et peinent à assurer le renouvellement des compétences humaines, ce qui compromet le niveau d'expertise qu'ils peuvent apporter dans la mise en oeuvre des politiques oeuvrant en faveur de l'environnement. En outre, la plupart d'entre eux se trouvent dans une situation de sous-investissement chronique qui les oblige à ponctionner leur fonds de roulement et fragilise leur situation financière. Enfin, l'absence de visibilité sur leurs ressources peut inhiber leur capacité à lancer des projets et des interventions. Tout cela rend la mise en oeuvre des politiques portées par le ministère de plus en plus difficile, et fait peser une incertitude sur l'atteinte des objectifs assignés par les directives européennes dans le domaine environnemental.
Certes, il ne faut pas réduire les moyens d'une politique aux crédits budgétaires et, en l'espèce, nombreuses sont les ressources extrabudgétaires : dépenses fiscales, programme d'investissements d'avenir, contribution au service public de l'électricité (CSPE), certificats d'économie d'énergie. Pour autant, le Parlement ne dispose que d'une information partielle, voire inexistante, et d'un pouvoir de contrôle des plus limités sur l'évolution, l'usage et l'efficacité de ces moyens, ce qui plaide pour un enrichissement des documents budgétaires dans ce domaine.
Au-delà, si l'on ne peut caractériser la qualité d'un budget au regard du niveau des crédits attribués, je voudrais pour ma part insister sur les nombreux défauts qui entachent la politique du Gouvernement dans le domaine écologique, énergétique et environnemental, et qui justifient selon moi le rejet des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » comme du compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres ».
Vous le savez, la fin d'année 2015 et l'année 2016 s'inscrivent dans le contexte particulier de l'organisation de la COP 21 à Paris et de la mise en oeuvre de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. Or, le budget 2016 ne paraît pas suffisamment ambitieux à cet égard. Plus grave, on ne distingue ni cohérence, ni stratégie claire de la part du Gouvernement, mais plutôt des contradictions. Je vais illustrer mon propos de quelques exemples.
Dans le domaine de l'eau et de la biodiversité, on ne peut que regretter le peu d'empressement du Gouvernement à inscrire à l'ordre du jour du Sénat l'examen en séance publique du projet de loi sur la biodiversité, alors que ce texte a été présenté en conseil des ministres en mars 2014 et examiné par l'Assemblée il y a plus de six mois ! Cela a notamment pour conséquence de retarder la création de l'Agence française de la biodiversité, un opérateur qui doit regrouper plusieurs établissements oeuvrant dans le domaine de la biodiversité terrestre et marine, et qui offre d'intéressantes perspectives de mutualisation.
De même, les agences de l'eau, dont les interventions sont déterminantes pour l'atteinte des objectifs fixés par la directive-cadre sur l'eau et la directive sur les eaux résiduaires urbaines, et dont le projet de loi sur la biodiversité élargit les missions, feront l'objet en 2016, pour la troisième année consécutive, d'un prélèvement sur leur fonds de roulement, ainsi que d'un plafonnement de leurs taxes affectées.
Dans le domaine de la transition énergétique, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cérema), jeune opérateur issu de la fusion de onze services en 2014, qui apporte à l'État et aux acteurs territoriaux un appui d'ingénierie et d'expertise sur les projets d'aménagement, voit sa montée en puissance compromise par une réduction très marquée de ses moyens. C'est regrettable parce que cet opérateur aurait certainement vocation à devenir un partenaire précieux des collectivités dans le contexte de la réforme territoriale et de la baisse des dotations.
De même, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) verra également ses moyens globalement réduits, notamment par un prélèvement de 90 millions d'euros sur son fonds de roulement, alors que ses missions augmentent dans le cadre de l'application de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. On peut ainsi s'étonner des priorités du Gouvernement : pourquoi ponctionner le fonds de roulement de l'ADEME, bras armé du ministère dans le domaine de la transition énergétique, et pas aussi, par exemple, celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), opérateur qui ne connaît pas une extension de ses missions et qui échappe par ailleurs, cette année encore, au plafonnement de ses taxes affectées ?
Dans le domaine de la lutte contre la pollution, il me paraît prématuré de réduire le montant des bonus accordés aux véhicules hybrides, alors que la vente de ce type de voitures a commencé à prendre son essor en 2015. Je relève cependant avec satisfaction que le bonus en faveur des véhicules électriques sera maintenu à son niveau actuel, ce qui paraît de nature à conforter la dynamique constatée cette année.
Enfin, dans le domaine fiscal, le projet de loi de finances pour 2016 ne comporte que très peu de dispositions en faveur de la transition écologique. Et si le Gouvernement a annoncé un ensemble de mesures dans le collectif budgétaire, je constate qu'il ne semble pas avoir de stratégie globale et cohérente, puisqu'il a fait adopter par l'Assemblée nationale, de façon isolée, une hausse du prix du diesel qui financera des mesures en faveur des ménages modestes et non pas des actions en faveur de l'environnement ou de la transition énergétique.
Quant à la réforme de la CSPE, nous attendons avec impatience les propositions de la ministre car, malgré nos demandes répétées, nous n'avons toujours pas eu accès au rapport de l'Inspection générale des finances (IGF). Et nous saurons répéter le message que nous avions porté au moment de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique.
Ces observations me conduisent à proposer de ne pas adopter les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », ni ceux du compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial - Je vais vous présenter les programmes 203 « Infrastructures et services de transports » et 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Écologie », dont je suis co-rapporteur avec Jean-François Husson et Vincent Capo-Canellas. Je vous présenterai également les crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ».
Comme les années précédentes, je regrette que le budget des infrastructures et services de transport ne bénéficie pas d'une mission à part entière alors qu'il s'agit pourtant d'un enjeu financier et socio-économique considérable pour notre pays. J'ajoute que tant d'un point de vue administratif que parlementaire, la politique publique des transports est bien distincte de la politique publique en faveur de l'écologie.
Le programme 203 dont je suis le rapporteur ne présente qu'une partie des dépenses consacrées aux transports en raison du rôle majeur joué par l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) dans le financement des grandes infrastructures.
Établissement public administratif de l'État créé en 2004 et placé sous la tutelle de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), l'AFITF est financée par des taxes qui lui sont affectées par l'État : redevance domaniale des sociétés d'autoroutes, taxe d'aménagement du territoire, une partie des amendes des radars automatiques et une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
L'AFITF reverse ensuite une partie de son budget sous forme de fonds de concours, en ayant préalablement « fléché » les sommes ainsi reversées vers des projets précis (routes, ferroviaires, fluvial, etc.). Ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, l'AFITF est un opérateur « transparent », dont les décisions engagent l'État.
Or, contrairement aux crédits budgétaires, les fonds de concours ne sont qu'évaluatifs et le Parlement ne dispose pas du budget initial de l'AFITF - qu'elle vote en décembre - au moment où il examine le projet de loi de finances
Ainsi, comme le rappelle la Cour des comptes - je la cite - « les documents de programmation budgétaire du programme 203 ne font apparaître ni la totalité des engagements annuels et pluriannuels pris par l'AFITF, ni la répartition des engagements pris par l'AFITF pour le compte de l'État et pour son propre compte. L'ampleur du recours à la technique des fonds de concours en provenance de cet établissement permet au ministère de disposer d'une masse de ressources reportables de droit et sans limite, et qui échappe, au moins directement, aux mesures de pilotage de la dépense publique en gestion ».
Si je ne plaide pas pour une suppression de l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF), je regrette que le circuit budgétaire du financement des infrastructures rende très difficile - voire impossible - de savoir quel est le montant effectivement consacré aux infrastructures en France.
J'en viens à présent à l'analyse de la situation financière de l'AFITF.
Depuis sa création, l'AFITF a engagé 33 milliards d'euros. Selon les premiers éléments qui m'ont été transmis, elle pourrait disposer, en crédits de paiement, de 1,85 milliards d'euros pour ses dépenses d'intervention en 2016.
Fin 2015, il lui restait à mandater une somme d'environ 11,85 milliards d'euros concernant à 63 % le mode de transport ferroviaire, soit un montant correspondant à plus de six exercices au regard de son budget actuel. Son équilibre financier apparaît donc pour le moins instable. Selon Philippe Duron, son président, elle aurait besoin de pouvoir décaisser environ 2,2 milliards d'euros chaque année pour faire face à ses engagements.
Comme vous vous en rappelez, mes chers collègues, l'AFITF aurait dû bénéficier des recettes de l'écotaxe. Or non seulement l'AFITF n'as pas perçu l'écotaxe, mais elle a dû payer les indemnités dues à Ecomouv' en raison de la résiliation du contrat qui liait ce consortium à l'État.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, j'avais estimé à 830 millions d'euros environ la somme totale que devrait débourser l'État suite au « fiasco » de l'écotaxe. L'« ardoise » est en réalité beaucoup plus lourde, puisqu'elle s'élèvera à 969,2 millions d'euros entièrement financés par l'État, donc par le contribuable, via l'AFITF.
Pour remplacer les recettes que l'AFITF aurait dû percevoir au titre de l'écotaxe et lui permettre de faire face aux décaissements engendrés en 2015 par la résiliation du contrat, la loi de finances pour 2015 lui avait affecté la totalité du produit d'une augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole pour les véhicules légers (2 centimes d'euros par litre) et le déremboursement d'une partie de l'exonération sur le gazole des poids lourds (4 centimes d'euros par litre), soit la somme de 1 139 millions d'euros pour l'année 2015.
Les décaissements liés à la résiliation du contrat liant l'État à Ecomouv' étant nettement moins importants en 2016 - la moitié a été payée en février dernier, et le solde sera acquitté sur dix ans -, l'article 14 du présent projet de loi de finances prévoit que l'État n'affectera l'an prochain à l'AFITF qu'une fraction du rehaussement de la TICPE, soit un montant de 715 millions d'euros. Or, de l'aveu du président de l'AFITF, l'Agence ne parviendra pas à faire face au rythme de ses paiements et aurait besoin de 400 millions d'euros supplémentaires pour 2016.
Étant donné que la situation financière de l'AFITF est très dégradée, comme je vous l'ai rappelé, j'estime pour ma part qu'il sera nécessaire de lui affecter de nouveau en 2016 l'intégralité du rehaussement de la TICPE. Je déposerai donc un amendement dans ce sens à l'article 14 du projet de loi de finances.
S'agissant du programme 203 proprement dit, les crédits sont en légère diminution.
Sur les 3,2 milliards d'euros du programme, l'essentiel de la dépense est constitué par la subvention versée à SNCF Réseau (ex-Réseau ferré de France), d'un montant de 2,5 milliards d'euros. L'entretien routier et la subvention à l'établissement public Voies navigables de France (VNF) subiront pour leur part une légère érosion par rapport à 2015.
Pour les différentes raisons que j'ai évoquées précédemment - absence de mission propre aux transports, illisibilité du budget qui leur est consacré, situation financière dégradée de l'AFITF et sous-évaluation délibérée du coût pour le citoyen du « fiasco » de l'écotaxe - je vous appellerai également à rejeter les crédits de la mission « Écologie ».
J'en viens maintenant au programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture ».
La dotation du programme en 2016 s'établit à 185,9 millions d'euros en autorisations d'engagements (AE) et 183,4 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit un recul relativement significatif de - 1,9 % pour les premières et de - 3 % pour les seconds.
34,7 % des crédits du programme, soit 64,5 millions d'euros, visent à soutenir, via des exonérations de cotisations sociales patronales, le secteur du transport maritime français, confronté à une concurrence internationale exacerbée dans le contexte de la mondialisation. Ces crédits diminueront en 2016 en raison des pertes d'emploi dans le transport de passagers, je pense aux difficultés de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) ou de MyFerryLink.
En revanche, les crédits consacrés aux missions régaliennes de sécurité et de sûreté en mer et à la formation des marins resteront stables.
J'en viens enfin au compte d'affectation spéciale (CAS) « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ».
Ce compte porte les crédits destinés à financer les trains d'équilibre du territoire (TET), c'est-à-dire une trentaine de lignes structurellement déficitaires dont l'exploitation est assurée par SNCF Mobilités sous l'autorité de l'État.
Historiquement, la SNCF assurait une péréquation interne entre ses TGV, excédentaires, et les TET, déficitaires.
Depuis 2010, l'État affecte des taxes au présent compte d'affectation spéciale afin de compenser le déficit d'exploitation de SNCF Mobilités dû aux TET ainsi que la régénération du matériel roulant.
Le déficit d'exploitation de ces lignes s'est aggravé ces dernières années, la fréquentation des TET ayant diminué de 20 % depuis 2011, notamment en raison de l'essor du covoiturage. Pour tenir compte de cette réalité, les crédits du CAS atteindront 216,2 millions d'euros en 2016, soit une hausse significative de 13,3 % par rapport à 2015.
Dans ce contexte, le secrétaire d'État chargé des transports a mis en place en novembre 2014 une commission « TET d'avenir » et lui a confié la mission d'étudier les dysfonctionnements actuels de l'offre TET afin de proposer des axes d'amélioration.
Estimant que le partage des responsabilités entre l'État et SNCF Mobilité manquait de lisibilité, cette commission a préconisé un renforcement du rôle d'autorité organisatrice de l'État.
En matière d'offre, elle a plaidé en faveur d'une consolidation des lignes à fort potentiel et d'une reprise par les TER ou des services d'autocar des lignes les moins fréquentées.
Elle a relevé la nécessité de renouveler le matériel roulant de l'ensemble des lignes TET qu'elle préconise de maintenir en soulignant que la moyenne d'âge de ce matériel était de 35 ans.
Mme Michèle André, présidente. - Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Enfin, elle a proposé d'expérimenter l'ouverture à la concurrence des lignes TET, dans un premier temps pour les lignes de nuit.
Sur la base des préconisations de cette commission, le Gouvernement a confié à un préfet, François Philizot, la mission de proposer, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, et en particulier les régions, des évolutions de l'offre et de la gouvernance des TET d'ici mai 2016. Ce n'est donc qu'à partir de cette date que seront prises les décisions difficiles relatives au maintien ou non des lignes TET les plus déficitaires.
Enfin, le Gouvernement a annoncé le renouvellement d'ici 2025 du matériel roulant sur les lignes TET structurantes, ce qui représentera au total un engagement financier de 1,5 milliard d'euros.
S'agissant de ce compte d'affectation spéciale, je vous propose que nous adoption les crédits.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Je vais vous présenter le programme 170 « Météorologie » ainsi que le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
Le programme 170 « Météorologie » porte la principale subvention de l'État à l'opérateur Météo-France pour un montant de 199,8 millions d'euros, en baisse de 4 millions d'euros par rapport à 2015.
Selon les informations qui m'ont été transmises, le budget prévisionnel de Météo-France pour l'année 2016 devrait s'élever à environ 405,6 millions d'euros, en hausse de 5 % par rapport au budget prévu pour 2015.
Cette augmentation constitue en réalité un trompe l'oeil : elle s'explique uniquement par la hausse de la subvention portée par le programme 193 destinée à financer la participation de la France au programme européen de satellites météorologiques EUMETSAT qui ne fait que « transiter » par le budget de Météo-France.
Si l'on exclut cette subvention, le budget de l'opérateur baissera en réalité de 3,8 millions d'euros en 2016.
Alors que la dotation du présent programme 170 diminuera pour la quatrième année consécutive, l'établissement public rencontre toujours autant de difficultés à lutter contre l'érosion de ses recettes commerciales, ce qui le conduit à devoir comprimer fortement ses dépenses.
Après la suppression de 85 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2015, Météo-France verra ses effectifs diminuer de 78 ETPT en 2016 - soit le non-remplacement de 8 départs sur 10, un effort de gestion considérable ! -, ce qui permettra de réduire la masse salariale de 5,5 millions d'euros par rapport à 2015.
La réorganisation du réseau territorial de Météo-France, décidée en 2008 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), visait à réduire sur la période 2012-2016 de 108 à 55 les implantations locales de l'opérateur, afin de ne conserver que les 7 directions interrégionales et seulement 48 centres météorologiques et stations spécialisées.
45 des 53 dont la fermeture avait été programmée auront été fermées d'ici la fin 2015, la fermeture des 8 restantes devant intervenir en 2016. Mesurez l'effort de dialogue qui a été réalisé !
Il faut aussi saluer la poursuite de la baisse des dépenses de fonctionnement de Météo-France, puisque le budget prévisionnel de l'établissement prévoit de réaliser 2 millions d'euros d'économies sur ce poste, soit un recul de près de 5 %.
En dépit de ces efforts, Météo-France aura recours pour la troisième fois d'affilée en 2016 à un prélèvement de l'ordre de 1,1 million d'euros sur son fonds de roulement pour combler son déficit d'exploitation.
22 millions d'euros seront consacrés en 2016 aux investissements, en particulier à la modernisation des réseaux d'observation (radars, réseaux au sol, radiosondage) et au renouvellement des équipements de stockage des données.
Lors de son audition par votre rapporteur spécial, le président-directeur général de Météo-France a mis en avant sa volonté de « rehausser la courbe de l'investissement à partir de 2017 ». En effet, l'activité de prévision devient de plus en plus intensive en capital et repose sur des technologies de calcul de plus en plus puissantes. Ainsi, le Royaume-Uni s'est récemment doté d'un supercalculateur, quinze fois plus puissant que celui actuellement en service à Météo-France, pour un montant de 120 millions d'euros.
Si Météo-France veut maintenir son rang, il sera donc contraint d'investir davantage à l'avenir.
Pour y parvenir, il lui faudra nécessairement augmenter ses ressources commerciales. Le nouveau contrat d'objectifs et de performance qui sera négocié en 2016 avec la tutelle devra mettre l'accent sur ce point.
Dans cette perspective, l'établissement public devra :
- reconquérir des parts de marché dans le secteur des services au grand public en prenant pleinement en compte l'évolution des usages (sites internet mobile, applications mobiles, applications tablettes, objets connectés, etc.), dans un contexte de forte croissance du marché publicitaire sur les supports mobiles. Le profond renouvellement du site internet en 2013 et de l'application mobile à l'été 2015 vont déjà dans ce sens et ont permis de développer l'offre commerciale en ligne, qui bénéficie d'environ un million de visites quotidiennes ;
- accroître le volume des prestations météorologiques aux professionnels, qui représentent un marché estimé à 40 millions d'euros environ pour le territoire français en 2014 (Météo-France détient actuellement 50 % de ce marché). Selon l'opérateur, 40 % des entreprises seraient en effet « météo-sensibles » (secteurs de l'agriculture, du BTP, de l'énergie, des transports ou bien encore du sport) et sont à la recherche d'information météorologiques toujours plus précises et de services réactifs et innovants.
Compte tenu des efforts réalisés par Météo-France pour réduire ses dépenses, les crédits du programme 170 « Météorologie » appellent de ma part un avis favorable. Néanmoins, compte tenu de l'avis de mes co-rapporteurs sur les autres programmes de la mission « Écologie », je voterai contre la mission dans son ensemble.
En conclusion, je voudrai vous faire part de mon indignation devant la procédure suivie par l'État pour la reconduction de Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France, dont le décret de nomination n'est intervenu que six mois après l'expiration de son premier mandat, ce qui n'a pas manqué de le déstabiliser en interne dans un contexte social déjà difficile. Il a été laissé, comme un oiseau sur la branche, en intérim durant six mois. Comment est-ce possible pour ce type de postes ?
J'en viens à présent au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », dit « BACEA », qui retrace les activités de production de biens et de prestation de services de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui concentre l'ensemble des missions de l'État dans le domaine de l'aviation civile (circulation aérienne, sécurité et sûreté du transport aérien, régulation économique et sociale du secteur, développement durable).
Comme pour tous les budgets annexes, le BACEA est présenté à l'équilibre ; ses dépenses sont financées principalement par les recettes tirées de l'activité des services et, le cas échéant, par le recours à l'emprunt. Le BACEA est donc financièrement autonome et ne perçoit aucune subvention du budget général.
Hors emprunt, les recettes du budget annexe devraient s'élever en 2016 à un peu plus de 2 milliards d'euros, en croissance de 1 % par rapport à 2015.
Il s'agit pour l'essentiel de redevances telles que les redevances de navigation aérienne et les redevances de surveillance et de certification, acquittées par les acteurs du transport aérien en rémunération des services rendus par la DGAC.
En outre, le budget annexe perçoit la taxe de l'aviation civile (TAC), due par les entreprises de transport aérien public en fonction du nombre de passagers et du fret embarqués en France, pour un montant de 393,9 millions d'euros en 2016.
Autrement dit, le budget annexe est exclusivement financé par le secteur du transport aérien. Dès lors, l'évolution du trafic et la bonne santé des compagnies française ont une influence décisive sur son équilibre financier.
Si le trafic aérien touchant la France a connu une forte croissance de 45 % entre 2003 et 2014, celle-ci a peu profité aux transporteurs français qui ont perdu d'importantes parts de marché tout au long de cette période. La part du pavillon français est ainsi passée de 54,3 % en 2003 à 44,8 % en 2014.
Les difficultés des compagnies françaises s'expliquent avant tout par la très forte concurrence des compagnies à bas coût (Easy Jet, Ryan Air) sur le segment du court et du moyen-courrier en France et en Europe et des compagnies du Golfe persique (Etihad, Qatar Airways, Emirates) sur le long courrier, en particulier à destination de l'Asie. Face à ces acteurs très agressifs commercialement et parfois subventionnés par les États, les compagnies françaises, en particulier Air France, souffrent d'un grave déficit de compétitivité.
Certes, Air France est parvenue à réduire progressivement ses pertes d'exploitation et à réaliser un résultat positif en 2014 (hors grève des pilotes en septembre 2014). En raison de la forte demande à l'été et de la baisse des prix du pétrole, le résultat de 2015 devrait marquer une nouvelle hausse. Il demeurera malgré tout insuffisant pour permettre à l'entreprise d'investir et de rembourser une dette devenue trop élevée.
De fait, les coûts unitaires d'Air France restent supérieurs, selon les activités, de 15 % à 30 % à ceux des compagnies équivalentes telles que British Airways ou Lufthansa.
Afin d'y remédier, le nouveau Plan « Perform 2020 » proposé par la direction d'Air France vise à améliorer la productivité de l'ensemble des personnels de la compagnie, afin que les coûts unitaires convergent vers ceux des concurrents. Dans cette perspective, les négociations avec les personnels navigants ont pour objet l'accroissement de 100 heures de vol par an à rémunération constante.
L'enjeu est de parvenir à une baisse des coûts unitaires, hors change et carburant, de 8,5 % en 2017 par rapport à 2014 et de rendre 80 % des lignes bénéficiaires sur le long-courrier, alors que seule la moitié d'entre elles le sont aujourd'hui. Ce retour durable à la profitabilité (l'objectif de la direction est un résultat d'exploitation de 700 millions d'euros en 2017) permettrait l'ouverture de cinq nouvelles lignes en 2017-2018.
En l'absence d'accord avec les partenaires sociaux représentant les différentes catégories de personnels, la direction d'Air France pourrait mettre en place un plan d'« attrition » qui représenterait un véritable danger pour l'avenir du fleuron du pavillon français. Fermer une ligne est facile, faire revenir la clientèle sur une ligne rouverte l'est moins !
Selon les dirigeants de l'entreprise, dont je voudrais dire ici combien j'ai trouvé la communication pour le moins maladroite, les sureffectifs entrainés par cette baisse d'activité concerneraient 2 900 postes d'ici 2017, dont 1 700 postes au sol, 900 PNC et 300 pilotes. Les départs volontaires seraient privilégiés mais le recours à des départs contraints ne serait pas exclu.
Si les mesures de 2016 semblent actées (1 000 départs volontaires, retrait de cinq avions de la flotte), celles de 2017, les plus douloureuses, peuvent encore être amendées par le dialogue social.
L'adoption de nouvelles mesures de compétitivité, à partir du plan « Perform 2020 », apparaît donc indispensable pour lutter à armes égales avec les autres compagnies et éviter un plan d'« attrition » dont les conséquences ne pourraient être, selon moi, que néfastes à long terme.
Suite aux préconisations du rapport « La compétitivité du transport aérien français » présenté l'an dernier par le groupe de travail présidé par Bruno Le Roux, les compagnies aériennes ont été exonérées du paiement de la taxe de l'aviation civile à 50 % pour les passagers en correspondance depuis le 1er avril 2015. Cette exonération sera portée à 100 % à compter du 1er janvier 2016. Elle concernera en 2016 12,6 millions de passagers et entraînera une diminution de recettes de 63,5 millions d'euros.
Si cette mesure constituera un incontestable ballon d'oxygène pour le pavillon français, elle n'est pas suffisante.
Nous devons envisager d'autres pistes et notamment une affectation à 100 % de la taxe sur l'aviation civile au BACEA afin que l'argent prélevé sur le secteur aérien serve uniquement à améliorer sa compétitivité ; un élargissement de l'assiette de la taxe de solidarité qui repose exclusivement sur nos compagnies aériennes - même si ce sujet, sensible politiquement, a peu de chances d'aboutir ; un allègement des cotisations sociales du personnel navigant, sur le modèle du régime shipping qui soutient l'emploi dans le secteur de la navigation maritime. Une telle mesure, intéressante dans son principe, n'est pas encore mûre techniquement et nécessiterait des négociations au niveau européen ; un financement par l'État des investissements de sûreté dans les aéroports qui reposent actuellement sur les transporteurs via la taxe aéroportuaire. Selon moi, l'affectation à 100 % de la taxe sur l'aviation civile au BACEA et le financement par l'État des investissements de sûreté des aéroports sont probablement les hypothèses que nous devrions le plus sérieusement étudier.
J'en reviens à la présentation du BACEA stricto sensu.
Les dépenses relatives à la masse salariale et au fonctionnement courant du budget annexe connaîtront une diminution en 2016. Cette année, les économies sur les dépenses de personnel, dont les différents statuts demeurent très favorables, sont plus sensibles, même s'il est sans doute possible d'aller plus loin.
Pour l'année 2016, la DGAC devra consentir une légère réduction de 1,9 % de son effort d'investissement, puisque celui-ci passera à 252,6 millions d'euros. En dépit de ce recul, la hausse très forte des investissements consentis ces dernières années permettra d'assurer le respect des engagements européens de la France dans le cadre du volet technologique du Ciel unique européen.
Alors que la dette du BACEA avait continuellement augmenté entre 2007 et 2014, l'assainissement financier en cours permettra, pour la deuxième année consécutive, de réduire le niveau d'endettement du BACEA.
Après avoir été diminué de 57,2 millions d'euros en 2015, celui-ci connaîtra une nouvelle baisse de 107 millions d'euros en 2016 (- 8,7 %) pour s'établir à 1 117,2 millions d'euros à la fin de l'année. Le BACEA aura ainsi réduit l'encours de sa dette de près de 13 % en deux ans.
En conclusion, je souhaite que la commission propose au Sénat d'adopter les crédits du budget annexe.
M. Michel Bouvard. - Les 142 millions d'euros pour le rachat des équipements d'Ecomouv' comprennent-ils les badges acquis par les sociétés d'autoroutes ? Je partage vos conclusions sur l'AFITF, il faut maintenir l'outil, mais simplifier les circuits financiers.
Je veux bien me féliciter des efforts de rationalisation de Météo-France ; cependant, réduire à 48 les centres météorologiques et stations spécialisées pose une question de distorsion de concurrence. Dans une zone de montagne où la météo est plus complexe, la suppression de la plateforme météo de l'aéroport de Chambéry - qui compte 250 000 passagers et nécessite une habilitation spécifique des pilotes - aboutira au détournement d'une partie du trafic sur Lyon, aéroport qui a des difficultés financières au détriment de celui de Chambéry qui dégage des excédents et se porte à merveille. Où est la neutralité du ministère de tutelle ?
M. Claude Raynal. - Ces trois rapports sont très denses. Je partage les interrogations sur la météo et l'exploitation aérienne, même s'il est difficile de trouver des solutions pour Air France.
D'un côté, le rapporteur général nous disait ce matin que le Gouvernement prévoit des hausses de dépenses et la création de postes supplémentaires dans des domaines faisant l'objet d'un consensus, comme les dépenses militaires, qu'il faut bien compenser par des réductions de postes dans d'autres secteurs. De l'autre, Jean-François Husson nous dit dans son rapport que la réduction des moyens budgétaires depuis quatre ans commence à soulever des difficultés réelles dans la mise en oeuvre des politiques et qu'elle fait peser le risque d'une perte de compétence et d'expertise technique. On peut d'ailleurs partager cette appréciation, mais elle ne va pas dans le sens des préconisations du rapporteur général visant à réduire les effectifs sur certaines missions pour compenser la création de postes sur d'autres. Je pointe cette contradiction. De même, Marie-Hélène des Esgaulx propose de rajouter 400 millions d'euros de crédits pour l'AFITF ! Il faut une cohérence entre une position politique générale et la demande dans chaque rapport d'augmenter les dépenses et le personnel.
M. Daniel Raoul. - Sur le bonus, si je ne suis pas en désaccord avec l'idée de réduire les aides en faveur des véhicules hybrides, il me paraîtrait pertinent d'opérer une distinction au profit des véhicules fonctionnant à l'hydrogène, en ce qui concerne les aides accordées aux véhicules électriques, afin de donner un coup de pouce à la filière de la pile à combustible.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le bonus-malus est-il déséquilibré, et si oui, de combien ?
S'agissant de la hausse de deux centimes sur le gazole au profit de l'AFITF, à combien s'est élevé le produit en année pleine ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - La hausse est de 2 centimes sur le gazole pour les véhicules légers et de 4 centimes pour les poids lourds, pour un montant de 1,139 milliards d'euros.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - ...qui abondent le budget général...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Le rehaussement de la TICPE et son affectation à l'AFITF a été décidé l'année dernière, en compensation de la suppression de l'écotaxe. Selon Philippe Duron, l'AFITF aurait besoin de 2,2 milliards d'euros en 2016 contre 1,8 milliard actuellement prévu, et encore, ce chiffre ne comprend pas des infrastructures comme le tunnel Lyon-Turin ou le canal Seine-Nord-Europe - sinon le montant serait de 2,7 ou 2,8 milliards d'euros ! Ce sont des centimes pris aux Français. Je ne demande pas de réaffecter une somme mais de respecter les règles : la recette a été décidée l'année dernière, laissons-là aux infrastructures de transports, comme Philippe Duron nous le demande. A vrai dire, il sera même probablement nécessaire à l'avenir de prévoir une augmentation de 2 centimes du gazole pour assurer le financement de l'agence.
Mme Fabienne Keller. - Merci pour cette analyse et ces conclusions claires, qui montrent les déséquilibres dans le financement de nos infrastructures de transports. Comme l'écotaxe, les centimes sur le gazole sont réaffectés, dès la deuxième année, au budget général. Je suis également inquiète de l'avenir de notre réseau ferré : alors que la ligne Tours-Bordeaux n'est toujours pas achevée, on finance des infrastructures sans avoir les voyageurs correspondants. Merci d'avoir relevé les incohérences entre les choix budgétaires et les perspectives stratégiques de long terme, et d'avoir souligné l'incohérence du signal-prix envoyé par le Gouvernement sur les véhicules propres : il baisse le bonus sur les véhicules hybrides accessibles à un prix abordable, et dont les ventes décollaient à peine, tout en maintenant constant le bonus en faveur des véhicules électriques qui demeurent, pour l'heure, beaucoup trop chers. En outre, comme l'argent, l'électricité n'a pas d'odeur, et l'on ne sait si elle est produite par des énergies renouvelables ou par le nucléaire. En tous les cas, la solution n'est pas dans le tout-électrique.
Enfin, en sait-on un peu plus sur la réforme de la CSPE annoncée dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année ? Cela pose la question d'une taxe qui finance les énergies renouvelables mais qui pèse seulement sur le consommateur final d'électricité.
M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Claude Raynal, vous pointez toute la richesse de la langue française et des points de vue, mais il n'y a aucun désaccord entre les propos du rapporteur général tenus ce matin et les miens, pour une raison simple. La réduction des crédits et des effectifs constatée depuis quatre ans consécutifs n'est pas la même chose que la réduction des moyens sur un seul exercice, et n'entraîne pas les mêmes conséquences. Pour avoir entendu les représentants de l'administration et des opérateurs, je peux vous assurer que la situation est très tendue : ainsi, par exemple, le Cérema regroupe onze services d'administration, avec de vraies difficultés, aujourd'hui, pour conserver la cohésion sociale et surtout les compétences. Je partage tout à fait les interrogations de Daniel Raoul sur les véhicules électriques, mais les bonus sont fixés par décret et relèvent donc du pouvoir réglementaire.
L'exécution 2015 du compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres » devrait être en équilibre, voire en léger excédent. Pour l'année 2016, les prévisions de recettes et de dépenses sont fixées à 266 millions d'euros.
Sur la CSPE, en dépit des nombreuses demandes d'information adressées au Gouvernement, nous en avons plus appris en lisant la presse : les multiples promesses qui nous ont été faites depuis janvier par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'ont pas encore été suivies d'effets. Nous estimons par ailleurs que l'extension de l'assiette qui est envisagée relève d'une nouvelle taxe insidieuse. Vous pouvez en tout cas compter sur ma vigilance sur ce sujet.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Les 142 millions d'euros dont parle Michel Bouvard correspondent au rachat des équipements embarqués aux sociétés de télépéage. Certains recours gracieux n'ont pas été encore tranchés, mais ils portent sur des sommes minimes.
Madame Keller, l'AFITF doit à la SNCF quelque 700 millions et, pour les deux-tiers, cette somme correspond au financement de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Je m'inquiète de la dette de SNCF Réseau : les recettes commerciales ne couvrent que le petit équilibre et l'autofinancement seulement les intérêts d'une dette de 37 milliards d'euros. L'AFITF, que défendent des collègues des commissions des affaires économiques et du développement durable, nous gêne pour avoir une appréciation globale de la situation des transports terrestres dans notre pays. Si nous en disposions, nous serions unanimes pour dire qu'il faut agir rapidement.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Michel Bouvard s'inquiète à juste titre de l'effort de rationalisation à Météo-France. Les implantations locales passent de 108 à 55. Je suis désolé que le centre de Chambéry soit touché. Nous pouvons nous réjouir de cet effort drastique en termes budgétaires, tout en constant ses effets sur le maillage territorial. Le nombre d'ETPT est réduit mais, à terme, les investissements et les recettes commerciales devraient se maintenir, voire augmenter. Je ne crois pas que le Gouvernement veuille orienter le trafic vers un aéroport plutôt qu'un autre ; en revanche, la France a plus d'aéroports que la moyenne européenne. Je suis prêt à interroger la direction générale de la sécurité civile sur ce point particulier car je comprends la préoccupation de Michel Bouvard.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
Elle décide de proposer au Sénat, d'adopter sans modification les crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
Elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres ».
Elle décide enfin de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits du compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ».
La réunion est levée à 17 h 37.
Jeudi 5 novembre 2015
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -La réunion est ouverte à 10 h 17.
Loi de finances pour 2016 - Mission « défense » - Examen du rapport spécial
La commission procède à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense ».
Mme Michèle André, présidente. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de Dominique de Legge, rapporteur spécial sur la mission « Défense ».
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - La loi de programmation militaire initiale prévoyait pour 2015 des crédits budgétaires de 29,6 milliards d'euros et des recettes exceptionnelles de 1,77 milliard d'euros pour un total de 31,4 milliards d'euros. La loi de finances pour 2015 a ramené les crédits à 29 milliards d'euros et porté les recettes exceptionnelles à 2,4 milliards d'euros, l'équilibre étant maintenu, à 31,4 milliards d'euros. Nous avions toutefois émis des réserves et voté contre car ces ressources n'étaient pas assurées.
La loi de programmation militaire 2016 corrige substantiellement les imperfections remarquées l'an dernier. Les recettes exceptionnelles reviennent à 250 millions d'euros correspondant à des cessions de biens immobiliers et de matériel militaire. Cette somme nous paraît réaliste. Toutefois, l'Assemblée nationale a supprimé une disposition votée dans la loi de programmation militaire après consensus en commission mixte paritaire, qui limite l'abattement « Duflot » sur les ventes immobilières du ministère de la défense, afin de sécuriser ses ressources. Je souhaite que soit rétabli ce dispositif de sauvegarde pour des raisons budgétaires et politiques : il n'est pas correct de fragiliser au détour d'une loi de finances ce qui avait été consolidé d'un commun accord en commission mixte paritaire. Je crois que le rapporteur général proposera un amendement en ce sens lorsque nous examinerons la première partie du projet de loi de finances pour 2016.
Les crédits budgétaires passent de 29 milliards à 31,73 milliards d'euros. Le budget, fortement consolidé, augmente de 600 millions d'euros par rapport à la programmation initiale, dont 400 millions d'euros de dépenses de personnel et 200 millions d'euros de dépenses d'équipement, d'acquisition et de maintien en condition opérationnelle. La programmation actualisée a engendré une stabilité des effectifs en 2015 et la création de 2 300 postes en 2016. L'effectif du ministère de la défense, en 2016, sera supérieur de 17 197 équivalents temps plein (ETP) à ce que prévoyait la loi de programmation militaire initiale. L'essentiel des postes préservés ou créés sont affectés la force opérationnelle terrestre (FOT), le reste renforçant nos moyens de renseignement, de cyber défense ou la protection de nos bases navales.
Ce budget, que je vous proposerai en conclusion d'adopter, appelle notre vigilance. En premier lieu, le ministère fait face à d'importants besoins immobiliers en raison du relèvement des effectifs de la FOT et de son rôle accru dans la protection du territoire et de la remise à niveau de la protection des sites de munitions. Le vol d'explosifs à Miramas en juillet 2015 est révélateur d'une insuffisance. Les crédits de paiements concernés s'établissent à 1,2 milliard d'euros, les besoins étant estimés par le ministère à 1,4 milliard d'euros.
J'ai été interpellé par Hervé Marseille et Michel Bouvard sur l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera), qui a connu des défaillances et des difficultés de gestion. Le ministère, qui en prend actuellement la mesure, annonce un plan pour la fin de l'année répondant aux interrogations sur le devenir des implantations immobilières dans les Hauts-de-Seine et le devenir de la soufflerie S1 de Modane chère à Michel Bouvard. Il est urgent de régler les problèmes de l'Onera, partenaire indispensable du ministère de la défense.
Les opérations intérieures ne sont pas formellement financées. Jusqu'à présent, leur poids était limité, mais le surcoût de l'opération Sentinelle s'élève à 194 millions d'euros, dont 80 millions de dépenses de titre 2. Pour une dépense 2016 du même ordre, le financement prévu n'est que de 26 millions d'euros - contre 11 millions inscrits en 2015. Si la prise en compte est meilleure, elle reste insuffisante. Les sommes engagées pour le financement des opérations intérieures ne sont plus disponibles pour d'autres besoins.
Le coût des opérations extérieures (Opex) a été de 1,12 milliard d'euros en 2014, pour une provision de 450 millions d'euros. En 2015, il est d'un montant identique, et l'on peut penser que cela sera encore le cas l'an prochain. Or le budget 2016 maintient la provision Opex à 450 millions d'euros et ne prévoit pas de financement des 670 millions d'euros de probable dépassement. Nous engageons nos troupes à l'étranger sans en budgéter la dépense. Peut-on encore parler de sanctuarisation des crédits dès lors que le ministère de la défense participe à hauteur de 400 millions d'euros à la solidarité interministérielle, dont 100 millions d'euros sont liés au dépassement Opex ? En outre, la Cour des comptes elle-même reconnaît que le ministère de la défense contribue à cette solidarité bien au-delà de son poids dans le budget. Le surcoût annoncé par la Cour des comptes est de 79 millions d'euros. Je me propose, madame la Présidente, d'étudier de plus près les dépassements des Opex et la participation respective de chacun des ministères.
Si les problèmes de Louvois sont en cours de résolution, ses surcoûts ne sont pas budgétés. Ils se sont élevés à 130 millions d'euros en 2014, pris en charge par le ministère de la défense au titre de son auto-assurance. Ils devraient être de 20 à 30 millions d'euros en 2015 et disparaître en 2016. Le système de remplacement, Source Solde, sera mis en place progressivement à partir de 2017. Le montant maximal du marché, 128 millions d'euros sur dix ans, n'est pas pris en compte dans la programmation.
Je note avec satisfaction l'évolution du budget par rapport à 2015. Néanmoins, cette amélioration ne sera réelle que si la fin de gestion de 2015 est respectée : levée de la réserve de précaution de 1,4 milliard d'euros sur la mission « Défense » (programme 146) après la levée totale de celle de 614,9 millions d'euros en août 2015 ; financement des dépenses non budgétées en 2015 estimées à 950 millions d'euros par l'état-major des armées ; compensation effective du coût net pour le programme 146 du versement à la Russie des indemnités liées à l'annulation de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement pour 56,7 millions d'euros ; financement du dépassement de la provision pour les opérations extérieures ; modalités de financement des surcoûts liés à l'opération Sentinelle ; surtout, substitution de crédits budgétaires aux recettes exceptionnelles, (2,2 milliards d'euros). Si la clôture de l'année 2015 n'est pas conforme aux engagements pris lors du vote de la loi actualisant la programmation militaire, le report de charge explosera et tous les effets positifs de ce budget seront annulés.
Je préconise l'adoption de cette mission, sous réserve de la conformité de la clôture 2015 aux engagements pris par le Gouvernement, et de la correction de l'erreur de l'Assemblée nationale en maintenant le plafonnement de la décote « Duflot ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On ne peut qu'être satisfait que ce budget soit proche de la révision de la loi de programmation militaire. Pouvez-vous me confirmer le coût exact de l'opération Sentinelle ? Est-elle pleinement financée ?
Les bâtiments de la défense à Balard sont inaugurés aujourd'hui. J'avais compris qu'ils étaient financés par des cessions immobilières. Les recettes de cession des bâtiments de la place de la Concorde et de l'îlot Saint-Germain sont-elles intégrées ? Par exception à la règle générale, le ministère de la défense perçoit le produit des cessions immobilières. Si le principe de la décote, qui peut aller jusqu'à 100 %, devait s'appliquer, le ministère de la défense serait privé de ses recettes. Comment les compenserait-on si la Ville de Paris souhaitait bénéficier de cette décote pour aménager des logements sociaux ? Les enjeux sont considérables, étant donné le prix du mètre carré sur le boulevard Saint-Germain.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - Je travaille sur le programme 178 avec Michelle Demessine. J'ai présenté mon rapport hier. Les crédits du maintien en condition opérationnelle (MCO) progressent de 1,47 % en crédits de paiement par rapport à 2015 et surtout de près de 3 % en autorisations d'engagement, ce qui est conforme à l'actualisation de la LPM. Néanmoins, se posent les questions de l'externalisation, du coût réel du MCO en opération extérieure, et de l'articulation entre le soutien à l'exportation (Soutex) et le financement du MCO.
La qualité de l'entretien programmé du matériel, notamment hors de France, pose des questions de délai. La projection sur des théâtres d'opération des personnels chargés de l'entretien programmé du matériel non militaire n'est pas évidente. Nous conseillons de garder en interne les compétences d'entretien des équipements dont la durée de vie est souvent plus longue que prévue par le modèle industriel.
Le coût en ressources humaines et en matériel des opérations extérieures est sous-évalué. En ce qui concerne le MCO, on évalue le déficit à 20 % à 25 %. Par exemple, 1 heure de vol, qui devrait se traduire par 12 heures de maintenance, en nécessite en réalité 25 heures ; l'engagement de trois avions de combat mobilise 5 moteurs dans les circuits logistiques. S'y ajoutent la suractivité et la surintensité. La France est présente dans 39 pays.
Nous devons être très attentifs au retour attendu des opérations Soutex. L'exportation de nos armements est une condition sine qua non pour maintenir la production du Rafale, par exemple. Les trois armées contribuent à la réussite de ces exportations. Le montant des commandes annuelles d'armement français est passé de 5,1 milliards d'euros en 2010 à 6,9 milliards en 2013, 8,2 milliards en 2014 et 15 milliards en 2015. Le décret de 1983 organisant le Soutex prévoit que les industriels remboursent la participation des militaires, minorée des dépenses courantes. Or le remboursement ne comprend pas les frais supplémentaires de maintien en condition opérationnelle de matériels vieillissants utilisés plus longtemps pour que les industriels puissent prendre à nos armées les frégates ou Rafales prévus afin de les vendre. Notre commission a décidé d'étudier plus profondément ce dossier sur lequel je vais demander un rapport au ministre de la défense. Une plus grande partie des 15 milliards d'euros de rentrées financières d'armement devrait revenir au ministère de la défense. La direction générale de l'armement (DGA) et les industriels doivent s'y attacher.
M. Michel Bouvard. - Je remercie le rapporteur spécial de son attention envers l'Onera. Nous affrontons des problèmes de méthodologie. Depuis la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances, les opérations extérieures sont sous-évaluées. Je me souviens de réponses très vertes de Michèle Alliot-Marie. Le problème demeure. Le montant des Opex n'a pas été inférieur à 800 millions d'euros depuis des années. Or l'on ne parvient pas à inscrire au moins la moyenne des années précédentes. L'astuce budgétaire consiste à faire contribuer les ministères en cours d'année, avec les contradictions évoquées par le rapporteur spécial, sur les gels de crédits. Le temps d'une opération vérité est venu.
En matière d'immobilier, nous en sommes à la dérogation de la dérogation. Le ministère de la défense, qui bénéficie d'une dérogation l'autorisant à garder la totalité du produit des cessions, se retrouve victime de la dérogation « Duflot ». Cette situation baroque est illisible. La politique immobilière de l'État doit être remise à plat.
Quand les opérateurs reçoivent des crédits de plusieurs ministères, sans la vigilance du rapporteur spécial, les crédits peuvent être stabilisés dans un ministère et disparaître dans un autre. L'Onera ne reçoit plus, depuis des années, de crédits de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), ramenés de 24 millions d'euros en 2010, à 300 000 euros en 2014. Quant aux 3,7 millions d'euros apportés ordinairement sur le fonctionnement de l'Onera, ils ont été supprimés en 2011. Si une petite évolution est intervenue, nous avons du mal à consolider l'engagement de l'État vis-à-vis des opérateurs. La situation de l'Onera est urgente. Je déposerai un amendement de redéploiement de crédits. Outre la renégociation du contrat d'objectifs et de performance, nous devons affronter l'affaissement de la soufflerie S1 à Modane, la plus performante dans le monde. Elle nécessite 20 millions d'euros de travaux, pour une valeur de reconstruction de 700 millions d'euros. Elle est issue de la récupération d'équipements de Von Braun en Allemagne en 1945. Unique au monde, elle est indispensable à la recherche aéronautique. L'affaissement se poursuit, et les problèmes géologiques vont parfois plus vite que les décisions ministérielles.
M. André Gattolin. - Je suis étonné par les propos du rapporteur, selon lesquels l'Onera a été victime de difficultés de gestion. Ce sont plutôt des problèmes de programmation : la DGAC ne contribue plus au budget de l'Onera. Les projets envisagés sur le site de Châtillon, dans les Hauts-de-Seine, ont été abandonnés au profit du plateau de Saclay - j'ai quelques doutes sur ces grands pôles... Les déménagements ont un coût, tout comme le glissement de terrain de Modane, dû au pergélisol. Ce type de problème risque de se multiplier en raison du dérèglement climatique, qui pèse sur nos infrastructures.
M. Michel Bouvard. - Le phénomène a démarré en 1948.
M. André Gattolin. - Il s'accentue. Des études récentes montrent que le réchauffement climatique est 2 à 2,5 fois plus important dans les Alpes que sur le reste de la planète. Je ne comprends pas le désengagement de la DGAC.
M. Philippe Dallier. - Je me félicite que le rapporteur spécial puisse nous proposer cette année de voter le budget, malgré des inquiétudes. L'on nous fait une mauvaise manière sur l'îlot Saint-Germain. Voilà une opération à étudier de près. Le souhait d'y installer des logements sociaux est une opération de communication politique de la Ville de Paris. Alors qu'il n'y a plus de crédits budgétaires pour les aides à la pierre, que les banlieues sont délaissées, des aides indirectes sont attribuées pour des raisons politiques. C'est à la limite de l'acceptable.
Un loyer sera payé tous les ans pour le site de Balard, réalisé en partenariat public-privé. J'ai lu dans un hebdomadaire que pour installer une prise de fax, l'opérateur avait présenté un devis de 12 300 euros. C'est inquiétant. L'enveloppe conséquente est-elle prévue pour les adaptations en tous genres ? Des déboires sont-ils à prévoir ?
M. Marc Laménie. - Je salue le travail du rapporteur. Ce budget, qui représente une masse financière importante, est marqué par la volonté de recrutements complémentaires. La Journée défense et citoyenneté, qui suscitera des vocations, requiert des moyens. Peut-elle être quantifiée financièrement ? Certains jeunes recrutés par la défense arrêtent au bout de cinq ans. Il faut alors recommencer à zéro la formation de nouvelles recrues. Combien cela coûte-t-il ? Des sites militaires ont fermé, y compris dans de petites communes. Les engagements des contrats de site pour les reconversions ont-ils été évalués ?
M. Jacques Chiron. - L'Onera ne bénéficie pas des investissements d'avenir, car il travaille beaucoup en sous-traitance. S'il y avait accès, il aurait ses propres forces de financement.
M. Roger Karoutchi. - Je partage pleinement les propos de Philippe Dallier sur l'îlot Saint-Germain et sur Balard. Cette aberration se terminera par des surcoûts tellement considérables qu'on se demandera comment on a pu engager toute cette opération.
L'armée mène des missions de protection des écoles, des centres communautaires et des édifices religieux. Pendant quatre à cinq mois, ils étaient surveillés jour et nuit. Depuis septembre, à Paris et dans les Hauts-de-Seine, la surveillance est aléatoire, quelques heures par jour lors des offices ou des entrées et sorties des élèves. Je comprends que cette opération pose des problèmes financiers lourds. Évalue-t-on la réduction de la surveillance de ces établissements ? Est-elle liée à un problème de personnel ou de coûts ? La surveillance aléatoire - dont on ne comprend pas comment elle est déterminée - a-t-elle un sens ? Je ne suis pas convaincu qu'elle représente la bonne solution.
M. Maurice Vincent. - Je remercie le rapporteur spécial de sa clarté. Chacun reconnaît que le Gouvernement et le Président de la République ont pris des mesures se traduisant par l'augmentation des crédits et la moindre décroissance des effectifs. Ces efforts sont indispensables dans le contexte actuel.
Le remplacement des recettes exceptionnelles par des ressources pérennes est extrêmement important, même si le succès incontestable de la vente des Rafale a des conséquences indirectes sur les crédits du ministère. La conclusion de l'affaire des Mistral est optimale compte tenu des circonstances géopolitiques et économiques : difficile de faire mieux que la perte d'environ 56 millions d'euros. Je me félicite de notre convergence pour adopter ces crédits.
Combien l'opération Balard coûte-t-elle ? Quelle est le coût annuel du partenariat public-privé pesant sur le budget de la défense pendant trente ans ?
M. Antoine Lefèvre. - Merci au rapporteur spécial qui nous sensibilise toujours fortement aux besoins et tensions financières de la défense. À quel niveau soutient-on le Rafale à l'exportation ? Je regrette l'abandon du fusil d'assaut Famas, ainsi que l'incapacité de nos industriels à répondre à l'appel d'offres de 205 millions d'euros, pour lequel cinq fournisseurs européens sont encore en lice. Il est dommage qu'aucun ne soit français.
M. Éric Doligé. - Je regrette le temps que prend la vente de terrains. Les casernes sont squattées ou se dégradent. Est-il prévu d'installer les bureaux du ministre à l'hôtel de Brienne dans l'îlot Saint-Germain ? J'ai lu que le ministre aurait des bureaux à Brienne et à Balard. Est-ce utile qu'il en ait deux ? J'ai entendu les propos de Philippe Dallier sur le partenariat public-privé de Balard. Les montants annoncés seraient anormaux ; il est fort probable qu'ils recouvrent autre chose. Il serait bon d'approfondir le sujet sans laisser se répandre des informations trop négatives.
M. Claude Raynal. - Le rapport rappelle les équilibres, en dépit des quelques difficultés qui perdurent ; il montre surtout que les ressources sont accrues et mieux sécurisées. Les recettes exceptionnelles ont quasiment disparu ou leur montant n'est plus mis en cause. Le calendrier des livraisons de matériel est conforme à la programmation.
Comment alors ne pas revenir sur la polémique de l'an dernier sur les deux milliards d'euros de recette exceptionnelle sur les fréquences ? La violente dénonciation de l'insincérité du budget n'avait pas lieu d'être. Elle a pourtant suscité un échange de lettres entre le Président du Sénat et le chef de l'État, puis malgré un engagement du Président de la République, le refus, contraire à tous les usages du Sénat, de voter ces crédits. Que cela nous serve de leçon : évitons des polémiques stériles, concentrons-nous sur l'essentiel.
M. Vincent Capo-Canellas. - Les relations entre la DGAC et l'Onera se sont récemment améliorées. Tant pour l'Onera que pour la DGAC, l'ensemble des crédits de recherche en aviation sont en baisse. Il est beaucoup fait appel au PIA, qui n'est pas pérenne. L'Onera est la victime collatérale de ce manque de visibilité à moyen et long termes.
M. Philippe Dominati. - Quels sont la durée de la mission Sentinelle, les temps de travail et les primes éventuelles ? En matière de sécurité intérieure, les gendarmes et les policiers sont astreints à des missions d'exception. Sentinelle vient en complément sur le territoire national, pour assurer des gardes statiques. Est-ce normal, usuel ? J'ai cru comprendre que cette mission pouvait se prolonger au-delà de 2017. Le coût des primes est-il pris en compte au ministère de la défense ?
Je ne suis pas partisan d'un régime dérogatoire défavorable à la capitale. Les rapporteurs ont pu comprendre les difficultés de la jeune municipalité parisienne face aux administrations de l'État ou aux entreprises publiques, telles que la SNCF, pour déplacer des institutions. La loi est absurde, j'en conviens. Il serait incohérent de profiter sur l'îlot Saint-Germain de l'effet d'aubaine du dispositif. L'État se prend les pieds dans le tapis ? Il retiendra la leçon... Il appartient aux ministères de la défense, des affaires étrangères, de l'intérieur, de la justice, d'être prudents dans leur dialogue sur les réserves foncières avec la Ville de Paris. Quitte à voir l'arroseur arrosé, je ne suis donc pas enclin à une dérogation à la dérogation.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le coût de l'opération Sentinelle est de 194 millions d'euros cette année. Le financement prévu dans le budget 2016 est de 26 millions d'euros. Le surcoût de Sentinelle sera-t-il traité selon le régime des Opex ? Je n'ai pas la réponse. Sans mobilisation de crédits supplémentaires, le budget 2016 supportera environ 160 millions d'euros de surcoût. La philosophie de l'opération pose un problème de fond : si l'on peut comprendre une réponse politique à une émotion forte, afin de rassurer nos compatriotes, la mobilisation de 10 000 personnes en garde statique sur l'ensemble du territoire est-elle la bonne solution technique ? Ce type de garde est traditionnellement plutôt du ressort de la gendarmerie et de la police. Indépendamment du statut, nous avons besoin de renforcer nos moyens de sécurité. En effet, Roger Karoutchi, compte tenu de la demande formulée et du nombre de points sensibles, nous sommes passés à une logique de présence aléatoire.
M. Philippe Dominati. - Y a-t-il des primes ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Bien évidemment, il y a un surcoût. Quant aux horaires, je rappelle que les militaires n'ont pas le même statut que la police.
Le coût du partenariat public-privé de Balard est de 150 millions d'euros par an pendant 26 ans, financé, selon la réponse du ministère, par le redéploiement de crédits de fonctionnement et d'investissement correspondant aux emprises actuelles, par les économies dégagées en regroupant des services, ainsi que par la compensation du surcoût de la TVA sur les prestations externalisées.
Je n'ai pas de doctrine toute faite sur les logements sociaux à Paris ou sur la décote « Duflot », mais je sais qu'on ne vend pas deux fois la même recette. Soit les recettes exceptionnelles du ministère de la défense sont certaines, et il n'y a pas de préemption pour financer autre chose, soit on favorise le logement social en trouvant d'autres recettes pour le ministère de la défense. Ma préconisation, puisqu'un accord a été trouvé il y a six mois dans la loi de programmation militaire et qu'aucun élément nouveau n'est susceptible de modifier notre attitude, est de rétablir par amendement la rédaction votée à l'unanimité en commission mixte paritaire. Par ailleurs, je n'ai pas d'information nouvelle sur l'avenir de l'hôtel de la Marine, qui ne fait pas partie du programme de cessions du ministère de la défense.
Yves Pozzo di Borgo, j'ai publié un rapport l'an dernier sur les externalisations en Opex. Sont-elles subies ou voulues ? Si elles sont voulues car plus performantes, plus adaptées, apportant plus de moyens, j'applaudis. Si elles sont subies, la logique est différente. Les militaires disent que l'armée doit conserver un savoir-faire pour pouvoir intervenir dans des conditions totalement dégradées, sur un théâtre d'opérations à l'étranger.
La classique question du MCO est celle du juste équilibre entre notre capacité à intervenir en opération extérieure et notre aptitude à maintenir nos équipements en condition opérationnelle. Plus on mobilise un équipement, plus il s'use et moins il est disponible à la révision.
Le rapport de la Cour des comptes sur l'Onera souligne que « de nombreux éléments traduisent le manque d'implication de la tutelle au sens large (DGA et autres acteurs étatiques disposant de pouvoirs particuliers). Le conseil d'administration et en particulier la tutelle technique (DGA) ne semblent pas avoir été suffisamment associés à la programmation des travaux de l'Office. » C'est ce que j'ai exprimé en évoquant un problème de gestion. La Cour des comptes poursuit en constatant que les dix mois écoulés avant la nomination du successeur du PDG décédé constituent un délai « particulièrement long ». Depuis deux ou trois ans, l'Onera a été laissé en déshérence. J'espère recevoir de bonnes nouvelles l'année prochaine.
Marc Laménie évoquait la Journée défense et citoyenneté. Celle-ci est de plus en plus préemptée par toutes sortes de sujets n'ayant pas grand rapport avec la défense. La semaine dernière, certains y voyaient l'occasion de sensibiliser les jeunes aux directives anticipées, dans le cadre de la loi sur la fin de vie.
Mme Michèle André, présidente. - Nous recevrons au premier trimestre une enquête que nous avons demandée à la Cour des comptes sur la Journée défense et citoyenneté.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - La bonne nouvelle, dans le dossier des Rafale, est que les appareils sur lesquels nous nous étions engagés ayant été vendus, nous n'achèterons que ceux dont nous avons besoin. Je ne peux que m'associer aux regrets d'Antoine Lefèvre sur le Famas. J'ai cru comprendre qu'aucune décision n'avait été prise sur l'hôtel de Brienne, mais que le prestige incitait le ministre à y rester.
Claude Raynal, sans relancer la polémique, je suis plutôt satisfait de ce qui s'est passé l'an dernier, car si nous n'avions pas pris une position ferme, nous n'aurions pas obtenu l'évolution que nous appelions de nos voeux. Reste qu'à l'instant où nous parlons, nous vivons toujours sous le régime de recettes exceptionnelles supérieures aux prévisions de la loi de programmation militaire initiale : je ne sais pas du tout comment l'année s'achèvera. La polémique sera dépassée lorsque nous connaîtrons les intentions du Gouvernement pour la clôture de l'exercice. Il était important de marquer notre attachement à la sincérité du budget du ministère de la défense.
Je ne suis pas certain que les crédits du PIA obtenus par le ministère de la défense puissent être qualifiés de crédits d'investissement et d'avenir, étant donné qu'ils financent des décisions antérieures, pas toujours d'investissement.
M. Michel Bouvard. - Eh oui !
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le ministère de la défense accompagne souvent des entreprises privées à l'exportation et son apport se révèle souvent décisif dans l'opération commerciale finale. Il y aurait matière à réfléchir sur la traduction pécuniaire de cette ingénierie de la défense.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « défense ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'ai bien sûr voté les crédits. Il y aura néanmoins un amendement sur l'immobilier parce qu'on ne peut pas utiliser plusieurs fois la même recette. Dès que l'engagement pris pour financer la défense s'était traduit par un amendement voté à l'unanimité, l'on doit rester dans la règle générale : les produits de cession de la défense doivent lui revenir.
M. Philippe Dominati. - Le Parlement ne peut pas attaquer une seule collectivité pour régler un problème entre ministères. Ce serait trop facile. Cette chambre doit défendre toutes les collectivités de France, sans exception.
M. Michel Bouvard. - Paris est la seule collectivité qui ait un droit de préemption sur le budget de l'État au travers de ses documents d'urbanisme. La situation est budgétairement anormale. Le Parlement ne fait pas une situation d'exception à la ville de Paris, c'est celle-ci qui jouit d'un pouvoir dont ne bénéficie aucune collectivité dotée de la compétence en matière de logement.
La réunion est levée à 11 h 29.