- Mardi 20 octobre 2015
- Rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur - Examen des amendements au texte de la commission
- Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Examen du rapport pour avis
- Accueil d'un nouveau commissaire
- Indépendance et impartialité des magistrats - Ouverture de la magistrature sur la société - Mesures relatives à la justice du XXIème siècle - Audition de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
- Mardi 21 octobre 2015
- Loi de finances pour 2016 - Nomination des rapporteurs pour avis
- Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats
- Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre - Examen des amendements
- Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collective - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et des textes de la commission
- Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mesures de surveillance des communications électroniques internationales - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 20 octobre 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 9 heures
Rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur - Examen des amendements au texte de la commission
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine les amendements sur son texte n° 55 (2015-2016) sur la proposition de loi n° 437 (2014-2015), présentée par Mme Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues, visant à rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
M. Philippe Bas, président. - Avant d'examiner les amendements, je voulais vous informer que M. le Président du Sénat a pris l'initiative importante et très rare de demander au Premier ministre l'engagement de la procédure accélérée sur la proposition de loi de Mme Troendlé. Nous sommes généralement opposés à cette procédure, mais l'Assemblée nationale a déjà eu à débattre de ce sujet en juillet lors de l'examen de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (DADUE), dont le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs articles, et dont M. Zocchetto était déjà rapporteur. Pour accélérer son examen, la proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour du groupe Les Républicains. Nous souhaitons vivement que l'Assemblée nationale en débatte. Si le Gouvernement accepte la procédure accélérée, nous serons sûrs de ne pas perdre de temps et d'éviter des initiatives multiples et désordonnées.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Je me réjouis de la demande du Président du Sénat. On peut en effet considérer que nous sommes dans une situation de deuxième lecture. Les parlementaires de tous les bords ont exprimé leur souci d'aboutir le plus rapidement possible à une loi sur ce sujet et certains ministres ont agi avec un peu de précipitation.
Article 3
L'amendement de coordination n° 2 est adopté.
Mme Catherine Troendlé. - Je m'associe aux propos du président et du rapporteur sur la procédure accélérée. Si nous sommes généralement contre son utilisation, nous pouvons considérer qu'il s'agit de la deuxième lecture de cette proposition de loi et qu'il fallait répondre à une situation qui n'a que trop duré. Le texte de la commission, équilibré, répond à la problématique. Mon amendement n° 1 complète les dispositions relatives au placement systématique sous contrôle judiciaire des personnes mises en examen pour infraction sexuelle contre mineur. S'il est souhaitable d'assortir le contrôle judiciaire d'une interdiction d'exercer une activité auprès de mineurs, il ne faudrait pas interdire au juge de décider d'autres mesures de contrôle judiciaire. En effet, à titre d'exemple, le conjoint d'une assistante maternelle mis en examen pour de tels faits devrait être systématiquement écarté de son domicile pendant les périodes de garde des enfants.
M. Philippe Bas, président. - Il s'agit de préciser que le placement sous contrôle judiciaire - obligatoire sauf décision contraire du juge - conduit à l'application du 12°bis de l'article 138 mais n'empêche pas que d'autres mesures soient prises.
M. François Zocchetto, rapporteur. - J'émets un avis favorable car cette précision est utile.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le juge ne peut-il dire ce qui est possible ou non ? Ne surcharge-t-on pas inutilement ce texte ? Ne légiférons pas sur des cas particuliers.
M. René Vandierendonck. - Je suis le même raisonnement que M. Collombat. Je m'abstiendrai sur cette précision redondante.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Cet amendement ne restreint pas la capacité d'appréciation du juge, qui doit conserver la possibilité de prononcer d'autres mesures de contrôle judiciaire, comme l'éloignement.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il peut le faire.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il semble qu'il ne puisse pas le faire, en raison de la rédaction.
M. Pierre-Yves Collombat. - Alors, la rédaction est mauvaise...
Mme Catherine Troendlé. - Dans l'état du droit actuel, toutes les possibilités sont données au juge pour écarter la personne mise en cause. Dans cet amendement, il s'agit de son conjoint. La situation est différente.
M. Philippe Bas, président. - Mme Troendlé a voulu mettre les points sur les i sans dire que la prise d'autres mesures était impossible. Il ne s'agit pas d'une exigence absolue. On ne peut pas considérer que l'alinéa 20 déroge aux règles générales. Il n'existe pas de vide juridique.
Mme Catherine Troendlé. - Celui qui demande un agrément d'assistant maternel au conseil départemental doit produire le casier judiciaire de toutes les personnes qui résident à son domicile. Si, dans les cinq ans que dure l'agrément, une de ces personnes est condamnée pour actes de pédophilie notamment, il ne peut pas être renouvelé. En écartant la personne condamnée, on sécurise le statut d'assistant maternel.
M. François Zocchetto, rapporteur. - L'amendement ne crée pas de contrainte supplémentaire pour le juge.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
M. Alain Richard. - Le nouvel article 706-47-4 évoque la profession « dont l'exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par une autorité administrative ». A-t-on évalué les conséquences du terme « indirectement » ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - Aucune étude d'impact n'a été menée, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi. En juillet, lors de l'examen du projet de loi DADUE, nous nous sommes opposés à un champ d'application extrêmement vaste. Le Sénat avait appelé l'attention sur le public auquel on s'adressait. Dans mon esprit, le terme « indirectement » porte sur les associations.
M. Alain Richard. - Les associations d'action sociale sont contrôlées directement par les départements.
M. François Zocchetto, rapporteur. - La politique municipale de musique, de danse, de sport, est conduite par le biais d'associations. Dans ce cas, la réglementation peut s'appliquer.
M. Philippe Bas, président. - Nous aurons un débat sur ce point. M. Richard a raison de poser la question.
M. Alain Richard. - Le procureur notifie ou pas. Si l'affaire concerne un professeur de danse d'une association subventionnée par la commune, le procureur le saura-t-il, et sera-t-il dans son droit en notifiant à la commune qu'il faut traiter le cas de ce professeur ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - C'est affaire d'appréciation du procureur. Dans certains cas, cela s'imposera.
M. Alain Richard. - On lui crée une obligation dont on ne connaît pas le champ d'application.
M. Philippe Bas, président. - La question de M. Richard sur le champ d'application est tout à fait pertinente.
M. François Zocchetto, rapporteur. - L'un des amendements que j'ai proposés la semaine dernière a réduit ce champ.
M. Alain Richard. - Cette disposition ne vaut que si l'autorité est en mesure de mettre fin aux activités de l'intéressé au contact des enfants. Quel est son pouvoir, dans le cadre d'un contrôle indirect ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - La convention qui lie quasiment toujours les associations et les collectivités territoriales comporte un volet sur les droits et obligations des deux parties. On peut ainsi renforcer la notion de contrôle indirect. Les juridictions saisies seront le plus souvent administratives car cela viendra en contestation de la suspension ou de la mesure disciplinaire.
M. Alain Richard. - Seulement si un fonctionnaire est concerné...
M. Philippe Bas, président. - Les réglages nécessaires pourront être apportés à la faveur de la navette et, je l'espère, dans le cadre de la procédure accélérée.
La commission donne les avis suivants :
AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
AMENDEMENT DE SÉANCE
Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de M. François Pillet sur la proposition de loi n° 12 (2015-2016), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. - Le Sénat n'étant pas parvenu à une rédaction qui puisse recueillir l'assentiment, il a rejeté le texte, de sorte que nous nous retrouvons confrontés au même texte qu'en première lecture. Les commissions des lois et des affaires sociales avaient alors convergé, celle-ci donnant un avis favorable à la plupart de nos amendements, tandis que nous soutenions les siens. Les principes qu'elles ont retenus peuvent constituer le socle de l'accord à forger sur ce texte. Les rapporteurs de la commission des affaires sociales s'engagent à reprendre les amendements de la commission des lois adoptés en première lecture par le Sénat et à les intégrer à leur texte. Me dispensant de les présenter à nouveau, je vous soumettrai un seul amendement.
Nous avions marqué notre attachement à ce que le médecin conserve sa liberté d'appréciation et que la volonté du malade soit vérifiée au plus près de l'heure de la prise de décision. Ce principe se décline dans la mise en oeuvre de la sédation profonde ainsi que dans le régime juridique des directives anticipées.
Sur cette question des directives anticipées, le texte adopté par l'Assemblée nationale en première et en deuxième lectures répond à nos préoccupations, puisque le médecin pourrait écarter celles qui seraient manifestement inappropriées. Le délai de validité des directives ayant été supprimé, il faut s'assurer que celles qui ont été rédigées vingt ans avant ont encore l'assentiment de la personne qui les a rédigées. Vous aviez veillé à ce qu'elles puissent être écartées, dans certaines circonstances - si, par exemple, une directive différente a été donnée à un confident peu de temps avant.
L'on doit aussi écarter, pour protéger la volonté du malade, un certain formalisme des directives. Voilà pourquoi la commission des affaires sociales reviendra sur la rédaction de l'Assemblée nationale. Nous avions également précisé que la personne de confiance ne donnait pas un avis au médecin, mais témoignait de la volonté du patient. Une modification en ce sens sera reprise par la commission des affaires sociales.
L'Assemblée nationale a pris l'initiative d'instituer une personne de confiance suppléante, ce qui constitue une lourdeur. La personne de confiance suppléante, c'est la famille ou les proches. Imaginez les difficultés posées par le désaccord entre la personne de confiance titulaire et sa suppléante ?
Je sollicite votre autorisation de présenter, en séance, nos amendements de première lecture si les amendements similaires présentés par les rapporteurs au fond n'étaient pas repris au terme des débats de la commission des affaires sociales.
M. Pierre-Yves Collombat. - Pouvez-vous préciser vos propos sur le formalisme des directives anticipées ?
M. François Pillet, rapporteur pour avis. - À l'article 8, l'Assemblée nationale a souhaité revenir sur l'obligation d'utiliser un modèle formalisé de directive anticipée, ce que nous approuvons, en remplaçant l'expression « sont rédigées selon un modèle unique » par « sont rédigées conformément à un modèle ». Il me semble que cette nouvelle rédaction ne permet pas d'atteindre l'objectif poursuivi, c'est-à-dire la suppression de l'obligation d'utiliser un modèle de directives formalisé.
M. Yves Détraigne. - Les analyses et les propositions du rapporteur sont tout à fait sages, pleines de bon sens et d'humanisme. Nous les suivons.
M. Alain Richard. - La question de la suppléance ne peut pas être écartée d'un revers de main. Tout le monde ne tombe pas en agonie à 500 mètres de chez soi. La personne de confiance n'est pas forcément disponible lorsque la période terminale s'engage.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. - Je renvoie à la hiérarchie des personnes qui peuvent « témoigner » - et j'insiste sur ce mot - prévue par la proposition de loi. En l'absence de la personne de confiance, on peut faire appel à des proches. Le fait d'intercaler entre la personne de confiance et la famille une personne de confiance supplémentaire alourdit le système.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT
M. François Pillet, rapporteur pour avis. - Mon amendement LOIS-1 s'inscrit dans la ligne des principes que j'ai évoqués. Il laisse au médecin sa capacité d'appréciation. Je vous propose de préciser à l'alinéa 5 de l'article 3, que lorsque le médecin arrête, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement de maintien en vie d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté, il peut mettre en oeuvre une sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie, afin de lui éviter de souffrir. Quand le malade ne souffre pas, le médecin peut éviter la sédation profonde et continue. Aucun médecin ne prendra le risque de voir un patient s'éteindre dans la douleur.
L'amendement LOIS-1 est adopté.
M. Philippe Bas, président. - Nous donnons pouvoir à notre rapporteur pour avis pour défendre en séance les amendements de première lecture qui n'auraient pas été repris par la commission des affaires sociales ?
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 9 h 30
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 18 heures
Accueil d'un nouveau commissaire
M. Philippe Bas, président. - Je salue la présence parmi nous de M. Alain Vasselle, très grand spécialiste de la sécurité sociale et ancien rapporteur général de la commission des affaires sociales, qui nous fait l'amitié de succéder à notre très estimé et aimé collègue Jean-Jacques Hyest, parti au Conseil constitutionnel.
Indépendance et impartialité des magistrats - Ouverture de la magistrature sur la société - Mesures relatives à la justice du XXIème siècle - Audition de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
La commission entend Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi organique n° 660 (2014-2015) relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société et sur le projet de loi n° 661 (2014-2015) portant application des mesures relative à la justice du XXIème siècle.
M. Philippe Bas, président. - Je remercie Mme la garde des sceaux de venir nous présenter deux textes très importants : le projet de loi organique relatif à l'indépendance et à l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société ; le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle - n'avez-vous pas été en dessous de l'ambition nécessaire ? Vous auriez pu parler de la justice du IIIe millénaire...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je remercie pour son accueil une commission où j'ai toujours plaisir à venir. Sans être millénariste, l'idée est bien celle-ci : répondre aux besoins objectifs de justice dans une période difficile où les citoyens ont de plus en plus besoin d'aide de l'État, et en priorité de celle de l'autorité judiciaire, mais aussi où la culture judiciaire a changé, avec la systématisation de la recherche d'une réponse judiciaire à des litiges du quotidien, autrefois traités autrement. Il faut aussi tenir compte, en l'objectivant, du malaise ressenti par les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires.
Pour la réforme pénale, nous avions rassemblé une conférence de consensus, créé un espace où des personnes de sensibilités différentes avaient travaillé sur la base d'un état des lieux partagé. Sans suivre la même méthode, car la justice civile est moins sensible, nous avons procédé avec la même rigueur. Sur la base des préconisations de groupes de travail lancés depuis deux ans, un grand débat national a été organisé au siège de l'Unesco, dont nous avons soumis le résultat aux juridictions, qui nous ont adressé 2 000 contributions ; ce texte est bien le produit d'une intelligence collective, de la réflexion de ceux qui pratiquent le droit quotidiennement.
Ces deux supports de normes législatives appartiennent au même écosystème, dans lequel des décrets en Conseil d'État et des décrets simples sont prévus. Nous avons lancé des expérimentations et vous proposons d'en généraliser certaines. Nous intégrons les nouvelles technologies, comme la dématérialisation, indispensable pour construire une justice plus proche des citoyens.
Ce n'est pas polémiquer que de dire que la réforme de 2008, quoique nécessaire, car la carte judiciaire n'avait guère changé depuis 1958, a créé des déserts judiciaires. Vous-mêmes avez témoigné au Sénat de cet éloignement. C'est pourquoi nous réimplanterons des tribunaux de grande instance (TGI), des chambres détachées et des maisons de la justice et du droit. Des greffiers seront affectés à ces dernières et y travailleront avec les délégués du Défenseur des droits.
Dès le titre Ier, nous améliorons l'accès à la justice par le maillage territorial des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD). L'expérimentation depuis 2014 des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ) a donné de si bons résultats que j'ai lancé la deuxième vague d'expérimentation. Le justiciable peut ainsi se rendre au site le plus proche de son domicile, quel qu'il soit, pour y accomplir toute sorte de démarches judiciaires, y compris des demandes d'aide juridictionnelle. Il n'a plus à identifier le site compétent pour son besoin ; s'il est normal que l'institution soit complexe, le citoyen en besoin de justice ne devrait pas être titulaire d'un bac + 24 pour comprendre à qui s'adresser. Nous neutralisons cette complexité, de sorte qu'un litige relevant du TGI puisse être introduit auprès du conseil de prud'hommes. Cela suppose évidemment que nous formions les greffiers.
La dématérialisation permettra de relier entre elles les juridictions, notamment celles compétentes pour ces petits contentieux familiaux, de surendettement, d'expulsions locatives... Dès décembre 2015, un premier volet de l'application Portalis sera mis en place. Face à la massification de certains contentieux, nous avons décidé de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges : la conciliation devient obligatoire pour les litiges en dessous de 4 000 euros ; nous harmonisons les fonctions de médiation - formation, qualification, règles déontologiques - et allons favoriser la procédure coopérative.
Le titre II remet ainsi du lien et du dialogue dans la société : les citoyens sont souvent en mesure de trouver des solutions ensemble. Le juge n'est jamais bien loin, pour homologuer la décision si c'est nécessaire. Attentifs aux plus fragiles, qui ont du mal à se retrouver dans la constellation des juridictions sociales, entre celles qui relèvent des ministères de la santé, du travail ou de la justice, nous fusionnons les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) avec les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) et une partie des attributions des commissions départementales d'aide sociale (CDAS).
Le titre suivant recentre les juridictions sur leur coeur de compétence, suivant une dynamique, que vous avez validée sur les tutelles ou sur l'administration légale. Nous mettons un terme à la segmentation dans notre droit des actions de groupes, l'une ayant été créée par la loi « Consommation », l'autre par la loi « Santé ». Nous en créons une pour la lutte contre toutes les discriminations ; il y a eu un débat à l'Assemblée nationale : nous apporterons plus de sécurité juridique à ce dispositif.
Nous modifierons l'organisation du travail dans les juridictions ainsi que les missions et statuts, en particulier des greffiers. Le greffier assistant de magistrat, suscite une telle demande que nous avons dû lancer la deuxième vague d'expérimentation, pour laquelle nous avons pris des dispositions en termes de création de postes. Nous équipons les magistrats du ministère public et certains magistrats du siège de tablettes et de téléphones portables ; nous en distribuerons 4 000 l'année prochaine, le parquet étant prioritaire en raison de contraintes plus fortes. Le système autocom optimisant le traitement en temps réel a été audité par l'inspection générale des services judiciaires. Nous avons développé des applications informatiques qui méritent d'être généralisés.
Le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société comprend notamment la fin de la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. L'impartialité requiert des conditions objectives ; l'indépendance dépend des conditions de nomination ou du régime disciplinaire ; les deux doivent aussi se donner à voir. L'indépendance s'entend par rapport à soi-même : préjugés, réseaux, appartenances sociales peuvent influencer une décision. Cette indépendance doit être garantie par le comportement des magistrats eux-mêmes. Il faut donc supprimer les liens entre magistrature et exécutif.
Nous créons une fonction spécialisée de juge des libertés et de la détention (JLD), ce garant des libertés, avec une formation spécifique, des conditions particulières de nomination et de remplacement. Nous introduisons la notion de conflit d'intérêts avec un entretien déontologique et une déclaration de patrimoine pour les hauts magistrats.
M. François Pillet, rapporteur du projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société. - J'entends avec beaucoup d'intérêt votre définition de l'indépendance de la justice : une attitude personnelle par laquelle le magistrat s'extrait de lui-même. L'indépendance n'a d'intérêt qu'autant qu'elle garantit l'impartialité, à laquelle doit tendre le magistrat.
J'aurai principalement des observations rédactionnelles à faire au projet de loi organique ; mes remarques prépareront un débat technique et d'opportunité : le Sénat restera lui-même, sage et calme. La nomination par décret du JLD a été critiquée par toutes les personnes entendues, à l'exception de trois, les représentants des syndicats. Je comprends le but d'afficher l'indépendance de ce juge. Celle-ci risque néanmoins d'être toute relative pour un JLD frais émoulu de l'école, face à un procureur chevronné. En outre, je ne sache pas qu'aucun JLD ait été révoqué par son président parce que sa jurisprudence ne lui convenait pas. La fonction n'est pas très prisée : JLD signifie « jamais libre pour dîner », disent-ils eux-mêmes... Son indépendance serait plus solide s'il s'agissait obligatoirement d'un magistrat du premier grade. Il serait important qu'il puisse faire appel à une collégialité en cas de problème, comme le juge des référés. Bien sûr, il décide très souvent dans l'urgence et n'en aura pas toujours le temps ; il n'en serait pas moins satisfaisant qu'il puisse le faire de temps en temps.
Sur le statut du parquet, vous échappez à l'obligation de révision constitutionnelle. Pourquoi ne pas avoir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le projet de loi voté par le Sénat, y compris par sa minorité d'alors, sur un amendement de Michel Mercier ?
La déontologie passe par la lutte contre les conflits d'intérêts ; même sans aller jusqu'à la déclaration que remplissent les ministres et les membres de leurs cabinets, n'aurait-il pas été préférable de garder une trace de l'entretien déontologique avec le chef de cour ? Les conflits d'intérêts couvrent un champ très vaste : réseaux, appartenance à certaines associations, avoir un conjoint avocat quand l'on est magistrat ou procureur si l'on est juge d'instruction... Ne faut-il pas aller plus loin pour convaincre ?
Un détail reviendra sur le devant de la scène : les décorations. Lorsqu'un magistrat dépend sur ce point de l'exécutif, s'il n'est pas certain que cela influe sur son comportement, il est possible que cela ne soit pas impossible.
Je ne saisis pas l'intérêt d'une déclaration de patrimoine des chefs de cour qui ne rendent plus de décisions. Dans l'esprit du public, une telle déclaration est une mesure préventive contre un enrichissement lié à la corruption ; plus que le premier président de la Cour de cassation, le juge de l'expropriation, le juge d'instruction ou le juge unique pourraient être concernés. Cela pose de surcroît des problèmes matériels importants. Pourquoi ne pas élargir le périmètre au moins aux chefs de juridictions, ce qui homogénéiserait leurs obligations avec celles des présidents de tribunaux de commerce ? Même comme cela, les déclarations que vous proposez restent dans la famille puisqu'elles sont soumises à une commission ad hoc ; or, avec plus ou moins d'enthousiasme, les magistrats que nous avons entendus se sont montrés prêts à ce que leur déclaration soit transmise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : y voyez-vous un inconvénient ?
M. Yves Détraigne, rapporteur du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle. - Nous avons procédé ensemble aux auditions. Je suis sensible à votre projet de loi en tant que co-auteur avec Virginie Klès du rapport de votre commission sur la justice de première instance.
Si le SAUJ est une bonne chose, pour reprendre les termes de mon dernier rapport pour avis sur le budget de la justice, Portalis est la condition sine qua non des réformes de l'organisation judiciaire annoncées. Or nous sommes loin du compte : le SAUJ est une version allégée du guichet universel du greffe qui avait été envisagé. Il ne faudrait pas que sa mise en place fasse perdre du temps aux greffiers, faute pour ceux-ci de disposer d'un outil informatique adapté.
Nous évoquions dans notre rapport la mutualisation des effectifs des différents greffes au sein des juridictions, ce qui semble ne pas avoir été repris. Y avez-vous renoncé ?
Vous prévoyez une conciliation obligatoire avant toute procédure devant le juge d'instance ou de proximité. Je partage cette idée ; mais avec 1 800 conciliateurs c'est impossible. Or je n'ai pas le sentiment que le projet de budget que j'ai pu consulter réponde à cet impératif.
Vous avez évoqué la fusion des TASS et des TCI, intégrés dans les TGI, mais vous renvoyez ce sujet à des ordonnances, indiquant que vous avez missionné les inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires pour en fixer les modalités. N'est-ce pas prendre les choses dans le désordre ?
Vous avez annoncé il y a quelques semaines que vous renonciez à la contraventionnalisation de différents délits routiers, comme la conduite sans permis ou sans assurance. Je comprends l'émotion des associations de victimes de la route ; pourtant, au fur et à mesure des auditions, nous avons pu comprendre que cela décevrait un certain nombre de professionnels de la justice : la contraventionnalisation donne de l'effectivité à une sanction...
M. Jean-Pierre Sueur. - Oui !
M. Yves Détraigne, rapporteur. - ... difficile à infliger lorsque le tribunal doit se prononcer deux ans après, alors que l'émotion sera passée ou que la décision ne sera pas mise en oeuvre ou n'aura plus de sens. Cette position est difficile à tenir devant l'opinion publique, parce qu'elle pourrait donner un sentiment de laxisme.
Un article du projet de loi reporte à nouveau l'obligation statutaire de mobilité des magistrats ; vous avez proposé il y a quelque temps de remettre à plus tard l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction. Pourriez-vous nous faire un point sur ces deux réformes ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Après le tumulte, il est très important que vous présentiez votre grand oeuvre, ce texte que vous préparez depuis trois ans. Nous voyons bien, au climat qui règne dans cette salle, que bien des points peuvent nous rassembler. Il est bon que des gens puissent être accueillis dans des lieux proches de chez eux, que la conciliation soit favorisée, que les juridictions sociales soient réformées - nous savons grâce à Pierre Joxe combien elles sont inadaptées. L'extension de l'action de groupe aux discriminations n'est pas sans incidence.
Si le texte est voté, comme je l'espère, il faudra prendre le temps de le mettre en oeuvre ; le guichet unique suppose que des fonctionnaires du ministère de la justice y soient préparés. De même, la fusion des juridictions sociales requiert une préparation. J'aimerais que cette réforme fût menée selon un calendrier de cinq à six ans, plutôt qu'avec précipitation.
Enfin, nous aurions certainement pu trouver un accord autour d'une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui nous éviterait les foudres de la Cour européenne des droits de l'homme. Les éléments de cet accord sont là, nous le savons tous.
M. Pierre-Yves Collombat. - La religion de la transparence nous conduit dans l'impasse. La nature même de la fonction juridictionnelle voudrait que le juge n'ait pas à justifier de son impartialité ; or il lui est demandé de déclarer ses intérêts. C'est rester au milieu du chemin. Interrogées sur les fréquentes nominations de membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation au sein des autorités administratives indépendantes, les personnes entendues par notre commission d'enquête sur lesdites autorités ont mis en avant leur qualité de juges, partant leur indépendance. Pourtant, les juges ont eux aussi des amis, un passé, et peuvent ne pas rester insensibles à certains intérêts ; mais vous n'allez pas jusqu'au bout.
Quant à la déclaration de patrimoine, pourquoi la limiter à quelques hauts magistrats, et pourquoi en prévoir la transmission à une commission ad hoc, et non à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique comme pour les parlementaires ? Vous arguez de l'indépendance de la magistrature ; pourtant, les juges transmettent bien une déclaration de revenus et de patrimoine à l'administration pour le paiement de leurs impôts. Ou on déclare le juge à l'abri de la corruption en raison de la nature particulière de la fonction ; ou on admet le risque, et dans ce cas pourquoi un statut particulier ?
M. René Vandierendonck. - Votre texte, qui s'inscrit dans un effort de rattrapage du retard accumulé depuis quarante ans mériterait d'être accompagné d'une loi de programmation. On suivrait ainsi suivre l'exécution des investissements, des partenariats public-privé comme celui des Batignolles, des créations de postes... Chaque année, notre examen reste parcellaire... Nous devons nous forcer à la pluri-annualité.
L'outil informatique n'est pas parfait. Aux dires des greffiers, la mise en place de Portalis reste un défi en matière d'appropriation et suscite des réticences chez certains ; de là l'importance du volet formation. Au-delà des progrès réalisés depuis trois ans, nous avons besoin d'outils méthodologiques de suivi des réformes.
M. Alain Vasselle. - Aurez-vous les moyens de votre politique, et selon quel calendrier la mettrez-vous en oeuvre ?
M. Christophe-André Frassa. - Pourquoi ne pas inclure les artisans dans le corps électoral des juges consulaires, et leur étendre l'éligibilité et la compétence des tribunaux de commerce ? Ils sont écartelés entre les tribunaux de commerce, en cas de difficultés économiques, et les tribunaux de grande instance pour les autres contentieux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Monsieur Pillet, je ne m'oppose pas à l'idée, non dénuée de panache, de ne pas décorer les magistrats au cours de leur vie professionnelle ; mais cela suggère implicitement une relation de subordination. Je propose régulièrement à la décoration des magistrats dont les états de service le méritent. Sur le plan éthique, votre proposition se tient. Soyez néanmoins assuré que l'attribution des distinctions n'est ni un moyen d'influence, ni la récompense d'une attitude de subordination.
Lors de la consultation, la demande unanime d'un statut particulier du JLD. m'était remontée ; mais, entendant certaines réserves lors d'un déplacement en juridiction, j'ai décidé de rouvrir la consultation sur ce point. Il semble que les conditions de nomination et de dé-nomination du JLD inquiètent. Comme nous avions expérimenté les conseils de juridiction en 2014 et renforcé l'expression démocratique dans les juridictions par décret l'an dernier, les assemblées générales ont demandé que le président de la juridiction ne puisse mettre fin aux fonctions de ses JLD. Nommés par décret, ils restent des magistrats du siège et à ce titre, leurs liens avec l'exécutif ne seront en aucun cas resserrés.
M. François Pillet, rapporteur. - Ce cadre plus rigide complique les choses en cas de nomination particulièrement inopportune.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - On a plutôt porté à ma connaissance des cas où un président de tribunal avait mis fin aux fonctions d'un JLD sans autre forme de procès.
La nomination par décret diminue, incontestablement, les pouvoirs du président du tribunal, et le prive d'un outil de gestion des ressources humaines puisqu'il pouvait auparavant nommer un JLD quand le besoin s'en faisait sentir. Elle reste néanmoins un progrès : nous aurons désormais des JLD spécialisés, formés dès l'École nationale de la magistrature, ou qui auront reçu une formation spécifique.
La collégialité n'est pas envisagée pour les décisions du JLD, mais celles-ci sont susceptibles d'appel.
Le projet de loi constitutionnelle relative au CSM est sorti dans toute sa splendeur sous la forme de l'amendement Mercier, après un débat assez vif. Conformément à la volonté du Président de la République, il reprendra prochainement son parcours parlementaire ; la commission des lois de l'Assemblée nationale envisage de l'examiner. Ce texte inscrit dans la Constitution la nomination des membres du parquet après avis conforme du CSM et l'alignement du régime disciplinaire. Nous voulions également attribuer la présidence de l'assemblée plénière à une personnalité qualifiée issue de la société civile.
La suppression des désignations de personnalités qualifiées par les instances institutionnelles que sont le président de la République et les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale a rencontré une forte opposition dans vos rangs. Vous contestiez la légitimité des membres du collège que nous envisagions. À l'époque, nous n'avions pas caché notre mécontentement. Cette réforme répondait aux inquiétudes, rétablissait la confiance des citoyens en éliminant le soupçon. La règle générale, non écrite mais très efficace, est le devoir d'ingratitude du nominé envers l'autorité de nomination.
M. Michel Mercier. - Toujours...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Il fallait afficher, aux yeux de la société, le renoncement de l'exécutif à ce pouvoir de nomination. Nous y reviendrons.
Les règles de déontologie s'appliquant aux juges, les procès-verbaux éventuels, le lieu de leur conservation, les déclarations de patrimoine : voilà un véritable casse-tête. Le statut et les conditions d'impartialité des magistrats restent réglés par une ordonnance de 1958, or nous sommes obligés de régler les conditions d'accès à ces déclarations. C'est une question que nous allons approfondir.
Les TCI et les TASS relèvent pour le moment du ministère de la santé et des affaires sociales. Les discussions engagées entre nos deux ministères voilà un an sur leur fusion n'aboutissent pas ; nous avons fait appel à l'inspection générale pour étudier les conditions de la fusion et de la reconversion des personnels - 650, dans un ministère qui n'est pas créateur d'emplois, ce qui justifie notre prudence. Nous sollicitons une habilitation du Parlement pour fixer le cadre. La mise en oeuvre interviendra probablement en 2018. Je crois à l'unité de l'État, même si cela me pénalise depuis un an.
Je vous remercie, monsieur Détraigne, pour votre rapport, sur lequel je me suis appuyée lors du débat à l'Unesco. La création des tribunaux de première instance est un vrai point de blocage, et nous ne pourrons faire appliquer la réforme avec cette mesure. C'est pourquoi j'ai décidé de travailler plutôt sur les objectifs recherchés par cette création, et que vous développez dans votre rapport. Les tribunaux de grande instance seront ainsi organisés en pôles, dont un pôle social traitera des contentieux relevant précédemment des TCI, des TASS et, partiellement, des CDAS. Nous faisons oeuvre de rationalisation et de simplification.
La dématérialisation n'est qu'un instrument. Portalis ne risque pas, à mes yeux, de pénaliser le SAUJ, le futur guichet universel du greffe, porte d'entrée du public vers l'autorité judiciaire. Le titre premier ouvre l'accès à Cassiopée aux greffiers des SAUJ. Le greffier de demain devra savoir répondre à toutes les demandes ; il sera formé sur site et à l'École nationale du greffe. Nous espérons dégager le greffe de milliers d'appels relevant de l'orientation et de la première information. Les instruments informatiques dégagent ainsi du temps de travail des fonctionnaires pour des tâches plus utiles.
Je conviens avec M. Vandierendonck de la formation, du développement, de l'actualisation qu'implique le déploiement de Portalis. Nous actualisons encore Cassiopée ! Lors de ma prise de fonction, on m'a dit que Portalis coûterait quarante millions d'euros et que son déploiement prendrait dix ans. Le délai a été réduit à cinq étapes sur cinq ans, pour un coût moindre. C'est une tâche essentielle, les affaires civiles représentant 60 % de l'activité juridique.
Nous avons prévu dans le budget de multiplier par deux le nombre de conciliateurs de justice (ils sont actuellement 1 800) et doubler également leurs très maigres annuités. Ils sont souvent hébergés par les communes et disposent de la logistique des collectivités.
M. René Vandierendonck. - C'est bienvenu, car ils sont héroïques !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - La répression de la conduite sans permis, seule disposition pénale d'un texte comportant 54 articles, a bloqué l'examen du projet de loi pendant deux mois. J'ai été sensible à l'émoi des associations de victimes de la route autant qu'au contexte de la hausse de la mortalité routière en juillet et août. Toutefois, cette disposition relevait davantage de l'organisation et du fonctionnement des juridictions. Dans 88 % des cas, la conduite sans permis fait l'objet d'une amende par ordonnance pénale, la procédure prenant sept à quatorze mois. Le montant moyen de l'amende est compris entre 250 et 450 euros, pour un taux de recouvrement à peine supérieur à 50 %.
Pour une plus grande efficacité, nous avons envisagé un montant automatique de 500 euros pour l'amende, 750 en cas de majoration ; le procès-verbal électronique offre la possibilité d'un paiement immédiat. Dès la deuxième infraction, le défaut de permis devient un délit passible de un à trois ans de prison et de 30 000 à 75 000 euros d'amende. Le Conseil d'État nous a mis en garde sur le risque de non-respect de la présomption d'innocence parce que l'administration de la preuve dans le cadre de la première infraction serait insuffisante.
Le sujet présente incontestablement une inflammabilité particulière. Toutefois, les associations de victimes que j'ai reçues ont, à une exception près, jugé cette réforme efficace et reconnu que la mesure avait été présentée d'une seule phrase dans les médias. Nous avions pris toutes les précautions nécessaires et travaillé avec le délégué interministériel à la sécurité routière. Objectivement, c'est mieux ; cela se pratique d'ailleurs dans des pays présentant de meilleurs résultats que nous dans ces domaines. La mesure, plus efficace et plus sévère, dégage du temps pour la surveillance et la prévention, qui d'après les organismes de sécurité routière contribuent davantage que la répression à la diminution des accidents. C'est pourquoi, comme je m'y suis engagée en expliquant que les parlementaires en débattraient, je proposerai un amendement de suppression du dispositif, tout en continuant à plaider pour ce système plus efficace.
Non, je ne reporte pas la collégialité de l'instruction. Celle-ci fait l'objet d'un texte déposé à l'Assemblée nationale voici plus de deux ans. Il s'agissait de corriger la loi de 2007 dont le dispositif, qui devait entrer en vigueur en 2014, a été jugé trop systématique. En attendant son inscription à l'ordre du jour, je suis contrainte de présenter dans la précipitation, à chaque loi de finances, des amendements reportant l'application de la loi de 2007. C'est une mauvaise pratique politique, et un manque de respect vis-à-vis du Parlement.
Je ne nie pas les oppositions suscitées par l'entretien déontologique comme par la déclaration de patrimoine. L'hypothèse d'une extension à tous les magistrats a été envisagée. Je reconnais qu'il faut trouver la bonne mesure face à l'exigence de transparence ; mais comment expliquer à la société que les magistrats échappent à une obligation à laquelle le Gouvernement et le Parlement sont désormais soumis ?
M. Pierre-Yves Collombat. - En ce cas, appliquons le même régime !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Le statut des magistrats nous en empêche.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je ne suis pas un adepte de la transparence ; mais dès lors que l'on part dans ce système absurde, et que les responsabilités d'un magistrat sont au moins aussi importantes que celle du maire d'une commune de mille habitants, allons jusqu'au bout !
M. Jean-Pierre Sueur. - L'extension de la transparence suppose des règles : la valorisation du patrimoine par l'administration fiscale, doit être encadrée par des règles et des procédures sécurisées.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Nous avons projeté la mise en oeuvre de nos réformes dans le temps. Depuis 2013, les promotions de magistrats et de greffiers ont augmenté. Nous avons un solde positif pour la première fois cette année. En 2010, 144 diplômés étaient sortis de l'ENM. J'ai porté ce nombre à 358 en 2013, puis 364 en 2014 382 en 2015, et, l'année prochaine, 482. J'ai renforcé les équipes de l'ENM avec 20 recrutements et une dotation budgétaire en conséquence.
M. René Vandierendonck. - Très bien !
M. Michel Mercier. - En France, le parquet est uniquement constitué de magistrats, susceptibles d'intervenir dès la première minute de la garde à vue, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays réputés les plus amis de la liberté comme le Royaume-Uni. Il faut sauver le parquet à la française en incluant la pratique actuelle dans la loi constitutionnelle. Suivant sur ce point l'excellente analyse du procureur général Marc Robert, je vous invite par conséquent à convaincre le président de la République de ne pas placer cette réforme dans le même ensemble que la charte des langues régionales et la réforme plus générale du CSM : tout rassembler ne ferait que multiplier les adversaires du texte, pour être sûr d'avoir un non...
M. Philippe Bas, président. - Pour la charte sur les langues régionales, nous sommes prêts à aider le Gouvernement à conjurer ce risque ! Si je le comprends bien, notre collègue vous recommande d'aller dans le sens du vote du Sénat de juillet 2013 sur les nominations. Je m'y associe.
M. René Vandierendonck. - Nous gagnerions du temps !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Dois-je entendre que le texte, tel qu'amendé par le Sénat, recueillerait une majorité des trois cinquièmes ?
M. Michel Mercier. - Je ne suis pas capable de les trouver tout seul, mais je voterais ce texte sans hésiter et m'efforcerais d'en convaincre mes collègues, sans calcul politicien.
M. René Vandierendonck. - Procédez comme pour la réforme territoriale, en mettant en relief les continuités plutôt que les ruptures.
M. Philippe Bas, président. - Ce point n'était pas à l'ordre du jour, mais il nous importait de vous faire connaître un sentiment largement partagé.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Toutefois, les signes de perplexité sur certains visages ne m'ont pas échappé...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est possible de faire aboutir un texte s'il ne contient que le nécessaire et le suffisant. Ne pas réussir à trouver une majorité de trois cinquièmes autour d'un tel projet, voilà l'échec. Notre commission pourrait élaborer ce texte nécessaire et suffisant, qui ne vous satisferait pas entièrement car il ne contiendrait pas certains des éléments de celui qui est toujours en navette ; il faudrait pour cela que l'Assemblée nationale accepte d'amender le texte du Sénat en ce sens. Finissons-en avec une conception archaïque de la politique.
M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions de vos réponses précises et complètes.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je reste à votre disposition.
La réunion est levée à 19 h 40
Mardi 21 octobre 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 9 h 25
Loi de finances pour 2016 - Nomination des rapporteurs pour avis
Sont nommés rapporteurs pour avis pour l'examen du projet de loi de finances pour 2016 :
- sur l'administration territoriale, M. Pierre-Yves Collombat (mission « Administration générale et territoriale de l'État ») ;
- sur l'asile, Mme Esther Benbassa, et sur l'immigration, l'intégration et la nationalité, M. François-Noël Buffet (mission « Immigration, Asile et Intégration ») ;
- sur l'outre-mer, M. Thani Mohamed Soilihi (mission « outre-mer ») ;
- sur les juridictions administratives et sur les juridictions financières, M. Michel Delebarre (mission « Conseil et contrôle de l'État ») ;
- sur le développement des entreprises et de l'emploi, M. André Reichardt (mission « Économie ») ;
- sur la fonction publique, Mme Catherine Di Folco (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ») ;
- sur l'administration pénitentiaire, M. Hugues Portelli, sur la justice judiciaire et l'accès au droit, M. Yves Détraigne, et sur la protection judiciaire de la jeunesse, Mme Cécile Cukierman (mission « Justice ») ;
- sur la coordination du travail gouvernemental, les publications officielles et la modernisation de l'État, M. Alain Anziani, et sur la protection des droits et libertés, M. Jean-Yves Leconte (mission « Direction de l'action du Gouvernement ») ;
- sur les pouvoirs publics, M. Jean-Pierre Sueur (mission « Pouvoirs publics ») ;
- sur les relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault (mission « Relations avec les collectivités territoriales ») ;
- sur la sécurité, M. Alain Marc (mission « Sécurité ») ;
- sur la sécurité civile, Mme Catherine Troendlé (mission « Sécurité civile »).
Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats
La commission désigne Mme Éliane Assassi et M. François-Noël Buffet pour siéger comme membres titulaires au conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre - Examen des amendements
La commission examine les amendements sur la proposition de loi n° 376 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
M. Philippe Bas, président. -Nous examinons à présent les amendements sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Les trois amendements que j'ai déposés tirent la conséquence de la position de la commission, qui a rejeté la proposition de loi la semaine dernière.
M. Jean-Pierre Sueur. - Notre groupe s'opposera à ces trois amendements. Dans sa position radicale, le rapporteur propose des amendements de suppression des trois articles, de sorte qu'il ne resterait rien du texte. Compte tenu de l'importance du sujet, nous ne pouvons pas suivre cette position...
M. Didier Marie. - Je n'interviendrai pas sur le fond, moi non plus, lors de la présente réunion, nous aurons l'occasion de nous exprimer en séance publique. La semaine dernière, sous la pression, vous avez retiré la motion préjudicielle que vous aviez déposée, et vous revenez à la charge en proposant de supprimer les trois articles, ce qui revient à refuser de discuter au fond de ce texte, qui repose sur des fondements juridiques précis, nationaux et internationaux, contrairement à ce qui est dit.
M. Jacques Bigot. - Je pense que les motivations de suppression de l'article 1er peuvent nous conduire, à l'avenir, à envisager de nouvelles choses dans toute une série de texte de loi. Vous parlez à propos de ce texte d'« imprécisions qui soulèvent des interrogations constitutionnelles » quant à l'objectif d'intelligibilité et de clarté de la loi. Autant dire que l'on peut émettre les mêmes réserves sur de nombreux textes de loi. Par ailleurs, l'argument selon lequel la prise de décision en la matière doit se faire au niveau européen est avéré pour de nombreux autres domaines, et pourtant je ne pense pas que la commission des lois considère que c'est à l'Union européenne de trancher, en amont, sur tous ces sujets... Si nous appliquions systématiquement les motivations que vous soulevez, le Parlement se dessaisirait de nombre de ses prérogatives...
M. Philippe Bas, président. - Chacun s'étant exprimé, je mets aux voix les trois amendements de suppression du rapporteur.
La commission adopte les amendements n°s14, 15 et 16.
M. Philippe Bas, président. - Il nous faut ensuite déterminer une position de la commission sur les autres amendements, dans l'hypothèse où les amendements du rapporteur seraient rejetés en séance.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n° 1 vise à étendre le périmètre des sociétés concernées par l'obligation d'établir un plan de vigilance. En raison de l'extension de périmètre qu'il propose, cet amendement encourt de façon encore plus forte les critiques adressées à la proposition de loi. J'émets donc un avis défavorable à cet amendement. Pour les mêmes motifs, j'émets le même avis défavorable sur tous les amendements suivants.
L'amendement n° 13 constitue manifestement un « cavalier législatif », puisqu'il ne concerne en rien l'obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Je vous propose donc de le déclarer irrecevable en application de l'article 48, alinéa 3, du règlement du Sénat.
La commission émet un avis défavorable aux amendements n°s 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 et déclare irrecevable l'amendement n°13.
La commission adopte les avis suivants :
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
AUTRES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collective - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et des textes de la commission
M. Christophe-André Frassa est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 786 (2013-2014) ratifiant l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Ce rapport est un legs de Jean-Jacques Hyest, spécialiste reconnu du droit des entreprises en difficulté, matière austère et technique, mais fondamentale pour notre économie. Un droit des entreprises en difficulté efficace, ce sont des entreprises et des emplois sauvés.
Je souhaite rendre hommage à Jean-Jacques Hyest : il a été l'auteur de plusieurs rapports et rapporteur de plusieurs textes au Sénat depuis le début des années 2000, en particulier la loi de sauvegarde de 2005, qui a créé la procédure de sauvegarde à côté du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire. Il a aussi été, plus récemment, à l'origine de la création de la sauvegarde financière accélérée en 2010.
Jean-Jacques Hyest a mené la presque totalité des auditions de ce rapport, me laissant, notamment, l'audition du ministère de la justice. Ce sont ses conclusions et ses propositions qu'il m'appartient aujourd'hui de soumettre à la commission.
Je ne m'étends pas sur les évolutions récentes de cette branche du droit des entreprises et sur ses grands principes, que les ordonnances ne remettent pas en cause : vous pourrez trouver des éléments dans le rapport. Alors que, dans ce domaine, il y avait autrefois une grande loi par décennie, nous constatons néanmoins une accélération des réformes depuis 2005, sans doute en raison du contexte économique.
Qu'apportent les deux ordonnances ? Elles se situent dans le prolongement des réformes précédentes, depuis la grande réforme conduite par Robert Badinter en 1984 et 1985, qui a posé de nouveaux et de bons principes.
Ainsi, ces ordonnances veulent rendre les procédures de prévention plus attractives pour les entreprises, notamment la conciliation, pour inciter bien sûr les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique, de préférence aux procédures curatives que sont les procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires). Elles développent les ponts entre prévention et procédures collectives, dans la continuité de la sauvegarde financière accélérée. Elles améliorent le fonctionnement des procédures judiciaires, comme toute réforme, rééquilibrent les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation et en leur ouvrant la possibilité de présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire, renforcent le rôle du parquet, garant de l'ordre public économique, pour contrôler le bon déroulement des procédures et les droits de toutes les personnes intéressées et tendent à mieux garantir l'impartialité du tribunal et tirent les conséquences de certaines questions prioritaires de constitutionnalité dans ce domaine.
Deux nouvelles procédures sont créées : la sauvegarde accélérée, qui systématise les principes de la sauvegarde financière accélérée, et le rétablissement professionnel, procédure simplifiée destinée aux petits entrepreneurs sans salarié ni actif, sans tous les effets de la liquidation judiciaire, pour permettre le « rebond » en cas de difficulté économique.
Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions.
D'un point de vue statistique, sur 69 000 procédures ouvertes en 2013 au titre du livre VI du code de commerce, on compte 2 500 mandats ad hoc et conciliations, 1 500 sauvegardes, 16 000 redressements judiciaires et presque 40 000 liquidations judiciaires. La réalité des procédures, c'est d'abord la liquidation. Pour autant, le volume d'emplois n'est pas réparti de la même manière et de nombreux emplois sont sauvés grâce à ces procédures, en particulier en prévention et en sauvegarde. La plupart des liquidations sont sans salarié, ce qui justifie la nouvelle procédure de rétablissement professionnel, encore très peu utilisée, sans doute en raison d'incompréhensions sur ses conditions d'ouverture. Nous y reviendrons dans les amendements.
Sous l'influence du ministère de l'économie, avec l'expérience du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), le droit des entreprises en difficulté tend de plus en plus à devenir une « boîte à outils », pour gérer au cas par cas des dossiers de grandes entreprises. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit toujours souhaitable, même s'il faut évidemment concilier approche économique et approche juridique en la matière. Il en résulte une complexité croissante, en particulier pour les petites entreprises, qui hésitent déjà beaucoup à s'adresser au tribunal.
Je n'entre pas davantage dans les détails des ordonnances, le rapport les présente de façon précise et complète, et nous discuterons de certains points à l'occasion des amendements.
En dehors de dispositions ponctuelles, pour lesquelles je vous proposerai des amendements, ces ordonnances ont été largement approuvées par les acteurs concernés et ont été mises en oeuvre de façon apparemment satisfaisantes, dans les tribunaux de commerce, à compter de juillet 2014.
Pour mémoire, la loi pour la croissance et l'activité d'août 2015 a apporté sa contribution à la réforme du droit des entreprises en difficulté, avec le mécanisme de « cession forcée » que le Gouvernement n'avait pas osé instaurer dans les ordonnances, et avec le regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d'un même groupe : c'est une initiative de François Pillet, à porter au crédit du Sénat et attendue depuis longtemps par les praticiens.
Alors pourquoi ce rapport sur les projets de loi de ratification de ces deux ordonnances ?
C'est une démarche vertueuse puisqu'il s'agit de faire sur les dispositions de ces ordonnances un travail d'analyse approfondi, comme sur un projet de loi, en tenant compte néanmoins de ce que les ordonnances sont en vigueur. Puisque nous avons accepté de déléguer notre pouvoir législatif dans cette matière, dans la loi du 2 janvier 2014 de simplification du droit des entreprises, il nous appartient de contrôler l'usage fait de cette délégation. Je rappelle que ces deux ordonnances comportent au total 131 articles : ce n'est donc pas au moment où nous devrons ratifier, sans doute par un amendement de dernière minute du Gouvernement, que nous pourrons faire ce travail de fond.
La même question se posera sans doute pour l'ordonnance réformant le droit des contrats et des obligations, à laquelle le Sénat était résolument opposé...
L'objectif est d'intégrer les amendements que nous adopterons ce matin dans le projet de loi sur la justice du XXIème siècle, en ratifiant l'ordonnance, car l'article 50 de ce projet de loi modifie des dispositions issues de ces ordonnances ou des dispositions connexes. Nous aurons donc un débat avec le Gouvernement à l'occasion de ce texte.
Au terme des travaux conduits de concert avec Jean-Jacques Hyest, je soumets à votre approbation 25 amendements, qu'il a directement inspirés, pour compléter les deux projets de loi de ratification que je vous propose d'adopter. Ces amendements concernent soit des dispositions issues des ordonnances, pour la plupart, soit des dispositions directement connexes, dans certains cas.
M. Philippe Bas, président. - Il faut rendre hommage à notre rapporteur, qui a pu approfondir l'examen du texte en un temps record, grâce à sa parfaite connaissance du sujet. Nous pouvons à présent passer à l'examen des amendements relatifs à l'ordonnance du 12 mars 2014.
EXAMEN DES AMENDEMENTS SUR LE PROJET DE LOI RATIFIANT
L'ORDONNANCE
N° 2014-326 DU 12 MARS 2014
Articles additionnels après l'article unique
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-1 concerne la procédure d'alerte par le commissaire aux comptes. Il vise à supprimer l'obligation de déclencher la dite procédure en cas de désignation d'un mandataire ad hoc par le tribunal. Il précise par ailleurs que le commissaire aux comptes peut demander à être entendu par le président du tribunal.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Dès lors que la résidence principale de l'entrepreneur individuel est insaisissable de droit, le maintien d'une insaisissabilité volontaire pour les autres biens non affectés à l'activité professionnelle n'a plus lieu d'être. En cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'un entrepreneur individuel, il serait paradoxal que celui-ci puisse faire échapper à la procédure une résidence secondaire. C'est une question d'équilibre entre les droits de l'entrepreneur et ceux des créanciers. C'est l'objet de l'amendement COM-2.
M. Philippe Bas, président. - C'est un amendement important.
L'amendement COM-2 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à expliciter, pour éviter toute ambiguïté d'interprétation, que le débiteur n'a pas à informer le comité d'entreprise lorsqu'il demande la désignation d'un mandataire ad hoc ou l'ouverture d'une procédure de conciliation.
M. Philippe Bas, président. - Là aussi, c'est une règle importante qui serait posée.
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à préciser les conditions dans lesquelles le parquet peut exercer ses prérogatives de contrôle au cours de la procédure de conciliation.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-5 est important. L'ordonnance du 12 mars 2014 a codifié une pratique appelée le « prepack cession », consistant à préparer, sous la confidentialité d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation, la cession partielle ou totale de l'entreprise, cession qui sera mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Pour assurer une plus grande transparence à cette procédure, sans remettre en cause la règle de confidentialité, le mandataire ad hoc ou le conciliateur devra rendre compte au tribunal de ses diligences pour mettre en concurrence les repreneurs potentiels et susciter autant que possible une pluralité d'offres, en vue d'obtenir la meilleure offre. Il s'agit en fait de permettre au tribunal de se prononcer sur la cession de la façon la plus éclairée possible. Cette procédure suscite des inquiétudes de la part des tribunaux et chez certains praticiens et experts ; il s'agit d'y répondre.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à supprimer la possibilité pour le débiteur lui-même de demander l'extension de la procédure à une ou plusieurs autres personnes. C'est une disposition singulière qui n'a guère été comprise.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-7 a pour objet de clarifier la durée pour laquelle peut être renouvelée ou prolongée la période d'observation ouverte par le jugement d'ouverture d'une procédure collective.
L'amendement COM-7 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à prévoir que le tribunal statuant sur l'ouverture d'une procédure collective sollicite les observations de l'Association de garantie des salaires, l'AGS, non seulement sur la désignation du mandataire judiciaire, mais aussi celle de l'administrateur judiciaire.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-9 est important car il vise à clarifier certaines dispositions introduites par l'ordonnance du 12 mars 2014 en matière de déclaration des créances. Il précise la rédaction de la disposition selon laquelle, lorsque la déclaration de la créance est faite par un préposé ou un mandataire au nom du créancier, cette déclaration doit être ratifiée par le créancier. Surtout, il supprime le mécanisme de déclaration des créances par le débiteur pour le compte des créanciers, très mal compris par l'ensemble des praticiens, suscitant la confusion chez les créanciers sur ce qu'ils doivent faire pour que leur créance soit prise en compte et provoquant de larges critiques quant au risque d'atteinte aux droits des créanciers du fait d'un doute sur la fiabilité d'une telle déclaration.
L'amendement COM-9 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-10 vise à prendre en compte le cas où le projet de plan prévoit une modification des statuts et pas seulement une modification du capital de la société. Il s'agit de permettre le vote des assemblées compétentes avant l'adoption du plan par le tribunal.
L'amendement COM-10 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-11 corrige une malfaçon rédactionnelle.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à préciser que le privilège de conciliation, accordé aux personnes ayant accepté de contribuer à la continuation de l'entreprise, par l'apport de trésorerie ou la fourniture de biens et services nouveaux pendant une conciliation, vaudra bien en cas de procédure collective avec comités de créanciers. C'est une clarification.
L'amendement COM-12 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-13, lui aussi de clarification, vise à préciser, par cohérence, dans l'hypothèse où les comités de créanciers adoptent un projet de plan de sauvegarde ou de redressement proposé par un créancier et alternatif à celui élaboré par le débiteur et l'administrateur judiciaire, que le tribunal n'a à statuer que sur ce plan.
L'amendement COM-13 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Il s'agit avec l'amendement COM-14 de mieux articuler le droit des procédures collectives avec le droit des sociétés, lorsque les capitaux propres d'une société en sauvegarde ou en redressement judiciaire sont inférieurs à la moitié du capital social. Dans le cas d'un redressement judiciaire comportant un projet de plan prévoyant une modification du capital, il s'agirait de préciser que la reconstitution partielle préalable des capitaux propres est obligatoire, lorsque l'assemblée des actionnaires n'y pourvoit pas.
L'amendement COM-14 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-15 tend à la simplification en limitant l'obligation d'établir l'inventaire du patrimoine du débiteur en liquidation judiciaire aux cas où celui-ci dispose effectivement encore d'actifs à inventorier.
L'amendement COM-15 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-16 lève une imprécision rédactionnelle.
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-17 apporte des modifications à la nouvelle procédure de rétablissement professionnel. Il clarifie les conditions d'ouverture de la procédure, afin de la rendre plus attractive, sans remettre en cause les garanties permettant au tribunal d'écarter les débiteurs cherchant à abuser de cette procédure. Il supprime ainsi l'obligation pour le débiteur de demander simultanément l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, s'il souhaite le bénéfice de l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel. Une liquidation judiciaire peut être ouverte à tout moment, à la demande du ministère public, si le juge constate que le débiteur est de mauvaise foi. Cet amendement prévoit aussi, comme dans les procédures collectives, la participation de l'ordre professionnel lorsque le débiteur exerce une profession réglementée. Ce sont des ajustements.
L'amendement COM-17 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-18 maintient la possibilité, pour le tribunal, de prononcer une interdiction de gérer à l'encontre d'une personne ayant omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements. Largement approuvée par les praticiens, cette possibilité permet d'écarter de la vie des affaires des chefs d'entreprise pour leur manque de compétence dans la gestion de leur entreprise.
L'amendement COM-18 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-19 est lui aussi important car il renforce l'impartialité du tribunal dans les procédures collectives, en encadrant davantage les fonctions de juge-commissaire. Le président du tribunal, s'il a connu d'une entreprise dans le cadre de la prévention, ne peut être désigné juge-commissaire. Il ne participer à la formation de jugement, tout comme le juge-commissaire. L'amendement vise également le cas du juge commis.
L'amendement COM-19 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-20 ajoute une précision au mécanisme procédural instauré par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour regrouper devant un même tribunal les procédures collectives concernant les sociétés d'un même groupe, en l'étendant aux sociétés soeurs.
L'amendement COM-20 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-21 supprime toute mention au casier judiciaire du jugement de liquidation judiciaire prononcée à l'encontre d'une personne physique, comme c'est déjà le cas depuis 2003 dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Il vise à faciliter le rebond des entrepreneurs en difficulté.
L'amendement COM-21 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-22 harmonise le règlement amiable agricole avec la procédure de conciliation.
L'amendement COM-22 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-23 surmonte la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation selon laquelle le mécanisme de garantie des salaires, financé par l'Association de garantie des salaires (AGS), n'inclut pas le précompte salarial des cotisations et contributions sociales. Cette jurisprudence a effectivement remis en cause la règle suivie jusque-là, affectant les finances de l'AGS.
L'amendement COM-23 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
EXAMEN DES AMENDEMENTS SUR LE PROJET DE LOI RATIFIANT
L'ORDONNANCE
N° 2014-326 DU 26 SEPTEMBRE 2014
M. Philippe Bas, président. - Nous pouvons à présent passer à l'examen des amendements relatifs au projet de loi ratifiant l'ordonnance du 26 septembre 2014 complétant l'ordonnance du 12 mars 2014.
Articles additionnels après l'article unique
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-1 précise le rôle du tribunal lorsqu'une entreprise lui demande l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, alors que les difficultés rencontrées ne le justifient pas.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Jean-Jacques Hyest tenait beaucoup à l'amendement COM-2, qui réduit de dix à cinq ans la durée maximale du plan de sauvegarde, pour la différencier davantage du redressement judiciaire, la réserver aux entreprises dont la capacité de continuation est avérée, et la rendre plus acceptable pour les créanciers.
L'amendement COM-2 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Philippe Bas, président. - Les projets de loi de ratification d'ordonnances obéissent à une procédure particulière : le Gouvernement les dépose sur le bureau des assemblées, à charge pour elles de s'en saisir. Nous avons décidé de nous en saisir, mais n'ayant pas été inscrits à l'ordre du jour prioritaire par le Gouvernement, ces textes devront être intégrés dans la discussion en cours de projets de loi à l'objet connexe, comme celui relatif à la justice du XXIe siècle...
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :
PROJET DE LOI RATIFIANT L'ORDONNANCE N° 2014-326 DU 12 MARS 2014
PROJET DE LOI RATIFIANT L'ORDONNANCE N°
2014-1088
DU 26 SEPTEMBRE 2014 COMPLÉTANT L'ORDONNANCE N°
2014-326
DU 26 SEPTEMBRE 2014
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Hugues Portelli et le texte qu'elle propose sur le projet de loi n° 34 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public.
M. Philippe Bas, président. - Nous examinons à présent le rapport d'Hugues Portelli sur le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de réutilisation des informations du secteur public.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Le projet de loi « pour une République numérique », que nous examinerons bientôt contenait initialement un chapitre transposant la directive du 26 juin 2013 relative à la réutilisation des données publiques. Or celle-ci aurait dû être transposée il y a plus de trois mois, ce qui nous exposait à un risque de sanction. Le Gouvernement nous soumet donc ce chapitre sous forme d'un projet de loi distinct. Celui-ci conserve des séquelles du texte initial : il « surtranspose » le droit européen, comme c'est souvent le cas.
La directive de 2013 a été écrite par la Commission européenne dans le cadre d'un vaste chantier de « dépoussiérage » de près de 400 directives ; celle qu'elle actualise datait de 2003, et avait elle-même été transposée dans notre droit au moyen d'une ordonnance adoptée en 2005, modifiant la loi relative à l'accès des documents administratifs de 1978. C'est en s'appuyant sur cette ordonnance que s'était développé l'open data, c'est-à-dire l'ensemble des politiques de publication et de réutilisation des données publiques.
La directive de 2013 est ambivalente : d'un côté, elle rend plus facile la réutilisation de données publiques, de l'autre, elle maintient, notamment dans le secteur de la culture, le versement de redevances ou la conclusion d'accords d'exclusivité. Le projet de loi, lui, reste influencé par le texte initial du Gouvernement, qui affirme le principe de gratuité... Pour l'heure, restons-en à la transposition de la directive.
Prenons l'exemple du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Il réalise et vend des cartes maritimes ; il en achète aussi, à nos voisins britanniques par exemple, afin de croiser les mesures faites des plateaux continentaux de part et d'autre de la Manche. Si le SHOM devait céder gratuitement ses cartes et que son homologue anglais continuait de vendre les siennes, il perdrait un million d'euros de recettes mais continuerait à payer pour les données britanniques. Il s'agit avant tout d'éviter la distorsion de concurrence entre organismes publics français et étrangers : ceux-ci fixeraient eux-mêmes les règles de réutilisation de leurs données. La directive de 2013 les oblige de toute façon à fixer un coût modique équivalant au coût marginal de collecte, de production, de mise à disposition et de diffusion augmenté d'un retour sur investissement raisonnable.
Les députés sont allés plus loin encore que le Gouvernement dans la « surtransposition ». Je vous propose de nous en tenir au texte du Gouvernement et quand ce dernier aura été trop loin de revenir à celui de la directive.
Mme Jacqueline Gourault. - Très bien !
M. Alain Richard. - Deux groupes d'influence - de poids inégaux - pèsent sur ces questions de transfert de données du public vers le privé : d'une part, les associations et mouvements citoyens à but non lucratif qui veulent accéder aux informations mais n'ont que des capacités artisanales pour les exploiter ; d'autre part, les entreprises, qui y voient la matière première de nouveaux services commerciaux. Je ne suis pas surpris du résultat au niveau européen que vous avez décrit, car ces acteurs savent se faire entendre, et les gouvernants manquent parfois de la vigilance requise. Nous avons toutes les raisons de faciliter le développement de cet aspect de l'économie, mais regardons attentivement qui paye pour qui...
M. Alain Vasselle. - L'exemple des cartes maritimes est très éclairant. La directive européenne ne prévoit-elle pas un dispositif commun à tous les États membres de l'Union européenne ? Qu'est-ce qui justifie que la France aille au-delà ?
M. Jacques Mézard. - Le texte restreint-il la possibilité pour l'administration de vendre à des acteurs privés des listes d'informations relatives aux citoyens ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Je rejoins totalement Alain Richard. La directive était-elle d'applicabilité directe, monsieur Vasselle ? Globalement, il semble que non ; la transposition qu'en font les États leur laisse une certaine capacité de modulation : il leur est loisible de réclamer une redevance ou de conclure des accords d'exclusivité pour leurs organismes.
Monsieur Mézard, aux termes de la directive de 2003, les droits de propriété intellectuelle des tiers limitent déjà la vente de telles informations. Les données personnelles sont protégées par la loi de 1978.
M. Jacques Mézard. - Comment expliquer alors que l'État - sous tous les gouvernements - ne réponde pas à mes questions concernant la vente du fichier d'immatriculation ?
M. Philippe Bas, président. - S'il s'agit de données personnelles, l'administration n'a le droit ni de les donner, ni de les vendre...
M. Jacques Mézard. - Elle le fait pourtant !
M. Alain Richard. - J'ignorais que ces fichiers étaient vendus ; c'est une ressource utile, qui évitera d'augmenter les prélèvements obligatoires. Pour le justifier, l'administration n'a-t-elle pas tenu le même raisonnement que celui qu'on peut tenir sur les permis de construire ? Ceux-ci étant considérés non comme des données personnelles mais comme des décisions administratives notifiant un droit et accessibles au public, ceux-là peuvent être regardés comme des autorisations de mettre un véhicule en circulation...
M. Jacques Mézard. - Est-ce si sûr ?
M. Philippe Bas, président. - Je ne suis pas certain que l'on puisse aller jusqu'au bout de la comparaison. Vous soulevez une question intéressante, nous l'approfondirons.
M. François Bonhomme. - Je n'ai jamais vu de préfecture communiquer des données personnelles sans les anonymiser... Prenons garde à ne pas entraver le principe général de circulation des données publiques, qui est un moteur d'activité important. Il appartient aux autorités détentrices des informations de s'assurer qu'elles sont expurgées des données personnelles, conformément à la loi de 1978.
M. Philippe Bas, président. - L'article 3 dispose que la redevance de réutilisation des informations peut être réclamée par une administration tenue « de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l'accomplissement de ses missions de service public ». C'est assez flou...
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Cela concerne notamment l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), que j'ai auditionné, ou l'INSEE.
M. Alain Richard. - Les statuts des établissements publics précisent la nature de leurs ressources - subventions et ressources propres. S'agissant des services de l'État, je ne sais pas comment l'on pourrait statuer.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-1 rétablit une rédaction plus fidèle à la directive : « lorsqu'elles sont mises à disposition sous forme électronique, ces informations le sont, si possible, dans un standard ouvert et aisément réutilisable ». Nous supprimerions par ailleurs une précision inutile : « lisible par une machine ».
M. Jean-Pierre Sueur. - Les données peuvent-être être mises à disposition autrement que sous forme électronique ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Oui, grâce à cet amendement.
M. Philippe Bas, président. - Le terme « standard » sera sans doute compris par tous ?
M. Jean-Pierre Sueur. - L'on peut l'espérer.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-2 rétablit l'article 11 de la loi CADA, de façon à maintenir un régime dérogatoire de réutilisation pour les informations figurant dans des documents produits ou reçus par des établissements et institutions d'enseignement et de recherche. Cette dérogation ne vaudrait que pour les documents produits ou reçus dans le cadre de leurs activités de recherche. Cette distinction reprend celle prévue par l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
M. Philippe Bas, président. - Dans quel objectif ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. - De permettre à ces établissements de conserver leurs prérogatives en matière de réutilisation des données de recherche.
M. Pierre-Yves Collombat. - La formulation n'est-elle pas excessive ? Nul ne pourrait contrôler ce à quoi ces établissements interdisent l'accès...
M. Jean-Pierre Sueur. - Le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, que j'ai interrogé, est défavorable à cette disposition. Dans les milieux universitaires, la loi est plutôt bien perçue, car elle favorise la communication des travaux intellectuels. De deux choses l'une : ou bien les documents ne sont pas communicables, parce qu'inachevés ou protégés par le secret industriel ou commercial ou le droit de la propriété intellectuelle : ils ne sont alors pas réutilisables ; ou bien ils appartiennent à la littérature universitaire, déjà soumise à un droit particulier - la protection contre la copie par exemple -, et il n'y a pas de raison de restreindre leur communication. Il paraît en outre exorbitant que chaque institution fixe le coût de mise à disposition de ses documents. Je suis réservé sur cet amendement.
M. Alain Vasselle. - Quel serait le problème ?
M. René Vandierendonck. - Je rejoins M. Sueur. Cette disposition va beaucoup plus loin que le projet de loi : je voterai contre cette dérogation.
M. Alain Marc. - Alors que l'on renforce l'autonomie des universités, cette disposition est une bonne chose.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Elle n'interdit pas la diffusion des données, mais leur réutilisation, ce qui est très différent. Le droit en vigueur dispose que les conditions de réutilisation des informations sont fixées le cas échéant par l'administration lorsqu'elles figurent dans des documents produits ou reçus par des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ou des services culturels.
M. Jean-Pierre Sueur. - Est-il si facile de distinguer la diffusion de la réutilisation ? Comment qualifier la citation d'un autre document par exemple ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Une précision encore : ne sont concernés que les cas de réutilisation avant publication.
M. Alain Richard. - Ce qui est en jeu, c'est la loyauté de la concurrence entre chercheurs. Celui qui a constitué une base de données originale pour ses recherches ne doit pas se la voir réclamée par l'un de ses concurrents, sous peine de diminuer ses chances de publier ses travaux dans une revue à comité de lecture, par exemple.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - La directive est muette sur ce point : c'est une « surtransposition » de la part du Gouvernement.
L'amendement COM-2 est adopté.
Article 2
L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - La directive impose la transparence des accords d'exclusivité conclus en matière de réutilisation des informations publiques. Les députés ont précisé que cette transparence s'applique également aux avenants, aux conditions de négociation, et les critères retenus pour l'octroi d'un droit d'exclusivité et que la publication se ferait au format électronique.
Cette disposition est trop imprécise et inutile : de tels accords d'exclusivité sont généralement conclus à l'issue d'une procédure de mise en concurrence régie par les règles relatives aux marchés publics. N'insérons pas ces dispositions dans la loi du 17 juillet 1978. Au surplus, l'article 44 de l'ordonnance garantit un équilibre entre, d'une part, les exigences de confidentialité propres à prévenir la divulgation de secret en matière industrielle et commerciale et à préserver la concurrence loyale et, d'autre part, les règles en matière de liberté d'accès aux documents administratifs. Voilà pourquoi l'amendement COM-4 rétablit le texte initial.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-5 transpose la dérogation prévue au b du II de l'article 6 de la directive de 2003 dans la rédaction résultant de la directive de 2013.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-6 est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Les licences rappelant les règles relatives à la réutilisation des informations publiques, l'amendement COM-7 les rend obligatoires à titre pédagogique et dans un objectif de prévention des litiges, et cela que la réutilisation donne ou non lieu au paiement de redevances.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi obliger l'administration à attacher une licence à toute communication ? La loi de 1978 prévoit déjà que « la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées ». Cet amendement est inutilement lourd.
M. René Vandierendonck. - Absolument.
M. Alain Richard. - C'est affaire de fidélité à l'objectif de la directive. La licence est une simple confirmation du fait que l'administration applique la loi. Or la formulation « donne lieu à l'établissement d'une licence » confère à l'administration un véritable pouvoir de décision... La rédaction n'est pas pleinement aboutie.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Tous les documents émanant de l'État publiés sur le site data.gouv.fr sont déjà soumis à la « Licence ouverte », et ne donnent donc pas lieu au paiement d'une redevance. La licence se contente de rappeler les règles.
M. Alain Richard. - Alors pourquoi légiférer ?
M. Philippe Bas, président. - Quelle est au juste la définition d'une licence ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Il y en a plusieurs, selon qu'elle est ouverte ou non. Le Conseil d'État n'a pas tranché la question de savoir si une licence était de nature contractuelle ou réglementaire.
L'amendement COM-7 est adopté.
Article 5
L'amendement de coordination COM-8 est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-9 rectifié rend le texte applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises. Nous avons là une divergence d'interprétation avec le Gouvernement : le statut de Wallis-et-Futuna n'est pas exactement le même que celui de la Polynésie française.
M. Alain Richard. - En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, n'appartient-il pas à l'autorité territoriale de légiférer sur l'accès aux documents administratifs ?
M. René Vandierendonck. - Oui, c'est une question d'autonomie.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Je m'aligne sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel... Le rapport écrit donnera la référence détaillée.
L'amendement COM-9 rectifié est adopté ; en conséquence, l'amendement COM-11 tombe.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-10 rectifié étend l'obligation de mise en conformité aux accords d'exclusivité conclus en vue de la numérisation de ressources culturelles ainsi qu'à ceux conclus entre personnes publiques dans le cadre de leurs missions de service public.
L'amendement COM-10 rectifié est adopté.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement COM-12 du Gouvernement renvoie à une ordonnance la codification des dispositions relatives à l'outre-mer. Avis favorable sous réserve de l'adoption du sous-amendement COM-13 rectifié, qui précise le champ de cette habilitation et supprime une disposition inutile dans la mesure où en application de l'article 38 de la Constitution, il appartient à chaque ordonnance de déterminer son champ d'application territorial.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le sous-amendement obligerait le Gouvernement à prendre deux ordonnances sur le fondement, respectivement, des articles 38 et 74-1 de la Constitution - il est vrai que nous n'en mourrions pas... Le rapport public du Conseil d'État de 2005 indique de toute façon que nous ne pouvons fonder une unique ordonnance sur deux bases distinctes.
M. René Vandierendonck. - En effet.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Les ordonnances prennent de nos jours des formes variées, parfois celles d'articles de projets de loi...
Le sous-amendement COM-13 rectifié est adopté.
L'amendement COM-12, sous-amendé, est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -
Mesures de surveillance des communications électroniques internationales - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Philippe Bas et le texte qu'elle propose sur la proposition de loi n° 6 (2015-2016), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous examinons à présent le rapport de M. Philippe Bas sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Voici une queue de comète du projet de loi relatif au renseignement, définitivement adopté par le Parlement le 24 juin dernier. Dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions relatives à la surveillance des communications électroniques internationales, non pas pour des raisons de fond, mais pour incompétence négative du législateur : en renvoyant à deux décrets en Conseil d'État, dont l'un ne devait pas être publié, le législateur n'a pas exercé la plénitude de ses compétences.
Les techniques de surveillance des communications internationales se sont développées depuis les années 2000, à la suite de décisions du chef de l'État et du Gouvernement, sur une base juridique qui n'était pas prévue pour de telles activités : les règles de police administrative relatives aux interceptions de sécurité établies par la loi du 10 juillet 1991. Les nouvelles techniques n'ont pas pour objet de surveiller les résidents français, mais sont néanmoins exploitées sur notre sol et, de façon exceptionnelle, les communications entre des personnes dont les numéros ou identifiants techniques sont rattachables au territoire français peuvent se trouver interceptées. Il convenait de sortir ces situations de ce no man's land juridique.
Le Gouvernement a choisi de s'en remettre à une initiative parlementaire, celle de Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. Afin toutefois de parer à tous les risques d'inconstitutionnalité sur le fond, j'ai déposé en septembre une proposition de loi très proche et demandé au Président du Sénat, qui l'a accepté, de faire usage de la faculté que lui confère l'article 39 de la Constitution de demander l'avis du Conseil d'État sur la conformité de ce texte à nos principes constitutionnels et conventionnels. La Haute juridiction a levé tous nos doutes le 15 octobre dernier par l'avis qui vous a été adressé.
Les informations qui transitent par les câbles internationaux auxquels la France est reliée peuvent être exploitées par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les flux comportant, à la source comme à la réception, des identifiants nationaux seront écartés automatiquement ; le projet de loi garantit l'impossibilité d'y accéder, ce que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) pourra vérifier. Ensuite, les flux mixtes, c'est-à-dire les communications dont l'émetteur ou le récepteur peut être rattaché par son identifiant ou son numéro au territoire national, seront exploités dans les conditions de droit commun de la surveillance intérieure, telles que définies par la loi sur le renseignement. Enfin, les communications émises ou reçues à l'étranger feront l'objet de ce régime spécifique.
Je me suis rendu à deux reprises dans les locaux de la DGSE pour observer le fonctionnement du système, vérifier la réalité des garanties offertes aux personnes et la finesse du système de sélection des informations. Les flux sont importants ; le travail des services consiste à les trier et à se rapprocher des cibles préalablement identifiées. Le texte prévoit que le Premier ministre pourra donner une autorisation portant sur une zone géographique, ou ciblant des organisations particulières, voire des personnes. Cette autorisation fera l'objet d'une communication a posteriori à la CNCTR.
Le Conseil d'État a estimé que la nouvelle rédaction de la proposition de loi tenait compte des griefs formulés par le Conseil constitutionnel ; que la différence de régime entre la surveillance des étrangers et des résidents français était justifiée et que la conciliation entre la protection de la sécurité nationale et le respect de la vie privée et du secret des correspondances n'était pas manifestement déséquilibrée ; que le dispositif était conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'application de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au respect de la vie privée et familiale. Enfin, le Conseil d'État a considéré que les possibilités de recours des personnes surveillées étaient suffisantes : toute personne pourra s'assurer auprès de la CNCTR qu'elle ne fait pas l'objet d'une surveillance irrégulière (la commission ne confirmant ni infirmant l'existence d'une éventuelle surveillance) ; si, de sa propre initiative ou saisie par un particulier, la CNCTR estime qu'une garantie fondamentale est méconnue, son président ou trois de ses neuf membres pourront saisir le Conseil d'État. Celui-ci déclare dans son avis que cette procédure, quoique moins aisée que la procédure nationale, donne un moyen de recours au citoyen surveillé à l'étranger. C'est d'un grand raffinement dans la protection des droits des citoyens ! Peu d'États s'en préoccupent à ce point.
Fort de ces analyses, j'ai considéré pouvoir vous proposer d'approuver le texte de la proposition de loi, auquel j'ai apporté quelques amendements.
M. Jean-Pierre Sueur. - Notre groupe considère qu'il s'agit d'un complément à une loi déjà adoptée. Grâce au Sénat, le texte a été modifié pour prendre en compte des considérations relatives au respect des libertés individuelles, de la vie privée et des données personnelles. Il ne s'agit pas de refaire le débat mais de répondre à la remarque du Conseil constitutionnel. Comme l'a excellemment exposé le rapporteur, ce texte m'apparaît vertueux. La DGSE, aux fonctionnaires de laquelle je rends hommage, fonctionne dans des conditions très particulières. Il est clair que les garanties offertes par ce texte ne doivent pas avoir beaucoup d'équivalents dans le monde. Je ne suis pas sûr que les États-Unis, où nous nous étions rendus avec André Reichardt dans le cadre de la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, prennent de semblables précautions.
Sur les quinze amendements du rapporteur, douze ou treize sont rédactionnels. Deux apportent des modifications plus substantielles. La durée de conservation des correspondances, fixée à douze mois par l'Assemblée nationale, est réduite à dix mois. La question posée par l'amendement COM-5 de la possibilité pour le Premier ministre de faire appel à des délégués pour désigner de nouveaux systèmes de communication - soit entre cinq et dix décisions par an - ne représente pas une divergence excessive.
Puisque vous ne prenez pas la direction d'un vote conforme, confirmez-vous, monsieur le Rapporteur, qu'un accord en commission mixte paritaire vous paraît raisonnable de manière à éviter une lecture ultime de l'Assemblée nationale sur la question du passage de douze à dix mois, ou la désignation de délégués ?
M. Jean-Yves Leconte. - Oui, cette proposition de loi fait suite au texte sur le renseignement qui avait établi beaucoup de mesures. Les communications internationales n'ont peut-être pas reçu l'attention qu'elles méritaient au Parlement : nous devons nous y attacher davantage que lors de l'examen du premier texte. S'il faut rendre hommage à sa volonté de disposer d'un avis du Conseil d'État, il est dommage que le rapporteur n'ait pas procédé à des auditions techniques pour obtenir des réponses sur des notions telles que celles d'identifiant. Un Français peut avoir des identifiants étrangers et des étrangers des identifiants français. Si l'observation sur ce qui est envisagé est ici plus précise, il s'agit là d'une pêche au chalut, en décalage avec ce qu'on a pu dire lors de l'examen de la loi sur le renseignement. Comment s'assurer qu'un résident français n'aura que des identifiants français ? On établit entre ce qui se passe en France et à l'étranger une séparation complètement virtuelle car ne correspondant pas à la réalité technique.
La question des avocats français qui servent des intérêts français à l'étranger se pose. L'alinéa 12 limite la protection envisagée dans le texte initial, en particulier dans le contrôle de la CNCTR. Il est précisé que ces personnes « ne peuvent faire l'objet d'une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concernée ». C'est moins précis que ce qui a été retenu dans le texte initial pour une situation en France, or on ne peut tracer de vraie frontière entre les deux cas.
Pourquoi établir des principes différents sur l'exploitation des données de connexion alors qu'on ne fournit pas les mêmes garanties pour leur récupération ? Le délai de conservation des conversations téléphoniques ne court pas à partir de la date de recueil, mais de la date d'exploitation, contrairement à ce qui avait été envisagé. Doit-on vraiment poser sur la table tout ce qu'il est possible de faire, légitimant ainsi toutes les pratiques ?
Mme Cécile Cukierman. - Nous n'allons pas reprendre le débat sur la loi relative au renseignement. Le rapporteur l'a rappelé, la non-conformité dénoncée par le Conseil constitutionnel ne portait pas sur le fond, auquel nous sommes opposés en ce qu'il élargit de façon importante le champ de la surveillance. Notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.
M. Alain Richard. - Il existe une différence de base entre le régime applicable aux communications intérieures et internationales. Tout droit est territorial. La loi intérieure a autorité sur les opérateurs, qui coopèrent à l'application des décisions. À l'international, l'interception est clandestine. Les différences de procédure en sont la conséquence. Notre collègue Jean-Yves Leconte se trompe sur les garanties. Dès lors qu'on se livre à des exploitations individuelles issues de la collecte nécessairement indifférenciée de données sur un réseau international, on entre dans le même schéma de garanties que pour les exploitations individuelles provenant d'un réseau français.
M. Pierre-Yves Collombat. - Autant le texte sur le renseignement posait des difficultés sur les libertés publiques, autant celui-ci est plus protecteur que ses équivalents étrangers. Sous le bénéfice d'inventaire des réserves émises par M. Leconte, qui fait sans doute référence aux Français de l'étranger disposant d'identifiants étrangers, ce texte ne soulève pas d'objection essentielle.
M. Philippe Bas, rapporteur. - On s'acheminera assez facilement, si le Sénat adopte ce texte avec des modifications à la marge, vers un accord en commission mixte paritaire. Soyez sûrs que je le rechercherai. Monsieur Leconte, la décision du Conseil constitutionnel nous faisait un devoir d'aller au fond des choses. L'avis du Conseil d'État me rassure. Le texte couvre un maximum de garanties. Le cadre juridique ne s'attache pas à la nationalité de l'utilisateur mais aux instruments qu'il utilise : pour un ordinateur, l'adresse IP, pour le téléphone, la carte SIM et le numéro d'identification du territoire national, c'est-à-dire le préfixe en 0033.
Je n'ai pas procédé à de nouvelles auditions techniques mais celles organisées avant l'examen de la loi sur le renseignement m'avaient donné un niveau de compréhension suffisant. Je me suis également récemment rendu à la DGSE pour comprendre le fonctionnement de ses capacités techniques.
La protection des professions « protégées » me paraissait suffisante. Quant aux délais, les conditions de traitement des données sont plus difficiles qu'auparavant. Avant de procéder à l'exploitation, il faut appliquer de nombreux filtres afin d'arriver à l'information réellement utile. La masse d'informations est très excessive par rapport aux besoins réels. Il s'agit d'aller chercher l'aiguille dans la botte de foin, d'où les délais retenus.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 1er
L'amendement rédactionnel COM-1 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel COM-2.
L'amendement de précision COM-3 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel COM-4.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-5 retient l'expression « réseaux de communications électroniques », plus appropriée sur le plan juridique que celle de « systèmes ». Il confie en outre au Premier ministre les décisions de désignation des réseaux de communications pouvant faire l'objet d'une interception, rares et appartenant à un domaine sensible, au lieu d'en permettre la délégation à ses collaborateurs.
Mme Esther Benbassa. - Je m'abstiens.
M. Alain Richard. - Je suis incapable de décrire la différence entre « réseaux » et « systèmes ». La prudence commande de s'assurer auprès des rédacteurs du texte de la raison initiale du choix de ce mot. N'ayant pas une vision détaillée de la façon dont on pénètre les mécanismes, je préfère m'en tenir à la connaissance de ceux qui s'en chargent.
La décision d'interception est prise à l'encontre d'un flux d'informations géré par un acteur qui peut être une autorité publique, un État ou une compagnie privée. Je conviens que le besoin d'autorisation n'est pas fréquent, tout simplement parce que beaucoup de ces réseaux sont surveillés en permanence. Si survient l'indication que la surveillance d'un nouveau réseau est nécessaire, le Premier ministre sera toujours en mesure de signer l'autorisation en cas d'urgence. La portée de cette mesure n'est-elle pas seulement symbolique ? Un directeur de cabinet du Premier ministre peut tout signer - c'est d'ailleurs ainsi que notre État fonctionne, et mieux que d'autres. Existe-t-il une raison politique ou juridique à cette mesure ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le choix de l'expression « réseaux » repose sur ce qui existe dans notre droit, notamment à l'article L. 32 dans le code des postes et communications électroniques, et répond à la réalité des dispositifs à surveiller. Cela ne soulève pas de difficulté, je m'en suis assuré. Quant à la délégation, si nous avions accepté dans la loi relative au renseignement que le Premier ministre ait plusieurs délégués outre son directeur de cabinet, la décision politique de désigner ces réseaux, qui interviendra peu souvent, peut lui être confiée sans alourdir sa tâche. Les Premiers ministres, comme les ministres, ont toute latitude pour s'organiser. Je ne m'accroche pas à cet amendement, bien qu'il mette le Premier ministre face à sa responsabilité.
L'amendement COM-5 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel COM-6.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-7 supprime les dispositions précisant que l'autorisation du Premier ministre peut exclure certains numéros d'abonnement ou d'identifiants techniques de toute surveillance. Pourquoi ? S'il s'agit d'écarter l'écoute de personnalités bénéficiant d'immunité, ce ne serait pas une simple faculté mais une obligation tirée des conventions internationales ; s'il s'agit de moduler la précision de l'autorisation, c'est le cas général. Cette mention, inutile, m'apparaît motivée par la volonté d'afficher que jamais la France n'écoutera le Premier ministre d'un pays voisin. On n'a pas besoin d'insérer une disposition floue dans le texte pour affirmer ce principe.
L'amendement COM-7 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel COM-8.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-9 diminue la durée de conservation des correspondances interceptées. Moins longtemps ces renseignements sont conservés, si cela est compatible avec les exigences de la surveillance, plus grandes sont les garanties.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi pas huit ou onze ? C'est assez mineur.
M. Jean-Yves Leconte. - Vous avez écrit « recueil » plutôt qu'« exploitation ». Il y a donc deux avancées.
M. André Reichardt. - Je me demande, comme Jean-Pierre Sueur, quelle est l'importance du passage de douze à dix mois. Est-ce par cohérence avec la loi sur le renseignement ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il existe deux délais : celui de conservation à partir du premier jour d'exploitation, qui est réduit de douze à dix mois, et celui de conservation après le recueil, de quatre ans. Nous avons toujours veillé à ne pas autoriser la conservation des informations relevant de la vie privée au-delà de ce qui est nécessaire pour la surveillance. Nous avons eu là-dessus bien des débats avec le Gouvernement. Il s'agit simplement de limiter le délai le plus possible. Je n'en fais pas un argument majeur d'amélioration des garanties fondamentales offertes au citoyen.
Mme Esther Benbassa. - Je vote contre.
L'amendement COM-9 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Des opérations matérielles peuvent être réalisées par nos services ou par des opérateurs privés. L'amendement COM-10 a pour but que celles qui sont nécessaires à la mise en place de mesures de surveillance internationale dans les locaux et installations des opérateurs de réseaux de communications électroniques concernés puissent être effectuées sur ordre du Premier ministre, ou de la personne spécialement déléguée par lui, par des agents qualifiés de ces opérateurs dans leurs installations respectives. Nous apportons une garantie juridique aux opérateurs qui sont sous notre juridiction.
M. Alain Richard. - À qui cette mesure s'adresse-t-elle ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Aux opérateurs nationaux, comme Orange. Deux types d'actions sont conduits par l'État et par les opérateurs.
M. Alain Richard. - Des communications internationales peuvent en effet être gérées par des opérateurs français.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Exactement.
L'amendement COM-10 est adopté.
Les amendements rédactionnels COM-11 à COM-13 sont adoptés, ainsi que l'amendement de coordination COM-14.
Article 2
L'amendement de coordination COM-15 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 11 h 35
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :