- Mardi 15 septembre 2015
- Mercredi 16 septembre 2015
- Jeudi 17 septembre 2015
- Audition de Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma
- Audition de M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP)
- Audition de M. Jean-Luc Harousseau, président, M. Dominique Maigne, directeur, et Mme Véronique Chenail, Secrétaire générale, de la Haute autorité de santé
Mardi 15 septembre 2015
- - Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. -La réunion est ouverte à 13 h 35.
Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Créée par la loi du 11 octobre 2013, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a démarré son activité d'autorité administrative indépendante (AAI) en janvier 2014, avec un champ de compétences accru par rapport à la Commission pour la transparence financière de la vie politique qu'elle remplace. Elle est chargée de recevoir, contrôler, avec l'administration fiscale, et publier, dans certains cas, les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d'intérêts de certains élus, membres du gouvernement, collaborateurs et dirigeants d'organismes publics. Monsieur Nadal, vous nous préciserez l'étendue des prérogatives de votre institution, dont je précise qu'elle est composée de neuf membres, et qu'elle dispose d'un budget de 3,6 millons d'euros et de 23 équivalents temps plein travaillés.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Louis Nadal et Guillaume Valette-Valla, secrétaire général, prêtent serment.
M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. - Je suis heureux de pouvoir rendre compte pour la première fois de l'activité de notre institution au législateur qui l'a créée, il y a maintenant presque deux ans. Cela me paraît essentiel au regard des principes et des valeurs que nous devons incarner. Notre Haute Autorité est issue de lois récentes qui sont entrées progressivement en vigueur au cours de l'année 2014. À la suite de l'affaire Cahuzac, le législateur a estimé que la transparence était l'un des moyens de restaurer la confiance publique, et a créé la Haute Autorité. Le choix de cette structure juridique n'a pas fait débat, tant il est apparu que nos missions, visant les responsables politiques et publics, devaient échapper par nature à toute emprise partisane, tout en constituant inévitablement une activité administrative. Partout où elles existent, les fonctions de la Haute Autorité sont dévolues à une instance indépendante, qu'elles soient assumées de manière individuelle ou collective. On aurait pu penser les confier à un service administratif rattaché à ceux du Premier ministre : nous aurions inévitablement perdu en crédibilité. On aurait pu penser à une nouvelle juridiction : même si la Haute Autorité est essentiellement composée de magistrats, nous ne sommes pas des juges, car un déclarant n'est pas un prévenu.
Durant les années 2014 et 2015, j'ai présidé à la création de notre AAI dans des conditions parfois difficiles, mais animé par l'idée que nous devions être à la hauteur des nouvelles prérogatives que le législateur nous avait confiées. En janvier 2014, nous avons reçu plus de 3 000 déclarations papier, et 17 000 autres au cours de l'année, sans disposer d'aucun moyen pour convenablement les traiter, les enregistrer, les instruire, et publier celles qui devaient l'être. Hormis les quatre agents de l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique, nous n'avions ni système informatique, ni standard téléphonique pour répondre aux légitimes demandes des déclarants. Cette entrée en vigueur immédiate nous a placés dans une grande insécurité, tout comme les déclarants et en premier lieu les parlementaires qui ont dû redéposer leur déclaration pour le 1er février 2014. Nous en avons tenu compte en acceptant de recevoir après le délai de dépôt des déclarations complétées. Si depuis plus d'un an et demi, notre travail s'inscrit dans le court terme quand il s'agit de recueillir, contrôler et publier les déclarations, nous n'avons jamais perdu de vue notre objectif à plus long terme : renforcer la confiance dans les responsables publics en les contrôlant, mais aussi en les conseillant.
L'obligation faite aux responsables publics de déclarer leur patrimoine date de 1988 en France. La Commission pour la transparence financière n'était qu'une commission administrative et ne disposait que de quatre ou cinq agents ; elle était dépourvue de tout moyen juridique pour contrôler les déclarations de patrimoine qu'elle recevait, à tel point qu'elle était surnommée « la commission des sourds et aveugles ». Un ministre pouvait ainsi déclarer que son grand appartement parisien valait le prix d'une grange dans le Médoc, sans jamais le revaloriser pendant des décennies. En 2013, le législateur a décidé d'élargir le champ des déclarations à la vie publique dans son ensemble : 10 000 personnes sont désormais déclarantes auprès de la Haute Autorité, préfets, membres de cabinets ministériels, membres d'AAI,... Notre Haute Autorité a surtout été dotée de moyens juridiques nouveaux, grâce au concours de l'administration fiscale, qui dispose d'un mois pour nous fournir un avis sur les déclarations de patrimoine que nous lui transmettons. Ce délai est impossible à tenir, dès lors que l'administration fiscale décide de procéder à des vérifications approfondies, ce qui est le cas pour un millier de dossiers. La Haute Autorité peut toujours compléter son information auprès de l'administration fiscale, comme le relevé de cadastre, et lui demander d'exercer pour elle son droit de communication. Lorsque nous constatons qu'un déclarant a omis de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts, ou a fourni une évaluation mensongère de son patrimoine, la Haute Autorité transmet le dossier au procureur de la République qui jusqu'à présent a systématiquement diligenté une enquête.
Notre courte expérience a montré qu'il était nécessaire de simplifier et stabiliser ce qui doit être déclaré. Certains déclarants sont confrontés pour la première fois à des questions patrimoniales parfois subtiles. Les modèles de déclaration doivent être adaptés sur certains points. Il appartiendra au Gouvernement de le faire. Pour notre part, nous devons continuer à améliorer l'information et l'aide aux déclarants. Nous avons ouvert à cette fin un service de télé déclaration et un numéro d'assistance téléphonique dédié. Notre rapport d'activité comportera également un guide pour comprendre les subtilités déclaratives en matière patrimoniale. Une deuxième amélioration dans l'aide aux déclarants concerne la valorisation du patrimoine immobilier qui constitue pour les parlementaires comme pour l'ensemble de nos concitoyens l'essentiel des biens détenus. Même s'il est difficile de déterminer la valeur vénale d'une grange dans le Médoc, où il n'y a pas de marché, il nous appartient de faire connaître aux déclarants les méthodes qui sont à leur disposition, sans pour autant nous transformer en agents immobiliers. Nous ne cherchons pas à déterminer le juste prix, mais plus modestement à nous assurer de la sincérité et de la cohérence des déclarations, à partir des évaluations que nous communique l'administration fiscale et en discutant avec les déclarants.
Troisième amélioration possible : renforcer l'indépendance de la Haute Autorité dans ses procédures, comme je l'ai déjà suggéré dans un rapport dont nous nous sommes déjà entretenus, Monsieur le rapporteur. Une première option consiste à doter la Haute Autorité de moyens d'enquête propres, de nature à la rendre autonome y compris de l'administration fiscale. C'est ce qu'avait proposé Jean-Marc Sauvé, lors de son audition par la commission des lois du Sénat. La Haute Autorité serait alors seule responsable et garante de la confidentialité des informations qu'elle recueille, car elle en serait la seule destinataire. Deuxième option : maintenir l'architecture institutionnelle partagée entre la Haute Autorité et l'administration fiscale en harmonisant les procédures. En limitant les doublons et les contrôles déclenchés sans information, en donnant à la Haute Autorité latitude de procéder par elle-même aux vérifications les plus courantes, on gagnerait en efficacité. Plutôt que de faire transiter nos demandes de contrôle par l'administration fiscale, nous pourrions nous doter des outils minimaux pour réaliser ces premières démarches.
Notre deuxième mission consiste à prévenir les conflits d'intérêts en détectant les situations où des intérêts privés sont susceptibles d'interférer avec l'exercice d'un mandat ou d'une fonction publics et en proposant, grâce au dialogue, des solutions comme le déport ou la délégation ponctuelle de pouvoirs. Mme Fioraso a ainsi demandé que ses attributions soient modifiées après avoir consulté l'avis de la Haute Autorité. Un autre de nos objectifs est de contrôler le pantouflage des anciens ministres, c'est-à-dire leur reconversion professionnelle dans le secteur privé, au sortir de leurs fonctions. Toutes les activités de M. Montebourg ont ainsi été examinées préalablement par notre collège qui peut interdire ou opposer certaines réserves à leur exercice.
Enfin, je m'emploie à favoriser notre mission de conseil aux déclarants et aux institutions publiques. Elle consiste à rendre des avis confidentiels sur toutes les questions déontologiques qui peuvent se poser aux responsables publics dans l'exercice de leurs fonctions. De plus en plus d'élus locaux font appel à nous pour bénéficier d'un conseil extérieur et confidentiel qui les sécurise. Nous conseillons également les institutions qui souhaitent mettre en place des outils de déontologie interne - la ville de Paris, par exemple. Nous informons et sensibilisons les acteurs publics par des interventions qui peuvent être en lien avec l'Association des maires de France (AMF) ou le Centre national de formation des fonctionnaires territoriaux (CNFFT). Je viendrai présenter avant la fin de l'année notre rapport d'activité qui est en cours de rédaction, au président de votre commission des lois. Signaler les manquements que nous constatons et démontrer que l'immense majorité des responsables publics se comportent dans le seul souci de l'intérêt général, telle est notre mission.
La Haute Autorité fonctionne comme certaines autres AAI avec un collège qui sert d'organe délibérant et qui adopte toutes les décisions de l'institution. Dans la mesure où elle a été créée récemment, notre institution s'est vu imposer des garanties ambitieuses qui pourraient servir de standard. Son président, nommé selon la procédure définie à l'article 13 de la Constitution, ne peut exercer aucune autre activité professionnelle. Son collège paritaire est composé de deux membres élus par le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes, chaque juridiction élisant un homme et une femme. Deux membres sont nommés, l'un par le président de l'Assemblée nationale, l'autre par le président du Sénat, après approbation des trois cinquièmes des membres de la commission des lois de chaque assemblée. Ces deux membres ont démissionné, l'un en 2014, l'autre en 2015, et nous attendons leurs remplaçants. Les membres du collège sont nommés pour six ans non renouvelables, et leur mandat est incompatible avec toute autre fonction : on ne peut siéger simultanément à la Haute Autorité et dans une autre AAI. Ces dispositions sont de bon aloi pour garantir que l'indépendance de notre institution n'est pas un vain mot. Nous sommes également assistés de rapporteurs - magistrats administratifs, judiciaires ou financiers - qui travaillent à temps partiel. La Haute Autorité dispose de trente agents qui sont pour l'essentiel des fonctionnaires détachés, ce qui fait de nous une petite AAI.
Nous avons bien entendu souhaité accorder une place importante à la réflexion déontologique interne qui doit nous préserver de toute mise en cause dans l'exercice de notre mission. La plupart des règles applicables aux membres, rapporteurs et agents de la Haute Autorité ont été prévues par les lois sur la transparence de la vie publique et par nos textes internes. Outre la signature d'une attestation sur l'honneur, les membres du collège ont obligation de m'adresser à leur entrée en fonction une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts. Le collège a décidé que les déclarations de ses propres membres devaient faire l'objet d'un contrôle immédiat, spécifique et systématique plus approfondi que celui auquel sont soumis les membres des autres AAI. Les déclarations de situation patrimoniale sont systématiquement transmises à la Direction générale des Finances publiques (DG-Fip) et examinées par deux rapporteurs, eux-mêmes membres du collège, avec les déports qui s'imposent. Grâce à l'analyse des déclarations d'intérêts, nous avons pu établir pour chaque membre du collège les lignes directrices en matière de déport, celui-ci impliquant non seulement de ne pas participer à la délibération, mais aussi de ne pas y assister, ni disposer des documents afférents, ni prendre connaissance de la décision arrêtée. Par exemple, je ne traite pas des dossiers concernant les autorités qui ont procédé à ma nomination au cours de ma carrière, l'ingratitude étant en quelque sorte exigée par la fonction. Je ne traite pas non plus des dossiers concernant les magistrats ou anciens magistrats. Les conseillers d'État ne traitent d'aucun dossier de magistrats administratifs, ni de ceux qui furent leur ministre de tutelle. En pratique, je donne lecture, au début de chaque séance et pour chaque dossier de la liste des membres ne pouvant prendre part à la délibération. Les déclarations de patrimoine et d'intérêts sont tenues à la disposition de tous les autres membres du collège, à défaut de pouvoir être rendues publiques, ce qui serait souhaitable.
Au-delà des procédures, la déontologie suppose un retour sur soi et sur l'image que l'on donne. Chacun d'entre nous a des liens d'intérêts. C'est même indispensable. Pour éviter que cela porte atteinte à notre mission, nous faisons au début de chaque séance un tour de table pour que chacun fasse état des liens d'intérêts qu'il pourrait avoir dans les dossiers du jour. Par exemple, je ne connais pas les dossiers de MM. Toubon et Perben qui furent mes gardes des sceaux et qui me proposèrent à des postes prestigieux, ni celui de Mme Aubry que j'ai conseillée, ni même ceux de leurs collaborateurs ou opposants que je connais. Ces règles sont également applicables aux agents de la Haute Autorité qui doivent en plus remplir des déclarations lorsque je leur ai donné délégation de signature. Même s'il n'a pas voix délibérative, notre secrétaire général ne peut pas consulter les dossiers de MM. Mercier et Vidalies qui furent ses ministres de tutelle. Cependant, il n'existe pas de règles encadrant les activités que les membres des AAI et leurs agents peuvent exercer au sortir de leurs fonctions. C'est une lacune que le législateur pourrait combler.
Les lois relatives à la transparence de la vie publique ont établi la première disposition transversale applicable à l'ensemble des AAI. Elles ont ouvert la voie pour que le législateur définisse des règles minimales applicables à chacune d'elles. Sur le fonctionnement, sur le recrutement, sur la prévention des conflits d'intérêts, il est nécessaire qu'une action soit entreprise. Qui pourrait le faire mieux que le Sénat qui a lancé le mouvement, il y a trente-sept ans, en inventant le statut des AAI ?
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La transparence de la déclaration de patrimoine des responsables publics est une nécessité, j'en suis convaincu, à condition, cependant de la contrôler et de prendre des sanctions quand elles sont nécessaires. Pourtant, je n'ai pas voté - mon groupe non plus - la loi élaborée dans la panique par l'exécutif après l'affaire Cahuzac. Elle a été mise en application avec les difficultés qu'on connaît et les conséquences qui s'ensuivent. L'immense majorité des responsables publics sont soucieux de l'intérêt général. Il est important de le dire, tout comme il est important que leur image ne soit pas systématiquement dégradée par des excès médiatiques. Comment faire pour qu'il y ait une déontologie de la communication ? Récemment, il y eu des fuites à propos des soixante parlementaires « en délicatesse » avec l'administration fiscale. Comment éviter que ce genre d'incident médiatique se reproduise ?
M. Jean-Louis Nadal. - Les médias ont parlé de 60, 100, puis même 300 parlementaires en délicatesse avec l'administration fiscale. J'ai été le seul à réagir, après avoir consulté Claude Bartolone et Gérard Larcher. La Haute Autorité n'est pour rien dans ces fuites que j'ai déplorées publiquement. Je mets au défi quiconque de produire un seul document estampillé HATVP qui aurait fuité. Ces polémiques infondées entretiennent une suspicion malsaine qui fragilise notre travail. J'ai choisi de me consacrer à mes fonctions plutôt que de courir les plateaux télévisés. En deux ans, je n'ai donné que quelques interviews à visée pédagogique, pour expliquer notre mode de travail. Ma ligne de conduite est claire : ne jamais polémiquer, ni m'exprimer sur des cas individuels. Je n'aspire pas à être un commentateur.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - A partir du moment où l'on fixe des règles, il est important que ceux qui sont en charge de les faire respecter soient les premiers à les appliquer. La Haute Autorité ne doit prêter flanc à aucun soupçon. Est-il raisonnable d'avoir comme collaborateurs des gens qui viennent directement de cabinets politiques ?
M. Jean-Louis Nadal. - Comme président, je peux choisir mes collaborateurs. C'est une garantie de notre autonomie. Mon choix s'est fait uniquement sur la compétence. Celle du secrétaire général a été constatée de manière impartiale et objective. La procédure de sa nomination est conforme aux textes, malgré la précipitation dans laquelle elle s'est faite lors de ma prise de fonction en janvier 2014 : appel à candidatures à la direction des services judiciaires, et examen des candidatures par le Conseil supérieur de la magistrature. La candidature de M. Guillaume Valette-Valla a reçu un avis favorable. Il était déjà parmi les plus brillants de sa génération, lorsque je présidais le Conseil supérieur de la magistrature. Il fait preuve d'une culture parlementaire avérée et c'est un travailleur infatigable. Ayant largement contribué à l'élaboration des textes d'octobre 2013, il en est le meilleur connaisseur. Il fait également preuve d'une rigueur exemplaire dans sa ligne de conduite sur les conflits d'intérêts, et il a fait ses preuves comme chef d'orchestre de la gestion administrative. Tout était à construire. Ses qualités de gestionnaire et de budgétaire, ses connaissances des technologies modernes ont été d'une aide précieuse pour enraciner la Haute Autorité dans le paysage institutionnel de notre pays. Je n'aime pas beaucoup les sondages, mais un récent sondage indique que 63 % des Français saluent le travail de la Haute Autorité. Le problème n'est pas celui de l'origine des membres et des agents. La suite de leur carrière est une autre préoccupation. Quien sabe ? dit-on en catalan : c'est à vous de poser le curseur.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce plaidoyer est émouvant. Cependant, quand un collaborateur de la Haute Autorité a auparavant travaillé en cabinet ministériel, cela peut poser problème non pas à la hiérarchie, mais aux opposants aux dernières lois relatives à la transparence de la vie publique. Pour consolider l'image de la Haute Autorité, ne croyez-vous pas qu'il serait bon que les membres du collège publient leur déclaration de patrimoine ?
M. Jean-Louis Nadal. - Cela a fait l'objet de ma première intervention lors du premier collège. Le Conseil constitutionnel n'autorise pas la publication des déclarations de patrimoine, lorsque les responsables publics ne sont pas des élus. Cependant, tous les membres du collège font une déclaration de patrimoine et d'intérêts, et nous les transmettons à la DG-Fip.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Qu'en est-il de leur publication ?
M. Jean-Louis Nadal. - Y êtes-vous favorable ?
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai préparé une proposition de loi en ce sens.
M. Jean-Louis Nadal. - Je suivrai son parcours avec intérêt. Nous devons exiger autant de nous-mêmes que ce que nous imposons aux autres.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne faudrait-il pas aussi étendre l'obligation de déclaration et la publication à certains corps qui jusqu'ici n'y sont pas soumis ?
M. Jean-Louis Nadal. - J'y suis favorable. L'exemplarité de l'État doit être incarnée par tous les décideurs et par tous ceux qui sont garants des libertés publiques et des libertés individuelles. Des progrès sont en cours. Le projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires clarifie le rôle des uns et des autres. Les hauts fonctionnaires vont devoir déclarer leur patrimoine à la Haute Autorité. La même procédure est en cours pour les magistrats.
Le dialogue est ouvert avec la Commission de déontologie que présidait jusqu'à récemment M. Arrighi de Casanova. Le temps rendra son verdict. Toutes les suspicions seront levées au bout d'un moment.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pour l'instant, le projet de loi patine dans une autre assemblée, ce qui est regrettable. Comment envisagez-vous le contrôle des conflits d'intérêts, lorsque par exemple tel membre du collège d'une AAI se retrouve quelques mois plus tard membre du conseil d'administration d'une grande société ?
M. Jean-Louis Nadal. - La Haute Autorité n'est pas au contact d'activités économiques ou financières comme l'AMF. Le collège est une équipe soudée. Jusqu'à présent, aucun membre de la Haute Autorité n'a été approché par une structure privée, à ma connaissance. Les membres des AAI avaient jusqu'au 1er octobre 2014 pour s'acquitter de leurs obligations déclaratives. Ceux qui ont été recrutés après cette date ont deux mois pour le faire. Notre base recense 597 personnes soumises à l'obligation de déposer une déclaration auprès de la Haute Autorité. Nous avons reçu 80 % des déclarations, et beaucoup sont en cours dans les 20 % qui restent. Aucune injonction n'a été prononcée. Cependant, notre collège a dû définir les AAI qui devaient se soumettre à notre contrôle, sur la base de l'article 11 de la loi relative à la transparence de la vie publique. Pour garantir notre travail, nous avons consulté le secrétariat général du gouvernement qui a exclu du dispositif la Commission de contrôle de l'élection présidentielle qui n'est pas permanente et la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) qui n'a pas de pouvoir de décision. Certaines AAI voulaient être soumises à déclaration, pour asseoir leur statut, d'autres le refusaient...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Est-ce bien au secrétaire général du gouvernement de décider qui vous devez contrôler ? La CNDCH a été retirée de la liste après son intervention et celle du vice-président du Conseil d'État... Et vous aviez dans votre collège une ancienne membre de la CNDCH : est-ce une bonne stratégie quant à l'indépendance de votre institution ?
M. Jean-Louis Nadal. - C'est au législateur d'intervenir.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il a bon dos !
M. Alain Richard. - S'il y a doute, la justice tranchera.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On voit bien l'imbroglio.
M. Alain Richard. - Pourquoi ? Une déontologie s'applique ! Au Conseil d'Etat, quelqu'un qui s'est prononcé sur une décision administrative ne peut absolument pas siéger ensuite dans la formation de jugement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On peut parler d'une nomenklatura dans la quarantaine d'AAI sur laquelle nous travaillons : quelques centaines de personnes issues des mêmes corps bien connus. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
M. Jean-Louis Nadal. - Le doyen Gélard affirmait que 80 % des AAI devaient disparaître, car certaines structures pouvaient tout à fait fonctionner sans ce statut et qu'une AAI a pour mission de contrôler, vérifier et sanctionner. La nôtre remplit parfaitement ces missions.
Quant au statut général des AAI, je suis preneur. Quels membres des AAI doivent être soumis à l'obligation de déclaration : ceux qui ont pouvoir déclaratif, ou délibératif, les suppléants, ceux qui sont dans les organes de sanction ? C'est cela qu'il faudrait clarifier.
Quelle est l'utilité sociale et démocratique des AAI dont le nombre semble sans cesse augmenter ? Lorsqu'il s'agit de satellites annexes, leur intérêt est très relatif. En revanche, elles sont essentielles lorsqu'elles se trouvent au coeur de la République. La Haute Autorité dont j'ai la responsabilité a toute sa place car nos concitoyens doivent être convaincus que leurs représentants travaillent dans l'intérêt général. Il faut tordre le cou aux rumeurs dévastatrices. En outre, la HATVP apporte une contribution essentielle à la justice de notre pays. La Commission pour la transparence financière de la vie politique que présidait Jean-Marc Sauvé n'avait aucun pouvoir : en 25 ans, elle n'eut recours à l'article 40 du code de procédure pénale que six fois et jamais aucune suite ne fut donnée à ses saisines. Lorsque la Haute Autorité saisit le parquet sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, elle publie un communiqué plutôt que de laisser la rumeur enfler.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est la bonne formule.
M. Jean-Léonce Dupont. - La HATVP a été créée après l'affaire Cahuzac. Mais pourrait-elle empêcher une nouvelle affaire de ce type ?
Il m'a fallu procéder à cinq déclarations en quatorze mois : le travail administratif des élus concernés n'est-il pas en train de connaître une légère inflation ?
Enfin, sur quels critères avez-vous accordé votre agrément à trois associations qui peuvent rechercher des informations pour vous ?
M. Gérard Cornu. - L'utilité de votre Haute Autorité est indéniable. Vous avez insisté à juste titre sur l'exemplarité et la transparence, mais comment éviter le voyeurisme et les fuites ? D'ailleurs, d'où viennent-elles ? N'améliorait-on pas la confidentialité en renonçant aux déclarations papier ? Vous encouragez les déclarations électroniques : encore faut-il supprimer les bugs qui interdisent toute connexion. J'en ai été victime à plusieurs reprises.
M. Jean-Louis Nadal. - Je ne puis affirmer qu'aucune nouvelle affaire Cahuzac n'éclatera, mais tout sera fait pour l'éviter. Certes, les conventions internationales nous entravent, mais nos moyens d'investigations sont importants et, en cas de doute, nous pouvons saisir le parquet sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. L'enquête pourra alors découvrir des dysfonctionnements d'une toute autre ampleur que ceux que nous-mêmes avons pu repérer.
Les lanceurs d'alerte ont un rôle important : nous avons agréé Transparency International, Sherpa International et l'Association pour une démocratie directe. Les critères ont été identiques à ceux retenus pour être partie civile devant une juridiction de l'ordre judiciaire : représentativité, budget, cotisations... Ces associations ne nous saisiront qu'après avoir mené leurs propres investigations. Jusqu'à présent, nous n'avons eu aucune saisine, mais il semble qu'une soit en cours. Ces agréments sont accordés à l'unanimité du collège. Il s'agit de protéger les citoyens qui s'intéressent à la chose publique avec responsabilité et loyauté. Nous le faisons sur la base de l'article 25 de la loi relative à la transparence de la vie publique relatif aux lanceurs d'alerte.
Il y a eu dans le passé des fuites et des déchaînements médiatiques. Cette époque est révolue et le passage du papier à la déclaration électronique n'y est pas étranger. Notre pôle informatique, que nous avons modernisé et sécurisé, représente à 10 % du budget total de la Haute Autorité et 60 % des déclarations sont déjà faites par cette voie. Nous dialoguons avec le déclarant pour compléter sa déclaration et parfois le conseiller. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a validé notre système informatique qui a également fait l'objet d'un audit par une société indépendante agréée.
Je déplore le voyeurisme et les fuites. Depuis le 13 juillet dernier, les déclarations déposées en préfecture ne font aucune référence à la vie privée : tout ce qui se rapporte aux conjoints, à la famille et aux comptes bancaires est anonyme et l'information est globale. En outre, le ministère de l'intérieur ne nous a pas informés du nombre de consultations de ces publications. Il n'y a pas eu non plus de dénonciations calomnieuses - auquel cas les parquets auraient immédiatement engagé des poursuites avec des amendes atteignant 45 000 euros.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous pouvons présumer que les fuites proviennent de l'administration fiscale.
M. Jean-Louis Nadal. - Je ne dirai rien...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est la meilleure réponse !
M. Jean-Yves Leconte. - Vous avez reçu environ 10 000 déclarations : combien de déclarations chaque rapporteur a-t-il examinées ? Y a-t-il un ou plusieurs rapporteurs par déclaration ? Combien d'entre eux sont des vacataires ?
Votre rôle n'est-il pas proche de celui de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ? Ne faudrait-il pas, à terme, fusionner vos deux institutions ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Tous les déclarants recevront-ils un quitus ? Beaucoup l'attendent encore !
M. Jean-Louis Nadal. - Je signe tous les jours un nombre considérable de quitus que j'accompagne d'un mot de remerciement pour la bonne volonté manifestée par les déclarants, alors que nous étions en pleine période de mise en route des procédures. Tous les déclarants recevront leur quitus. Lorsque les déclarations font l'objet d'un dialogue, nous parvenons à un accord et à une déclaration modificative, possibilité que nous avons créée et qui fait consensus. Le contradictoire existe bien, en ce sens. Mais la HATVP n'est pas une juridiction.
Un rapporteur est nommé lorsqu'un défaut de cohérence est constaté entre la déclaration initiale et l'avis de la DG-Fip ; le dialogue s'engage alors. Le rapporteur est à la disposition permanente des déclarants qui parfois le rencontrent. Lorsque le collège envisage une transmission au parquet, il en informe l'intéressé et recueille ses observations : c'est une manière originale de procéder. Chaque responsable public doit avoir conscience que l'article 40 du code de procédure pénale peut s'appliquer. À ma demande, le Premier ministre l'a rappelé à toutes les préfectures.
Il y a effectivement des synergies entre la CNCCFP et la Haute Autorité. Je souhaite avant tout que la HATVP soit une autorité compétente et fiable. En 2010, l'Assemblée nationale avait évoqué une fusion à l'occasion de l'évaluation des politiques publiques. Le Sénat a estimé qu'elle n'était pas souhaitable. Votre commission des lois avait demandé au Gouvernement de répondre à cette question par un rapport dans un délai d'un an, ce qu'il n'a jamais fait.
Nous disposons de vingt-quatre rapporteurs dont quatre magistrats de la Cour de cassation, quatre de la Cour des comptes et quatre du Conseil d'État. Je ne choisis pas ces collaborateurs qui sont d'une très grande qualité - et qui ne sont pas uniquement des magistrats parisiens, ce qui est une excellente chose.
M. Pierre-Yves Collombat. - Dans son dernier classement, Transparency International place la France derrière Singapour, le Luxembourg et les Bahamas, qui sont des paradis fiscaux. N'est-ce pas surprenant ? Quelle confiance accorder à un certain nombre d'associations ?
Vous nous avez dit que le but de la Haute Autorité était de contrôler, de vérifier et de sanctionner. Mais à lire un article que vous avez signé dans la revue de l'ENA, votre ambition est plus large : « La HATVP participe d'une volonté générale de renforcer la probité publique ». Or cela ne figure pas dans la loi. Ne faudrait-il pas plutôt s'interroger sur les voyages d'un précédent Président de la République sur les yachts de ses amis industriels ou sur les transports de chefs d'entreprises dans les avions présidentiels ? Peut-être pourrait-on aussi s'étonner de certaines nominations qui s'apparentent à du pantouflage. Dans ce même article, vous estimez que la Haute Autorité est « chargée d'appréhender toute une série de situations qui, sans pour autant constituer des infractions publiques, desservent la poursuite de l'intérêt général ». Nous sommes là à la limite de la morale. Comment concevez-vous votre rôle ? S'agit-il d'une croisade en faveur de la transparence ?
M. Jean-Louis Nadal. - Dans nos démocraties, les fonctionnaires et les politiques doivent être exemplaires. Fils d'enseignant et enfant de la République, je crois en la pédagogie. La HATVP a un rôle majeur à jouer en matière de culture républicaine : la responsabilisation et la probité sont en effet affaire de tous. Et nous distillons cette pédagogie partout où nous en avons l'occasion.
Le législateur a défini le conflit d'intérêts. « Constitue un conflit d'intérêts, toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts privés ou des intérêts publics qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».
M. Pierre-Yves Collombat. - Un conflit d'intérêts entre deux intérêts publics : c'est absurde ! Si la prise illégale d'intérêt est bien définie, le conflit d'intérêts l'est beaucoup moins. Désormais, les carrières sont faites de passages incessants entre le public et le privé. Le ministre de l'économie peut aussi se trouver en conflit d'intérêts lorsqu'il doit à la fois veiller à l'intérêt public en tant que tuteur de l'agence des participations de l'État et défendre les intérêts de l'État actionnaire. Comment par la prédication morale venir à bout de pratiques quotidiennes ? Comme l'a dit notre rapporteur, la loi relative à la transparence de la vie politique est née de la panique. Cela pose problème !
Quels sont vos rapports avec les services fiscaux ? Mis à votre disposition, ils sont votre bras armé. Mais, en votre nom, ils effectuent de larges contrôles fiscaux, dépassant le champ des déclarations de patrimoine, incluant le conjoint même marié sous le régime de la séparation de biens...
M. Jean-Louis Nadal. -Vous soulevez un réel problème et des évolutions sont indispensables. Nous entretenons de bonnes relations avec la DG-Fip ; son directeur général, M. Bruno Parent, est venu s'expliquer devant le collège afin de clarifier les rapports entre nos deux institutions.
Comme le procureur de la République s'adresse à la police judiciaire, qui dispose des pouvoirs d'investigation, je m'adresse à la DG-Fip, qui a des moyens dont je ne dispose pas, la base Patrim, par exemple, pour évaluer les biens immobiliers. La DG-Fip nous adresse un avis que nous comparons à celui du déclarant. En cas de distorsion de plus de 25 %, le dialogue s'instaure qui aboutit, à 98 %, à la délivrance d'un quitus. Cependant, on peut estimer que le problème est celui de l'indépendance.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Car la DG-Fip est soumise au pouvoir politique...
M. Jean-Louis Nadal. - Dans les 48 heures après la nomination d'un ministre, le contrôle fiscal est lancé et nous en recevons le résultat. En revanche, pour les parlementaires, la suite donnée lorsque nous transmettons des informations nous échappe, au nom du secret fiscal. C'est pourquoi nous avons proposé de rendre la Haute Autorité indépendante en lui donnant un pouvoir d'investigation.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je ne conteste ni le recours aux services fiscaux pour établir la véracité des déclarations, ni les vérifications de l'administration fiscale. En revanche, pourquoi invoque-t-elle la Haute Autorité pour procéder à des contrôles fiscaux plus larges, alors qu'elle pourrait le faire de son propre chef ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Comment contester les estimations immobilières que vous faites ? Vous dites que vous parvenez à des compromis avec les déclarants, mais une procédure de recours est-elle prévue ?
L'esprit de la loi est d'éviter que des parlementaires s'enrichissent à l'occasion de leur mandat, non pas de vérifier que les biens immobiliers qu'ils possédaient bien avant d'être élus sont estimés à leur juste prix au jour le jour.
M. Jean-Louis Nadal. - L'évaluation doit être faite au moment de la déclaration car, en fin de mandat, nous examinons la variation du patrimoine. Cette évaluation est agréée ou fait l'objet de négociations. Le déclarant n'a pas lieu de « contester » mais d'expliquer les valeurs qu'il indique, en s'appuyant sur des estimations variées comme celles du notaire ou de l'agent immobilier du secteur. L'évaluation d'un bien repose sur la rencontre d'une offre et d'une demande à un moment donné. On peut se trouver dans des situations atypiques : des manoirs magnifiques peuvent ainsi être invendables. Ce problème sera évoqué dans le rapport que je vais présenter en fin d'année et je suis persuadé que nous parviendrons à une solution.
Pour répondre à Mme Des Esgaulx, non, il n'y a pas de recours.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ces personnes sont donc les seules en France à ne pas pouvoir exercer de recours sur l'estimation de leurs propres biens.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il est choquant que vous embêtiez quelqu'un qui détient un bien, souvent de famille, depuis des décennies parce que le montant de la déclaration, qu'il a toujours déclaré, ne vous convient pas.
M. Jean-Louis Nadal. - Un rapporteur n'est désigné que si la déclaration initiale et l'estimation de la DG-Fip différent de plus de 25 %. En outre, les investigations de la Haute Autorité n'ont rien à voir avec l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La plupart des parlementaires ont quand même eu une vérification de leur ISF.
M. Jean-Louis Nadal. - C'est la DG-Fip qui l'a décidée.
M. Pierre-Yves Collombat. - Votre mission est contaminée par l'esprit de l'administration fiscale. Pourquoi vous préoccuper du fait que l'estimation n'ait pas évolué ? Si le patrimoine est revendu et utilisé sous une autre forme, bien sûr, c'est un autre cas de figure. Ce qui vous importe dans votre mission, c'est l'enrichissement anormal au cours du mandat.
M. Jean-Louis Nadal. - Le déclarant peut apporter tous les éléments dont l'administration fiscale ne dispose pas : des photos, l'état des lieux... Au fil du temps et de la discussion, les difficultés s'aplanissent et certaines déclarations de patrimoine sont même revues à la baisse !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Revenons-en à l'essentiel : la loi est faite pour constater, à la fin d'un mandat ou de l'exercice de responsabilités publiques, d'éventuels enrichissements illégaux. L'évaluation du patrimoine en début de mandat n'a donc guère de sens.
La DG-Fip fonctionne sous le contrôle du ministre : lorsque vous déclenchez un processus sous contrôle d'un membre du Gouvernement, vous touchez au politique, ce qui pose des problèmes.
Les délais que vous deviez tenir n'ont pas été respectés car, dans certains cas, l'administration fiscale a procédé à des vérifications approfondies : vous dépendez donc de son bon vouloir. Le Gouvernement qui tenait à ce texte pour des raisons médiatiques ne vous a pas donné les moyens d'assumer vos responsabilités. En outre, le processus de contrôle a pris un temps considérable. Les sénateurs élus en septembre 2014 n'ont toujours rien reçu de votre part.
Ne vaudrait-il pas mieux qu'il y ait une vérification fiscale approfondie et systématique au moment de l'élection ou de la nomination à un mandat public ? Ce serait plus clair pour tout le monde, et gagnerait du temps, mais l'administration dispose-t-elle des moyens nécessaires ?
Peut-être faudrait-il rajouter à la liste actuelle des déclarants les membres des conseils d'administration des principaux médias, y compris la presse écrite...
Vous n'avez pas répondu à la question que je vous ai posée sur le grand pouvoir de certaines AAI, comme l'Autorité de la concurrence qui peut infliger des amendes considérables. Lorsqu'un membre d'un collège d'AAI est également membre du conseil d'administration d'un grand groupe, comment éviter les conflits d'intérêts ?
Dans les corps constitués comme le Conseil d'Etat ou la Cour des comptes, certains passent de la fonction de magistrat à des responsabilités dans un groupe privé, y compris lorsqu'ils ont effectués préalablement une mission dans le même domaine. Puis ils reviennent dans leur corps d'origine, pour ensuite être nommés dans une AAI. Que pouvez-vous faire ?
M. Jean-Louis Nadal. - Il s'est écoulé huit mois entre l'avant-projet de loi et ma nomination : c'est un record. J'aurais souhaité disposer d'un peu plus de temps et d'un vade-mecum à l'intention des présidents des AAI.
À la suite de l'affaire Thévenoud, j'ai proposé au Président de la République de vérifier la situation fiscale des ministres préalablement à leur nomination et de délivrer un certificat de régularité fiscale pour les candidats à une élection nationale. Ainsi, aucune suspicion ne serait plus possible. Je vous rejoins donc totalement, monsieur le rapporteur.
Je suis opposé aux renouvellements de mandats dans les AAI et à la nomination dans deux AAI. Je vous précise que je ne suis pas candidat à un autre mandat !
La régulation des conflits d'intérêts permet d'éviter les dérapages : il faut savoir mettre un terme à des situations opaques. La Haute Autorité dispose du levier pédagogique : lorsqu'elle détecte un conflit d'intérêts, elle dialogue avec l'intéressé, et régularise la situation. L'immense majorité des déclarants qui craignent un conflit d'intérêts nous consultent. J'ai ainsi reçu de très hauts responsables que leur situation inquiétait. Notre fonction de conseil est importante. C'est la sincérité qui nous intéresse. Au levier pédagogique s'ajoute un pouvoir d'injonction, si nécessaire publique, et la possibilité d'engager un recours pénal.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous confirmez que la Haute Autorité a un pouvoir d'injonction. Dans son rapport public de 2001, le Conseil d'État estimait que les AAI ne pouvaient pas exercer de pouvoir décisionnel dans des compétences régaliennes. N'est-ce pas pourtant le cas de la Haute Autorité ?
M. Jean-Louis Nadal. - Nous ne sommes pas une juridiction, et les déclarants ne sont pas des prévenus.
M. Pierre-Yves Collombat. - La notion de conflit d'intérêts n'a-t-elle pas été mise sur le devant de la scène pour masquer les trafics d'influence ? Constitue-t-elle un vrai progrès ? Juridiquement, il n'y a pas de sanction possible, et cela évite de parler de ces trafics...
M. Jean-Louis Nadal. - La notion de conflit d'intérêts est devenue plus claire. De manière sous-jacente, on peut y voir l'influence, le favoritisme... - c'est l'ancien magistrat qui parle. Pour la première fois, nous avons un texte sur ce sujet, avec une définition inédite : on la décortique, on l'analyse, on l'exécute, on la clarifie et on la finalise.
M. Michel Canevet. - La Haute Autorité a été créée assez récemment, et peut recourir à différents moyens de l'État. Vos moyens propres sont-ils suffisants? Comment voyez-vous l'évolution de vos besoins budgétaires ?
M. Jean-Louis Nadal. - Votre question est importante : en 2014, le budget de la Haute Autorité était construit sur le modèle de celui de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations. Mais cela n'a rien à voir ! Le travail est totalement différent, et nous avons démarré avec quatre fonctionnaires en 2014. Notre secrétaire général a déployé une énergie considérable pour recruter un adjoint et des chefs de pôle responsables de la transparence, des conflits d'intérêts, de la communication... Nous sommes désormais trente. Je comprends bien, dans le contexte budgétaire actuel, ne pouvoir obtenir davantage même si le travail est colossal, ce qui nous oblige à faire des choix, afin que le contrôle soit approfondi. En 2016, nous donnerons la priorité aux membres des cabinets ministériels et hauts fonctionnaires, qui n'étaient pas précédemment dans le champ de notre mission. Nous sommes une petite AAI mais je compte sur la prise de conscience publique pour que nos moyens s'accroissent.
Nous demeurons dans nos modestes locaux du 98 rue de Richelieu, loin des lambris de la République : nous nous devons de donner l'exemple. Je n'ai ni appartement de fonction, ni voiture de fonction, ni chauffeur, je circule en taxi et je voyage en classe économique, même sur un vol de 12 h 40 pour la Malaisie. Tous nos fonctionnaires suivent cette discipline stricte et cette rigueur exemplaire - et j'en suis fier.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le non-respect des délais est très gênant pour les déclarants. Le justiciable a l'habitude d'attendre, le déclarant devra prendre la même habitude...
Revenons sur un cas particulier : l'administration fiscale relève en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française des exécutifs locaux. Il semblerait que certains élus fassent de la rétention d'informations. Arrivez-vous à obtenir les informations souhaitées ou des protections particulières font-elles entrave ?
M. Jean-Louis Nadal. - Je suis lié au secret professionnel...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cette réunion est ouverte à la presse et au public, je comprends M. Nadal...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous allez obliger la commission à se rendre sur place pour vous interroger !
M. Jean-Louis Nadal. - Je vous recevrai avec plaisir.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je viendrai.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci, monsieur Nadal, d'avoir répondu à nos questions. Nous avons dépassé le cadre des questions traditionnelles aux AAI, en raison de votre statut particulier. Nos collègues liront vos propos avec intérêt : nombreux sont ceux qui pensaient que le silence de la Haute Autorité valait acceptation de leur dossier. Nous sommes maintenant éclairés sur ce point également.
La réunion est levée à 15h40.
Mercredi 16 septembre 2015
- Présidence de Mme Marie-Hélène des Esgaulx, présidente -La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Créée par la loi du 10 juillet 1991 à la suite de l'affaire des écoutes de l'Élysée, la CNCIS est qualifiée expressément depuis l'origine d'autorité administrative indépendante française. Elle sera remplacée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dotée de compétences élargies, par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Vous reviendrez sur le rôle et les compétences de cette nouvelle autorité, dont la nomination du président entraînera l'entrée en vigueur de l'essentiel de la loi relative au renseignement. Deux des trois membres du collège de la CNCIS sont des parlementaires. Vous nous direz comment son président est désigné, afin que nous puissions apprécier son indépendance - question d'actualité ! La CNCIS emploie cinq personnes ; son budget, en 2015, s'élève à 569 000 euros. Vous exposerez le mode de fonctionnement et la composition de cette commission.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marie Delarue prête serment.
M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. - Les autorités administratives indépendantes ont trois fonctions : réguler certains marchés ou secteurs économiques ; autoriser ou agréer des activités ; contrôler les actes d'agents publics dans des domaines jugés sensibles. La CNCIS, créée par la loi du 10 juillet 1991, répond clairement à la troisième vocation. Elle n'a ni à réguler, ni à décider, mais à donner des avis au Gouvernement. Elle veille au respect des dispositions de la loi qui l'a fait naître, c'est-à-dire à la légalité des interceptions de sécurité pratiquées et en contrôle l'opportunité. La loi de 1991 a marqué le caractère exceptionnel de cette procédure et défini un quota qui ne peut être dépassé à un moment déterminé : il était de 2 190 interceptions en simultané lors de mon entrée en fonction ; il est de 2 700 depuis ce printemps. La commission rend un avis que le Premier ministre est libre de suivre ou non. J'ai toujours écarté l'idée d'un avis conforme, que certains ont pu envisager. Le Gouvernement est le seul responsable dans des domaines aussi particuliers que ceux relatifs à l'ordre public.
Les interceptions répondent à cinq finalités : la prévention de la criminalité de la délinquance organisées ; la prévention du terrorisme ; les atteintes à la sécurité, espionnage et contre-espionnage ; les atteintes aux activités économiques essentielles de la Nation ; les actions de reconstitution de groupements de fait ou de droit dissous par le Gouvernement. Jusqu'à récemment, la finalité la plus importante en volume a toujours été la première, mais on observe un renversement : sur les quatre derniers mois, la prévention du terrorisme a représenté 39% des interceptions, contre 38% pour la délinquance et la criminalité organisées.
Lorsqu'elle est saisie selon la procédure de droit commun, la commission n'a pas de délai pour statuer. En réalité, nous répondons toujours dans les 24 heures, et le plus souvent dans les 7 à 8 heures. Lorsque la demande est présentée en urgence, comme la semaine dernière à 3 heures du matin, nous statuons dans les 45 minutes : les services ne peuvent affirmer que leur activité est bridée par notre contrôle.
La composition du collège est originale puisque les parlementaires, désignés par le président de chaque assemblée, sont majoritaires. L'actuel représentant du Sénat est M. François-Noël Buffet. Le président de la CNCIS est nommé par décret, sur une liste de trois noms arrêté conjointement par le premier président de la Cour de cassation et le vice-président du Conseil d'État. Traditionnellement, le premier nom a toujours été choisi. C'est toujours un magistrat. Un seul était magistrat de l'ordre judiciaire : mon prédécesseur, Hervé Pelletier.
La commission emploie cinq agents dont trois de catégorie C - deux secrétaires et un chauffeur-officier de sécurité, celle-ci étant draconienne dans nos locaux - et deux de catégorie A, magistrats de l'ordre judiciaire. Un quatrième poste de catégorie C créé en 2008 n'a jamais été occupé. Les effectifs sont les mêmes qu'en 1991, alors que le champ d'activités de la commission s'est accrue. Depuis 2006, elle contrôle a priori l'ensemble des données de connexion relatives à la prévention du terrorisme, telles que les codes IMSI (International Mobile Subscriber Identity) et IMEI (International Mobile Equipment Identity) pour la géolocalisation notamment. Depuis le 1er janvier, l'ensemble des données de connexion fait l'objet d'un contrôle, cette fois a posteriori. Quant aux demandes de géolocalisation grâce au téléphone, toujours urgentes, nous les contrôlons en temps réel, depuis la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013. Notre champ d'activités s'est accru à effectif constant et nous sommes un peu à la peine.
Notre budget est de 569 000 euros annuels, dont 80 % pour les rémunérations. Depuis cinq ans, nous n'avons rien dépensé en investissement. Les frais de fonctionnement s'élèvent à 100 000 euros par an environ. Nous ne devrions pas finir l'année 2015 en rémunérations et en frais de fonctionnement en raison de la création de la CNCTR par la loi du 24 juillet 2015.
Il faut absolument éviter toute interruption du contrôle au moment du passage de témoin avec la CNCTR, faute de quoi je crains que les services ne prennent de mauvaises habitudes. Cela suppose de mettre en oeuvre un minimum de services techniques. Nous avons agrandi la salle d'accès aux données d'enregistrement et de transcription, car il faudra demain pouvoir recevoir les données d'autres techniques ; le nombre de postes pourra être porté à huit, afin de tenir le délai légal de 24 heures. J'ai décidé, par anticipation, de créer un embryon d'équipe technique. Nous avons ainsi été rejoints le 1er septembre dernier par un ingénieur mathématico-informaticien, plus à même qu'un magistrat d'apprécier les dispositifs techniques proposés par les services. J'espère que le président de la CNCTR pourvoira au moins un autre emploi de même nature. J'ai également recruté un troisième magistrat judiciaire, arrivé le 10 septembre. J'ai demandé au Premier ministre, et semble-t-il obtenu, dix-huit emplois pour la future CNCTR, sur l'année budgétaire 2016.
Ma seule préoccupation est que l'efficacité du contrôle ne diminue pas. La loi a instauré des dispositifs dont certains sont infiniment heureux, d'autres que je juge insuffisants - je l'ai dit publiquement à l'époque - , ainsi qu'un grand nombre d'éléments techniques à mettre en oeuvre. Ainsi en va-t-il des balises, déjà fort utilisées quoiqu'irrégulièrement. Le contrôle, a priori et a posteriori, des données recueillies permet de vérifier la véracité de l'autorisation demandé et la conformité de l'exécution par les services. En l'état, nous manquons de garanties techniques pour assurer sur les balises, insonorisations, IMSI catchers et autres instruments nouveaux un contrôle aussi efficace que sur les interceptions de sécurité.
Dans nos locaux, nous conservons tous les enregistrements, dès qu'ils ne sont pas supprimés - la nouvelle loi a porté le délai de conservation de dix à trente jours - , ainsi que la copie des transcriptions qu'en font les services. Demain, j'ignore quel volume de données sera recueilli par les services, combien parviendront à la CNCTR, ni comment. La période de transition technique imposera un certain bricolage. Je ne veux pas que celui-ci affadisse le contrôle nécessaire sur une surveillance qui porte forcément atteinte à la vie privée.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je veux d'abord vous rendre hommage et vous dire combien vous représentez pour nombre d'entre nous l'exemple de l'indépendance et de ce que doit être le service de la République au plus haut niveau. Vous présidez cette commission depuis plus d'un an : estimez-vous avoir eu les moyens d'assurer la protection de la liberté de nos concitoyens ? Le document que vous nous avez fait parvenir fait apparaitre une réduction de votre budget et un accroissement de vos missions.
M. Jean-Marie Delarue. - Merci de votre hommage, auquel je suis très sensible. Longtemps, les effectifs ont été suffisants. Nous n'étions nullement une caricature de contrôle des services, contrairement à ce qu'on a pu entendre. Mais depuis trois ou quatre ans, disent mes collaborateurs, nous sommes à la peine et manquons de temps ou d'effectifs pour mener notre mission. Notre champ de compétence inclut la visite de la vingtaine de centres d'écoute déconcentrés du Groupement interministériel de contrôle (GIC). Nous voudrions nous rendre dans sept à dix centres par an. En 2014, faute de budget suffisant, ce chiffre a été nettement inférieur, ce qui peut donner aux services l'impression que leur activité est moins suivie. Ces visites sont l'occasion pour moi d'échanger librement avec les fonctionnaires de police. J'ai ainsi appris qu'il s'écoulait six à huit semaines entre la demande du policier de base et son arrivée devant la commission ! Diminuer nos déplacements, c'est diminuer notre capacité d'écoute des services, et notre capacité de contrôle. L'équilibre entre la liberté et la surveillance est un peu atteint.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel est votre avis sur la présence de parlementaires dans votre collège ?
M. Jean-Marie Delarue. - Cela a été discuté lors du débat sur la loi sur le renseignement. Dans le rapport annuel rendu en juillet au Premier ministre, l'un de nos membres, par ailleurs président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, se prononce fermement contre la présence de parlementaires. Lorsque j'étais Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je plaidais déjà pour que le contrôleur soit contrôlé. Le Parlement est un instrument formidable pour ce faire, par un contact fréquent avec les AAI ou, mieux encore, la présence de parlementaires en leur sein. J'y trouve beaucoup d'avantages, a fortiori pour une activité régalienne. Certains brandissent le risque de fuites : en trente ans, pas une seule ! Les parlementaires de la CNCIS ont été exemplaires.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre avis nous intéressait car la présence de parlementaires a fait débat, tout comme l'avis conforme. Pourquoi certains de vos avis ne sont-ils pas suivis, et quelles seront les conséquences, avec la nouvelle commission ? Cette année, le Premier ministre n'a pas suivi votre avis à plusieurs reprises.
M. Jean-Marie Delarue. - On note depuis un an un infléchissement de la politique du Premier ministre à cet égard - je vise la fonction et non la personne. Nos avis défavorables représentent à peine plus d'1 % du total. Plus du quart des demandes sont assorties de commentaires voire de réserves, par exemple le passage d'un délai de quatre à deux mois s'agissant d'un mineur. Les services n'émettent pas de demandes pour de fausses raisons. Il nous arrive de leur demander des précisions, des motivations supplémentaires. Nous les obtenons toujours, ce qui explique en partie le faible nombre d'avis défavorables. Ceux-ci sont émis lorsque les conditions légales ne sont pas remplies ou quand il existe des interrogations sur le bien-fondé de la demande, par exemple lorsque quelqu'un est présenté comme extrêmement dangereux alors que les faits sont anciens.
Jusqu'en 2014, les avis ont presque toujours été suivis. Depuis la fin 2014, un plus grand nombre d'avis défavorables n'a pas été suivi, pour des raisons de conjoncture. Le Premier ministre a par exemple jugé le dossier crédible ou, en opportunité, qu'il fallait répondre à un besoin des services. La situation est particulièrement délicate lorsque la personne suivie par la police administrative fait l'objet d'une saisine de l'autorité judiciaire : soit la demande de surveillance porte sur une affaire complètement distincte, et l'avis peut être favorable, sous réserve des compétences l'autorité judiciaire pour l'affaire dont elle est saisie, soit il s'agit de la même affaire, et l'avis est défavorable. Il arrive que cet avis ne soit pas suivi alors qu'il n'y a aucune hésitation juridique. Lorsque nous estimons que l'autorisation a été donnée contra legem, la loi de 1991 nous autorise à adresser une recommandation au Premier ministre pour lui demander d'interrompre l'interception illégale. Cette année, deux recommandations n'ont pas été suivies, ce qui n'avait jamais été le cas depuis 1991. Le Premier ministre prend des risques juridiques et politiques à passer outre ; à lui de les apprécier. Je suis un peu préoccupé par cette évolution.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Compte tenu des évolutions législatives, il paraît indispensable d'avoir un collège dont l'indépendance est en béton armé. Comme Contrôleur général des lieux de privation de liberté, vous étiez tellement indépendant que notre assemblée a considéré que cette autorité devait rester distincte du Défenseur des droits. Votre personnalité a pesé pour beaucoup dans cette décision. La CNCIS va subir une mutation avec les ouvertures rendues possibles par la loi sur le renseignement - je le dis d'autant plus librement que je ne l'ai pas votée. Cette indépendance est encore plus indispensable. Selon la presse, vous n'avez pas souhaité présider cette nouvelle autorité indépendante. Est-ce exact ?
M. Jean-Marie Delarue. - Le communiqué du Conseil d'État dit la vérité sur ce point. Le mois dernier, j'ai demandé à ne pas figurer parmi les membres proposés par le vice-président du Conseil d'État. Disons que s'il avait voulu penser à moi, je l'en ai dissuadé, parce que je pense que la loi sur le renseignement d'une part, et les techniques de saisine des données d'autre part, ne me donnent pas les garanties d'un contrôle suffisant. Par conséquent, je ne souhaite pas m'y associer. Je respecte cet élan - 80 % des parlementaires ont voté cette loi - mais ne m'y associe pas.
Rien ne sert de créer des autorités administratives indépendantes si leurs membres ne sont pas indépendants. C'est la première vertu de ces fonctions. Il faut pouvoir dire des choses qui déplaisent, sinon on n'apporte rien au pouvoir exécutif et au Parlement. Le Sénat a ajouté, dans la loi d'octobre 2007 sur le Contrôle général des lieux de privation de liberté, des dispositions très précises sur l'indépendance du Contrôleur général : un mandat non révocable et non renouvelable, cela me plait. Ces conditions sont bienvenues. J'avais souhaité, dans un rapport au Premier ministre sur un avant-projet de la loi sur le renseignement, que de telles dispositions y figurassent. Certaines y sont. L'indépendance est aussi un état d'esprit. La personne pressentie pour présider la CNCTR présente toutes les garanties à cet égard, j'en ai la conviction. Un autre que moi fera très bien l'affaire.
J'espère que des considérations autres que ma personnalité ont pesé pour décider du sort du Contrôle général des lieux de privation de liberté. La situation des établissements pénitentiaires et des commissariats de police français n'est pas si enviable qu'on se prive d'une autorité indépendante dévolue à cet effet. Je crois avoir dit à votre commission des lois, lors de ma nomination en juin 2008, que quinze ans plus tard, cette autorité pourrait fusionner. Au bout de six ou sept ans, ce temps n'est pas encore venu.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez l'expérience des AAI, pensez-vous qu'il soit possible de conserver une autre activité en même temps ?
M. Jean-Marie Delarue. - Le président de la CNCTR ne peut pas, raisonnablement, exercer d'autres activités. Les parlementaires membres du collège ont bien entendu leur activité. Je suis partagé au sujet des magistrats. Ceux qui sont chargés du contrôle des techniques de renseignements doivent s'y consacrer à plein temps, mais le flux est trop important pour réunir quotidiennement la totalité du collège. J'imagine qu'une formation restreinte examinera les dossiers au quotidien, en appliquant la jurisprudence établie par le collège dans son entier. Difficile de réunir quotidiennement neuf personnes pour donner une réponse sous 24 heures. On ne va pas non plus réunir tous les jours des segments de commission dans des formations différentes, ce serait meurtrier pour la jurisprudence. Les autres activités des membres doivent être restreintes et ne surtout pas faire peser de soupçons de rapprochement avec des fournisseurs d'accès, des opérateurs téléphoniques ou des services de renseignement ou de police. Au président d'être intraitable, pour lui et pour ses collègues.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On retrouve dans les AAI, très souvent en application de la loi que nous votons, des personnalités issues de la haute fonction publique, du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, tous issus de l'ENA, au point que certains parlent de nomenklatura. Certaines personnalités siègent dans plusieurs instances en même temps, par exemple au Conseil supérieur de la magistrature. Est-ce raisonnable ?
M. Jean-Marie Delarue. - Selon vos critères, je fais partie de la nomenklatura.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce n'est pas forcément péjoratif.
M. Jean-Marie Delarue. - J'espère être aussi indépendant vis-à-vis de la nomenklatura que d'autres instances. La vertu d'indépendance se trouve plus facilement parmi les personnes ayant l'habitude d'activités juridictionnelles. À la Cour des Comptes comme au Conseil d'État, on a l'habitude de se prononcer tous les jours en pleine indépendance dans de multiples affaires. Mais je ne vois nul inconvénient à aller chercher d'autres profils, comme à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) par exemple. L'indépendance est un apprentissage. En repassant mes jeunes années, je peux être critique envers moi-même.
Il est dommage de participer à plusieurs activités simultanément, surtout si elles pèsent sur les choix et réduisent l'indépendance. Les visées politiques de certaines d'AAI compromettent leur indépendance, par exemple quand elles se montrent plus accommodantes avec ceux qu'il faut convaincre pour élargir leur périmètre. Faisons en sorte qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts. Le législateur doit y veiller, si tel était le sens de votre question.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'était le sens de ma question, qui n'était pas neutre, étant donné certaines nominations annoncées.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il y aurait beaucoup à dire sur le contrôle du Parlement sur les AAI.
M. Pierre-Yves Collombat. - Qui contrôlera le contrôleur ? Beaucoup d'AAI ont été créées en réaction au mieux à un problème, au pire à un scandale. Ce ne sont pas forcément de bonnes conditions de création. Comment réguler et renforcer l'indépendance, alors qu'on n'échappe pas totalement à son milieu ni à sa carrière, même en étant intègre ?
M. Jean-Marie Delarue. - Il n'est pas rédhibitoire pour une loi d'avoir été votée après un scandale ou un problème. La CNCIS est née à la suite d'un scandale, celui des écoutes téléphoniques, et d'un problème, l'absence de dispositif français après deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, le 24 avril 1990. Or la loi qui l'a créée est bonne.
Les AAI produisent traditionnellement un rapport annuel, soumis en principe au Parlement. J'ai toujours pu remettre ces rapports au président de chaque chambre et les présenter devant votre commission des lois. C'est un moment d'explication.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On compte aujourd'hui une quarantaine d'AAI sont une. À ce rythme, il faudra créer un Parlement spécial.
M. Jean-Marie Delarue. - Les AAI doivent éclairer les autorités publiques et le Parlement encore plus que l'opinion. Chaque année, le président du Conseil national des droits de l'homme du Maroc présente son rapport devant le Parlement, qui en débat en séance. Avec quarante AAI, il faut bien sûr différencier les modes de contrôle suivant les intérêts des parlementaires. Certaines AAI, récentes ou portant sur des domaines régaliens ou des marchés importants, peuvent être plus suivies que d'autres. On pourrait créer un office parlementaire dédié pour favoriser un dialogue continu. Les parlementaires membres du collège peuvent également informer leurs collègues. Des parlementaires pourraient, à l'occasion d'un budget, éplucher de près les comptes d'une AAI. Je souhaite depuis longtemps que le contrôle du Parlement sur l'exécution des lois soit renforcé. Certains parlementaires peuvent aussi se spécialiser, devenir des « censeurs » pour emprunter ce terme au droit commercial. Il faudrait exiger des AAI qu'elles amendent la rédaction de leurs rapports afin que vous puissiez les utiliser en toute intelligibilité. On peut encore améliorer l'organisation du travail parlementaire et favoriser le rapprochement des membres du Parlement avec certaines AAI.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les progrès techniques n'incitent-ils pas à changer les méthodes, comme aux États-Unis, où l'on recueille tout un ensemble de renseignements, pas forcément relatifs à la délinquance, sur un ensemble d'individus, pour y trouver ensuite matière à un contrôle social qui n'était pas prévu initialement ? J'ai cru comprendre que vous étiez attentif à la maîtrise de ces nouvelles techniques. Présentent-elles un risque ?
M. Jean-Marie Delarue. - Elles présentent un risque considérable. La loi de 1991 sur les interceptions de sécurité interdit aux services de transcrire des éléments sans rapport avec l'affaire pour laquelle la surveillance a été demandée. Tout ce qui est relatif à la vie privée doit disparaître, ou tout ce qui concerne les relations professionnelles d'un avocat. C'est pourquoi notre commission tient autant à effectuer un contrôle a posteriori. Demain, nous accumulerons les données sur encore plus de personnes. Traditionnellement, les écoutes de correspondance représentaient le summum de l'intrusion, le recueil de données téléphoniques n'apportait rien. Aujourd'hui, la géolocalisation en temps réel se fait uniquement sur des données de connexion. La séparation des données que nous accumulons sera de plus en plus difficile.
Ma crainte est que nous ne soyons pas en mesure de vérifier assez tôt que les données qui n'ont pas trait à l'affaire sont soustraites, comme le prévoit la loi. Que se passera-t-il s'il faut attendre de pouvoir retirer une balise d'un véhicule pour que son contenu soit assimilé ? Et si le service ne me transmet que les données concernant l'affaire, alors que la balise contient des données sur une autre affaire pénale ? Tout cela suppose la bonne foi des services. J'y crois, bien évidemment, mais il vaut mieux vérifier, car nous sommes en démocratie. Un bon policier est un policier qui a de la mémoire, dit-on - ce qui suppose des fichiers, dont certains ne sont pas contrôlés par la CNIL. Ils le seront demain. La CNIL devra faire son travail, et la CNCTR disposer des conditions techniques pour faire le sien.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Est-il crédible que certaines activités de renseignement aient échappé au contrôle de la Commission ?
M. Jean-Marie Delarue. - Oui, c'est crédible. Certaines activités qualifiées de « zones grises » étaient illégales et pratiquées à une échelle que je ne peux pas définir, car nous ne les contrôlions pas. Sans doute d'autres écoutes ont-elles pu échapper à notre contrôle. Il est désormais est autorisé de suivre non des numéros de téléphone mais des personnes - l' « objectif », dans notre jargon. Un délinquant bien organisé possède dix numéros de téléphone ! Les services nous demandent d'abord une autorisation pour en écouter trois ou quatre, puis, au fil des écoutes, en ajoutent d'autres, en retranchent certains : ce sont les « listes modifiées », qui ne sont pas soumises au Premier Ministre. Les services du GIC mettent quinze jours avant de savoir si la personne écoutée correspond bien au numéro surveillé. Il est possible que des policiers introduisent dans ces listes modifiées un numéro de téléphone qu'ils souhaitent surveiller, puis le retirent au bout de quinze jours sans que le GIC ni la Commission ne s'en aperçoivent. Les cas doivent être rares ; cela reste crédible.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La loi sur le renseignement devait légaliser ces pratiques que vous appelez « grises ». La modernisation de nouvelles pratiques grises n'est-elle pas envisageable ?
M. Jean-Marie Delarue. - Dès l'automne 2014, j'avais indiqué au Gouvernement que la loi devait porter non sur les techniques de renseignement mais sur le degré d'intrusion dans la vie privé. Je n'ai pas été suivi. Nous nous trouvons désormais en porte-à-faux, car les techniques qui ne sont pas mentionnées dans la loi sont réputées illégales. Or l'évolution technologique dans ce domaine est galopante. La loi ne mentionne pas les drones. La préfecture de police en a déjà un. Le survol de propriétés privées risque de poser problème, car il me paraît difficile d'assimiler le drone à une technique existante. L'approche choisie par le Gouvernement entraînera le développement de techniques qui nourriront les zones grises, car les services diront toujours en avoir besoin, sans doute avec raison. Le directeur de la sécurité de Google International m'a indiqué qu'il répondrait certainement à la demande de cryptologie de la part des usagers. Cette technique pouvant gêner la prévention de la délinquance, il faudra donc inventer des contre-mesures... J'aurais voulu que le législateur évite de reprendre en permanence ce chantier des évolutions technologiques.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci pour vos réponses. Votre audition a mis en avant la nécessité d'un contrôle par le Parlement. On ne peut se contenter d'un rapport annuel d'activité. Je ne suis pas certaine non plus qu'il suffise que des parlementaires siègent dans les AAI. L'expérience montre que les parlementaires qui sont membres de telle ou telle institution la défendent ! La question du contrôle doit se poser lors de l'élaboration de la loi.
La réunion, suspendue à 18h15, reprend à 18h30.
Audition de M. Laurent Leveneur, président du Bureau central des tarifications (BCT)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le Bureau central des tarifications (BCT) a été créé par la loi du 27 février 1958, qui instituait une obligation d'assurance pour la circulation des véhicules terrestres : « Toute personne assujettie à l'obligation d'assurance et qui, ayant sollicité la souscription d'un contrat auprès d'une société d'assurance, se voit opposer un refus peut saisir le Bureau central de tarification ». Ce dispositif a progressivement été étendu aux domaines faisant l'objet d'une obligation d'assurance. Vous nous les exposerez et nous parlerez de la réorganisation du Bureau en 1992. Cette structure se compose désormais de quatre collèges établis chacun à parité entre assureurs et assujettis, avec un seul président, issu du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes ou Professeur des universités pour les disciplines juridiques. Le BCT a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l'assureur est tenu de garantir le risque qui lui a été proposé. Il a été qualifié d'AAI par le commissaire du Gouvernement dans une décision du Conseil d'État du 19 janvier 1998 « SNC-Grand littoral », qualification reprise par le rapport du Conseil d'État de 2001.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Leveneur prête serment.
M. Laurent Leveneur, président du Bureau central des tarifications. - C'est un mécanisme assez intelligent qui a été mis en place par la loi de février 1958. L'obligation d'assurance en matière de responsabilité civile automobile repose sur les assujettis, automobilistes ou motocyclistes. Or en France, la liberté contractuelle a valeur constitutionnelle. Il fallait combiner l'obligation d'assurance avec ce qui restait de liberté contractuelle. L'assujetti garde le libre choix de l'assureur, parmi les 300 entreprises agréées dans notre pays, sans compter celles de l'Union européenne. Quant à l'assureur, il a la liberté de contracter ou non avec tel assujetti, le refus d'assurance pouvant être légitimement opposé par des compagnies d'assurance à des personnes qui souhaitent souscrire des contrats. Le législateur a donc prévu le cas des personnes qui ne trouveraient pas d'assureur. C'est ainsi qu'est né le BCT, avec pour seul rôle de fixer la prime moyennant laquelle un assureur à qui la souscription du contrat a été demandée sera tenu de le souscrire. Le Bureau fixe donc dans un dossier individuel une prime individuelle pour un contrat individuel.
Le système a fonctionné pendant des années de manière satisfaisante, si bien qu'il a été reproduit en 1978 en matière d'assurance sur les constructions, lorsque la fameuse responsabilité civile décennale a été rendue obligatoire, puis en 1982, lorsque le législateur a généralisé l'obligation d'assurance en matière de catastrophe naturelle, en 2002, lorsqu'il a imposé aux médecins l'obligation de s'assurer, et l'an dernier, quand ont été créées de nouvelles obligations d'assurance en matière d'habitation : responsabilité des copropriétaires, responsabilité civile des syndicats de copropriétaires, responsabilité civile des locataires.
L'organisation du Bureau a été remodelée en 1992. Jusque-là, l'administration du ministère des Finances assurait le secrétariat et l'instruction des dossiers ; depuis, le monde de l'assurance (Fédération française des sociétés d'assurance et le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance) fournit les moyens, locaux ou secrétariat. Les membres du Bureau sont nommés par arrêté ministériel et ne sont pas rémunérés. Il n'y aucun argent public dans cet organisme, pas de sanctions, ni de primes. Le Bureau se contente de rendre des décisions individuelles pour des assujettis qui n'arrivent pas à trouver d'assureur à cause d'un profil de risque élevé. Pourquoi avoir créé cet organisme ? Sans doute parce qu'il évite à l'administration de s'impliquer dans des décisions parfois difficiles, préservant ainsi la hiérarchie qui remonte jusqu'au Premier Ministre.
Le Bureau a très bien fonctionné jusqu'en septembre 2014, moment où a été mise en application la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, et notamment son article 11 qui fait obligation aux membres des AAI de présenter une double déclaration de patrimoine et d'intérêts, à l'instar de ce que font les élus. Le BCT n'est qualifié d'AAI par aucun texte législatif, mais par le rapport du Conseil d'État de 2001. Face à l'obligation de rendre leur double déclaration au 1er octobre 2014, nos membres, tous bénévoles, ont estimé que la mesure était disproportionnée. Ils ont surtout considéré qu'ils n'entraient pas dans la catégorie des représentants de la vie publique, car ils traitaient de dossiers individuels de manière confidentielle, et 77 des 82 membres du Bureau ont préféré démissionner. Depuis...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est l'apprentissage de la solitude !
M. Laurent Leveneur. - Il est délicat de recruter de nouveaux membres, au point que la nouvelle formation qui devait statuer en matière d'habitation n'a pu être mise en place, faute de volontaires pour y siéger. Travailler bénévolement, sans même le remboursement des frais de déplacement, avec obligation de déclarer ses revenus sur les cinq dernières années, car la prescription fiscale doit bien être de trois ans...
M. Pierre-Yves Collombat. - Pouvant être prolongée de sept ans...
M. Laurent Leveneur. - Une personne du Bureau m'a indiqué qu'elle peinait à faire sa déclaration patrimoniale car elle a acheté son appartement il y a 25 ans et n'avait pas conservé toutes les factures des travaux accomplis depuis. Les organismes professionnels estiment qu'ils n'ont pas à faire peser de telles obligations sur leurs membres, et les associations de consommateurs souhaitent aussi revenir à une situation plus normale.
Une proposition de loi a été déposée l'an dernier par le doyen Gélard et par Jean-Pierre Sueur, qui constatent qu'il n'y a aucune liste des AAI, si bien que lorsqu'on prend une mesure concernant le régime juridique de ces AAI, le champ d'application du texte est incertain. C'est tout à fait le cas pour la loi du 11 octobre 2013 : certaines AAI ont dû y échapper alors qu'elles étaient concernées et inversement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment faire, alors ?
M. Laurent Leveneur. - Il n'est pas simple de dresser une liste des AAI. Cependant, quand le législateur édicte une mesure les concernant, il faudrait prendre le soin de renvoyer à un décret énumérant les organismes concernés. Cela a été fait, à juste titre, dans l'article 8 de la loi du 11 octobre 2013 qui impose des obligations en matière de gestion de valeurs mobilières aux membres et présidents des AAI opérant dans la vie économique. On ne peut pas mettre toutes les AAI dans le même sac : d'une part celle qui est dotée d'un pouvoir de recommandation et d'édiction de normes, d'un pouvoir de sanction, parfois important, et d'autre part le Bureau central, chargé de fixer une prime dans un dossier individuel, décision qui ne s'impose même pas à celui qui l'a sollicitée, car l'assujetti reste libre de préférer aller chercher un assureur en Irlande ou en Pologne, s'il le souhaite ! Il faut cibler la législation. Elle ne peut s'appliquer à toutes les AAI.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous aurions pu vous auditionner comme expert juridique. Vous considérez-vous comme une AAI ?
M. Laurent Leveneur. - Pas au sens de la loi du 11 octobre 2013. Cette qualification qui nous a été donnée peut se justifier par le fait que les membres du Bureau sont nommés par arrêté ministériel. Notre organisme est indépendant, car il ne dépend pas d'un pouvoir hiérarchique, comme c'est le cas dans l'administration.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'administration se décharge en quelque sorte sur le Bureau d'un certain nombre de problèmes, dites-vous. Considérez-vous que ce soit la meilleure solution ?
M. Laurent Leveneur. - Si l'État ne peut pas faire fonctionner un organisme comme le nôtre sans le charger de contraintes excessives, il faudra peut-être trouver une autre solution. Ce n'est pas si simple. Depuis 1958, les décisions ne s'imposent pas aux assujettis qui les ont sollicitées, mais aux assureurs qui risquent de perdre leur agrément s'ils ne s'y plient pas. On pourrait envisager un autre système de médiation ou de conciliation. Ce serait sans doute moins efficace.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avec quatre-vingts membres, le Bureau n'est-il pas une usine à gaz ?
M. Laurent Leveneur. - Chaque formation est constituée de douze titulaires et de douze suppléants.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout ce monde pour trouver un assureur à des personnes privés, parfois simplement pour leur véhicule ?
M. Laurent Leveneur. - En 2002, quand l'assurance a été rendue obligatoire en matière de responsabilité civile médicale, le Bureau a eu un rôle essentiel, alors que les choses se passaient très mal. Il a aidé à régler le problème. Nous avons traité des centaines de dossiers individuels, dont plus de mille la première année.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - De qui devez-vous être indépendant ?
M. Laurent Leveneur. - De l'administration du ministère des Finances. Un commissaire du Gouvernement assiste aux séances. Il n'impose aucune décision.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le BCT est financé par les sociétés d'assurance ?
M. Laurent Leveneur. - Nos membres sont bénévoles. Comme président, je touche une indemnité de 9120 euros par an, versée par le Trésor. Les fédérations de sociétés d'assurance assument les frais de fonctionnement du secrétariat.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les sociétés d'assurance sont les seules à devoir exécuter les décisions que vous prenez. Or ce sont elles qui vous financent. Les recours sont rares : deux sur les cinq dernières années.
M. Laurent Leveneur. - En pratique, les recours émanent des assujettis qui jugent les primes trop élevées.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il n'en reste pas moins que votre financement est assuré par les sociétés d'assurance qui doivent se plier à vos décisions.
Les membres de votre collège ont démissionné, considérant qu'il était excessif d'imposer une déclaration de patrimoine à des bénévoles. J'imagine que vous avez exposé la situation à qui de droit.
M. Laurent Leveneur. - Le ministre de l'Économie et des Finances a été tenu au courant.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai lu dans la presse professionnelle que votre AAI pourrait être dispensée de l'obligation de déclaration, grâce à la loi Sapin II, attendue pour la fin de l'année. Avec ce projet de loi, le Parlement déciderait que vous n'êtes plus une AAI ? S'il suffit de démissionner pour échapper à l'obligation de déclaration ! Ce n'est pas une motivation juridique d'une qualité exceptionnelle.
M. Laurent Leveneur. - Je ne connais pas la teneur exacte du projet de loi. Il faudrait surtout s'inspirer de l'article 8 de la loi du 11 octobre 2013, en déclarant que sont soumises à déclaration les AAI énumérées par décret. D'autres organismes ont sans doute eu le même genre de difficultés. Je ne crois pas qu'il suffise de dire qu'on n'est pas une AAI.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il n'empêche qu'une modification est en préparation pour répondre à vos voeux dans un texte de loi.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Êtes-vous certain d'être une AAI ? Ne devriez-vous pas être indépendant des assureurs plutôt que de l'État ?
M. Laurent Leveneur. - Dans la qualification d'AAI, l'adjectif « indépendante » doit être rapproché d'« administrative » : normalement, ce qui est administratif n'est pas indépendant, puisque le Premier ministre dispose de l'administration. Ce n'est pas le cas des AAI, qui échappent au pouvoir hiérarchique. C'est pour cela que l'Autorité de la concurrence peut infliger une sanction sans recevoir aucune instruction du Premier ministre.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Avez-vous besoin des instructions du Premier ministre dans le champ dans lequel vous exercez ?
M. Laurent Leveneur. - Certainement pas.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous pourriez fonctionner sans être une AAI. Vous rendez des services évidents à la profession.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Que fait le commissaire du Gouvernement ?
M. Laurent Leveneur. - Il assiste aux séances, il en rend compte, et il peut demander une deuxième délibération.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le problème vient de ce qu'il y a obligation d'être assuré. L'indépendance devrait être vis-à-vis des compagnies d'assurance, pour veiller à ce qu'elles ne fixent pas des primes exorbitantes, etc. Quant à savoir si tout cela mérite de faire des déclarations de patrimoine, c'est une autre affaire.
M. Laurent Leveneur. - Les décisions sont prises par des collèges paritaires ; un conseiller d'État, à la Cour de cassation, à la Cour des comptes ou encore un professeur d'université est garant de leur l'indépendance. En ce qui me concerne, je suis totalement indépendant face aux sociétés d'assurance.
M. Jean-Léonce Dupont. - Vos propos sont extrêmement intéressants. Vous avez dit qu'une autorité administrative n'est pas indépendante par nature. L'appellation autorité administrative indépendante contient donc en elle-même une contradiction dans les termes ! Nous nous sommes souvent interrogés sur l'indépendance réelle des AAI. En l'espèce, nous ne sommes pas sûrs que le BCT soit une AAI ; en revanche, nous sommes certains qu'il est indépendant. Il est donc indispensable qu'un commissaire du gouvernement y siège, pour savoir ce qui s'y passe !
M. Pierre-Yves Collombat. - La prime pour s'assurer contre les catastrophes naturelles est souvent si élevée que les assurés ne peuvent la payer. Or, ces personnes n'ont commis aucune faute, autre que de se trouver au mauvais endroit, dans une commune dont le maire n'a pas mis en place de PPRI, et d'avoir été frappés par des inondations à répétition. Comment gérer la différence entre le risque réel pour l'assureur et la capacité pour l'assuré de payer de la prime ?
M. Laurent Leveneur. - Le bureau de la section catastrophe naturelle a été très peu saisi, une fois tous les deux ans tout au plus, d'où la démission collective, que je comprends. Vous évoquez la tarification catastrophe naturelle. La législation est peu claire en ce domaine. La prime catastrophe naturelle est fixée règlementairement : il s'agit d'un pourcentage de la prime de base de l'assurance incendie des habitations.
M. Pierre-Yves Collombat. - Pour les entreprises, le problème est tout autre.
M. Laurent Leveneur. - Non, il s'agit toujours d'un pourcentage de la prime de base. Mais certains assureurs refusent de souscrire le contrat d'assurance incendie de la maison, de l'entreprise, de l'hôtel... Dans le Sud-Ouest, des hôtels se sont vu opposer des refus d'assurance, sur le risque catastrophe naturelle. Néanmoins, jusqu'à présent, tout le monde a réussi à se faire assurer, même si la prime de base est plus élevée que dans des zones où il n'y a pas de risque de catastrophes naturelles.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les tarifs deviennent vite prohibitifs alors que ces personnes n'y sont pour rien. Pourquoi ne pas lier le montant de la prime aux efforts que font les gens pour se protéger ? Le rapport entre prime, risque et responsabilité n'est pas clair et je n'ai pas le sentiment qu'on ait envie d'y remédier.
M. Laurent Leveneur. - Jusqu'en 1982, le risque catastrophe naturelle était jugé inassurable. Une fois la garantie catastrophe naturelle sur les contrats rendue obligatoire, les choses ont évolué dans le bon sens. Nous avons d'ailleurs très peu de saisines pour les catastrophes naturelles, même si elles se sont multipliées depuis les récentes inondations dans le sud de la France. Il n'y a cependant pas de refus massifs des assureurs, comme c'est le cas pour la responsabilité médicale. Les gynécologues-obstétriciens notamment ont du mal à s'assurer et les primes sont parfois prohibitives.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez dit que certaines structures n'étaient pas considérées comme des AAI et mériteraient de l'être. À qui pensiez-vous ?
M. Laurent Leveneur. - À l'université, on qualifie d'AAI des structures qui ne figurent pas dans le rapport du Conseil d'État en 2001, sans doute parce qu'elles n'existaient pas encore. Plus précisément, j'ai longtemps fait partie de la Commission des clauses abusives : cet organe publie des recommandations qui sont suivies à la lettre par les professionnels. Ses membres sont nommés par arrêté ministériel et un commissaire du gouvernement y siège. Pourtant, cette commission n'est pas considérée comme une AAI.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci pour cette excellente audition.
La réunion est levée à 19h10.
Jeudi 17 septembre 2015
- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente.-La réunion est ouverte à 9 heures 05.
Audition de Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma. Créé par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, codifié aux articles L 213-1 à L 231-8 du code du cinéma et de l'image animée, le Médiateur organise une conciliation préalable « pour tout litige relatif à l'accès des exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et à l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles, ainsi que, plus généralement, aux conditions d'exploitation en salle de ces oeuvres ». Vous intervenez donc en cas de position dominante ou de situation restreignant ou faussant la concurrence. Le décret du 9 février 1983 précise cette fonction. Son titulaire est nommé par décret après avis de l'Autorité de la concurrence, signé par le ministre de la concurrence et le ministre chargé du cinéma, pour un mandat de quatre ans renouvelable. Il est issu du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Vous avez été nommée par décret le 7 octobre 2011 en remplacement de M. Roch-Olivier Maistre, démissionnaire.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Jeanne Seyvet prête serment.
Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma. - Le Médiateur du cinéma est une autorité administrative indépendante d'un genre particulier : elle opère dans le domaine de la conciliation, dans un secteur régulé par des politiques publiques très actives, pour des litiges entre exploitants de salles de cinéma et distributeurs de films, avec une distribution sélective. Notre structure est toute petite : je travaille moi-même à temps très partiel, aidée par un cadre A et par un agent de catégorie C, tous deux à temps plein. Le Médiateur n'a pas de personnalité juridique et est rattaché budgétairement au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).
Mon rôle de médiation est concentré sur les litiges entre les exploitants et les distributeurs après saisine d'une des parties, de fédérations, du CNC ou auto-saisine. Il existe plusieurs milliers d'établissements de cinéma en France, une centaine de distributeurs et près de 400 films inédits sortent chaque année. La denrée rare, c'est la salle, non le film. La concurrence pour les salles est très forte entre distributeurs, dont certains sont très puissants, et entre exploitants, quelques-uns concentrant là aussi la majorité des entrées. Une typologie plus fine peut être réalisée, par exemple entre salles d'art et d'essai et multiplexes en périphérie de zone urbaine. Les litiges interviennent au moment du placement des films. Le Médiateur a un pouvoir d'injonction dont il use avec modération, sous le contrôle du Conseil d'État, mais qui est une vraie possibilité de sortir d'un litige après l'échec de la conciliation.
Le Médiateur peut aussi défricher un domaine qui fait l'objet de débats au sein de la profession, comme en 2014-2015 sur les conditions d'exploitation : nombre de semaines d'exploitation, nombre de séances qui sont de plus en plus difficiles à gérer avec la multiplication des sorties. Nous rappelons parfois des règles générales ou des bonnes pratiques qui s'appliquent au-delà du cas particulier, sous la forme de recommandations publiques. Nous intervenons sur l'organisation des avant-premières, des festivals, dont le développement peut poser des problèmes de concurrence, ou sur la diffusion de films de patrimoine. Récemment, nous avons traité de la vente liée, associant un ticket de cinéma et une boisson ou une confiserie, qui a donné lieu à de rudes débats.
Le deuxième volet de notre activité concerne la création ou l'extension des multiplexes sur un territoire, décidée par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Les parties peuvent déposer un recours devant la commission nationale (CNAC). Le Médiateur examine tous les dossiers : s'il estime que l'intérêt général n'est pas respecté, il peut lui aussi déposer un recours contre la décision de la CDAC. Nous le faisons dans 10 % des cas environ. Le flux des demandes d'autorisation ne tarit pas alors que le pays est déjà très bien équipé. L'an dernier, sur 45 dossiers, 39 ont été autorisés. Les villes et communautés urbaines ont intérêt à réfléchir à l'aménagement cinématographique, mais il faut tenir compte de l'aspect économique. Nous expliquons aux élus l'importance de préserver la dynamique des établissements déjà implantés et la diversité des formes d'exploitation sur le territoire : centre-ville ou périphérie, cinéma d'art et essai ou multiplexe, animation autour du cinéma ou zone commerciale. Les engagements de programmation que peut prendre le créateur du multiplexe sont un outil utile, mais il faut éviter que les opérateurs ou les élus ne tombent sous le coup de la politique de concurrence : un accord entre concurrents est prohibé même si la mairie est signataire...
Notre troisième mission concerne les engagements de programmation. La loi impose aux gros exploitants, locaux ou nationaux, de prendre des engagements de programmation pour garantir l'intérêt général et la diversité des oeuvres proposées, afin notamment de limiter la diffusion de blockbusters sur un nombre excessif d'écrans au détriment d'autres films. Nous émettons un avis sur les décisions des exploitants que nous publions et transmettons à l'exploitant et au CNC qui est décisionnaire. Cet outil de régulation, bien connu de la profession, est insuffisamment utilisé ; il pourrait être renforcé.
Enfin, nous publions un rapport annuel, qui fait le point sur toutes ces questions.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre qualité d'AAI n'est pas reconnue par la loi mais par le rapport du Conseil d'État de 2001. Qu'est-ce qui justifie ce statut ? En avez-vous besoin ?
Mme Jeanne Seyvet. - Le Médiateur prend ses décisions en toute indépendance du Gouvernement et du CNC, bras armé de la politique du cinéma en France. Il est important que cette indépendance soit reconnue, notamment par les agents du CNC, dont nous dépendons pour nos moyens et pour diverses taches de notre vie quotidienne. Ainsi, nous voudrions faire évoluer notre site Internet, qui est vétuste, mais le CNC a d'autres priorités budgétaires... Nous faisons appel aux équipes du CNC pour des études ou du conseil juridique. L'écoute est globalement très bonne, mais il arrive, notamment lors d'un changement de personnel, que nous soyons obligés de rappeler que c'est Médiateur qui instruit les dossiers. Si aucun texte ne garantissait cette indépendance, le Médiateur serait absorbé par le CNC. Le Médiateur ne consomme pas de crédits publics : toutes ses fonctions support sont mutualisées avec le CNC. Créer une agence indépendante eût été ridicule.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si votre site Internet est vieillot...
Mme Jeanne Seyvet. - Mais efficace quand même !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si le CNC ne vous donne pas de moyens financiers, il reste tel quel...
Mme Jeanne Seyvet. - Oui, tout dépend de ses priorités.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si vous estimez que c'est une priorité pour vous, vous restez sous le couperet d'une décision du CNC. Votre indépendance est relative.
Mme Jeanne Seyvet. - Relativisons, le temps est aux économies...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous supposions que les administrations en réalisaient quelle que soit la période, et nous comptons sur la Cour des comptes !
Mme Jeanne Seyvet. - Je ne critiquais pas mais donnais un exemple tangible de la vie quotidienne.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le CNC pourrait-il exercer vos fonctions ?
Mme Jeanne Seyvet. - Le CNC a des relations très étroites avec la profession et attribue des subventions et des aides pour l'exploitation ou la distribution ; difficile pour lui de se poser en autorité non liée aux parties, à la différence du Médiateur.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pouvez-vous contester l'attribution des subventions du CNC ?
Mme Jeanne Seyvet. - Ce n'est pas du tout dans mes attributions. En cas de contestation, le ministre serait saisi, puis le tribunal administratif.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avez-vous pour rôle de veiller à ce que la loi et la réglementation ainsi que les règles de concurrence soient bien respectées par les parties ?
Mme Jeanne Seyvet. - Même si je peux être amenée à rappeler la loi et la réglementation en vigueur, l'objectif de la médiation est de sortir du litige avec un accord.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le CNC vous saisit-il directement ?
Mme Jeanne Seyvet. - Il peut le faire, c'est arrivé une fois dans l'histoire du Médiateur, sur les dispositifs destinés aux scolaires.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si la conciliation n'aboutit pas, avez-vous un pouvoir d'injonction qui s'impose aux parties ?
Mme Jeanne Seyvet. - De fait, les parties suivent nos injonctions. Si ce n'était pas le cas, il faudrait passer par le tribunal pour faire appliquer l'injonction. C'est très rare.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quelles est la voie de recours contre une injonction ?
Mme Jeanne Seyvet. - Le Conseil d'État.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quelles relations entretenez-vous avec le ministère ?
Mme Jeanne Seyvet. - Nous avons des relations régulières mais espacées. Le ministre ne m'a jamais saisie de sujets particuliers durant mon mandat. Il doit être satisfait de cet outil qui facilite les relations. La diffusion des films en salle n'est pas un sujet médiatique ou politique, sauf exception, comme le litige sur les Champs-Élysées, mais le ministère est conscient de son importance au quotidien pour le secteur du cinéma, car cela représente un vrai goulot d'étranglement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En quoi avez-vous à intervenir dans la création de festivals ?
Mme Jeanne Seyvet. - Nous intervenons sur des sujets précis, comme des litiges entre le distributeur d'un film diffusé dans le cadre d'un festival et l'exploitant de la ville concernée. Ainsi, un exploitant ayant conclu un accord avec un distributeur pour une sortie nationale pourrait s'estimer lésé en apprenant que le film sera présenté en festival et y voir une forme de captation de clientèle. Nous avons été saisis une à deux fois sur le sujet. En général, les festivals ne génèrent pas de litiges. Mais la tension devenant plus importante, les exploitants nous saisissent désormais.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous indiquiez déposer un recours contre 10% des décisions des commissions départementales. C'est considérable !
Mme Jeanne Seyvet. - Ce n'est pas un objectif mais le simple résultat d'un examen au cas par cas.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les commissions seraient-elles trop permissives ?
Mme Jeanne Seyvet. - Il existe différents cas. Ainsi, une autorisation avait été donnée pour un établissement au ras d'une zone à risque inondable.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Considérez-vous que cela relève de votre compétence ?
Mme Jeanne Seyvet. - Oui, hélas, je dois regarder l'ensemble des critères.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Belle démonstration du délitement de notre pauvre République ! Il y a pourtant une procédure de permis de construire ! Comment expliquer que le Médiateur du cinéma soit compétent en une telle matière ?
Mme Jeanne Seyvet. - Je vous ai donné un exemple très particulier. Les textes me donnent un pouvoir de recours sur l'ensemble des critères. Le marché est tellement équipé que l'implantation d'un nouveau multiplexe peut poser problème, en restreignant la diversité des oeuvres diffusées et en éclatant les entrées - ce qui n'apporte rien aux habitants. Il déstabilise la zone et fragilise économiquement les opérateurs des salles d'art et d'essai.
Mes recours sont très nuancés. Souvent je propose que l'opérateur demandeur limite sa programmation et respecte une ligne éditoriale permettant le maintien de la diversité des formes d'exploitation - qui est une exigence du législateur. Les parties prenantes le comprennent très bien, mais les propositions sont souvent insuffisantes : s'engager à ne pas programmer de films élus par l'Association française des cinémas d'art et d'essai (Afcae), cela ne concerne que 25 petits films par an ! Le véritable enjeu est l'accès aux films d'art et d'essai porteurs, indispensables à la rentabilité des salles art et essai. Jusqu'à présent, les commissions départementales, comme la commission nationale, comptaient peu de personnes compétentes en matière de cinéma, mais elles sont en train d'être réformées. Certaines situations nécessitent un examen fin, dans des territoires très équipés, quand d'autres zones bénéficient sans hésitation de l'arrivée d'un multiplexe. Les décisions des commissions ne sont pas laxistes mais le dialogue doit être nourri entre le CNC, les élus et le Médiateur. C'est grâce à la dynamique des multiplexes qu'on a équipé le pays et poussé les exploitants de salles préexistantes à investir. Notre parc est d'une qualité remarquable, il faut s'en réjouir.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avez-vous des relations étroites avec l'Autorité de la concurrence ?
Mme Jeanne Seyvet. - L'Autorité nous interroge parfois sur des affaires en lien avec nos missions. À l'inverse, si j'avais connaissance de faits mettant gravement en cause la concurrence, il faudrait que je la saisisse. Ce n'est jamais arrivé, même si nous avons demandé à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) une étude concernant la Réunion, où les interactions entre acteurs sont particulièrement complexes et conflictuelles, les deux principaux exploitants étant également sous-distributeurs.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Serait-il envisageable que l'Autorité de la concurrence soit en charge de la régulation ?
Mme Jeanne Seyvet. - En général, elle nous consulte : elle n'a ni la pratique, ni la compétence.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cet argument vaut dans tous les secteurs que traite l'Autorité ! Elle n'a pas de compétence spécialisée dans tous les domaines...
Mme Jeanne Seyvet. - Le législateur a récemment décidé d'extraire la partie « cinéma » des CDAC et CNAC du code du commerce pour la rattacher au code du cinéma, car elle relève plus de la politique de régulation du cinéma que de la politique de concurrence.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Franchement, ne serait-il pas préférable que vous soyez rattachés à l'Autorité de la concurrence, y compris pour avoir davantage de moyens ? Cela vous garantirait une véritable indépendance. Quels en seraient les inconvénients ?
Mme Jeanne Seyvet. - Rattacher notre activité de médiation, qui repose sur la confiance, à l'Autorité de la concurrence, me semble difficile. Comme je ne suis pas un juge, on peut tout me dire ! Je réagis pour rétablir ce qui doit l'être et trouver une issue après avoir mis à plat les difficultés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je comprends, j'ai moi-même fait de la médiation familiale dans une autre vie, quand j'étais avocat...
Mme Jeanne Seyvet. - Le milieu du cinéma est particulier : s'il représente une activité économique à rentabiliser, il reste également attaché aux valeurs culturelles. Souvent la médiation ne relève pas d'aspects concurrentiels mais plutôt de la façon dont il faut valoriser un film pour qu'il rencontre son public.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - J'entends bien, mais la plupart des AAI émettent des avis, comme le Médiateur.
Mme Jeanne Seyvet. - En général, je n'émets pas d'avis : je dois inciter, susciter, explorer tous les types d'accord, aider à rechercher un terrain d'entente. Même si je donne mon avis, les parties s'accordent d'abord entre elles. Je ne publie mes recommandations que si la situation offre des enseignements plus larges, dissociées du cas d'espèce.
Autre argument qui plaide pour une proximité avec le CNC : nous avons absolument besoin de ses bases de données, comme celles des bordereaux d'entrées des exploitants. Si l'on veut économiser l'argent public, on ne peut doublonner de tels outils.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les distributeurs et les exploitants ne vous demandent-ils jamais d'intervenir auprès des chaînes de télévision ?
Mme Jeanne Seyvet. - Ce n'est pas de notre compétence.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais les accords avec les chaînes de télévision ont des conséquences sur la fréquentation des salles...
Mme Jeanne Seyvet. - C'est la période d'exclusivité en salle, surtout la sortie nationale et la première semaine, qui sont cruciales et calibrent le succès d'un film, davantage que la négociation avec les chaînes de télévision - qui n'a aucune influence sur ces premiers jours, sauf peut-être les émissions de critiques de films.
M. Jean-Louis Tourenne. - J'apprends, dans le cadre de cette commission d'enquête, que les AAI ont un pouvoir très important par leurs avis et leurs décisions, et qu'elles dessinent grandement le paysage administratif, politique et culturel de notre pays. Ce qui m'inquiète, c'est la parenté qui se dessine entre elles. Cela ne favorise-t-il pas un schéma de pensée unique qui conduit à prendre des décisions allant toujours dans le même sens, bloquant toute créativité et inventivité ?
Les multiplexes mettent en péril les salles art et essais, dites-vous. Pourtant, ils sont souvent implantés en périphérie, et fréquentés par des ruraux, qui en tirent un vrai bénéfice. Pourquoi vouloir uniquement protéger ce qui existe ? Le cinéma est une formidable école ! Ne pourrait-on plutôt obliger les multiplexes à diffuser aussi des films d'art et d'essai, afin d'aiguiser l'appétit de cette population rurale et de répondre au souci des élus ruraux de diversifier leur offre culturelle ?
Mme Jeanne Seyvet. - Il n'y a pas d'uniformité de pensée ou de méthode au sein des AAI. Je n'ai pas de relations avec les autres médiateurs, nous n'en avons guère le temps. C'est plutôt une mosaïque d'autorités.
Je n'ai aucun a priori sur les multiplexes : j'ai vécu dans des zones tant rurales qu'urbaines, et fréquenté toutes sortes de salles. En zone rurale, et notamment en montagne, il existe même des cinémas itinérants.
La loi de 2014 a rajouté dans les objectifs de la politique du cinéma le maintien et la protection du pluralisme non seulement des oeuvres mais aussi des formes d'exploitation, qui correspondent à des types de programmation très différents. Les multiplexes projettent plus ou moins de films d'art et d'essai, tout l'enjeu est de savoir où ils sont implantés. Quand ils sont en situation de quasi-monopole, il est important qu'ils présentent une diversité de films, et cette obligation pourrait être renforcée. Mais dans des zones bien équipées, d'autres assurent mieux cette mission, en organisant des animations spécifiques autour de petits films pour les faire connaître et donner envie de les voir : c'est tout le travail des salles d'art et d'essai. Il faut respecter ces différentes formes d'exploitation qui ont leur public, et examiner au cas par cas les demandes des multiplexes pour ne pas déstabiliser certaines zones.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Qui contrôle les engagements souscrits ?
Mme Jeanne Seyvet. - Je réalise un bilan annuel dont une partie est publique, et le CNC reprend la négociation et peut prononcer des sanctions. Les engagements de programmation sont un outil de régulation difficile, mais trop peu utilisé.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je suis maire d'une commune rurale de 4 000 habitants et j'ai de grandes difficultés à organiser une semaine du cinéma avec des distributeurs, car louer un film est extrêmement cher. Pouvons-nous vous saisir ?
Mme Jeanne Seyvet. - Oui, vous pouvez nous saisir si vous êtes exploitant en régie directe. Il faut d'abord sérier les problèmes : quels types de films recherchez-vous, exclusivités ou films de patrimoine ? Avec quels distributeurs, dans quelles conditions économiques ? Nous pouvons ensuite organiser une réunion de conciliation.
Depuis quatre ans, nous avons accompagné, par notre médiation, la mutation du numérique qui a touché le secteur du cinéma, en complément de l'effort du CNC - et du pays tout entier - pour aider à l'équipement des salles. Les négociations entre les exploitants et les distributeurs autour des frais de copie virtuels prévus par la loi ont été difficiles. Les pratiques des distributeurs et des exploitants ont évolué et cette période redoutée s'est finalement bien déroulée grâce aux comités de concertation du CNC et à notre médiation.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Effectivement, il n'était plus possible pour une petite salle d'obtenir de films sans passer au numérique...
Mme Jeanne Seyvet. - Le numérique permet des multiprogrammations sur un seul écran, ainsi qu'un accès aux différentes versions. Nous avons aussi accompagné l'évolution de la Dynamic Range Control (DRC).
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est effectivement un bouleversement. Merci d'avoir répondu si directement à nos questions.
Audition de M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), instance composée à parité de représentants de l'administration de l'État et des professionnels de la presse et présidée par un membre du Conseil d'État. Les représentants des entreprises et agences de presse sont désignés sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives. Le président et les autres membres sont nommés par arrêté du ministre chargé de la communication pour un mandat de trois ans renouvelable. M. Jean-François Mary a succédé en mars 2014 à M. Pierre Bordry à la présidence de cette commission chargée de délivrer un avis relatif aux bénéfices du régime économique de la presse - tarifs postaux et fiscaux -, de reconnaître la qualité de service de presse en ligne (Spel) et de proposer l'inscription sur la liste des entreprises ayant le statut d'agence de presse.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Mary prête serment.
M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse. - Je préside la commission paritaire depuis le 8 mars 2014. En raison de la nature des décisions prises, elle a été considérée comme une autorité administrative indépendante (AAI) au terme du processus qui trouve son origine dans le rapport du Conseil d'État qui en dresse la liste. Cette qualification ne découle d'aucune loi ni décision juridictionnelle.
La CPPAP n'a pas de personnalité morale. Elle fonctionne avec le soutien de l'administration, en particulier de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), sans que cela entraîne de conséquences directes. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique a estimé qu'elle entrait dans le champ de la loi de 2013 et soumis ses membres aux obligations déclaratives qui en découlent.
La commission est une autorité administrative, indéniablement. Est-elle indépendante ? Elle a pour originalité d'être constituée à parité de représentants de l'administration et du monde professionnel. Historiquement, on a considéré que la presse devait être aidée au nom du respect de la libre communication des idées et des opinions, non par l'administration seule, mais associée aux professionnels. À la Libération notamment, des commissions du même type décidaient de l'attribution de ces aides. Le paritarisme a des conséquences sur l'indépendance puisque les représentants des professionnels défendent les intérêts de leurs mandants et que l'administration se représente elle-même. Elle reste indépendante dans la mesure où le président, qui ne représente que lui-même, tranche en cas d'égalité entre les voix. On constate que la confrontation des points de vue, la dialectique du débat peut faire évoluer les positions des uns et des autres.
Nous sommes une porte d'entrée, un sas ouvrant droit aux aides économiques à la presse. Le régime distingue les aides générales (taux de TVA à 2,1 % ; délivrance d'un certificat aux publications selon des critères réglementaires de périodicité, d'information, de formation et de récréation du public dans un cadre d'intérêt général ; allègements postaux) des aides plus ciblées, notamment vers les publications d'information politique et générale qui contribuent au débat démocratique et citoyen. Il s'agit pour nous de dire quelles publications répondent à ces critères. Pour certaines, cela tombe sous le sens ; pour d'autres, la qualification d'information « politique » fait débat, étant donné la diversification des centres d'intérêt de la vie publique. Le mécanisme est similaire pour les services de presse en ligne.
La principale difficulté de la CPPAP est de sélectionner les titres sans commettre d'erreur ni d'injustice. Nous nous appuyons sur un mécanisme de lignes directrices : la commission élabore une doctrine à mesure qu'elle examine les dossiers, fournissant un cadre non réglementaire aux intéressés - un repère et non un carcan. Nous nous en servons mais il ne nous oblige pas. Les publications différentes ne sont pas obligatoirement écartées.
Nous sommes une autorité administrative indépendante selon la jurisprudence constante du Conseil d'État car nous prenons des décisions, même s'ils s'appellent « avis ». Si nous refusons la délivrance d'un certificat, les administrations fiscale comme postale ne peuvent pas accorder d'aides. En revanche, en cas de délivrance d'agrément de notre part, les textes autorisent l'administration fiscale à refuser une aide : le système est asymétrique. Enfin, le recours se fait devant le Conseil d'État en cas de refus d'agrément.
M. Pierre-Yves Collombat. - Intervenez-vous dans la répartition des diverses aides à la presse, aides au pluralisme, à la modernisation, etc ?
M. Jean-François Mary. - Le Fonds stratégique pour le développement de la presse est une instance totalement indépendante de la CPPAP, la délivrance d'un certificat par celle-ci étant la condition pour que le dossier soit étudié par le fonds.
M. Pierre-Yves Collombat. - Condition nécessaire mais non suffisante.
M. Jean-François Mary. - Absolument.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est pourquoi Le Monde touche des sommes folles, quand Le Monde diplomatique ne perçoit rien.
M. Jean-François Mary. - Cela ne dépend pas de la CPPAP.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'administration fiscale est-elle tenue par vos avis ?
M. Jean-François Mary. - Elle n'est pas tenue par nos avis positifs, mais par nos avis négatifs.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez précisé dans votre réponse au questionnaire que votre fonctionnement était pris en charge par un bureau dédié au sein de la DGMIC. Les crédits budgétaires ne sont pas individualisés, hormis pour la rémunération du président. Vous n'avez donc aucune autonomie de moyens.
M. Jean-François Mary. - Aucune.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela ne pose-t-il pas un problème d'indépendance ?
M. Jean-François Mary. - Mon rôle est d'organiser la confrontation des points de vue, d'organiser un vote et, le cas échéant, de trancher. Il est très fréquent que des propositions de refus de l'administration soient combattues par l'autre partie. J'ai la faiblesse de penser que l'absence de moyens propres n'a pas d'influence sur l'indépendance de la commission - mais je conçois qu'on puisse penser autrement !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En effet. Que pensez-vous de la multiplication du nombre d'autorités administratives indépendantes ?
M. Jean-François Mary. - J'appartiens à une maison, le Conseil d'État dans sa formation administrative, qui pense que les AAI sont trop nombreuses et a souvent estimé que les missions de certaines pourraient être exercées par l'administration. La CPPAP est à l'extrême limite de la sphère des autorités administratives. L'État préfère ne pas être en première ligne. Il est tout à fait concevable de regrouper la commission et d'autres autorités, comme le Fonds stratégique pour le développement de la presse.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je me demande comment le Conseil d'État arrive à faire face, quand nombre de ses membres se retrouvent à siéger dans quantité d'AAI. Votre vie doit être terrible !
M. Jean-François Mary. - Les membres du Conseil d'État doivent en permanence arbitrer entre leur fonction, qu'il ne s'agit pas d'abandonner - le contentieux, en ce qui me concerne - et les multiples sollicitations. J'essaie de faire les deux aussi bien que possible.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous êtes président de section à la Cour nationale du droit d'asile.
M. Jean-François Mary. - Je ne le suis plus dans les faits. J'ai informé la Cour nationale du droit d'asile que ce n'était plus possible, compte tenu de mes activités.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous êtes membre titulaire de la Commission des infractions fiscales, autre AAI. C'est le législateur qui l'a voulu, direz-vous. Certes, et nous en tirerons, je l'espère, toutes les conclusions. Nous n'entendons en audition que des personnalités compétentes, bien sûr, mais c'est à se demander, avec une pointe de provocation, si le Conseil d'État, la Cour des comptes et, dans une moindre mesure, la Cour de cassation n'ont pas pris le contrôle de la République !
M. Jean-François Mary. - Mes fonctions à la tête de la Commission paritaire pourraient être assurées par quelqu'un qui ne soit issu ni du Conseil d'État ni de la Cour des comptes. Il faut montrer à l'extérieur que le président de cette commission n'est pas suspect de liens avec un quelconque intérêt public ou privé. J'essaie de ne pas exercer une présidence dormante, loin de là, mais je n'instruis pas moi-même les dossiers.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'activité de cette commission génère des dossiers contentieux.
M. Jean-François Mary. - Ils sont jugés par le tribunal administratif de Paris.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne prenez pas ma remarque comme une perfidie - on connait la déontologie du Conseil d'État - mais il peut paraitre original que le Conseil d'État statue sur des décisions prises par l'un de ses membres en exercice !
M. Jean-François Mary. - Nous avons régulièrement ce débat. La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg s'est prononcée dans l'arrêt Procola contre Luxembourg. Le Conseil d'État, dans sa formation consultative, donne un avis sur des textes qu'il peut être amené à examiner ensuite au contentieux. Cela se justifie par le cloisonnement - argument parfois difficile à entendre pour le public, je le conçois. En matière de presse, les affaires viennent en première instance devant le tribunal administratif de Paris, dont les membres ne sont certainement pas impressionnés par le fait que la commission paritaire soit présidée par un conseiller d'État.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous comprenez le sens de ma question, d'autant plus que vous êtes rapporteur général de la commission de déontologie de la fonction publique hospitalière.
M. Jean-François Mary. - La présidence par un membre du Conseil d'État est une garantie d'indépendance. On estime, à tort ou à raison, qu'un membre du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes examine les affaires sans se laisser influencer. C'est la théorie de l'apparence. Nos missions pourraient être exercées par d'autres.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les membres des AAI sont tenus de faire une déclaration de patrimoine et d'intérêts. Ce n'est pas le cas des membres du Conseil d'État.
M. Jean-François Mary. - Ni d'aucun magistrat - sauf quand ils siègent dans une AAI.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne parlons pas du Conseil constitutionnel...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le président d'une autorité administrative présente toutes les garanties d'indépendance dès lors qu'il publie sa déclaration d'intérêts et de patrimoine. Cela ouvre davantage le champ.
M. Jean-François Mary. - Sans doute.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous comprenez ces questions. Vous êtes également membre titulaire du Comité de l'abus de droit fiscal...
M. Jean-François Mary. - Ça, non !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - On ne prête qu'aux riches...
Avec la multiplication des AAI, peuplées de membres de corps constitués, soumis à l'obligation de déclaration d'intérêts et de patrimoine, on en arrive à dépasser certaines limites. Ce n'est bon pour aucune de nos instituions.
M. Pierre-Yves Collombat. - À l'époque de la création de la CPPAP, les choses étaient claires : la presse papier était le principal diffuseur d'informations d'opinions, avec quantité d'organes de presse différents, exprimant des opinions très différentes. Aujourd'hui, on a beaucoup de titres, mais tous disent plus ou moins la même chose ! Il faut se tourner vers Internet pour trouver une information différente. Or les aides vont essentiellement à la presse papier, et, de surcroît, pas uniquement à la presse d'opinion. In fine, on assiste à une financiarisation extraordinaire de la presse. À la Libération, il existait une presse d'opinion et non une presse pour formater l'opinion. Ne pensez-vous pas que dans le contexte actuel, vos missions n'ont plus grand intérêt ? Ne faudrait-il pas ventiler différemment les aides, non à la presse mais à l'expression d'opinions ? Une haute autorité pourrait s'en charger.
M. Jean-François Mary. - Je comprends votre préoccupation. Une partie de notre activité intéresse les services de presse en ligne. Nous jouons le même rôle de sas d'entrée, selon des critères semblables à la presse papier, liés à l'information, à l'expression des opinions, au respect d'exigences déontologiques. Les aides accordées aux Spel, sans être de même ampleur, deviennent significatives. Ils bénéficient du même taux de TVA réduit et peuvent demander de l'aide au fonds stratégique pour le développement de la presse. Un régime d'aide dédié aux Spel se dessine, non seulement pour ceux qui dépendent de journaux, mais aussi ceux qui sont autonomes. L'expression du pluralisme est plus marquée sur Internet que dans la presse traditionnelle.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est une évolution récente.
M. Jean-François Mary. - Absolument.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le problème de fond est que l'essentiel des aides sont indirectes, via les tarifs postaux et la TVA. Des avancées ont eu lieu sur celle-ci. Mais les aides aux tarifs postaux vont à des publications qui amusent les gens sans être d'un apport considérable à la formation d'une opinion raisonnée chez nos concitoyens. Je verrais d'un bon oeil l'atténuation, par votre organisme ou un autre, de l'impression bizarre qu'on a à la lecture de la liste des subsides à la presse. Plus celle-ci est conventionnelle, plus elle reçoit d'aide ! Une autorité administrative indépendante pourrait ici avoir son intérêt.
M. Jean-François Mary. - La réorientation des structures est envisageable. L'état actuel des textes nous contraint à admettre des publications « assurant des missions de formation, d'information et de récréation du public dans un intérêt général ». Je partage en grande partie votre opinion. La notion d'information politique et générale, instituée en 1997 pour cibler davantage les aides, relève de la même démarche. Il faut d'autres modifications. La ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, a des idées sur la question, à en croire ses propos dans la presse. Elle souhaite privilégier la connaissance et le savoir. Mais une nouvelle autorité administrative indépendante ne pourra rien mettre en oeuvre si les textes ne sont pas changés.
M. Pierre-Yves Collombat. - Et la financiarisation ? On aide des organes de presse générateurs de revenus - je ne parle pas d'influence politique - pour leurs propriétaires. Le paysage n'a plus rien à voir avec celui de la Libération. Il est temps de repenser les textes.
M. Michel Canevet. - Il existe d'autres autorités administratives indépendantes exerçant dans le domaine de la presse : l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, le Conseil supérieur de l'AFP, le Conseil supérieur des messageries de presse... N'y aurait-il pas intérêt à les regrouper, afin de simplifier et de clarifier leurs rôles ?
M. Jean-François Mary. - J'ai dit mon ouverture intellectuelle à toute forme de regroupement, mais ces organisations exercent des fonctions différentes les unes des autres. Je suis circonspect devant les projets trop amples. Il de s'agit pas de constituer un ministère bis.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il y a déjà l'Autorité de la concurrence !
M. Jean-François Mary. - À partir de quand atteint-on un seuil, dans la multiplication et le grossissement des AAI, tel que l'équilibre est rompu et que l'on bascule dans un autre système ? Le Sénat exprime une préoccupation légitime, mais il faut éviter de reconstituer de gros machins.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous préférez les petits machins ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agit d'avoir des machins qui servent à quelque chose et ne soient pas des paravents faisant croire à la concurrence ou au pluralisme. Quand on lit la liste des aides à la presse, on prend peur. Plus d'1 milliard d'euros d'aides directes et indirectes, un pur scandale ! Il doit y avoir moyen de réorganiser cela de façon plus tonique pour la démocratie. Je sais que l'argent va à l'argent, mais ne confondons pas liberté de la presse et liberté de l'argent dans la presse.
M. Jean-François Mary. - Nous admettons des publications pauvres, notamment les Spel. On n'a pas idée du nombre de titres qui ne sont pas adossés à des groupes financiers.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le bénéfice qu'ils peuvent tirer de l'agrément est minime compte tenu du mode de répartition de la somme globale d'aides.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci d'avoir nourri notre réflexion.
La réunion est levée à 11 h 05.
Audition de M. Jean-Luc Harousseau, président, M. Dominique Maigne, directeur, et Mme Véronique Chenail, Secrétaire générale, de la Haute autorité de santé
La réunion est ouverte à 13 h 40.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons M. Jean-Luc Harousseau, président, M. Dominique Maigne, directeur, et Mme Véronique Chenail, secrétaire générale, de la Haute autorité de santé (HAS). Créée en 2004, la HAS est une autorité publique indépendante à caractère scientifique. Sa vocation est d'assurer un accès pérenne et équitable aux soins grâce à l'évaluation des produits de santé, des pratiques professionnelles et de l'organisation des soins. Ses trois missions sont l'évaluation médicale, l'amélioration de la qualité des soins et l'information des publics. Depuis 2005, plus de dix modifications législatives ont élargi ces missions. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, en cours d'examen, apporte de nouveaux élargissements. La HAS dispose de l'autonomie financière et son budget est arrêté par le collège. Ses dépenses ont été, en 2014, de 50,7 millions d'euros, contre 61,6 millions d'euros en 2010. L'origine de ses ressources a également été modifiée.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Luc Harousseau et M. Dominique Maigne prêtent serment.
M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute autorité de santé. - Vous avez bien résumé nos missions et rappelé notre statut d'autorité publique indépendante à caractère scientifique. Ce statut nous impose une exigence de rigueur scientifique, qui se traduit par une méthodologie bien précise : nous nous entourons d'experts pour prendre nos décisions. Notre indépendance est fondamentale, vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique comme des différents ministères de notre secteur, qu'il s'agisse du ministère de la Santé ou des Finances et des représentants des professionnels de santé et des malades.
Rigueur scientifique et indépendance, donc, constituent notre code génétique. Avec la crise du Mediator, notre fonctionnement est devenu plus difficile, car nous devons choisir des experts à la fois compétents et n'ayant pas de liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique. Cela a pu nous exposer à des critiques de la part de scientifiques. Certaines sociétés savantes refusent de collaborer avec nous car elles estiment que nos critères de sélection sont trop rigides. À l'inverse, certains conflits d'intérêts peuvent nous échapper, ce qui nous expose à des recours devant le Conseil d'État, comme ce fut le cas en 2011. Nos procédures méthodologiques ralentissent notre travail, aussi.
Nous sommes très attachés à notre statut d'autorité publique indépendante à caractère scientifique. Nous présentons chaque année notre rapport d'activité aux commissions des affaires sociales du Sénat et de l'Assemblée nationale. Presque chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) confie une nouvelle mission à la HAS : c'est que vous savez que vous pouvez compter sur notre avis. Beaucoup de professionnels cherchent aussi à recueillir notre validation.
Depuis le début de mon mandat, en 2011, nous faisons des efforts pour contrôler nos dépenses, en particulier les frais de fonctionnement. Ainsi, nous préservons nos capacités d'investissement, à dotation budgétaire constante. Nous avons toutefois demandé que son niveau ne baisse pas, car cela menacerait à terme notre activité. Outre la limitation des personnels, nous avons regroupé nos activités, qui étaient réparties entre deux sites, sur un seul emplacement, toujours à Saint-Denis. Le déménagement, qui aura lieu en novembre, sera source d'économies substantielles sur notre loyer. Pour autant, notre dotation ne doit pas diminuer, sans quoi l'avenir de notre institution serait menacé.
Je préside notre collège, constitué de huit membres : deux sont nommés par le Président de la République, deux par le Président du Sénat, deux par celui de l'Assemblée nationale et deux par celui du Conseil économique, social et environnemental. Il est renouvelé par moitié tous les trois ans. Les mandats sont de six ans. Le prochain renouvellement doit intervenir en 2017, sauf si la loi Santé en décide autrement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre financement est assuré presque entièrement par l'assurance maladie. Cela vous donne-t-il vraiment l'autonomie financière prévue par la loi ? Comment négociez-vous votre budget ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Nos ressources provenaient aussi d'une taxe sur la promotion de l'industrie pharmaceutique, ce qui posait quelques problèmes éthiques. De plus, le produit de cette taxe était très variable et non prévisible. La crise du Mediator a eu le mérite de conduire à une clarification : la dotation actuelle, plus simple, regroupe les dotations de l'État et de l'assurance maladie. Notre fonds de roulement, abondé il y a quelques années par un produit exceptionnel de la taxe, est encore important, mais il ne suffira pas plus de deux ou trois ans - et ceci à condition que la dotation ne baisse pas. En effet, aujourd'hui, nous dépensons plus que la dotation qui nous est attribuée.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous êtes assis sur un tas d'or, ce qui facilite vos négociations. Lorsque vous aurez mangé vos économies, comment ferez-vous ?
M. Dominique Maigne, directeur de la Haute autorité de santé. - La question se pose dès à présent. Avec 400 collaborateurs, un budget de 55 à 60 millions d'euros, nous prenons des engagements dans la durée qui se traduisent par des perspectives triennales. Nous avons saisi le ministre de la santé, via la direction de la sécurité sociale et la direction générale de l'offre de soins, qui ont avec nous un dialogue en lien avec Bercy. Notre dotation est mentionnée (sans être individualisée) dans le cadre plus large de l'ONDAM. Il n'y a donc pas de négociation. Nous avons alerté nos directions techniques sur le fait que les engagements pris cette année peuvent avoir des conséquences jusqu'en 2018.
M. Jean-Luc Harousseau. - Nous avons assumé de nouvelles missions à effectifs constants, voire en diminution, et sans dotation budgétaire supplémentaire : tout s'est fait par redéploiement interne. Ainsi, la mise en place d'un site d'information sur la qualité des soins dans les hôpitaux, ou encore l'évaluation médico-économique des produits de santé, qui nous a été confiée par le PLFSS de 2012, ont nécessité une réorganisation complète de nos services.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Estimez-vous avoir les moyens d'accomplir correctement vos missions ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Nous avons accepté des missions supplémentaires sans moyens supplémentaires. Le projet de loi Santé en discussion nous confiera celle d'évaluer les stratégies diagnostiques et thérapeutiques efficientes, ce qui accroîtra encore notre charge de travail. Nous sommes donc inquiets. Il faut chercher des mutualisations avec d'autres institutions sanitaires. Ainsi, nous nous rapprochons de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, que nous allons héberger. À l'expiration de son groupement d'intérêt public (GIP), nous souhaitons que nos personnels soient mutualisés. Suite à une enquête de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), certains rapprochements ont aussi été envisagés, par exemple avec des institutions telles que l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, l'Institut national du cancer ou le Haut conseil de la santé publique, qui travaillent sur des sujets proches.
M. Dominique Maigne. - Le projet de loi Santé en cours d'examen prévoit treize nouvelles occurrences de saisine de la HAS, parfois pour des missions lourdes. Avec le big data, les capacités à interroger les bases de données médico-administratives deviennent de plus en plus importantes. Nous n'avons donc pas les moyens, actuellement, d'assumer toutes les missions que le législateur souhaite nous confier. La réduction des dépenses effectuées depuis 2011 a été de 12 %, et a porté, par exemple, sur la communication mais aussi sur la recherche ou le soutien à des sociétés savantes et des collèges professionnels. Nous avons donc besoin d'un socle budgétaire revu et de financements pour les missions nouvelles. Une rebudgétisation s'impose.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai été rapporteur d'une commission d'enquête qui se penchait notamment sur les dérives des thérapeutiques alternatives. Pourquoi certaines thérapies, ou pseudo-thérapies, n'étaient-elles pas évaluées par la HAS ? Par manque de moyens, d'experts, ou par volonté de ne pas y mettre le nez ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Notre programme de travail annuel émane essentiellement des directions du ministère, de l'assurance maladie, des sociétés savantes et des industriels. Nous offrons aussi aux associations de patients la possibilité de nous saisir. Enfin, nous pouvons nous autosaisir. Les choix sont donc difficiles. Nous avons traité en priorité la médecine conventionnelle classique, qui évolue très vite et fait courir plus de risques aux patients.
Nous sommes une autorité scientifique, qui travaille sur la foi de preuves. Il nous est difficile d'évaluer des thérapies qui ne reposent pas sur des concepts ou des publications scientifiques. Les dirigeants des sociétés d'homéopathie, par exemple, ne nous ont jamais fourni de données scientifiques probantes. La HAS ne s'est donc pas prononcée, même si les membres du collège peuvent avoir, bien sûr, leur avis personnel.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il serait déjà bon de faire savoir que vous ne considérez pas ces thérapies comme scientifiques.
M. Dominique Maigne. - La sécurité sanitaire peut être un angle d'attaque. Nous avons recommandé, par exemple, l'encadrement ou l'interdiction de certains actes de médecine esthétique, ou des échographies à visée non médicale. Mais en l'absence de données, il est difficile de rendre un avis. Ainsi en matière de médecine esthétique, notre avis a-t-il été censuré par le juge administratif, au motif qu'il était davantage fondé sur une conviction que sur des données.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'en déduis que ce ne sont pas les préoccupations premières du ministère. Cela ne m'étonne pas. Vous dites qu'il est difficile de trouver des experts compétents qui n'aient pas de liens avec des laboratoires pharmaceutiques. C'est compréhensible. Comment faites-vous ?
M. Jean-Luc Harousseau. - La question se pose depuis le début. En arrivant, j'ai souhaité qu'on s'y penche de nouveau. Tous les experts doivent nous remettre une déclaration publique d'intérêts. Pour en encadrer l'évaluation, nous avons produit il y a un an un guide, précis et souvent sévère. Cela génère des difficultés et prend du temps. Aussi souhaitons-nous renforcer notre collaboration avec les sociétés savantes, qui pourraient nous aider à sélectionner des experts. Une structure interne, présidée par un professeur d'université d'une grande rigueur morale, supervise les questions d'éthique dans l'expertise. Un comité de déontologie et de gestion des conflits d'intérêts, présidée par un conseiller d'État, réunit des juristes, des représentants des patients et des médecins ; il est interrogé en cas de difficultés. Enfin, si un membre de la commission est en conflit d'intérêts, il doit se déporter. La sévérité de nos règles peut blesser certaines sociétés savantes : tel grand professeur s'étonne de se voir suspecter de conflit d'intérêts... Pour nous, c'est un poids considérable.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les contentieux en matière de certification font-ils peser un risque financier sur la HAS ?
M. Dominique Maigne. - Il y en a très peu. Je n'en vois qu'un, à vrai dire, concernant un grand centre hospitalier universitaire (CHU), et qui n'a pas prospéré. Souvent, un recours gracieux suffit à dissiper les malentendus. Nous certifions 2 650 établissements de santé en France. Nos décisions ne doivent pas télescoper les procédures devant les tribunaux de commerce. Au besoin, nous suspendons notre certification.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les rémunérations des membres du collège ne sont pas négligeables, cela peut se comprendre. Continuent-ils à avoir d'autres activités ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Le président l'est à plein temps. Au départ, certains membres ont conservé quelques activités cliniques, surtout des consultations. Il n'y en a plus qu'un dans ce cas, qui travaille énormément, le week-end notamment, pour préparer les réunions de sa commission.
M. Dominique Maigne. - Les fonctionnaires peuvent être mis à disposition, par l'Éducation nationale s'ils sont professeurs d'université, ou par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Évidemment, leur rémunération est proportionnée : ils ne perçoivent que 600 euros par mois de la HAS.
M. Jean-Luc Harousseau. - Je conserve, pour ma part, quelques patients au centre anticancéreux de Nantes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Quels sont les buts et les méthodes de l'évaluation médico-économique ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Dès le PLFSS pour 2008, elles ont porté sur les grandes stratégies de santé publique, notamment concernant le dépistage. Il s'agit d'évaluer le rapport entre le coût et l'efficacité.
M. Pierre-Yves Collombat. - En quel sens ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Il y a deux stratégies possibles pour le dépistage du cancer du sein, par exemple : dépistage organisé ou individuel. Nous avons trouvé que le dépistage organisé était plus efficient. Depuis 2012, nous évaluons aussi les produits de santé. Un médicament nouveau est généralement plus cher que l'ancien. Le surcoût est-il justifié par un meilleur résultat ? C'est ce que nous évaluons. Les techniques viennent d'Angleterre. Parfois, elles servent à fixer le prix du médicament. Elles n'interviennent pas, toutefois, comme en Angleterre, pour limiter le remboursement. Ce travail, débuté en 2014, est de très grande qualité. Nous devons le rendre plus lisible et publier les avis de la commission aussitôt après son vote définitif.
L'impact budgétaire doit être aussi pris en compte. Ainsi, le Sovaldi, un nouveau traitement de l'hépatite C, a coûté des centaines de millions d'euros à l'assurance maladie, au point que les parlementaires ont décidé, dans le PLFSS pour 2015, de plafonner certaines dépenses si les entreprises n'y participaient pas. Mais il est si efficace que ce coût peut sembler acceptable.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est le noeud du problème. Comment arbitrer entre efficacité et coût ? Le choix est de nature éthique. Je pense en particulier aux maladies rares. Quels sont les critères de décision ? Sont-ils économiques ? En fait, il s'agit d'un choix politique.
M. Jean-Luc Harousseau. - Cancérologue, j'ai été amené à prescrire des médicaments très chers qui ont bouleversé le pronostic des malades. Ce qui compte le plus, c'est l'intérêt du malade. Mais certains médicaments sont très chers et peu efficaces. Vous avez fait allusion à des maladies rares mais potentiellement très graves. Le rôle de la commission de transparence de la HAS est de savoir quel service rend le médicament, si son prix élevé est justifié : si le médicament sauve des vies, la réponse est oui.
Début septembre, le National Health Service (NHS) britannique a supprimé du Fonds spécial pour le cancer une vingtaine de médicaments dont certains sont très utiles, en raison de leur coût. En France, on ne pratique pas un tel rationnement pour des raisons budgétaires. En revanche, l'évaluation médico-économique sert à fixer le juste prix et à dire aux laboratoires pharmaceutiques qu'ils vont parfois trop loin. Il faut réfléchir à l'utilisation qui est faite de ces médicaments : l'essentiel, c'est que tous les malades qui en ont besoin aient accès aux médicaments adaptés. Il faut parfois faire des choix. En raison du coût du Sovaldi, il a fallu hiérarchiser les urgences, faute de pouvoir traiter tous les malades tout de suite. Le rôle de la HAS est de développer les paramètres les plus précis possibles pour quantifier les faits cliniques et définir le rapport coût-efficacité. Si les firmes ne sont pas raisonnables sur les prix, on peut aboutir à une impasse. Il faut aussi déterminer des critères de choix des médicaments pour sélectionner les malades qui en ont véritablement besoin. Plus la recherche progresse, plus les médicaments coûtent cher : c'est une vraie question, notamment en cancérologie et en virologie.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Quel est le statut des 400 personnels de la HAS : fonctionnaires détachés ou contractuels ? Comment vous situez-vous au niveau européen ou mondial, par rapport à vos homologues ?
M. Dominique Maigne. - La HAS a pour spécificité d'avoir favorisé la logique professionnelle et d'avoir recruté des professionnels issus des secteurs dans lesquels elle a des missions. Tous ont des contrats de travail, comme le prévoit un décret de 2003 relatif aux agences sanitaires, ce qui n'empêche pas que certains soient détachés en tant que fonctionnaires.
M. Jean-Luc Harousseau. - Nous sommes l'institution qui a le champ de missions le plus large dans le monde. Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) britannique exerce des missions proches des nôtres, mais nous sommes les seuls à certifier les établissements de santé. Notons que le NICE dispose d'un budget bien plus élevé que le nôtre, et sous-traite en outre une partie de ses évaluations à des structures académiques.
Nous avons peu de relations avec les institutions américaines, étant donné la différence de nos systèmes sanitaires, mais des rapports privilégiés avec nos homologues anglais et allemands, avec des réunions annuelles. Surtout, nous sommes les plus actifs dans le réseau européen d'évaluation des produits de santé, qui associe toutes ces institutions. La HAS a été à l'initiative d'un regroupement destiné à homogénéiser les méthodes d'évaluation - sachant que nous n'intervenons pas sur l'autorisation de mise sur le marché, qui relève de l'Agence européenne des médicaments. Enfin, nous avons développé, avec succès, grâce à une dotation budgétaire européenne, les évaluations précoces qui consistent à travailler avec les industriels pour leur indiquer comment développer leur médicament pour aboutir à une mise à disposition rapide. Il y a également un réseau européen de la qualité des soins ; là aussi, nous avons été leader.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les dialogues précoces figurent dans le projet de loi Santé.
M. Michel Vaspart. - En tant que médecin, vous pensez avant tout aux patients, avez-vous dit, ce qui est tout naturel. Nous aussi, nous pensons avant tout à nos concitoyens. Mais la position de la France me semble curieuse. Nous avons tous intérêt à avoir le meilleur médicament possible pour apporter le meilleur soin possible au patient, or la prescription étant libre, on n'avancera guère si l'on se contente de renégocier le prix quand un médicament est jugé moins bon. Il continuera à être prescrit, et à être remboursé !
M. Jean-Luc Harousseau. - Vous prêchez un convaincu, monsieur le sénateur.
M. Michel Vaspart. - Inspirons-nous donc, avec intelligence, du système anglais.
En Bretagne, je préside un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), comme beaucoup d'élus locaux. Nous avons un réel problème de sur-médication des personnes âgées. Cela relève-t-il de votre autorité ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Je ne suis pas sûr que le système anglais soit un exemple à suivre, quand il aboutit au rationnement et à priver les malades de médicaments très efficaces. La collectivité n'a pas à rembourser un médicament qui est moins bon que d'autres qui existent : en théorie, dans le code de la sécurité sociale, un produit qui n'apporte pas d'amélioration par rapport à ce qui existe doit être moins cher, mais il est admis. Je milite pour une évaluation purement comparative des médicaments : si le nouveau médicament est meilleur, on le prend ; s'il est égal, il doit être moins cher ; s'il est moins bon, on le refuse. La ministre a confié une réflexion sur ces sujets à Dominique Polton, économiste de la santé ; nous verrons ce qui sera proposé.
Nous ne sommes pas les seuls à faire un usage excessif des médicaments, et notamment des somnifères, dans les EHPAD. La HAS s'est penchée depuis 2007 sur le problème de la consommation de benzodiazépines chez les personnes âgées, car le mauvais usage des médicaments entraine deux conséquences : des dépenses de santé injustifiées et des effets secondaires qui peuvent être graves, comme des troubles de la conscience ou des chutes. Nous produisons des recommandations, des fiches de bon usage des médicaments, nous certifions les logiciels d'aide à la prescription et à la dispensation. Nous travaillons notamment sur la conciliation pharmaceutique, pour éviter qu'un patient ne se voie prescrire des médicaments antagonistes. Ces recommandations sont-elles suivies d'effet ? Malgré notre rapport de 2007, la consommation de benzodiazépines n'a que très peu diminué...
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avez-vous des relations directes avec les patients ?
M. Jean-Luc Harousseau. - Nous avons des relations privilégiées avec les associations de patients agréées. Outre la rédaction d'ouvrages destinés aux usagers et le site d'information sur la certification des établissements de santé, nous allons créer une commission d'information des usagers. Nous menons une réflexion sur la décision partagée, qui vise à mieux associer le patient aux décisions le concernant. Enfin, siègent dans nos commissions des usagers qui sont considérés comme des experts à part entière : même défraiement, mêmes contraintes en termes de déclaration d'intérêts, sachant que certaines associations de patients sont financées par l'industrie pharmaceutique. La commission de la transparence, qui évalue les médicaments, et celle qui évalue les dispositifs médicaux vont désormais comporter elles aussi des représentants des patients ; le décret vient de paraître, nous nous en réjouissons.
La réunion est levée à 14 h 50.