- Mercredi 9 septembre 2015
- Auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
- Auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État - Audition de Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique, et de M. Denis Morin, directeur du budget
- Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs
- Association des collectivités territoriales à la maîtrise des finances publiques - Contrôle budgétaire - Communication
Mercredi 9 septembre 2015
-Présidence de Mme Michèle André, présidente -Auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
La réunion est ouverte à 10 h 05
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à deux auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État.
Mme Michèle André, présidente. - Cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat. Notre commission a demandé à la Cour des comptes, en décembre 2014, en application du paragraphe 2 de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), d'effectuer une enquête sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État.
En 2014, celle-ci s'élevait à 121 milliards d'euros, soit 40 % des dépenses du budget général, et à 278 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques. Il ne peut y avoir de maîtrise des dépenses publiques sans maîtrise de la masse salariale. Dès 2012, le Gouvernement la considérait comme l'un des axes prioritaires de sa politique de finances publiques. L'actuelle loi de programmation des finances publiques prévoit une augmentation inférieure à l'inflation au cours de la période 2014-2017. Lors du débat d'orientation des finances publiques de juillet dernier, le Gouvernement a confirmé que la maîtrise de la masse salariale de l'État serait poursuivie en 2016, « en tenant compte des créations d'emplois pour la lutte contre le terrorisme et de la révision de la trajectoires d'effectifs de la Défense lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) ».
Cela n'interdit pas d'identifier des secteurs prioritaires de recrutement -l'éducation, la justice, la sécurité et l'emploi - et une gestion active des ressources humaines, comme en témoigne le projet de revalorisation des grilles.
Nous entendrons la présentation de l'enquête par le Premier président de la Cour des comptes et la réaction des principales administrations concernées - la direction générale de la fonction publique et la direction du budget - à l'occasion d'auditions distinctes, contrairement à nos habitudes. Je vous demanderai votre accord pour publier cette enquête.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Nous avons réalisé cette enquête après avoir défini son périmètre avec vous, Madame la Présidente et Monsieur le rapporteur général. Ce rapport s'inscrit dans la continuité de nos travaux, après un rapport sollicité par la commission des finances de l'Assemblée nationale en 2010 sur les conditions d'une stabilisation en valeur de la masse salariale de l'État. La Cour des comptes a déjà examiné les risques qui pèsent sur les objectifs d'évolution de la masse salariale fixés par le Parlement. Dans plusieurs rapports successifs sur la situation et les perspectives des finances publiques, notamment celui de juin 2014, elle s'est aussi intéressée aux leviers susceptibles de contribuer à les respecter.
Le présent rapport actualise et complète les constats et les analyses précédents. Il étend le champ des travaux, auparavant centrés sur la gestion budgétaire, à la gestion des ressources humaines.
Trois constats : la masse salariale constitue un enjeu majeur pour la maîtrise des finances publiques, compte tenu de son importance et de son évolution ; cet objectif de maîtrise est à concilier avec une gestion des ressources humaines plus adaptée à un État et à un service public modernes ; pour respecter les objectifs des pouvoirs publics, plusieurs leviers existent. Nous en avons identifié neuf principaux, mais c'est à vous qu'il revient d'arbitrer.
Le rapport est centré sur l'État, mais étend parfois ses analyses aux trois fonctions publiques - les mêmes leviers sont applicables à toutes les administrations publiques. Dans le contexte durablement tendu de nos finances publiques, la masse salariale est un enjeu de première importance et représente près du quart de la dépense publique et 13 % de la richesse nationale. Les administrations publiques employeurs rémunèrent près de six millions d'agents. Ce poids est le plus important des pays de l'OCDE après les pays scandinaves. La masse salariale de l'État représente 40 % du budget général, soit 121 milliards d'euros en 2014 dont 81 milliards d'euros au titre des rémunérations. Depuis dix ans, la masse salariale du secteur public a augmenté à un rythme proche de celle du secteur privé et de la richesse nationale, autour de 2,5 points par an en moyenne, la croissance plus dynamique des effectifs dans le secteur public étant compensée par une augmentation des rémunérations plus modérée. La tendance moyenne masque des évolutions différenciées, la croissance de la masse salariale de l'État - autour de 1 % par an - a été davantage contenue que celle des collectivités territoriales - plus de 4 % - et que celle des opérateurs - plus de 6,5 %. Cela est dû à une augmentation beaucoup plus rapide des effectifs, au-delà des transferts de personnel de l'État.
Le profil particulier de la masse salariale de l'État reflète les politiques menées depuis plusieurs années. La baisse des dépenses du titre 2 hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » constatée depuis 2007 est due aux transferts de personnel aux collectivités territoriales et aux opérateurs - notamment les universités. À périmètre constant, l'État a ralenti l'augmentation de sa masse salariale jusqu'à la stabiliser depuis 2011, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux entre 2008 et 2012, le gel du point d'indice depuis 2010 et la réduction des enveloppes catégorielles depuis 2013. Si une partie de ces efforts se répercute aussi sur les autres fonctions publiques, ils sont insuffisants pour contenir la masse salariale publique, dont l'État ne représente que la moitié.
Les pouvoirs publics doivent concilier respect de la programmation budgétaire pluriannuelle et gestion dynamique des ressources humaines. La programmation 2014-2019 repose sur des objectifs ambitieux de maîtrise de la masse salariale, à 1,1 % en moyenne pour l'ensemble des administrations publiques. Pour l'État, la progression des dépenses de titre 2 hors CAS « Pensions » est limitée à 1 % sur trois ans dans le budget triennal 2015-2017, soit en moyenne 250 millions d'euros par an.
Or une augmentation beaucoup plus importante est à prévoir, en raison de facteurs comme la dynamique spontanée des rémunérations avec l'avancement de carrière des agents. En tenant compte des mesures annoncées - gel du point d'indice, stabilité des effectifs, diminution des enveloppes catégorielles - la croissance de la masse salariale s'élèverait à 700 millions d'euros par an. Il faudra trouver 450 millions d'euros d'économies supplémentaires pour atteindre l'objectif, et plus encore en 2016 et en 2017. En effet, la loi de finances initiale pour 2015 prévoyait déjà une augmentation de 400 millions d'euros et cette prévision devrait être dépassée en exécution en raison des arbitrages récents sur les effectifs du ministère de la défense. L'actualisation de la loi de programmation militaire aura des conséquences importantes sur l'évolution prévisible de la masse salariale de l'État, sauf à revenir sur les créations de postes dans les autres ministères prioritaires. L'objectif d'une stabilisation du plafond global des autorisations d'emplois jusqu'à 2017 n'est d'ores et déjà plus tenable.
Le projet de loi de finances pour 2016 devrait s'écarter de l'objectif de stabilisation des effectifs, avec une augmentation de 8 300 équivalents temps-plein (ETP). Les efforts supplémentaires demandés aux ministères non prioritaires ne seront pas suffisants pour compenser cette évolution.
Enfin, la réalisation d'autres économies programmées dans le budget triennal paraît incertaine. Alors que la baisse des heures supplémentaires au sein de l'éducation nationale était censée accompagner la hausse des effectifs, cette prévision ne s'est pas vérifiée en 2013 et 2014. Le coût des opérations militaires extérieures ne devrait pas diminuer non plus. Pour compenser ces risques, il ne suffit pas de restreindre davantage les enveloppes catégorielles, et il importe de conserver une marge de manoeuvre pour financer l'accompagnement de certaines réformes de modernisation de l'administration et d'harmonisation des régimes indemnitaires. Les risques de dépassement en exécution se sont réalisés depuis 2009, du fait notamment des difficultés propres au ministère de la défense - sous-budgétisation des opérations extérieures, problèmes du logiciel Louvois... Si le contrôle de l'exécution et les outils de pilotage ont été renforcés, ils restent insuffisants. Il serait judicieux de prévoir systématiquement des marges de précaution.
L'État employeur doit également s'interroger sur ses pratiques de gestion des emplois et des compétences. Le déroulement des carrières de la fonction publique ne correspond plus aux besoins. Les grilles salariales ont perdu de leur sens, resserrées par l'augmentation du minimum de traitement. Elles prévoient parfois des carrières courtes qui ne tiennent pas compte du recul progressif de l'âge effectif de départ en retraite. Les avancements automatiques à l'ancienneté priment encore sur la reconnaissance de la performance, rendant les parcours professionnels peu incitatifs. Ce constat a été fait conjointement par le Gouvernement et par les organisations syndicales lors de la négociation sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations. Les discussions ont débouché en juillet dernier sur un protocole d'accord pour rénover les grilles. Les primes et indemnités ont pris une importance croissante dans la rémunération, par empilement de dispositifs hétérogènes, parfois inéquitables. Les disparités entre corps et ministères, le libre choix des affectations conduisent à des carrières trop peu mobiles ; et trop souvent les agents les moins expérimentés sont affectés dans les fonctions et territoires les plus difficiles. La nécessaire restructuration des administrations, pour renforcer l'efficience du service public, augmentera les besoins de mobilité et de formation des agents.
Tout cela aura un coût. La réforme des grilles conduit à court terme à reclasser les agents à des niveaux indiciaires équivalents ou plus élevés et à revaloriser les progressions de carrière : les nouvelles grilles proposées dans la négociation coûteront 2,5 milliards d'euros pour la fonction publique d'État, et monteront progressivement en charge entre 2017 et 2020 pour atteindre 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble de la fonction publique. Les mesures d'économies annoncées en contrepartie dans le protocole d'accord seront insuffisantes. En outre, l'harmonisation des régimes indemnitaires se fait quasi-systématiquement par alignement sur le régime le plus favorable. Ainsi le nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique d'État (RIFSEEP) ne pourra déboucher sur un régime indemnitaire commun qu'en débloquant des enveloppes pour financer la convergence des corps et des ministères. Enfin, il faudra accompagner financièrement les agents pour restructurer les services et réaliser les mobilités fonctionnelles et géographiques. Ce sera le cas prochainement avec la fusion des régions et la nouvelle répartition des compétences.
Les pouvoirs publics disposent de plusieurs leviers pour définir une politique de ressources humaines équilibrée et soutenable. La structure des rémunérations, de plus en plus complexe, ne répond plus forcément aux objectifs initiaux. Une maîtrise renforcée de l'évolution des effectifs restaurerait des marges en termes de politique salariale et la modulation de la durée effective du travail pourrait accompagner les restructurations des administrations tout en maintenant la qualité du service rendu. Au sein de cette « boîte à outils », la Cour des comptes a identifié neuf leviers principaux, qui ne sont pas des recommandations : au Gouvernement et à vous, parlementaires, de choisir la combinaison, notre mission étant de contribuer à la réflexion sur les moyens de concilier les contraintes budgétaires avec une gestion plus attractive des carrières publiques.
La maîtrise de la masse salariale depuis 2010 a surtout reposé, en ce qui concerne la part indiciaire, sur le gel du point d'indice, mais les économies à en attendre se réduisent. En effet, l'alignement du traitement le moins élevé sur le SMIC pèse de manière croissante ; et la garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA), versée sous forme d'une prime aux agents dont le traitement indiciaire a augmenté moins vite que les prix, croît également. Un dégel du point d'indice coûterait 2 milliards d'euros pour l'ensemble de la fonction publique pour une augmentation de 1 %. Afin d'en maîtriser le niveau, la désindexation sur la valeur du point de certaines primes et indemnités pourrait être opportune. Plusieurs mesures seraient susceptibles de limiter les dépenses liées à la revalorisation du minimum de traitement et à la GIPA ; leur mode de calcul pourrait être révisé. Actuellement calculés exclusivement sur le traitement indiciaire, ils ne prennent pas en considération l'évolution des primes et des indemnités, dynamiques ces dernières années. Ainsi, certains agents bénéficient de ces dispositifs alors même que leur rémunération globale est sensiblement supérieure au SMIC ou que leur pouvoir d'achat a été préservé.
De nombreuses études convergent en faveur d'une rénovation des primes et des indemnités transversales qui ne répondent plus à leurs objectifs originels, comme l'indemnité de résidence qui ne compense pas le différentiel effectif de coût de la vie entre les territoires, et qui pourrait être globalement revue et recentrée sur l'Île-de-France, où le coût de la vie est plus élevé qu'ailleurs. Cela concerne aussi le supplément familial de traitement, hérité d'une époque antérieure à la Sécurité sociale, même si la forfaitisation, à l'étude, ne dégagerait pas d'économies. Quelle est sa pertinence alors qu'il est redondant avec la politique familiale de droit commun ?
Par ailleurs, dans son rapport public annuel de février 2015, la Cour des comptes a montré que les sur-rémunérations outre-mer étaient sans commune mesure avec le différentiel de coût de la vie par rapport à la métropole et a recommandé de les revoir sensiblement à la baisse, afin d'éviter un phénomène inflationniste dans les territoires ultramarins.
Si les déroulements de carrières devaient être ralentis dans le cadre de la refonte des grilles et les promotions davantage contingentées, le glissement vieillesse-technicité (GVT) s'en trouverait mécaniquement diminué. Toutefois, les mesures inscrites dans le protocole d'accord soumis aux organisations syndicales ne permettront qu'un ralentissement limité et à long terme. À plus court terme, les outils de gestion des avancements individuels de carrière pourraient être utilisés de manière plus rigoureuse. Les taux de promotion pourraient être revus à la baisse - ils ont augmenté ces dernières années, sans toujours de corrélation avec les aptitudes professionnelles... À l'approche de l'âge de la retraite, les promotions « coups de chapeau » sont devenues quasi automatiques dans certains ministères, alors qu'elles sont censées être réservées aux agents les plus méritants. Les réductions d'ancienneté et les avancements à l'ancienneté minimum sont parfois accordés à tous les agents d'un service ! Ces dispositifs pourraient être supprimés au bénéfice des nouveaux outils que sont la prime de fonction et de résultat (PFR) et le RIFSEEP.
Bien que des leviers existent du côté des rémunérations, la politique salariale est très contrainte par le gel du point et la baisse des enveloppes catégorielles. Le gel des effectifs desserrerait la contrainte qui pèse sur la politique salariale. Le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans le cadre de la RGPP a réduit sensiblement les effectifs de fonctionnaires. Reprendre une norme identique permettrait une économie substantielle ; le non-remplacement d'un départ à la retraite sur quatre suffirait pour financer les économies nécessaires au respect de la loi de programmation.
Une nouvelle baisse des effectifs est indissociable d'une redéfinition du périmètre des missions de l'État et de la répartition des compétences entre les niveaux d'administrations. La Cour des comptes est réticente face aux mesures de compression uniforme de la dépense - le « rabot ». L'évolution des effectifs devrait reposer d'abord sur l'identification des gains potentiels de productivité, comme ceux liés à la transformation numérique des structures ou à la suppression des doublons, avant de cibler les services devant être restructurés, avec un accompagnement approprié. Jusqu'à présent, seul l'État a diminué globalement ses effectifs, alors que les autres administrations - opérateurs, collectivités territoriales et hôpitaux - s'inscrivaient dans une tendance inverse. L'effort devrait être équitablement partagé.
Une réflexion sur le temps de travail réel des agents serait également opportune. Le maintien de la qualité du service avec des ressources plus contraintes suppose des agents disponibles pendant la durée réglementaire. Or la réalité du temps de travail est très mal connue : le dernier rapport transversal date de 1999 et le bilan du passage aux 35 heures n'a jamais été fait. Compte tenu de la diversité des missions, les régimes de travail sont très hétérogènes, les durées moyennes de travail difficilement comparables et peu pertinentes. La mission confiée à Philippe Laurent par le Premier ministre apportera des éclaircissements bienvenus.
À ce stade, la Cour des comptes estime, à partir de l'enquête emploi de l'Insee, que les agents du secteur public travailleraient en moyenne une centaine d'heures de moins par an que ceux du secteur privé, en raison d'un plus grand nombre de jours de congés et de RTT. Seule la fonction publique territoriale aurait une durée moyenne inférieure à la durée légale, mais avec d'importantes disparités. Porter la durée effective du travail au niveau de la durée légale partout où elle lui est inférieure aurait un effet non négligeable.
D'autres mesures sur le temps de travail pourraient également être sources d'économies : renforcer la lutte contre les absences répétées et non justifiées, dont l'impact financier est important et qui grèvent la qualité de service ; réduire le coût des heures supplémentaires - essentiellement dans l'éducation nationale - par des réformes de structure pour mieux aligner les spécialités des enseignants sur les besoins des élèves et renforcer le contrôle des comptes épargne temps, mal suivis, pour limiter la dette sociale. Par ailleurs, certains régimes de temps partiel sont rémunérés au-delà du strict prorata (85,7 % au lieu de 80 % et 91,4 % au lieu de 90 %), sans justification et en décalage avec ce qui se passe dans le secteur privé. Quelle est la pertinence de cette sur-rémunération ?
L'enjeu de la masse salariale impose aux pouvoirs publics de faire des choix clairs dans les années à venir. Le rapport que vous avez demandé à la Cour des comptes présente plusieurs pistes reposant sur les leviers de la rémunération, des effectifs et de la durée de travail. C'est à vous, représentants du suffrage universel, qu'il revient d'actionner ces leviers, selon les priorités que vous aurez déterminées.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie le Premier président et les magistrats de la Cour des comptes pour ce travail. Les enjeux considérables ont été rappelés. La majorité du Sénat avait déjà adopté deux amendements au projet de loi de finances pour 2015 sur l'absentéisme - les trois jours de carence - et le ralentissement du GVT mais nous souhaitions aller plus loin.
La Cour des comptes nous donne une vision quasi exhaustive des enjeux relatifs à la fonction publique. Deux éléments sont à souligner : les écarts importants entre la durée théorique et la durée effective du temps de travail, avec un quart des effectifs des ministères au régime de droit commun, soit 500 000 ETP sur 1,9 million, un chiffre frappant ! Par ailleurs, il existe plus de 1 500 éléments de rémunération. Or comme pour les dérogations à la durée légale du travail, tous ne correspondent pas à des textes précis. Pouvez-vous nous citer des exemples d'irrégularités flagrantes ?
S'agissant de l'effort sur les effectifs, dispose-t-on d'éléments de comparaison internationale ? D'après la Cour des comptes, la France est le pays de l'Union européenne, voire de l'OCDE ayant le moins ralenti la croissance de ses effectifs. Quels leviers ces pays privilégient-ils - les effectifs, la rémunération, la réforme du statut de la fonction publique ou une redéfinition des missions de l'État et des collectivités ? Le Sénat pourrait tirer de ces exemples des amendements pour le futur projet de loi de finances, comme il l'a fait lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015.
M. Michel Bouvard, rapporteur spécial des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - La mise en place de la LOLF répondait aussi à une volonté du Législateur de définir les métiers de l'État afin d'assouplir la gestion des ressources humaines. Peut-on diminuer davantage le nombre de statuts et de corps pour plus de polyvalence et de mobilité des agents, tout en sortant de la logique du « rabot », afin de faire des choix stratégiques et de reporter les effectifs d'un ministère à l'autre ?
Peut-on limiter davantage les emplois rémunérés et non affectés qui existent dans nos collectivités territoriales ou au sein de l'éducation nationale en raison de l'inadaptation des personnes concernées - en raison de problèmes de santé, par exemple - ou des besoins de la collectivité ?
Je suis très intéressé par le travail de parangonnage sur la performance dans les autres pays européens, y compris en Grèce, ce qui mérite d'être souligné. Quel serait le niveau optimum de rémunération de la performance ? Les arbitrages budgétaires et la gestion des ressources humaines de l'État en tiennent peu compte.
A-t-on suffisamment progressé sur la polyvalence de la formation des enseignants pour faciliter la réduction du nombre d'options et que les corps puissent davantage s'adapter aux besoins ?
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Le rapport souligne que les mesures relatives à la fonction publique d'État ont aussi des incidences sur la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Par ailleurs, la quasi-stabilité de la masse salariale ne pèse-t-elle pas sur l'attractivité de la fonction publique, alors que le point d'indice est figé depuis 2010 ? Comment recruter des enseignants si leur rémunération est bloquée ?
Au-delà des statuts, les suppressions de postes concernent surtout les catégories C, tandis que des postes de cadres A sont créés ou qu'on requalifie des postes de catégorie C en catégorie B. Les agents de catégorie A sont-ils restés sur des services extérieurs ? A-t-on créé des postes en administration centrale ? A-t-on tiré toutes les conséquences des réformes, notamment pour réduire le poids des « gros ministères » ? Quels seront les impacts de la réforme de l'État et de la régionalisation sur la masse salariale ? Il faut accompagner les agents qui iront de Toulouse à Montpellier par exemple, avec des moyens financiers. Peut-être le rapport Laurent nous apportera-t-il des réponses plus larges, de même que le ministère de la fonction publique.
M. Didier Migaud. - On manque d'une vision exhaustive et transversale des écarts entre temps de travail légal et effectif, la mission de Philippe Laurent y pourvoira, je l'espère. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes observent des pratiques qui s'écartent des 1 607 heures annuelles par an. L'ampleur de ce phénomène reste à déterminer. Ainsi, dans certaines collectivités territoriales, des accords antérieurs à ceux liés à la mise en place des 35 heures accordent plus de jours de congés que la règle de droit commun. Nous avons également constaté que le temps de travail des policiers est inférieur à celui des gendarmes, en raison de systèmes de récupération plus favorables. Par ailleurs, dans notre dernier rapport sur l'autonomie des universités, nous indiquions qu'une circulaire comptabilisait les jours fériés du personnel administratif comme des jours travaillés. De même, la prise en compte de la performance dans le régime indemnitaire est inégale selon les ministères, avec une grande diversité de primes, une prime forfaitaire pouvant varier de 20 % à 80 %. La Cour des comptes commence à les recenser.
Certains pays ont réformé structurellement leur fonction publique pour mieux maîtriser l'évolution de la masse salariale et organiser plus efficacement le service public. On imagine souvent que pour mieux répondre aux besoins, il faudrait augmenter les crédits. Mais il n'y a pas de lien automatique et évident entre l'augmentation des effectifs et l'amélioration du service public ! Il faut aussi tenir compte de l'organisation, du fonctionnement et de la répartition des moyens. Quand on isole un paramètre, les résultats ne sont toujours à la hauteur des attentes. Le Canada, dans les années 1990, a réduit ses effectifs de fonctionnaires de 16 % - ceux-ci ont augmenté ensuite lorsque sa situation économique s'est améliorée. La Finlande, le Royaume-Uni et la Suède ont engagé des réformes. Hormis l'Allemagne, dont la situation budgétaire s'écarte sensiblement de celle de la France, la France est le seul pays à avoir augmenté sa masse salariale publique en volume depuis 2010. Les autres pays, quelle que soit leur sensibilité, ont réduit leur masse salariale publique, certains considérablement, comme les Pays-Bas, l'Italie, le Royaume-Uni, sans parler de l'Espagne, en jouant sur le non-remplacement des départs ou le réajustement des rémunérations.
Une éventuelle réduction des effectifs devrait être réalisée à partir de la réorganisation des missions et des compétences de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. En revanche, la technique du « rabot », a des conséquences sur l'attractivité de la fonction publique, comme l'évoquait Thierry Carcenac. La rémunération - mais aussi l'organisation des services - contribue à l'attractivité. Lorsqu'on réduit à l'excès les moyens d'une administration, si celle-ci ne peut plus exercer correctement ses missions, l'attractivité de la fonction publique n'en est pas améliorée ! Le fonctionnement des services, la responsabilisation des gestionnaires publics importent aussi. On s'est beaucoup écarté de l'esprit de la LOLF, qui prônait la responsabilisation du gestionnaire public...
Les réformes de structure exigent une vision à moyen terme et à long terme pour en dégager l'intérêt. Pendant longtemps, la réduction des effectifs de l'État s'est accompagnée d'une augmentation sensible des effectifs des opérateurs. Les pouvoirs publics ont fini par imposer des limites. À quoi bon s'efforcer de maîtriser la masse salariale, si on laisse libre cours au contournement des dispositifs et des règles qui ont été fixées ? Le contrôle des opérateurs est essentiel.
M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. -Le poids relatif des primes dans l'ensemble des rémunérations a augmenté de manière significative depuis que le point d'indice a été gelé. Nous n'avons constaté aucune amélioration notable quant aux écarts et aux disparités indemnitaires, et les critères de performance n'ont pas non plus été pris en compte. L'éparpillement pose des problèmes de gestion comme on a pu le constater lors de la mise en place de l'Opérateur national de paye (ONP), confronté au maquis foisonnant des primes de très petits montants. Les difficultés de Louvois ont montré qu'une simplification du dispositif s'imposait. Une régularisation avait déjà été opérée, au début des années 2000, qui s'est appliquée plus particulièrement au ministère des finances ; la mauvaise herbe repousse, ce qui implique que nous soyons vigilants.
Les emplois non affectés recouvrent des situations très différentes : agents en instance d'affectation, notamment dans l'éducation nationale, mobilité en cours, non-affectation due à une décision à venir de congé maladie de longue durée... La gestion diffère selon chaque ministère, et nous ne disposons pas d'analyse transversale. Quant à la fusion des corps, qui donne souvent lieu à un alignement sur le régime le plus favorable, elle nécessite que l'on trouve un équilibre pour éviter les surcoûts. Enfin, nous avons délibérément choisi de ne pas traiter des questions liées au statut des fonctionnaires.
M. Éric Doligé. - Je remercie le premier président de la Cour des comptes d'avoir clairement défini les enjeux et recadré la réflexion. Lorsque l'État décide de transférer des fonctionnaires, il choisit en général des agents de catégorie B ou C et garde ceux de catégorie A, de sorte que les collectivités sont contraintes d'embaucher à ce niveau dans des secteurs très techniques. En outre, l'État est son propre assureur pour les retraites, ce qui n'est pas le cas des collectivités. C'est un surplus de dépenses important qu'il aurait fallu prendre en compte. La fusion des régions et surtout les communautés de communes auront un coût considérable. Si le Parlement a un rôle décisionnaire, le Gouvernement conserve une responsabilité importante, notamment pour orienter les négociations avec le personnel des collectivités. S'agissant de la question des sur-rémunérations outre-mer, Serge Larcher et moi avions travaillé sur ce sujet : les positions varient selon que l'on se trouve sur place ou à Paris... Ce coût pèse sur l'inflation locale.
Gardons-nous du « rabot » systématique, car certains emplois de l'État peuvent être « rentables ». Ainsi, il faudrait évaluer le surcoût des contrats mis en place par l'État sous forme d'emplois spécifiques. Enfin, les agences de l'État sont un « aspirateur » de personnel, dès lors qu'elles offrent des rémunérations plus intéressantes. Les collectivités voient ainsi partir tous leurs cadres de haut niveau.
Mme Fabienne Keller. - Nous sommes abreuvés de ces courbes éternelles qui montrent que l'État est plus exemplaire que les collectivités dans la maîtrise de ses effectifs. C'est oublier que si les collectivités ont été contraintes de recruter du personnel, durant cette longue période de transferts, c'est par exemple pour mettre en place des modes de garde supplémentaires (crèches, etc.) ou mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires. L'analyse macro-économique mériterait donc d'être affinée sur cette question. Par ailleurs, il me semble que la nécessité de rénover la gestion de la fonction publique pose en réalité un problème de management : comment donner une reconnaissance concrète aux agents qui se distinguent dans l'accomplissement de leur tâche, en s'y impliquant par leur créativité, par exemple ? Qu'il s'agisse de notation, d'administration, de projet de service, il faut réfléchir à ces réalités managériales de l'administration.
En matière de mobilité, je proposerai une quasi-fusion entre la fonction publique d'État, et les fonctions publiques hospitalière et territoriale. Il y a par exemple beaucoup d'ingénieurs dans la fonction publique d'État. Lors des transferts de personnel qui ont eu lieu, les cadres sont très largement restés au niveau de l'État, de sorte que les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière ont dû faire appel à des contractuels pour la construction d'hôpitaux ou pour le suivi de grands projets. Une mobilité théorique existe mais sans qu'il y ait de correspondance entre les plannings de recrutement ou les commissions administratives paritaires. En outre, quitter une administration pour y revenir ensuite est souvent sanctionné par la suite. Comment optimiser la valorisation des compétences des agents ? Comment assurer une transversalité des compétences favorable à l'attractivité ? Enfin, les ressources humaines s'inscrivent dans la durée. Un jeune fonctionnaire qui vient d'être recruté sera en poste 35 ou 40 ans, alors qu'un secrétaire général de ministère n'a une vision qu'à un ou deux ans et que les élus ont parfois des enjeux à plus court terme encore. Ne manque-t-il pas un lieu de pilotage et de prospective sur ces questions, à l'image de ce qui se fait pour le budget, par exemple ?
M. André Gattolin. - Il me semble que le périmètre de la masse salariale n'est pas forcément le meilleur critère pour évaluer l'efficacité de la gestion des ressources humaines d'un ministère. En début d'année, l'excellent rapport de la Cour des comptes sur les prestations de conseils hors informatique a montré que l'on externalisait de plus en plus de fonctions. Je suis toujours étonné du recours fréquent par les ministères aux agences de communication alors qu'ils disposent déjà de ressources dédiées en interne. On fait dans l'administration comme dans les entreprises où, pour plaire aux actionnaires, on diminue la masse salariale, tout en compensant par le recours à des prestataires extérieurs. Est-ce vraiment efficace ? Les difficultés de Louvois ont soulevé des interrogations sur la gestion informatique de l'État. La création d'un véritable service public dédié s'impose, comme aux États-Unis, à l'heure où la cyber sécurité est centrale pour garantir la protection de l'État et des citoyens. Par ailleurs, le principe théorique du non renouvellement des départs en retraite contribue au vieillissement de la pyramide démographique. On se prive ainsi des compétences nouvelles qu'auraient pu développer de plus jeunes agents, en informatique, par exemple. Moins on renouvelle les équipes, plus la pyramide des âges est vieillissante, et plus les compétences se perdent. En définissant ce qui doit être mutualisé d'un ministère à l'autre, on éviterait des rafistolages sans efficacité.
M. Philippe Dallier. - Êtes-vous certain que le chiffre de 120,8 milliards annoncé pour l'État en 2014 est le bon ? Lors de nos travaux, nous avons entendu que toutes les dépenses de personnel n'apparaissaient pas : on compte ainsi des milliers d'emplois « fantômes » au ministère de la justice, sans parler du recours à des prestataires extérieurs. Ce recours peut se justifier dans une durée limitée, mais pas de manière indéfinie. On entend souvent que les collectivités territoriales sont peu vertueuses. Il faudrait rappeler que la réforme des rythmes scolaires a entraîné un milliard d'euros de dépenses de personnel, ou que les revalorisations des personnels de catégorie C ont été décidées par l'État, ces deux dernières années. Cependant, comment éviter la concurrence acharnée qui existe entre collectivités locales en matière de rémunération ? En Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater de véritables « acrobaties » sur les fiches de paie de certains candidats au recrutement, contractuels et fonctionnaires confondus : astreintes, heures supplémentaires, parfois primes qui n'existent pas... L'État devrait mettre fin à ces dérapages.
M. Georges Patient. - Vous donnez l'impression qu'en outre-mer, on baigne dans un océan de félicité et de prodigalité. Avez-vous des éléments précis pour déterminer le différentiel du coût de la vie ? D'après l'Insee, le salaire moyen des fonctionnaires outre-mer ne dépasse que de 18 % celui des fonctionnaires de métropole.
M. Michel Bouvard. - Tout de même !
M. Marc Laménie. - Localement, on constate un phénomène d'absentéisme dans l'éducation nationale, dans les brigades de gendarmerie ou dans certaines administrations. L'hétérogénéité des primes pose également problème. Un maire qui souhaiterait accorder une prime à un modeste employé communal - un agent d'entretien, par exemple - se heurtera à une lourdeur technocratique disproportionnée par rapport à la faiblesse des montants en jeu.
Mme Marie-France Beaufils. - En matière d'attractivité, on connaît des situations délicates dans l'éducation nationale, avec un salaire de base très inférieur à celui des postes que les fonctionnaires pourraient trouver dans le privé, notamment dans les filières scientifiques. En refusant de réévaluer le salaire de base on a donné libre cours à des régimes indemnitaires incompréhensibles, fruits d'une concurrence entre collectivités qui finit par affaiblir certains territoires par rapport à d'autres. Quant à l'alignement du traitement le moins élevé sur le SMIC, pourriez-vous préciser votre propos ? Il me semble logique que tout agent public soit rémunéré au moins au niveau du SMIC. On a besoin de salariés pour faire fonctionner les services publics des collectivités et de l'État, de sorte qu'il est complexe de réduire les dépenses de personnel dans ce secteur. L'État devrait prendre en considération les conséquences de ses mesures. On ne pourra pas assurer la dématérialisation dans les collectivités sans augmenter les effectifs des services financiers. Lors du transfert des collèges et des lycées, les collectivités territoriales ont hérité des nombreux auxiliaires que l'État avait mis en place. Enfin, les agences de l'État ont bien souvent su rendre attractifs des postes que nous n'avions pas les moyens de valoriser davantage.
M. Serge Dassault. - L'État est dans une situation financière déplorable. Or on continue à augmenter le nombre de fonctionnaires et à dépenser l'argent sans que cela ne s'arrête jamais. On va embaucher 50 000 fonctionnaires, pour 40 ans d'activité et 20 ans de retraite, soit 90 milliards d'euros de dépenses en plus, alors que nous n'en n'avons pas les moyens. On accueille des migrants, on distribue des aides médicales de l'État (AME)... Quand les taux d'intérêt remonteront - et c'est inévitable - jusqu'à atteindre 2 à 3 %, la France se retrouvera en cessation de paiement comme la Grèce, et l'Europe ne nous sauvera pas. L'objectif d'un déficit public à 3 % en 2017 ne sera pas tenu. Les aides sociales sont-elles prises en compte dans la masse salariale ?
M. Jean-Claude Boulard. - L'annonce que les révisions de carrières coûteront 2,5 milliards d'euros à l'État et presque autant aux collectivités et aux établissements de santé est tout à fait inquiétante. Chacun devrait en être informé. Les indications sur l'avenir que nous donne la Cour des comptes doivent servir à prévenir les « sottises ». Les conséquences de la suppression du délai de carence sont très graves. On le voit dans le monde hospitalier, en termes de symbolique, notamment. Quant à la durée du travail, on n'a pas fait la distinction entre les cas où il y a des gains de productivité possibles répartis entre pouvoir d'achat et réduction de la durée du travail et ceux où il n'y en a pas, soins à un malade, par exemple : la réduction de la durée du travail entraîne alors la diminution du service, ou une création d'emplois qu'on ne peut pas assumer. Pour avoir été fonctionnaire à l'époque des 39 heures, je n'ai pas trouvé que c'était très pénible. Si on veut maintenir un niveau du service tout en maîtrisant les dépenses, il faudra bien revoir la durée du temps de travail. C'est incontournable.
M. Vincent Eblé. - La comparaison des rémunérations montre qu'il existe une concurrence forte entre la fonction publique et le secteur privé, malgré les différences de statuts qu'il faudrait analyser finement. Dans certains métiers de santé, les collectivités peinent à recruter en raison de la concurrence directe avec le secteur privé. Lors du transfert des compétences de l'État vers le département pour la gestion des parcs de l'équipement, on a vu des mécaniciens ou électriciens automobiles et camions, trouver des postes dans le privé à des niveaux de rémunération supérieurs à ceux des collectivités. Si ce n'était pour les différences de statut (protection de l'emploi, temps de travail, etc.) les collectivités ne trouveraient pas d'agents à employer. Il serait utile que les employeurs publics disposent d'études par secteur pour étayer les éléments de comparaison que vous nous donnez. Sans nier l'utilité d'une vision globale, je crois que celle-ci manque d'efficacité lorsqu'il s'agit d'aider les employeurs publics dans leur prise de décision.
M. Didier Migaud. - Nous souhaitons aider les pouvoirs publics à éviter le décalage entre les engagements pris dans les lois de programmation et les évolutions naturelles de la masse salariale. Nous souhaitons également contribuer à construire des fonctions publiques attractives, efficaces et responsables. La combinaison de ces critères est d'autant plus difficile que la situation budgétaire est tendue à court terme, alors qu'il faudrait prévoir des dépenses supplémentaires à moyen et à long termes. Je tiens à rassurer ceux qui nous soupçonnent d'être complaisants à l'égard de l'État et sévères pour les collectivités territoriales : il n'y a aucune appréciation moralisatrice dans notre travail, mais une analyse des données globales qui montre une stabilisation au niveau de l'État, nuancée par le fait que pendant quelques temps, la baisse des effectifs a été compensée par un plus grand recours aux opérateurs. Pour les collectivités locales, les moyennes recouvrent une grande diversité de situations, de sorte que certains élus pourront ne pas se reconnaître dans nos analyses. De manière générale, l'augmentation des dépenses de personnel n'est pas la conséquence des seules décisions de l'État. Bien sûr, lorsque l'État augmente la rémunération des agents de catégorie C, cela touche surtout le budget des collectivités territoriales. On ne peut pas nier pour autant que l'augmentation des dépenses de personnel relève en partie de la décision des élus.
Certains d'entre vous ont demandé que l'État fixe davantage de règles. Je rappelle que la Constitution précise que la libre administration des collectivités territoriales s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Les parlementaires peuvent donc établir des règles que les collectivités territoriales devront ensuite observer sans que cela ne remette en cause le principe de libre administration.
Il est nécessaire de réfléchir à moyen et à long termes sur la mise en place de passerelles entre les fonctions publiques. Faut-il maintenir une école pour la haute administration de l'État et une autre pour la haute administration des collectivités territoriales ? Les rigidités ne sont pas seulement au niveau de l'État. Lorsqu'on a proposé de fusionner l'École nationale d'administration (ENA) et l'Institut national des études territoriales (INET), beaucoup d'élus locaux ont mis des freins. La question mérite pourtant d'être posée.
La gestion prévisionnelle des effectifs, des compétences et des cadres peut être améliorée. Monsieur Dallier, les chiffres qui nous sont présentés sont exacts. D'une année sur l'autre, il y a peu de marge d'erreur.
Pour répondre à la question de Marie-France Beaufils, alors que le SMIC est « tout compris », le traitement minimum dans la fonction publique n'inclut pas les primes, de sorte qu'ils ne sont pas comparables. On ne peut pas raisonner sur la perte du pouvoir d'achat en s'en tenant au seul traitement indiciaire.
Nous partageons vos inquiétudes quant à l'attractivité de l'éducation nationale. La France y consacre des crédits importants, alors que les résultats scolaires français sont de plus en plus faibles ainsi qu'en témoignent les classements internationaux. Tout n'est pas corrélé. D'autant que nos enseignants sont moins bien payés que dans d'autres pays. Ce décalage entre les moyens consacrés et les résultats obtenus détermine l'efficacité d'une politique publique. C'est un vrai sujet dans notre pays. Des marges de progrès existent pour maîtriser davantage la dépense publique.
Sur l'outre-mer, je vous renverrai à l'étude de l'Insee et au chapitre du rapport public annuel de 2015 qui lui est consacré. Le salaire moyen d'un fonctionnaire y est supérieur de 18,6 % à celui d'un agent de la métropole, alors que les prix sont plus élevés de 13 % en Guyane, de 9,7 % en Martinique, de 8,3 % en Guadeloupe, de 6,2 % à La Réunion. C'est une situation à revoir.
Les éléments apportés par le Gouvernement ne prennent pas en compte les économies issues des mesures qu'il est en train de négocier avec les partenaires sociaux. Nous raisonnons à partir de la dépense supplémentaire de 4,5 milliards d'euros à horizon 2020, dont 2,5 milliards pour l'État, et 2 milliards pour les collectivités territoriales et les établissements publics de santé. Nous confirmons ces chiffres. Nous continuerons à travailler sur ces sujets en vous apportant un maximum d'éléments pour que vous puissiez statuer.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Albéric de Montgolfier.
Auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État - Audition de Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique, et de M. Denis Morin, directeur du budget
Mme Marie-Anne Lévêque, directrice générale de l'administration et de la fonction publique. - Nous avons travaillé étroitement avec la Cour des comptes, dont le Gouvernement partage nombre de constats et de préconisations.
Le ministère en charge de la fonction publique se félicite que le rapport de la Cour des comptes confronte les enjeux financiers majeurs de maîtrise de la masse salariale avec les objectifs de la politique de gestion des ressources humaines dans les trois versants de la fonction publique, posant la question de l'efficacité de la politique salariale.
La politique de rémunération dans les trois fonctions publiques ne peut s'inscrire que dans une action portant sur l'ensemble des employeurs et dans un cadre pluriannuel. Les problématiques ne pouvant être traitées que sur des périodes de cinq à dix ans. Nous nous réjouissons ainsi que des représentants de tous les employeurs participent aux décisions à prendre avec les organisations syndicales.
Nous partageons le constat d'une perte d'efficacité et de lisibilité de la politique de rémunération, due au foisonnement des régimes indemnitaires et à l'augmentation de la part des indemnités. Le système, relativement inégalitaire, freine la mobilité et pose la question de l'équité entre les agents publics.
Le système de rémunération de grilles indiciaires, comme le souligne la Cour des comptes, est insatisfaisant. On assiste au tassement des grilles et au rattrapage des revenus de début de carrière par le SMIC. Sans action, le salaire en début de carrière d'un agent de catégorie A sera, en 2017, supérieur de 7 % au SMIC, ce qui pose un problème d'attractivité. Il faut aussi adapter la durée des carrières à l'allongement de la vie active.
Un des enjeux soulignés par la Cour est le manque d'attractivité de certains territoires auprès des fonctionnaires, qui pose un problème d'égalité de nos concitoyens devant le service public.
Les politiques salariales menées ces dernières années se sont largement essoufflées. Le retour catégoriel qui a prévalu sous la précédente législature a augmenté la part indemnitaire, accroissant les inégalités entre les agents, selon leur ministère de rattachement.
Notre politique est très exigeante quant à la valeur du point. Mais les revalorisations du SMIC et la GIPA, dépenses obligatoires, n'ont pas toujours de sens en termes de politique de ressources humaines.
Le pouvoir d'achat moyen des agents publics s'érode. La rémunération moyenne nette des personnes en place, c'est-à-dire la feuille de paie pendant deux ans, se réduit progressivement, en euros constants. Elle est inférieure à celle des salariés du secteur privé, ce qui nous interroge.
Les agents publics ont fortement contribué à redresser les comptes publics, par la poursuite du gel de la valeur du point, une mesure qui a rapporté plus de 10 milliards d'euros ; la division de moitié depuis 2013 des enveloppes catégorielles, c'est-à-dire les crédits accordés aux ministères pour mener leur politique salariale, par rapport à la tendance constatée au cours de la décennie précédente, de 500 millions d'euros à 250 millions d'euros ; la remise en cause, en mai dernier, de l'indemnité exceptionnelle compensatrice de CSG (IESCG), ce qui génère une économie de 500 millions d'euros pour les trois versants de la fonction publique.
S'agissant des orientations, le ministère de la fonction publique souscrit très largement à celles préconisées par la Cour des comptes à la fois sur la méthode comme sur le fond.
Le dialogue social est mené avec les syndicats de fonctionnaires et les représentants des employeurs - l'État, la fédération hospitalière de France et les employeurs territoriaux, représentés par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et les trois grandes associations d'élus. Le Gouvernement, avec Marylise Lebranchu, ne souhaite pas s'inscrire dans une démarche unilatérale. Il espère que ses propositions seront agréées par les partenaires.
Nous partageons la préconisation de rénovation des grilles indiciaires et de rééquilibrage entre indice et indemnité. La ministre a proposé la transformation d'une partie des primes en points d'indice, l'allongement de la durée des carrières et un pilotage plus équitable du GVT entre les trois versants de la fonction publique via la mise en place d'une cadence unique d'avancement et d'une reconnaissance plus sélective des mérites.
L'architecture tant statutaire qu'indemnitaire doit être simplifiée, par la fusion de corps et la rationalisation du paysage - en moins de dix ans, nous sommes passés de 900 corps « vivants » dans la fonction publique d'État à 340, sans que cela se soit traduit systématiquement par un alignement sur la situation la plus favorable. Les 1 700 règles de paie constituent un facteur d'illisibilité et de manque de transparence de la politique de rémunération. L'objectif de la ministre de la fonction publique est de basculer les régimes de la grande majorité des fonctionnaires de l'État vers le nouveau régime créé en 2014.
Le renforcement de l'attractivité des territoires est une autre priorité de la ministre. Les fonctionnaires expérimentés doivent pouvoir être déployés dans des zones où ils n'ont pas spontanément envie d'aller. L'indemnité de résidence et divers avantages statutaires, en matière d'avancement notamment, seront modifiés.
Une partie de la négociation sur les parcours professionnels et les rémunérations en cours porte sur ces mesures. Elles sont étudiées par les partenaires sociaux, qui se prononceront d'ici la fin du mois de septembre. Elles ne seront mises en oeuvre qu'en cas d'accord majoritaire, puisque, depuis janvier 2015, la signature des organisations représentant plus de 50 % des suffrages exprimés est requise.
La ministre a confié une mission d'expertise, d'analyse et de proposition sur le temps de travail dans les trois versants de la fonction publique à Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Un tel bilan, préalable à toute évolution de la réglementation, n'a jamais été établi.
Mme Michèle André, présidente. - Merci beaucoup pour ces précisions et la présentation de l'ensemble des dispositifs. Nous nous réjouirons si la demande de la commission des finances du Sénat entraîne des convergences.
M. Denis Morin, directeur du budget. - Je salue la qualité du rapport de la Cour des comptes, dont la direction du budget partage l'essentiel des analyses et des propositions. La maîtrise de la masse salariale est un enjeu stratégique pour nos finances publiques. Elle pèse 280 milliards d'euros, sur 1 200 milliards d'euros de dépenses publiques, pour 5,4 millions d'actifs représentant 20 % de la population active, contre 15 % en moyenne dans l'Union européenne. La masse salariale publique augmente de 5 milliards d'euros par an, soit 10 % de l'impôt sur le revenu, chaque année. Aucune politique de maîtrise des dépenses publiques ne peut éluder la question de la maîtrise des masses salariales publiques.
Les divergences d'évolution entre les différentes fonctions publiques sont significatives. Entre 2010 et 2014, la masse salariale de l'État et des organismes divers d'administration centrale (ODAC) a progressé de 0,8 % par an, celle des administrations de Sécurité sociale de 2 % et celle des administrations publiques locales de 3,1 %. En 2014, la masse salariale de l'État a augmenté de 0,2 % contre 3,9 % pour les collectivités territoriales. Ce sont des constats.
Une meilleure gestion des dépenses de personnel de l'État était l'un des enjeux majeurs de la LOLF. Il n'était pas évident, alors, d'établir des plafonds d'emploi significatifs, des crédits de masse salariale calculés au plus juste, et une bonne adéquation entre les deux. Il reste quelques difficultés mais le bilan d'ensemble est globalement positif, notamment grâce au renforcement progressif du rôle des secrétaires généraux et la mobilisation des équipes sur cet enjeu.
Les leviers actuels de stabilisation de la masse salariale sont le gel du point d'indice ; la maîtrise renforcée des enveloppes catégorielles, passées de plus de 500 millions d'euros à quelque 200 millions d'euros aujourd'hui ; la stabilisation des effectifs publics, même si ceux-ci croîtront légèrement en 2016 en raison de la lutte contre le terrorisme ; des économies spécifiques, en particulier la réduction progressive de l'IECSG.
Nous étudierons très attentivement les propositions de la Cour des comptes, notamment sur le ralentissement du GVT, qui échappe à toute décision de l'employeur. Il est impossible qu'il demeure à plus de 2 % par an quand l'inflation est de 0,5 %. Les préconisations de la Cour sur les indemnités de résidence, le supplément familial de traitement et les majorations de traitement outre-mer méritent également d'être examinées.
M. Michel Bouvard, rapporteur spécial. - Madame la directrice générale, vous partagez les constats de la Cour des comptes : mais quelles sont vos réponses ? La feuille est encore blanche.
Constate-t-on aujourd'hui une crise des vocations pour les catégories A et A+ ? Il aurait été souhaitable d'obtenir le rapport sur le temps de travail avant de discuter du projet d'accord du 9 juillet. La réforme desserrera-t-elle réellement les grilles ? Les mesures en faveur de la mobilité sont-elles suffisantes ? Celle-ci ne devrait-elle pas constituer une contrepartie à la sécurité de l'emploi ? Une fois le nombre de corps réduit, la souplesse apportée et les métiers identifiés, encore faut-il que la mobilité se mette en oeuvre. L'accord évoque la valeur professionnelle comme accélérateur de carrière mais dit aussi que chaque fonctionnaire doit pouvoir dérouler une carrière complète sur au moins deux grades dans toutes les catégories. Comment faut-il interpréter ces différents éléments ?
Monsieur le directeur du budget, existe-t-il un travail prospectif sur l'impact d'un potentiel accord ? L'accroissement des effectifs des opérateurs et les rémunérations pratiquées posent problème. L'État peut-il agir en leur sein dans un souci de cohérence avec la fonction publique, quand les métiers et les fonctions sont comparables ? Il ne faudrait pas inciter au basculement d'emplois chez les opérateurs pour éviter les contraintes budgétaires.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Madame la directrice générale, qu'est-il prévu en cas d'absence d'accord majoritaire ? Les mesures feront-elles l'objet d'une loi ?
Monsieur Morin, la crise des finances publiques pousse la direction du budget très loin dans ce que la LOLF autorise, jusqu'à la gestion des personnel de catégorie C dans tel ou tel ministère, ce qui pose des difficultés en matière de responsabilité. Vous comparez toujours les collectivités territoriales et la fonction publique d'État. Mais elles contribuent au financement des retraites, contrairement à l'État. Comment se déroulera l'intégration des primes ou de la participation dans la base du traitement ? Les collectivités territoriales se sont vues transférer un nombre important d'agents de catégorie C. Les reclassements de catégories C en B posent de vraies difficultés. La gestion de l'allongement des carrières ne prévoit pas que des fonctionnaires plafonneront au dernier échelon pendant une dizaine d'années. Sans rééchelonnement dans le temps, de vraies difficultés apparaîtront pour le GVT.
Mme Fabienne Keller. - Avez-vous un prévisionnel sur la masse salariale publique ? Décrivez-nous les trois principaux chantiers des deux ou trois prochaines années.
M. Michel Canevet. - Des charges supplémentaires incombent aux collectivités territoriales, souvent imposées, alors que l'État réduit les dotations. La question de la mobilité reste difficile. Des disparités de rémunération existent entre agents exerçant des missions similaires dans la fonction publique hospitalière, comme dans les établissements pour personnes âgées. La sur-rémunération du temps partiel entraîne des disparités entre les personnes à 80 % et celles à temps complet. Qu'avez-vous prévu contre les promotions opportunes de fin de carrière ?
M. Marc Laménie. - La gestion des ressources humaines est particulièrement complexe pour certains départements dans lesquels des postes dans l'éducation nationale, la gendarmerie, la magistrature ne sont pas pourvus. Mon département des Ardennes n'est pas très demandé alors qu'on y est aussi bien qu'ailleurs... Je pose la question de l'adéquation des concours avec les départs en retraite. Il faut parfois un certain temps pour que les postes soient pourvus.
Mme Michèle André, présidente. - La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) prend en charge les pensions des fonctionnaires des collectivités et de la fonction publique hospitalière mais il en va différemment pour le personnel de l'État. La part des pensions dans le total des crédits du titre 2 est passée de 26 % en 2006 à 33 % en 2014. Quelle est la projection de la part des dépenses de pension dans le total des dépenses de personnel de l'État pour les années à venir ?
Nos deux invités ont partagé les constats de la Cour des comptes. J'ai entendu le calendrier. Mettons à l'actif de la direction générale de l'administration et de la fonction publique les efforts fournis sur certains dossiers auparavant ossifiés.
Mme Marie-Anne Lévêque. - Monsieur Bouvard, on constate des difficultés en matière d'attractivité des territoires.
M. Michel Bouvard, rapporteur spécial. - Et des métiers !
Mme Marie-Anne Lévêque. - Il est difficile d'affecter des titulaires sur des postes vacants dans les régions transfrontalières par exemple. L'attractivité du recrutement dépend de la rémunération de début de carrière et des perspectives d'évolution. Nous ne constatons pas de dégradation notable du nombre de candidats aux concours. La masterisation pour les concours d'enseignants a provoqué une attrition du nombre de candidats mais la dégradation s'est arrêtée aujourd'hui, sauf dans certaines disciplines, notamment scientifiques. Le recrutement déconcentré des enseignants du premier degré montre des difficultés en Seine-Saint-Denis.
Les propositions du ministère répondent au tassement et au rattrapage des revenus par le SMIC, dans la limite de la compatibilité avec la trajectoire de réduction des dépenses publiques. La restauration d'amplitudes antérieures n'est pas dans nos moyens.
Un fonctionnaire a vocation à dérouler sa carrière sur deux grades. L'objectif est de fixer des taux de promotion favorisant l'avancement des fonctionnaires dont la valeur professionnelle le justifie. Quant à l'avancement d'échelon, le Gouvernement propose de revenir à un système plus équitable dans les trois versants de la fonction publique, selon l'ancienneté mais aussi la valeur professionnelle des agents.
Je suis prudente quant aux conclusions de la Cour des comptes sur la mobilité. Le principe n'est pas qu'elle soit forcée, mais due à une demande de mutation... sur un emploi vacant. Nuançons l'idée selon laquelle la mobilité ne résulte que du bon vouloir des agents !
Par ailleurs, la mobilité géographique de la fonction publique d'État est par nature plus importante que dans la fonction publique territoriale, et que dans la plupart des grandes entreprises privées ou parapubliques présentes sur tout le territoire.
M. Michel Bouvard, rapporteur spécial. - Comment encourage-t-on cette mobilité ?
Mme Marie-Anne Lévêque. - Une discussion est menée sur la contrepartie des garanties statutaires, qui est que l'agent rejoigne l'affectation nécessaire pour le service public. Si ce principe est réaffirmé, il reste que les conditions d'exercice sont plus difficiles dans certaines zones géographiques, en Île-de-France ou dans les zones rurales, pour des raisons différentes. Certains dispositifs, comme l'indemnité de résidence, doivent être réétudiés dans les prochaines années pour davantage d'efficacité. Tous les obstacles juridiques sont levés pour la mobilité entre les trois versants de la fonction publique. Elle reste trop faible. La mise en place de cadres communs sur les métiers communs, entre les versants, aura lieu si l'accord est signé. Dans le cas contraire, la ministre l'a dit clairement, la mise en oeuvre des mesures ne sera pas unilatérale. Il faudrait prévoir un temps d'échange pour comprendre les blocages affectant ces négociations ouvertes il y a deux ans.
Toutes les préconisations de la Cour des comptes ne sont pas partagées. La remise en cause de la sur-rémunération du temps partiel, introduite au début des années 1980, n'est pas une piste du Gouvernement, alors qu'un accord sur l'égalité professionnelle a été signé à l'unanimité le 8 mars 2013. Il existe à ce sujet une très forte sensibilité sociale et politique.
M. Denis Morin. - Monsieur Bouvard, nous devons à un amendement sénatorial la fixation d'un plafond d'emploi global pour les opérateurs, voté chaque année, ouvrant la voie à un contrôle plus strict de l'évolution des effectifs. À partir de cette année, le conseil d'administration des opérateurs votera un plafond global, comprenant les effectifs plafonnés et les effectifs hors plafond. Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP) renforce les pouvoirs du contrôleur budgétaire, s'agissant de la hiérarchie des rémunérations notamment. Le secteur des opérateurs, qui regroupe plus de 1 000 structures, fait l'objet d'intenses restructurations qui améliorent la productivité. Certains opérateurs majeurs sont la priorité du Gouvernement. Ainsi, depuis 2012, les universités recrutent 1 000 agents supplémentaires par an.
Monsieur Carcenac s'interroge sur le rôle de la direction du budget dans la gestion du personnel des ministères. Le partage des rôles est clair. La direction du budget a pour mission de veiller à la qualité du calcul des crédits du titre 2 et à leur respect en exécution budgétaire. Je ne crois pas qu'on puisse dire que nous nous immisçons dans la gestion interne des ministères. Les secrétaires généraux répartissent l'effort au sein de leur ministère. Il en va de même pour les opérateurs.
Le Premier président de la Cour des comptes a reconnu l'impact de décisions étatiques sur la masse salariale des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière, mais précisé que l'essentiel de l'évolution divergente résultait de décisions des employeurs locaux.
Madame Keller, le prévisionnel des dépenses en matière de masse salariale pour 2015-2017 repose sur une progression annuelle de 1,5 %. L'accord s'inscrira dans cette trajectoire d'ensemble, cohérente avec le rythme de réduction des déficits.
Madame la Présidente, les prévisions de dépenses de pension de l'État sont de 40,3 milliards d'euros en 2015 et de 42,7 milliards d'euros en 2017. L'équilibrage du compte d'affectation spéciale « Pensions » s'effectue sous le contrôle de la Cour des comptes, qui en analyse les déterminants chaque année dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Nous fixons chaque année un taux de cotisation implicite de l'État qui donne lieu à l'inscription de crédits non fongibles avec les autres crédits du titre 2. Le taux de retenue pour pension des fonctionnaires augmente chaque année pour rejoindre celui des salariés de droit privé ; le besoin de financement du CAS « Pensions » diminue d'autant. La réforme des retraites de 2014 transposée au secteur public modère la progression annuelle de ce besoin de financement.
Mme Michèle André, présidente. - Merci de ces précisions. Je salue le dévouement et l'intérêt des fonctionnaires pour leur travail, et vous souhaite, Madame la directrice générale, du succès dans les négociations.
La réunion est levée à 13 heures.
Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs
La réunion est ouverte à 14 h 35.
La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 3039 autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement. Elle désigne M. Dominique de Legge rapporteur pour avis.
M. Éric Doligé est désigné rapporteur sur le projet de loi n° 651 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
Association des collectivités territoriales à la maîtrise des finances publiques - Contrôle budgétaire - Communication
La réunion est ouverte à 14h35.
Puis, dans le cadre du contrôle budgétaire, la commission entend une communication de MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, sur l'association des collectivités territoriales à la maîtrise des finances publiques : deux exemples européens (Autrice et Italie).
M. Charles Guené, rapporteur. - La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a créé un objectif d'évolution de la dépense publique locale (Odedel). Non contraignant, il se justifie par la nécessité de piloter les finances de toutes les administrations publiques.
L'étude commandée l'année dernière par notre commission à la direction générale du Trésor ayant montré la diversité des règles adoptées par les différents pays européens afin de transposer leurs obligations européennes en matière budgétaire, nous avons choisi deux États dont l'organisation institutionnelle et le mode de financement des collectivités territoriales sont très différents : le modèle italien est similaire au nôtre, alors que le système autrichien se distingue par une importante association en amont des collectivités territoriales aux projets de réformes les concernant.
En juin dernier, quand nous nous sommes rendus à Vienne puis à Rome pour recueillir des informations techniques, le ressenti des élus locaux en France était assez violent, tant sur l'importance de la baisse des dotations que sur les délais de redressement des finances publiques. Nous sommes d'ailleurs un certain nombre à penser que la gouvernance des finances publiques dans notre pays n'est pas satisfaisante.
M. Claude Raynal, rapporteur. - L'Autriche est un État fédéral qui comprend neuf Länder et 2 100 communes dont l'autonomie fiscale est très réduite : ceux-ci perçoivent principalement une proportion d'impôts nationaux, comme l'impôt sur le revenu ou la TVA. La négociation tous les trois ans de leur répartition leur donne une certaine prévisibilité quant à leurs recettes. De plus, toute amélioration de la conjoncture profite à la fois à l'État fédéral et aux collectivités territoriales.
Dès 2001, l'Autriche a adopté un pacte de stabilité interne qui décline les obligations découlant des traités européens aux niveaux national et local. Le sixième pacte, adopté en 2012, repose sur quatre règles principales. D'abord, une trajectoire du déficit public est définie jusqu'en 2016 et déclinée au niveau fédéral, mais aussi à ceux du Land et des communes. À partir de 2017, le déficit structurel des Länder et des communes devra être inférieur à 0,1 % du PIB, et celui de l'État fédéral à 0,35 %. L'objectif est décliné par Land, notamment en fonction de sa population. En troisième lieu, la croissance des dépenses locales doit être inférieure au taux de croissance potentiel, sauf si elle est compensée à due concurrence par une hausse des recettes : il s'agit de garantir que le solde structurel n'est pas dégradé en raison d'une hausse des dépenses ou d'une baisse des recettes. Enfin, si la dette publique représente plus de 60 % du PIB, elle doit diminuer en moyenne de 5 % par an sur trois années. La répartition de l'effort entre l'État fédéral, chaque Land et les communes dépend, dans ce cas, de la part respective de ceux-ci dans la dette publique.
Un mécanisme de contrôle et de sanction est prévu : si la Cour des comptes constate qu'une règle n'est pas respectée, la collectivité dispose d'un délai de deux mois pour présenter à un comité des sanctions - composé de deux représentants du ministère des finances, deux représentants des Länder et deux représentants des communes - les mesures qu'elle envisage de mettre en oeuvre. Si ces mesures ne sont pas jugées suffisantes, une sanction de 15 % de la déviation est infligée à la collectivité.
La conclusion du pacte de stabilité interne a été précédée d'importantes négociations entre l'État et les collectivités. Cette coordination est institutionnalisée et tant le pacte que les règles de répartition des recettes sont issus d'un consensus. En effet, politiquement et institutionnellement, l'État fédéral n'est pas en mesure d'imposer des mesures aux Länder.
Aussi, lorsqu'un projet de réforme est envisagé, une réunion du comité de coordination, où siègent des représentants du ministre des finances et des communes ainsi que les gouverneurs des Länder, inaugure une série de réunions techniques quasi-quotidiennes auxquelles les agents des collectivités participent, aux côtés des fonctionnaires de l'État. Ces réunions évaluent la situation, font le bilan des précédentes réformes et préparent les décisions. À ce jour, la coordination ne pose pas de problème en Autriche.
Selon nos interlocuteurs, le pacte de stabilité interne n'est pas critiqué en tant que tel par les élus locaux. Ils considèrent qu'il s'agit de l'unique moyen pour l'Autriche de respecter ses engagements européens.
M. Charles Guené, rapporteur. - L'intérêt de l'exemple italien réside dans sa grande proximité avec la France : l'Italie a ainsi récemment prévu la « dévitalisation » de ses départements, mis en place des métropoles et encouragé le développement de l'intercommunalité. Si la situation financière des collectivités territoriales des deux pays est proche, l'organisation territoriale est plus régionalisée en Italie et la baisse des ressources des collectivités territoriales y a été plus forte qu'en France, atteignant 26 milliards d'euros entre 2010 et 2017.
Notre attention s'est concentrée sur le pacte de stabilité interne (PSI), mis en place dès 1999, qui encadre de façon particulièrement précise les finances des collectivités territoriales, et sur un outil original de mesure des charges des collectivités, les « besoins de financement standard ».
Le PSI est adopté chaque année en loi de finances. Un niveau de contrainte globale est fixé, décliné collectivité par collectivité. Selon les années et la catégorie de collectivités, la contrainte a pu porter sur le solde budgétaire ou sur l'évolution des dépenses. Le périmètre du pacte a fortement évolué, excluant souvent les communes les moins peuplées. Les agrégats pris en compte ont eux aussi beaucoup varié : ont ainsi pu être écartées les dépenses exceptionnelles ou les dépenses de santé des régions. Les investissements ont été pris en compte à partir de 2005, mais des souplesses ont été mises en oeuvre par la suite.
Le pacte a souvent distingué collectivités « vertueuses » et « non vertueuses », en se basant par exemple sur le niveau moyen de dépenses par habitant ou sur des indicateurs plus complexes faisant intervenir le poids des dépenses de personnel.
Le PSI prévoit des incitations et des sanctions. Les premières peuvent prendre la forme de meilleures conditions de financement ou d'un assouplissement de l'objectif les années suivantes ; les secondes, celle d'une diminution automatique des concours de l'État, d'un gel des embauches de personnel, d'une interdiction d'endettement ou encore d'une réduction de 30 % des indemnités des élus locaux.
La technique du rabot atteint vite ses limites, dans la mesure où elle n'assure pas que les efforts seront consentis là où ils seraient le plus efficaces économiquement. C'est pourquoi l'Italie a développé les « besoins de financement standard », qui mesurent très précisément le coût de fourniture d'un service public local dans chaque collectivité, en fonction de ses caractéristiques, afin de répartir en conséquence les fonds de péréquation.
Le travail considérable de recueil de données et de traitement a été confié à une société privée, en y associant les représentants des collectivités territoriales. Douze services publics fondamentaux ont été identifiés, ainsi que treize facteurs de coût, alimentés par 122 critères. Ce travail a établi que le nombre d'habitants explique 43 % du coût des transports publics, les caractéristiques du territoire 15 %, le prix des intrants 5 %, etc.
Au-delà de cette utilisation technique, les besoins de financement standard ont favorisé la transparence, puisque les données sont publiées sur un site internet où figurent également des indicateurs de la qualité du service rendu. Les citoyens peuvent ainsi mesurer la performance de leur collectivité au regard des moyens alloués et la comparer à d'autres communes, et les collectivités les utiliser en tant qu'outils de contrôle de gestion.
M. Claude Raynal, rapporteur. - Voici maintenant nos principales observations. En premier lieu, la volonté d'encadrer les finances des collectivités territoriales n'est pas une affaire franco-française : confrontés aux mêmes règles communautaires et au même contexte économique et financier, de nombreux pays européens ont suivi cette voie. L'Autriche et l'Italie ont pris une avance certaine en mettant en place il y a plus de dix ans, avec une ambition forte, des règles certes contraignantes mais lisibles pour les collectivités.
En deuxième lieu, le bilan du PSI italien invite à veiller à la préservation des investissements des collectivités. Il est vrai qu'il a eu un effet modérateur et permis une relative maîtrise des finances locales italiennes ; l'effort considérable a pu être absorbé sans réduire excessivement l'offre de services publics, en améliorant la qualité de la dépense et, au moins partiellement, en ayant recours au levier fiscal. Cependant, les règles choisies ont pu avoir des effets pervers tels que la créativité comptable, le recours aux emprunts structurés ou l'externalisation des dépenses. Enfin, le pacte de stabilité a provoqué un véritable effondrement des investissements des collectivités territoriales, montrant la nécessité de définir une règle qui les préserve, par exemple en les excluant de la contrainte ou en prévoyant des souplesses spécifiques, comme l'a fait l'Italie par la suite.
En troisième lieu, le succès d'un pilotage des finances locales passe par l'association des collectivités territoriales à son élaboration afin de rétablir un dialogue confiant. Il convient de rénover la gouvernance des finances publiques françaises, en particulier des finances locales, pour qu'émergent, sur le modèle autrichien, des instances ayant le temps et les moyens d'une véritable concertation entre tous les acteurs impliqués. De même, afin d'éviter les différences d'analyse, un groupe de travail paritaire et pérenne entre l'État et les collectivités territoriales pourrait établir un diagnostic partagé des efforts passés en matière de dépenses et des efforts à fournir à l'avenir. Enfin, il semble nécessaire de donner un cap aux collectivités territoriales, en définissant un objectif de moyen long-terme pour les collectivités comme pour les citoyen, et en prévoyant dès aujourd'hui l'évolution des concours de l'État une fois la situation des finances publiques assainie, afin de donner des perspectives positives aux collectivités. Ces mesures pourraient être formalisées dans un pacte de stabilité interne, qui contribuerait à rétablir la confiance entre l'État et les collectivités territoriales, en énonçant des règles claires et durables dans une logique pluriannuelle.
En quatrième lieu, on pourrait envisager de décliner la contrainte globale collectivité par collectivité et d'adopter des règles mieux adaptées à la diversité des territoires. Comme dans le cas autrichien, ces règles pourraient concerner non seulement les dépenses, mais aussi le déficit et la dette publics afin de mettre en évidence le poids de chaque secteur d'administration publique, l'État compris. Étant donnés le faible poids du déficit et de la dette des collectivités territoriales françaises et l'exigence de la règle d'or, le sujet central de l'encadrement des finances locales françaises demeure néanmoins le niveau de leurs dépenses. Les règles pourraient être déclinées collectivité par collectivité, comme c'est le cas dans les deux pays étudiés, dans un souci de responsabilisation ; en contrepartie, les collectivités territoriales devraient bénéficier d'un allégement des normes et d'une plus grande liberté en matière de gestion.
L'exemple italien montre que les rabots de ressources ou de dépenses, s'ils ont le mérite de la facilité, présentent des limites en termes d'efficacité économique faute de tenir compte de la situation réelle de chaque collectivité. Il pourrait être utile d'étudier l'opportunité de mettre en place un outil de mesure des charges des collectivités s'inspirant des fabbisogni standard italiens. Les indices synthétiques français n'apprécient pas assez finement les contraintes de chaque territoire et leur définition n'est jamais consensuelle.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Votre exposé met en évidence, dans deux pays dont les collectivités ressemblent aux nôtres, un système différent de discussion entre l'État et les collectivités territoriales. Nous pourrions envisager un dialogue de ce type en France et, pourquoi pas, des objectifs contraignants. Cependant, comme nous l'avons souligné dans les débats sur la loi de finances 2015, nous sommes préoccupés par les contraintes que l'État impose aux collectivités. Ce matin, Philippe Dallier rappelait que les revalorisations des traitements des fonctionnaires de catégorie C s'imposent automatiquement aux autorités locales. On pourrait également parler du RSA. Ce type de normes imposées unilatéralement existe-t-il en Italie et en Autriche ? Le cas échéant, un mécanisme de neutralisation y est-il associé ? L'amendement introduit l'année dernière par la majorité sénatoriale neutralisait dans l'Odedel les transferts de normes évalués chaque année par la Commission consultative d'évaluation des normes.
M. François Marc. - L'analyse des charges des collectivités est une question fondamentale ; elle implique cependant un jugement sur la pertinence de l'action conduite, ce qui est particulièrement délicat.
Pourriez-vous revenir sur le dispositif de péréquation décentralisé en Italie ? Le concours des collectivités dans la répartition est-il le résultat d'échanges internes ? Par quels acteurs la péréquation est-elle mise en oeuvre, et quelles comparaisons peut-on établir avec notre situation ?
En Suède, où les externalisations de dépenses par le transfert de certaines missions à des agences ont été très pratiquées pour améliorer la productivité et rechercher l'équilibre budgétaire, les résultats n'ont pas été satisfaisants, si l'on en croit les plaintes entendues lors des dernières élections sur la baisse de qualité des services publics. Y a-t-il eu des tentatives analogues en utriche et en Italie ?
M. Jacques Chiron. - Ce rapport montre que les pays européens ont les mêmes contraintes. Les entreprises publiques locales, nombreuses en Italie, ont-elles porté une partie des investissements des collectivités ? C'est une solution pour mobiliser l'investissement privé.
M. Philippe Dallier. - Le chiffre de 26 milliards d'euros de baisse des ressources en Italie fait plutôt peur. En France aussi, on craint une baisse de l'investissement des collectivités. Existe-t-il des dispositifs de soutien de l'investissement en Italie ? On parle chez nous de créer un fonds d'un milliard d'euros. Je ne suis pas vraiment favorable à ce genre de dispositif.
M. Francis Delattre. - C'est un point de vue largement partagé.
M. Philippe Dallier. - Ceux qui ont déjà les moyens d'investir obtiendront des subventions ; les autres, qui surnagent avec peine, ne pourront pas présenter de dossiers.
M. Maurice Vincent. - Les chiffres de la trajectoire de finances publiques pour l'Autriche semblent très durs, avec un retour à l'équilibre budgétaire dès 2016, alors même que la dette ne semble pas très élevée. C'est regrettable : pour créer de la croissance, les pays européens ne doivent pas chercher à retrouver trop vite l'équilibre budgétaire.
Vos propositions, destinées à encourager la coopération entre le Gouvernement et les collectivités territoriales, me semblent adaptées. Un fonds d'un milliard d'euros a été annoncé ; le préfinancement du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) par la Caisse des dépôts et consignations soutient également l'investissement tout en assurant la contribution des collectivités à l'effort budgétaire.
M. Michel Bouvard. - Une partie de l'effort des collectivités italiennes a été rendue possible par la disparition ou l'absorption de l'échelon provincial. En outre, dans certains cas, les collectivités italiennes ont besoin d'une autorisation de l'État, même dans les opérations pour lesquelles elles disposent de la trésorerie nécessaire. Nous l'avons bien vu à propos du financement des opérations transfrontalières dans le cadre de programmes européens.
La typologie des collectivités déterminant les charges à supporter en fonction de leur caractère urbain, rural ou montagnard est un élément particulièrement intéressant pour la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Le Premier président de la Cour des comptes a rappelé que le rabot ne suffisait pas, qu'il fallait prendre en compte les caractéristiques des collectivités. Je ne suis pas sûr que la direction générale des collectivités territoriales ait une typologie comparable. Ou alors qu'elle nous en donne communication...
M. Bernard Lalande. - L'investissement en Italie a-t-il servi de variable d'ajustement par rapport aux dépenses de fonctionnement, ou sa baisse s'explique-t-elle par un endettement des collectivités limitant l'effet de levier ?
M. Éric Doligé. - Les comparaisons offrent toujours des enseignements intéressants. L'Italie a diminué les ressources des collectivités dès 2011, alors que nous ne l'avons fait qu'en 2014. Ces objectifs ont-ils été atteints ? Je m'interroge également sur la fiabilité des chiffres : lors d'un voyage à Berlin, nos interlocuteurs nous ont affirmé que tous les chiffres européens sur les dépenses des collectivités étaient faux.
M. André Gattolin. - Les statistiques de l'Istituto nazionale di statistica (Istat), et notamment les données Soluzioni per il Sistema economico (SOSE) sur lesquelles j'ai travaillé, sont aussi fiables que les nôtres. Quant à la réduction de 30 % des indemnités des élus locaux en guise de sanction, qui a suscité des haussements de sourcils, il faut savoir que l'Italie est le pays européen qui payait le mieux, voire sur-payait, ses élus. Il s'agit d'un retour à la normale.
Le pacte s'inscrit dans une réorganisation complète des collectivités locales et d'une réforme du Sénat, qui doit mieux représenter les régions. Historiquement, la péréquation s'est effectuée dans ce pays au niveau régional. La lecture de la presse italienne suscite quelques doutes quant à la réussite de l'effort de contrôle des dépenses publiques. C'est l'un des principaux soucis du gouvernement.
M. Charles Guené, rapporteur. - La négociation entre l'État et les Länder a toujours été la règle en Autriche et la question des normes se pose différemment. Ainsi, dans le domaine de l'enseignement, le Land décide des embauches qui sont financées par l'État.
En Italie, certaines dépenses ont été exclues du périmètre, afin que leur hausse ne compromette pas le respect du pacte par les communes : c'est le cas des dépenses contraintes ou qui dépendent d'un autre niveau - cela donne à penser quant aux dépenses sociales de départements. L'Italie devait se diriger vers un système fédéral, mais le mouvement s'est ralenti et nous en restons loin.
L'analyse des charges est suffisamment travaillée pour tenir compte de manière satisfaisante des caractéristiques des collectivités. Elle débouche sur un jugement qualitatif sur les dépenses, mais aussi sur le résultat de ces dépenses. Cela rejoint les préoccupations exprimées par Didier Migaud.
Dans notre rapport, nous n'avons pas examiné la question des externalisations et des sociétés d'économie mixte sous l'angle de l'efficacité économique ; nous avons simplement constaté la tentation, pour les collectivités, d'utiliser les externalisations pour satisfaire aux exigences du pacte. Celui-ci a été progressivement ajusté pour en tenir compte.
Quant au choc des 26 milliards d'euros, il ne s'explique pas uniquement par la disparition d'un échelon. La gestion des collectivités laissait peut-être plus de marge que chez nous. Cependant, nous avons senti dans les propos de nos interlocuteurs qu'il était difficile d'aller plus loin dans l'effort : l'impact de la baisse des investissements des collectivités a été évalué à un point de PIB par an.
M. Claude Raynal, rapporteur. - En Autriche, pays germanique, un accord n'est généralement pas remis en cause ; mais en Italie, l'intérêt du pacte n'est plus discuté, les seuls débats portant sur la question du calibrage. Cela nous a surpris : nous nous attendions à une levée de boucliers.
En Autriche, le déficit global était de 2,8 % du PIB en 2014, et n'aurait pas dépassé les 2 % sans la faillite d'un établissement bancaire régional qui a nécessité une intervention de l'État. Pour répondre à Maurice Vincent, l'Autriche partait de moins loin et les collectivités locales bénéficient d'une augmentation des recettes fiscales. La règle du jeu est très claire. Voilà un élément qui manque peut-être dans le discours.
M. Charles Guené, rapporteur. - Les contraintes, en France, sont la baisse de la dotation de l'État et l'Odedel qui n'est qu'indicatif - une grande majorité des élus ignore même sans doute son existence... La déclinaison est différente en Autriche, avec des critères partagés de trajectoire budgétaire, de déficit, d'augmentation des dépenses, et en Italie, où l'on prend en compte le solde et l'évolution des dépenses, mais pas la dette. Ces critères sont déclinés à tous les niveaux, alors qu'en France, il s'agit d'une contrainte qui ne dit pas son nom.
M. Claude Raynal, rapporteur. - Pour répondre à François Marc, il ne s'agit pas, dans le cas italien, d'un système de péréquation décentralisée. C'est un système national de péréquation, en fonction du potentiel financier et des besoins de financement standard. Rien n'interdit cependant à une commune de dépenser davantage, à charge pour elle de le financer et de le porter avec un message politique. Néanmoins, les régions peuvent accorder aux communes des souplesses dans le respect du pacte, à condition de compenser elles-mêmes cet assouplissement. Il existe la même possibilité entre communes. L'essentiel est que le territoire régional respecte globalement la contrainte. Le système autrichien est analogue.
Je n'ai pas d'éléments précis sur le développement des sociétés locales d'investissement. La Cour des comptes italienne a exprimé des réserves quant à leur efficacité économique. Ce mécanisme a-t-il été utilisé par les communes pour répondre rapidement à la contrainte ? Probablement...
Les chiffres présentés ont été respectés par les collectivités italiennes au moins jusqu'en 2015. Certes, ces collectivités ont pu augmenter la fiscalité, mais l'augmentation des recettes fiscales propres est restée modérée et ponctuelle ; elle ne serait pas envisageable pour l'avenir. Au total, 3 % des collectivités n'ont pas rempli les objectifs du pacte. Les dérapages au niveau global sont donc imputables aux dépenses de santé et à l'État plutôt qu'aux collectivités.
Comme le suggère Bernard Lalande, la baisse de l'investissement des collectivités en Italie ne s'explique pas uniquement par celle des ressources. Elle résulte également d'un phénomène d'overshooting : dans leur crainte de ne pas atteindre les objectifs, nombre de collectivités ont sacrifié l'investissement.
M. Bernard Lalande. - La baisse de l'investissement est parfois imputable à une moindre capacité d'endettement.
M. Charles Guené, rapporteur. - C'est sans doute vrai. En Autriche, si la dette est excessive, les collectivités doivent la réduire en moyenne de 5 % par an sur trois ans.
M. Bernard Lalande. - Par conséquent, l'État décide qu'au-delà d'un certain seuil, les collectivités doivent limiter leur investissement.
M. Claude Raynal, rapporteur. - En Italie, il y a un système d'autorisation préalable pour certaines opérations.
M. Charles Guené, rapporteur. - En France, il n'existe pas d'autre critère que la réduction... arbitraire des dépenses. Ailleurs, le recours à l'impôt local fait figure de sanction. Chez nous, c'est considéré comme un signe d'autonomie !
M. Francis Delattre. - Je crains de détoner dans cette discussion. Si les tapisseries ne représentent plus Don Quichotte, il est désormais parmi nous ! Lui-même en difficulté, l'État a entrepris de réguler les ressources des collectivités. En 2014, la baisse de la dépense publique a été de 3 milliards d'euros. Où l'État les a-t-il pris ? Vous le savez bien...
Quant à l'endettement, les collectivités françaises n'auront bientôt plus à s'inquiéter d'autorisations, parce que leurs budgets de fonctionnement seront réduits à néant. L'endettement des communes représente 10 % de l'endettement global et la loi nous oblige à voter des budgets équilibrés. Pourquoi nous montrer du doigt ? La réalité est que les communes vont réduire l'investissement, et que cela pèsera sur l'emploi. Nous entrons dans un système à inflation zéro et sans croissance. Nos entreprises disparaissent et nos bases fiscales avec elles. C'est tout le système qu'il faut revoir.
La péréquation horizontale va atteindre ses limites, car toutes les communes seront bientôt en position de recevoir ! Il n'est plus possible de continuer sans croissance et sans inflation qui, quoi qu'on en dise, est un amortisseur social. Quand le meilleur économiste de France était à Matignon, nous avions une inflation à deux chiffres.
M. Charles Guené, rapporteur. - Soit, mais notre rapport n'a vocation qu'à apporter des éléments pour contribuer aux choix publics.
M. Francis Delattre. - La péréquation est par nature verticale. Mais nous appliquons des critères nationaux, ce qui est une aberration. Des villes de 50 000 habitants sont en grande difficulté malgré une dette inférieure à 60 millions d'euros. D'autres sont en parfaite santé alors que leur endettement atteint 600 à 700 millions d'euros ! Comment appliquer un rabot national dans ces conditions ?
M. Claude Raynal, rapporteur. - Vos propos abondent dans notre sens. Le système italien est intéressant parce qu'au rabot, il préfère une analyse en profondeur des besoins et de la réalité des dépenses nécessaires, tout en laissant le citoyen se faire une idée sur la gestion de la collectivité. Cet exemple nous montre une manière possible de passer d'un effort de péréquation horizontal à un effort national sur la base des besoins réels. Je salue votre lucidité sur cette question.
M. Francis Delattre. - Et moi votre agilité intellectuelle...
La commission donne acte aux rapporteurs de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est levée à 15 h 45.