- Jeudi 25 juin
2015
- Composition de la commission
- Agriculture et pêche - Situation du secteur laitier : rapport d'information et proposition de résolution européenne de MM. Claude Haut et Michel Raison
- Économie, finances et fiscalité - La situation de la Grèce dans la zone euro : rapport d'information de M. Simon Sutour
Jeudi 25 juin 2015
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 30.
Composition de la commission
M. Jean Bizet, président. - Dans sa séance du lundi 22 juin, le Sénat a nommé M. Christophe-André Frassa membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-René Lecerf, démissionnaire de son mandat de sénateur. En notre nom à tous, je lui souhaite une cordiale bienvenue au sein de notre commission.
Agriculture et pêche - Situation du secteur laitier : rapport d'information et proposition de résolution européenne de MM. Claude Haut et Michel Raison
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen du rapport d'information de nos collègues Claude Haut et Michel Raison sur la situation du secteur laitier après les quotas.
Après avoir entendu la communication de nos deux collègues, nous examinerons la proposition de résolution européenne qu'ils ont préparée et qui vous a été adressée.
Je rappelle que ce secteur est confronté à la fin des quotas laitiers qui pendant trente ans en a fait le secteur le plus administré de l'agriculture européenne. Avec la fin de ce régime, le secteur a basculé dans le libre marché. La fin des quotas laitiers semblait aussi coïncider avec un retournement de conjoncture et une nouvelle baisse des prix. Une crise semblait probable, pareille à celle de 2009.
C'est donc un nouveau défi que doivent relever les éleveurs européens, singulièrement français. Il faut leur rendre hommage car ils exercent l'un des métiers les plus durs du monde agricole.
Claude Haut et Michel Raison ont réalisé un travail approfondi pour évaluer la situation et examiner les perspectives envisageables pour le secteur laitier.
M. Claude Haut. - Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, nous sommes deux co-rapporteurs. Mais à la différence de Michel Raison, je suis le néophyte. J'ai découvert le secteur, les éleveurs, les fermes avec un regard neuf.
Il m'a d'abord fallu comprendre la situation et les inquiétudes des éleveurs. Ce sont ces deux points que je vais évoquer avant de passer le relais.
Pendant plus de trente ans, le secteur laitier a été le plus administré de l'agriculture européenne et tous les leviers de l'action publique ont été mobilisés. Les quotas laitiers ont été la pièce maîtresse du dispositif de régulation de l'offre. Le 1er avril 2015, le régime a basculé dans le libre marché. Le secteur est passé du presque trop au presque rien.
Ce basculement a généré en France une certaine appréhension. La fin des quotas coïncidait avec un retournement de conjoncture. Une crise s'annonçait même, pareille à celle de 2009. « La crise ? Quelle crise ? » : le mot fait sourire nos partenaires. C'est juste un nouveau contexte pour les éleveurs européens et un défi à relever.
Ce furent trente années émaillées de disputes qui ont même duré jusqu'au dernier jour.
Je dois préciser que si la fin des quotas laitiers est perçue comme un changement radical, elle n'est, en réalité, sur le plan juridique, que l'application retardée du régime prévu en 1984 qui n'était que « provisoire », jusqu'en 1989. Ses reconductions successives l'ont fait passer pour un régime permanent. D'ailleurs, jusqu'au bout, de nombreux éleveurs ont cru que la réforme ne serait pas appliquée. Comme cela fut le cas, deux ans auparavant avec la réforme des droits de plantation, grâce à une mobilisation politique dans laquelle le Sénat a eu sa place. Cette fois, le retournement n'a pas eu lieu.
Il y a des divergences d'intérêt entre États, dont quelques-uns s'estimaient pénalisés par des quotas trop restrictifs. Il y a le clivage entre partisans d'une régulation du marché et ceux qui ne jurent que par la libre concurrence.
Le débat sur les quotas laitiers a également agité le monde politique français, chaque camp accusant l'autre d'avoir abandonné les éleveurs.
Quel est le bilan de ce dispositif ?
L'idée du contingentement visait à supprimer les surproductions. Il faut reconnaître que les quotas, qui n'ont jamais été très rigoureux, n'ont eu qu'un rôle mineur dans cette résorption. D'autres instruments ont été autrement plus efficaces pour réduire les volumes, qu'il s'agisse de la baisse des prix d'intervention et des restitutions ou du découplage des aides.
En revanche, les quotas se sont avérés très utiles pour assurer une production laitière équilibrée dans l'ensemble de l'Union européenne et dans l'ensemble des régions. Ils ont ainsi contribué aux politiques d'aménagement du territoire.
Si l'abandon des quotas est acté, il reste un regret. Les quotas furent l'emblème d'un choix équilibré entre la politique et l'économie, entre la productivité et l'aménagement du territoire, entre l'homme et le marché.
Le maintien des quotas était peut être possible avec quelques ajustements : une augmentation pour répondre à la demande mondiale, une nouvelle répartition entre États, des ajustements plus automatiques. Mais la force du courant abolitionniste était telle que cette option n'a guère été envisagée.
Telle est l'histoire de la fin des quotas laitiers.
Place au marché.
En France, ce passage suscite des appréhensions légitimes.
En premier lieu, le dispositif juridique censé assurer la transition de la fin des quotas laitiers n'a pas donné toute satisfaction.
La fin des quotas a été préparée en 2012 par un règlement connu sous le nom de « Paquet lait ». Ce règlement concerne le rôle des organisations de producteurs (OP) dans le secteur laitier et évoque les relations contractuelles entre les éleveurs et les transformateurs.
Les OP du secteur laitier présentent des singularités. Le coeur de la mission reste la négociation de contrats de livraison de lait, mais cette opération a deux spécificités : la négociation a lieu qu'il y ait ou non transfert de propriété. L'éleveur reste propriétaire et mandate un tiers pour négocier ses livraisons ; la négociation porte sur les prix et les volumes, ce qui est une dérogation exceptionnelle au droit commun de la concurrence.
De son côté, la contractualisation figure dans la loi de modernisation de l'agriculture de 2010. Elle fut présentée comme une sorte de relais qui permettait de maintenir un cadre dans les relations entre éleveurs et fabricants.
La plupart des intervenants dressent un bilan mitigé de ces dispositifs.
Les éleveurs sont très critiques sur les OP et la contractualisation.
L'idée courante est que les OP ne servent à rien. Que peut peser une OP de quelques centaines d'éleveurs face aux géants mondiaux de l'industrie laitière ? Le contrat ne peut qu'entériner les pratiques antérieures. Ce constat désabusé s'appuie aussi sur une certaine maladresse française. La logique aurait été de s'organiser en OP avant de négocier. C'est le contraire qu'a fait la France, en imposant des contrats, avant la mise en place des OP. Résultat : quand les OP ont été créées, il n'y avait plus rien à négocier. Les seules OP qui marchent sont les OP qui sont entre les mains des laiteries. « OP maison - OP bidon ? » s'interrogeait d'ailleurs notre président.
Les industriels ont eu aussi leurs raisons de se plaindre.
Il y a une critique sur la durée des contrats. Une douzaine de pays ont choisi la formule de contractualisation obligatoire, mais seule la France a choisi une durée de contractualisation de 5 ans alors qu'elle est de 6 mois ou d'un an dans les autres pays.
Il y a aussi une critique sur le prix. Les formules de prix sont applicables pendant trois ans. Pour éviter des renégociations périodiques, et pour tenir compte de la guerre des prix de la grande distribution, les industriels multiplient les clauses de sauvegarde qu'ils actionnent quand bon leur semble.
Ainsi, personne ne semble satisfait du dispositif mis en place. Ces critiques doivent être entendues mais aussi analysées avec circonspection.
Il y a bien sûr des raisons objectives à la lenteur de mise en place des OP, mais pour les observateurs, les oppositions aux OP sont aussi et surtout de nature politique.
Il y a d'abord une méfiance des coopératives. A priori, les coopératives ne sont pas concernées par les OP puisque leurs relations avec leurs adhérents relèvent du statut et non du contrat. Mais il n'y a pas d'étanchéité et les éleveurs pourraient être mobiles s'ils voient que les OP défendent mieux les prix que les coopératives. Comme ce fut le cas en Pologne, par exemple.
Mais il y aurait également de fortes réticences du côté syndical. Derrière un discours officiel favorable à ces regroupements, les structures syndicales peuvent être inquiètes d'une redistribution des rôles qui ne leur est pas favorable. Tandis que les syndicats auraient une action d'influence, les OP auraient la charge de signer les contrats. Pour le médiateur des contrats, je cite, « Il y a un combat d'arrière-garde, notamment par ceux, qui pétris de syndicalisme agricole, déplorent leur perte d'influence. L'OP a exproprié une partie de leur pouvoir et leur capacité à faire pression ».
Dans ce flot de critiques, il y eut pourtant quelques voix encourageantes.
D'abord parce que les OP se mettent en place progressivement. On compte 50 OP en avril 2015 qui couvrent 45 % du potentiel de la collecte privée concernée. Et puis, selon le médiateur des contrats, « les contrats et les OP ont apporté des progrès dans les relations entre éleveurs et fabricants. On est sorti de la confrontation syndicale. Aujourd'hui, les OP discutent avec les collecteurs. »
Ensuite, même si les industriels sont vigilants, les OP sont loin d'être « à la botte des industriels ». Le contentieux récent entre une OP et Lactalis, inimaginable en 2012, est même le signe d'un vrai pouvoir des OP.
En deuxième lieu, les hypothèses de marché sont peut-être optimistes.
La croissance du marché mondial semble acquise, de l'ordre de 2 % par an, et l'Union européenne peut y prendre sa place. Pourtant, certains tempèrent cet enthousiasme, en évoquant de possibles déconvenues.
Il y a d'abord des doutes sur les prix. Plus de volume, certes, mais à des prix plus faibles. Autrement dit : « travailler plus, pour gagner moins ». Et puis, la volatilité des prix, indissociable du marché mondial, est perçue très négativement par les éleveurs. L'éleveur admet parfaitement que son prix dépende de la pluie et du beau temps ; il ne peut comprendre qu'il dépende aussi des nurseries de Shanghai !
Il faut cependant noter que la volatilité des prix n'entame en rien la confiance des grands États laitiers dans les vertus du libre marché. Les pays les plus engagés dans la libéralisation du marché sont aussi les pays où la volatilité des prix est la plus forte. C'est le risque du marché, parfaitement assumé par les intéressés et qui, à aucun moment, ne les ferait regretter leur choix.
Il y a aussi des déconvenues possibles sur les perspectives de marché.
La sensibilité des échanges aux parités monétaires est cruciale. Un incident sanitaire peut casser une dynamique. De même, un écart minime sur la croissance du marché asiatique a un impact immédiat sur les importations de ces pays. Gare aussi aux nouvelles concurrences. Les États-Unis sont une très grande puissance laitière, une sorte de « géant endormi » qui pourrait perturber les prévisions.
Enfin, à trop se focaliser sur le marché extérieur on a tendance à oublier l'importance du marché intérieur.
Les belles performances françaises à l'exportation ne parviennent pas à faire disparaître une certaine inquiétude. La tradition française a orienté le marché vers les produits à haute valeur ajoutée, mais aujourd'hui, c'est sur la poudre qu'il faut aller. Les perspectives pour le fromage sont excellentes, mais c'est le fromage ingrédient qui s'exporte et pas nos fromages de tradition. Les Français sont globalement assez inquiets.
La troisième crainte porte sur la recomposition du paysage laitier européen.
La libéralisation du marché va amplifier ces évolutions, en cours depuis plusieurs années. Certains pays ont affiché clairement des ambitions laitières. Le cas le plus emblématique est l'Allemagne, leader laitier européen et qui entend bien le rester. Notre mission nous a conduits en Basse-Saxe. Les laiteries disent « produisez tout ce que vous pouvez, on prend tout ».
L'Allemagne n'est pas un modèle pour la France, mais, elle a une ambition, une stratégie qui la fait peser en Europe. C'est cette leçon qu'il faut garder en mémoire.
L'Allemagne n'est pas seule à avoir des ambitions. La filière laitière hollandaise est la plus compétitive en Europe. De même, l'Irlande veut devenir la Nouvelle-Zélande de l'Europe, c'est-à-dire un pays avec un potentiel de production tournée vers l'export.
À l'inverse, certains pays pourraient avoir de grandes difficultés à trouver leur place dans le nouveau paysage laitier européen (Portugal, Espagne, Roumanie par exemple).
Beaucoup d'éleveurs et de laiteries se sentent libérés par la fin des quotas et se fixent des objectifs. Quel contraste avec la France ! Les Français ne semblent pas être dans une stratégie de développement, encore moins dans une posture de conquête. Il y a à la fois un manque d'anticipation et une grande prudence. La France a le potentiel laitier. Mais le potentiel ne suffit pas. Demain, on sera à 30 milliards de litres ou à 15 milliards ? Tout est ouvert.
Cette recomposition s'accompagne d'une redistribution régionale. La production laitière est répartie sur le territoire. Les quotas ont eu leur rôle dans cette situation. C'est à partir de 2007 que sont apparues des dynamiques laitières bien différenciées, avec ce qu'on appelle « le croissant laitier ». La fin des quotas fait craindre cet équilibre territorial. D'ailleurs, pour les opérateurs sur le terrain, l'affaire est entendue.
La clef est l'ambiance laitière et en particulier la fréquence des collectes. Quand la densité des fermes diminue, la collecte faiblit, et l'engrenage est fatal. Les industriels n'ont aucune intention de fermer les outils industriels. Mais ils n'investiront pas. Ainsi, la recomposition du paysage laitier semble inéluctable, mais elle a changé de nature. Jusqu'à présent, l'éleveur avait une part de choix. Désormais, la concentration relève davantage de la contrainte.
Une telle recomposition pose de sérieuses difficultés. Maintenir des zones de collecte suppose de gros investissements. Mais transférer des troupeaux vers des zones en dynamique suppose autant d'investissements. 40.000 exploitations pourraient gérer en 2020 le même nombre de vaches laitières que 75 000 en 2013. Mais cela suppose 800 millions d'euros par an.
En deuxième lieu, le positionnement officiel laisse toujours planer l'ambiguïté. A-t-on une stratégie laitière ? C'est sur cette question que je cède la parole à mon collègue Michel Raison.
M. Michel Raison. - Je remercie le président de m'avoir confié cette mission. Il me revient d'aborder les perspectives, que j'orienterai sur quatre axes.
La question générale qui se pose est : « est-ce que la France veut rester un grand pays laitier exportateur ou un pays autosuffisant ? »
Le premier impératif est de définir une stratégie
Où en est-on ? À la demande du ministre, France Agrimer, a publié en juin 2014, un document intitulé « Stratégies de filières». Pour la filière laitière, rien ne manque : l'aménagement de territoires, le maintien des laiteries partout en France, les marges des entreprises, les revenus des producteurs, la performance économique, la performance écologique, l'exportation, l'innovation, les relations contractuelles, la volatilité des prix et du marché... Il ne manque plus que le paysage et la lutte contre le changement climatique pour que le catalogue soit complet. Il y a presque tout. Autrement dit, il n'y a presque rien.
On touche là un problème de fond. Une stratégie suppose un cap, un objectif clair. Il y a des pays qui en ont. On les connait. Mais force est de reconnaître que la stratégie française, pour le moment, tient plus du catalogue que du cap.
Même devant les perspectives du marché mondial, beaucoup d'éleveurs vont arrêter leur exploitation. Ce que la démographie ne fera pas, la concurrence l'imposera, Les dynamiques laitières vont s'accélérer. Les contrastes vont se creuser. Certaines zones peuvent se retrouver en déprise laitière et dans un engrenage fatal. Il est tout à fait certain qu'il y aura des restructurations. Il me semble qu'il faut accompagner ces mouvements et non pas nier la réalité.
Il paraît nécessaire de bien séparer les deux notions : la stratégie économique et l'objectif politique d'aménagement du territoire. A l'État de définir un cap, une stratégie de compétitivité pour la filière, élaborée avec la profession laitière, orientée vers les marchés. Aux régions, aidées par l'Union européenne, d'avoir un objectif de localisation, d'équilibre, pour aider les zones les plus fragiles. Ce travail stratégique reste à mener. Les régions ont une expérience dans ce domaine.
Après avoir défini une stratégie, il faut l'accompagner. C'est le deuxième axe.
Il faut avant tout redonner confiance et lutter contre ce mal français : le pessimisme. Ce qui frappe le plus dans ces quelques mois de préparation, c'est en effet ce pessimisme ambiant, la crainte des concurrences, l'impression d'une inadaptation, et, plus que tout, le sentiment diffus de ne pas savoir où aller. Une situation invraisemblable aux yeux de nos compétiteurs qui mettent en avant les formidables atouts français.
Il y a des atouts objectifs: la France a tous les climats, elle a de l'eau, et un prix du foncier accessible. Mais surtout l'agriculture française a une notoriété mondiale, une réputation fondée sur des productions d'excellence.
Ce sont ces atouts qu'elle doit valoriser, un peu comme une marque.
Les perspectives du marché mondial sont, pour le moment, sur la poudre de lait et les fromages ingrédients. Soit. La France a les capacités de répondre si les dynamiques laitières vont jusqu'au bout. Mais sur ce terrain, la France sera en concurrence avec le monde entier.
Et puis, il y a aussi des créneaux de qualité, de typicité, et, sur ce terrain, la France reste encore la meilleure même si les pays étrangers peuvent nous rattraper. Si vous me pardonnez cette comparaison, dans la guerre commerciale dans le secteur laitier, les AOP sont les « forces spéciales » de l'industrie française.
Raison de plus pour veiller à les protéger.
L'enjeu du moment est le TTIP qui intéresse très directement la filière laitière française, avec deux volets : la négociation sur les droits de douane et les pics tarifaires, et les indications géographiques (IG). Aux États-Unis, c'est l'industrie laitière qui est la plus hostile aux IG européennes. Elle refuse d'être freinée par un système qui l'empêcherait de fabriquer du Munster ou de la Fourme.
C'est un sujet extrêmement sensible. Rien n'est joué, même en France. On peut même imaginer qu'il peut y avoir des tensions entre fabricants de lactosérum, très intéressés par supprimer des droits de douane américains de 112 % et les fabricants de Munster précités.
La France n'est pas seule à défendre ses indications géographiques. Une initiative politique franco-italienne pourrait avoir du sens pour appeler les gouvernements et la Commission à une grande vigilance et à mener le combat en permanence.
Troisième accompagnement : la formation.
La fin des quotas laitiers fait entrer les éleveurs dans un monde de turbulences. D'autres agriculteurs ont connu cette transition. Les céréaliers, les producteurs de porcs connaissent depuis longtemps ces variations de prix. C'est aujourd'hui le tour des éleveurs.
Il y a un besoin criant de formation à la gestion et à la volatilité des prix. Ce doit être une priorité de l'enseignement professionnel et de la formation permanente. Ce type de formation intéresserait tous les agriculteurs, contrairement à d'autres formations plus ciblées qui n'intéressent qu'une minorité d'exploitants.
À qui incombe cette formation ? Les pouvoirs publics ont leur rôle mais les structures professionnelles, notamment les chambres d'agriculture, ont aussi une mission.
Quatrième accompagnement : innover.
Il n'y aura pas de succès sans innovation comme dans les autres domaines économiques.
Ce peut être l'innovation dans les techniques. Il faut accepter la modernité. Une partie de la société a une vision misérabiliste de l'éleveur ! Non, il faut des robots, des caméras de surveillance, des outils d'analyse des troupeaux. C'est aussi les nouvelles technologies qui attirent les jeunes.
Ce peut être l'innovation dans les productions comme en témoigne le succès, inimaginable il y a quelques années, du lactosérum qui rentre dans la fabrication d'aliments pour nourrissons.
Ce peut être l'innovation dans les marchés. Avec des productions de niche qui répondent aux envies du consommateur. Je pense au bio, bien sûr, mais aussi à la carte de la proximité, ainsi qu'à de nouveaux fromages adaptés aux consommateurs asiatiques. Il faudra aussi que l'État fasse preuve d'innovation dans l'organisation juridique et fiscale du secteur.
Le troisième axe est d'ajuster le cadre de régulation.
A priori, il peut sembler provocateur d'imaginer un cadre de régulation alors que les États ont mis trente ans à s'en débarrasser. Néanmoins, un renouveau est possible et indispensable.
Il y a une mobilisation sur le sujet visant à maîtriser les volumes, en cas d'alerte sur les marchés. Je pense à la proposition Dantin et son système du bonus/malus, ou au corridor de prix d'European Milk Board. Mais le signal le plus important vient de la Commission elle-même que je cite : « Des doutes subsistent sur la capacité du cadre réglementaire de l'Union européenne à faire face à des épisodes d'extrême volatilité des marchés ou à une situation de crise ». Ce n'est pas un syndicaliste contestataire ou un éleveur exaspéré qui le dit, c'est la Commission !
Il faut profiter de cet état d'esprit pour réfléchir, proposer. Pourquoi ne pas réunir à nouveau un groupe de Haut niveau, qui serait chargé de suggérer des modalités de régulation du secteur laitier en cas d'alerte, de prévenir les crises et les endiguer ?
Quelles sont les mesures à envisager ?
La première est une mesure symbolique : faire cesser l'humiliation du prix d'intervention. Ce prix correspond à un prix du lait de 220 euros les 1 000 litres. Un prix de casse en baisse de 50% en euros constants depuis 2000.
Deuxième mesure : renforcer les OP. La question qui agite la profession est celle des OP territoriales. Inutile de dire que cette perspective n'enthousiasme guère les industriels qui préfèrent contractualiser avec « leur » OP ou avec des OP modestes qu'avec de grandes OP de bassin. Mais la FNIL regrette surtout la position agressive de ceux qui prônent cette idée. Il faut donner envie de travailler ensemble et faire changer cette culture de conflit.
Une évolution est possible. Pour la Commission, l'enjeu dépasse les relations entre éleveurs et fabricants. Je la cite à nouveau : « La France est engluée dans un système construit sur la confrontation. Si on arrivait à sortir de ce carcan et à faire vivre ce système de négociation, ce serait un pas considérable ». Avancer ensemble, c'est sans doute l'une des clefs de la réussite de la filière pour les prochaines années.
Troisième mesure : préparer de nouveaux contrats.
La première vague des contrats signés en 2011 arrivera à échéance en 2016. De part et d'autre, on espère une évolution. Que demandent les éleveurs ? La prise en compte de leurs charges. Que demandent les industriels ? La prise en compte de leurs contraintes de marché face à la grande distribution.
Nous pensons que ce pas l'un vers l'autre est possible. Danone serait en train de discuter un nouveau modèle contractuel qui inclurait la prise en compte des coûts de production. Ainsi, ce qu'European Milk Board revendique depuis des années, est en train d'être discuté par le premier fabricant mondial ! Bongrain imagine lui aussi une évolution de son modèle contractuel avec une sorte de système de bonus/malus.
Bien sûr, le rôle écrasant de la grande distribution dans la fixation des prix a été évoqué par tous. La distribution essaye toujours de payer moins cher que son voisin. Ainsi, de fait, une majoration du prix du lait ne peut être décidée que collectivement. Avec une menace d'entente à la clef même s'il s'agit d'une entente pour augmenter le prix de vente. Il serait navrant qu'une telle initiative soit condamnée par l'Autorité de la concurrence.
Quatrième mesure : utiliser pleinement les aides de la PAC.
Sur le premier pilier, une aide laitière couplée aux vaches laitières est à nouveau possible. C'est un signal très positif pour la filière.
La conditionnalité des aides est souvent discutée. Même si c'est en quelque sorte le prix à payer pour garder un budget. La règle du bien-être animal suscite une vive irritation des éleveurs français. Les éleveurs allemands admettent mieux ces « contraintes sociétales » qu'ils anticipent souvent mieux que nous. La prise en compte du bien-être animal aurait même été initiée par le syndicat agricole lui-même pour éviter des mesures obligatoires !
Enfin, la France a fait le choix de régionaliser le 2ème pilier. Les régions disposent aujourd'hui des outils juridiques et d'un potentiel budgétaire pour accompagner l'élevage laitier. C'est une ouverture majeure pour la filière.
Le quatrième et dernier axe, qui est aussi le plus discuté, concerne les très grandes fermes. Mon choix est clair : il faut oser l'expérimentation des très grandes fermes.
Il y a une évolution naturelle vers l'augmentation des tailles des troupeaux Mais le sujet des très grandes fermes est La polémique du moment. Nous y sommes allés. Bien qu'il existe, en Europe, beaucoup de fermes de grande capacité, le projet de ferme dite des 1 000 vaches dans la Somme a suscité de très nombreuses oppositions.
Comment expliquer cette crispation sur la ferme française ?
Il y a eu, d'abord, le choc de la nouveauté. Il existe, par exemple, de très grandes fermes au nord et à l'est de l'Allemagne mais elles ont été constituées soit par héritage de l'ex-RDA, soit par agrandissements successifs. Ainsi, la ferme des 1000 vaches que nous avons visitée en Basse-Saxe se compose en réalité de trois bâtiments qui ne donnent ainsi aucune impression de gigantisme. Au contraire de l'expérience française qui s'est construite d'un seul coup.
Ensuite, la construction s'est déroulée à un moment de basculement de l'opinion. La ferme est devenue le symbole du libéralisme outrancier. Le monde agricole est lui aussi assez réservé sur la question mais pour une toute autre raison. Les agriculteurs craignent que l'activité d'élevage ne leur échappe pour des raisons financières car un tel projet ne peut se développer sans capitaux extérieurs. L'agriculture serait-elle le seul secteur de production qui n'a pas besoin de capitaux extérieurs ? D'ailleurs, cet apport n'est pas nouveau. Autrefois, c'était le cas du fermage puisque l'exploitant ne détenait pas la terre, aujourd'hui près de la moitié des terres agricoles n'appartiennent pas à l'exploitant. Il faut, là encore, accompagner cette évolution plutôt que la refuser.
L'idée part d'un calcul économique. Le prix du lait est exogène. Il faut travailler sur les coûts de production. Où se trouvent les économies ? Pour le directeur de la ferme, ce n'est ni dans les surfaces, ni dans les équipements, ni dans l'alimentation, ni dans l'emploi. Il n'y a pas de réduction du nombre d'unités de travailleurs. Mais il y a des économies potentielles sur les frais de collecte sans compter des économies de détail dans la reproduction.
Pourquoi défendre cette expérience ?
D'abord, il y a une certaine naïveté à idéaliser les petites fermes. Il y a beaucoup de fermes, surtout en Allemagne et en Italie, dans lesquelles les vaches ne vont pas au pré et sont en étable à l'anneau, sans bouger, alors que les animaux de la grande ferme sont sous hangar ouvert avec une circulation d'air.
Il me semble que beaucoup des contestations sont à relativiser. Y compris sur le plan environnemental. Je renvoie au rapport écrit.
Ce ne sont que des détails car le fondement de ma position est ailleurs. Je suis favorable à cette expérience pour des raisons d'aménagement du territoire, pour des raisons économiques et pour des raisons sociales.
Les quotas laitiers ont eu une mission d'aménagement du territoire. La fin des quotas laitiers fragilise cette situation. Les exploitations ferment et un engrenage fatal se met en place.
Ce type de projet est un moyen de maintenir une activité laitière dans une région en déprise laitière. Cette action va bien au-delà du seul effet de masse d'une collecte en un seul lieu. Il existe toujours des vétérinaires qui connaissent les bovins. Il existe toujours des sociétés qui proposent de l'alimentation animale. La grande ferme permet de maintenir une masse critique.
Cet exemple peut être utile aux régions qui risquent de perdre leur production laitière. La grande ferme est un élément de force pour l'aménagement du territoire, au contraire de tout ce qui se dit !
La formule est adaptée à la région et serait inadaptée à d'autres. Ce serait une aberration en Bretagne ou en Normandie, parce qu'il existe une ambiance qu'il ne faut pas briser. En revanche, dans la Somme, le projet semble trouver sa place. C'est même une expérience cruciale pour d'autres régions confrontées au risque de déprise laitière.
La France doit oser cette expérimentation.
Il ne faut pas opposer les productions - le bio ou le conventionnel - ni les modes de production - les petites et les grandes fermes. Il y a la place pour tout le monde et pour toutes les productions. C'est cette richesse qu'il faut valoriser.
M. Jean Bizet, président. - La question cruciale posée par le rapporteur est : « La France sera-t-elle encore un grand pays laitier ou veut-elle simplement gérer les acquis ? » Je retiens aussi les enjeux du TTIP qui concernent à la fois les indications géographiques mais qui révèlent surtout les ambitions de notre partenaire américain. Ce que vous avez appelé le « géant américain endormi ».
M. Jean-Paul Emorine. - Attention de ne pas se faire trop d'illusions. Certes, la France peut être un grand pays laitier mais je rappelle que l'espace agricole français ne représente que 1 % de l'espace agricole mondial. Vous avez parlé de la restructuration. La diminution du nombre d'exploitations est très ancienne et va certainement se poursuivre. Vous indiquez le chiffre de 40 000 exploitants dans 10 ans mais la question qui se pose est : « Est-ce que ces 40 000 exploitants vont gagner leur vie ? » Il y a la question du prix, bien sûr, mais aussi la question de la pression de la grande distribution et des coûts d'exploitation. Il faut aller vers la sécurisation des revenus des agriculteurs. La concentration de la production laitière en Bretagne et en Normandie est possible. Les régions avec des AOP sont également protégées. Mais quid des régions intermédiaires ? La ferme des 1 000 vaches a un effet détonateur. Déjà le seuil de 400 ou 500 vaches révélait la nature industrielle de certains élevages. La ferme de très grande capacité est perçue comme déstabilisante pour les régions intermédiaires.
M. André Gattolin. -Notre ordre du jour est chargé. Nous devons traiter des dossiers importants dans un délai qui est limité.
Concernant le rapport sur le secteur laitier, je déplore la quasi-absence de l'évocation du bio. C'est un outil de valorisation des produits et de stabilisation des revenus. Or, il n'y a quasiment rien dans le rapport. Mais mes remarques portent surtout sur la partie concernant les très grandes fermes.
Le rapport cite des oppositions jugées irrationnelles. Cette critique n'a pas de sens. Ce sont des positions qui ne sont en rien irrationnelles. Vous citez Brigitte Bardot comme pour dévaloriser la position de ceux qui contestent ce projet. Il faut prendre en compte tous les points de vue. Je suis d'accord pour écouter les promoteurs de la ferme des 1 000 vaches comme vous l'avez fait abondamment, mais il faut écouter tout le monde et ne pas se contenter d'une formule ambiguë telle que « oser l'expérimentation des grandes fermes ».
M. Michel Billout. - Il n'est en effet pas possible de traiter des sujets aussi importants en deux heures.
Je regrette que dans la proposition de résolution européenne, on ne trouve aucun élément qui permette de préserver un mode de production diversifié. Certes, la conclusion du rapporteur est de prôner la cohabitation de tous les modes de production, mais c'est une phrase « bateau », un peu naïve. Il y a deux parties dans ce rapport : une partie très documentée et très équilibrée sur la fin des quotas laitiers et les inquiétudes des éleveurs, et une deuxième partie où le rapporteur « se lâche » sur la ferme des 1 000 vaches en exposant les points de vue de façon très caricaturale, en développant l'argumentaire du directeur de la ferme sans donner la parole aux opposants. On oublie de dire que ce type de ferme favorise la financiarisation de l'économie agricole. Ce n'est pas du tout une évolution choisie par les agriculteurs. Si on laisse se développer ce modèle, demain il y aura des régions où il n'y aura plus du tout de lait. En revanche, j'adhère complètement à l'analyse du rapporteur sur l'importance de la négociation commerciale sur les indications géographiques.
M. Simon Sutour. - Je confirme qu'avec cette organisation des travaux, le Sénat ne peut pas remplir son rôle. Le 22 juillet prochain, le président du Sénat s'est engagé à rencontrer le bureau de la commission des affaires européennes. Nous devrons lui exprimer nos réserves sur nos conditions de travail. Notre commission a un rôle très important sur la législation européenne et il nous faut garder une possibilité de travailler sérieusement.
Sur le lait, c'est un rapport très complet, un rapport de référence qui méritait un long exposé mais qui mérite aussi un long débat. Je ne suis pas spécialiste de ce secteur mais le modèle des 1 000 vaches ne me plaît pas. Il y a d'ailleurs beaucoup de rapport entre l'évolution du secteur laitier et l'évolution du secteur viticole avec l'arrivée des capitaux extérieurs et des vins de cépage orientés vers un produit standardisé.
M. Richard Yung. - Je sais toute l'importance des appellations d'origine. C'est une des très grandes forces de la France. Nous avons un niveau d'excellence, reconnu dans le monde entier, qui doit être absolument préservé. Je retiens aussi de l'exposé l'idée que les gens d'une même filière n'arrivent pas à parler ensemble, que nous restons dans la culture de l'affrontement. La grande force de l'Allemagne n'est pas dans les grandes fermes de 1 000 vaches mais bien dans cette capacité à débattre et à avancer ensemble.
M. Claude Haut. - Mon avantage était d'être totalement extérieur au secteur laitier et d'avoir un regard neutre. C'est pourquoi j'ai pensé que ce choix de l'expérimentation était possible. Ce n'était pas pour les multiplier mais pour voir comment ça marche, quitte à dresser un bilan économique et écologique après deux ou trois ans.
M. André Gattolin. - Mais la tonalité du rapport est très différente. On sent qu'il y a un parti pris.
M. Claude Haut. - L'expérimentation a pourtant un sens. Il faudra mesurer les résultats à la fin.
M. Michel Raison. - J'étais bien conscient que la Ferme des 1 000 vaches allait être un sujet de débat. C'est pourquoi nous avons choisi d'y aller pour voir effectivement ce qui se passait, pour voir les conditions d'élevage, pour y rencontrer le directeur et les éleveurs. Ce sont eux qui ont utilisé le mot « irrationnel ». Que disaient-ils exactement ? « Le lait de la grande ferme n'est pas ramassé parce que ce ne serait pas le même lait que les autres. » C'est ça qui est irrationnel. Ce sont les mêmes vaches, avec la même alimentation qui produisent le même lait. Cette opposition est irrationnelle. De même, casser 300 000 euros de matériel est irrationnel.
Je souhaite insister surtout sur le lien entre la grande ferme et les zones de déprise laitière. La grande ferme ne provoque pas la déprise mais, au contraire, est un moyen d'y faire face. Son implantation dans la Somme est une implantation dans une zone extrêmement fragile sur le plan laitier. C'est un moyen de maintenir une ambiance laitière dans une région où les fermes sont peu nombreuses et vont probablement se réduire encore. C'est un moyen de maintenir l'activité laitière.
Concernant les appellations d'origine, il y a une unanimité sur ce point. C'est évidemment notre cheval de bataille. Dans mon rapport, j'évoque une publicité sur une automobile qui se conclut par « C'est une Allemande ». En fait, cette voiture n'est pas meilleure qu'une voiture française mais elle a une image de qualité. Nous avons cette image-là dans le domaine laitier, avec une tradition laitière, des appellations protégées et des investissements en haute technologie. C'est cette image qu'il faut préserver et utiliser.
Attention toutefois à ne pas se leurrer. L'appellation d'origine n'est pas à elle seule une garantie de valorisation. Il y a des valorisations très fortes sur le Comté et le Beaufort par exemple, mais c'est beaucoup moins vrai sur le Cantal où, malgré l'AOC, le prix du lait est médiocre.
M. Jean Bizet, président. - Vous insistez aussi, avec raison, sur le deuxième pilier. En France, on ne sait pas utiliser le deuxième pilier et j'espère que la régionalisation améliorera les choses. Il est vrai que l'articulation entre contractualisation et organisation professionnelle n'a pas été très adaptée. Nous avons fait les contrats avant les OP, mais de nouvelles générations sont en préparation. Même s'il y a des réticences de la part des industriels, je crois aux OP territoriales de bassin. Il y a quelques années, le partage de la valeur ajoutée dans la filière agricole était d'un tiers pour le producteur, un tiers pour le fabricant, un tiers pour le distributeur. Aujourd'hui, la distribution capte la moitié de la valeur ajoutée. Il est impératif de rétablir un meilleur équilibre et les OP territoriales peuvent être un outil.
M. Michel Raison. - Vous faites bien de rappeler le rôle crucial de la grande distribution. Sous prétexte de défendre le consommateur, elle écrase les producteurs et les fabricants. Les négociations sont irréalistes, la grande distribution ne respecte pas les contrats ou prévoit des pénalités énormes. C'est un sujet bien connu. J'ajoute que pour la Commission européenne, nous avons exporté ce modèle partout en Europe et que ces difficultés franco-françaises sont maintenant des difficultés dans l'Union européenne.
M. Michel Billout. - J'adhère à la proposition de résolution européenne mais les sénateurs de mon groupe ne peuvent souscrire au rapport. Le passage sur la ferme des 1 000 vaches ne me convient pas.
M. André Gattolin. - Je suis sur la même position avec en outre une réserve sur la formulation du point 25 de la proposition de résolution européenne qui semble laisser aux seules régions le soin d'aider les secteurs en difficulté, comme s'il ne s'agissait pas d'un objectif national.
M. Jean Bizet, président. - Nous allons vous proposer une modification qui atténue ce clivage entre stratégie nationale et équilibre territorial.
Le rapport met bien en lumière que nous sommes à la veille d'une grande redistribution, qu'il ne faut pas se leurrer. Il y a des dynamiques laitières et des régions en déprise. Pour être encore plus clair, il y aura un jour des régions sans lait. Il y a un passage du rapport qui le dit clairement, les industriels ont annoncé qu'ils ne fermeront aucune usine mais qu'ils n'investiront pas. C'est la mort lente mais quasi-certaine pour ces régions.
Concernant la sécurisation des revenus des agriculteurs, qui est une demande de M. Emorine, il faut faire une analyse de notre modèle de politique agricole. La politique agricole commune (PAC) européenne et le Farm bill américain sont deux modèles opposés. L'un assure des primes, l'autre assure des revenus. La dernière réforme de la PAC de 2013 prévoit une clause de révision en 2016 qui est une clause financière. Ce sera le moment de poser les jalons d'une vraie réforme de la PAC.
La négociation du TTIP sera très importante pour les agriculteurs. Au-delà des appellations d'origine, il y a en effet une offensive américaine sur le terrain agricole. Il faut penser à une coopération avec l'Italie sur les signes de qualité.
Hélas, je pense que la financiarisation de l'agriculture est en marche. Les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ont longtemps refusé l'apport de capitaux extérieurs mais les demandes se multiplient aujourd'hui. Le prix du foncier pourrait évoluer. Le rapport cite un prix du foncier de 60 000 euros l'hectare en Allemagne. C'est évidemment encore impensable en France. C'est aussi le résultat d'une politique allemande qui a équilibré l'activité agricole avec l'activité énergétique. Produire pour l'énergie est choquant. Le rapport cite le chiffre hallucinant de 400 000 hectares en Basse-Saxe consacrés aux cultures dédiées à la méthanisation. La France a eu raison de ne pas aller trop vite, et quand la France se lance dans la méthanisation, c'est plutôt à partir d'effluents d'élevages.
Je confirme que ma visite de la Ferme des 1 000 vaches m'a impressionné et rassuré. Je pense que la formule de l'expérimentation est la plus opportune.
À l'issue de ce débat, la commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne.
L'autorisation de publier le rapport d'information accompagnant la proposition de résolution est accordée.
Économie, finances et fiscalité - La situation de la Grèce dans la zone euro : rapport d'information de M. Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant examiner le rapport de Simon Sutour sur les relations entre la Grèce et l'Union européenne.
La situation de la Grèce nous préoccupe depuis quelques temps déjà. Ce pays constitue un point de fragilité très grande dans la zone euro, en raison des dettes accumulées et de la difficulté à mettre en oeuvre les réformes indispensables.
Des signes positifs commençaient à apparaître avant l'arrivée d'une nouvelle majorité qui a entendu mettre un terme aux mesures d'austérité.
On ne peut ignorer les difficultés que la population grecque a dû affronter. Mais on doit aussi bien mesurer que l'enjeu de la dette grecque concerne directement les autres États membres, principalement les contribuables français et allemands. Au-delà, on ne peut concevoir une zone monétaire sans le respect d'une discipline commune.
La sortie de la Grèce de la zone euro ne peut être souhaitée. Elle aurait des conséquences dramatiques pour ce pays. Elle affecterait aussi gravement la crédibilité de la zone euro.
Mais le soutien de la Grèce ne peut être maintenu que sous réserve qu'elle engage des réformes indispensables. C'est tout l'enjeu des discussions qui se prolongent depuis cinq mois maintenant, sans succès.
Notre collègue connaît bien la Grèce dont il a présidé le groupe interparlementaire d'amitié. Il s'est rendu sur place où il a pu mener des entretiens très éclairants.
Je lui donne donc la parole pour qu'il nous fasse part de ses analyses.
M. Simon Sutour. - Je me suis rendu à Athènes du 8 au 12 juin derniers afin de faire un point sur les relations entre la Grèce et la zone euro, particulièrement délicates ces derniers mois. J'ai souhaité, au cours de ce déplacement, rencontrer des membres du gouvernement et de l'opposition, des représentants du monde économique et des acteurs de la société civile. J'étais parti, je dois l'avouer, avec l'idée de remettre en perspective les critiques qui visent ici et là ce pays. Vous connaissez mon attachement pour la Grèce. Je dois reconnaître que ma perception a quelque peu évolué à l'issue de cette mission. Le rapport que je vous présente aujourd'hui est le fruit de cette analyse.
Les négociations entre la Grèce et ses créanciers se sont enfin accélérées ces derniers jours. J'insiste sur le mot enfin tant cette succession de réunions et de sommets à tous niveaux organisés depuis cinq mois n'avait pour l'heure débouché sur aucun résultat tangible. Les seuls éléments concrets tenaient au montant de l'aide octroyée à la Grèce depuis 2010. Ce montant est de 240 milliards d'euros. Il ne reflète pas d'ailleurs les restructurations de la dette opérées en 2012 et que je détaille dans le rapport. L'exposition de la France à l'égard de la dette grecque est d'ailleurs de 55 milliards d'euros au moins, soit plus de 800 euros par Français. Précisons qu'il s'agit essentiellement de dette publique, puisque la dette privée a été largement restructurée en 2012. Autre chiffre concret, celui du montant des dépôts bancaires, qui ne cesse de décroître depuis la fin de l'année 2014. Une quarantaine de milliards ont ainsi été retirés, soit 25 % des dépôts. Somme qu'il convient de rapprocher de l'aide aux banques octroyée par la BCE depuis : 87 milliards d'euros. Je pourrais également ajouter à cette liste la disparition de l'excédent primaire que le pays avait commencé à dégager depuis 2013 et celle de la croissance attendue pour 2015 ou les chiffres du chômage, un quart de la population active, plus de la moitié des 15-24 ans. Le chômage des jeunes ne décroît d'ailleurs qu'en raison du départ à l'étranger de cette catégorie d'âge. 34 000 jeunes ont ainsi rejoint l'Australie et le Canada en 2014.
A égrainer ces constats, on peut s'interroger sur l'efficacité de l'aide européenne et de cette solidarité sans faille jusqu'alors. Mon constat sera moins sévère pour les bailleurs de fonds, dont je ne mésestime pas pour autant certaines erreurs d'appréciation, que pour les autorités grecques. J'emploie à dessein le mot autorités. Il ne s'agit pas pour moi de viser uniquement le gouvernement en place. Celui-ci s'inscrit malheureusement dans la continuité du gouvernement précédent qui s'est décidé à ne plus agir après les élections européennes de mai 2014, de peur de froisser un électorat de plus en plus séduit par le discours anti-mémorandum de Syriza.
Mon déplacement m'a confirmé que la dynamique vertueuse dans laquelle semblait se placer le pays au début de l'année dernière était rompue depuis. La Grèce semble aujourd'hui un pays plus que jamais sans stratégie pour son avenir, incapable de dresser les contours d'un modèle de croissance viable. On aurait pu croire qu'avec l'arrivée d'une nouvelle majorité, moins usée par l'exercice du pouvoir que le PASOK ou Nouvelle démocratie, de vraies réformes de fond seraient lancées. Rien ne semble bouger et même la Task force pour la Grèce mise en place par la Commission européenne pour aider à la mise en place de ces réformes présente un bilan modeste. Ces réformes auraient pourtant permis au pays de rompre avec les pratiques clientélistes qui le minent. Il s'agissait pourtant de l'une des revendications des électeurs de Syriza. Il aurait pu se doter de structures administratives dépolitisées, utiles pour affronter le problème crucial de la fiscalité. Cinq mois plus tard, rien de tout cela n'a été entrepris. Les armateurs et l'Église orthodoxe, qui ne sont pas les électeurs traditionnels de la gauche radicale grecque, sont toujours exonérés d'impôts. L'argument de la délocalisation semble freiner toute mesure visant les armateurs et l'Église orthodoxe bénéficie d'une certaine bienveillance compte tenu à la fois de son rôle dans l'histoire du pays et de l'action en faveur des plus démunis qu'elle assume. Les professions libérales ou les petites entreprises unipersonnelles semblent s'affranchir de l'impôt. Pire, les réformes structurelles lancées pour moderniser la fonction publique ou lever l'impôt foncier ont été suspendues. L'essentiel des efforts continue à être porté par les salariés, dont un nombre négligeable ont vu leur rémunération amputées de près de 50 % ou souffre de retards de paiements, ou par les fonctionnaires dont le nombre est passé de 900 000 à 600 000 en trois ans.
Le gouvernement s'est focalisé sur le versement d'une dernière tranche de l'aide internationale dont il ne voulait pas initialement, essayant de récupérer, en attendant, les liquidités disponibles de toutes les structures publiques ou parapubliques. Ne payant plus, il faut insister sur ce point, ses fournisseurs ou ne remboursant plus les tiers payant.
Cette contradiction reflète le mandat paradoxal qui lui a été donné par les électeurs : maintenir le pays dans la zone euro et mieux équilibrer l'ajustement budgétaire demandé pour cela. Cette double orientation nécessitait du pragmatisme. Force est de constater que le gouvernement a en premier lieu choisi une vision idéologique de la situation, méfiant à l'égard de ses partenaires européens ou de son administration. Maintenir l'unité de Syriza, qui est, comme vous le savez, composée d'anciens du Pasok, d'altermondialistes, de communistes et de maoïstes, a pu également apparaître comme une priorité pour une équipe qui, ne le mésestimons pas non plus, manque singulièrement d'expérience. Préserver la coalition gouvernementale qui unit Syriza et ANEL, un petit parti populiste de droite, a aussi joué en faveur de l'adoption d'une position attentiste dans les négociations avec ses partenaires européens, quand il n'a pas cédé à la provocation. Cette alliance avec ANEL s'imposait face à l'absence de majorité absolue au parlement et au refus de Syriza de s'associer à To Potami, la formation de centre gauche au message européen affirmé.
Je détaille dans le rapport les polémiques sur la question de la dette « odieuse » générée par une attaque concertée des banques européennes, sur le rapprochement avec la Russie qui peut laisser songeur, sur le débat autour d'hypothétiques réparations allemandes ou sur la volonté de résoudre le problème des migrants en permettant à ceux-ci de disposer de papiers leur facilitant l'accès à l'espace Schengen, quitte à y faire entrer des djihadistes selon le mot du ministre de la défense, par ailleurs président d'ANEL. Je m'inquiète de cette polarisation de l'opinion publique grecque sur l'Allemagne, nourrie par tous les courants politiques confondus, qui la rendent quasiment responsable de tout.
Ces polémiques ont contribué à susciter l'exaspération des partenaires de la Grèce. Le gouvernement a mésestimé le fait que le fonctionnement de l'Union européenne reposait sur la concertation et le compromis. Pis, en instrumentalisant la possibilité d'un échec, il a rendu l'hypothèse d'un défaut plausible et celle d'une sortie de la zone euro probable, alors même qu'elle n'est pas prévue par les traités. On est loin, me semble-t-il, des aspirations du peuple grec en faveur de l'Europe, qui ne se sont jamais démenties après plus de six ans de crise économique.
Je suis satisfait qu'aujourd'hui le gouvernement grec ait enfin entrepris une démarche de clarification, telle que je l'appelle de mes voeux dans le rapport. « Il n'y a de vent favorable que pour celui qui sait où il va », disait Sénèque. Même si elles sont tendues, les négociations qui se sont accélérées ces derniers jours montrent en effet qu'un cap semble avoir été choisi, celui de l'ancrage dans la zone euro. Nous n'avons, de notre côté, aucun intérêt au départ de la Grèce, sauf à considérer que la monnaie unique n'est pas un projet politique et à laisser aux marchés financiers le soin de déterminer ultérieurement quel serait le prochain pays à sortir. Des compromis doivent en tout état de cause être trouvés afin que les intérêts de chacun puissent être respectés. Il apparaît délicat de toucher aux retraites les plus modestes, soutenues par une prime complémentaire. Par contre, il est largement envisageable d'augmenter la TVA sur les activités touristiques ou dans les îles qui bénéficient d'afflux de visiteurs. La situation de Corfou et de Mykonos n'est pas celle d'Amargos. Le succès de la saison touristique ne dépend pas de l'augmentation de la TVA, la Grèce étant devenue une destination privilégiée pour les Européens suite au « printemps arabe ».
Au-delà de cet accord, que faire ? Un accord sur le versement de 7,2 milliards d'euros ne résoudra pas tous les problèmes de la Grèce, loin s'en faut. Il faut sans doute déjà songer à une ligne de crédit complémentaire destinée à accompagner son retour sur les marchés. Celle-ci doit être conditionnée à la mise en place de réformes d'envergure visant l'État et la fiscalité bien sûr et favorisant le développement de secteurs clés comme le tourisme, où les capacités du pays sont clairement sous-exploitées.
Nous pouvons également envisager un débat sur la restructuration de la dette. Il est prévu par l'Eurogroupe depuis 2012, à condition que le pays retrouve un excédent primaire. Nous pouvons aller plus loin que la simple réduction des taux d'intérêt ou l'allongement de la maturité des prêts. L'idée de certificats d'investissements, que je détaille dans le rapport permettrait de relier remboursement de la dette et croissance, l'un n'excluant plus l'autre.
L'atonie de l'économie grecque n'est, en tout état de cause, pas une fatalité. Notre rôle, en tant que partenaire et ami de la Grèce n'est plus de gloser sur l'opportunité de leur adhésion à la zone euro voire à l'Union européenne. Celle-ci s'imposait après le retour de la démocratie en Grèce, elle était notamment souhaitée par le président de la République de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, indiquant qu'« on ne faisait pas jouer Platon en deuxième division ». Il convient aujourd'hui de les aider à définir une stratégie économique, permettant de garantir à la population grecque le niveau de développement qu'elle est en droit d'attendre. C'est une tâche de grande ampleur qui nécessite du temps. Il s'agit de faire ce que nous n'avons pas assez fait lors de son adhésion en 1981 et ce que l'on demande désormais à tout nouvel entrant.
M. Jean Bizet, président. - Je retiendrai deux points du rapport et de l'exposé de notre collègue. L'adhésion à l'Union européenne et a fortiori à la zone euro implique des règles à respecter. L'aide financière qui a été versée à la Grèce par l'Union européenne est conditionnée à l'application de certains engagements, qu'il convient de tenir. Je suis frappé de constater lors des réunions de la COSAC que nos collègues qui sont les plus exigeants à l'égard de la Grèce sont eux-mêmes issus de pays ayant traversé de grandes difficultés et ayant dû demander une aide financière : je pense à l'Irlande, à l'Espagne ou au Portugal.
Demander au gouvernement grec de poursuivre ses efforts ne nous empêche pas de réfléchir à une restructuration de la dette. Les autorités grecques souhaitent un allongement de la durée de remboursement. Portons plutôt des solutions innovantes, à l'image des certificats d'investissement. Leur fonctionnement est détaillé dans le rapport. Il s'agit de mettre en place des partenariats publics-privés qui permettront à la Grèce d'utiliser ses créances pour relancer l'investissement et d'associer ses bailleurs de fonds aux bénéfices. Je vous rappelle que la France est exposée à hauteur de 55 milliards d'euros à la dette publique grecque. Jusqu'alors seuls les investisseurs privés ont été concernés par une restructuration d'ampleur avec, en 2012, l'effacement de 107 milliards d'euros.
En ce qui concerne l'adhésion rapide de la Grèce en 1981, il aurait sans doute fallu prendre un peu plus de temps. Mais nous ne disposions pas à l'époque du cadre que nous fournit aujourd'hui la politique de voisinage.
M. Éric Bocquet. - Je salue le travail conséquent du rapporteur. Je regrette cependant que le rapport soit trop souvent à charge contre le gouvernement grec. C'est particulièrement manifeste dans la conclusion où sont mis en avant la « posture » du gouvernement, le manque de lisibilité de son action, ses coups de « bluff » et la partie de « poker menteur » à laquelle il se livrerait. Je retiens le mot « posture ». Mais enfin, peut-on dire d'un gouvernement ayant des convictions qu'il se situe dans la posture ? Je ne suis pas d'accord !
La conclusion est par contre éclairante lorsqu'elle rappelle que la crise grecque actuelle est avant tout une crise morale, marquée notamment par une défiance séculaire à l'égard de l'État. Ce qui n'est pas aujourd'hui sans rapport avec la question de la place de la Grèce au sein de l'Union européenne L'adhésion de la Grèce à l'Union européenne était évidente. Par contre, son intégration au sein de zone euro pose question. Elle a été portée par des personnalités qualifiées comme Jacques Delors, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn ou même Valéry Giscard d'Estaing !
Au-delà des négociations et du modèle de croissance, la principale urgence à laquelle est confrontée le gouvernement est avant tout de permettre à sa population de subvenir à ses besoins élémentaires. Parallèlement, il importe effectivement qu'elle remette en place des structures administratives adaptées, pour lutter contre l'évasion fiscale et la corruption. Au plan économique, je m'interroge sur sa capacité à se redresser avec une telle charge de la dette. Elle représentait 112 % du PIB avant la crise, elle atteint aujourd'hui 176 %.
Je reviens enfin sur le problème démocratique que pose aujourd'hui la crise grecque. Jean-Claude Juncker oppose régulièrement les engagements de la Grèce à l'égard de l'Union européenne au choix des électeurs le 25 janvier dernier. À quoi sert de voter finalement ? Est-ce l'Europe dont nous voulons pour demain ?
M. Jean-Paul Emorine. - Je constate que le gouvernement grec a été élu sur un programme populiste et qu'il se heurte aujourd'hui à la réalité. Celle-ci implique qu'il fasse des efforts pour pouvoir obtenir un accord.
Je suis inquiet par rapport à ce que nous a indiqué le rapporteur sur la polarisation des Grecs sur l'Allemagne. Il est nécessaire que la Commission incarne les négociations et non pas l'Allemagne. Elle ne doit plus être autant en première ligne, tant elle cristallise les ressentiments dans ce pays.
M. Jean Bizet, président. - Je vous rejoins. La question de l'ambiance entre les États membres, qui sont avant tout des partenaires, est primordiale.
M. Richard Yung. - Je n'oublie pas, avant tout de chose, le rôle de la résistance grecque dans la défaite du nazisme. En obligeant Hitler à retirer des troupes du front de l'Est pour soutenir l'armée italienne empêtrée en Grèce, elle a sans doute influé sur le cours des choses...
Nous devons aujourd'hui arriver à un accord. Nous connaissions avant même le déclenchement de la crise les problèmes de la Grèce. Mais nous les taisions, qu'il s'agisse du poids des dépenses militaires - 2 milliards d'euros - qui servait nos industries de l'armement ou de l'inefficacité de l'administration grecque. Nous devons maintenant avancer, en ouvrant un débat sur la restructuration de la dette. L'allongement de la maturité est une piste à suivre.
M. Jean-Yves Leconte. - L'adhésion grecque a peut-être été trop rapide mais elle a eu un effet indéniable sur l'économie du pays. Le PIB a été multiplié par 7 en 25 ans. Et ce n'est pas seulement l'effet des fonds structurels. Les cinq dernières années ne sauraient masquer cette réalité, il ne s'agit pas d'un échec absolu.
On ne peut préjuger de l'issue des négociations mais nous devons effectivement trouver des solutions innovantes pour relancer le pays.
M. Michel Billout. - Je suis un peu déçu par la tonalité du rapport. Je conçois qu'il réponde à une exigence de sincérité du rapporteur au regard de ce qu'il a ressenti sur place mais il y a des manques dans son exposé. Les origines de la crise auraient mérité d'être rappelées et notamment le rôle de la banque Goldman Sachs. Le problème de la légitimité de la dette ne doit pas non plus être écarté. Finalement, comme l'a rappelé Éric Bocquet, la question de fond est celle du droit d'un gouvernement qui n'épouse pas les grands dogmes de l'économie libérale de pouvoir diriger un pays.
Il est nécessaire aujourd'hui de formuler des solutions innovantes et de dépasser une lecture trop comptable. Il faut redonner de la confiance aux Grecs. Les efforts demandés ont été inéquitablement répartis. Et seule l'économie grise a pu permettre à ce pays de se maintenir. Mais il ne s'agit pas d'une réponse viable à long terme.
M. Simon Sutour. - Je pense que votre conviction aurait été ébranlée si vous aviez pu assister aux entretiens que j'ai menés là-bas.
M. Michel Billout. - Ce gouvernement n'a même pas six mois.
M. Simon Sutour. - J'en conviens mais il faut bien qu'il commence à agir ! Un seul de mes interlocuteurs nous a tenu un langage de vérité, il s'agit du gouverneur de la Banque centrale ! Heureusement que la population grecque dispose aujourd'hui d'amortisseurs sociaux non gouvernementaux comme l'économie grise, la famille, l'Église orthodoxe ou les Fondations pour lui permettre de survivre...
J'entends vos remarques sur le problème démocratique. Je souhaite moi aussi que l'Europe soit réorientée vers plus de social. Il s'avère que nous ne sommes pas seuls et que la majorité de nos partenaires sont gouvernées par des partis conservateurs... Par ailleurs, tout gouvernement est comptable des engagements de ses prédécesseurs. Le gouvernement Syriza doit donc assumer les traités européens.
Si l'on aime, si l'on souhaite aider le peuple grec, il est indispensable de tenir un langage de vérité. Même s'il ne fait pas plaisir.
M. Jean Bizet, président. - Je propose que le rapporteur intègre dans le rapport final les résultats des négociations en cours quand nous pourrons en disposer et que le document soit publié à ce moment-là. Nous pouvons cependant d'ores et déjà autoriser sa publication.
À l'issue de ce débat, la commission autorise la publication du rapport.
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose de reporter au jeudi 16 juillet l'examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique de MM. Jean-Paul Emorine et Richard Yung sur l'union des marchés de capitaux.
La réunion est levée à 11 h 30.