COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mercredi 3 juin 2015
- Présidence de M. Vincent Capo-Canellas, président -La réunion est ouverte à 9 h 35
Commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques s'est réunie au Sénat le mercredi 3 juin 2015.
Elle procède d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président ; de M. François Brottes, député, vice-président ; de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, sénateurs, rapporteurs pour le Sénat ; de M. Richard Ferrand, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président. - Bienvenue à nos collègues députés. Le travail accompli par nos deux assemblées est considérable : comprenant 106 articles dans sa version initiale, le projet de loi en a compté, en incluant les articles supprimés par nos deux assemblées, jusqu'à 405. L'Assemblée a ajouté 103 articles et le Sénat 107. Sur les 295 articles transmis par l'Assemblée nationale, le Sénat en a adopté 90 conformes, soit plus de 30 %. Il en reste 315 à examiner par la commission mixte paritaire. Ce nombre peut sembler inatteignable ; mais à coeur vaillant, rien d'impossible ! Cinquante heures de commission et 133 heures en séance publique au Sénat ; l'Assemblée a également consacré beaucoup de temps à ce projet qualifié de hors norme.
M. François Brottes, député, vice-président. - Au nom des députés, je vous remercie de votre accueil. Je suis impressionné par le travail du Sénat, qui a passé plus de temps en séance pour deux fois moins d'amendements, ce qui montre bien la sérénité qui règne ici, et que nous envions parfois ; nous avons toutefois passé un peu plus de temps que vous en commission : 80 heures.
Nous apprécions les 88 articles adoptés conformes et les 2 suppressions conformes, dénotant une réelle coopération entre les deux chambres ; mais il reste du pain sur la planche - il pourrait nous arriver de voter encore d'autres articles. Je me félicite de l'ampleur et de la tonalité du travail accompli. En dépit d'un regard différent du nôtre, nous avons suivi avec intérêt vos débats.
M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président. - Cette coproduction législative fait vivre le bicamérisme.
M. François Brottes, député, vice-président. - Nos huit rapporteurs thématiques laisseront à leur rapporteur général le soin de présenter la synthèse de leurs observations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat a abordé le texte dans une démarche constructive en se conformant à son objet - libérer la croissance pour créer des emplois - tout en essayant de l'améliorer, dans la tradition du bicamérisme, en allant parfois plus loin. Dans le domaine économique dont j'avais la responsabilité (transports, économie numérique, urbanisme, grande distribution, logement et investissement), les vrais sujets de dissension se comptent sur les doigts de la main.
Nous sommes très proches de l'adoption conforme de dispositions que nous avons consolidées et améliorées : articles 5 et 6 sur les autoroutes, où nous avons conservé l'économie générale du texte ; article 11 quater A, où, en lien avec le Gouvernement, nous avons transposé dans la loi le récent accord trouvé au sein du Comité consultatif du secteur financier relatif à la mobilité bancaire ; dispositions sur les relations entre fournisseurs et grande distribution où nous poursuivons tous le même but de rééquilibrage ; article 25 où le Sénat a approuvé le refus des députés d'une ordonnance et choisi de légiférer sur les rapports entre locataires et bailleurs ; article 49 relatif à la cession des aéroports de Lyon et Nice, où nous avons précisé les engagements des repreneurs.
Plusieurs autres articles introduits par le Sénat améliorent le texte sur des sujets techniques et consensuels : extension de la possibilité d'accorder sous certaines conditions une décote sur le prix de vente d'un terrain de l'État destiné à la construction d'équipements publics (article 25 nonies A) ; création d'un statut de zone fibrée, déterminant des mesures d'accompagnement et d'accélération de la migration vers le réseau fibre (article 33 bis A) ; introduction d'un objectif de couverture du territoire dans le cadre de la réaffectation de la bande des 700 MHz vers les services mobiles (article 33 septies DB) ; dispositif pour obtenir rapidement la couverture en téléphonie mobile des zones blanches (article 33 septies D) ; les neuf articles (107 à 115) adaptant le réseau des chambres de commerce et d'industrie et des chambres des métiers et qui nécessitent peut-être quelques ajustements de détail.
Certains votes du Sénat constituent de véritables marqueurs ; ils seront sujets à débat, mais rien n'y justifie une opposition de principe. Il en est ainsi de l'ouverture à la concurrence - très mesurée - du transport ferroviaire (article 1er quinquies). Même si nous avons transformé l'avis conforme de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) en avis simple, nous avons largement préservé l'esprit du texte de l'Assemblée nationale sur la libéralisation des autocars. Nous avons conservé le seuil glissant, et son augmentation à 200 kilomètres, seuil fixé par l'Autorité de la concurrence, ne réduit pas considérablement la portée de la réforme : Gilles Savary lui-même avait indiqué que les 100 kilomètres pouvaient être discutés ; les trajets de moins de 200 kilomètres ne représenteront que 7 % des trajets par autocar.
C'est encore le cas de la suppression du dispositif proposé par le président Brottes limitant à neuf ans la durée des contrats d'affiliation dans les réseaux de distribution commerciale (article 10 A), qui est liée à nos doutes sur son impact réel ; de la suppression d'une phrase ambiguë qui semble prohiber la délivrance, par les opticiens, de verres correcteurs sans prescription préalable (article 11 quater C) ; de l'obligation pour les immeubles collectifs faisant l'objet d'une réhabilitation de s'équiper de lignes à très haut débit en fibre optique (article 33 bis) ; de la possibilité pour l'Arcep d'émettre un avis public sur les conditions tarifaires d'accès aux réseaux d'initiative publique (article 33 septies C) ; de l'encadrement des relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation par Internet via un mécanisme de contrat de mandat (article 33 octies A). Oui, nos divergences sont surmontables, à moins qu'un vrai sujet de discorde m'ait échappé.
M. François Pillet, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Bien des éléments auraient pu conduire le Sénat à marquer sèchement son opposition au texte : son caractère hétéroclite, des articles pléthoriques, une procédure accélérée limitant sévèrement la navette parlementaire, une adoption sans vote par l'article 49-3, des amendements du Gouvernement qui proposait souvent, sans argumentation, un retour pur et simple au texte initial...
Pour autant, le Sénat a pris ses responsabilités et a cherché à améliorer ce qui lui semblait devoir l'être, limitant certains excès et, surtout, poussant plus loin la logique de libération de la croissance. La commission spéciale s'est ainsi employée à trouver la voie d'un consensus acceptable et suffisamment exigeant au regard des priorités que nous nous étions fixées : permettre réellement une reprise de l'activité et de la croissance, ne pas sacrifier les territoires et restaurer une confiance que certaines aspérités du texte avaient pu rompre.
Sur les professions réglementées, nous avons ainsi retenu le cadre général proposé par le Gouvernement - révision transparente des tarifs, à partir de l'avis de l'Autorité de la concurrence, péréquation tarifaire avec un mécanisme de remise, liberté encadrée d'installation - mais en parvenant à ce que des représentants des professions concernées participent à leur réforme.
Nous avons cependant corrigé ce qui semblait excessif ou incertain : un fonds de péréquation interprofessionnel ni opportun ni même très conforme aux exigences constitutionnelles, faisant payer les clients des huissiers de justice pour ceux des notaires ; les deux zones d'installation des notaires - en dépit des explications du ministre - avec une zone fantomatique que nous avons sortie de l'ombre et à laquelle nous avons associé un régime juridique dans lequel l'installation doit être autorisée ; la postulation des avocats, où nous avons retenu l'expérimentation, comme la rapporteure de l'Assemblée nationale dans son rapport d'information. Quant à la réforme des sociétés du droit, nous avons supprimé les articles 20 ter et 22, en raison des très grandes incertitudes juridiques qu'ils présentaient, et sur lesquelles, à mon grand regret, le Gouvernement a refusé contre toute logique la proposition de légiférer par ordonnance.
Nous avons totalement accepté la réforme des prud'hommes, qui aurait pourtant été plus à sa place dans un autre texte. Nous avons même tenté d'aller plus loin en renforçant la vocation judiciaire des conseillers prud'hommes et leurs pouvoirs de mise en état et de conduite de la procédure. Qu'il s'agisse de la procédure d'injonction structurelle ou de celle de cession forcée d'entreprise, notre souci a été d'assurer le respect des droits de la défense et du contradictoire, afin que ces procédures, utiles dans des cas exceptionnels, soient bien conformes à nos exigences conventionnelles ou constitutionnelles. Sur l'obligation d'information des salariés en cas de cession d'entreprise notamment, nous avons souhaité symboliquement marquer l'urgence de trouver une solution. Sur les tribunaux de commerce spécialisés, les arbitrages initiaux étaient dangereux et risquaient de conduire à une rupture majeure avec les juges consulaires. Nous nous sommes efforcés de convaincre le Gouvernement - et y sommes parvenus semble-t-il - qu'il fallait élever le seuil et apporter de nouvelles garanties.
Compte tenu de la démarche ouverte et pragmatique que nous avons adoptée, un accord pourrait être à notre portée : nous pouvons nous entendre sur les objections techniques, discuter des points plus politiques et, pourquoi pas ?, nous convaincre ; l'impact du projet de loi sera d'autant plus fort qu'il aura su réunir un soutien plus large, après en avoir un peu manqué à ses débuts. Cette réunion nous aidera à mieux identifier, s'il y en a réellement, les obstacles insurmontables. N'oublions pas, en élus de terrain, qu'un accord pourrait réconcilier le pays avec la réforme...
Mme Catherine Deroche, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Au cours de 132 heures de débats dans l'hémicycle, le Sénat a transformé une première épreuve en un texte abouti, fidèle à ses ambitions initiales et répondant pleinement aux trois objectifs fixés : relancer la croissance, développer l'activité, réaffirmer l'égalité des chances économiques. C'est particulièrement vrai pour les dispositions sociales du texte, que je rapportais. Nos positions convergent sur de nombreux points : 33 articles de ce volet ont été votés conformes par le Sénat, et 14 autres n'ont fait l'objet que de modifications rédactionnelles.
Le Sénat n'a ajouté que quelques ajustements techniques et rédactionnels à plusieurs mesures adoptées par l'Assemblée nationale sur le financement et le développement des entreprises, ainsi pour la création de la société de libre partenariat, qui encouragera le capital-risque en France. Nous avons voté conformes les articles sur les filiales des hôpitaux et le rapport sur les « retraites chapeau ». Nous avons apporté notre soutien à la réforme du zonage dérogatoire au repos dominical, et en particulier à la création des zones touristiques internationales, afin de corriger le manque de lisibilité et les effets pervers de la réglementation actuelle. Le Sénat a approuvé l'équilibre de la réforme des dimanches du maire avec le respect de l'initiative des élus locaux et du volontariat des salariés. Il n'a pas bouleversé les articles sur la lutte contre le détachement illégal de salariés, ainsi que les dispositions sur les travailleurs handicapés et l'amélioration du dispositif de sécurisation de l'emploi.
Nous avons également précisé les modalités ou le champ d'application du texte, et corrigé quelques excès, par des modifications plus substantielles : institution du délai de consultation de deux mois afin que tous les avis requis préalablement aux dérogations au repos dominical soient remis ; précision sur l'organe compétent de l'EPCI ; suppression de l'article 82 bis permettant aux préfets outre-mer de modifier les jours fériés, par un amendement issu de plusieurs groupes.
Nous avons conservé les apports de l'Assemblée nationale sur l'épargne salariale en corrigeant la composition des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) et en reprenant des propositions du Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas) dans son rapport de novembre 2014, abaissant notamment le taux du forfait social. De même, nous avons globalement approuvé l'assouplissement du régime d'attribution d'actions gratuites tout en le réservant aux seules PME, qui peuvent effectivement fonctionner sur des cycles économiques plus rapides. Nous avons adopté un amendement du Gouvernement sur les contrats d'assurances vie à l'article 34 bis A.
Vous pourrez nous rejoindre sur une importante mesure anti-abus interdisant aux intermédiaires de facturer des frais aux PME au titre de versements effectués dans le cadre du dispositif ISF-PME : cette pratique nuisible reporte parfois l'intégralité des frais sur les entreprises. Par cohérence avec la position du Sénat depuis 2014, l'habilitation demandée par le Gouvernement pour réformer par ordonnance les pouvoirs de l'inspection du travail a été supprimée. Nous avons mené à son terme la réforme du délit d'entrave en supprimant la peine de prison correspondante, tout en multipliant par quatre l'amende afférente à ce délit.
Enfin, nous avons souhaité enrichir ce projet de loi, renforcer sa cohérence, garantir son effectivité et prendre au mot plusieurs membres du Gouvernement qui ont récemment affirmé leur volonté de simplifier le droit du travail. Nous avons accompli un geste fort en faveur du financement en fonds propres des PME, relevé les plafonds des réductions d'impôt Madelin et ISF-PME, étendu la suppression de la contribution patronale spécifique aux entreprises de taille intermédiaire et mis en place un dispositif l'excluant pour les titres cédés mais réinvestis dans des PEA-PME. Nous avons assoupli pour un coût réduit certaines rigidités du dispositif Dutreil pour faciliter la transmission des entreprises.
Pour le travail dominical, le Sénat a estimé qu'il fallait empêcher qu'un blocage du dialogue social dans une entreprise ou une branche puisse neutraliser les effets de la réforme. Il a donc autorisé les commerces situés dans les zones concernées à ouvrir, à défaut d'accord collectif, sur la base d'une décision de l'employeur après référendum, dès lors que des contreparties étaient offertes aux salariés. Il a également souhaité préserver le régime juridique actuel pour les commerces de moins de onze salariés situés en zone touristique, afin d'éviter une fermeture limitant l'animation dans les centres villes de nos communes touristiques, qu'elles soient balnéaires ou de montagne. Sur proposition de Philippe Dominati, avec un avis de sagesse du Gouvernement, nous avons autorisé l'ouverture dominicale des commerces de biens culturels. Pierre Charon est à l'origine de l'extension de l'ouverture en soirée aux commerces situés dans les zones touristiques comme dans les zones touristiques internationales.
Nous avons cherché à répondre aux difficultés que rencontrent les chefs d'entreprise dans l'application du code du travail. Nous avons ainsi mis en place un mécanisme pérenne de lissage des effets de seuil à trois ans et relevé à 21 salariés le seuil d'effectifs pour l'élection des délégués du personnel. Afin de poursuivre ce débat sur les seuils, qui auraient dû être au coeur du projet de loi Rebsamen mais en sont les grands absents, le Sénat a ensuite, sur proposition du groupe UMP, relevé à 100 salariés le seuil de création d'un comité d'entreprise et proposé la fusion des institutions représentatives du personnel. Nous avons pris des dispositions sur les stages, stages de césure et de fin de master, dont la durée de six mois est insuffisante notamment aux yeux des grandes écoles.
Nous sommes heureux que certaines initiatives sénatoriales aient pu finalement trouver leur place dans le texte, comme la simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité, de même que le suramortissement proposé par le Gouvernement (article 35 bis AA). M. Macron s'étant toujours montré un partisan de l'assouplissement des conditions de mise en oeuvre des accords de maintien de l'emploi, nous avons facilité le recours à cet outil de flexibilité interne et assoupli les accords défensifs tout en introduisant des accords offensifs. Nous avons également adapté la définition du licenciement pour motif économique.
Le volet social du projet de loi ressort du Sénat complété, dans un sens qui fait écho à l'intitulé du texte. Il est possible qu'il y ait des désaccords entre nos deux assemblées, mais nous sommes là pour les surmonter.
M. Richard Ferrand, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ce texte est le fruit d'un long labeur, principalement constructif. Les chiffres que vous avez cités, monsieur le Président, marquent à la fois l'ambition du texte et l'engagement des parlementaires. Nous avons procédé à de très nombreuses auditions et bien sûr suivi les débats très productifs du Sénat, puisque son texte compte 107 nouveaux articles. Il y a incontestablement beaucoup à conserver dans cet important travail de la chambre haute.
Ses amendements de précision ou de correction rédactionnelle confortent l'assise juridique du texte. Il y a un consensus sur des sujets majeurs : l'extension au secteur routier du champ de compétence de l'Araf qui devient un régulateur multimodal ; l'ouverture de lignes régulières d'autocar tout en protégeant les services existants - même si nos textes sont encore éloignés ; la réglementation enfin plus effective et approfondie de l'activité des sociétés concessionnaires d'autoroutes avec un contrôle par l'Arafer tant sur la mise en oeuvre des contrats de concession que sur les marchés passés par ces sociétés ; la lutte contre le gaspillage alimentaire - même si les mesures pourraient être supprimées à la faveur du texte plus complet adopté dans le cadre du projet de loi de transition énergétique ; les dispositions en faveur du logement intermédiaire en réponse à une demande forte dans les zones où l'écart de loyer entre le parc social et le parc privé est trop important ; l'extension de l'autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ; l'autorisation du Gouvernement à procéder à une nouvelle rédaction de dispositions du code de l'urbanisme ; la facilitation du déploiement de la fibre optique dans les immeubles ; la création de filiales par les centres hospitaliers universitaires ; l'abaissement des seuils entraînant la compétence du législateur en cas de privatisation ; l'ouverture du capital du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies à la BPI ; l'autorisation d'exercice d'activités internationales par l'Autorité de sûreté nucléaire ; la création d'une carte d'identité virtuelle pour les entreprises ; les critères de définition des nouvelles zones touristiques, commerciales et touristiques internationales ; l'indispensable réforme des prud'hommes ; le renforcement des sanctions contre l'utilisation illégale de travailleurs détachés.
Nous devons aussi souligner les apports constructifs du Sénat sur d'autres sujets : le mécanisme de suramortissement ; les deux nouvelles recettes au profit de l'Arafer ; l'accélération de la couverture des zones grises et blanches de téléphonie, traduction législative des décisions du comité interministériel aux ruralités du 13 mars 2015 ; la simplification du régime de l'autorisation d'exploitation commerciale ; le dispositif de lutte contre le déséquilibre de la Caisse de retraite des officiers ministériels, la précision des activités accessoires des experts comptables ; la facilitation de la transformation de bureaux en logements et du recours à l'habitat participatif ; la réduction du délai de recours contre des arrêtés autorisant l'exploitation d'installations classées pour la protection de l'environnement ; s'agissant du permis de conduire, l'autorisation de conduire un tracteur roulant à moins de 40 kilomètres par heure, du moins pour les détenteurs d'un permis B !
M. Jean-Frédéric Poisson, député. - Excellente disposition !
M. Richard Ferrand, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - C'est aussi le cas de l'exonération d'obligations pour les mutuelles et les institutions de prévoyance membres d'un groupe, de l'obligation de négocier un accord d'intéressement pour les branches professionnelles avant fin 2017, ou du délai fixé pour les consultations par le préfet lors de la délimitation des zones où le travail dominical est autorisé.
Il reste pour autant des points de divergence majeurs traduisant, et c'est bien légitime, une orientation politique distincte entre les majorités de nos deux assemblées, qui ne sont pas insurmontables, mais interdisent à ce stade d'aboutir à un texte commun. Il ne faut pas les dissimuler, mais au contraire les assumer et les expliquer : ils illustrent notre démocratie fondée sur des débats parlementaires.
Ces points de désaccord difficilement conciliables - à moins d'un miracle laïc - sont les suivants : la suppression de l'avis conforme de l'Arafer nécessaire pour qu'une autorité organisatrice puisse interdire ou limiter certaines liaisons qui portent une atteinte substantielle à l'équilibre économique de services de transport qu'elle organise ; le seuil kilométrique, dont nous souhaitons le maintien à 100 kilomètres ; le droit de veto des régions sur les dessertes des trains d'équilibre du territoire, dont l'État est pourtant l'autorité organisatrice ; l'ouverture dès le 1er janvier 2019 des TER à la concurrence ; la suppression des mesures facilitant la conduite accompagnée ; la disparition du rôle du ministre de l'économie dans les professions réglementées ; la liberté d'installation régulée élargie aux avocats aux conseils ; le rôle de l'INPI dans la diffusion des données du registre du commerce et des sociétés ; la suppression d'une des incitations à élaborer un schéma de cohérence territoriale (Scot) ; l'habilitation à légiférer par ordonnance dans le domaine du droit de l'environnement ; la sécurisation des projets de construction ; l'aménagement du dispositif d'attribution d'actions gratuites ; les assouplissements du pacte Dutreil et du dispositif ISF-PME ; les aménagements de l'épargne salariale ; la spécialisation de certains tribunaux de commerce ou le renforcement des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire ; la remise en cause du principe selon lequel l'absence d'accord interdit l'ouverture le dimanche ; la suppression de la prise en compte des jours fériés républicains pour les dimanches du maire ; la suppression de la majoration de 30 % de droit des salaires des personnes travaillant dans les commerces alimentaires le dimanche matin ; la nouvelle dérogation sectorielle pour les commerces culturels ; l'élargissement du travail en soirée à toutes les zones touristiques.
Les nombreux articles additionnels du Sénat sur le droit du travail, cohérents avec son orientation politique, sont éloignés de celle de l'Assemblée nationale, comme la création d'une commission pour simplifier, en quelque sorte, le droit du travail, la dénaturation du compte pénibilité ou les seuils : il ne faut pas que cette loi devienne par trop fourre-tout...
M. Jean-Frédéric Poisson, député. - Monsieur le Rapporteur...
M. Philippe Houillon, député. - Excellent !
M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président. - Si j'en crois les murmures, il s'agissait d'un péché originel !
M. Richard Ferrand, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le Sénat a incontestablement amélioré le projet de loi initial et le texte de l'Assemblée nationale : nous sommes garants de la prise en compte de ses apports. Cependant les clivages n'autorisent guère des accords partiels. L'Assemblée veut aller plus loin sur le transport et le Sénat davantage avancer - ou reculer, cela dépend des points de vue - sur le droit du travail : un accord semble difficile.
M. Jean-Pierre Bosino, sénateur. - L'issue de cette commission mixte paritaire importe peu au groupe CRC du Sénat, comme sans doute au groupe GDR de l'Assemblée. Dès le départ, le projet de loi, avec ses déréglementations et ses privatisations, était marqué du sceau du libéralisme. Il touche de multiples aspects de la vie de nos concitoyens, sans qu'ils puissent dire leur mot ; il suscite la protestation de nombreux salariés. Le Sénat a plutôt aggravé ce défaut, comme sur le travail du dimanche. Il ne peut exister de volontariat en ce domaine, le contrat de travail constituant un lien de subordination - c'est même pour cela qu'il y a un code du travail... Il en est de même pour les commerces culturels ou le travail de nuit. Cela vaut aussi, au mépris de la sécurité et de l'environnement, pour les transports par autocar, destinés de l'aveu même du ministre aux plus modestes. Citons encore la privatisation des TER, les prudhommes, ou la simplification du droit du travail, la privatisation des aéroports - comme si celle des autoroutes n'avait rien appris à personne -, ou la fusion de Nexter avec une entreprise allemande au mépris de l'indépendance de notre pays. Dérogation aux 35 heures, régression des droits des salariés..., ce n'est guère que sur les professions réglementées que nous pourrions nous retrouver. Nos concitoyens et nos entreprises ont besoin d'une autre politique. Nous continuerons donc à combattre les effets négatifs de ce texte.
M. Jean-Frédéric Poisson, député. - Les déclarations de nos rapporteurs ne nous surprennent pas. Le groupe UMP, Les Républicains...
M. Alain Tourret, député. - Comme quoi un hold-up ne réussit jamais...
M. Jean-Frédéric Poisson, député. - Parole d'expert, monsieur Tourret !
Le groupe Les Républicains regrette donc que la majorité à l'Assemblée et l'opposition sénatoriale ne souhaitent pas trouver un accord, qui aurait été possible en dépit des différences d'appréciation. C'est dommage ! Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de faire semblant de le rechercher et c'est un plaisir de siéger en commission spéciale sous la présidence du président Brottes. Mais tout le monde - et le pays avant tout, y aurait gagné du temps. Je crains fort que la version définitive de l'Assemblée soit pire que celle du Sénat.
M. Jean-Louis Roumegas, député. - Le groupe écologiste de l'Assemblée nationale comme celui du Sénat a voté contre le projet de loi. Son caractère fourre-tout a été aggravé par le Sénat, qui a ajouté une disposition sur le projet de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde. Cigeo (Centre industriel de stockage géologique), aurait mérité un vrai débat, notamment concernant la réversibilité du stockage.
Le travail du Sénat a parfois abouti à un moindre mal. Ainsi, le relèvement du seuil de libéralisation des lignes d'autocar - comme nous l'avions proposé à l'Assemblée nationale - rend un vrai pouvoir aux autorités organisatrices des transports. Je regrette toutefois la suppression de l'avis conforme de l'Arafer. Le Sénat a aggravé la libéralisation du travail du dimanche en exonérant les petites entreprises de ses contreparties et en élargissant l'ouverture jusqu'à minuit à l'ensemble des zones touristiques. Il faut poursuivre les travaux de l'Assemblée nationale pour revenir à plus de régulation environnementale et sociale.
M. Jean-Yves Caullet, député. - Au nom du groupe socialiste, républicain également, et néanmoins citoyen, je partage avec mon collègue Poisson le plaisir de travailler en commission spéciale. Il est en effet fort utile pour parvenir à ce qu'attendent nos concitoyens : que nous concevions des mesures de modernisation de l'économie sans faire régresser le droit. C'est ce qui fait l'originalité et la lourdeur de ce texte, qui a réclamé à nos deux assemblées un travail approfondi - il ne peut en aller autrement lorsqu'on cherche à améliorer des mécanismes complexes.
Les rapporteurs ont énuméré les points sur lesquels nous pouvons trouver un accord et ceux sur lesquels les propositions du Sénat doivent être prises en compte. Cependant, ne nous voilons pas la face, certains dispositifs adoptés par le Sénat ne peuvent être retenus en commission mixte paritaire. Il faudra donc en débattre, sans que cela nous fasse perdre de vue les consensus auxquels nous sommes déjà parvenus, et que nous devons à présent préciser par un surcroît de travail parlementaire : nos concitoyens n'attendent pas de nous que nous consacrions notre énergie à mettre en avant nos désaccords.
M. Alain Tourret, député. - Représentant du Parti radical de gauche et du groupe RRDP, j'ai approuvé avec enthousiasme ce projet de loi, remarquablement présenté par M. Macron. J'ai rarement entendu une telle qualité, une telle conviction, une telle écoute de la part d'un ministre. Il est injuste de parler d'une loi fourre-tout, puisque l'économie est par définition multiple. Pour s'attaquer à l'économie administrée, qui sévit en France depuis Colbert, pour favoriser la création d'emplois par le développement industriel, il n'y avait pas d'autre moyen.
J'étais chargé des entreprises en difficulté et des tribunaux de commerce spécialisés. Depuis que vous avez tranché, un accord a été trouvé avec la présidence des tribunaux de commerce, qui a mis fin à leur grève : il n'y a plus de difficulté. La possibilité de prendre en compte, pour la première fois, le droit des créanciers dans les cessions obligatoires d'entreprises en difficulté est un apport très important du texte.
Hélas !, la réforme constitutionnelle de 2008 n'a pas donné à la commission mixte paritaire le pouvoir de statuer sur certains articles seulement. Il faut un accord sur tout le texte, à la virgule près. Voilà qui est bien malheureux ! Nous devons absolument modifier notre Constitution sur ce point. Pour l'heure, mieux vaudrait commencer par considérer si nous pouvons envisager un accord sur les points où nos positions sont les plus éloignées.
Mme Nicole Bricq, sénatrice. - Il n'est pas utile de baigner dans l'artificialité : le rapporteur de l'Assemblée nationale a fait la liste des points d'accord et des points de désaccord. M. Pillet a déclaré rechercher des consensus alors même que nos trois rapporteurs ont campé sur leurs positions. Il y a des désaccords de fond. Et d'abord, nous n'avons pas la même vision de l'entreprise. Pour nous, elle compte certes des dirigeants, mais aussi des salariés.
Au-delà des rapports de force, elle constitue un bien commun. Vous, au contraire, en avez une conception patrimoniale. Nos divergences sur la partie travail sont également importantes.
Le ministre a argumenté point par point, a parlé à sa droite comme à sa gauche, et a su modifier ses positions. Vous ne pouvez pas dire que le Gouvernement n'entend pas : il sait prendre ses responsabilités. Le texte à venir sur le dialogue social en est la preuve.
M. Philippe Houillon, député. - Très mauvais exemple !
Mme Nicole Bricq, sénatrice. - Il portera notamment sur le compte pénibilité. Sur le droit d'information, qui fait l'objet d'un autre désaccord, une parlementaire du groupe socialiste a formulé des propositions. Pour aboutir à des consensus, il faut des points d'accord. Il n'y en a pas dans ce que j'ai entendu. Dès lors, pourquoi prolonger nos débats ?
M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président. - Merci à celles et ceux qui ont salué la qualité du travail du Sénat. Nous l'entendons comme une invitation à poursuivre le débat en nouvelle lecture. Beaucoup ont exprimé leur regret qu'un accord semble difficile à trouver. Nous avons pourtant travaillé de manière constructive, afin d'améliorer un texte difficile et complexe et d'en faire une vraie loi pour la croissance et l'activité. Nous aurions pu en faire un étendard, y inscrire un programme pour l'élection présidentielle. Nous avons choisi de tendre des perches, de rechercher des points d'accord. Nous pensons en effet que la réforme de notre économie ne peut pas attendre : les derniers chiffres du chômage en sont la preuve. Cette volonté de montrer que la classe politique sait réformer n'a rencontré que peu d'échos. C'est le jeu normal de la démocratie, mais une convergence était possible sur ce type de texte. Dommage...
Le rapporteur pour l'Assemblée nationale a fait la liste des points d'accords. Pour réduire les désaccords, il a déclaré qu'il faudrait un miracle laïc, qui ne semble malheureusement pas en vue. Sur les tribunaux de commerce, le ministre s'était dit prêt à évoluer - ce qui est très positif - et j'ai cru comprendre qu'un accord avait été trouvé, mais qu'il ne serait pas aisé à valider. Il faudrait pourtant sortir de ce conflit. François Pillet a formulé, sur les professions réglementées, des propositions de sortie par le haut d'une situation qui devenait trop crispée.
Je ne suis pas d'accord avec Mme Bricq : les trois rapporteurs n'ont nullement fermé la porte à un accord, même si celui-ci est improbable. Sur le compte pénibilité et les seuils, nous devons encore progresser. Nous avons fait des propositions, notamment sur le lissage des seuils. Il ne s'agit pas de dénaturer le compte pénibilité mais d'en proposer une version acceptable par tous : il faut avancer.
M. François Brottes, député, vice-président. - Un Gouvernement doit toujours penser trouver un accord avec sa majorité, notamment à l'Assemblée nationale, de manière que celle-ci puisse le soutenir.
M. Philippe Houillon, député. - 49-3 !
M. Jean-Frédéric Poisson, député. - Cela peut servir !
M. François Brottes, député, vice-président. - Je me félicite de la densité et de la courtoisie de nos échanges, y compris sur la conduite des tracteurs, n'est-ce pas, monsieur Raison ? Aller au plus près des possibles montre la maturité de notre démocratie, pour ne pas dire de notre République.
Je déplore toutefois qu'une commission mixte paritaire ne puisse pas dégager la voie et soit enfermée dans une logique de tout ou rien - nous ne réformerons pas la Constitution ce matin... Si notre réunion n'aboutit pas, nous reprendrons l'examen sur le texte du Sénat. Nous pourrions restaurer la version de l'Assemblée nationale. Il y a là une tentation à laquelle nous ne céderons pas, par respect pour le travail accompli. Je ne doute pas que nous pourrons continuer à débattre à partir du texte du Sénat en fonction des engagements évoqués par notre rapporteur.
M. Vincent Capo-Canellas, sénateur, président. - Nous regrettons tous que notre commission mixte paritaire ne puisse prendre acte d'accords partiels. Vous partirez du texte du Sénat, qui a fait des propositions et était prêt à des compromis.
Je constate, à regret, que notre commission mixte paritaire ne peut aboutir. Nous trouverons d'autres formes d'échange. Vu l'ampleur du texte, plus vous aurez de votes conformes, et plus notre travail sera allégé. Le débat doit prospérer sur les sujets de divergence et être conclusif sur les points d'accord.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
La réunion est levée à 10 h 50