Mercredi 27 mai 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 02.

Audition de Mme Christine Pires Beaune, députée : présentation des travaux de la mission confiée par le Premier ministre sur la réforme des concours de l'État aux collectivités territoriales

Mme Michèle André, présidente. - En janvier dernier, le Premier ministre a confié à notre collègue députée du Puy-de-Dôme Christine Pires Beaune et à notre regretté collègue Jean Germain une délicate mission sur la réforme des concours de l'État aux collectivités territoriales.

Selon les termes de la lettre de mission, il s'agissait de « déterminer les principes et les modalités suivant lesquels la réforme des concours de l'État aux collectivités territoriales pourrait atteindre les objectifs de justice et de transparence poursuivis par le Gouvernement ». Une telle réforme pourrait être présentée par le Gouvernement dès le projet de loi de finances pour 2016.

Aussi, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Christine Pires Beaune afin de l'entendre nous présenter le résultat de leurs travaux et de débattre de ce sujet qui nous passionne. Lors des derniers échanges que j'ai eus avec Jean Germain, il m'avait indiqué que le travail qu'il menait avec Christine Pires Beaune était pratiquement terminé. Si Christine Pires Beaune nous parle ce matin, c'est aussi avec la voix de Jean Germain.

Mme Christine Pires Beaune, parlementaire en mission. - Ce n'est pas moi qui devrais être devant vous ce matin pour vous présenter les pistes - et non les conclusions - de la mission parlementaire relative à la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Vous le savez, le Premier ministre avait nommé un binôme composé de Jean Germain et de moi-même pour mener à bien ce travail. Nous étions arrivés, avec Jean Germain, à un stade qui me permet de vous présenter les pistes envisagées tout en étant sûre de ne pas trahir sa pensée. Pour beaucoup de ces pistes, nous nous sommes inspirés des travaux du Sénat, et en particulier du rapport de Jean Germain de 2013 sur la proposition de loi tendant au traitement équilibré des territoires par une réforme de la dotation globale de fonctionnement.

Selon la lettre de mission du Premier ministre, les objectifs de cette mission étaient d'étudier les modalités d'une réforme de l'ensemble des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, en poursuivant un double objectif de justice et de simplification. Cette réforme doit être menée indépendamment de la baisse des dotations, bien que celle-ci ne puisse pas être occultée. Les simulations qui sont en cours tiendront évidemment compte de cette baisse, ne serait-ce que pour être sûr de la soutenabilité des pistes de réforme proposées. Compte tenu du temps imparti de cinq mois, nous avons choisi de nous concentrer sur la DGF du bloc communal. Le rapport doit être remis fin juin ou début juillet au Premier ministre, en vue d'une réforme à l'occasion du projet de loi de finances pour 2016.

Nous avons mené jusqu'à présent 66 auditions ou réunions de travail avec les ministres et les administrations concernés, les associations d'élus, les groupes politiques du Parlement, des universitaires ainsi que des consultants. Nous avons présenté au comité des finances locales (CFL), le 31 mars 2015, un état des lieux de la DGF du bloc communal puis, le 5 mai 2015, les pistes de réforme que nous allons soumettre à simulation.

Pour que cette réforme réussisse, il convenait d'abord de réaliser un état des lieux exhaustif et objectif - celui que nous avons présenté n'a pas fait débat -, puis de recueillir un consensus sur les grands principes qui doivent guider la réforme. Voici les principes que nous avons retenus. Premièrement, il convient de rendre la DGF plus juste, en réduisant les écarts injustifiés de dotations perçues par les collectivités afin que la DGF soit le reflet des charges et des ressources réelles des territoires et non plus une « rente » justifiée par l'histoire. Il faut également veiller à un développement équilibré des territoires, en tenant compte des charges de centralité mais aussi des charges de ruralité, recentrer et mieux articuler les dispositifs de péréquation financière, qui font aujourd'hui l'objet d'un saupoudrage.

Deuxièmement, la DGF doit être plus simple et plus lisible pour les élus. Beaucoup d'entre eux nous ont fait part de leur grande difficulté pour comprendre le calcul du montant de DGF qu'ils perçoivent et comment s'expliquent les écarts entre les collectivités. Il est donc nécessaire d'utiliser des critères de ressources et de charges robustes et pertinents sur le long terme, afin de donner davantage de visibilité aux élus.

Un troisième principe consiste à se doter d'une DGF qui reflète la réalité, qui prenne notamment en compte le fait intercommunal et le quasi-achèvement de la carte intercommunale, si l'on met de côté l'Île-de-France.

Enfin, il faut s'assurer que la réforme soit soutenable, ce qui implique de conduire des simulations financières précises à partir de la répartition de la DGF en 2015 et surtout de lisser la réforme sur un certain nombre d'années, qu'il faudra déterminer, afin qu'elle soit effectivement « absorbable » par les collectivités. Cela implique enfin de prévoir un mécanisme transitoire, c'est-à-dire un mécanisme de « cliquet » permettant aux collectivités de ne pas perdre plus qu'un certain pourcentage ou montant de dotation d'une année sur l'autre, afin d'éviter une chute brutale de leurs ressources.

Nous ne nous sommes pas encore intéressés à la DGF des départements étant donné la récente tenue des élections départementales. Quant aux régions, la nouvelle carte régionale nous incite à être prudents et à prendre du recul avant de faire des propositions sur la DGF qui leur est versée.

Afin de dresser le bilan de la DGF, nous sommes partis de sa finalité à l'origine, c'est-à-dire la compensation de la suppression de ressources fiscales, pour aboutir à celle qui nous semble devoir prévaloir aujourd'hui : la compensation des charges de fonctionnement qui résultent des transferts de compétence de l'État.

La péréquation occupe aujourd'hui une part importante et a crû de 3 milliards d'euros entre 2004 et 2014. Dans la mesure où la DGF constitue un prélèvement sur les recettes de l'État, elle est nécessairement libre d'emploi, ce qui veut dire qu'elle peut être utilisée comme les élus l'entendent pour le fonctionnement de leurs collectivités.

L'architecture actuelle de la DGF est complexe et utilise des critères d'éligibilité et de répartition assez nombreux : trente pour le bloc communal, quinze pour les départements et neuf pour les régions.

La DGF des communes représente en 2015 un montant de 14,5 milliards d'euros. Nous avons calculé les écarts-types qui existent par strates démographiques de communes, afin de combattre l'idée reçue selon laquelle les communes rurales perçoivent beaucoup moins de DGF que les communes urbaines. Ce calcul montre que les écarts sont beaucoup plus marqués entre les communes d'une même strate. Par exemple, pour la strate de 0 à 499 habitants, l'écart-type est de 103 euros. Pour six strates de communes, il existe des écarts-types supérieurs à 100 euros. La première des injustices se situe donc à l'intérieur des strates démographiques, avec des rapports de 1 à 2 ou de 1 à 3 entre des communes dans la même situation en termes de population, de revenus par habitant et de potentiel fiscal. Nous avons cherché à savoir d'où venaient ces écarts-types et nous nous sommes aperçus qu'ils sont surtout dus au complément de garantie, dont l'écart-type moyen est de 61 euros, et à la dotation de compensation. Ainsi, pour les communes de 100 000 à 300 000 habitants, le complément de garantie varie selon les communes entre 10 euros et 200 euros par habitant. Pour les communes de 20 000 à 50 000 habitants, la situation identique. Par exemple, Martigues ne perçoit rien au titre du complément de garantie tandis que Vichy reçoit 392 euros par habitant.

M. Michel BouvardCette situation est due à l'histoire !

Mme Christine Pires Beaune. - Exactement, c'est ce que j'ai qualifié de « rente » de l'histoire.

Les dotations de péréquation des communes ont augmenté de 135 % entre 2004 et 2015. Près de 98 % des communes ont perçu une dotation de péréquation en 2014. Près de 97 % des communes sont éligibles à la dotation de solidarité rurale (DSR), et 75 % des communes de plus de 10 000 habitants sont éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU).

La DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) représente en 2015 un montant de 6,51 milliards d'euros. Nous avons fait le même constat que pour les communes : les écarts-types sont importants par strate démographique, avec une moyenne de 42 euros d'écart de DGF par habitant tous EPCI confondus. Là encore, ces écarts sont davantage liés à la dotation de compensation, dont l'écart-type moyen est de 36 euros, qu'à la dotation d'intercommunalité, dont l'écart-type est seulement de 18 euros. S'agissant des critères de répartition de la DGF des EPCI, nous considérons qu'ils ne sont pas toujours pertinents et qu'ils sont en tout cas insuffisants pour appréhender le niveau réel d'intégration d'un EPCI.

Aujourd'hui, les DGF des communes et des EPCI sont fortement imbriquées et l'architecture manque de lisibilité. D'où une solution que je présenterai tout à l'heure qui consiste à bien différencier la DGF des communes et la DGF des EPCI.

J'en viens maintenant aux pistes de réforme. La mission a fait le choix d'identifier plusieurs leviers, plutôt que de présenter classiquement des scénarii clés en main. Cinq leviers ont été identifiés ; certains pourront s'articuler entre eux tandis que d'autres sont exclusifs les uns des autres. Ces pistes de réforme ne figureront pas dans le rapport final tant qu'elles n'auront pas fait l'objet de simulations complètes.

Le premier levier est la rénovation de la dotation forfaitaire des communes. En 2014, cette dotation comportait cinq composantes : une dotation de base, une dotation de superficie, une dotation « parcs nationaux et parcs naturels marins », une dotation de compensation et un complément de garantie. La loi de finances pour 2015 a procédé à la consolidation de toutes ces composantes. Le résultat parait simple et bien moins complexe puisqu'il n'existe plus que la dotation forfaitaire de l'année n-1 et sa validation en fonction de l'évolution de la population. Mais nous considérons qu'il ne s'agit que d'une simplification de façade qui a consolidé l'existant et donc les injustices.

Pour rénover la dotation forfaitaire, il est proposé de revenir à quatre composantes. La première composante, appelée « dotation universelle de fonctionnement », doit permettre de verser une somme par habitant à toutes les communes. C'est ce que, lors de l'examen de la proposition de loi tendant au traitement équilibré des territoires dont j'ai parlé précédemment, Marie-France Beaufils avait appelé le « minimum à vivre » ou Charles Guené le « minimum vital ». Il s'agit d'un montant par habitant permettant de financer un socle minimal de services.

La deuxième composante, appelée « dotation charges de centralité », permettrait de tenir compte de ces charges, à travers la population pondérée, en réutilisant le coefficient logarithmique, qui n'est pas, je le rappelle, celui qui crée le plus d'injustices. Cette dotation serait versée à partir d'un seuil démographique à déterminer.

La troisième composante, appelée « dotation charges de ruralité », serait versée uniquement aux communes dont la population ne dépasse pas un certain seuil à déterminer. Elle pourrait être calculée en fonction de critères ciblés, comme la densité, le nombre d'enfants scolarisés ou la longueur de voirie - ces critères permettant de prendre en compte les « mètres carrés précieux », c'est-à-dire de valoriser les territoires peu denses dans un souci de préservation de notre patrimoine. Par ailleurs, les bonifications dont bénéficient aujourd'hui les communes de montagne, les communes insulaires et les communes d'outre-mer seraient préservées.

La quatrième et dernière composante serait la « dotation de transition », qui permettrait de lisser les effets de la réforme sur une période à déterminer de cinq, dix ou quinze ans. Elle pourrait également permettre de financer la progression de la péréquation et l'augmentation de la population et être utilisée en tout ou partie comme vecteur pour la contribution au redressement des comptes publics.

Le deuxième levier concerne la péréquation verticale. L'idée est de rénover la DSU et la DSR et de supprimer la dotation nationale de péréquation (DNP), dont le montant de 700 millions d'euros abonderait les enveloppes de DSU et de DSR. Aujourd'hui, seules 82 communes ne perçoivent que la DNP, toutes les autres percevant également soit la DSU, soit la DSR, soit les deux pour certaines d'entre elles. Il s'agit également de renforcer le caractère péréquateur de la dotation d'aménagement des communes d'outre-mer (DACOM).

Aujourd'hui, il existe une péréquation verticale à travers la DSU, la DSR et la DNP, ainsi que des dispositifs de péréquation horizontale. Il faut avoir une vision consolidée de ces mécanismes afin de déterminer les éventuels effets contre-péréquateurs ou sur-péréquateurs.

852 communes sont bénéficiaires de la DSU, divisées entre communes de plus de 10 000 habitants et communes dont la population est comprise entre 5 000 et 10 000 habitants. L'effet de seuil de la DSU « cible » est très important : la 250e commune éligible perçoit 144 464 euros tandis que la commune classée 251e ne perçoit rien. Il est également important de rappeler que les communes qui bénéficient de la DSU « cible » font l'objet d'un traitement dérogatoire à l'égard du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) puisqu'elles sont exonérées de contribution.

La DSR se compose de trois fractions : la fraction « bourg-centre », la fraction « péréquation » et la fraction « cible », avec un montant minimum versé à une commune de 73 euros. Là aussi, il existe un effet de seuil important s'agissant de la fraction « cible » : la 10 000e commune éligible perçoit 2 343 euros tandis que le 10 001e commune ne perçoit rien. L'idée proposée est de garder la fraction « bourg-centre » et de fusionner les fractions « péréquation » et « cible ». La fraction « cible » serait remplacée par un coefficient de majoration.

Le troisième levier concerne la création d'une DGF des intercommunalités, indépendante de la DGF des communes. Celle-ci serait construite sur le même principe que la DGF des communes avec une dotation universelle, une dotation de péréquation, une dotation d'intégration et de mutualisation et une dotation de transition afin de lisser la réforme dans le temps.

Le quatrième levier est la « DGF locale ». Je connais les réticences exprimées par certaines associations d'élus ; elles ont bien été entendues. Il me semble toutefois important d'explorer cette piste, qui n'est pas synonyme de disparition des communes. L'idée est qu'une part de la DGF, plus ou moins importante selon le scénario retenu, puisse être répartie par les élus du territoire, qui le connaissent mieux que personne et pourraient choisir des critères en lien avec leurs spécificités. Un tel dispositif n'est bien sûr pas concevable sans des garanties fortes pour les communes, prévues par la loi. La DGF continuerait bien à être versée par l'État aux communes, sauf décision contraire du territoire.

Si l'on décidait de territorialiser la part péréquation, cela poserait effectivement la question du devenir du FPIC, qui pourrait être intégré afin de fusionner ces dispositifs. Il faudrait également accorder une attention particulière aux délais de notification des montants de DGF. Il est important, lorsque l'on choisit des critères, de savoir si la direction générale des collectivités locales (DGCL) pourra rapidement fournir les informations concernant les montants.

Nous avons identifié trois scénarios de « DGF locale ». Quels que soient les scénarii retenus, une part ne serait jamais territorialisée : il s'agit de la dotation universelle de fonctionnement, qui serait sanctuarisée. Une première option serait de territorialiser les composantes charges de centralité, charges de ruralité et la dotation de transition des communes ainsi que la dotation de transition des EPCI. Une deuxième option serait de territorialiser uniquement les dotations de péréquation des communes et des EPCI. La troisième option irait plus loin en territorialisant l'ensemble des composantes des première et deuxième options. Enfin, une quatrième option est apparue : il s'agirait de territorialiser uniquement les dotations de transition des communes et des EPCI.

Le cinquième levier est la révision des critères d'éligibilité et de répartition. Il s'agirait de conserver le critère de population, tout en améliorant les recensements - je suis toutefois dubitative sur ce dernier point. Il faudrait harmoniser les différents critères du nombre de logements sociaux utilisés actuellement, étudier le remplacement du revenu moyen par le revenu médian, examiner une prise en compte élargie du critère de l'effort fiscal, actualiser les critères de potentiel fiscal et de potentiel financier et, enfin, introduire un coefficient de mutualisation et d'intégration. Cette dernière proposition est issue du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de 2004 sur les mutualisations au sein du bloc communal. Le coefficient qui figurait dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) est quant à lui abandonné car il est inopérant.

Peut-on mener de front toutes ces réformes ? Ma position personnelle est que, au vu du constat établi concernant la forte iniquité de la répartition, la priorité doit être la réforme de la DGF. Pour que cette réforme soit soutenable, peut-être pourrait-on faire une pause dans la progression de la péréquation financière, notamment du FPIC. Il faudrait également prévoir une clause de revoyure, à l'aune en particulier des effets de l'éventuelle révision des valeurs locatives. Enfin, il faudrait également s'interroger sur la nécessité d'intégrer d'autres ressources dans l'enveloppe normée.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie notre collègue de la clarté de son exposé sur ce sujet particulièrement complexe. Le rapport présente l'avantage d'aborder toutes les questions, y compris la question délicate de la péréquation. Ma première question est liée aux propos précédents : dans un contexte de baisse des dotations et compte tenu de l'éventuelle révision des valeurs locations, est-il réaliste de commencer la réforme dès 2016 ? Ne sera-t-on pas accusé de masquer, au travers d'une réforme de la DGF, la baisse des dotations ? Deuxièmement, je souscris à l'idée de faire une pause dans la montée en charge du FPIC. Il y a des effets pervers, notamment pour les communes qui n'ont pas vu leurs ressources augmenter, mais qui appartiennent à une intercommunalité dont les bases ont progressé, et voient donc leur contribution augmenter. Je suis ouvert à l'idée d'une dotation de base uniforme et intangible. Je m'interroge davantage sur la capacité qu'auraient les élus de répartir localement la péréquation. Mais je souscris à l'idée selon laquelle nous avons atteint les limites d'un système qui devient encore plus insupportable avec la baisse des dotations.

Mme Christine Pires Beaune. - Concernant le calendrier, il me semble que si la réforme de la DGF n'est pas menée en 2016, elle ne pourra se faire, au mieux, qu'en 2019. J'émets l'idée d'une pause de la péréquation car la réforme permettrait d'avoir une DGF plus juste. Il s'agit d'une réflexion globale. Enfin, je vous confirme que nous souhaitons que la contribution au redressement des finances publiques continue de figurer sur les fiches de notification de la DGF.

M. Charles Guené, rapporteur spécial de la mission « RCT ». - Sur la forme, se pose évidemment la question du calendrier. Dans notre rapport sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017, Philippe Dallier, Jacques Mézard et moi-même avions déjà indiqué que la baisse prévue deviendrait insupportable et que ses conséquences sur l'investissement seront importantes. Il me semble donc que nous aurons des difficultés à faire cette réforme, même si vous pensez qu'elle est nécessaire. Par ailleurs, je pense qu'il ne faudrait pas utiliser le prétexte de la réforme de la DGF pour supprimer le FPIC ; ce dernier est lié à l'équité et se distingue du prélèvement pour le redressement des finances publiques. Cette position correspond certainement à celle d'une partie du Sénat, mais peut-être pas à sa totalité.

Sur le fond, je m'oppose à certaines associations d'élus qui ont exclu d'emblée la recherche de solutions. Nous ne sommes plus dans la même configuration qu'il y a vingt ans avec l'intercommunalité. Il serait délicat de ne pas étudier l'idée d'une « DGF locale » qui s'appuierait sur les richesses et les besoins d'un territoire et non plus uniquement des communes. Comme vous l'avez indiqué dans votre présentation, il serait intéressant, par exemple pour des charges de ruralité, d'examiner les besoins pour la voirie et les écoles au regard des compétences données aux intercommunalités. Il faut se pencher sur l'étude de cette « DGF locale » - il semble que vous ayez mis cette solution un peu à l'écart - quitte à prévoir ensuite au niveau législatif une répartition entre communes.

Je pense qu'il faut être extrêmement prudent concernant les critères : tant que les valeurs locatives ne seront pas révisées, il est difficile de s'appuyer sur des critères comme l'effort fiscal. Je souhaiterais faire entendre ici une autre voix que celle que l'on entend au comité des finances locales.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial de la mission « RCT ». - Je remercie Christine Pires Beaune pour la qualité de son rapport commun avec notre ami Jean Germain et son travail très pédagogique. Je remarque qu'aucun autre levier que ceux présentés ici n'a été évoqué au CFL, où nous avons davantage assisté à un rétrécissement des solutions et qu'à une analyse complète et objective de l'ensemble des possibilités.

Face à un travail explorant un grand nombre de pistes, il me paraît important à ce stade de ne pas fermer certains sujets avant de les avoir examinés au fond et d'avoir eu des simulations sur l'ensemble des leviers. Celles-ci permettent en effet de mesurer la sensibilité de tel ou tel levier. Je partage avec Charles Guené l'idée qu'on ne peut pas, à ce stade, mettre de côté la proposition de « DGF locale », et ce d'autant plus, que selon les territoires, les coefficients d'intégration sont extrêmement différents. Rien que pour cette raison de bon sens, il faut ouvrir cette piste, ne rien s'interdire et se garder de toute décision prématurée.

Deuxièmement, je souhaite insister sur la nécessité d'avancer - avec prudence - sur cette réforme. Tout pourrait plaider pour ne rien faire et ne pas réformer. Mais la première partie de votre rapport souligne bien l'état de délabrement dans lequel se trouve la DGF. Elle me fait penser à ces satellites rafistolés avec des bouts de sparadraps, que l'on hésite à enlever. Dans la dynamique du rapport - qui n'est contesté ni dans son analyse, ni dans les leviers proposés - il convient de lancer la réforme, éventuellement avec des étapes afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'effet de frange pour quelques communes.

Enfin, pour que la réforme puisse démarrer dès 2016, nous avons besoin de deux précisions. Tout d'abord, il conviendra d'avoir une vision globale sur le traitement du FPIC. Il est important d'intégrer ce « sparadrap » à la réforme. Deuxièmement, il s'agira de savoir comment la baisse des dotations s'imputera sur la DGF « réformée ».

Mme Michèle André, présidente. - Vous avez rencontré de nombreux élus locaux : partagent-ils tous l'idée qu'une réforme de la DGF est nécessaire ? Avez-vous senti des réserves ?

Mme Christine Pires Beaune. - Je tiens à rassurer Charles Guené : je n'ai jamais dit qu'il fallait supprimer le FPIC. Mais pour réfléchir de façon globale, on ne s'interdit pas d'envisager une pause de la péréquation horizontale si la réforme était péréquatrice.

Je souhaiterais faire un point sur l'articulation entre les travaux de la mission et ceux du CFL : la mission a été entendue deux fois par le CFL, d'abord pour présenter le diagnostic, puis pour exposer les pistes proposées. Maintenant, sont organisées des réunions du groupe de travail du CFL, auxquelles je peux assister en tant que membre du CFL, mais qui ne sont pas organisées dans le cadre de ma mission. Pour dire les choses clairement, si le CFL s'autocensure, il faudra évidemment que j'étudie les pistes écartées, en dehors du CFL. Je trouve cela dommage car je ne comprendrais pas quelles raisons pourraient être invoquées pour balayer une piste sans même l'avoir étudiée. Je dirais même que c'est suspect. Compte tenu de tout ce que l'on a dit, de l'achèvement de la carte intercommunale, le levier de la « DGF locale » doit être étudié et les élus prendront ensuite leurs décisions en leur âme et conscience, aux vues des simulations et des résultats. S'interdire l'étude me paraît dangereux et l'autre jour, certaines pistes ont été évacuées ; j'espère qu'elles reviendront au CFL.

L'idée de différer dans le temps l'application de certains mécanismes peut être envisagée en effet car il faudra peut-être un délai supplémentaire pour expertiser certaines pistes.

En raison de la révision des valeurs locatives, je pense que le critère de l'effort fiscal devra peut-être ne pas être modifié tout de suite.

Avec tous les élus locaux que j'ai rencontrés - et ce n'est pas leur faire injure que de dire cela - il a fallu faire un effort de pédagogie, pour expliquer comment fonctionne la DGF aujourd'hui. Une fois qu'ils ont vu le bilan, tous appellent la réforme de leurs voeux. De mon côté, je suis inquiète de ce que cette réforme puisse être prise en otage en raison des autres réformes en cours et notamment la baisse des dotations.

M. Philippe Adnot. - Je tiens à féliciter Christine Pires Beaune et le groupe auquel elle appartient : vouloir la simplification et plus de justice est une belle ambition qui mérite d'être soutenue !

Il est nécessaire d'avoir une vision consolidée de la DGF des communes et des EPCI. Pour moi, la DGF des intercommunalités est une anomalie : six milliards d'euros de prime alors même que l'intercommunalité devait permettre de réaliser des économies. Je suis paysan, si je m'associe avec quelqu'un pour acheter des betteraves, je fais des économies : s'associer ne doit pas consister à coûter plus cher !

Soit toute la DGF est versée aux communes, si l'on considère que l'intercommunalité est un prolongement des communes et il appartient alors aux communes de financer ce qu'elles ont décidé de faire en commun ; soit la commune est le prolongement de l'EPCI et donc on verse tout à l'EPCI. À défaut, on complexifie à l'extrême.

Je souhaiterais savoir si les comparaisons effectuées prennent en compte les effets du FPIC ? D'ailleurs, je tiens à souligner que personne n'est capable d'expliquer aux élus locaux comment est calculé le prélèvement et pourquoi il explose cette année ! Il faut plus de transparence.

Pourquoi continue-t-on de prendre en compte le revenu par habitant comme critère alors qu'il n'a rien à voir avec les ressources des collectivités territoriales ? Cela pénalise les habitants des zones rurales, qui ne bénéficient pas des services offerts en milieu urbain.

M. Michel Bouvard. - Je vous remercie pour la clarté de votre exposé. Je suis de ceux qui considèrent que la réforme est nécessaire et souhaitable et il serait bon d'éviter de la reporter mais pour cela, il y a un certain de nombre de préalables...

J'adhère globalement à l'idée de la « DGF locale », c'est un moyen de répondre aux questions concernant la lisibilité et la légitimité de la péréquation car il n'est pas normal que, dans certains départements, toutes les communes soient prélevées au titre du FPIC. C'est le cas de quatre départements, dont trois départements de montagne. Je vous invite, chère collègue, à venir visiter certaines de ces communes et à constater l'état de leur voirie.

L'approche consolidée est hautement souhaitable mais cette question dépend des dispositions qui seront finalement adoptées dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) concernant le seuil de création des intercommunalités.

En ce qui concerne l'effort fiscal, il convient d'éviter les effets « pousse au crime » : il ne faut pas donner une prime aux collectivités territoriales qui augmentent la fiscalité parce qu'elles n'ont pas maitrisé leurs dépenses de fonctionnement. Il faut au contraire s'efforcer de penser un système qui récompense les collectivités vertueuses dans la tenue de leurs dépenses de fonctionnement.

Il ne faut pas retenir une vision statique du critère démographique : certains territoires voient leur population augmenter régulièrement, ce qui nécessite de créer des services et des équipements : cet aspect doit aussi être pris en compte pour pouvoir accompagner les mutations.

La catégorie des communes touristiques n'a pas été évoquée : ces communes, où peuvent vivre 500 habitants mais qui disposent de 10 000 lits touristiques, doivent pouvoir financer des équipements. La taxe de séjour ne suffira pas, la dotation touristique a été cristallisée en 1993 - alors même qu'elle encourageait ceux qui investissaient. Dès lors, comment accompagner ces communes, qui sont souvent aussi des entreprises ?

La montagne n'est pas soluble dans la ruralité ; on ne traite pas le problème du relief ni celui des risques naturels en prenant en compte la superficie. Il faudra trouver un moyen de prendre en compte les charges spécifiques de ces communes qui s'accroissent à mesure que les normes deviennent plus exigeantes.

Mme Marie-France Beaufils. - Merci pour ce rapport très riche, qui identifie les dysfonctionnements actuels, notamment liés au fait que des dotations historiques ont été figées.

Mener une réforme de qualité alors que les dotations baissent ne sera pas simple. Il faut réfléchir à cette réforme en faisant abstraction de ce contexte pour aboutir à un dispositif pérenne et pertinent.

Il faut inscrire cette réforme dans la continuité de la compensation des recettes fiscales qui ont été supprimées et également des responsabilités assumées par les collectivités territoriales.

Je crois nécessaire qu'une part de dotation tienne compte du minimum de service que chaque collectivité est tenue d'assurer.

Selon moi, la péréquation horizontale n'est pas pertinente, la péréquation verticale est beaucoup plus efficace. Si la DGF est vraiment péréquatrice, nous n'aurons pas besoin de maintenir le FPIC.

Je ne suis pas d'accord avec Philippe Adnot : les inégales richesses de nos habitants imposent des obligations différentes aux collectivités territoriales. La situation dans une commune où les habitants ont les moyens de se payer les services dont ils ont besoin n'est pas identique à celle d'une commune dans laquelle le revenu est très faible. La question de la prise en compte du revenu médian ou du revenu moyen devra d'ailleurs être étudiée.

On voit aujourd'hui des cas assez inouïs de collectivités territoriales qui bénéficient de dotations de péréquation - DSU ou DSR - alors qu'elles sont dans une situation assez similaire à d'autres. Il y a là une fragilité.

Nous avons donc les bases d'une réflexion, il nous faut maintenant travailler plus au fond la question des critères permettant une véritable péréquation.

Enfin, je suis très réticente à l'idée de verser la DGF aux EPCI qui la reverseraient ensuite aux communes. Je vois mal comment maintenir une vie communale de qualité dans ces conditions.

M. Alain Houpert. - Je suis très heureux que cette mission ait vu le jour ; lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, j'avais proposé un amendement un peu utopique d'égalité de la DGF entre villes et campagnes. Cet amendement, adopté par le Sénat à la surprise de tout le monde, mais non retenu par l'Assemblée nationale, est peut-être à l'origine de cette mission parlementaire.

Pour s'opposer à cet amendement, l'argument consistait à dire que les recettes de l'État ne sont pas suffisantes pour aboutir à cette égalité. « Liberté, égalité, fraternité » : nous parlons ici du socle de l'égalité.

S'agissant de la révision des valeurs locatives, elle aboutira à une augmentation du résultat fiscal attendu, de l'ordre de 30 % dans les villes.

M. Philippe Dallier. - C'est à produit fiscal constant !

M. Alain Houpert. - On va aboutir à une augmentation des impôts de 20 % à 30 % : les contribuables n'en peuvent plus.

M. Georges Patient. - Les communes d'outre-mer mériteraient un examen plus spécifique. On continue à les traiter comme les autres, avec quelques petites variantes insuffisantes. J'ai remis un rapport au Gouvernement proposant des pistes de réforme, qui ne sont pas reprises par notre collègue députée. Le ministre du budget, Christian Eckert, était en Guyane la semaine dernière et il a pu se rendre compte que les communes de Guyane, dont certaines font plus de 2 000 kilomètres carrés, ne sont pas identiques aux communes métropolitaines. Il a d'ailleurs indiqué que la dotation superficiaire qui paraît adaptée à la réalité, mériterait d'être revue. J'espère que vous en tiendrez compte.

M. Vincent Delahaye. - Même si le contexte est compliqué en raison de la hausse du FPIC et de la baisse des dotations qui étranglent les collectivités territoriales, je suis partisan de réformes. On se rend compte que c'est compliqué, qu'il existe de nombreux cas particulier, on a évoqué la ruralité, les communes touristiques et d'outre-mer ; je pourrais évoquer pour ma part les communes de banlieue, leurs charges et les impôts qu'on y paie.

Concernant l'intercommunalité, je partage l'idée de Philippe Adnot : faut-il maintenir la dotation d'intercommunalité ? Ne faut-il pas plutôt verser la dotation aux communes qui financeraient l'intercommunalité ? Je suis surpris que vous mainteniez dans vos propositions une incitation à l'intégration. Si l'on pousse encore aujourd'hui à renforcer l'intégration, c'est qu'on cherche à supprimer les communes. Il faut alors le dire clairement. Sinon, l'intégration n'est intéressante que si on réalise des économies d'échelle, alors toute bonification supplémentaire est inutile.

Enfin, concernant la péréquation : une dotation de solidarité comme la DSU, qui est versée à 75 % des communes, ce n'est plus de la solidarité !

M. Philippe Dallier. - Je suis absolument persuadé qu'il faut une réforme de la DGF et de la péréquation. On ne peut pas laisser la future Métropole du Grand Paris et la région Île-de-France de côté. Or, je ne vois pas bien, étant donné le calendrier de la création de la Métropole du Grand Paris, qui continue de nous être annoncée pour le 1er janvier 2016, comment tout cela est possible ! C'est utopique, nous ne savons strictement rien sur les futures dotations ni sur les évolutions éventuelles du fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF). Je ne vois pas comment on peut mener cette réforme de la DGF sans connaître les impacts financiers de la création de cette métropole sur les communes franciliennes, mais aussi sur les autres collectivités territoriales ? J'appelle de mes voeux cette réforme de la DGF, mais je ne vois pas comment nous pourrons être en capacité, dans quelques mois, de la proposer en intégrant tous les paramètres.

En ce qui concerne le choix des critères en matière de péréquation, je pensais qu'il existait un assez large consensus pour considérer que le nombre de logements sociaux n'est pas le critère le plus pertinent, dans la mesure où, dans certaines communes, le seuil de 25 % de logements sociaux est atteint grâce à des logements de type PLS où vivent des ménages dont les revenus dépassent les plafonds de revenus, alors que d'autres communes, sans atteindre le seuil de 25 %, ont beaucoup de logements sociaux de fait. Le critère du revenu moyen ou du revenu médian me paraît meilleur : il faut prendre en compte la richesse de la population pour mesurer les charges d'une commune.

Enfin, je tiens à souligner que les dotations de compensation ne sont pas un sujet anecdotique !

M. François Marc. - Je partage votre opinion selon laquelle la réforme de la DGF du bloc communal doit être une priorité et qu'il faut donc la mener dès le projet de loi de finances pour 2016. Des inégalités perdurent, au détriment de communes modestes, qui perçoivent parfois deux ou trois fois moins de DGF que d'autres communes aux caractéristiques comparables. Il est donc urgent de les corriger, d'autant plus que la baisse des dotations - inéluctable - touche davantage les communes les moins aisées.

En effet, imaginons une commune riche et une commune pauvre ayant toutes les deux 100 de recettes. La DGF de la première représente 20 % de ses ressources, tandis qu'elle représente 40 % de celles de la seconde, dans la mesure où ses ressources sont justement moins élevées. Une baisse de 10 % de la DGF représentera donc une baisse de 2 pour la commune riche contre une baisse de 4 pour la commune pauvre.

L'architecture proposée par la mission est cohérente avec les idées avancées par les uns et par les autres et se situe dans la bonne voie. De nombreux sujets sont sur la table : réforme de la DGF, révision des valeurs locatives, baisse des dotations, projet de loi NOTRe... Il sera peut-être difficile de réformer d'un coup la DGF communale dans le projet de loi de finances 2016. S'il fallait accorder la priorité à un sujet, je pense que ce serait la réforme de la péréquation : il faut mieux cibler la péréquation verticale et poursuivre la progression du FPIC. Nous en sommes à la dernière marche, il faut aller jusqu'au bout ! Ce dispositif n'est pas du tout obsolète, il est même très récent et je rappelle qu'il ne représentera, en 2016, que 2 % des recettes communales. Cet effort me semble supportable.

M. Jacques Genest. - La DGF est complexe et même opaque pour certains élus, qui ne comprennent plus les montants qui sont attribués à leur commune. Espérons que la réforme permettra d'aboutir à un dispositif aussi clair que l'exposé.

Il est vrai qu'il est nécessaire de tenir compte, dans la répartition de la DGF, des transferts qui ont eu lieu des communes aux intercommunalités. En tant que président des maires ruraux de l'Ardèche, je suis un fervent partisan des critères objectifs, tels que la longueur de voirie, la superficie ou la localisation en zone de montagnes, afin de tenir compte notamment du coût du déneigement.

Je nourris aussi quelques inquiétudes suite à la réforme de la carte cantonale, qui a fait perdre la qualité de chef-lieu de canton à certaines communes, alors même qu'elle ouvrait droit à une part de la DSR. Je pense qu'il faut garder la notion de « bourg-centre » dans la répartition de la DGF.

Je suis d'accord avec Philippe Adnot à propos de la prise en compte du revenu fiscal : elle n'a pas de sens dans une commune rurale. Si un ou deux habitants sur 200 ont un revenu très important, le revenu moyen de la commune augmente fortement. Mais c'est l'ensemble de la population et en particulier les retraités agricoles et les ouvriers qui devront financer l'entretien de la voirie.

Mettre en place une « DGF locale » peut être intéressant. Mais un point m'inquiète : aujourd'hui, toutes les communes sont représentées au sein des conseils communautaires ; est-ce que ce sera encore le cas demain, avec les EPCI pléthoriques que nous prépare la loi Notre ? Dès lors, quelle serait la légitimité de tels conseils communautaires pour répartir la DGF ? Il faut mettre en place des garanties.

S'agissant du FPIC, je pense que c'est un bon outil. Quand on leur donne de l'argent, les communes rurales l'acceptent toujours volontiers, tant elles en ont besoin.

Je suis assez pessimiste sur l'aboutissement de la réforme des valeurs locatives, qui pourrait connaître le même sort que celle des années 1990. Dès qu'on touche aux impôts, il faut être prudent.

Enfin, comment faire pour que la réforme de la DGF ne soit pas une arme contre les communes rurales ?

M. Jean-François Husson. - Je pense qu'il faudrait prévoir, au sein de la DGF, une part incitative, éventuellement temporaire, destinée à soutenir l'investissement, qu'elle soit versée au niveau intercommunal ou communal, afin d'améliorer le niveau d'équipement de nos territoires. Je pense en particulier aux besoins d'investissement dans les bâtiments scolaires, du fait du développement des activités périscolaire.

La DGF devrait notamment prendre en compte le fait que certaines communes ou EPCI financent de grands équipements qui sont structurants pour l'ensemble du territoire. Il ne faut pas qu'ils supportent seuls ces investissements.

Mme Christine Pires Beaune. - Pour répondre à Philippe Adnot, les chiffres présentés tout à l'heure ne prennent pas en compte les versements ou les prélèvements au titre du FPIC, puisqu'il s'agit uniquement des montants de DGF. Vous savez en revanche qu'un rapport sur le FPIC sera remis à l'automne et que le groupe de travail du CFL abordera bientôt ce sujet.

S'agissant du revenu par habitant, je pense que c'est un bon critère indirect, mais il s'agit d'un critère de charges. D'ailleurs, de nombreuses associations d'élus nous ont demandé une plus grande prise en compte de ce critère. Par ailleurs, la mission va travailler sur l'éventualité d'une prise en compte du revenu médian et non plus moyen.

Pour répondre à Michel Bouvard, le FPIC n'était pas dans le périmètre de la mission, mais nous l'avons évidemment pris en compte, afin d'avoir une vision consolidée. Concernant les communes de montagne, nous avons parlé de leur situation avec l'Association nationale des élus de la montagne et avec la mission parlementaire chargée de travailler sur l'actualisation de la loi montagne. Notre intention est de maintenir une bonification spécifique au sein de la dotation pour charges de ruralité, qui pourrait reposer sur la longueur de voirie ou la densité.

S'agissant des communes touristiques, la dotation a été gelée en 1993 mais leur situation est toujours prise en compte à travers la « population DGF », qui tient compte des résidences secondaires. Je pense cependant que ces communes sont surtout confrontées à des problèmes d'investissement, c'est pourquoi nous proposerons plutôt une dotation d'investissement.

Certains ont évoqué l'intégration d'un critère de « bonne gestion » : la mission a écarté cette piste car nous sommes incapables de dire ce qu'est une « bonne gestion » et cela poserait des problèmes juridiques. De plus, ce critère pourrait nous conduire bien trop loin.

Marie-France Beaufils a insisté sur le versement de la DGF directement aux EPCI, mais ce n'est pas dans les intentions de la mission : la DGF, même territorialisée, demeurera versée à chaque commune, sauf souhait contraire.

Je note d'ailleurs qu'un certain consensus existe parmi vous pour que cette idée d'une « DGF locale » soit étudiée et beaucoup ont même approuvé la mesure des ressources et des charges au niveau du territoire.

La réforme de la DGF ne sera pas une « arme contre les communes rurales » : nous veillerons à ce que la loi prévoie une répartition de droit commun, sur le modèle de celle utilisée pour le FPIC et à laquelle il sera possible de déroger dans certaines conditions. Les difficultés rencontrées dans le cas du FPIC ne résultent pas de cette logique de répartition mais de la situation particulière des communes pauvres situées dans un EPCI riche et inversement.

Georges Patient a évoqué la situation des communes ultramarines. Nous avons d'ailleurs entendu hier la ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin. Nous ferons des propositions pour que le critère de superficie demeure pris en compte, mais le plafonnement de la dotation superficiaire de la Guyane perdurera.

J'invite Vincent Delahaye et l'ensemble des sénateurs à lire le rapport de 2014 de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale de l'administration sur les mutualisations au sein du bloc communal. J'appelle votre attention sur le fait qu'il y a des mutualisations ascendantes et descendantes, dont l'intérêt respectif varie d'un territoire à l'autre. Il est important que le critère de mutualisation en tienne compte.

M. Vincent Delahaye. - Mutualisation et intégration sont deux choses différentes.

Mme Christine Pires Beaune. - C'est exact et c'est pour cela qu'on distingue le coefficient d'intégration fiscale (CIF) du coefficient de mutualisation. Nous les conservons mais peut-être, à terme, le coefficient de mutualisation pourra remplacer le CIF.

J'en arrive à la Métropole du Grand Paris, évoquée par Philippe Dallier : nous avons demandé des simulations car nous avons effectivement besoin d'y voir plus clair.

M. Philippe Dallier. - J'espère que vous nous les transmettrez !

Mme Christine Pires Beaune. - Nous n'y manquerons pas.

Concernant la situation des communes chefs-lieux de canton, le Sénat a sanctuarisé ce statut pour le bénéfice de la DSR. La mission considère pour sa part que ce zonage ne correspond plus à grand-chose et préfèrerait trouver des critères permettant d'appréhender les bourgs centres.

Enfin, la part incitative de DGF évoquée par Jean-François Husson a été écartée par la mission, car il s'agit d'une dotation de fonctionnement, libre d'emploi. Il vaut mieux éviter de lui fixer un objectif supplémentaire.

Dialogue social et emploi - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 2739 (AN - XIVe législature) relatif au dialogue social et à l'emploi (sous réserve de sa transmission) et nomme M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

Nomination d'un rapporteur spécial de la mission « Outre-mer »

La commission nomme M. Nuihau Laurey rapporteur spécial de la mission « Outre-mer » en remplacement de Mme Teura Iriti.

Organisme extraparlementaire - Désignation

La commission nomme M. Nuihau Laurey pour siéger en tant que membre titulaire au sein de la commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer.

Audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF

Au cours d'une seconde réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF.

Mme Michèle André, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et Benoit de Juvigny, secrétaire général de cette Autorité. Il s'agit maintenant d'une habitude bien établie de notre commission que d'entendre le Président de l'AMF à l'occasion de la publication de son rapport annuel.

Cette audition doit aussi être l'occasion d'aborder tous les sujets portant sur le champ financier. Cette année, je pense en particulier à la question du cumul des sanctions administratives et pénales sur laquelle l'AMF vient de publier l'état de ses réflexions. Sur ce sujet, nos collègues Albéric de Montgolfier et Claude Raynal ont déjà conduit de nombreuses auditions et devraient présenter les résultats de leurs travaux dans les prochaines semaines.

M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers. - Je vous remercie de m'accueillir pour la présentation du rapport de l'AMF portant sur notre action au cours de l'année 2014. Vous y trouverez tous les chiffres et les développements sur les différents aspects de notre activité tant envers les émetteurs d'instruments financiers que de la gestion d'actifs. Nous avons également une importante activité internationale et réglementaire ainsi qu'une action répressive. Sur ce point, nous avons été actifs puisque nous avons battu, si je puis dire, un « record » du montant le plus élevé prononcé au titre des sanctions.

L'année 2014 se traduit par un net regain d'activité sur les marchés par rapport à 2013 et surtout à 2012, qui avait été difficile, notamment les marchés actions. Les volumes échangés sur l'ensemble des marchés d'Euronext, ont progressé de 18 %, avec un volume quotidien de près 4 milliards d'euros à Paris. Nous assistons à une légère augmentation du nombre de sociétés cotées. Les montants levés, trois fois supérieurs à ceux de l'an dernier, ont atteint 4,3 milliards d'euros. Les sociétés déjà cotées ont quant à elles levé près de 14 milliards d'euros, un montant nettement supérieur à celui de l'année précédente.

Les encours sous gestion ont progressé de 3 %, en ligne avec le reste de l'économie, ce qui conforte un volume important d'activité dans ce secteur-là.

Parmi les éléments positifs de cette année, je voudrais également citer l'introduction en bourse d'Euronext. Vous vous en souvenez, l'entreprise de marché avait été constituée par la fusion des bourses de Paris, Lisbonne, Amsterdam et Bruxelles. Dans les années 2000, elle avait ensuite fusionné avec l'opérateur américain New York Stock Exchange (NYSE). L'histoire a repassé les plats : un grand opérateur américain a fait une offre sur l'ensemble NYSE-Euronext et a remis sur le marché la partie Euronext. On se retrouve donc avec une bourse centrée sur les actions, mais pas exclusivement, autonome et qui s'est introduite avec un noyau dur d'actionnaires financiers de la zone euro, y compris la Banque publique d'investissement, avec une présence française assez forte. La nouvelle entité pourra davantage se tourner vers le financement des entreprises de la zone euro alors qu'il avait été reproché un tropisme américain à NYSE-Euronext.

Les marchés financiers ont donc repris un rôle plus actif, dans une période qui reste un moment de transition, notamment sur les marchés actions. C'est également vrai sur le marché obligataire : qu'il s'agisse des obligations dites « corporate » ou des placements privés dits « Euro PP », le financement obligataire a été très dynamique en volume avec des éléments de taux très favorable, tendant à la politique de « quantitative easing » de la Banque centrale européenne (BCE).

Au-delà de ces éléments plutôt favorables, un régulateur est toujours inquiet ! Notre métier, avec nos collègues régulateurs prudentiels, c'est de surveiller l'apparition éventuelle de risques qui pourraient ébranler à nouveau les marchés financiers qui restent, de mon point de vue, assez fragiles.

Le fait majeur, c'est la politique de taux d'intérêt. Elle a connu un tournant très marqué ces derniers mois. Ceci a évidemment des avantages en termes de financement et de relance de l'économie européenne. Du point de vue d'un régulateur de marchés, nous devons nous poser des questions sur la manière dont les acteurs financiers vont vivre cette période. À ma connaissance, ils n'ont jamais fonctionné avec une structure de taux nominaux aussi faibles.

Les marchés obligataires sont valorisés à un niveau très élevé puisque la valorisation d'une obligation varie en proportion inverse des taux d'intérêt. Le marché peut donc se révéler fragile avec l'apparition de crises de confiance, comme nous avons pu le constater voilà quelques semaines. La transition entre ce régime de taux exceptionnel et un régime plus « normal » - qui viendra forcément - doit être regardée avec vigilance. Pour ce qui nous concerne, nous demandons aux gestionnaires de fonds obligataires d'établir des scénarios de risque prenant en compte un choc obligataire.

Nous pouvons également évoquer le transfert de capitaux entre continents du fait d'une divergence du régime de taux d'intérêt. Une situation où les taux d'intérêt longs aux États-Unis seraient très nettement supérieurs à ceux des pays européens dont l'économie a connu des difficultés récemment est instable. Des transferts de capitaux rapides, dans un sens ou dans l'autre, peuvent intervenir selon le jugement des marchés.

Nous participons à beaucoup de travaux internationaux sur la maîtrise des risques. Nous restons très attentifs à toutes les questions liées au « shadow banking », même si ce terme nous paraît vague et recouvre des réalités assez différentes. La maîtrise des risques obtenue dans le secteur bancaire par la démarche de Bâle III peut s'accompagner de certains risques sur le terrain des financements non bancaires.

Nous avons été également mobilisés sur la défense des épargnants. En effet, dans une période de rémunération très basse de l'épargne - qui suit le mouvement général des taux d'intérêt - certains sont tentés de proposer des placements qui rapportent beaucoup plus que des taux obligataires ou des livrets d'épargne. Nous avons par exemple enregistré plus de 1 000 plaintes pour des opérations sur le « Forex ». Sur Internet, certaines publicités séduisantes proposent à des particuliers de devenir trader sur des produits de change, c'est-à-dire de spéculer sur la variation des principales devises. Or, nous avons démontré que ce processus, même s'il est réalisé de manière professionnelle, est perdant à neuf fois sur dix. Au surplus, les produits offerts ne le sont pas toujours de manière professionnelle, certains sites étant fort peu sérieux quand il ne s'agit pas d'une escroquerie pure et simple. Les sommes perdues peuvent représenter une part importante de l'épargne engagée. Nous nous battus contre ces sites et nous avons engagé des actions juridiques, notamment au sein de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Nous avons demandé au ministère des finances de proposer au Parlement une disposition législative d'interdiction de la publicité pour ce type de produit. Cela nous paraît, à court terme, le levier dont nous aurions besoin.

Nous participons activement aux travaux sur l'Union des marchés de capitaux, qui représente un tournant de l'attitude de la Commission européenne par rapport à l'Europe des marchés financiers. Nous avons reçu très récemment le Commissaire Hill.

Mme Michèle André, présidente. - Nous aussi.

M. Gérard Rameix. - Oui, je crois que nous avons été nombreux à profiter de son passage à Paris la semaine dernière.

Nous pensons que, à côté de l'orientation générale consistant à maintenir les actions de sécurisation du système qui sont largement en cours et qu'il faut achever, il faut essayer de les toiletter, les rationaliser et aller vers des actions qui se préoccupent de façon plus économique de la bonne rencontre entre l'offre et la demande de capitaux et du financement des entreprises.

Nous participons très activement aux réflexions à l'intérieur de l'AEMF. Cet organisme, qui rassemble les différents régulateurs européens, a une action positive. Il doit participer davantage encore à une harmonisation des pratiques de régulation et ne pas seulement se concentrer sur le travail très technique de définition de standards d'application des textes communautaires. Il doit rechercher plus concrètement si les différents régulateurs et les différents milieux professionnels au sein de l'Union européenne se mettent tous en ligne par rapport aux principes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - S'agissant des conséquences de l'arrêt Non bis in idem du Conseil constitutionnel, nous avons lu avec intérêt les propositions du groupe de travail de l'AMF, dont certaines pistes évoquées nous paraissent opérationnelles.

Je rappelle aux collègues les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, qui interdit les condamnations, pour les mêmes faits, au pénal et devant l'AMF, en matière de délit boursier. Il faut donc élaborer une forme d'aiguillage entre la voie pénale, notamment avec le parquet national financier, et la voie administrative, c'est-à-dire celle des sanctions prononcées par l'AMF. Se posent différentes questions. Certaines pistes ont été évoquées, telle que la création d'une grande juridiction spécialisée ou la question d'un aiguillage ab initio prévu par la loi.

La question est donc celle de savoir ce qui se passerait en cas de désaccord entre l'autorité judiciaire et l'AMF sur la voie à suivre. Une commission d'aiguillage pourrait être instituée, dont les décisions ne seraient pas susceptibles d'appel. Cela suppose-t-il obligatoirement une prédominance du judiciaire ou bien la question reste-t-elle ouverte à ce stade ?

Ma deuxième question porte sur les secteurs qui ne sont pas véritablement encore régulés, bien que l'AMF s'efforce d'intervenir. Vous avez évoqué la question du Forex, en rappelant également l'action menée sur certains sites, qui a mis à jour de véritables escroqueries. C'est un travail intéressant et utile. Aujourd'hui, peut-être du fait de la faiblesse des taux d'intérêt, comme vous l'avez souligné, il y a une tentation d'aller vers des produits plus « exotiques » et très peu régulés.

En dehors de l'interdiction de la publicité pour le Forex par exemple - publicité du type « devenez trader en un jour » - et qui paraît une mesure saine, y a-t-il d'autres évolutions législatives attendues par l'AMF, et qui permettraient d'atteindre des types de marché ou des types de produits non régulés ? À cet égard, je pense tout particulièrement aux produits défiscalisés, où l'on vend uniquement la défiscalisation, à travers de la publicité presque mensongère, sans que les intermédiaires ou le promoteur du produit n'encoure la moindre sanction. En conséquence, des personnes de bonne foi peuvent se retrouver redressées fiscalement. Ce type de produits ne rentre pas forcément dans le champ de compétence de l'AMF. Une extension du champ de vos compétences ou des évolutions législatives en ce sens vous paraîtraient-elles donc souhaitables pour la protection des épargnants, ce qui est votre vocation ?

M. Claude Raynal. - Je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions s'agissant de l'aiguillage et de la façon de répartir les affaires entre le procureur financier et l'AMF en cas de difficulté, même si de tels cas sont assez rares. Dans votre rapport, une proposition nous a étonnés. Elle est relative à l'idée de fixer des seuils comme critères objectifs d'aiguillage. Il nous avait semblé, avec le rapporteur général, lors des premières auditions, que vous étiez plutôt peu favorable à cette position, qui pose d'ailleurs une difficulté particulière. En effet, on peut très bien avoir une affaire qui relève du pénal et du procureur financier, y compris sur des opérations de faible montant.

Nous avons reçu la semaine dernière Bernard Delas pour sa nomination à la vice-présidence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Comme vous, il relevait la question de la fragilité potentielle concernant les sociétés d'assurance en cas de remontée rapide des taux d'intérêt. Comment percevez-vous ce risque ? Le gouverneur de la Banque de France avait très tôt alerté la commission sur cette problématique et sur le fait qu'il fallait demander aux sociétés d'assurance de ne pas s'engager sur des rendements trop importants.

M. Gérard Rameix. - En ce qui concerne la problématique de l'aiguillage, je rappellerai que les cas juridiquement litigieux où l'on avait une décision en matière pénale et en matière administrative sur les mêmes faits étaient peu nombreux, à raison de deux par an au maximum depuis la création de l'AMF il y a onze ans, soit dix-sept dossiers au total. Dans l'ancien dispositif, à partir de rapports d'investigation qui dénonçaient des agissements paraissant critiquables, l'AMF pouvait notifier des griefs et aller ensuite devant sa commission des sanctions. Cette dernière a fait la preuve de sa capacité, dans un cadre juridique solide, à prononcer des amendes d'un ordre de grandeur sans commune mesure avec celles qu'ont l'habitude de prononcer les tribunaux répressifs. On est presque dans un rapport de 1 à 100.

Désormais, nous allons être obligés de choisir. Sur une affaire donnée - peu importe qu'elle vienne d'un travail de police ou d'une enquête de l'AMF -, on devra décider si on la place sur le terrain pénal ou administratif, sachant que ces deux voies seront exclusives l'une de l'autre. C'est un choix difficile. En effet, la commission des sanctions de l'AMF a pour avantage sa technicité, et sa composition, puisqu'elle comprend des magistrats issus du Conseil d'État et de la Cour de cassation, ainsi que des professionnels ; en outre, elle mène ses procédures dans un délai d'un an à un an et demi maximum entre le moment où l'on notifie les griefs et le moment où la décision est rendue. Ensuite, compte tenu des délais d'appel, les affaires sont traitées au bout de deux à trois ans, se concluant par de fortes amendes et des interdictions d'exercer.

La voie pénale est très différente : si elle est plus forte par certains côtés, avec des moyens d'investigation parfois plus poussés et la possibilité de prononcer des peines de prison, elle se heurte en revanche à des contraintes procédurales beaucoup plus lourdes.

On devra donc arbitrer, dans certaines affaires - je ne sais d'ailleurs pas qui arbitrera car c'est l'une des questions à résoudre - entre sanctionner une infraction financière par une amende qui tend à être de plus en plus forte, dans le cadre d'une procédure assez rapide, ou prendre le risque d'une procédure pénale plus aléatoire, plus longue, mais qui a une force symbolique plus forte. Par conséquent, les critères de choix, quel que soit le décideur, ne sont pas aisés, ce qui présente une difficulté réelle.

Je pense que tout le monde est à peu près d'accord sur ce point, mais je tiens à insister dessus : il est absolument impératif que la loi définisse très précisément ce qu'est la poursuite, au sens où le Conseil constitutionnel emploie ce terme ; en effet, toute poursuite engagée dans une voie aura pour conséquence de clore l'affaire dans l'autre voie. Si, par exemple, le parquet décide d'une citation directe d'une personne devant un tribunal correctionnel ou d'un réquisitoire introductif pour désigner un juge d'instruction dans une affaire, il est clair que cette dernière ne pourra plus faire l'objet d'une notification de grief par l'AMF. De même, si c'est l'AMF qui notifie les griefs, le parquet, à condition qu'il s'agisse bien des mêmes faits et de la même incrimination, ne pourra plus agir. La question de la définition de la poursuite est donc absolument décisive. J'insiste un peu lourdement sur ce point car je crains que l'on ait à faire face à des contentieux sur la qualification de l'acte de poursuite, certains avocats pouvant à soulever ce type de grief pour ruiner les procédures initiées.

Il me semble ensuite évident qu'il convient, contrairement à ce qui se passait jusqu'ici, de prévoir une période de quelques semaines - nous proposons deux mois dans le rapport - au cours de laquelle, avant de procéder à cet acte important qui oriente le dossier, il y aurait une discussion entre les deux autorités compétentes. Avec la création du parquet national financier, dans les cas de délits boursiers - délit dit d'initié, utilisation d'information privilégiée et manipulation de cours ou fausse information, variante de la manipulation de cours dans les textes européens - nous devrons examiner ensemble le dossier pour définir quel est l'avantage de chacune des deux procédures.

Il y a plusieurs solutions possibles à cet égard : on échange et ensuite chacun initie sa procédure. Si c'est un dossier initié au départ par l'AMF et que le collège de l'AMF décide qu'il transmet au parquet, mais que ce dernier refuse, le collège suivra sa propre procédure et recommandera l'amende qu'il juge la plus appropriée.

L'autre solution que nous proposons dans le rapport, et qui semble vous surprendre, consiste à proposer une hiérarchie en fonction des affaires. Cette idée est présente dans les textes européens, notamment dans les règlements dits « abus de marché ». Selon ceux-ci, les États membres doivent organiser la répression des infractions financières, avec la possibilité de conférer des pouvoirs au régulateur en la matière. Toutefois, cette démarche n'est pas obligatoire et, dans les cas les plus graves, il faut prévoir une procédure pénale.

Ces textes ne traitent pas de la question de l'aiguillage entre les deux voies. Ils introduisent une hiérarchie visant explicitement les cas les plus graves d'intentionnalité, de récidive et d'atteinte au marché, qui appellent une réponse pénale, tandis que les autres infractions sont définies de façon plus générale sans niveau de gravité.

Cette solution a pour intérêt de clarifier en grande partie le débat sur les compétences. En effet, si l'on se trouve en dessous des seuils qui restent à déterminer, la compétence de principe est celle de la commission des sanctions de l'AMF. On n'est pas dans le domaine pénal et l'on considère - si le législateur veut bien partager ce point de vue - que c'est le terrain de la répression technique financière dite, en droit, administrative, qui est le terrain le plus efficace.

Je pense que c'est assez pragmatique. Vous me direz que je ne suis pas d'une neutralité totale pour présenter ce point de vue, mais il me semble que l'expérience prouve que si l'on a pu accroître la répression des dérapages financiers, certes pas autant qu'on le souhaiterait, c'est grâce à l'utilisation des moyens dont dispose l'AMF.

Au-delà d'un certain seuil, la compétence de l'AMF n'est pas impossible, le parquet pouvant considérer que même si on est au-dessus des seuils, les éléments d'incrimination ne sont pas suffisamment solides et qu'il est alors préférable que l'affaire soit renvoyée devant la commission des sanctions de l'AMF. Mais, dans ce cas, le dialogue a lieu d'être. Tel est l'esprit de notre proposition.

D'autres critères pourraient reposer, dans notre esprit, sur le niveau de plus-value et de gain réalisés, puisque ce sont des affaires d'argent que l'on traite. Nous considérons à cet égard que la machine pénale devrait être réservée aux gains les plus importants. Personnellement, je situerais ce seuil autour de 1 million d'euros, mais cela reste subjectif.

Ensuite, on évoque la création d'une sorte de commission d'arbitrage, solution envisageable mais qui demande à être travaillée en droit. Elle aurait un énorme avantage : dans les rares cas où il existe un vrai conflit de compétence, elle permettrait de surmonter les blocages. La chancellerie souhaite que le dernier mot reste au parquet, mais cela me paraît un peu critiquable. Le risque de cette solution, si l'on n'a pas défini les domaines et si l'on garde les infractions pénales au premier euro, repose sur les critères qui seront utilisés par le parquet, à savoir des critères de médiatisation, d'importance et de très grande visibilité de l'affaire, ou bien des critères beaucoup plus juridiques et techniques, tels que la capacité du parquet à penser pouvoir obtenir une décision rapidement, même sur des cas peu importants. Cela créerait une situation d'incertitude sur le fait de savoir qui traitera le dossier. C'est ce qui me paraît un peu risqué dans cette solution.

C'est pourquoi je pense qu'il faudrait soit créer une commission, qui aurait la lourde charge de donner une certaine cohérence en réservant au domaine pénal les décisions les plus importantes, soit essayer d'adopter une approche en termes de seuils, certes un peu simple. Je reconnais volontiers que, dans certains cas, il existe des actes qui peuvent paraître moralement très graves et qui n'ont pas forcément conduit à des gains considérables.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il me semble difficile d'évaluer ab initio la gravité d'une affaire : on ne sait pas dès le début le montant du gain obtenu, on ne connaît même pas nécessairement l'ensemble des personnes en cause, avant d'avoir bouclé l'enquête.

Vous avez mentionné l'idée d'une concertation entre l'AMF et le parquet pour décider de l'orientation d'un dossier ; cela me semble indispensable. Pour les rares cas de conflit, l'idée d'une commission qui prenne des décisions d'aiguillage non susceptibles de recours paraît une solution opérationnelle - en tout cas plus opérationnelle, me semble-t-il, que la détermination de critères objectifs a priori.

M. Gérard Rameix. - Nous avons repris les statistiques : depuis onze ans, il y a eu en effet un nombre limité de décisions pénales. Mais cela s'explique par le fait que la procédure administrative devant l'AMF fonctionnait. Le parquet, informé par l'AMF des poursuites et des sanctions prononcées - de la même manière que nous le sommes lorsqu'il y a poursuite et sanction pénales -, constatait que l'AMF sanctionnait la personne coupable du fait en question, et cette sanction lui semblait suffisante.

Nous serons en effet obligés, désormais, de prendre une décision d'orientation dès le départ, mais ce point de départ n'est pas celui que vous avez suggéré, Monsieur le rapporteur général. Au début de l'investigation, il est vrai que nous ne savons pas quelle va être l'importance de l'affaire : mais l'aiguillage aurait lieu à un autre moment, qui est celui de la notification du manquement, à l'issue de l'enquête, sur la base d'un fait établi, avec un montant précisément établi. Au moment de l'aiguillage, le dossier doit déjà être instruit et détaillé. La procédure, depuis que le pouvoir de sanction a été donné à l'ancienne Commission des opérations de bourse (COB), s'est considérablement précisée. Nous avons désormais trois phases : la phase d'investigation, la phase de poursuite - et c'est à ce moment-là que l'aiguillage peut avoir lieu, sur la base d'un dossier déjà étayé - et la phase de sanction, qui s'est rapprochée d'une procédure juridictionnelle. La commission des sanctions peut ne pas suivre la recommandation du collège, mais les critères objectifs dont je vous ai parlé, en particulier le montant du gain, varient très peu au cours de cette troisième et dernière phase.

S'agissant du Forex, nous travaillons sur la base d'une vieille disposition législative qui parle de « biens divers », qui sont proposés comme des placements. Le Parlement nous a donné un pouvoir supplémentaire de contrôle, nous permettant d'étendre le champ de nos investigations pour d'autres produits. Enfin, au plan européen, nous pourrons interdire à compter de 2017, via l'AEMF, certains produits dont la complexité et le risque sont excessifs.

S'agissant de produits fiscaux, il s'agit souvent de produits du secteur immobilier. Les textes sont relativement compliqués.

M. Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF. - Nous avons actuellement un débat sur les parts sociales, qui ne sont pas, pour l'instant, considérées comme des instruments financiers. Faut-il étendre le champ d'intervention de l'AMF en ce sens ? C'est une question que nous nous posons.

M. Gérard Rameix. - Cela reste marginal. S'agissant du Forex, il y a trois types de situations.

Dans le premier cas, un site qui promet au client de devenir trader en quelques minutes n'est enregistré nulle part. Totalement clandestin, il est probablement installé hors de France. Son objectif est d'obtenir le numéro de carte bleue d'un maximum de clients et de les faire jouer à perte. Ces sites sont totalement hors la loi et nous demandons systématiquement en référé à en obtenir l'interdiction, mais les fermetures sont immédiatement rattrapées par des ouvertures de nouveaux sites.

Dans le deuxième cas, le professionnel qui gère le site est enregistré dans un autre pays de l'Union européenne - pays dont on peut penser que le régulateur contrôle de façon moins stricte que ne le fait l'AMF -, tandis que les opérations sont souvent, en réalité, effectuées ailleurs. Nous agissons au sein de l'AEMF pour faire en sorte que les autres régulateurs fassent, en quelque sorte, mieux la police. Nous agissons également sur leur pratique commerciale qui touche les épargnants français ; à cet égard, il serait utile d'avoir un instrument juridique dissuasif à l'égard des professionnels qui gèrent la publicité de ce genre de sites sur Internet. Nous souhaiterions que la nature du risque induit par ce type de site nous permette d'en interdire la publicité. Il y a des débats entre nos services juridiques et ceux de Bercy pour savoir si nous pouvons la proposer à la représentation nationale.

Enfin, dans le troisième cas, le site est enregistré en France et régulé par l'AMF, mais il est ainsi conçu que neuf fois sur dix, le client est perdant. Nous avons fait des tests et des visites mystères pour le prouver ; un opérateur a été sanctionné pour ne pas avoir prévu suffisamment de procédures de contrôle et de sécurité. Nous sommes allés loin, car faire des visites mystères n'est pas dans notre tradition de contrôle, mais il me semble qu'il fallait le faire.

Concernant la remontée des taux, j'aimerais avoir la réponse ! Il y a eu deux grandes réactions à la crise financière. La première a été prudentielle et réglementaire, avec la mise en place de règlementations plus strictes pour relever les coussins en capital des banques et, sur les marchés, avec des textes comme EMIR qui nous permettent, non sans difficultés, de faire passer un grand nombre de dérivés par les chambres de compensation pour en réduire les risques. La seconde réaction, face au ralentissement économique, a été celle de la politique monétaire, avec des taux d'intérêts très bas. Cette politique a des avantages à court terme, mais elle n'est pas stable ; l'enjeu, c'est la transition. De notre côté, nous regardons les précautions techniques et les coussins que nous pouvons mettre au cas où le marché aura subitement un changement de perception du prix d'un actif. Nous pouvons également recommander, à l'image de ce que fait la principale intéressée Janet Yellen, présidente de la Fed, d'avoir une démarche progressive, de prévenir les marchés, pour réduire le choc. Nous pouvons tout faire pour minimiser les chocs, mais nous ne pouvons jamais être sûrs.

Évidemment, cette situation est difficile pour les assureurs, qui ont l'habitude de vendre des produits avec des taux d'intérêt positifs, même si ces derniers ont baissé progressivement. 1 200 milliards d'euros sont gérés par l'assurance-vie, dont 70 % en contrats en euros. La contrepartie est, au moins pour moitié, obligataire, donc soumis aujourd'hui à des taux très bas. Le risque de taux se gérera dans la durée, avec des protections, et sans garantie qu'il n'y ait jamais de choc.

M. François Marc. - L'économie tarde à redémarrer, alors que la sphère financière connaît un dynamisme important.

Vous nous avez expliqué comment vous procédez - et nous pouvons être rassurés sur vos méthodes. Je souhaite néanmoins vous interroger concernant les prescripteurs. Aujourd'hui, dans cette sphère financière, le charlatanisme tend à se développer, notamment sur internet. Les actions entreprises pour mettre hors d'état de nuire ces prescripteurs vont-elles assez loin, notamment lorsque les sommes en jeu sont faibles mais peuvent concerner un très grand nombre de personnes ?

Par ailleurs, disposez-vous de certaines informations de nature à rassurer nos électeurs concernant les transactions à haute fréquence et sur le marché agricole ?

S'agissant de votre mission de surveillance, j'ai le sentiment qu'un nombre croissant de fausses informations sont diffusées afin de provoquer des altérations brutales sur les marchés financiers et de générer artificiellement des plus-values. Face à ce phénomène, disposez-vous des moyens nécessaires pour agir efficacement ?

Enfin, quels sont les indicateurs sur lesquels les parlementaires pourraient s'appuyer afin d'apprécier la performance de l'AMF, dans l'esprit de la LOLF ?

M. Francis Delattre. - Je m'interroge sur trois points.

Tout d'abord, j'ai pu constater dans le cadre de mes attributions que nous avons un réel problème de défiance en matière d'innovation et de financement des petites et moyennes entreprises. Ces sujets font-ils l'objet d'une attention particulière de l'AMF ?

Par ailleurs, je constate que la régulation croissante du système bancaire classique en Europe semble s'accompagner d'un développement du système bancaire parallèle, notamment dans les pays anglo-saxons. Cette évolution fait-elle l'objet d'un contrôle approfondi, notamment dans le cadre des travaux menés par les instances internationales ?

Enfin, la BCE avait annoncé qu'elle ferait preuve d'une certaine sélectivité dans le cadre des achats de dette publique. Avez-vous été informés des critères choisis par la BCE ?

M. André Gattolin. - Je souhaite vous interroger concernant la régulation des dérivés agricoles. La spéculation financière joue un rôle important concernant la volatilité des prix agricoles, qui est dévastatrice pour l'accès à la nourriture des populations les plus fragiles. Aussi, trois articles ont été adoptés dans le cadre de la loi bancaire de 2013 afin que les acteurs intervenant sur les dérivés agricoles soient soumis à des limitations de leurs positions. Ce mécanisme de régulation doit être mis en oeuvre par l'AMF à partir du 1er juillet prochain. Quel est l'état d'avancement de la mise en place de ce dispositif ? Une évaluation de son efficacité est-elle prévue, afin notamment de déterminer si les niveaux choisis pour les limites de position sont pertinents ?

M. Richard Yung. - Ma question porte sur les sanctions. Comme vous l'avez indiqué, le montant des amendes infligées en 2014 constitue un nouveau record. Si l'on ne peut que se réjouir de cette tendance, il est difficile de juger si les sommes en jeu - 30 millions d'euros - sont réellement significatives, au regard notamment des amendes infligées par les régulateurs américains. En la matière, il semble que la France continue de jouer dans la cour des petits - mais peut-être avez-vous des éclaircissements à nous apporter sur ce point ?

Par ailleurs, concernant le secteur bancaire, je remarque que les européens ont réussi à se doter de moyens considérables de surveillance et de contrôle. Ne pensez-vous pas qu'une démarche semblable est aujourd'hui nécessaire pour les marchés de capitaux ? La mise en place d'une autorité centrale plus forte que l'AEMF - dont les pouvoirs de régulation et de sanction sont limités - ne serait-elle pas nécessaire ?

M. Maurice Vincent. - En matière d'assurance-vie, les risques semblent aujourd'hui difficilement quantifiables, notamment en cas de hausse forte et brutale des taux d'intérêt. Estimez-vous que les mécanismes de protection des épargnants actuellement prévus par la législation française - et notamment le niveau de la garantie des placements - sont suffisants et crédibles ?

Par ailleurs, nous avons le sentiment que la solidité des banques françaises est relativement forte. Ce sentiment a été renforcé par l'adoption de la loi bancaire, qui prévoit le cantonnement des activités spéculatives au sein de filiales séparées. Cette impression vous semble-t-elle justifiée ?

Mme Michèle André, présidente. - Ma première question concerne la cession des actifs significatifs. En 2014, Vivendi a cédé SFR à Altice et Alstom a cédé ses activités énergétiques à General Electric. Or il est apparu que ce type de cessions, bien qu'elles aient une incidence notable sur la vie de l'entreprise, étaient assez peu encadrées, s'agissant en particulier des informations délivrées aux actionnaires et aux investisseurs. Philippe Marini avait d'ailleurs déposé, dès juin 2014, une proposition de loi visant à rendre obligatoire le dépôt d'une OPA en cas de cession d'un actif significatif. Vous nous aviez annoncé l'année dernière la mise en place d'un groupe de travail sur ce sujet au sein de l'AMF. Pouvez-vous nous présenter les réflexions de l'AMF en la matière ?

Ma deuxième question porte sur le trading à haute fréquence. À la suite de la loi de séparation bancaire de juillet 2013, le règlement général de l'AMF a été modifié pour obliger les acteurs à une plus grande traçabilité des transactions à haute fréquence. Ce dispositif fonctionne-t-il ? Avez-vous les moyens d'analyser la masse d'informations ainsi reçues ? Ce dispositif pourrait-il être étendu à l'échelle européenne, le marché français ne représentant qu'une petite partie du trading à haute fréquence en Europe, y compris pour les titres de sociétés françaises ?

M. Gérard Rameix. - Concernant les prescripteurs, même sur des affaires portant sur des sommes modiques, nous sommes capables d'aller à la sanction et de vérifier que les systèmes de déontologie des prestataires sont satisfaisants. Ainsi, sur le Forex, l'action menée par l'AMF cible l'ensemble des investisseurs susceptibles d'être pris au piège, y compris pour des sommes modestes.

Le redémarrage observé sur le marché des actions est positif sur le plan économique car les sociétés peuvent de nouveau y trouver des fonds propres. L'AMF s'en félicite tout en veillant à la qualité des informations données à cette occasion.

Concernant la lutte contre le charlatanisme, nous avons considérablement augmenté les efforts en direction des épargnants individuels, dans le cadre notamment de notre activité de médiation. La médiatrice de l'AMF parvient dans de nombreux cas à trouver des arrangements lorsqu'il y a eu dérapage. Par ailleurs, nous avons des équipes de spécialistes dont le rôle est d'apporter la preuve que certaines personnes ont fait le choix délibéré de diffuser une information trompeuse afin d'augmenter leurs profits. La répression sur internet est néanmoins complexe, notamment en cas d'extraterritorialité.

Concernant les produits agricoles, les dispositions prévues par la loi bancaire en la matière vont entrer en application. En conséquence, l'AMF a procédé à l'adaptation des textes en vigueur et contrôlera le respect des limites de position sur ces marchés à partir du 1er juillet. À titre d'exemple, s'agissant des livraisons de blé, nous avons un marché de produits dérivés qui est devenu important au plan mondial, ce qui conduit l'AMF à faire preuve d'une vigilance particulière en la matière.

S'agissant du trading haute fréquence, je suis personnellement assez critique à l'égard de cette pratique, mais je reste tout de même lucide.

Je suis critique car je ne crois pas à l'effet fondamentalement bénéfique allégué par les acteurs du trading haute fréquence, qui expliquent apporter de la liquidité et permettre une meilleure exécution des ordres. Cela est probablement vrai dans certaines circonstances de marché mais cela se paye par des risques assez importants.

Je suis lucide car il s'agit d'une activité totalement internationale : on ne peut donc agir dans un seul pays. On n'est pas en mesure de l'interdire unilatéralement et le droit européen ne le permet pas.

Sachez cependant que tout ce qui a été voté par le législateur dans la loi de régulation bancaire est mis en oeuvre. Nous avons reçu plus de 400 déclarations d'algorithmes de trading haute fréquence ou non. Nous bénéficions également d'une disposition que vous avez votée qui oblige les personnes qui recourent à ces algorithmes à les conserver, ainsi que les données y afférent, pendant une période de cinq ans. Cela a pu être utile dans certaines enquêtes.

Nous sommes en Europe un des régulateurs les plus motivés pour travailler sur le trading haute fréquence. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car il y a des affaires en cours. Ce sont en tout cas des dossiers très difficiles à traiter, tant sur le plan technique que juridique. Nos équipes travaillent à contrôler que le trading algorithmique ne verse pas dans la manipulation de cours qui consisterait par exemple à pratiquer le layering ou à encombrer le carnet d'ordres d'une manière qui en donne une fausse image.

Je ne peux pas vous dire que nous sommes capables de détecter toutes les anomalies dès qu'on nous transmet un algorithme ou qu'on nous signale que quelqu'un en utilise un, parce que je pense que vous ne me croiriez pas. Nous ne disposons pas des moyens suffisants, même si nous avons une expertise en la matière. Lorsqu'une anomalie est repérée sur le marché, nous essayons de remonter à la source. Cela prend des semaines, voire des mois, et consomme beaucoup de ressources.

Notre deuxième combat est de nous assurer que les dispositions introduites dans la directive MIF 2, avec d'ailleurs une argumentation française forte, soient effectives. Il s'agit, par exemple, de l'élargissement du pas de cotation ou, et c'est sans doute le point le plus important, de l'encadrement de la fréquence de variation des ordres. Nous avons proposé à l'AEMF une méthode pour essayer de réguler les excès en matière d'annulation d'ordres et nous espérons obtenir un consensus sur ce sujet.

Nous poussons pour que les règles évoluent. Cela est favorisé par le fait qu'aux États-Unis et au Royaume-Uni, après une période d'acceptation facile de ce type de techniques, il y a maintenant des doutes certains chez certains acteurs. Cela est surtout vrai aux États-Unis.

Sur les indicateurs de performance, ce n'est jamais très simple. Ils sont souvent à regarder dans la durée. Par exemple, le montant des pénalités prononcées peut être important une année à cause d'une très grosse affaire et moins une autre année, sans que cela ne reflète un relâchement du régulateur. Ceci dit, ces indicateurs rendent compte de notre activité, nous les utilisons en interne et vous les trouverez à la fin du rapport annuel. Nous sommes sous forte tension. Nos personnels sont reconnus sur la place de Paris comme à l'étranger comme étant de grande qualité, mais ils sont très sollicités, car la régulation est de plus en plus complexe, s'étend à des domaines très variés et fait face à des défis juridiques très importants. La contestation est très forte quand nous avançons une argumentation juridique. Il faut donc construire des dossiers très solides.

Francis Delattre m'a interrogé sur les financements nouveaux et le fond innovation. Nous ne régulons ce domaine que par l'enregistrement des sociétés et des fonds de capital-risque ou de capital-développement. Nous ne portons pas de jugement économique et nous n'avons pas de levier économique direct pour agir sur le montant des investissements. Je suis cependant assez optimiste. Le capital-risque a connu un trou d'air, tant au niveau des levées de fonds que des investissements, à cause des chocs financiers intervenus depuis 2007. On constate une reprise en 2014, même si on n'a pas tout à fait retrouvé le niveau antérieur à la crise. Cela concerne tous les segments et pas seulement celui que vous visez. Ce secteur est dynamique : il y a eu de beaucoup de sorties, notamment en bourse, ce qui permet de réinvestir ; la BPI est active ; les fonds d'amorçage marchent plutôt bien. La difficulté est que, parfois, on encourage et on soutient le démarrage d'un projet, mais que l'on a du mal à réaliser des levées de 5 à 20 millions d'euros pour poursuivre le développement.

Le paradoxe de l'époque, c'est que l'on a besoin de remettre de l'ordre chez les grands acteurs financiers, qui doivent prendre moins de risque d'intermédiation et se garder des effets de bilan dus aux taux d'intérêt, et que l'on doit protéger les épargnants qui sont assez averses au risque, mais qu'en même temps les économistes disent qu'il faut favoriser l'investissement risqué.

Je crois que l'on aura un système financier sain quand on aura une hiérarchie de placements avec une hiérarchie de rapports rendement-risque qui soit intelligible pour l'épargnant. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui : il y a des gens qui prennent des risques inconsidérés et d'autres qui auraient pu profiter de la très bonne tenue du marché actions depuis deux ans et qui ne l'ont pas fait parce qu'ils avaient peur. Il y a cette contradiction, mais l'AMF ne régule pas les flux de placement. Elle est simplement chargée de faire en sorte que les conditions soient les meilleures.

S'agissant du shadow banking, il y a de nombreux compartiments et nous sommes particulièrement vigilants aux fonds monétaires que nous régulons. Nous pensons que les fonds dits « à valeur constante », qui donnent l'illusion au porteur de parts qu'il est garanti à la baisse alors que ce n'est pas le cas, sont dangereux. Nous menons une croisade contre ces « constant NAV » (net asset value), avec un succès qui n'est pas encore total, mais nous marquons tout de même des points. Je suis d'accord avec vous sur le fait que les hedge funds représentent encore un risque. Ils sont régulés en grande partie par le fait qu'ils ont besoin des banques pour fonctionner. Lorsque la régulation bancaire est sérieuse, elle limite l'exposition des banques aux risques sur les hedge funds. Toutefois, je fais partie de ceux qui pensent que le levier important que peuvent employer ces fonds constitue un facteur de risque qu'il convient de limiter. La directive AIFM permet, en Europe, d'avoir des informations sur les actifs gérés et donc des risques présents dans les bilans. Je pense que l'on devra développer cette approche et la généraliser à tous les fonds. En réponse aux questions sur les risques, je dirais qu'il faut que l'on soit capable d'avoir une vision consolidée sur les grandes gestions, la gestion française étant l'une des plus importantes d'Europe.

Sur les critères de rachat de dettes souveraines, je ne serai pas très bavard car ce n'est pas mon domaine de compétence. Ces critères sont annoncés et ont été assez souvent commentés par Christian Noyer.

M. Francis Delattre. - Les banques françaises n'y vont pas trop !

Mme Michèle André, présidente. - Cela ne relève pas vraiment de la compétence de l'AMF.

M. Gérard Rameix. - Cette action est avant tout macro financière : l'objectif est de faire baisser les taux d'intérêt. Cet effet, nous l'avons en France comme ailleurs. Les taux sont à un niveau qui aurait paru inconcevable il y a encore deux ans.

Sur les cessions d'actifs significatifs, nous avons publié le rapport du groupe de travail conduit par Christian Schricke, membre du collège de l'AMF. Nous préconisons de préciser le code AFEP-MEDEF sur ce point et faisons quelques recommandations dont nous souhaitons qu'elles servent de guide dans ces opérations.

Nous n'avons pas privilégié la voie législative considérant qu'elle serait un peu rigide pour des opérations qui restent rares, même si nous en avons eu deux coup sur coup.

Nous préférons donner des critères de gouvernance : le rôle des administrateurs indépendants, les procédures suivies, l'information donnée, étant entendu que des textes existent déjà pour les sociétés que nous régulons et auprès desquelles nous pouvons agir directement, ce qui n'était pas le cas de celles concernées par les dernières opérations de cession. Le groupe de travail a défini des critères, que nous allons préciser dans une recommandation, devant conduire le conseil d'administration à demander la position de l'assemblée générale sur la cession en question.

Nous pensons qu'il faut donner plus d'informations et une voix à l'assemblée générale, mais nous proposons, au moins dans un premier temps, de le faire par un dispositif de droit souple.

Sur la question du montant des sanctions, il est très difficile de l'apprécier de façon abstraite et de manière comparative. Sur le terrain des infractions de marché, l'AMF est le régulateur le plus répressif en Europe continentale. Les montants que vous avez en tête portent sur des infractions qui, pour l'essentiel, n'entrent pas dans le champ de compétence du régulateur financier : il s'agit de dysfonctionnements très graves au sein des banques sanctionnés par des régulateurs prudentiels.

Pour autant, nous avons aujourd'hui les moyens, si nous constatons des infractions particulièrement graves, d'imposer une sanction qui va jusqu'à dix fois le profit retiré ou à 100 millions d'euros. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution avait pour tradition d'infliger de faibles amendes car elle s'efforçait de modifier les comportements. Elle s'est organisée avec une commission des sanctions sur le modèle de l'AMF. Dans les premières années, les montants sont restés assez faibles. Récemment, la commission des sanctions a été saisie du sujet des contrats d'assurance vie en déshérence pour lequel des amendes de plusieurs dizaines de millions d'euros ont été prononcées.

Il est vrai que, en pratique, le taux retenu, à savoir deux à trois fois le profit retiré de l'infraction est inférieur au plafond théorique de dix fois. Peut-être la pratique va-t-elle évoluer dans les années à venir ; ce n'est pas à moi de me substituer à la commission des sanctions. On peut toutefois penser que l'évolution à la hausse des sanctions va se poursuivre.

Enfin, sur la question de l'assurance-vie, je ne voudrais pas parler à la place du régulateur compétent, même si je siège au collège plénier de l'ACPR. L'impératif, c'est de garantir que, en cas de pertes sur les marchés obligataires, les engagements à l'égard des assurés soient tenus. Il est possible que, en situation de crise, la rémunération attendue ne soit pas fournie. En général, il n'y a pas - et c'est heureux - d'engagement juridique. Quelques assureurs, surtout dans d'autres pays, ont proposé des contrats avec des planchers de rémunération fixe qui apparaissent très dangereux. À ma connaissance, ces produits n'ont pas été distribués en France. À court terme, il n'y a donc pas d'inquiétude majeure à avoir sur la solidité du bilan des assureurs. Néanmoins, les masses sont considérables et méritent donc toute notre vigilance.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie de vos réponses.

La réunion est levée à 12 h 22

Jeudi 28 mai 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l'État - exercice 2014 - et sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2014

La réunion est ouverte à 8 h 33.

Mme Michèle André, présidente. - Je souhaite la bienvenue à Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes ainsi qu'aux magistrats qui l'accompagnent pour cette audition que nous avons dû décaler par deux fois en raison des cérémonies d'hier au Panthéon.

Le Premier président va nous présenter, comme chaque année, deux documents précieux pour la préparation de l'examen du projet de loi de règlement, auquel la commission des finances est très attachée : l'acte de certification des comptes de l'État pour 2014 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2014.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Comme chaque année, je suis très heureux d'être entendu par votre commission, au moment de la publication des travaux que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) commande à la Cour des comptes de produire pour le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux portent respectivement sur les comptes et le budget de l'État en 2014.

Consacrés uniquement à l'État pour le dernier exercice clos, ces travaux ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils vous apporteront un matériau utile pour l'analyse des comptes et du budget de l'État. Le rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui couvre l'ensemble des administrations publiques et sera public fin juin, vous apportera des informations complémentaires et actualisées. L'exercice est parfois frustrant mais ce décalage dans le temps est nécessaire.

Je suis accompagné pour vous présenter ces rapports de Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation inter-chambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés, pour l'acte de certification, par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, et, pour le rapport sur le budget de l'État et 2014, par les équipes animées par Catherine Périn, conseiller maître, Sébastien Justum, auditeur, et Louis-Paul Pelé, rapporteur. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.

Je vais vous présenter le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions. Auparavant, je souhaite mentionner devant vous une innovation ayant accompagné la publication de ces travaux. En effet, pour la première fois, la Cour des comptes a profité de cette occasion pour mettre en ligne sur son site des données publiques, répertoriées sur la plateforme « data.gouv.fr », notamment relatives à l'exécution budgétaire, de 2012 à 2014, mission par mission, programme par programme, action par action, mais aussi du bilan et du compte de résultats, de 2006 à 2011. Cette mise en ligne permet à chacun d'accéder à ces informations dans un format numérique directement et librement réutilisable, afin de réaliser des infographies ou encore refaire les calculs de la Cour des comptes! Cela s'inscrit dans une démarche globale de l'État de plus grande ouverture des données publiques et d'une gouvernance publique plus transparente, en cohérence avec les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour des comptes a procédé, à neuf reprises, à un examen approfondi des comptes de l'État. Arrêtés par le ministre des finances, ces comptes sont intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.

L'acte de certification porté à votre connaissance a pour objet de vous fournir une information, une opinion motivée sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État sur sa situation financière.

Trois chiffres-clés permettent d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2014. Premièrement, le passif total s'élève à environ 2 000 milliards d'euros. Deuxièmement, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros - la situation nette de l'État est donc négative d'environ 1 000 milliards d'euros. Enfin, les engagements hors bilan de l'État dépassent 3 000 milliards d'euros.

En 2014, pour la neuvième fois depuis 2006, la Cour des comptes assortit de réserves la certification des comptes de l'État, dont, en particulier, cinq réserves substantielles ayant le même libellé que l'an dernier.

Trois d'entre elles présentent ainsi un caractère systémique.

Premièrement, le système d'information financière de l'État, constitué de Chorus et de plus de trois cents autres applications informatiques, reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreur.

Deuxièmement, les ministères peinent encore à organiser et à piloter de manière satisfaisante leurs dispositifs ministériels de contrôle interne et d'audit interne.

Troisièmement, la comptabilisation des produits régaliens, c'est-à-dire du produit des impôts, pâtit des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves concernent, d'une part, les actifs et passifs du ministère de la défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.

S'agissant des actifs et passifs du ministère de la défense, des incertitudes persistent sur les inventaires de stocks et de matériels, sur l'évaluation de ces biens, et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses actifs immobiliers.

Pour ce qui est des immobilisations financières de l'État, il n'est pas possible de se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.

La synthèse de l'acte de certification comporte un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps et met ainsi en évidence les efforts réalisés par l'administration depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles. Au départ, nous avions treize réserves dont onze étaient substantielles.

Le fait que les réserves substantielles pour l'exercice 2014 soient, comme l'année dernière, au nombre de cinq et qu'elles aient le même libellé ne veut pas dire que rien n'a changé sur le fond, ni qu'aucun progrès n'a été enregistré, ni qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu.

La stabilité globale apparente cache en réalité une poursuite de la dynamique d'amélioration de ce que l'on appelle parfois la « qualité comptable ». La Cour des comptes a ainsi constaté de multiples évolutions qui vont dans le bon sens. Tout d'abord, trente-sept parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte, dont près de la moitié (dix-sept levées) porte sur la réserve n° 4 concernant les actifs et passifs du ministère de la défense, notamment l'évaluation des stocks de munitions, des biens mis à la disposition d'industriels et des coûts de démantèlement des réacteurs des sous-marins nucléaires, et du porte-avions Charles-de-Gaulle.

D'autres levées interviennent sur des sujets anciens et sensibles, tels que l'évaluation de la quote-part de la France au FMI ou la comptabilisation des contrats de désendettement et de développement.

Nous sommes conscients et attentifs au fait que la production des comptes certifiés demande un effort aux administrations, qui paraît toutefois particulièrement utile car, d'une part, il permet d'accroître la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et, d'autre part, il est un levier décisif de modernisation de l'organisation et du fonctionnement des administrations.

Une publication de la Cour des comptes, prévue pour sortir d'ici la fin de l'année 2015 ou le début de 2016, devrait dresser le bilan, dix ans après, de la mise en place de la comptabilité générale de l'État ainsi que des perspectives d'évolution suggérées pour tirer pleinement partie de cette innovation, en particulier dans la gestion publique.

S'agissant maintenant du rapport sur le budget de l'État en 2014, il apporte un éclairage sur les finances de l'État, par l'analyse de l'exécution budgétaire sous deux perspectives : par rapport à l'exécution de l'année précédente, en l'occurrence 2013, d'une part, au regard des prévisions qui figurent dans la loi de finances initiale de l'année, d'autre part. Assorti de cinquante-neuf analyses de la gestion des missions budgétaires, de deux analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et, ce qui est nouveau de cette année, d'une analyse des dépenses fiscales, soit plus de 2 000 pages au total, il devrait vous apporter une information riche, dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement. Le rapport mis en ligne sur le site de la Cour des comptes comportera des liens directs vers chacune de ces analyses, pour en faciliter l'exploitation.

Ce rapport ne traite que du seul budget de l'État en 2014 et non de l'ensemble des finances publiques. Celui de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques apportera un regard portant sur l'ensemble des administrations publiques et reviendra de façon détaillée sur les risques qui pèsent sur l'exercice 2015, en dépenses et en recettes.

Dans son rapport sur le budget de l'État en 2014, la Cour des comptes a dressé quatre constats : la réduction du déficit budgétaire a été interrompue ; la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu ; les recettes fiscales se sont à nouveau révélées inférieures aux prévisions ; les dépenses de l'État ont été stabilisées, moyennant des opérations budgétaires parfois contestables.

En premier lieu, s'agissant de la réduction du déficit budgétaire, amorcée depuis 2010 et interrompue en 2014, celui-ci s'élève ainsi à 85,6 milliards d'euros, soit une hausse de 10,7 milliards d'euros par rapport à 2013 et ce qui représente plus de 3 mois de dépenses du budget général.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas les dépenses exceptionnelles, notamment le lancement du deuxième programme d'investissements d'avenir, qui seraient responsables de cette hausse puisque, même retraité de ces dépenses, le déficit augmente de 5,5 milliards d'euros par rapport à 2013.

La croissance et l'inflation, plus faibles que prévu, ont affecté fortement l'exécution du budget.

D'une part, les prévisions de recettes ont certainement été calculées de façon trop optimiste. Les recettes totales nettes, après remboursements et dégrèvements d'impôts, ont diminué de 6 milliards d'euros par rapport à 2013. C'est une situation inhabituelle puisqu'il s'agit de la première baisse observée depuis 2009.

D'autre part, les ajustements en dépenses ont été trop tardifs et insuffisants pour contenir le dérapage du solde budgétaire, les dépenses nettes du budget général ayant ainsi augmenté de 4,2 milliards d'euros.

En deuxième lieu, la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu en 2014. Elle a, en effet, atteint 1 528 milliards d'euros à la fin de l'année, contre 1 457 milliards d'euros fin 2013, soit une augmentation de 71 milliards d'euros en seulement un an. En conséquence, compte tenu du renouvellement des emprunts arrivant à échéance, l'État a connu un besoin de financement total de 179 milliards d'euros, ce qui représente un montant supérieur aux prévisions.

Le besoin de financement en 2015 devrait atteindre un montant encore plus élevé, avec 188 milliards d'euros, ce qui s'explique notamment par l'arrivée à échéance des emprunts contractés au plus fort de la crise.

La charge de la dette, qui s'est élevée à 43,2 milliards d'euros en 2014, continue de baisser, avec 1,7 milliard d'euros de moins qu'en 2013, grâce à des taux d'intérêt exceptionnellement bas. Toutefois, ces taux d'intérêt nominaux très bas ne garantissent pas la soutenabilité de la dette. En effet, en 2014, la seule stabilisation du poids de la dette dans le produit intérieur brut (PIB) aurait nécessité de limiter le déficit à 11 milliards d'euros, soit un montant sept à huit fois moins élevé que celui constaté (85,6 milliards d'euros).

En outre, il existe un risque que ces taux d'intérêt bas n'agissent comme des anesthésiants, empêchant l'État de prendre les décisions propres à redresser les comptes publics. Le réveil n'en serait que plus douloureux.

En troisième lieu, la Cour des comptes a observé qu'en 2014, les recettes fiscales nettes se sont à nouveau révélées inférieures aux prévisions, avec 274,3 milliards d'euros, soit 9,7 milliards d'euros de moins que prévu. Ce constat s'explique avant tout par plusieurs mesures importantes de diminution des recettes fiscales adoptées par le Parlement.

Ainsi, plusieurs mesures ont réduit le rendement de l'impôt sur le bénéfice des sociétés de 11,3 milliards d'euros, notamment l'entrée en vigueur du crédit d'impôt pour la compétitivité et de l'emploi (CICE), pour un montant de 6 milliards d'euros.

En outre, la réduction de l'impôt sur le revenu issue de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 a engendré un coût de 1,3 milliard d'euros.

Par ailleurs, les prévisions de recettes fiscales en loi de finances initiale restent toujours aussi fragiles. En effet, pour la troisième année consécutive, la croissance spontanée des recettes fiscales a été inférieure à la prévision initiale, les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement ayant été trop optimistes et l'estimation de l'élasticité des recettes par rapport à la croissance fixée à un niveau trop élevé, puisqu'elle avait été prévue à 1,3 et qu'elle a finalement été constatée à - 0,1. La Cour des comptes formule donc, à nouveau, la recommandation de continuer à renforcer la qualité et la transparence des prévisions de recettes fiscales, même si quelques pas en ce sens ont été réalisés.

La Cour des comptes relève deux points a priori positifs s'agissant des recettes fiscales, pour malgré tout les nuancer.

D'une part, en matière de lutte contre la fraude fiscale, le nouveau service de traitement des déclarations rectificatives a permis d'encaisser 1,7 milliard d'euros, soit 300 millions d'euros de plus que prévu en loi de finances initiale. Cette bonne nouvelle doit toutefois être nuancée puisque ce surcroît de recettes n'a pas permis, contrairement aux prévisions, de compenser le coût de la réduction forfaitaire d'impôt sur le revenu adoptée dans la loi de finances rectificative pour 2014 du 8 août 2014.

D'autre part, s'il est positif, par rapport à la tenue des recettes, que les dépenses fiscales aient été revues à la baisse, en raison du moindre coût du CICE, avec 6,5 milliards d'euros constatés au lieu des 9,8 milliards d'euros prévus, il convient de relever que le montant des dépenses fiscales, hors CICE, avait été revu à la hausse à l'occasion du projet de loi de finances pour 2015. Plus généralement, la Cour constate que la maîtrise des dépenses fiscales reste déficiente, l'évaluation de l'efficience de ces dépenses continuant à relever de l'exception et étant rarement le fait des administrations.

Enfin, en quatrième lieu, les dépenses de l'État ont été stabilisées en 2014, ce qui constitue un progrès même si la Cour des comptes n'obtient pas tout à fait les mêmes résultats que l'exécutif qui constatait pour sa part une baisse des dépenses. Toutefois, cette stabilité a été obtenue au prix parfois d'opérations budgétaires contestables.

D'un point de vue méthodologique, je rappelle que, pour apprécier l'effort réalisé en termes de maîtrise de la dépense, il est nécessaire de raisonner sur des périmètres comparables. Plusieurs retraitements sont donc nécessaires, à l'instar des dépenses exceptionnelles qui doivent en être exclues, telles que les programmes d'investissements d'avenir (PIA) et le financement du mécanisme européen de stabilité et de la Banque européenne d'investissement. De manière symétrique, il faut réintégrer les décaissements réalisés par les opérateurs pour le compte de l'État dans le cadre des PIA.

Si la Cour constate la stabilité des dépenses de l'État entre 2013 et 2014, grâce à une charge de la dette en recul de 1,7 milliard d'euros entre ces deux années, il convient d'être conscient que certains postes de dépenses croissent de nouveau. Ainsi en est-il des dépenses de personnel qui augmentent globalement de 1 %, ce qui reste raisonnable par rapport à certaines hausses constatées par le passé, pour atteindre un montant de 80,6 milliards d'euros. La masse salariale connaît une légère progression en 2014, alors qu'elle avait été stabilisée en 2012 et 2013, et la contribution de l'État employeur au CAS « Pensions » continue, elle aussi, à augmenter de près de 3 %.

Les normes de dépenses, plus strictes, ont été respectées, moyennant toutefois des opérations budgétaires parfois contestables. Ainsi, si le plafond de la norme « 0 valeur » a été abaissé de 3,3 milliards d'euros, ce qui était ambitieux, la définition restrictive du périmètre de cette norme de dépense a conduit à l'exclusion de certaines dépenses, notamment celles issues des décaissements réalisés dans le cadre des PIA, soit 3,3 milliards d'euros.

Le dispositif dérogatoire mis en place pour les PIA a d'ailleurs été largement utilisé pour combler des insuffisances de crédits budgétaires, en particulier au profit du ministère de la défense à hauteur de 2 milliards d'euros.

Ces opérations de débudgétisation et de substitution de crédits dérogent aux principes fondamentaux d'annualité, d'universalité et d'unité budgétaires et peuvent fausser l'appréciation des résultats de l'exécution.

Par ailleurs, comme les années précédentes, la dépense a davantage été contenue par l'effet de la régulation infra annuelle que par des mesures pérennes. La réserve de précaution a ainsi atteint un montant inégalé de 9,3 milliards d'euros alors que la Cour des comptes constate in fine que les annulations, hors charge de la dette, se sont élevées à 4,3 milliards d'euros, soit un montant quasi identique à celui de 2013 (4,4 milliards d'euros). Les reports de charges sur 2015 sont, quant à eux, croissants, comme en atteste l'augmentation de la dette de l'État à l'égard de la sécurité sociale.

S'agissant des conditions de l'exécution du budget de l'État en 2014, la Cour a observé, comme les années précédentes, des sous-budgétisations persistantes, notamment pour les opérations extérieures de la défense, l'hébergement d'urgence, les aides personnelles au logement, l'allocation adulte handicapé (AAH), l'aide médicale d'État (AME) ou encore le revenu de solidarité active (RSA).

Dans ce contexte, la Cour observe plusieurs incertitudes sur l'exécution du budget en 2015, par exemple l'évolution des recettes fiscales, avec la montée en charge du CICE et du pacte de responsabilité et de solidarité. La Cour constate également que la dette de l'État envers les organismes de sécurité sociale augmente, s'élevant ainsi à 368 millions d'euros à la fin de l'année 2014 contre 249 millions d'euros fin 2013. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qui sera remis en juin prochain reviendra de façon détaillée et complémentaire sur ces risques, pas seulement pour l'État mais bien sur le périmètre « toutes administrations publiques ».

S'agissant de la performance, la Cour des comptes remarque que la qualité des indicateurs s'améliore mais que les outils d'analyse font toujours défaut. Les résultats des indicateurs de performance devraient être rapprochés des coûts afin d'éclairer au mieux les choix budgétaires. C'est notamment le cas du suivi de la performance des missions prioritaires « Enseignement scolaire » et « Travail et emploi », dont les indicateurs n'ont pas été complétés pour mesurer les effets des moyens supplémentaires attribués.

Avant de conclure cette présentation, je veux évoquer le compte-rendu du suivi des recommandations contenues dans les précédents rapports sur le budget de l'État qui fait l'objet d'un développement détaillé à la fin du rapport.

Ce suivi met en évidence une meilleure mise en oeuvre des recommandations, y compris pour celles formulées dans le rapport sur le budget de l'État en 2013 : en moins d'un an, près de deux tiers d'entre elles ont été totalement ou partiellement mises en oeuvre.

La démarche de la Cour des comptes est donc bien comprise par l'administration : il s'agit à la fois d'un contrôle de l'exécution du budget de l'État et d'un accompagnement dans le sens de son amélioration continue. Je souhaite que ces échanges, positifs pour l'intérêt général, se poursuivent pour les recommandations n'ayant pas encore été mises en oeuvre.

En conclusion, en 2014 comme en 2013, nos travaux mettent en évidence l'intérêt de faire des hypothèses prudentes pour l'appréciation des recettes, notamment fiscales. Nous constatons aussi les limites de la politique du « rabot » qui peut produire des effets pervers sur le fonctionnement de certains services régaliens. Elle illustre aussi l'absence de choix ou de priorités fortes fixés au niveau de l'État.

La soixantaine d'analyses par mission, qui sont jointes au rapport, sont riches en informations. Ainsi, la note portant sur la mission « Défense » détaille la sous-budgétisation ou l'absence de budgétisation de dépenses récurrentes et prévisibles, comme les opérations extérieures ou Louvois. L'analyse de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » conclut à la suppression de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ce qui constitue une recommandation récurrente de la Cour des comptes. S'agissant de la mission « Justice », la Cour des comptes observe une sous-exécution des crédits accordés, alors même qu'elle est considérée par le Gouvernement comme prioritaire et que, dans le même temps, certaines réformes structurelles, comme la mise en place de la plateforme des interceptions judiciaires, n'ont pas toujours produit les effets escomptés.

En conclusion, lorsque la Cour des comptes a publié son rapport public annuel 2015, son premier message portait sur le décalage observé entre les annonces, les engagements et les résultats réellement obtenus au niveau de beaucoup de politiques publiques, et je sais que c'est une préoccupation que partage votre commission des finances. Qualité du service public ne rime pas forcément avec quantité de dépense publique.

L'examen du projet de loi de règlement constitue probablement la meilleure occasion pour le Parlement de vérifier la mise en oeuvre effective des décisions prises et l'atteinte des objectifs fixés. Par ses travaux, la Cour des comptes souhaite vous apporter son éclairage et contribuer à ce qu'une attention plus grande soit accordée à la performance réelle de l'action publique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'analyse de la Cour diffère parfois de celle du Gouvernement sur certains points : serait-elle plus objective ?

Certains des problèmes relevés sont récurrents : je pense par exemple aux sous-budgétisations chroniques de certaines missions ou à l'optimisme du Gouvernement quant aux prévisions de recettes fiscales. D'autres éléments, que Didier Migaud vient de souligner, sont nouveaux et extrêmement inquiétants, comme l'interruption de la diminution du déficit de l'État qui entraîne l'augmentation importante de l'encours de la dette. La maîtrise de la dépense, comme la Cour l'indique, a reposé sur des artifices comptables et sur l'augmentation des reports de charge et de la réserve de précaution : en d'autres termes, aucune réforme de structure n'a été entreprise.

Les dépenses de personnel, vous l'avez indiqué, ont augmenté - quoique faiblement - en 2014, à hauteur de 1 %. Pendant plusieurs années, la hausse des crédits de titre 2 a été contenue grâce aux efforts du ministère de la défense, qui a contribué à 80 % aux efforts de réduction de postes pour permettre des créations d'emplois dans d'autres ministères comme celui de l'éducation nationale. Il me semble qu'un sujet d'inquiétude découle du changement de contexte intervenu depuis le début d'année, avec une priorité désormais claire sur les questions de sécurité intérieure et extérieure et de récentes annonces en matière d'emploi militaire. Quels leviers vont-ils subsister pour maîtriser les dépenses de personnel ? Identifiez-vous un risque de dérapage ?

Vous avez souligné le caractère anesthésiant des faibles taux d'intérêt sur la dette souveraine que nous connaissons aujourd'hui. Or on ne peut exclure une remontée des taux. Disposez-vous d'une évaluation de l'impact budgétaire éventuel résultant d'une augmentation des taux d'intérêt de 1 % ?

Ma dernière question concerne la norme de dépenses : le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait, à ses articles 25 et 26, que soient transférées aux collectivités territoriales, en remplacement de subventions budgétaires, de nouvelles recettes fiscales. Dès lors que ces affectations n'ont pas pour contrepartie un transfert de compétences, il s'agit bien de remplacer des dotations budgétaires par des ressources fiscales, sans que cela n'ait d'impact sur la dépense. Les montants en jeu sont considérables et s'élèvent au total à plus de 1,7 milliard d'euros. Étrangement, ces dispositifs n'ont pas fait l'objet de mesures de périmètre pour neutraliser leur impact sur la norme de dépenses. Quelle est votre appréciation sur ces transferts de subvention budgétaire à ressource fiscale, non pris en compte dans la norme de dépenses ? S'agit-il, à vos yeux, d'une irrégularité pouvant remettre en cause la sincérité de la norme de dépenses ?

M. Serge Dassault. - Je voudrais vous dire bravo pour votre action, la sincérité de vos propos et votre clairvoyance, qui n'est malheureusement pas partagée par le Gouvernement. Comme vous le montrez, il n'y a actuellement aucune maîtrise des dépenses mais au contraire une permanente augmentation. L'État ne cesse d'inventer des dépenses et des recettes nouvelles, pour faire plaisir aux syndicats ou pour faire de l'action sociale, ce qui apparaît difficile dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons. La prime d'activité en fournit un bon exemple. Concernant le droit d'asile, pourquoi donner de l'argent aux gens qui viennent chez nous ? Qu'ils viennent chez nous, pourquoi pas, s'ils se tiennent bien - mais pourquoi leur donner des revenus ? On ne vend pas de bateau aux Russes pour des raisons politiques et, dans le même temps, on augmente les dépenses. L'aide aux entreprises, c'est très bien, mais là aussi, il s'agit d'augmenter la dépense.

En somme, la dette s'accumule et, si les taux d'intérêt venaient à augmenter, nous serions foutus ! Nous pourrions connaître la cessation de paiement, comme les Grecs. La France est en risque de faillite.

M. Philippe Dallier. - La Cour des comptes a relevé que cet exercice 2014 marquait un coup d'arrêt à la réduction du déficit. Il me semble que l'exercice 2014 est marqué par une seconde caractéristique : jamais l'écart à la prévision n'a été aussi important par rapport à la dernière loi de finances rectificative. L'exécution est souvent analysée au regard de l'écart avec la loi de finances initiale. Je voudrais pour ma part évoquer les deux lois de finances rectificatives qui ont été votées en 2014. La Cour des comptes indique que les ajustements des dépenses aux moins-values de recettes ont d'abord été insuffisants, en première loi de finances rectificative, puis assez largement excessifs lors de la loi de finances rectificative de fin de gestion. Ainsi, les prévisions étaient beaucoup plus noires que le résultat : on annonçait en décembre un déficit de 4,4 % du PIB, qui finalement s'est élevé à 4 % du PIB - c'est mieux, mais cela reste mauvais.

Estimez-vous qu'au-delà d'inévitables difficultés de prévision, d'autres facteurs plus opportunistes ont pu intervenir pour expliquer ce soudain revirement en fin de gestion ? A-t-on essayé de fabriquer une fausse bonne nouvelle ? Il est tout de même surprenant que de telles imprécisions subsistent dans des prévisions associées à une loi votée fin décembre ! Peut-être l'administration de Bercy a-t-elle été en mesure de vous expliquer ces écarts lors de vos échanges ?

S'agissant du logement, comme chaque année - j'ai parfois l'impression de me répéter... - des sous-budgétisations sont manifestes sur les aides personnelles au logement et conduisent notamment à une nouvelle augmentation de la dette de l'État à l'égard du FNAL, pour des sommes désormais considérables. Au total, quel est selon la Cour des comptes le montant des reports de charges qui pèseront directement sur l'exercice 2015 et qui devraient d'ores et déjà être ajoutés aux dépenses prévues en loi de finances initiale ?

M. Vincent Delahaye. - Quand le Gouvernement ou l'opposition bataillent sur les chiffres, l'un comme l'autre peuvent être accusés d'un parti pris : ce n'est pas le cas de la Cour des comptes, et cela contribue à l'intérêt de vos travaux. Ces rapports devraient être connus de tous les Français et constituer la base de leur jugement sur la situation financière et budgétaire du pays.

Les réserves associées à la certification des comptes de l'État perdurent, mais plusieurs améliorations sont identifiées. À quelle échéance peut-on s'attendre à la levée des réserves au vu de la rapidité des progrès constatés ? La France est un des rares pays dont l'État fait certifier ses propres comptes, et cela constitue déjà un gros effort qui doit être reconnu, mais la levée des réserves serait une bonne garantie de la fiabilité des comptes pour le citoyen.

Par ailleurs, je rejoins Philippe Dallier sur les écarts de prévision : je suis effaré par leur ampleur, que ce soit par rapport à la loi de finances initiale ou au regard de la loi de finances rectificative - et ce d'autant plus que celle-ci est préparée et votée en fin d'année. Dans nos collectivités, les prévisions de décembre sont proches du résultat final.

M. Michel Bouvard. - Les analyses de la Cour des comptes me semblent particulièrement intéressantes en ce qu'elles permettent de porter un regard sur des séries et de regarder ce qui s'est passé dans la durée.

J'aimerais connaître votre point de vue sur l'évolution du rapport entre l'actif et le passif de l'État. Sur l'actif de l'État et ses engagements hors bilan, dispose-t-on d'une vision satisfaisante du côté des opérateurs ? Des engagements avaient été pris et des instructions données par le Premier ministre il y a quelques années pour mieux suivre leur parc immobilier et leur endettement : ces travaux ont-ils pleinement porté leurs fruits ?

Par ailleurs, quelle est votre appréciation quant au retour sur investissement des systèmes d'information de l'État ? Leur mise en place a entraîné des coûts. Quand ils ont été déployés, des engagements avaient été pris devant le Parlement : les systèmes d'information devaient permettre des économies en termes de fonctionnement et d'effectifs. Je pense en particulier à Chorus. Qu'en est-il réellement ?

S'agissant de l'exécution 2014, vous évoquez la démarche de performance. C'est un sujet qui appelle à l'humilité, car il a traversé plusieurs années et plusieurs majorités... Avez-vous constaté une amélioration de la procédure budgétaire en matière de performance ? Les conférences budgétaires et les conférences de performance sont-elles enfin conjointes, ou restent-elles différenciées ?

Concernant les sous-budgétisations chroniques sur les OPEX, l'aide médicale d'État (AME), l'hébergement d'urgence, j'aimerais savoir si elles ont tendance à se réduire ou au contraire à augmenter. Le Gouvernement tend-il vers plus de sincérité ou bien laisse-t-on « filer » la dépense ?

M. Didier Guillaume. - Entendre la Cour des comptes présenter ses observations présente l'avantage de placer chacun devant ses responsabilités. Depuis des années, ses analyses sont globalement les mêmes, qu'elles visent d'ailleurs un gouvernement de gauche ou un gouvernement de droite. Quelle que soit la politique conduite, l'objectif reste de réduire les déficits, la dette et les impôts tout en conservant notre modèle républicain. Cette double contrainte ne facilite pas le respect des observations de la Cour des comptes. On souhaite maintenir ou augmenter le budget de la défense, celui de la justice, celui de la police, celui de l'éducation nationale : ce sont des choix politiques. De même, je suis d'accord avec François Baroin qui s'exprimait à la radio ce matin : il faut être vigilant concernant les dotations aux collectivités territoriales.

S'agissant des dépenses de personnel, une hausse de 1 % en 2014 doit être considérée comme un exploit. C'est impossible de faire mieux à moins de réduire soit les rémunérations soit, de manière forte, les effectifs de fonctionnaires. Nous connaissons bien les contraintes liées aux dépenses de personnel dans les collectivités territoriales : y sont transférées des compétences croissantes en matière de routes, de revenu de solidarité active, de handicap, mais sans adjoindre à ces nouvelles compétences les dotations et les effectifs nécessaires. Ces collectivités sont ensuite pointées du doigt car leurs dépenses augmentent, mais comment pourraient-elles faire autrement ?

Vous avez dit que les taux d'intérêt bas jouaient un rôle anesthésiant et que les écarts favorables dans les prévisions pouvaient conduire à nous contenter de la situation. Personne dans cette commission ne s'en contente. Nous avons la volonté d'avancer. Les performances de l'État vont-elles, selon vous, s'améliorer, compte tenu des orientations budgétaires prises ? Le pire serait que les choses n'avancent pas en termes d'efficacité économique. On ne peut pas laisser le pays dans cet état. Il n'est pas certain qu'une amélioration de la situation économique ait des effets positifs sur les finances publiques mais le citoyen, lui, en bénéficierait.

M. Richard Yung. - Je relève un paradoxe : les outils d'évaluation et de mesure s'améliorent, avec la création du Haut Conseil des finances publiques ou la certification des comptes de l'État. Mais cela ne suffit pas à éviter de traditionnelles querelles sur les chiffres, comme le montre votre dernier rapport. En dépit de cela, et c'est positif, vous avez certifié les comptes de l'État, certes avec cinq réserves substantielles mais qui évoluent à la baisse. Cela montre que les gouvernements, l'actuel mais pas seulement, tiennent compte de vos réserves pour améliorer la gestion publique.

Les systèmes d'information de l'État ne fonctionnent pas correctement, comme en témoigne l'une des réserves. Je pense à l'exemple des applications de gestion du ministère des affaires étrangères, que je connais bien : soit les outils sont développés en interne par l'administration qui n'est pas équipée pour le faire, soit ils sont confiés à des prestataires extérieurs et les résultats ne sont bien souvent pas meilleurs. Comment doter l'État de systèmes d'information rationnels et qui fonctionnent de manière satisfaisante ?

La réserve de précaution et les « rabots » me choquent profondément. Nous discutons savamment, chaque année, pendant trois semaines, d'un projet de loi de finances qui n'a pas de portée réelle à ce sujet : les réserves sont fixées à un taux de plus en plus important et sont souvent annulées. La Cour des comptes ne devrait-elle pas proposer des recommandations afin d'éviter ce mode de gestion qui, certes, vise à faire des économies mais qui place les administrations dans des situations difficiles ?

Le déficit structurel a été ramené à 2,1 %, soit le niveau le plus bas jamais enregistré depuis l'an 2000. Nous nous souvenons des critiques formulées devant notre commission par le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis, ancien Premier ministre letton, qui disait avoir amélioré la situation de son pays en réduisant les salaires de 20 %. Qui osera baisser les salaires en France ? Nathalie Kosciusko-Morizet demande une baisse de 100 milliards d'euros d'impôts dès l'année prochaine, ce qui laisse admiratif. La Cour des comptes peut-elle nous dire si nous atteindrons l'objectif de 0 % de solde structurel en 2017 ?

M. Bernard Lalande. - Je souhaite faire part de mon étonnement devant les cinq réserves substantielles émises par la Cour des comptes. Deux en particulier me surprennent : la réserve relative à la comptabilisation des produits régaliens, dont on pourrait imaginer qu'ils font l'objet d'un suivi attentif, ainsi que celle ayant trait aux immobilisations financières. L'évaluation de ces dernières repose largement sur des données extérieures à l'État, telles que celles de grandes entreprises publiques comme EDF, GDF ou encore la Banque de France. Les informations fournies par ces entités ne sont-elles pas fiables ?

Mme Michèle André, présidente. - Nous constatons dans nos activités de contrôle le maintien de difficultés liées au progiciel Chorus. Comment améliorer la fiabilité de cet outil et son utilisation ?

Par ailleurs, les engagements hors bilan restent insuffisamment évalués. Un rapport de la Cour des comptes demandé par notre commission a donné lieu à la formulation de recommandations en mai 2013 : des progrès ont-ils, selon vous, été accomplis depuis et quelles faiblesses subsistent-elles ?

En outre, nous partageons avec vous une certaine réserve quant aux débudgétisations que constituent ces investissements d'avenir. Un troisième programme est annoncé à l'horizon 2017, appelé de ses voeux par Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement. Quelles caractéristiques ce « PIA 3 » devra-t-il présenter pour ne pas encourir les mêmes critiques que celles que vous avez adressées au « PIA 2 » ?

M. Didier Migaud. - Merci Madame la Présidente, je vais m'attacher à répondre à vos nombreuses questions et le président Raoul Briet, qui m'accompagne, pourra vous fournir des précisions complémentaires.

Tout d'abord, il est utile de préciser que la certification des comptes de l'État et le contrôle de l'exécution des comptes de l'État sont deux exercices qui ont des logiques et des finalités différentes. La France n'est pas le seul pays en Europe à certifier ses comptes, le Royaume-Uni aussi, et il me semble qu'il a d'ailleurs formulé six réserves sur le dernier exercice. Aux États-Unis, la certification existe mais ils s'estiment dans l'incapacité de certifier leurs comptes, en raison principalement du budget du Pentagone... En ce qui concerne l'Allemagne, elle ne pratique pas la certification, mais il est vrai que ses comptes sont plus robustes et que la nécessité de maîtrise de la dépense y fait davantage consensus !

Il y a tout de même des progrès réalisés depuis quelques années, puisque la Cour des comptes ne formule plus que cinq réserves contre treize lors de la première certification.

S'agissant des systèmes d'information, vous avez été plusieurs à vous interroger sur Chorus. Le basculement sur Chorus est plutôt globalement positif : la difficulté principale réside dans le fait que les administrations ont du mal à utiliser toutes les potentialités du logiciel. Il faudrait donc investir davantage, tout en étant attentif à l'efficacité des investissements réalisés. La question des relations avec d'autres systèmes d'information existant devra du reste aussi être examinée. Il est vrai, en tout cas, que des problèmes se posent, notamment en ce qui concerne l'évaluation des immobilisations financières que nous avons toujours du mal à identifier correctement.

Plusieurs de vos questions seront développées dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, notamment les risques qui pèsent sur l'exercice 2015 mais aussi l'impact budgétaire des taux. À l'évidence, une augmentation des taux a une incidence budgétaire, même si elle n'est pas immédiatement perceptible du fait de l'échelonnement de différentes durées ou échéances. Mais nous avions déjà calculé qu'une augmentation des taux de 100 points de base aurait un impact de 2,5 milliards d'euros sur le budget de l'État, ce qui n'est pas rien.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, nous aurons l'occasion d'aborder ce sujet plus précisément en juin et en octobre dans le rapport sur la situation des finances locales. Ce que nous constatons en 2014, c'est que les transferts de l'État en direction des collectivités territoriales n'ont pas diminué et ont même légèrement augmenté, contrairement à ce que l'on entend !

M. Didier Guillaume. - Exactement.

M. Didier Migaud. - Vous le savez en 2014, la réduction des dotations aux collectivités territoriales a représenté 1,5 milliard d'euros mais elle a été, de différentes façons, plus que largement compensée. En 2015, la situation sera peut-être différente.

S'agissant de l'efficacité de l'action publique, vous êtres plusieurs à partager les préoccupations de la Cour des comptes sur la démarche de la performance. Bien évidemment, je le dis à nouveau, la Cour des comptes n'a pas à juger l'opportunité des choix politiques, qui vous appartiennent en tant qu'élus, mais il nous revient d'apprécier l'écart entre les engagements pris et la réalité. La France a fait le choix d'un redressement des comptes publics progressif, plus lent que certains pays, et s'il ne nous appartient pas de commenter cette décision politique, nous devons, en revanche, vérifier si la trajectoire fixée est respectée. On a pu constater par le passé que la France a rarement respecté ses objectifs, presque jamais pourrais-je dire !

L'équilibre structurel dont a parlé Richard Yung n'est plus un objectif pour 2017 : il a été reporté en 2019. Le respect de ces engagements tiendra beaucoup à la capacité de la France à maîtriser ses dépenses. C'est le sujet fondamental et il rejoint vos interrogations sur l'efficience et l'efficacité de l'action publique. Par rapport à la plupart des autres pays, nous sommes bien obligés de constater que la France consacre davantage de moyens à la mise en oeuvre de ses politiques publiques pour de moindres résultats.

Sur les dépenses de personnel, là encore, nous raisonnons sur les engagements pris et l'on observe de légers dépassements. Il est vrai que lorsque nous prenons en compte le temps long, ces dépenses ont été contenues mais si l'on veut respecter les engagements, il faudra aller au-delà, ou mettre en place des redéploiements et se poser la question des effectifs dans la fonction publique.

Vous avez évoqué les conférences budgétaires, les conférences de performance, les conférences fiscales... Mais il n'y a aucune coordination entre ces différentes conférences. On voit bien que la démarche de performance imprègne insuffisamment les administrations publiques françaises, d'où le rôle essentiel de contrôle que doit jouer le Parlement, aussi bien en matière de dépenses (y compris fiscales) que de recettes. Leurs niveaux dépendent certes des décisions que vous prenez, mais aussi d'un certain nombre de facteurs comme le calcul de l'élasticité ou les hypothèses de croissance. L'an dernier, on a constaté davantage de prudence dans les hypothèses économiques, que par le passé. Vraisemblablement, la loi de finances initiale avait été construite sur des hypothèses très optimistes, et les ajustements opérés par la première loi de finances rectificative n'ont pas été suffisants, nonobstant les remarques de la Cour des comptes. La deuxième loi de finances rectificative a, en revanche, mis en place des ajustements que je qualifierais d'excessivement prudents. Pourtant, au moment de l'examen du collectif de fin d'année, nous disposons déjà d'éléments suffisamment précis pour apprécier la réalité, sinon des recettes, avec un bémol pour l'impôt sur les sociétés ou la TVA, au moins de la dépense. Les sous-budgétisations sont, comme nombre d'entre vous l'ont souligné, récurrentes. En ce qui concerne les dépenses liées aux opérations extérieures (OPEX), c'est en 2012 que l'écart entre prévisions et exécution était le plus faible, mais l'amélioration ne s'est pas poursuivie. Il faut noter que le décalage entre la budgétisation et les besoins réels est parfois voulu, car il permet de porter une certaine pression sur les gestionnaires. Les reports de charges suscitent évidemment de l'inquiétude : des risques réels pèsent sur l'exécution 2015.

Les investissements d'avenir sont un des principaux sujets de discussion entre la Cour et le Gouvernement. Ils étaient initialement conçus comme tout à fait exceptionnels, ce qui pouvait justifier un traitement budgétaire dérogatoire. Mais nous savons désormais que les programmes d'investissement d'avenir se suivent, comme certaines séries télévisées américaines ou françaises qui peuvent connaître de longs développements : plus la série s'allonge, plus les investissements d'avenir deviennent ordinaires, et plus leur traitement budgétaire différencié posera problème. Est-il impossible de financer des investissements d'avenir sur le budget de l'État ? S'il s'agit de les préserver de la régulation budgétaire, la sortie du budget n'est pas nécessaire : l'État peut changer ses propres règles de régulation et décider qu'elles ne s'appliquent pas aux dépenses d'investissement ! Si la débudgétisation des PIA se justifie par le fait que les règles relatives au budget de l'État ne sont pas efficaces, changeons ces règles ! La débudgétisation des PIA produit des effets très pervers, en particulier du point de vue du contrôle parlementaire et votre réaction devrait être vigoureuse...

Mme Michèle André, présidente. - Et elle l'a été depuis l'origine !

M. Didier Migaud. - La Cour des comptes mène actuellement des travaux sur les investissements d'avenir, qui devraient être publiés avant la fin de l'année. Il apparaît que le PIA sert parfois de moyen de substitution pour pallier le manque de crédits budgétaires.

J'espère avoir répondu à vos questions.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'aimerais revenir sur mes interrogations relatives à la prise en compte, dans la norme de dépenses, du transfert de recettes fiscales aux collectivités locales intervenu en projet de loi de finances pour 2014. N'est-il pas surprenant que ce transfert n'ait pas été pris en compte dans la norme de dépenses ?

M. Didier Migaud. - Ces transferts altèrent le suivi et la lisibilité de l'évolution des dépenses. Ils sont, pour nous, une source de préoccupation.

M. Serge Dassault. - Quel est votre sentiment sur le danger de l'augmentation des taux d'intérêt, compte tenu du fait que la politique française n'est pas conforme aux orientations données par Bruxelles ?

M. Didier Migaud. - Bruxelles semble avoir validé le programme national de réforme français. Dans notre rapport de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques, nous essaierons de chiffrer le risque associé à une remontée des taux. La politique menée par la BCE laisse espérer une relative stabilité financière, mais l'augmentation des taux de moyen et court terme ces derniers mois incite à la prudence. L'incertitude sur les évolutions du marché financier renforce la nécessité, pour le Gouvernement, de respecter les engagements pris en matière de redressement des comptes publics.

M. Raoul Briet. - Concernant vos interrogations sur les dépenses de personnel, j'attire votre attention sur le fait que la Cour a entrepris, à la demande de la commission des finances, une étude sur la masse salariale de l'État : nous pourrons certainement vous apporter des éléments détaillés à cette occasion.

M. Didier Migaud. - Sur ce sujet, il est d'ailleurs intéressant de noter que si les effectifs du ministère de la défense ont connu une évolution très négative, point auquel la commission des finances accorde beaucoup d'intérêt, la masse salariale n'a pas, quant à elle, décru dans les mêmes proportions.

M. Raoul Briet. - S'agissant des erreurs d'estimation sur les prévisions fiscales, celles-ci découlent au moins pour partie de difficultés techniques évidentes : l'appréciation de l'élasticité n'est pas une science exacte. Notre souhait est celui d'une plus grande transparence, à la fois ex ante et ex post. Des progrès ont été réalisés avec la présentation des hypothèses de prévision dans l'annexe « Voies et Moyens » annexée au projet de loi de finances pour 2015, mais il est possible d'aller plus loin.

Quant à la perspective d'une levée des réserves, toutes ne sont pas dans la même situation : trois réserves sont « dures », systémiques et font l'objet d'une démarche d'amélioration programmée, qui prendra du temps. Deux autres (les réserves 4 et 5) ont vocation à être levées si l'administration déploie toute l'énergie souhaitable pour y parvenir. 10 % des constats d'audit ont été levés sur les comptes 2014, tandis que d'autres apparaissent : il ne s'agit pas d'un stock fini qu'il faudrait petit à petit écouler.

La réserve sur les produits régaliens, sur laquelle certains d'entre vous se sont interrogés, est liée à la nécessité de prendre en compte les droits constatés dans la comptabilité générale. Or la direction du budget n'est pas outillée pour cela et la chaîne d'information devra sensiblement évoluer pour que cette réserve puisse être levée.

M. Raoul Briet. - Les difficultés rencontrées au cours de la certification des produits régaliens résident principalement dans le fait que l'administration peine à les comptabiliser en droits constatés car les chaînes d'information de Bercy ne sont pas adaptées à cette logique comptable. Ces réserves, qui sont lourdes, prendront du temps pour être levées.

Sur Chorus, la bascule a demandé beaucoup d'efforts financiers de la part des administrations mais on a le sentiment qu'aujourd'hui on se satisfait d'un certain statu quo. Il serait souhaitable que l'on essaie de tirer le meilleur parti de cet investissement initial lourd en réfléchissant aux améliorations possibles, c'est-à-dire la modernisation et la fiabilisation des chaînes d'informations mais surtout de meilleurs retours pour les gestionnaires. C'est d'ailleurs l'objet du rapport que nous préparons sur le bilan de la mise en place de la comptabilité générale de l'État.

Sur les opérateurs, pour répondre à Michel Bouvard, il y a, en effet, dans les entités contrôlées par l'État, des réserves importantes sur les valorisations immobilières, c'est un point de faiblesse récurrent chez la plupart des opérateurs. S'agissant du hors bilan des opérateurs, il n'est pas recensé dans la comptabilité générale de l'État, il reste donc de nombreuses améliorations potentielles.

Sur les immobilisations financières, il est important de savoir que, lorsque des commissaires aux comptes émettent des réserves voire refusent de certifier les comptes d'entités contrôlées par l'État, cela rejaillit automatiquement sur l'écriture du compte général de l'État qui retrace la valorisation de ses participations financières.

Enfin, pour répondre à la présidente, toujours au sujet du hors bilan, nous avons remis un rapport il y a deux ans dans lequel nous formulions douze recommandations. Une a été totalement mise en oeuvre fin 2014, cinq le sont aujourd'hui partiellement. Il reste des progrès à accomplir et nous y veillerons année après année.

Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques de 2014

Mme Michèle André, présidente. - Conformément à l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, en vue du dépôt du projet de loi de règlement, le Haut Conseil des finances publiques rend un avis portant sur les résultats de l'exécution de l'année écoulée. À cette occasion, l'avis identifie, le cas échéant, les écarts importants apparus entre le solde structurel et la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques ; il convient de rappeler que l'identification de tels écarts par le Haut Conseil « déclenche » le mécanisme de correction institué en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

Le 22 mai 2015, le Haut Conseil a donc rendu un avis portant sur les résultats de l'année 2014 ; à cet égard, il a examiné le solde structurel constaté au titre de cet exercice à l'aune des orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, adoptée en décembre dernier.

Afin d'éclairer les travaux de notre commission sur le projet de loi de règlement, Didier Migaud, en qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, a bien voulu nous présenter les appréciations formulées par le Haut Conseil dans l'avis précité. Monsieur le Président, je vous laisse maintenant la parole.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. - C'est donc à présent en tant que président du Haut Conseil des finances publiques que je prends la parole pour vous rappeler brièvement les principales conclusions de l'avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2014.

Cet avis est rendu en application de l'article 23 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Pour mémoire, cet article prévoit que le Haut Conseil rend un avis identifiant, le cas échéant, un « écart important » entre le solde structurel constaté et les orientations pluriannuelles présentées dans la loi de programmation des finances publiques en vigueur.

Comme l'y invite la loi organique, le Haut Conseil a donc comparé l'exécution constatée en 2014 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019 promulguée le 29 décembre 2014. Cette nouvelle loi constitue désormais la référence, alors que pour les deux années précédentes, les écarts étaient appréciés par rapport à la loi de programmation pour les années 2012 à 2017 promulguée en décembre 2012.

Je rappelle, à cet égard, que l'avis du Haut Conseil porte uniquement sur le solde structurel, c'est-à-dire le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

Le solde effectif s'établit, d'après les données des comptes nationaux publiées par l'Insee le 13 mai 2015, à - 4,0 % contre - 4,4 % prévu dans la loi de programmation. Cet écart de 0,4 point de PIB se retrouve intégralement sur le solde structurel, la composante conjoncturelle (- 1,9 % de PIB) et l'estimation des mesures ponctuelles et temporaires (0 point de PIB) étant inchangées.

En 2014, le déficit structurel s'établit ainsi à 2,1 % du PIB contre 2,4 % prévu par la loi de programmation. Le Haut Conseil constate donc que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est inférieur de 0,4 point de PIB - aux arrondis près - à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.

Cet écart résulte, en partie, d'une moindre croissance de la dépense publique (+ 0,9 % en valeur contre 1,4 % initialement prévu), notamment du fait d'un recul marqué de l'investissement local et de la poursuite de la baisse des charges d'intérêt.

Par rapport à 2013, le solde structurel se redresse de 0,6 point de PIB au lieu de 0,1 point prévu dans la loi de programmation. L'ajustement structurel, soit la variation du solde structurel, est supérieur de 0,5 point à celui prévu. En cumulé sur les années 2013 et 2014, l'amélioration du solde structurel est de 1,4 point de PIB contre 1,2 point prévu dans la loi de programmation, soit un écart limité à 0,2 point. En effet, si l'ajustement structurel est supérieur à la prévision en 2014, il est en revanche révisé à la baisse pour l'année 2013.

S'agissant de l'effort structurel, qui reflète à proprement parler l'impact des décisions des pouvoirs publics en matière de dépenses et de recettes, il s'établit à 0,5 % de PIB en 2014 et porte à 70 % sur les dépenses, hors crédits d'impôts, dont la croissance en volume a été de 0,3 % en 2014.

Le Haut Conseil s'exprimait pour la troisième fois ex post sur le solde public des administrations publiques présenté dans un projet de loi de règlement. Lors de son dernier avis relatif à la loi de règlement de 2013, il avait constaté un « écart important », de 1,5 point de PIB, par rapport à la trajectoire prévue par la précédente loi de programmation. Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement a fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées et fixant de nouveaux objectifs dont l'ambition est revue à la baisse.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ma première question est quelque peu rhétorique : n'y a-t-il pas eu une volonté de surestimer les soldes effectif et structurel de l'exercice 2014 à la fin de l'année dernière, et ce afin d'afficher de meilleurs résultats budgétaires aujourd'hui ? Chacun est libre d'apporter la réponse qu'il souhaite... En outre, l'avis du Haut Conseil note qu'une part de l'amélioration du solde structurel en 2014 résulte « d'une élasticité des recettes à la croissance plus élevée qu'attendu dans la LPFP » ; quels sont, selon vous, les facteurs explicatifs d'un tel « rebond » de l'élasticité des recettes ?

M. François Marc. - Tout d'abord, je relève que les comptes de l'État sont certifiés, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il n'en demeure pas moins que, de toute évidence, l'évaluation des immobilisations financières de l'État se doit encore d'être approfondie ; le chiffrage demeure approximatif et provient d'une multitude de sources. Peut-être serait-il souhaitable que le Parlement se saisisse de cette question ; à cet égard, une enquête parlementaire pourrait être envisagée.

Ensuite, je note que les résultats pour l'exercice 2014 sont meilleurs que prévus, les déficits effectif et structurel ayant été inférieurs à la prévision ; aussi le Gouvernement semble-t-il avoir fait preuve d'une véritable prudence dans ses anticipations budgétaires, alors qu'un certain optimisme en la matière lui était reproché lors des années passées.

Enfin, en ma qualité de rapporteur spécial en charge des affaires européennes, je souhaiterais revenir sur le traitement comptable réservé par le Gouvernement à la moindre dépense résultant du budget rectificatif européen n° 6. L'avis du Haut Conseil relève, me semble-t-il pour le critiquer, que cette moindre dépense a été comptabilisée parmi les mesures ponctuelles et temporaires, également appelées one-offs, au titre de l'exercice 2014 ; pour autant, cette décision du Gouvernement me semble justifiée et s'inscrire dans une démarche prudente. Aussi l'opinion du Haut Conseil sur ce point pourrait-elle être précisée ?

M. Charles Guené. - Ainsi que le relève l'avis du Haut Conseil, l'effort en dépenses consenti en 2014 s'est élevé à 0,35 point de PIB ; est-il possible de préciser la part de cet effort imputable au ralentissement de l'investissement local ?

M. Claude Raynal. - Je souhaiterais, quant à moi, solliciter l'avis du président du Haut Conseil quant à l'estimation de l'élasticité des recettes à la croissance et, en particulier, sur les possibles incidences d'un rebond de l'activité sur celle-ci. L'avis du Haut Conseil note que l'élasticité s'est révélée plus forte que prévu en 2014 ; par suite, dans le contexte actuel, je me demandais quelle pouvait être l'élasticité des recettes qu'il était raisonnable d'attendre au titre de l'exercice en cours.

M. Michel Bouvard. - Le déficit public de l'année 2014 est certes meilleur que ce que prévoyait la dernière loi de programmation des finances publiques ; pour autant, un tel résultat n'est pas sans lien avec le recul significatif des taux d'intérêt, de même qu'avec le ralentissement de l'investissement local - et ne saurait donc être attribué à une diminution de la dépense ordinaire.

Par ailleurs, disposons-nous d'ores et déjà d'éléments permettant de comparer la réduction du déficit public de la France à celui des autres pays de la zone euro ?

M. Didier Migaud. - Concernant le rebond de l'élasticité des recettes à la croissance, celui-ci est à attribuer au fait que le niveau des recettes est resté inchangé alors que le produit intérieur brut (PIB), lui, a été revu à la baisse. En effet, si les recettes de l'État n'ont pas évolué de manière particulièrement favorable, celles des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale ont mieux résisté ; en particulier, la masse salariale est restée relativement dynamique.

D'aucuns se sont félicités de ce que les résultats de l'année 2014 aient été meilleurs que ce que prévoyait la loi de programmation ; mais il est heureux que ces résultats soient en ligne avec des objectifs qui ont été arrêtés en décembre dernier...

Pour ce qui est de l'inscription de la moindre dépense résultant du budget rectificatif européen n° 6 parmi les mesures exceptionnelles et temporaires, le Haut Conseil n'a formulé aucune critique à l'encontre du Gouvernement à ce titre ; seulement, il relève que le traitement réservé à cette opération s'éloigne de la doctrine qui avait, jusqu'à présent, été celle du Gouvernement - aussi aurait-il été préférable que, si changement de doctrine il y a eu, cela soit explicité. Sur le fond, la décision du Gouvernement nous semble, d'ailleurs, plutôt justifiée ; toutefois, il est essentiel que ce dernier soit constant dans ses pratiques.

Le ralentissement de l'investissement des collectivités territoriales a représenté un effort en dépenses de 0,05 point de PIB, soit 15 % environ de l'effort en dépenses total, qui s'est élevé à 0,35 point de PIB en 2014.

Quant à la comparaison de la situation budgétaire de la France avec celle des autres pays européens, la Cour des comptes s'attachera à examiner ce point dans le rapport à venir sur la situation et les perspectives des finances publiques. Néanmoins, l'on peut d'ores et déjà indiquer qu'en 2014 la zone euro, considérée dans son ensemble, a eu une politique budgétaire neutre, dans la mesure où la majorité des États membres sont parvenus à ramener leur déficit public en deçà de 3 % du PIB, ce qui n'est pas le cas de la France - qui est le seul grand pays, avec l'Espagne, à présenter un déficit supérieur au seuil de 3 % à ce jour.

M. Claude Raynal. - S'agissant de l'élasticité des recettes à la croissance, pouvez-vous nous indiquer la prévision qu'il serait, selon vous, raisonnable de retenir ?

M. Didier Migaud. - Nous considérons qu'il faut faire preuve de prudence en la matière. Force est de constater que l'élasticité des recettes à la croissance est égale à 1 en moyenne sur longue période. Celle-ci est généralement supérieure à cette moyenne en période de croissance et inférieure lorsque la conjoncture est plus morose. Les calculs de l'élasticité présentent une fragilité certaine ; la Cour des comptes avait, d'ailleurs, publié un référé à ce sujet en octobre 2013. La Cour estime qu'il faut donc que le Gouvernement fasse preuve de prudence et qu'il s'applique à expliquer les modalités de calcul de l'élasticité qu'il retient.

M. Claude Raynal. - Je vous remercie d'avoir proposé un chiffre malgré tout !

La réunion est levée à 10 h 23.