- Lundi 18 mai 2015
- Audition de Mmes Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement et Kiran Ramgolam, conseillère scientifique, du Haut Conseil de la santé publique
- Audition de MM. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech, et Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS
- Audition de MM. Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles, et Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto
- Audition de MM. Frédéric Gonand et Thomas Kerting et de Mme Mathilde Lorenzi, auteurs de La Bataille de l'air (Descartes et Cie, janvier 2015)
- Jeudi 21 mai 2015
- Audition de M. Antoine Henrion, président de la chambre d'agriculture de la Moselle et responsable du dossier « qualité de l'air » à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca), de M. Michel Gagey, médecin national adjoint à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), de MM. Éric Thirouin, président et Thierry Coué, vice-président de la commission environnement de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et de MM. Jean-François Soussana, directeur scientifique chargé de l'environnement et Antoine Momot, chef de cabinet du président de l'institut national de la recherche agronomique (Inra)
- Audition de MM. Xavier Susterac, président de BASF France et Philippe Prudhon, directeur technique de l'Union des industries chimiques et d'un représentant de Bayer
- Audition de M. Didier Havette, directeur en charge du développement durable et des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance, à BpiFrance
Lundi 18 mai 2015
- Présidence de M. Jean-François Husson, président.La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de Mmes Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement et Kiran Ramgolam, conseillère scientifique, du Haut Conseil de la santé publique
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Nous reprenons les auditions de notre commission d'enquête en recevant Mme le professeur Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et experte des effets de la pollution de l'air sur la santé, ainsi que Mme Kiran Ramgolam, conseillère scientifique. Je rappelle que cette audition est publique et donnera lieu à enregistrement et à compte rendu.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Francelyne Marano et Kiran Ramgolam prêtent serment.
Mme Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique. - Le Haut Conseil de la santé publique, auquel j'appartiens en tant que personnalité qualifiée, a été créé par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. C'est une instance d'expertise sur toute question relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système de santé. Il peut être consulté par les ministres intéressés, les présidents des commissions compétentes du Parlement, le président de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé. Le HCSP contribue à la définition des objectifs pluriannuels de santé publique, évalue leur réalisation et contribue à leur suivi ; à ce titre, nous sommes amenés à évaluer le Plan national santé environnement (PNSE) 3. Il fournit aux pouvoirs publics l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires et à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire. Enfin, il fournit des réflexions prospectives et des conseils sur les questions de santé publique.
Le HCSP compte deux comités techniques et six commissions, dont la commission qui traite des risques liés à l'environnement, que préside le professeur Denis Zmirou-Navier. Notre commission compte dix-neuf personnalités qualifiées, essentiellement des experts du secteur public et des universitaires aux profils diversifiés et aux champs de compétence allant de la toxicologie aux aspects socio-économiques - domaine dans lequel la France manque malheureusement d'experts. L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Institut national du cancer (INCa) y sont représentés de droit.
Nos missions sont larges : expertise d'aide à la gestion des expositions liées à l'environnement (pollution de l'air extérieur et intérieur, amiante, plomb, niveaux sonores élevés, etc.) ; avis sur les textes réglementaires, évaluation des politiques publiques. Ayant participé à l'élaboration du PNSE 3 en tant que personnalité qualifiée, comme je l'avais fait pour le PNSE 2, je ne prendrai pas part à son évaluation, pour éviter tout conflit d'intérêts, sachant que la commission spécialisée risques liés à l'environnement a été saisie sur les indicateurs d'objectifs et d'efficacité.
Vous m'interrogez sur la part des pathologies ORL, cardiaques ou cancers, attribuables à la pollution de l'air. Difficile de vous répondre, car les études épidémiologiques menées en France portent sur la mortalité, pas sur la morbidité. Mme Agnès Lefranc, que vous avez auditionnée, vous a sans doute présenté les données obtenues par l'InVS et ses homologues européens.
Je m'en tiendrai donc à mon domaine de compétence, la toxicologie et l'étude des mécanismes d'action des polluants environnementaux. Quels sont les polluants présents dans l'air et quelle est leur origine ? Outre les pollutions naturelles, continues ou ponctuelles, comme celles associées à des éruptions volcaniques par exemple, il y a les pollutions d'origine humaine, dans les zones urbaines et industrielles essentiellement, qui peuvent avoir des conséquences planétaires, comme dans les espaces clos, avec des échanges importants entre les deux. Parmi les sources anthropiques, citons celles qui résultent des combustions : centrales thermiques, combustions industrielles, trafic automobile mais aussi combustion du bois. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) attire ainsi l'attention sur la pollution aux particules fines dans les régions où l'on se chauffe beaucoup au bois.
Parmi les polluants dits réglementés, il y a les oxydes et dioxydes d'azote, le monoxyde de carbone, les hydrocarbures, le dioxyde de souffre, les particules. Les polluants d'origine métallique - plomb, fluor, dioxine - sont parmi les plus problématiques. Citons aussi les polluants dits secondaires, liés à l'évaporation, notamment dans les stations-essence, les composés organiques volatils, l'ozone ou certaines aldéhydes.
Les études épidémiologiques récentes ont mis en évidence le rôle des particules atmosphériques fines dans les pathologies respiratoires, cardiovasculaires ou les cancers, notamment pulmonaires. Ces particules sont très complexes : s'y mélangent des particules d'origine naturelle, provenant des éruptions volcaniques, de l'océan ou des végétaux, celles qui sont d'origine anthropique et ce qui est remis en suspension. C'est cet aérosol que nous respirons, ces composés gazeux qui entrent en contact avec nos voies respiratoires. Les études épidémiologiques mettent en évidence le lien avec l'asthme, les manifestations bronchiques et, de façon plus étonnante, avec l'augmentation de maladies cardiovasculaires et d'infarctus du myocarde. Des études ont été menées à partir des années 1980, notamment par des toxicologues qui avaient travaillé sur des polluants atmosphériques en milieu industriel comme la silice.
Les polluants pénètrent dans l'appareil respiratoire et s'y déposent à différents niveaux en fonction de leurs propriétés physico-chimiques et de leur taille. La région naso-pharyngée est surtout concernée par les vapeurs d'acide : c'est le phénomène des pluies acides et des « fumées noires » qui ont causé des pics épidémiologiques intenses et une mortalité conséquente à Londres dans les années 1950. Cette question du dioxyde de soufre est aujourd'hui quasiment résolue, du moins en France, par la réglementation sur les véhicules à essence et sur les échappements industriels.
Si les vapeurs de soufre se déposent très haut, l'ozone et les oxydes d'azote, en revanche, descendent jusqu'aux alvéoles, où se produit l'échange gazeux. C'est pourquoi ces deux produits doivent être suivis de façon rigoureuse. Leur diminution est insuffisante, et est arrivée à un palier depuis dix ans. Les particules se répartissent dans l'appareil respiratoire en fonction de leur taille. Les plus grosses, d'un diamètre de 5 à 30 micromètres, comme celles associées à l'usure des routes ou des bâtiments, restent au niveau du nez. C'est aussi le cas des particules d'origine biologique telles que les grains de pollens ou les moisissures, au contraire des bactéries qui, elles, rentrent plus profondément dans le poumon.
Celles qui posent réellement problème sont les particules dites fines et ultrafines : non pas les PM10, dont le diamètre est inférieur à 10 microns, mais les PM2,5, d'un diamètre inférieur à 2,5 microns, qui sont désormais également mesurées par les réseaux de surveillance de la qualité de l'air. Il s'agit de particules associées à l'incinération, provenant du diesel, de la combustion du bois ou de l'incinération des déchets.
Les systèmes de protection permettant d'évacuer ces polluants fonctionnent bien chez un adulte en bonne santé respiratoire, mais pas chez les populations fragiles : bébés et jeunes enfants, personnes souffrant d'asthme ou de bronchite chronique, personne âgées. C'est pourquoi les messages sanitaires ciblent plus particulièrement ces catégories. Les systèmes de protection sont différents selon le niveau : tapis roulants rapides dans les voies de conduction de l'air, systèmes plus lents dans les alvéoles, où les macrophages - qui s'attaquent normalement aux bactéries - absorbent les particules mais ne savent pas qu'en faire. Plus l'atmosphère est polluée, plus il y a un risque de stagnation de ces particules au niveau alvéolaire.
Une particule diesel est constituée de nanoparticules formant des grappes, avec un coeur de carbone inorganique, peu réactif, et, en surface, des molécules organiques : ce sont les imbrûlés du diesel. Dans cette fraction organique se trouvent des molécules classées comme cancérigènes, en particulier les hydrocarbures aromatiques polycycliques, dont le benzo(a)pyrène. Ces molécules sont en faible quantité, mais si elles s'accumulent et ne sont pas bien éliminées, elles peuvent, sur le long terme, entraîner un risque. C'est pourquoi le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été conduits à classer le diesel comme cancérigène certain, au même titre, sinon dans les mêmes proportions, que la fumée de cigarette : tout le monde n'y est pas sujet, les quantités de substance ne sont pas comparables avec celles auxquelles est exposé un gros fumeur, mais le mécanisme est le même.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous conduit des études sur les personnes surexposées, celles travaillant dans des stations-essence par exemple, ou les policiers en faction dans des zones particulièrement polluées ?
Mme Francelyne Marano. - Les études épidémiologiques sont tout à fait claires, notamment celle portant sur des mineurs aux Etats-Unis, exposés aux échappements de diesel dans les mines, qui montre une prévalence du cancer du poumon bien supérieure à celle observée chez une population témoin, même en tenant compte des facteurs de confusion. Les études portant sur les pompistes ou les policiers exposés à une circulation intense vont dans le même sens. Même chose pour les particules atmosphériques : une étude réalisée en collaboration avec des chimistes de l'atmosphère à partir des données de la station Airparif d'Auteuil, en bordure du périphérique, a révélé entre 60 ou 90 % de particules de suie associées au trafic.
Les particules se modifient dans l'atmosphère. Leur composition à la sortie du pot d'échappement n'est pas stable : certains composés volatiles s'évaporent, d'autres s'absorbent sur les particules, notamment des fractions organiques provenant de pollens, de champignons ou de bactéries, mais aussi des métaux. A l'inverse, certaines particules viennent s'absorber sur les grains de pollen ou les spores de champignon. Ce que nous inhalons n'est donc pas ce qui est émis par le véhicule ou la station d'incinération.
La recherche actuelle se concentre sur l'identification des sources des particules et leurs caractéristiques spécifiques, afin de savoir sur lesquelles agir préférentiellement. On a ainsi identifié des molécules spécifiques servant de marqueur pour les particules émises par la combustion du bois. Autre volet de la recherche : les particules secondaires, fractions ultrafines que nous inhalons, difficiles à mettre en évidence, dont il faut mieux connaître la taille et les effets biologiques.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les pouvoirs publics s'y intéressent-ils suffisamment ?
Mme Francelyne Marano. - Depuis vingt ans, c'est essentiellement le ministère de l'écologie qui finance les recherches sur la pollution atmosphérique, avec le programme Primequal (Programme de recherche inter-organisme pour une meilleure qualité de l'air à l'échelle locale), qui étudie notamment la pollution de l'air intérieur. Un programme orienté sur les effets sanitaires des polluants environnementaux a été transféré à l'AFSE et existe toujours à l'Anses. Cependant, les programmes spécifiques de l'Agence nationale de la recherche (ANR) mis en place au moment du Grenelle n'existent plus, peut-être à cause de la préférence pour des appels d'offre larges. C'est préoccupant, car les financements sont indispensables si l'on veut préserver la communauté française qui s'est constituée dans ce domaine.
La composition des particules varie selon leur taille. Les polluants provoquent dans l'appareil respiratoire des mécanismes inflammatoires à cause de leur composition propre ou de leur association avec un gaz. Les effets cocktail jouent un rôle majeur, avec l'émission de radicaux libres produits par l'interaction entre le milieu biologique et l'ozone, les oxydes d'azote mais aussi les particules. Ces trois principaux polluants s'associent pour provoquer la réponse, dont l'ampleur varie selon la capacité des individus à se protéger de ce stress oxydant. La réponse inflammatoire a lieu à tous les niveaux de l'appareil respiratoire. Les pathologies sont provoquées par une exposition sur le long terme, par l'effet chronique de ces réponses. C'est pourquoi il nous faut avant tout réduire la pollution de fond, car c'est ainsi que l'on réduira l'apparition des pics de pollution.
Le rôle de l'inflammation est bien connu : il est associé à l'asthme, à la bronchite chronique, aux maladies cardio-vasculaires et à l'évolution possible vers la maladie cancéreuse. L'inflammation en elle-même est une réponse saine ; mais c'est son maintien sur la durée qui engendre la pathologie. Il y a bien une explication causale aux données épidémiologiques observées.
Les particules ultrafines et les nanoparticules manufacturées posent des problèmes comparables : le transfert au niveau alvéolaire. Des études ont été réalisées sur des particules modèles - oxyde de titane, or colloïdal, silice - mais pas sur des particules atmosphériques, même si elles sont de taille équivalente. La barrière alvéolo-capillaire est très mince ; si les particules passent dans le sang, elles peuvent circuler dans tout l'organisme et s'accumuler dans différents organes. C'est, avec l'inflammation chronique, l'un des liens de causalité entre la pollution et les maladies cardio-vasculaires chez les populations à risque, souffrant par exemple de plaques d'athérome.
La recherche est en plein développement sur les franchissements de barrière, notamment sur les nanoparticules intentionnelles produites par l'industrie, nombreuses dans les aérosols mais aussi dans l'alimentation, susceptibles dans ce cas de passer la barrière intestinale. Une étude sur les effets sanitaires à long terme comparant des femmes non fumeuses de Vancouver et de Mexico a révélé dix fois plus de particules dans le parenchyme pulmonaire de ces dernières, comparable à celui de fumeurs ou de mineurs. Il faut dire que les concentrations moyennes en particules à Mexico sont du niveau de celles enregistrées à Londres dans les années 1950. Cette étude est ancienne mais très parlante.
Il n'y a pas d'étude générale concluant au caractère cancérigène du diesel ; seulement des études sur les travailleurs exposés ou des études de mutagénèse ou chez l'animal. L'étude Aphekom est, à ce titre, très intéressante. Elle montre que le seuil de concentration de particules PM2,5 proposé par l'OMS pour réduire les pathologies associées à la pollution atmosphérique, soit une moyenne de 10 microgrammes par mètre cube d'air, apporte un gain d'espérance de vie considérable. L'étude aborde aussi le coût économique de la pollution atmosphérique. J'étais récemment à Marseille pour présenter le PNSE 3 ; j'ai rappelé au maire-adjoint que sa ville était la métropole française la plus polluée, et qu'il faudrait agir... Cela ne lui a pas plu !
Le niveau moyen d'exposition que fixe la directive européenne 2008/50/CE est de 40 microgrammes par mètre cube pour les PM10 - ce qui est beaucoup - avec l'obligation de ne pas dépasser plus de 35 jours par an un niveau de 50 microgrammes. Ces seuils ne sont pas respectés sur 30 % du territoire français, avec des dépassements enregistrés dans quinze agglomérations de plus de 100 000 habitants en 2010 - contre 26 en 2007. Pour les PM2,5, le seuil devrait être fixé à 25 microgrammes par mètre cube, loin de la recommandation de l'OMS, qui est de 10 microgrammes par mètre cube. En 2010, quarante agglomérations françaises dépassaient le seuil des 15 microgrammes. Il reste donc beaucoup à faire.
Le HCSP donne des avis de gestion à partir de données fournies par d'autres organismes, l'évaluation des risques étant du domaine de l'Anses et de l'InVS. Dans son rapport 2012, disponible sur son site Internet, le HCSP fixe des objectifs de qualité de l'air, en moyenne annuelle, de 15 microgrammes par mètre cube pour les PM2,5 et de 25 microgrammes par mètre cube pour les PM10. Les seuils d'information en moyenne journalière, qui déclenchent les messages sanitaires, sont fixés à 30 microgrammes pour les PM2,5 et 50 microgrammes pour les PM10 ; les seuils d'alerte, à 50 microgrammes pour les PM2,5 et 80 microgrammes pour les PM10. Ces seuils sont devenus réglementaires et nous constatons qu'il y a de plus en plus de messages d'information et d'alerte. Si nous parvenons à diminuer les particules, les émissions d'oxyde d'azote et d'ozone diminueront aussi, car les sources sont les mêmes : l'association de polluants, de soleil et d'absence de vent. Il faut agir sur l'ensemble des polluants et diminuer leur niveau moyen pour obtenir un gain sanitaire.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Sur quel sujet portent les dernières saisines de votre commission ?
Mme Kiran Ramgolam, conseillère scientifique. - La dernière porte sur les messages sanitaires à produire et à diffuser à la population en cas de dépassement des seuils.
Mme Francelyne Marano. - Plus largement, nous venons d'être saisis sur les indicateurs associés au PNSE 3, ce qui dépasse la seule question de la pollution atmosphérique.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'impact de l'effet cocktail sur les cancers n'est guère évalué. Pensez-vous que cette situation évoluera, ou la complexité du problème empêche-t-elle des études sur le sujet ?
Mme Francelyne Marano. - Dans le PNSE 3, nous posons très précisément cette problématique à travers le concept d'exposome. L'idée est qu'un individu est exposé à un ensemble de polluants environnementaux, avec des effets physiques et biologiques - je pense aux ondes électromagnétiques - qu'il faut prendre en compte pour mesurer l'impact de l'environnement sur la santé. Christopher Wild, le directeur du CIRC, a beaucoup insisté sur ce concept, qui expliquerait l'émergence et l'augmentation de certains cancers. La pollution atmosphérique n'est qu'un élément parmi d'autres. Alimentation, cosmétiques, produits de la vie courante, milieu de travail : les facteurs à prendre en compte sont nombreux. Ce concept d'exposome est au coeur des études pluridisciplinaires sur les effets cocktail ; il figure dans le PNSE 3 et dans la loi de Santé. Il prend aussi en compte l'exposition au cours de périodes déterminantes de la vie : vie foetale, petite enfance, maladie.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous remercie.
Audition de MM. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech, et Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS
M. Jean-François Husson, président. - Nous allons procéder à l'audition commune de MM. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech, et Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). M. Stéphane Luchini, chargé de recherche au CNRS, n'a pas honoré notre convocation pour cette audition ; il nous appartiendra de décider des suites à donner à cette absence. Messieurs, votre audition doit nous permettre d'approfondir l'approche économique de la pollution atmosphérique, qu'il s'agisse de son impact général ou plus spécifique sur l'agriculture.
Cette audition est publique et ouverte à la presse. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Bureau et Jean-Christophe Vergnaud prêtent serment.
M. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech. - J'évoquerai l'agriculture, sur laquelle mon laboratoire travaille. Elle joue un rôle très important dans la pollution, par le biais de trois facteurs : les grosses particules ; certaines particules secondaires, issues d'une combinaison de molécules, ammoniaque en particulier, même si d'autres secteurs, routier ou industriel, sont impliqués dans l'émission d'une partie des éléments nécessaires ; enfin, les produits phytosanitaires.
Je voudrais également citer des éléments plus marginaux, comme l'ozone, dont la concentration n'est pas due à ce secteur, mais qui pèsera fortement sur son équilibre en réduisant les rendements, notamment du blé, à l'horizon 2030. En outre, si l'agriculture est peu impliquée dans l'émission de composés organiques volatiles, elle est un gros émetteur de gaz à effet de serre tels que le méthane et le protoxyde d'azote (N2O). Elle véhicule aussi certains polluants organiques qu'elle n'émet pas, tels que la dioxine contenue dans le lait. Ce polluant s'accumule dans l'organisme humain sans être éliminé.
Les grosses particules, ou particules primaires, sont une source non négligeable de pollution, par exemple en Ile-de-France. Elles proviennent de l'érosion ou des poussières dues au travail du sol, au stockage ou au séchage. L'agriculture est responsable de 48 % de leurs émissions - ainsi que de 18 % des émissions de PM10 et de 10 % des émissions de PM2,5. Celles-ci provoquent de l'asthme, des allergies, des bronchites fréquentes, des cancers et des maladies cardio-vasculaires. Elles véhiculent aussi d'autres polluants et ont un coût économique pour l'agriculture en diminuant les rendements, notamment en abîmant les stomates, les organes respiratoires des plantes.
Les particules secondaires, deuxième facteur, sont issues d'une recombinaison de molécules plus fines, notamment des PM10 et des PM2,5. Elles contiennent de l'azote et surtout de l'ammoniaque - plus de 90 % de celui qui est présent dans l'air est issu de l'agriculture. En se combinant avec du dioxyde de soufre ou des oxydes d'azote, il forme ces microparticules. On ne saurait incriminer l'agriculture uniquement, puisque la combinaison nécessite des éléments issus d'autres secteurs. Néanmoins, 60 % des PM10 mesurées en Ile-de-France ces dernières années sont issues de l'agriculture.
Les dépôts d'ammoniaque favorisent l'acidification ou l'eutrophisation des milieux naturels, y compris marins, et nuisent aux rendements. Les sols acides doivent alors être traités, avec du calcaire ou de la chaux, ce qui est très coûteux et a des conséquences environnementales très importantes. Voyez la controverse que suscite le prélèvement de sable dans la baie de Lannion, pour compenser l'acidité des sols bretons.
Le troisième facteur est constitué par les produits phytosanitaires, insecticides, herbicides et fongicides. La France en est le troisième utilisateur mondial, très loin devant l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Or 20 à 40 % de ce qui est épandu ne va pas sur la plante mais part directement dans l'air en microbulles. Je précise que les pommes subissent couramment une vingtaine voire une trentaine de traitements, les céréales aussi...
Les effets varient selon les catégories. Les insecticides touchent beaucoup les organes respiratoires, comme les néo-pyrèthrinoïdes, présentés à tort comme écologiques parce que les pyrèthres existent à l'état naturel. Les composés organophosphorés agissent sur le système neurologique - les maladies d'Alzheimer et de Parkinson pourraient y être liées. Ils pourraient également être cancérogènes, mais nous avons moins de certitudes à ce sujet. Dans certains secteurs, les lobbies produisent des contre-études qui provoquent un bruit statistique, donc un flou dans les méta-analyses. Il est probable que ce soit le cas ici.
Les herbicides - en la matière, les effets sont assez bien prouvés - irritent la peau. Ils agissent aussi sur les organes respiratoires, comme les fongicides, qui provoquent également des allergies. Nous soupçonnons l'influence des cocktails de produits sur les cancers et les perturbations endocriniennes, comme l'avancement de l'âge de la puberté - dans certains pays particulièrement exposés, on a relevé des signes de puberté chez des enfants de quatre ans. Ces phénomènes sont toutefois mal étudiés et nous devons rester prudents.
Pour en revenir à l'ozone, il est l'un des principaux polluants présents lors des pics de pollution en Ile-de-France. L'inquiétude qu'il fait naître porte également sur les rendements agricoles, dont la baisse pourrait atteindre 10 à 20 % d'ici 2030. Mais il est difficile d'isoler l'impact de la hausse de la concentration en ozone dans les basses couches atmosphériques de la hausse des températures ou de l'émergence de nouvelles maladies. Les ormes sont morts, les buis, les platanes et les marronniers sont menacés, comme dans la forêt de Vierzon, et les hêtres et les chênes vont disparaître de France, sauf dans les Ardennes, d'ici à 2050. Le blé est menacé lui aussi.
M. Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS. - Je serai bref car vous avez déjà auditionné M. Olivier Chanel, qui vous a donné l'état de la science sur l'évaluation des coûts économiques des particules. Je me pencherai sur la méthodologie employée pour arriver au chiffrage des coûts d'un polluant. Les particules, les oxydes d'azote (NOx) et l'ozone représentent des cas particuliers puisqu'ils ont fait l'objet de nombreux travaux, ce qui a permis de parvenir à un chiffrage. Pour nombre d'autres polluants, cela n'est pas possible, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ne disposant pas des données d'exposition ni d'épidémiologie.
Les différences d'évaluation du coût pour la société peuvent être très importantes. L'OCDE a estimé le coût des particules à 30 milliards d'euros pour la France, contre trois à quatre millions d'euros par an selon l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le coût sociétal est obtenu en dégageant des cas à partir des données épidémiologiques d'exposition et des données des doses-réponses, puis en valorisant ces cas selon la méthode du « consentement à payer ». Or nous ne connaissons pas la valeur que les gens sont prêts à dépenser pour réduire la pollution. Il n'existe pas de marché où s'exprimerait ce montant. Il faut donc mener des enquêtes particulières - M. Luchini aurait pu vous dire comment sont construites ces valeurs. Les gens paient en revanche pour être soignés : mais ce coût, fourni par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ou l'AP-HP, inclut seulement ce qui se consomme à court terme.
Le second fossé entre les données chiffrées est dû la différence entre les effets de court et de long terme. Les chiffres de l'AP-HP portaient sur les conséquences des pics de pollution, bronchites ou crises d'asthme nécessitant une hospitalisation, soit une petite partie des coûts de l'asthme ou des maladies cardio-vasculaires à long terme. Une étude menée sur trois pays, à laquelle j'ai participé, a montré que le coût de la mortalité était mille fois plus élevé que le coût de l'asthme en période d'exacerbation.
Je voudrais également souligner que depuis l'époque de ces premières études, la France a connu une série de non-décisions. En 2000, environ 40 % des véhicules neufs utilisaient du diesel. En 2008-2009, cette proportion avait atteint 70, voire 80 %. Il y a eu une incitation continuelle à acheter du diesel malgré les études à ce sujet. Un travail de lobbying a probablement fait valoir les doutes sur les liens de causalité.
A l'inverse, au début des années 2000, on était certain que les évolutions technologiques des pots d'échappement, telles que les filtres à particules, seraient favorables à l'environnement. Personne ne soulevait d'incertitude sur leur efficacité. Or celle-ci a été bien moindre dans les conditions réelles qu'en laboratoire. Le rapport de la commission Boiteux évaluait à 9 % par an la baisse de la pollution par les particules grâce aux évolutions technologiques. A ce rythme, elle aurait dû disparaître en dix ans. Or selon Airparif, la diminution des particules n'a été que de 15 % en dix ou quinze ans. Les incertitudes ont été utilisées pour faire valoir des intérêts particuliers.
J'en terminerai en soulignant l'opposition entre court et long termes. Le coût d'une exposition répétée, jour après jour, est moins visible mais plus lourd. Gérer uniquement les pics de pollution est très coûteux et n'apporte pas grand-chose.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quel est le coût économique de la gestion d'un pic de pollution ?
M. Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS. - Je n'ai pas mené d'étude sur ce point.
M. Jean-François Husson, président. - Vous venez d'affirmer que c'est « très coûteux ». Il est important pour nous d'évaluer ce coût.
M. Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS. - C'est très coûteux en matière d'impact sur le consommateur, puisque ses habitudes sont affectées. Olivier Chanel vous a parlé des mesures structurelles et des incitations, taxe, péage urbain, etc. Si chacun modifiait son organisation de vie, on n'aurait plus besoin de gérer des pics de pollution au coup par coup. Il est plus efficace d'inciter les gens à changer dans la durée leurs habitudes de vie. Les chiffres montrent que le bilan des politiques structurelles est positif.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Dans vos travaux les plus récents, quelle méthodologie de calcul utilisez-vous pour mesurer l'impact de la pollution de l'air ?
M. Jean-Christophe Vergnaud. - Mon étude la plus récente est celle que j'ai menée avec Olivier Chanel sous l'égide de l'OMS. Les études réalisées pour le programme Aphekom font apparaître des résultats étonnamment stables. Celle de 1995, lorsqu'ont été constituées les premières cohortes sur la mortalité, donnait des chiffres énormes. Les études suivantes ont adopté des méthodologies différentes. En 2002, on a ainsi donné une attention particulière aux particules ; d'autres critères d'évaluation ont également été introduits, comme la proximité des axes de circulation. Dans tous les cas, les résultats sont restés stables, la perte d'espérance de vie - six mois - s'est confirmée.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Qu'y a-t-il d'étonnant à cela ?
M. Jean-Christophe Vergnaud. - A force de chercher, on aurait pu trouver des effets de pollution supplémentaires qui auraient occasionné davantage de coûts. En fait, les expositions sont restées les mêmes. D'étude en étude, les résultats se sont confirmés. C'est à la fois surprenant et rassurant. A l'époque, ces résultats avaient constitué un tel choc que la ministre de l'environnement avait envisagé de ne pas les publier. Le succès de Daniel Cohn-Bendit aux élections européennes l'y avait finalement incitée à le faire. Les travaux que je mène dans le cadre de l'Anses portent sur d'autres polluants. Faute de données scientifiques, les chiffrages sont difficiles.
M. Jean-Christophe Bureau. - Nous chiffrons surtout des effets basiques, essentiellement les pertes de rendements agricoles liés aux polluants. Dès lors que nous élargissons cet objectif concret, qu'il s'agisse d'étudier la forêt ou l'impact des pesticides, nos études sur les écosystèmes deviennent plus ou moins incertaines. Si des chiffrages approximatifs sont possibles sur la pollinisation ou la contribution des chauves-souris à la disparition des insectes, on ne peut guère aller au-delà. Nous disposons de chiffres pour évaluer les services récréatifs de l'écosystème : on sait par exemple ce qu'il advient lorsqu'il n'y a plus d'insectes, plus de larves dans les rivières, plus de poissons. C'est important si l'on pense que l'industrie du tourisme dans un département comme la Dordogne représente 40 % du PIB. En revanche, la valorisation de l'écosystème à plus long terme, la constitution de réserves de molécules contre les maladies par exemple, est difficilement chiffrable. Nous pouvons tout au plus fixer des bornes inférieures.
En 2011, un article de la revue Nature a fait état d'une étude intéressante sur l'azote qui intervient dans la pollution de l'eau et de l'air. Les effets bénéfiques de ce gaz sont connus depuis la fameuse déclaration de 1900, à la Chambre des Lords, selon laquelle l'utilisation de l'azote dans l'agriculture, compte tenu de la capacité des plantes à l'absorber, permettrait de nourrir des millions d'habitants supplémentaires. Peu après, Fritz Haber a reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la synthèse de l'azote de l'air - qui débouche aussi sur la fabrication des explosifs... S'il est incontestable que les épandages d'engrais azotés présentent un certain avantage, ils ont un coût en termes de pollution de l'eau et de risques pour la santé : les bénéfices sont de l'ordre de 25 à 130 milliards de dollars, alors que les coûts oscillent entre 70 et 320 milliards de dollars. L'analyse d'un tel paradoxe reste délicate, car l'azote permet de nourrir une partie de la planète. L'importance des coûts suscite néanmoins des questions. Sur ce type de sujet, nous disposons de méthodes pour déterminer des bornes basses, guère mieux.
J'ai surtout travaillé sur des méthodes de valorisation des coûts humains, notamment dans le cas des contaminations bactériologiques. Il est alors très difficile de faire l'économie d'une métrique monétaire. Certaines études s'y sont essayées, en imaginant par exemple une contribution au bonheur. Dans l'ensemble, nous nous appuyons sur des calculs artisanaux, du type règle de trois. L'approche méthodologique peut être directe, mesurant le coût de la santé selon les standards pratiqués aux Etats-Unis - dépenses pour les soins, pour la prévention, perte de productivité des employés malades, etc. Elle peut être indirecte lorsqu'elle vise le consentement à payer, en prenant en compte le coût de la douleur et la valorisation subjective de la maladie. Quant au coût de la mortalité, on parle de « valeur de la vie statistique » ou de « gain à éviter un décès ». Les chiffres sont élevés : 1 700 milliards de dollars pour la pollution de l'air dans les pays de l'OCDE, 3 500 pour la Chine et l'Inde. Si les normes basses sont clairement fixées, les méthodes de consentement à payer offrent des résultats plus incertains, qui affinent néanmoins l'approche en termes d'ordres de grandeur. L'OCDE utilise 3,6 millions de dollars par vie statistiquement épargnée. Les pouvoirs publics français établissent le même type de chiffrage en matière de mesures de sécurité routière. Bien sûr, les incertitudes scientifiques pèsent davantage en ce qui concerne le rôle des particules ou des perturbateurs endocriniens dans le développement des cancers et des maladies cardio-vasculaires.
M. Jean-François Husson, président. - Pouvez-vous préciser ce que vous nous avez dit sur les baisses de rendements en nous donnant des éléments quantifiés en euros ? Si les rendements baissent de 10 %, l'effet ne sera pas le même en Ile-de-France et dans les autres régions, où les rendements sont inférieurs de 50 à 60 %. Nous souhaiterions également connaître les coûts en euros des impacts forestiers - je songe aux pluies acides, bien que le phénomène ait pu être endigué, des solutions ayant été trouvées. Enfin, avez-vous observé des différences d'impact pour les populations en zones urbaine et rurale ? En mars, bien que les pics de pollution aient été causés par des pratiques agricoles, ce sont surtout les populations urbaines qui ont été touchées.
M. Jean-Christophe Bureau. - Tout dépend du type de polluants. Les particules empêchent la photosynthèse, mais ont peu d'impact sur le milieu forestier. L'Inra a beaucoup travaillé sur la réduction de l'impact des particules primaires et secondaires.
Les chiffres indiquent clairement que certaines baisses de rendements sont liées à l'ozone, avec des variations selon les régions. L'ozone est un polluant rural que l'ensoleillement favorise. Il touche les forêts et l'agriculture. La forêt de Rambouillet, par exemple, a été ces derniers mois plus polluée à l'ozone que le centre de Paris. En chiffrant ces baisses de rendements, l'Inra a constaté que le blé était plus affecté que l'orge. On prévoit ainsi qu'en 2030, la production de blé aura baissé de 30 %, alors que celle de l'orge aura augmenté de 15 %. Mes collègues de Nancy ont constaté des baisses de rendements assez fortes en milieu forestier. Des stratégies d'évitement consistent à planter de nouvelles espèces pour anticiper les pertes. Dans la projection du milieu forestier en 2050-2070 effectuée par l'université de Paris-Saclay, le chêne aura été repoussé dans les Ardennes et il n'y aura plus de hêtres en France. Bien sûr, il n'y a pas seulement l'ozone : la chaleur et la pollution jouent aussi un rôle dans ces évolutions. Des chiffres existent peut-être, que je ne connais pas.
Quant à l'ammoniaque, un gros programme de l'Inra lui est consacré. Une grande partie des émissions sont contrôlables. Les épandages enfouis peuvent les limiter de 40 à 60 %. Des solutions faciles à mettre en oeuvre existent.
M. Jean-Christophe Vergnaud. - C'est la concentration des polluants qui est nocive et le milieu urbain favorise les effets de stockage. Une disparité d'expositions existe entre milieu urbain et rural, mais aussi entre les habitations d'arrière-cour et celles bordant les grands axes de circulation. Des mesures de protection sont possibles en cas de pic de pollution : il faut rester confiné en aérant au petit matin seulement. En ce qui concerne les nouvelles méthodes, Olivier Chanel et Stéphane Luchini ont testé des scénarios de consentement à payer par rapport à la pollution de l'air. Les résultats ont donné des valeurs cohérentes avec celles de scénarios liées à d'autres sources de mortalité. C'est rassurant. Enfin, il faut tenir compte des délais de latence lorsque des mesures sont prises : deux ou trois ans avant une amélioration pour les maladies cardio-vasculaires, et un peu plus longtemps pour les maladies respiratoires.
M. Jean-François Husson, président. - Quelles seraient les principales incertitudes liées à la monétarisation de ces impacts ?
M. Jean-Christophe Vergnaud. - Même si les méthodes de consentement à payer aboutissent à des valeurs rassurantes, celles-ci restent déclaratives. On constate une certaine schizophrénie chez les consommateurs qui se disent préoccupés par la pollution tout en refusant le principe d'une taxe écologique environnementale. Un travail de pédagogie reste à faire. Une approche internalisée par les droits de propriété contribuerait également à rendre ces valeurs économiquement crédibles, en créant un marché des droits à ne pas être pollué. La responsabilité des entreprises est beaucoup trop limitée. Bref, peu de consentements à payer s'accompagnent d'un rendu économique efficace. Une solution pourrait être que les ONG qui en ont les moyens fassent entendre une voix différente de celle de l'industrie en lançant leurs propres études toxicologiques.
M. Jean-François Husson, président. - Dans une société devenue complexe, les demandes des uns et des autres sont forcément paradoxales. La méthodologie que vous utilisez pour le calcul des bénéfices dans les projets d'infrastructures est-elle la même que sur les consentements à payer ? A quoi faites-vous référence quand vous parlez de « non-décisions » ? Cela concerne-t-il uniquement le diesel ? Un certain nombre d'experts nous ont expliqué que la pollution liée au trafic routier était de l'ordre de 15 % au pire de la situation. La fameuse règle des 80/20 est loin d'être atteinte. Quel est votre point de vue ?
M. Jean-Christophe Vergnaud. - Pour le calcul des bénéfices, les biens sont valorisés de manière standard sur des méthodes de consentement à payer. En France, dans le secteur des transports, le dernier rapport Quinet a donné comme valeur de référence le chiffre de 2 millions d'euros, en se fondant sur une méta-analyse d'études de consentements à payer. Cette valeur nous fait rattraper le léger retard que nous avions sur nos voisins européens. A partir du moment où une étude se réfère à cette valeur du rapport Quinet, on peut considérer qu'elle fonctionne selon la méthode du consentement à payer. D'autres façons de faire existent, comme en atteste l'étude de Pierre Kopp sur la pollution de l'air qui parvient à des résultats similaires par une méthode différente. Quant aux transports, il faut distinguer entre les émissions sur le territoire national et l'exposition aux émissions. D'un côté, le calcul se fait en kilos par mètre cube, de l'autre en kilos par mètre cube par habitant. Le modèle de diffusion (Chimère) sur lequel se fonde l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) considère la diffusion locale - ce qui ne vaut pas pour le gaz à effet de serre, un polluant global. Une carte d'Airparif montre clairement que les niveaux de concentration et d'exposition sont liés aux axes de circulation. La part des transports dans l'exposition est certainement plus élevée que les 15 % constatés dans les émissions. Le chiffre de 30 à 40 % ne me paraît pas incohérent.
M. Jean-Christophe Bureau. - Une étude menée aux Etats-Unis a pu constater une différence de 1 à 2 000 dollars en termes de coûts pour la pollution. Ces écarts s'expliquent par la différence des critères pris en compte. Un consensus existe autour des 2 millions du rapport Quinet, des 4 millions pour un enfant selon le rapport Caffet au niveau européen, ou des 190 000 euros par cas de bronchite chronique. Ces valeurs ont l'avantage de prendre en compte les coûts directs et indirects. Cependant, des incertitudes physiques demeurent sur les fonctions de réponse. Il nous manque une information scientifique de base sur les pesticides et sur les particules. L'impact irréversible des particules sur les écosystèmes est difficile à prendre en compte. On sait que des espèces vont disparaître : comment valoriser cela ? Tous ces facteurs expliquent que nous soyons tentés de prendre des bornes basses.
M. Jean-Christophe Vergnaud. - Fixer des normes est irréversible. La rurbanisation est également un processus tout à fait irréversible.
M. Jean-François Husson, président. - Oui et non. La désertification est une preuve de sa réversibilité.
M. Jean-Christophe Vergnaud. - Il suffirait de changer les habitudes des gens en les incitant à prendre les transports en commun plutôt que leur voiture pour nous alléger d'un certain nombre d'incertitudes technologiques. Par ailleurs, les transports ont d'autres inconvénients que la pollution au CO2 : chaleur, bruit, césure, accidents... Tous ces éléments sont aussi à prendre en compte.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie pour vos réponses qui nous ont permis de mieux apprécier ce sujet.
La réunion, suspendue à 17 h 35, reprend à 18 h 05.
Audition de MM. Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles, et Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto
M. Jean-François Husson, président. - Nous recevons M. Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles, et M. Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de la société Monsanto.
Cette audition est publique et ouverte à la presse. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yann Fichet et M. Matthieu Beaulaton prêtent serment.
M. Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto. - Monsanto est une société semencière avec trois activités principales en France : les semences de grandes cultures comme le maïs et le colza, les semences maraîchères ou potagères et la protection des plantes, à savoir l'utilisation des produits phytosanitaires. Elle comprend également des activités annexes ou en cours de développement comme le biocontrôle, c'est-à-dire la recherche et la mise sur le marché de produits naturels utiles à l'agriculture. Monsanto est présente en France depuis quarante ans, et se consacre à 100 % à l'agriculture. L'entreprise compte six cents personnes en France sur onze sites, principalement des stations de recherche, et deux sites industriels de production de semences. Elle possède des implantations dans 57 pays. Entreprise de recherche et de développement, elle a investi en 2014 1,7 milliard de dollars, soit 11 % de son chiffre d'affaires mondial, et cet investissement est réalisé à 95 % dans le domaine des semences. Dans le domaine des phytosanitaires, elle propose des produits anciens et connus mais n'effectue plus de recherches.
M. Beaulaton présentera les outils industriels en France et leur impact éventuel sur l'air, tandis que j'évoquerai les produits phytosanitaires, et en particulier le glyphosate, deux sujets qui intéressent particulièrement votre commission d'enquête.
Le règlement européen 1107-2009, extrêmement exigeant, requiert le dépôt d'une demande d'homologation par les entreprises de production de produits phytosanitaires avant toute commercialisation. L'autorisation de mise sur le marché est ensuite délivrée pour dix ans. La demande de ré-homologation du glyphosate a été soumise en 2012, avec un dossier de renouvellement décennal. Ce dernier contient des centaines d'études scientifiques, qu'elles émanent d'entreprises ou de sources publiques. En l'espèce, environ 25 entreprises sont pétitionnaires car la matière active étant tombée dans le domaine public, plusieurs entreprises sont intéressées et ont déposé un dossier commun. Chacune devra ensuite présenter un dossier concernant spécifiquement la préparation ou la formulation qu'elle souhaite commercialiser.
La procédure d'autorisation de mise sur le marché comprend donc deux niveaux : l'autorisation de la matière active à l'échelle européenne et l'autorisation de commercialiser un produit qui est déposée par chaque entreprise dans tout Etat-membre concerné. Un rapporteur examine scientifiquement l'ensemble du dossier soumis à autorisation de l'Union européenne ; en l'espèce, c'est l'Allemagne avec le Bundesinstitut für Risikobewertung (BFR), l'institut fédéral d'évaluation des risques, qui a réalisé l'évaluation des matières actives et a soumis son compte rendu à l'Efsa, l'autorité européenne de sécurité des aliments chargée de produire un rapport.
Récemment le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a publié dans le journal anglais The Lancet un article de deux pages sur plusieurs matières actives dont le glyphosate - soit peu de choses sur le glyphosate en tant que tel ! L'article le classe en catégorie 2A, soit cancérigène « probable » selon les normes du Circ. Cette opinion doit être resituée par rapport au processus de renouvellement décennal européen. Le document du BFR du 23 mars 2015 - j'en cite la traduction française réalisée par une experte traductrice assermentée auprès de la Cour d'appel - établit que « dans le cadre de la réévaluation de la substance du glyphosate par l'Union européenne, l'Allemagne étant l'Etat-membre rapporteur, l'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques a été chargé de l'évaluation des risques pour la santé humaine et a déclaré que le glyphosate n'était pas cancérogène ». Il est appuyé en ce sens par d'autres institutions compétentes nationales, européennes et internationales d'évaluation sanitaire, notamment la réunion conjointe FAO-OMS sur les résidus de pesticides, qui a évalué le glyphosate à un autre moment.
Par ailleurs, le BFR indique que « la classification du glyphosate en tant qu'agent cancérogène du groupe 2A, telle que publiée le 20 mars 2015 dans la revue Lancet est surprenante » et que « la base de données sur laquelle repose l'évaluation par le Circ n'est malheureusement pas connue », car la publication du Lancet, seulement deux pages, comporte très peu d'éléments pour juger des bases de l'évaluation. Selon le BFR, pour l'heure, un examen global et scientifiquement sain des données et des arguments ayant débouché sur la conclusion du Circ est donc tout simplement impossible.
Le BFR a compilé « la base de données toxicologiques la plus complète au niveau mondial » concernant le glyphosate. Il estime qu'aux fins d'évaluation toxicologique et des risques d'une substance « il convient de prendre en compte l'ensemble de la base de données et non une sélection plus ou moins arbitraire d'études ». Selon lui, le risque évalué par le Circ s'appuie sur trois études épidémiologiques, alors que, « fondé sur l'évaluation de plus de trente études épidémiologiques, le rapport actuel du BFR à l'Union européenne est parvenu à la conclusion globale qu'il n'existe aucune relation validée ou significative entre l'exposition au glyphosate et un risque accru de lymphome non hodgkinien ou d'autres types de cancer ». Je ne suis pas cancérologue, je ne commenterai donc pas ces conclusions. Le BFR termine en indiquant qu'il procèdera à « un examen rigoureux de la classification publiée par le Circ une fois que la monographie sera mise à disposition ».
Quant à la présence de produits phytosanitaires dans l'air, les mesures de pollution de l'air ne sont pas systématiques dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché. Nos informations proviennent de l'interprofession. Depuis 2002, sur environ 150 000 analyses relatives à la présence de phytosanitaires, 90 % n'ont révélé aucune trace de produit dans l'air. Le syndicat interprofessionnel indique que dans les 10 % restants, le niveau s'élevait entre 0,01 et 0,04 nanogramme par mètre cube, sachant qu'un nanogramme correspond à un milliardième de gramme. Le taux est donc très faible, entre cent à mille fois plus faible que les taux des polluants existant par ailleurs dans l'air.
Plus spécifiquement, le glyphosate a quelques propriétés physico-chimiques mentionnées dans le dossier d'homologation comme la non-volatilité et la solubilité dans l'eau. Les chances d'en retrouver des traces dans l'air sont par conséquent très minces, à moins d'effectuer un relevé à proximité immédiate d'une pulvérisation sur un champ, car le produit se dégrade par oxydation photochimique. La demi-vie, mesurée par le temps de dégradation de la moitié de la quantité de glyphosate initialement présente, est d'une heure et six minutes, selon le dossier. Ces sujets sont également discutés dans le contenu même du dossier d'homologation soumis aux autorités compétentes européennes, allemandes en l'occurrence. Toutes les autorités compétentes des divers Etats-membres ont également la possibilité de consulter le dossier et de formuler leurs remarques pour enrichir le dossier et pour que nous y répondions, opportunité qu'a saisie l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour la France.
M. Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto. - Monsanto compte onze sites de recherche et de production en France, mais le Roundup est fabriqué dans une usine dans le port d'Anvers, en Belgique, qui approvisionne tout le marché européen. Il n'y a donc pas de production de Roundup en France. En France, Monsanto produit des semences conventionnelles de maïs, de colza et de plantes potagères grâce aux deux unités principales de Peyrehorade, dans les Landes, et de Trèbes, près de Carcassonne, dans l'Aude.
Nos usines sont encadrées, à la demande de l'entreprise, par des certifications pour limiter les pollutions : certifications ISO 9001 relative à la qualité, OHSAS 18001 pour la sécurité des opérateurs et de nos opérations et ISO 14001 pour la protection de l'environnement. L'usine de Peyrehorade, notre centre de production principal, respecte les trois certifications, de même que l'usine d'Anvers pour le Roundup.
Quelques initiatives connues complètent ces certifications. Le plan qualité poussières est une certification française des outils industriels pour garantir l'absence d'émission de poussières nocives lors de la plantation ; l'Esta (European seed treatment assurance) est une certification européenne pour le traitement des semences. Enfin, Certiphyto sanctionne la formation des opérateurs aux bonnes pratiques d'utilisation des produits.
Nous sommes approvisionnés par un réseau d'agriculteurs multiplicateurs sous contrat avec Monsanto. Une fois séchées, sélectionnées et triées, et pour certaines enrobées de produits fongicides ou insecticides, les semences sont conditionnées dans des sacs en papier. Le process de triage est sec et repose sur un calibrage mécanique ; nous commençons également à utiliser des outils optiques, qui sont une voie d'avenir. L'enrobage s'accompagne d'un ajout d'eau pour l'application sur les semences, mais dans des quantités très limitées. Il s'agit donc d'un process propre, sans déchets.
Pour en venir aux émissions dans l'air, tous nos process sont sous aspiration. La dépression créée permet la collecte des poussières, y compris naturelles, qui sont ensuite aspirées vers des filtres à manche. Tous nos points d'émission d'air ou d'aspiration sont soumis à des tests annuels dont les modalités sont encadrées par un arrêté préfectoral. Les résultats sont publiés annuellement pour l'ensemble de nos usines.
Le plan qualité poussières a été lancé voici une dizaine d'années à l'initiative de l'Union française des semenciers (UFS), démontrant ainsi la volonté des professionnels d'assurer la maîtrise du risque d'émission de poussières pour les semences traitées aux phytosanitaires. Il comporte deux objectifs : renforcer les bonnes pratiques industrielles, et s'imposer un haut niveau d'exigence, afin de protéger l'environnement aussi bien que la santé des opérateurs dans nos usines.
Un audit annuel est conduit par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, le Gnis, à travers son organisme certificateur, le Service officiel de contrôle et certification (SOC), pour garantir le respect de ce référentiel. Les derniers audits, menés en février à Peyrehorade et en avril à Trèbes, ont donné lieu à la reconduction de la certification. Sont contrôlés la compétence du personnel, l'application des différents standards, les fiches de sécurité, les tests sur les poussières, la traçabilité et l'étiquetage, l'analyse des risques, le niveau de poussière dans les semences, etc. Chaque audit donne lieu à des recommandations et des observations, pour améliorer encore les process.
La société Monsanto a investi dans des outils performants en matière de protection de l'environnement. Je ne citerai qu'un exemple : à Peyrehorade, une chaudière biomasse permet de brûler les rafles de maïs, auparavant traitées comme des déchets, et de produire ainsi 15 000 mégawatts par an. Grâce à cela, nous diminuons notre consommation de gaz et notre empreinte écologique.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pour commencer, pensez-vous que cette commission d'enquête - dont l'objet est le coût économique et financier de la pollution de l'air - vous concerne ? Je vous rappelle, pour la forme, que tout faux témoignage devant cette commission vous exposerait à des poursuites dans le cadre prévu par les articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Estimez-vous que certains des pesticides que vous vendez sont cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques ? Se retrouvent-ils dans l'air et dans les aliments ?
Vous avez écarté d'un revers de main les analyses du Circ. A vous entendre, on pourrait presque consommer du glyphosate, principal composant du Roundup, sans danger ! Je rappelle qu'entre 2008 et 2013, 138 392 tonnes de cette substance ont été épandues en France, ce qui en fait le pesticide le plus fréquemment utilisé, très loin devant le soufre, 37 822 tonnes. Pouvez-vous affirmer devant cette commission d'enquête que ces 138 392 tonnes d'une molécule considérée comme cancérigène par le Circ, utilisée dans l'agriculture mais aussi dans un cadre domestique, ne présentent aucun danger pour nos concitoyens ? Le taux de cancers est particulièrement élevé dans le Sud de la France, où l'activité agricole est importante. De plus, nous avons entendu au cours de nos auditions qu'un grand nombre de pesticides présentaient des effets cancérigènes. Je suis donc étonnée de votre présentation. Veuillez nous préciser votre position sur ce point, plutôt que de nous expliquer l'organisation de l'entreprise. Je rappelle que nous nous intéressons au coût économique et financier de la pollution de l'air.
Vous avez affirmé que d'après votre syndicat interprofessionnel, 90 % des 150 000 analyses conduites concluent à un très faible taux de pesticides dans l'air. Or l'ensemble des personnes que nous avons entendues attribuent la pollution atmosphérique pour un tiers à la circulation automobile, pour un tiers au chauffage et pour un tiers aux pesticides, qui ont joué un rôle particulièrement important dans le pic de pollution récemment constaté en Ile-de-France. Quel est le nom de ce syndicat ?
M. Yann Fichet - Vous me demandez si le produit est mutagène, cancérigène ou reprotoxique...
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je souhaite savoir si certains des pesticides que vous vendez présentent de tels effets.
M. Yann Fichet - N'étant pas scientifique, je ne prétends pas me prononcer. Toutefois, notre entreprise demande des autorisations de mise sur le marché auprès des autorités compétentes de l'Union européenne et de ses Etats membres, comme de pays tiers. Ces autorités sollicitent l'avis scientifique de commissions d'experts. En l'occurrence, les conclusions du BFR sur le glyphosate sont tout à fait claires.
Nous utilisons le glyphosate depuis quarante ans. Les autorités compétentes et les comités scientifiques ont toujours conclu à l'absence d'effets cancérigènes et reprotoxiques. Même l'Anses, l'Efsa et, aux Etats-Unis, l'EPA (Environmental Protection Agency) ont rendu des avis en ce sens.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Dans ce cas, pourquoi observe-t-on en France un taux de cancers plus important parmi les agriculteurs qui utilisent des pesticides que dans le reste de la population ?
M. Yann Fichet - Il existe une étude épidémiologique, dont je vous donnerai la référence, qui met en évidence une prévalence moins importante des cancers chez les agriculteurs que dans l'ensemble de la population. Notre syndicat interprofessionnel, pour les produits phytosanitaires, est l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP).
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous avez affirmé que d'après 90 % des études, l'impact des pesticides dans la pollution de l'air était infime.
M. Yann Fichet - J'ai signalé que d'après les chiffres fournis par l'UIPP, 90 % des 150 000 analyses conduites depuis 2002 mettent en évidence un impact infime des substances phytosanitaires dans la pollution de l'air.
M. Jean-François Husson, président. - Une étude conduite en 2011 par l'US Geological Survey Office a détecté des traces de pesticides dans 86 % des échantillons collectés dans le bassin du Mississippi. Confirmez-vous ces données ? Connaissez-vous le taux de présence du glyphosate dans l'air en France ?
M. Yann Fichet - L'étude américaine que vous citez figure dans le dossier d'homologation que nous avons présenté aux autorités compétentes de l'Union européenne. Elle est donc partie intégrante de la discussion. Je précise néanmoins que les conditions sont très différentes entre nos deux pays. Ainsi, le traitement aérien est encore pratiqué aux Etats-Unis, mais pas en France.
M. Jean-François Husson, président. - Certains traitements aériens subsistent en France.
M. Yann Fichet - Ce n'est pas le cas pour le glyphosate. D'après des spécialistes, dans cette étude de 2011, le protocole et les méthodes d'analyse seraient critiquables. La méthode n'a pas été validée, notamment au point de vue de sa reproductibilité. Enfin, la pulvérisation des produits phytosanitaires doit respecter un certain nombre de bonnes pratiques, équipements et manipulation correcte afin que les gouttes aient une taille suffisante pour tomber sur la plante ou la mauvaise herbe à traiter.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi ces précautions, si le produit n'est pas nocif ? Pour utiliser du sucre, je n'ai besoin ni de gants ni de masque. Pourquoi faut-il mettre en oeuvre un dispositif particulier lors de la manipulation de votre produit ?
M. Yann Fichet - Les produits phytosanitaires ne sont pas anodins, ce qui nécessite de bonnes pratiques d'utilisation.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi ne sont-ils pas anodins ?
M. Yann Fichet - Tout produit chimique qui n'est pas utilisé dans de bonnes conditions peut produire des effets.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels sont ces effets ? Je vous rappelle que vous avez la responsabilité d'informer les consommateurs sur les produits que vous vendez.
M. Yann Fichet - Nous assumons cette responsabilité. L'étiquetage précise comment le produit doit être utilisé et stocké. Nous mettons également des outils d'information à la disposition des utilisateurs.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous ne répondez pas à ma question. Quels sont les effets de cette substance ? Monsanto vend des produits dont certains sont considérés comme toxiques. Vous évoquez des protocoles d'utilisation, tout en nous assurant de l'absence de toxicité du glyphosate. Quels sont les effets de cette substance ? En tant que professionnel, vous devez le savoir et informer les utilisateurs.
M. Yann Fichet - Il existe de très nombreuses manières de mal utiliser un produit phytosanitaire. Il faut appliquer la bonne dose au bon moment. Si les doses sont excessives, cela produit naturellement des effets indésirables.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Lesquels ? Vous consacrez 11 % de votre chiffre d'affaires à la recherche-développement. Vous êtes sans doute en mesure de déterminer ces effets.
M. Yann Fichet - C'est une question très générale. Les effets sont spécifiques à un produit et à un type d'utilisation.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels sont les effets du Roundup ?
M. Yann Fichet - La pulvérisation du Roundup répond à des règles précises. Il faut bien régler le pulvérisateur. L'agriculteur doit utiliser une combinaison et des gants.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Tout cela pour un produit qui n'est pas nocif.
M. Yann Fichet - Tout produit phytosanitaire doit être utilisé avec précaution. De la même façon, un médicament mal utilisé peut produire des effets inattendus.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels sont les effets sur l'environnement d'une mauvaise utilisation du Roundup ?
M. Yann Fichet - Si un pulvérisateur est mal réglé, le glyphosate peut se retrouver dans l'air, ce qui n'est pas souhaitable.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi ?
M. Yann Fichet - Le produit n'est pas fait pour se retrouver dans l'air.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Mais il n'a pas d'effets cancérigènes, comme vous l'avez souligné.
M. Yann Fichet - S'il n'est pas utilisé correctement, il peut avoir d'autres effets, comme des irritations de la peau.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ce produit a donc bien des effets sanitaires.
M. Yann Fichet - C'est le cas de tous les produits, chimiques mais aussi naturels.
M. Jean-François Husson, président. - Vous êtes la première des personnes auditionnées à affirmer que, si le pulvérisateur est bien réglé, le produit se dépose à 100 % sur la plante. En réalité, jusqu'à 40 % du produit n'atteint pas la plante...
Je m'apprêtais à vous demander quelles actions votre entreprise mettait en oeuvre pour limiter les effets polluants du produit mais à vous entendre j'ai le sentiment que ces effets n'existent pas. Confirmez-vous cette interprétation ?
Enfin, mesurez-vous la qualité de l'air sur vos sites, dont certains sont confinés ? Vos collaborateurs qui manipulent les semences portent-ils des masques ?
M. Yann Fichet - Je dois préciser mon propos. Un bon réglage du pulvérisateur assure que l'essentiel de la matière se dépose sur la plante. Mais le Roundup est un désherbant, appliqué sur des plantes dispersées. Il peut donc naturellement se retrouver sur le sol.
M. Jean-François Husson, président. - Ce n'est pas ce que je voulais dire.
M. Yann Fichet - Il est recommandé de traiter un champ lorsque le vent est nul ou peu important. Il existe trois voies par lesquelles le glyphosate peut passer dans l'air : un coup de vent inapproprié ; la volatilité, qui est une propriété physico-chimique ; une érosion du sol, qui favorise la dispersion des particules. Dans ces conditions, la présence de glyphosate dans l'atmosphère est toujours possible.
M. Jean-François Husson, président. - Vous n'avez pas toujours dit cela au cours de l'heure qui vient de s'écouler...
M. Yann Fichet - Je me suis peut-être mal exprimé. Concernant la mesure de la présence de produits phytosanitaires dans l'atmosphère, le protocole utilisé joue un grand rôle. Si la mesure est effectuée à proximité de la source et juste après la pulvérisation, il existe de fortes chances que le glyphosate soit présent. Trois jours après, ces chances sont bien moindres.
Quant aux effets polluants, les autorités compétentes s'intéressent particulièrement à la présence du produit dans les eaux de surface. Quand le produit est pulvérisé dans un champ, l'érosion ou un déplacement de la pulvérisation peuvent entraîner une pénétration dans les eaux de surface, comme une rivière ou des ruisseaux à proximité.
M. Jean-François Husson, président. - Il existe donc un risque de pollution.
M. Yann Fichet - Ce risque existe pour les eaux de surface.
M. Jean-François Husson, président. - Et sur vos sites industriels ?
M. Matthieu Beaulaton - Ils sont confinés et nous utilisions un processus simple, sec et reposant sur l'aspiration. Néanmoins, nos opérateurs portent un équipement de protection individuel composé d'un casque, de lunettes et de chaussures de sécurité. Ils sont munis d'un masque lors des opérations de nettoyage. Ces équipements sont portés sept jours sur sept et toute l'année. Le taux de poussières dans l'air et la composition de celles-ci sont régulièrement analysés, je l'ai dit. La période des récoltes donne lieu à des arrivées importantes de semences sur les sites. Nous procédons alors à des piégeages de poussières à la périphérie de nos sites, afin d'éviter la pollution des environs.
M. Jean-François Husson, président. - De quelle manière organisez-vous le piégeage ?
M. Matthieu Beaulaton - Nous installons aux limites de propriété des boîtes dont la forme est analogue à celle des boîtes de Petri.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Encore deux questions. Quel chiffre d'affaires avez-vous réalisé en France en 2014 ? Et conseilleriez-vous à des femmes enceintes et à des enfants en bas âge de rester présents pendant les épandages de Roundup, ou de déjeuner à proximité ?
M. Yann Fichet - Je ne conseillerais à personne de rester près des chantiers d'épandage. Des distances sont du reste ménagées par certains agriculteurs durant toute l'opération.
Notre chiffre d'affaires n'est pas consolidé au niveau français. En 2014, il était de 15 milliards de dollars dans le monde. Dans notre découpage interne, la région Union européenne, Moyen-Orient et Afrique représente 15 % de ce total. La France a un poids important dans ce sous-ensemble.
M. Jean-François Husson, président. - Les semences que vous recevez de vos agriculteurs présentent-elles des traces de glyphosate ? Les piégeages que vous effectuez, en intérieur et en extérieur, doivent vous permettre de le déterminer ?
M. Matthieu Beaulaton - Nous n'en avons pas retrouvé.
M. Yann Fichet - Le glyphosate étant un désherbant systémique, il ne doit pas être appliqué sur les cultures qui produisent les semences.
M. Jean-François Husson, président. - Quid de l'utilisation avant le changement d'assolement ?
M. Yann Fichet - Si cela devait arriver, les traces seraient extrêmement faibles.
M. Matthieu Beaulaton - Le glyphosate appliqué avant le semis s'inactive au contact du sol. Il est très peu probable d'en retrouver des traces, d'autant plus que la récolte intervient au moins quatre mois après la plantation des semences.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie de votre collaboration.
La réunion est levée à 19 heures.
Audition de MM. Frédéric Gonand et Thomas Kerting et de Mme Mathilde Lorenzi, auteurs de La Bataille de l'air (Descartes et Cie, janvier 2015)
La réunion est ouverte à 18 h 45.
La commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Frédéric Gonand et Thomas Kerting et de Mme Mathilde Lorenzi, auteurs de La Bataille de l'air (Descartes et Cie, janvier 2015) prêtent serment.
M. Frédéric Gonand. - Monsieur le président, Madame la sénatrice, M. Kerting et moi-même allons vous présenter les principaux éléments de notre livre. Il se propose de résumer la littérature existante en termes d'analyse économique de la pollution de l'air.
Les pics de pollution sont souvent perçus comme propres aux métropoles asiatiques, la pollution de l'air est devenue un problème occidental, et notamment parisien, avec le premier épisode de pollution entraînant la mise en place d'une circulation alternée en mars 2014. Cet événement a marqué les esprits et a fait prendre conscience du fait que le problème touche désormais la vie quotidienne des Français et a ipso facto une dimension politique. Premier exemple de cette dimension politique : les mesures d'urgence de mars 2014 à Paris ; des dispositifs mis en oeuvre à Berlin ou Mexico ; le dispositif du Clean Air Act en place aux Etats-Unis depuis 25 ans déjà.
Je ne reviendrai que brièvement sur les multiples visages de la pollution de l'air : les particules fines, le dioxyde d'azote essentiellement émis par les transports, le dioxyde de soufre lié au processus industriel, le monoxyde de carbone et l'ozone. Il faut bien distinguer émission et concentration : un automobiliste dans les embouteillages subit une pollution bien plus forte que le cycliste quelques mètres plus loin sur une voie cyclable car la dilution est un phénomène important et rapide. Cela rend la modélisation des concentrations d'agents polluants, très compliquée.
La pollution de l'air a, par ailleurs, des conséquences multiples, au-delà de la santé -par exemple le cancer du poumon- et de la perte de PIB. Ainsi la perte de visibilité, qui peut atteindre 80 %, et empêcher les avions d'atterrir ou augmenter le nombre d'accidents de la route : cela représente des coûts économiques qu'il faut savoir évaluer. Une surconcentration d'ozone troposphérique peut également faire baisser les rendements agricoles jusqu'à 10 % dans le bassin parisien. Les bâtiments s'usent également plus vite et la biodiversité peut être diminuée.
Permettez-moi d'insister sur la pollution de l'air intérieur, sujet important, mal connu. Elle a une dimension particulière en Afrique en raison de l'utilisation de matériaux biologiques, comme le bois pour la cuisson des aliments, mais pose aussi des problèmes dans nos pays. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, dont la fonction est par conséquent importante, produit des outils de mesure et des études très intéressantes : peu de pays disposent d'un tel outil.
La pollution de l'air à l'intérieur des véhicules est aussi un sujet. La pollution à l'intérieur du métro est plus importante que sur le périphérique.
La géographie de la pollution de l'air est à la fois très locale et très internationale, avec parfois des conséquences diplomatiques importantes aux pollutions transfrontalières. La pollution de mars 2014 à Paris était en partie liée à la production d'électricité en Allemagne, à base de charbon.
En ce qui concerne les conséquences sanitaires, de nombreuses affections des voies respiratoires sont dues à la pollution de l'air. Le travail des économistes est de monétiser la perte d'espérance de vie calculée par les médecins. La pollution de l'air est, en Europe, la cause d'une mortalité dix fois supérieure aux accidents de la route.
La notion de coût, en économie, n'est pas nécessairement une dépense, un flux d'argent, mais la perte de quelque chose qui a de la valeur - en l'occurrence une vie en bonne santé. Le PIB ne mesure pas tout, et notamment le bien-être. Ici il s'agit de calculer le coût d'une probabilité plus élevée de mourir plus tôt. Pour cela, on utilise la méthode de la Valeur statistique de la vie. Il ne s'agit pas de la valorisation d'une vie humaine mais on demande aux gens combien ils sont prêts à payer pour éviter une augmentation de la mortalité. Des dispositifs expérimentaux permettent ainsi de mesurer que, sur une population de 100 000 personnes, les gens sont prêts à payer l'équivalent de 30 dollars pour éviter une augmentation de la probabilité de décès. Cela établit le coût de la perte d'une vie à 3 millions de dollars, prix que la collectivité est prête à payer pour éviter un décès. L'avantage de cette méthode que l'on utilise depuis 40 ans est que son fondement théorique est solide. L'inconvénient est qu'elle est imprécise : les résultats varient du simple au triple : 3 millions est en fait le milieu d'une fourchette qui va de 1,5 à 4,5 millions.
Une fois ces chiffres posés, le coût économique de la pollution de l'air, en raison de la mortalité importante, apparaissent immédiatement énormes. L'OCDE le calcule à 55 milliards de dollars pour la France (soit 3 points de PIB) et 500 milliards de dollars (soit 5 points de PIB) pour les Etats-Unis. En moyenne, dans le monde, le coût de la pollution de l'air est de quelques points de PIB pour chaque pays, et si l'on additionne l'ensemble, l'équivalent de la perte de bien-être arrive au tiers du PIB des Etats-Unis. La Chine et l'Inde sont les pays qui souffrent le plus. Il est important de garder à l'esprit ces coûts colossaux car ils justifient les investissements publics.
Quels sont les instruments de mesure à la disposition des pouvoirs publics ? L'air pur est un « bien public pur » car il n'y a pas de prix de marché, personne ne veut payer pour l'avoir : le marché ne sait pas valoriser ce bien. Trois moyens permettent de corriger cette externalité.
Le premier moyen est la réglementation dont je suis de plus en plus persuadé qu'elle est un élément indispensable. L'avantage de ce moyen est son efficacité. On a ainsi réussi à diviser par quinze le taux de dioxyde de soufre, responsable des pluies acides dans les années 80. Les inconvénients sont la difficulté du contrôle et le fait que la réglementation ne permet pas de dépolluer au moindre coût.
Le deuxième moyen est la taxation. Elle fonctionne à moindre coût et on reçoit un double dividende : si l'on fait une taxe carbone, et qu'en compensation on baisse les charges sur les revenus du travail, non seulement on fait baisser les émissions de dioxyde de carbone, mais on crée des emplois. La limite de la taxation des polluants atmosphériques est sa moindre efficacité par rapport à la réglementation.
Le troisième moyen, le plus sophistiqué, -mais en pratique à titre personnel je doute qu'il soit le meilleur est le marché de droits à polluer. Les avantages sont les mêmes que pour la taxation et l'efficacité peut être grande, ainsi cela a très bien fonctionné aux Etats-Unis pour faire baisser le taux de dioxyde de soufre ; mais il est très difficile d'élaborer un marché de droits à polluer efficace : il faut une architecture juridique stable, des sanctions crédibles, une architecture complexe et fluide, tous éléments qui n'ont pas été réunis dans le marché de droits à polluer concernant le CO2 dans l'UE.
La protection de la qualité de l'air est par ailleurs encore insuffisante y compris en Europe. La concentration en dioxyde d'azote a baissé bien moins rapidement que celle en dioxyde de soufre, en bonne partie en raison du taux de diésélisation du parc automobile européen et français en particulier. En Chine, le principal problème est les particules fines issues du charbon.
Les services et les produits nouveaux qui répondent au problème de la pollution de l'air : dans notre livre, nous avons également développé une description de la filière des agents privés qui s'en occupent. En particulier la dépollution de l'air est un facteur de l'efficacité énergétique des bâtiments.
M. Thomas Kerting. - On assiste aujourd'hui à une forte transition énergétique des bâtiments. Le problème est que l'étanchéité thermique peut mettre à mal la qualité de l'air intérieur et donc la santé des occupants. Mais on sait aujourd'hui traiter l'air vicié, que l'on garde à la bonne température, pour le réinjecter dans le bâtiment avec des gains énergétiques et une meilleure qualité de l'air.
M. Frédéric Gonand. - Un filtre à air permet, en effet, de limiter la concentration en particules fines, bien mieux que la ventilation par apport d'air extérieur lui-même pollué. Cela permet de diminuer la consommation énergétique et l'effet d'un air plus pur sur la productivité du travail est très significatif : 3 à 8 % selon l'INVS.
M. Thomas Kerting. - Une bonne qualité de l'air dans l'entreprise peut se traduire par un tiers d'arrêts maladie en moins.
M. Frédéric Gonand. - Or un filtre à air dans une centrale à convection coûte 9 000 euros, ce qui est très peu au regard des gains. Le retour sur investissement est donc aussi rentable pour les agents privés, ce qui est important pour que le modèle économique fonctionne à long terme.
Par ailleurs, il ne s'agit pas de se défausser sur les collectivités territoriales mais celles-ci peuvent faire beaucoup : par l'organisation des transports urbains, par une tarification urbaine, par des limites de vitesse, des zones à émissions faibles (à Berlin, par exemple), des restrictions de circulation comme à Mexico. Enfin, en termes d'urbanisme : la tendance est, en France, depuis les années 1970, à la rurbanisation qui cause l'émission de beaucoup de CO2 ; la tendance actuelle est donc plutôt à des centres villes compacts. Toute une réflexion se développe autour de la création de couloirs d'air, d'espaces urbains au sommet des bâtiments de grande hauteur, etc.
M. Jean-François Husson, président. - Je donne la parole à M. Thomas Kerting.
M. Thomas Kerting. - La qualité de l'air est aujourd'hui une vraie opportunité pour la France car nous avons aujourd'hui la première filière dans ce domaine. Il y a trente ans, seule la France a lancé une filière de mesure et de traitement de la pollution de l'air, à laquelle l'ingénierie publique a beaucoup contribué. Tous les maillons de la chaîne sont aujourd'hui présents au niveau français. Néanmoins, le vecteur économique de cette filière est très faible car elle n'est constituée que de PME, voire des TPE. Elles sont aujourd'hui réunies au sein de la Fédération interprofessionnelle des métiers environnementaux et atmosphériques, et la qualité de l'air est une opportunité économique majeure dans les initiatives françaises à l'export. Ainsi Vivapolis regroupe des acteurs aussi bien privés que publics et de toute taille autour de la qualité de l'air dans les villes pour permettre une offre française compétitive à l'export sur la question, en proposant des villes qui respirent. Il faudra beaucoup communiquer aussi sur cette réalité industrielle, ce qui suppose de rassembler les parties prenantes, citoyens, entrepreneurs, académiques, pouvoirs publics, et créer des lieux de discussion. Cette année, un événement : « Les Respirations », qui aura lieu une semaine avant la COP 21 (qui ne se préoccupera que de climat), permettra de mettre un coup de projecteur sur la qualité de l'air. Au-delà du coût, je voulais donc insister sur l'énorme opportunité que représente la qualité de l'air, d'autant que la filière de la qualité de l'air est en lien avec d'autres filières stratégiques : ainsi la révolution numérique, avec les objets connectés qui permettent de rassembler une grande quantité de données, qu'il faut savoir utiliser. Aujourd'hui nous essayons de faire ces passerelles pour utiliser la révolution numérique à des fins de bien public. Il faut donner une vision de la ville et de la société : la France peut la donner, avec comme fil conducteur, la qualité de l'air. Aujourd'hui, la France dispose de tous les atouts pour cela. « L'air de rien, l'air, c'est tout. » Bien respirer est le premier pas du vivre ensemble. La compétitivité des territoires passera par la qualité de l'air.
M. Frédéric Gonand. - Chaque jour, on consomme en moyenne 1,5 kg de nourriture, 2 litres de boisson, mais on filtre 15 000 litres (soit 12 kg) d'air.
M. Thomas Kerting. - Essentielle est aussi la formation de toutes les classes d'âge, aussi bien des professionnels territoriaux, aménageurs urbains, responsables de chantiers de rénovation, que les équipes pédagogiques car les classes d'âge mettent 20 ans à être formées sur les sujets environnementaux.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je suis parfaitement en accord avec votre exposé. La perspective de cette commission est de partir du constat de l'aberration sanitaire et économique de la pollution de l'air pour trouver les opportunités économiques que cette situation recèle. Nous allons donc orienter nos dernières auditions vers des projets. En auriez-vous des exemples ?
M. Thomas Kerting. - Tout d'abord, des sociétés qui mesurent les polluants. Ainsi à Paris, la société Aria Technologies a lancé à l'été 2013 en version beta Aircity, un logiciel qui permet de représenter l'air de Paris en 3D avec les polluants qu'il contient. On peut très facilement imaginer qu'il devienne un filtre de lunettes connectées, ce qui permet de choisir sur le moment le meilleur chemin. L'expertise est également essentielle, pour aider l'accompagnement stratégique des grands groupes : la société la plus connue dans ce domaine est AirSur. De nombreuses solutions technologiques sont également en cours de développement. Le potentiel de la France est dans ce domaine exceptionnel. Enfin, en ce qui concerne la formation, la FIMEA vient de lancer une formation Qualité de l'air à destination des cadres territoriaux ; cette formation va être expérimentée dans le Val-de-Marne. Je pourrais donner encore bien d'autres exemples concrets.
M. Jean-François Husson, président. - Vous évoquez la richesse de la France en PME de pointe sur la qualité de l'air. Qu'est-ce qui manque pour passer de la PME au grand groupe ? Quelle est la taille du marché qui vous paraît s'ouvrir dans ce domaine ?
M. Thomas Kerting. - L'idée serait plutôt de passer de la petite taille à la taille moyenne, en multipliant les ETI dans la qualité de l'air. 80 % de l'écosystème d'innovations sur la qualité de l'air sont composés de sociétés de moins de 10 personnes : il faudrait accéder à une taille intermédiaire. Nous avons plusieurs raisons d'être confiants ; L'Etat et les pouvoirs publics peuvent accélérer le processus en soutenant les entreprises, notamment à l'export, comme le font les Etats-Unis ou l'Allemagne. Il faut également que les grilles de financement des projets intègrent la qualité de l'air, ce qui n'est pas encore suffisamment le cas.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. -Comment expliquez-vous ce manque de prise en compte ?
M. Thomas Kerting. - Par le fait que les référentiels d'appréciation normés n'existent pas encore. L'Etat peut par ailleurs aider grâce à une nouvelle gouvernance : en effet l'ingénierie publique, en pointe sur la qualité de l'air, vient aujourd'hui sur des marchés privés pour se financer, faute de budget. L'Etat doit considérer que la qualité de l'air est une fonction régalienne et financer les opérateurs qui s'en occupent. Enfin, on peut créer une synergie avec d'autres filières innovantes, notamment les objets connectés.
M. Jean-François Husson, président. - Vous avez évoqué l'attente d'un soutien des pouvoirs publics. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que dans un premier temps l'accompagnement représenterait un coût, mais qu'en permettant de structurer une filière il deviendrait par cela même dans un second temps producteur de richesses et de recettes ?
M. Frédéric Gonand. - Vous avez raison. La réponse est oui tant pour les pouvoirs publics que pour les agents privés. Quand les pouvoirs publics dépensent pour réduire la pollution de l'air, l'investissement est extrêmement rentable car les effets en termes de bien-être de la population sont massifs. En ce qui concerne les agents privés, je vous rappelle les 3 à 8% de productivité supplémentaires évoqués tout à l'heure : il y a pour eux une vraie logique à investir dans l'amélioration de la qualité de l'air. L'intérêt est ici vraiment général. Le modèle économique est favorable et stable aussi bien pour le public et le privé.
M. Thomas Kerting. - Le retour sur investissement peut être à la fois très rapide, peu coûteux à court terme, et très rentable sur le long terme. Aujourd'hui, avec un fonds dédié sur la qualité de l'air, avec très peu de moyens, on peut obtenir des succès majeurs. La qualité de l'air est en retard par rapport à celle de l'eau, alors que les potentialités sont énormes. La transition écologique passera par la qualité de l'air dont elle est un des moteurs.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous avez souligné la qualité de l'expertise française concernant la qualité de l'air. Quels sont selon vous nos principaux concurrents ? Ya-t-il un risque de prendre du retard à l'international ?
M. Thomas Kerting. - La France a pris du retard car le financement n'a pas suivi l'innovation et est aujourd'hui talonnée par la Corée, l'Allemagne, les Etats-Unis, qui maîtrisent les offres urbaines globales. C'est maintenant qu'il faut investir.
M. Jean-François Husson, président. - Nous vous remercions.
La réunion est levée à 19 h 45.
Jeudi 21 mai 2015
- Présidence de M. Jean-François Husson, président -Audition de M. Antoine Henrion, président de la chambre d'agriculture de la Moselle et responsable du dossier « qualité de l'air » à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca), de M. Michel Gagey, médecin national adjoint à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), de MM. Éric Thirouin, président et Thierry Coué, vice-président de la commission environnement de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et de MM. Jean-François Soussana, directeur scientifique chargé de l'environnement et Antoine Momot, chef de cabinet du président de l'institut national de la recherche agronomique (Inra)
Au cours d'une première réunion tenue le matin, La commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.
M. Jean-François Husson, président. - Mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'impact économique et financier de la pollution de l'air.
Nous commençons par une table ronde réunissant plusieurs acteurs du monde agricole : M. Antoine Henrion, président de la chambre d'agriculture de la Moselle et responsable du dossier « qualité de l'air » à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca), M. Michel Gagey, médecin national adjoint à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), MM. Éric Thirouin, président et Thierry Coué, vice-président de la commission environnement de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et MM. Jean-François Soussana, directeur scientifique chargé de l'environnement et Antoine Momot, chef de cabinet du président de l'institut national de la recherche agronomique (Inra).
Le monde agricole est parfois pointé du doigt en matière de pollution de l'air, mais il en est aussi victime que ce soit pour les rendements ou, de manière particulièrement dramatique, pour la santé des agriculteurs.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, de demander aux personnes auditionnées de prêter serment. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Les six intervenants prêtent serment
M. Jean-François Husson, président. - Messieurs, à la suite de vos exposés introductifs, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Vous avez la parole.
M. Antoine Henrion. - L'agriculture est certainement contributrice mais elle est également impactée par la pollution de l'air. Le secteur agricole est un secteur de production -il s'agit de sa première vocation- qui travaille sur des matières vivantes. L'agriculture évolue déjà dans un contexte réglementaire important. Plusieurs directives européennes influencent la pratique de l'agriculture et son effet sur la pollution de l'air. Il existe notamment des réglementations visant les installations agricoles, les bâtiments, les élevages, ou les pratiques agricoles. La directive « nitrates » en est un exemple emblématique. Mais ces réglementations existantes s'empilent et quelque fois se contredisent. Par exemple, vouloir encourager des pratiques alternatives à l'utilisation des pesticides par le travail du sol génère d'autres problèmes pour la qualité de l'air. Il est nécessaire que le législateur agisse donc en cohérence.
Le « fil rouge » de l'agriculture est celui de l'amélioration constante des pratiques agricoles dans un contexte d'équilibre économique qui conjugue la préservation des milieux (sol, eau ou air) et un niveau de production suffisant. La France est un pays de production et d'exportation agricole, qui doit avoir un niveau de résultat économique permettant de garantir un certain niveau de revenu pour l'exploitant et sa famille - le modèle de l'agriculture française, ce sont avant tout des exploitations familiales - ainsi qu'une capacité à réinvestir pour conforter et moderniser les exploitations, les équipements et pour répondre aux enjeux qui se présentent à l'agriculture, en particulier celui de la qualité de l'air.
Même si la qualité de l'air peut apparaitre comme un sujet nouveau, les actions menées par le secteur agricole depuis plusieurs années ont eu un impact sur cette problématique. Nous avons un devoir d'investir davantage dans la compréhension des facteurs de pollution et dans la mesure des émissions de polluants par le secteur agricole. Nous avons également besoin de mener des actions permettant d'établir des références et de conduire des « opérations pilotes » afin d'accompagner la transformation des pratiques agricoles par l'instauration de nouvelles techniques. Cela nécessite d'avoir un ensemble de moyens et d'investir notamment dans la formation des agriculteurs.
Nous sommes attachés à préserver un engagement volontaire de la part des agriculteurs. Rien n'est plus dissuasif pour eux que de se voir imposer des mesures réglementaires arbitraires qui ne tiennent pas compte de la diversité des contextes locaux. Les carcans qui pèsent sur le monde agricole sont suffisamment nombreux et rendent les missions d'accompagnement et de formation réalisées par les chambres d'agriculture difficiles.
M. Michel Gagey. - Vous m'avez présenté comme médecin national adjoint à la Mutualité sociale agricole (MSA) ; j'aimerais préciser que je suis essentiellement spécialisé sur l'aspect santé et sécurité au travail.
Il est très difficile pour la MSA d'avoir une vision claire des pathologies liées à la pollution de l'air. En effet, il existe un certain nombre d'éléments qui peuvent compliquer la mesure de l'impact sanitaire de la pollution de l'air : doit-on tenir compte des aspects aigus ou chroniques des pathologies ? Des pathologies d'organe ou systémiques ? De l'aggravation de pathologies existantes du fait de la pollution ? L'absence d'un référentiel commun et partagé sur les pathologies liées à la pollution de l'air pose donc un premier problème.
Par ailleurs, la MSA, comme les autres régimes de protection sociale, a des difficultés à analyser la part des dépenses de santé, liée à des facteurs environnementaux. La MSA a pour vocation première de percevoir des cotisations et d'assurer une redistribution sous forme de prestations. Les analyses qu'elle peut conduire sont des analyses internes portant sur la répartition des prestations ainsi que sur ses adhérents mais celles-ci n'ont pas la capacité de faire un lien entre les dépenses de santé et des facteurs environnementaux comme la pollution. Il est difficile pour nous de produire des analyses permettant de mettre en évidence des évolutions de la répartition de la dépense en fonction de tel ou tel facteur environnemental. Pour cela, il serait nécessaire, soit de mettre en place des outils complexes permettant de mesurer le lien entre, par exemple, les pics de pollution et les dépenses de santé, soit de conduire des études prospectives, de cohorte, comme peuvent le faire les agences sanitaires.
En outre, il existe une difficulté supplémentaire liée au fait que le suivi médical des travailleurs agricoles est très différent selon qu'il s'agisse de travailleurs salariés ou non-salariés. Nous connaissons essentiellement les populations salariées puisqu'un dispositif de suivi médical a été mis en place dès 1966. En revanche, pour les exploitants agricoles, nous n'avons qu'une vision très partielle de la sinistralité et de leur état de santé.
Ceci dit, la MSA, à travers ses propres actions ou dans le cadre de partenariats, s'intéresse à l'environnement professionnel de l'ensemble des travailleurs agricoles. Nous menons un certain nombre d'études portant sur l'environnement professionnel des travailleurs -certaines de ces études ont d'ailleurs mis en évidence la pollution des locaux professionnels par un certain nombre de particules, de gaz ou de vapeurs- ainsi que des études prospectives permettant de mesurer la prévalence augmentée de certaines pathologies liées à la pollution environnementale, et notamment la pollution de l'air, comme les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO) ou les cancers pulmonaires. Ces derniers ont notamment été mis en évidence par l'enquête Agrican sur la santé en milieu agricole. Ces différentes études montrent qu'il existe des mesures d'adaptation et de prévention à développer dans le milieu professionnel agricole. D'autant plus que certaines pollutions sont étroitement liées à l'activité : il est difficile d'élever des animaux ou de faire des productions végétales sans générer un certain nombre de poussières ou d'émanations de gaz et de vapeurs, ou sans utiliser de produits chimiques qui polluent l'environnement professionnel. La MSA s'attache à développer une stratégie de prévention des risques professionnels pour limiter, le plus possible et de la façon la plus efficace possible, les effets adverses de ces pollutions.
M. Éric Thirouin. - Étant dans la grande culture, je vais partager mon intervention avec Thierry Coué qui est éleveur afin de répondre au mieux à vos questions. Je souhaite rappeler, comme cela a déjà été dit, que l'agriculture est émettrice de polluants atmosphériques mais qu'elle est également impactée par cette pollution. Il s'agit aussi d'un secteur dépolluant, ce que l'on oublie souvent : l'agriculture et la sylviculture sont les seules activités capables de transformer le dioxyde de carbone en oxygène grâce à la photosynthèse. Ces trois aspects sont donc à prendre en compte.
S'agissant de l'impact de la pollution de l'air sur la santé des agriculteurs, nous sommes conscients depuis longtemps, à la FNSEA, de la nécessité pour les agriculteurs de se protéger, en particulier des inhalations des produits chimiques ou d'autres produits grâce, par exemple, à des équipements de protection individuelle (EPI). Nous diffusons à cette fin un certain nombre de documents d'information.
Concernant l'impact de la pollution de l'air sur les cultures, il existe peu d'études sur le sujet. Les études existantes montrent que l'ozone conduirait à une baisse de rendement des cultures de blé, ce qui coûterait 850 millions d'euros par an. Elles mettent également en avant des effets sur un certain nombre de cultures sensibles à l'ozone comme les cultures de tomates ou de basilic. C'est un sujet qui nous préoccupe. Je souhaiterais que l'on puisse conduire des études plus poussées qu'elles ne le sont aujourd'hui afin de mesurer ces impacts sur la santé des plantes et sur l'économie agricole.
Nous aimerions également que des recherches plus poussées soient menées sur les différentes sources de pollution de l'air, étant donné qu'un certain nombre d'activités, dont l'agriculture, sont pointées du doigt, ainsi que sur l'impact des émissions d'ammoniac, qui concourent à la formation de particules secondaires comme les PM2,5 qui ont des impacts négatifs sur la santé humaine. Je viens d'un département proche de la région parisienne dans lequel il y a deux capteurs en zone urbaine mais un seul en campagne. Il faut chercher à comprendre davantage d'où viennent les émissions afin de pouvoir s'y attaquer de façon efficace. En cas de pic de pollution, des arrêtés sont pris afin d'arrêter le travail du sol. Or, lorsqu'un tel pic se produit, c'est parce qu'il n'y a pas de vent et que les particules urbaines et l'ammoniac se cumulent. Donc en l'absence de vent, les activités qui se font autour ne viennent pas aggraver l'existant.
Les particules inférieures à 2,5 microgrammes (ìg) ont un effet important sur la santé. D'après les études que j'ai pu lire, la part du monde agricole dans les émissions de ces PM2,5 est évaluée à hauteur de 10 %, dont 2 % dus à l'élevage, 1,4 % aux travaux des champs et 6,6 % aux engins agricoles et sylvicoles. S'agissant de ces engins, nous travaillons beaucoup à améliorer les moteurs.
M. Thierry Coué. - Nous avons, en élevage, une approche systémique de la question de l'air puisque nous nous intéressons aussi à l'air, comme vecteur de transport de maladies, ou aux particules pouvant avoir un effet sur les capacités pulmonaires des animaux. Toute pollution de l'air impacte aussi l'élevage puisque les animaux y sont également sensibles.
L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) conduit des recherches particulières sur la protection des élevages ainsi que sur la qualité de l'air dans les bâtiments et notamment sur les modes de ventilation et d'évacuation de l'air. Nous avons également travaillé sur les odeurs dues aux rejets de l'élevage et donc sur les particules émises dans l'air à cette occasion, ainsi que sur les matériels d'épandage, sur les enfouisseurs, ou encore sur les modes d'épandage permettant d'apporter les effluents au plus proche de la plante et de ses besoins. Aujourd'hui l'électronique permet d'avoir une meilleure maitrise de la circulation de l'air dans les bâtiments et, en matière d'épandage, d'apporter la dose au bon endroit et au bon moment. Nous avons réalisé des investissements sur les dispositifs de centralisation de l'air dans nos bâtiments permettant de rejeter beaucoup moins de polluants dans l'atmosphère. Nous investissons également dans la couverture des fosses et des fumières, ce qui permet de limiter les dégagements.
Par ailleurs, nous travaillons sur l'alimentation des animaux afin qu'ils consomment un régime le plus équilibré possible pour que les rejets et les émanations soient les moindres possible.
L'élevage est soumis à une directive européenne sur les installations classées au document européen « Bref » actuellement en discussion qui liste l'ensemble des meilleures techniques disponibles permettant de réduire l'impact environnemental des élevages et qui contient un volet « air ».
En agriculture, nous travaillons sur l'économie circulaire en essayant de valoriser tous les intrants et les sortants. Nous considérons ainsi les effluents comme des engrais et non comme des déchets. Nous avons également fait beaucoup d'effort sur la filière « bois ». Autrefois, nous avions tendance à bruler le bois issus du taillage de haies car nous n'arrivions pas à le valoriser. Aujourd'hui, des filières permettent de valoriser ce bois, notamment en le broyant pour alimenter des chaudières.
M. Éric Thirouin. - Nous vous avons présenté la prise de conscience environnementale qui existe dans le monde agricole et qui a conduit à la mise en place de certains investissements coûteux. Nous nous projetons également dans l'avenir. Par exemple, nous travaillons depuis plusieurs mois sur l'opération « nitrates autrement ». Il existe un certain nombre de directives sur cette question qui s'additionnent pour former une avalanche de réglementations. C'est pourquoi nous conduisons un travail d'expérimentation avec des instituts techniques, des centres de recherche et des chambres d'agriculture, afin d'aborder cette problématique autrement en prenant en compte, non seulement son impact sur l'eau, mais également sur l'air et sur la biodiversité.
Concernant les produits phytosanitaires, il nous semble important de faire en sorte qu'il n'y ait plus de contact entre les agriculteurs et ces produits. À cet égard, nous encourageons les entreprises à standardiser les bidons de produits phytosanitaires de façon à ce que puissent être fixées, sur les bouchons, des sortes de seringues afin qu'il n'y ait plus de transvasement des bidons dans les pulvérisateurs, qui sont une occasion d'émanations pouvant être dangereuses.
M. Jean-François Soussana. - Je voudrais tout d'abord indiquer le périmètre de notre propos : nous parlerons principalement de l'ozone, des particules, de l'ammoniac et des oxydes d'azote, soit différents composés qui sont réglementés en termes de surveillance et de plafonds d'émission. Nous parlerons moins de la volatilisation des produits phytosanitaires après épandage bien que nous travaillions également sur ce sujet -nous avons d'ailleurs observé que cette volatilisation est importante et peut atteindre 30 à 40 % des substances actives- car ils ne font habituellement pas partie de la pollution de l'air au sens réglementaire. Nous sommes également attachés, dans le cadre du plan Ecophyto, à toutes les mesures permettant de réduire l'emploi de ces substances et donc de limiter les phénomènes de pollution de l'air par ces composés.
Les composés impliqués dans la pollution de l'air et l'agriculture entretiennent des relations ambivalentes. L'agriculture est impactée par un certain nombre de ces polluants dont l'ozone. Une étude récente met en évidence des dommages annuels pour les cultures de blé atteignant 500 millions d'euros du fait de l'ozone. D'autres études nous renseignent sur les liens entre la pollution de l'air et le changement climatique. Les cultures sont parfois sensibles à d'autres contaminants, à proximité des villes ou des infrastructures de transport, comme les métaux lourds.
S'agissant des émissions issues de l'agriculture, la France est le premier pays européen pour ce qui est des émissions d'ammoniac. Selon les chiffres du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), en 2014, l'agriculture a contribué à ces émissions à hauteur de 97 %, du fait principalement de l'élevage. L'ammoniac est connu pour intervenir dans la formation de particules secondaires. Toujours selon le Citepa, l'agriculture contribuerait à hauteur de 9 % à 10 % à l'émission des particules de 2,5 ìg, bien que cette contribution soit plus élevée quand on prend en compte l'ensemble de la pollution particulaire. Si nous connaissons assez bien les mécanismes d'émission et de dépôt de l'ammoniac, ceux qui conduisent à l'émission de particules, et notamment des PM2,5, sont moins connus.
Nous avons contribué à des études menées au niveau européen sur les impacts de la pollution de l'air. Concernant l'azote, ces études ont montré que les dommages économiques seraient plus importants par les aspects pollution de l'air que pollution de l'eau.
Nous menons également des études sur l'ammoniac ou les composés organiques volatiles pouvant être émis par les végétaux. Plusieurs expérimentations, observations de longue durée et modélisations, sont menée dans les deux sites de Grignon et de Lusignan afin de mieux comprendre et mesurer ces émissions mais aussi les dépôts, c'est à dire la capacité des agrosystèmes à retenir un certain nombre de ces polluants atmosphériques.
Concernant la recherche de pratiques permettant de réduire ces émissions, nous menons des études sur la réduction des intrants et sur différentes formes de fertilisation, avec des tests d'inhibiteurs de nitrification. Nous avons contribué à une étude qui a permis d'identifier dix mesures pour réduire les émissions d'ammoniac. Il existe également des travaux sur la génétique des animaux d'élevage et les systèmes de nutrition permettant d'augmenter substantiellement l'efficience de l'utilisation de l'azote lors de la nutrition des animaux.
Les moyens mobilisés par l'Inra sur les aspects pollution de l'air correspondent à un montant d'environ 2,5 millions d'euros, avec 34 personnes permanentes, dont 17 chercheurs, dédiés à cette problématique. Depuis 1994, nous avons recruté ou reconverti huit chercheurs et il y a eu au moins six bourses de thèse dans ce domaine. Nous avons 435 000 euros par an de contrats dans ce domaine dont 40 % de financements européens, 20 % de financements de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et 15 % de l'Agence nationale de la recherche.
Nous avons également une contribution au développement d'analyseurs de polluants, de capteurs rapides pour l'ozone, d'analyseurs d'ammoniac, ainsi que d'outils avancés de recherche en matière de chromatographie ou de spectrométrie de masse. L'activité de l'Inra se traduit par une publication d'environ vingt articles scientifiques par an, ce qui représente environ un quart de la production française (en dix ans, 850 articles scientifiques ont été publiés en moyenne dont 200 par l'Inra). Nous contribuons à des expertises et notamment à l'évaluation de l'azote en Europe qui a permis un chiffrage économique des dommages associés à ce polluant, à des travaux sur l'ammoniac, les particules ou les pesticides. Nous avons également réalisé, à la demande des ministères, une expertise scientifique sur l'azote et l'élevage afin d'appréhender plus globalement les mesures qui pourraient être prises pour agir en la matière.
Nous collaborons avec un ensemble d'instituts, en particulier avec le Citepa, avec l'Anses, et nous participons à des groupes de travail nationaux et internationaux comme l'Unece, dans le cadre de la Convention de Genève sur le transport transfrontière de polluants atmosphériques.
Concernant la prise en compte, par les entreprises privées, de la question de la pollution de l'air dans l'élaboration et la commercialisation de leurs produits, je rappelle qu'il existe peu de réglementations en matière de pollution de l'air, hormis les plafonds d'émission nationaux qui ne sont pas ciblés sur une activité en particulier, même si l'agriculture est directement concernée. Les entreprises qui produisent des engrais ou qui les approvisionnent soutiennent les recherches sur la volatilisation de l'ammoniac et des pesticides.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vais poser des questions dans l'ordre des présentations. Concernant tout d'abord les chambres d'agriculture, je souhaiterais savoir si vous considérez que l'action des producteurs de produits chimiques ou de semences prend suffisamment en compte la question de la pollution de l'air ?
M. Antoine Henrion. - Il ne m'appartient pas de juger s'ils font trop ou pas assez. Ce qui m'importe est de veiller à ce que les solutions proposées par les fabricants de produits chimiques ou de semences soient acceptables tant techniquement qu'économiquement par les agriculteurs. Les produits mis à disposition des exploitations agricoles sont soumis à une réglementation. Faut-il faire plus ou moins ? On observe une évolution technique qui permet davantage de qualité. Les nouvelles générations de pesticides ont une « qualité », a priori, meilleure que les anciennes, si je peux utiliser ce terme.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels pesticides seraient meilleurs selon vous ?
M. Antoine Henrion. - Par rapport aux matières actives, on voit une tendance à avoir des origines naturelles plutôt que chimiques. Concernant les engrais, on voit arriver de nouvelles générations d'engrais avec des retardateurs, des formules qui permettent de réduire leur impact sur l'air - mais cela est fortement lié à la qualité des agroéquipements employés. Eric Thirouin a mentionné les nouveaux dispositifs qui permettent aux agriculteurs de ne plus être en contact des produits lors de leur manipulation. Tous ces nouveaux équipements nécessitent des investissements. Les chambres d'agriculture ont un rôle d'expertise économique, de conseil et de formation auprès des agriculteurs. Nous avons formé près de la moitié des agriculteurs dans le cadre du programme « Certiphyto » qui comprend un panel dédié à la sécurité lors de la manipulation de produits. Nous accompagnons les agriculteurs dans le suivi de la performance économique de leur exploitation. Ces actions de conseil et d'accompagnement au quotidien intègrent la question des nouvelles techniques et des nouveaux produits disponibles.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Selon l'Ademe et le Citepa, l'agriculture était responsable, en 2010, de 48 % des émissions de particules totales. Vous avez mentionné l'expertise économique que vous prodiguez à vos membres, avez-vous évalué le coût économique et financier de cette part de pollution dans l'air ?
M. Antoine Henrion. - Face à ce problème nouveau, nous n'avons pas assez de recul...
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ce n'est pas un problème nouveau ! Que vous ne l'ayez pas intégré dans vos analyses ou dans votre agenda c'est possible, mais on ne peut pas dire que le sujet de la pollution de l'air est un problème nouveau !
M. Antoine Henrion. - Non, mais c'est une problématique qui fait l'objet d'évaluations nouvelles et nous avons pour l'instant peu de recul sur les données relatives au coût de la pollution de l'air et à son impact sur les productions. Il est donc nécessaire de conduire un travail de fond afin de mesurer ce coût.
Par contre, nous intégrons les conséquences de la réglementation dans nos pratiques agricoles.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Mais vous n'intégrez pas le coût que représentent les émissions de polluants par l'agriculture ?
M. Antoine Henrion. - Si, nous l'intégrons.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Dans ce cas quel est ce coût ?
M. Antoine Henrion. - Je ne dispose pas des chiffres précis.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Alors comment pouvez-vous dire que vous l'intégrez ?
M. Antoine Henrion. - Nous l'intégrons lorsque nous nous conformons aux réglementations, comme par exemple la directive « nitrates », lorsque nous développons une approche agronomique visant à favoriser les rotations de cultures ou lorsque nous encourageons la plantation de légumineuses, des plantes fixatrices d'azote, sur les exploitations, afin de réduire l'utilisation d'engrais azotés. Toutes ces démarches intègrent la question de la pollution de l'air. En revanche, nous ne disposons pas d'un indicateur économique nous permettant de mesurer la pollution effectivement réduite.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ma question était simple, il n'y avait pas de piège. Si vous ne connaissez pas le coût associé à la pollution de l'air, nous l'acterons. Vous prenez simplement en compte ce qui fait l'objet d'une réglementation, ce qui implique que vous n'intégrez que partiellement la pollution existante puisque nous savons, à l'issue des auditions que nous avons menées, que la règlementation ne porte que sur un faible nombre de polluants. Par exemple, dans son étude, l'Anses n'a retenu que six polluants pour évaluer l'impact sanitaire de la pollution de l'air intérieur.
M. Antoine Henrion. - La question que nous nous posons au regard des différentes études menées sur les polluants atmosphériques et des partenariats que les chambres d'agriculture développent avec le réseau Atmo France, c'est de savoir quelle est la part de l'agriculture dans l'émission des polluants par rapports à d'autres secteurs d'activité, et d'où viennent précisément ces émissions.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je peux répondre à cette question. Il ressort des différentes auditions que nous avons menées que la pollution atmosphérique est issue pour un tiers des transports, pour un tiers du chauffage résidentiel et pour le tiers restant des pratiques agricoles. Dans l'Avesnois, une région très agricole, les derniers pics de pollution ont été beaucoup plus importants qu'à Paris. On voit bien que dans certains territoires, la pollution atmosphérique est davantage imputable à l'agriculture qu'à d'autres secteurs.
M. Jean-François Husson, président. - Ceci vaut pour les pollutions atmosphériques de printemps. Lors des pollutions estivales, les mélanges de polluants ne sont pas les mêmes.
Je souhaiterais savoir quel lien vous avez avec le réseau Atmo France et les Associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA), en particulier au niveau des chambres d'agriculture. J'en profite d'ailleurs, puisque vous avez produit en 2012, dans le cadre du plan particule, un document de grande qualité intitulé « Émissions agricoles de particules dans l'air. État des lieux et leviers d'action », pour vous demander si vous avez réalisé une actualisation de ces travaux ? De quelle manière appréhendez-vous l'impact de la pollution de l'air sur la santé des agriculteurs et sur celle de leurs personnels ? Souscrivez-vous au principe pollueur-payeur ? Les nouvelles pratiques ou techniques agricoles permettent-elles de réduire la pollution de l'air sans porter atteinte à la rentabilité des exploitations agricoles. De manière générale, comment réduire la pollution de l'air sans nuire à la rentabilité ?
M. Antoine Henrion. - Nous avons des partenariats étroits avec le réseau Atmo France et les AASQA. Ce qui nous importe, c'est le recueil de données fiables, dans la durée. Il me semble qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire, bien que je reconnaisse la fiabilité scientifique des mesures visant à identifier les sources de pollution.
Concernant les nouvelles technologies, les chambres d'agriculture sont présentes pour accompagner les agriculteurs dans leurs choix. L'agriculture de précision contribue à réduire la consommation des intrants et par conséquent les niveaux de pollution. Ainsi, les technologies informatiques embarquées permettent aux agriculteurs de rendre leurs pratiques plus efficientes, mais la question se pose de la capacité des agriculteurs à investir dans ces nouvelles technologies qui représentent des enjeux financiers importants.
S'agissant du principe pollueur-payeur, j'aimerais faire un aparté pour souligner que lorsque l'on construit une infrastructure routière, on consomme souvent du foncier agricole et, de surcroît, la pollution automobile générée sur ces voies de transport a un impact sur la production agricole. Au-delà du principe pollueur-payeur et plutôt que de taxer, ce qui est le plus important, c'est d'avoir des dispositifs permettant aux agriculteurs de diminuer leurs émissions de polluants. En cas de taxe, il faut au moins que le produit serve intégralement à améliorer les pratiques agricoles et à investir dans les technologies permettant une diminution de la pollution de l'air.
M. Jean-François Husson, président. - Cela va dans le sens de notre démarche qui consiste, au-delà de la mesure du coût économique et financier de la pollution de l'air, à identifier les solutions pouvant être mises en oeuvre afin de réduire cette pollution.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'aurais une question pour les représentants de la Mutualité sociale agricole : avez-vous pu analyser les dépenses de santé liées aux pathologies imputables à la pollution de l'air ?
M. Michel Gagey. - Ceci est difficile, car si nos bases de données gèrent un certain nombre d'informations relatives aux prestations remboursées et à nos adhérents, nous n'avons, en revanche, pas la possibilité de croiser ces informations avec les pathologies que l'on peut inférer à la pollution de l'air. Par exemple, s'agissant de la consommation de médicaments liée à des pathologies pulmonaires, nous pouvons mesurer les évolutions de cette consommation mais nous sommes dans l'incapacité d'établir un lien avec des événements de pollution externe, comme la pollution atmosphérique, ou interne, comme la consommation de tabac. Ceci nécessite de conduire des travaux spécifiques dans lesquels la MSA ne s'est pas encore engagée. Une idée pourrait être de réaliser des études prospectives, de cohorte, à l'instar d'une étude qui doit démarrer à l'automne prochain afin de croiser les données relatives à l'exposition professionnelle des travailleurs agricoles devenus inactifs avec des données de consommation de soins.
M. Jean-François Husson, président. - Il est dommage que les organismes de Sécurité sociale soient des « payeurs aveugles ». En tant que responsable du volet « sécurité et santé au travail », j'imagine pourtant que vous devez être mesure d'établir un lien entre les prestations versées et les maladies traitées et leurs causes, en particulier s'agissant des maladies liées à l'activité professionnelle. Un certain nombre d'affections liées à l'exercice de la profession agricole sont reconnues comme maladies professionnelles. Quelle évolution voyez-vous s'agissant de la sinistralité et de la prévalence de ces maladies dans le milieu agricole, dont une part est liée à la qualité de l'air ?
M. Michel Gagey. - Nous suivons deux indicateurs relatifs aux expositions professionnelles : les effets aigus de ces expositions en termes d'accidents du travail et les expositions chroniques responsables du développement de maladies professionnelles. Il existe à ce jour, au sein du régime agricole, 58 tableaux de maladies professionnelles parmi lesquelles seul un petit nombre peut être lié à des expositions à des polluants atmosphériques. Ces tableaux sont de mauvais indicateurs de la sinistralité car nous savons, d'une part, qu'ils ne recouvrent pas l'ensemble des pathologies liées au travail, et, d'autre part, qu'il existe une forte sous-déclaration des maladies professionnelles. Lorsque l'on conduit des études permettant de comparer les pathologies effectivement déclarées comme maladies professionnelles auprès des organismes de protection sociale et celles qui, d'après l'avis du médecin du travail, pourraient être prises en charge par ce dispositif, on constate des écarts pouvant varier, selon les pathologies, de un à dix.
Lorsque l'on regarde l'évolution de la sinistralité liée aux maladies professionnelles, les chiffres sont brouillés du fait de l'émergence, depuis 20 à 25 ans, des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui viennent masquer les autres maladies professionnelles. Ainsi, les TMS représentent 92 % de l'ensemble des maladies professionnelles au sein du régime agricole.
Indépendamment du fait que ce n'est pas la mission première d'un organisme de protection sociale de rechercher le lien entre les pathologies et les événements environnementaux, nous rencontrons donc des difficultés pour avoir des indicateurs pertinents permettant de mettre en évidence ce lien.
M. Jean-François Husson, président. - Je peux comprendre la fin de votre propos mais sous une réserve. Si l'on peut comprendre que la MSA ne conduise pas, seule, de tels travaux, il pourrait, en revanche, être utile de conduire une étude sur l'ensemble des régimes de protection sociale en incluant les régimes complémentaires d'assurance maladie.
M. Michel Gagey. - Nous sommes d'accord, c'est une démarche inter-régime qui permettrait de faire progresser les connaissances.
M. Jean-François Husson, président. - Lors de nos auditions, un intervenant nous a fait part d'une étude laissant entendre que les agriculteurs sont en meilleure santé que le reste de la population. Est-ce que cela vous paraît correspondre à la réalité ? Les professions indépendantes et les agriculteurs paraissent statistiquement moins consommateurs de dépenses de santé que les salariés, mais est-ce à dire qu'ils sont en meilleure santé ?
M. Michel Gagey. - Je pense que vous faites référence à l'enquête Agrican, à laquelle participe la MSA. Depuis l'exploitation des premières données en 2007, cette étude n'a jamais fait que confirmer des données internationales qui montrent que les populations agricoles connaissent une sous-mortalité par rapport à la population générale. Ceci s'explique en particulier par des différences comportementales avec, par exemple, une consommation de tabac qui est moins importante au sein des populations agricoles ou des régimes alimentaires différents. En revanche, on observe des phénomènes de surmortalité, liés à certaines localisations cancéreuses, notamment concernant les cancers cutanés ou les hémopathies malignes, ainsi que des localisations de cancers peu fréquents, comme le cancer du cerveau, qui nécessitent un certain nombre de travaux pour confirmer le lien avec l'exposition aux pesticides. En 2015, la deuxième partie de l'étude Agrican est parue ; elle confirme l'ensemble de ces données et, en termes d'incidence de cancers, ne montre que deux faits statistiquement significatifs : une augmentation des mélanomes cutanés, liés notamment à l'exposition solaire, et des hémopathies malignes. Au sein de la commission supérieure des maladies professionnelles, un nouveau tableau est en cours de finalisation qui intégrera ces données sur les hémopathies et sur l'exposition aux pesticides.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Connaissez-vous le nombre de procédures que des agriculteurs ont mené devant les tribunaux à votre encontre afin d'obtenir un dédommagement du fait de leur exposition à des pesticides, ainsi que le coût qu'elles représentent ?
M. Michel Gagey. - Dans le cadre de procédures de reconnaissance de pathologies comme maladies professionnelles, il existe des contentieux qui portent sur les décisions médico-administratives de reconnaissance. Il existe un certain nombre de contentieux mais nous ne sommes pas en capacité d'évaluer leur nombre.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Au moment où nous parlons, savez-vous combien de fois les MSA ont été condamnées suite à de tels contentieux ?
M. Michel Gagey. - Je ne suis pas sûr que l'on puisse parler de condamnation. Il s'agit de reconnaissances qui n'ont pas été accordées par les commissions régionales de reconnaissance des maladies professionnelles. Lorsque le plaignant obtient satisfaction, cela n'aboutit pas à une condamnation mais à la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Savez-vous s'il y a des procédures pendantes devant les tribunaux des affaires sanitaires et sociales (Tass) et si oui combien ? Connaissez-vous le nombre de personnes qui ont obtenu reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie ?
M. Michel Gagey. - Je ne peux pas vous dire le nombre de recours pendants devant les Tass mais c'est une information que nous pouvons rechercher et vous communiquer.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - C'est donc une donnée que vos organismes n'intègrent pas, alors même qu'il peut y avoir un coût en cas de condamnation par les tribunaux ?
M. Michel Gagey. - Je n'arrive pas à percevoir le sens de votre question.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Lorsqu'une procédure donne raison à une victime de la pollution de l'air, cela a un coût pour l'organisme gestionnaire
J'aurais maintenant quelques questions pour la FNSEA. Considérez-vous que les pesticides soient cancérigènes ?
M. Éric Thirouin. - Je ne suis ni scientifique ni médecin mais si je me réfère à l'étude Agrican qui vient d'être présentée. On voit qu'il y a deux cancers qui sont plus importants dans les populations agricoles sur les 36 évalués, dont un qui semblerait plutôt dû aux expositions au soleil. C'est une question importante qui nous occupe au sein de la FNSEA. Lorsque l'on regarde les médias, on a l'impression que les pesticides sont automatiquement responsables de cancers ; or, dans les faits, les études montrent que les agriculteurs ont moins de cancers que le reste de la population.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quelles sont les actions, conseils et formations mis en oeuvre pour aider vos collègues agriculteurs à se former à d'autres pratiques moins dépendantes des pesticides et des engrais de synthèse ?
M. Éric Thirouin. - Je pense, par exemple, au plan Ecophyto qui est en train d'être révisé. Le Grenelle de l'Environnement a mis en place le plan Ecophyto 1. Actuellement est préparé le plan Ecophyto 2, qui inclut un volet « air ». Les actions menées dans ce cadre sont très nombreuses et il va falloir les poursuivre et les amplifier comme, par exemple, la mise en place d'un certificat de produits phytosanitaires, nécessaire pour avoir le droit de les utiliser ; 92 % des agriculteurs détiennent ce certificat aujourd'hui. Plusieurs opérateurs se sont lancés dans le projet des fermes Dephy ; il y en a 1 500 en France, où sont testées un certain nombre de pratiques agricoles utilisant beaucoup moins de produits phytosanitaires. Le plan Ecophyto 2 prévoit d'amplifier ces expérimentations pour faire en sorte qu'elles puissent être communiquées au plus grand nombre.
Plus largement, le ministre Stéphane Le Foll appelle de ses voeux l'agroécologie. La FNSEA souhaite s'engager sur ce thème. Il est évident qu'il nous faut travailler au quotidien pour réduire au maximum l'utilisation de produits phytosanitaires à ce qui est nécessaire.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi préconisez-vous la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires ?
M. Éric Thirouin. - Lorsque je suis malade, si je peux me passer des médicaments et me soigner avec des produits naturels, je le fais. Pour soigner nos cultures et nos animaux c'est la même chose. Si l'on peut trouver des traitements naturels ou développer des cultures résistantes, cela est préférable à l'utilisation des produits phytosanitaires qui ont certes un impact positif sur l'objectif visé de protection des plantes, mais également des impacts négatifs.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Si je vous pose cette question, c'est parce que les différentes auditions que nous avons pu mener jusqu'ici ont mis en avant qu'un tiers de la pollution de l'air est dû aux pesticides. Vous dites que vous souhaitez aller dans une logique de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. De nombreux agriculteurs français ont mis en place des systèmes de production intégrés qui leur permettent de maintenir, voire même d'augmenter leurs productions et leurs revenus, tout en diminuant de manière significative leur utilisation de pesticides de 40 à 50 %. Pourquoi vos organismes ne les aident-t-ils pas et n'agissent-ils pas pour généraliser ces pratiques ?
M. Éric Thirouin. - Ce que vous êtes en train de décrire, c'est justement ce que nous développons dans les fermes Dephy que je viens de promouvoir. Ne dites pas que nous sommes contre ces pratiques.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je n'ai pas dit que vous étiez contre, j'ai dit que vous ne les encouragiez pas assez.
M. Éric Thirouin. - Vous pouvez effectivement juger que nous ne développons pas assez ces pratiques, par rapport à ce que vous affirmez sur le fait qu'un tiers de la pollution de l'air est due aux pesticides...
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ce n'est pas moi qui l'affirme, ce sont les différents organismes que nous avons auditionnés comme l'Anses ou l'IIASA.
M. Éric Thirouin. - Je suis très surpris par ce chiffre. Que l'agriculture ait un rôle dans la pollution atmosphérique, cela est évident mais, à mon sens, ce ne sont pas les pesticides mais l'ammoniac qui est principalement responsable de la pollution de l'air.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Comment expliquez-vous alors que dans l'Avesnois, une zone agriculture dans laquelle il n'y a pas beaucoup de trafic routier, les récents pics de pollution aient été beaucoup plus importants qu'en Ile-de-France ? Ceci dit, je vous invite à vous reporter aux comptes rendus de nos auditions.
M. Thierry Coué. - Ce ne sont pas les chiffres que nous avons. Ce ne sont pas les pesticides qui sont responsables de la pollution de l'air mais une combinaison d'éléments incluant les oxydes d'azote, le méthane et d'autres polluants. Par ailleurs, je souligne que les pesticides sont aussi utilisés en zone urbaine, par exemple dans les jardins et je ne vois donc pas comment l'Anses arrive à distinguer ces usages des utilisations en milieu agricole.
Nous sommes très proactifs sur la diminution de l'utilisation de produits phytosanitaires, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'un coût important pour les exploitants. C'est tout l'objet du travail mené par les chambres d'agriculteurs à travers les expérimentations menées dans le cadre des fermes Dephy ou d'autres initiatives.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pouvez-vous, dans ce cas, nous indiquer quels sont vos objectifs en matière de réduction de l'utilisation des pesticides ? Vous avez participé au Grenelle de l'Environnement qui avait fixé comme objectif de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires de 50 % d'ici 2018. Or, nous constatons une augmentation de cette utilisation d'environ 8 %. Comment expliquez-vous cela, alors même que vous nous faites part des efforts que vous menez pour diminuer l'utilisation de ces produits ?
Je trouve par ailleurs déplacé que vous incriminiez les phénomènes météorologiques comme étant responsables de la pollution de l'air. S'il y a pollution, c'est bien parce que l'on émet des polluants.
M. Éric Thirouin. - L'indicateur qui a été choisi lors du Grenelle, à savoir le nombre de doses utilisées (Nodu), a effectivement montré une augmentation de l'utilisation des produits phytosanitaires de l'ordre de 5 à 8 %. Mais à aucun moment ce nombre de doses n'est apprécié de manière qualitative. Or, dans le cadre du plan Ecophyto 1, les produits phytosanitaires qui sont les plus dangereux pour la santé, en particulier ceux classés CMR 1, ont connu une réduction de 80 %. Quant aux produits classés CMR 2, ils ont connu une réduction d'environ 20 %. Cela veut dire que si l'utilisation des produits phytosanitaires n'a pas baissé en nombre de doses, il y a toute de même eu une amélioration en termes d'impact sur l'environnement. Lorsque l'on regarde de plus près, on voit que les produits classés CMR 1 qui ont été enlevés du marché ont été remplacés par des produits moins dangereux mais également moins efficaces, ce qui a conduit les agriculteurs à les utiliser plus souvent et donc à augmenter le nombre de doses, d'où l'évolution du Nodu observée.
Si l'on compare la consommation des pesticides par hectare cultivé dans l'ensemble des pays européens, la France est passée de la 10e à la 8e place. Mais ayant une surface agricole très importante, la France se retrouve être un des plus grands pays consommateurs de produits phytosanitaires.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Il me semble que nous ne sommes pas très loin, en termes de consommation, des États-Unis et de la Chine ; or nous n'avons pas la même surface cultivée.
M. Éric Thirouin. - Je n'ai pas d'éléments chiffrés sur ce point, en revanche, sur le plan européen, ce que je vous ai dit est exact.
Nous avons pour objectif de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires au strict nécessaire, ce qui passe par un changement des pratiques et une meilleure formation des agriculteurs.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels sont les objectifs précis que vous vous êtes fixés afin de réduire cette utilisation ?
M. Éric Thirouin. - Dans le cadre du plan Ecophyto 2, nous avons demandé au Gouvernement un objectif de réduction de 10 % d'ici cinq ans, ce qui nous paraît ambitieux. Ce qui nous semble important, c'est de s'engager fortement sur la réduction des produits les plus « impactants ».
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les données chiffrées que nous avons n'accréditent pas ce que vous êtes en train de dire.
M. Éric Thirouin. - S'agissant de votre remarque sur les phénomènes météorologiques, il y a bien évidemment des émissions de polluants qu'il faut prendre en compte. Ce que je voulais dire, c'est que les pics de pollution sont associés à une absence de vent qui provoque une accumulation de polluants.
M. Jean-François Husson, président. - Les mesures que prennent les AASQA, en continu, sont incontestables mais les sources d'émission sont diverses. Vous associez-vous à la proposition de conduire des études afin de mieux mesurer les sources d'émission et leurs impacts, de manière à ce que la profession agricole puisse prendre sa part dans la réduction de la pollution atmosphérique ?
Par ailleurs, certains auditionnés nous ont dit que la contrainte législative ou réglementaire était l'outil à privilégier dans la lutte contre la pollution de l'air. Pensez-vous que c'est par la réglementation et par la fixation d'un cadre coercitif que l'on progresse ?
M. Thierry Coué. - Nous souhaitons évidemment que la recherche progresse. Il est nécessaire d'avoir une approche intégrée considérant les aspects « air », « eau », et « sol ». Des progrès ont été faits grâce notamment aux travaux de l'Inra ou de l'institut de l'élevage. Par exemple, beaucoup de recherches ont été conduites sur la valorisation des effluents. De même, des efforts financiers importants ont été réalisés par les exploitants dans le cadre du programme d'action associé à la directive « nitrates » avec un investissement d'environ 53 000 euros par exploitation. Nous menons également des actions relatives à la couverture des fosses. Mais toutes ces solutions sont très onéreuses et lentes à se mettre en place.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pouvez-vous nous indiquer s'il existe des produits phytosanitaires qui sont importés illégalement par des filières parallèles ?
M. Éric Thirouin. - Je n'ai pas d'informations sur ce sujet. J'imagine que cela doit exister et dans ce cas-là il faut absolument sanctionner toute importation illégale.
M. Antoine Henrion. - Vous avez abordé la question de la réglementation. Les réglementations sont certes utiles mais peuvent parfois conduire à des impasses techniques et financières. À quoi cela sert-il de fixer des objectifs trop ambitieux de réduction d'intrants pour l'agriculture si les agriculteurs ne sont pas en capacité de les atteindre ? Changer les pratiques agricoles demande du temps et s'inscrit dans des échéances plus longues que les mandats politiques. La politique agricole commune (PAC) prévoit des mesures de soutien des pratiques agroenvironnementales mais il n'y a pas de moyens financiers et les cahiers des charges sont difficilement compréhensibles. Il faut donc que la réglementation soit opérationnelle et réalisable.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'aurais maintenant une question pour les représentants de l'Inra. Vous avez expliqué que vous réalisez des études ciblées sur la pollution de l'air au sens réglementaire. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par cela ainsi que les polluants que vous étudiez précisément ?
M. Jean-François Soussana. - Compte tenu de l'étendue du sujet de la pollution de l'air, j'ai centré mon propos sur les polluants qui sont réglementés en termes de plafonds nationaux d'émission comme, par exemple, l'ammoniac, l'azote, les particules ou l'ozone. Concernant les pesticides, il n'existe actuellement pas de plafond national d'émission et, à ce titre, certains acteurs ne les considèrent pas comme étant des éléments de la pollution de l'air.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'ai l'impression que nous sommes un peu face à la quadrature du cercle : si vos recherches ne se concentrent que sur les polluants réglementés, les analyses demeurent les mêmes et la question ne progresse pas. Travaillez-vous sur d'autres polluants qui vous semblent pertinents à analyser ? Vous avez indiqué que l'Inra avait réalisé 250 études ces dix dernières années...
M. Jean-François Soussana. - Bien évidemment, nous conduisons des recherches sur l'ensemble des phénomènes de pollution, associés à l'agriculture. Les 250 études publiées par l'Inra ces dix dernières années représentent des travaux qui concernent les émissions soumises à des plafonds réglementaires.
S'agissant des pesticides, il existe un plan national de recherche sur les aspects santé et environnement, porté par plusieurs alliances de recherche comme l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) et l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Nous contribuons au développement de ce plan, à la compréhension de l'articulation des impacts sur l'environnement et les écosystèmes, d'une part, ce que l'on appelle l'éco-toxicologie et sur la santé, d'autre part, c'est-à-dire la toxicologique. Les compétences sont partagées, en toxicologie ce sont principalement l'Institut national de la recherche et de la santé médicale (Inserm) et l'Anses qui sont compétentes, tandis que l'Inra intervient sur les aspects relatifs à l'agriculture et à l'alimentation. Sur les huit méta-programmes que nous menons à l'Inra, un est dédié à la réduction de l'usage des produits phytosanitaires dans l'agriculture et un autre à la réduction de l'usage des produits vétérinaires dans l'élevage. Nous conduisons également des recherches afin de trouver des méthodes de régulation biologique permettant de réduire l'usage des intrants.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Travaillez-vous sur les « effets cocktails » des différents polluants ?
M. Jean-François Soussana. - Nous avons une unité mixte de recherche à Toulouse qui mène des travaux en lien avec des équipes de l'Inserm et de l'Anses afin de mesurer les effets cocktails des polluants et qui nous permet d'avancer dans la compréhension de ces effets. De même, nous essayons de comprendre, parmi les molécules qui sont utilisées en agriculture, lesquelles ont potentiellement une fonction de perturbateur endocrinien.
M. Jean-François Husson, président. - Vous êtes la première personne auditionnée à avoir une réponse aussi claire sur les effets cocktails.
Vous nous avez dit que les polluants liés aux épandages de produits phytosanitaires n'étaient pas soumis à un plafond d'émission, savez-vous pourquoi ?
Par ailleurs, s'agissant des travaux visant à réduire l'utilisation d'azote dans l'alimentation animale, vous nous avez indiqué que les résultats n'étaient pas à la hauteur, pouvez-vous nous dire pourquoi ?
M. Jean-François Soussana. - Sur votre première question, s'il n'existe pas de plafonds d'émission des produits phytosanitaires, il existe en revanche des recherches visant à quantifier les émissions et transferts atmosphériques et les dépôts d'un certain nombre de pesticides. Ces travaux sont compliqués compte tenu de la grande variété de substances qui sont émises et qui peuvent être transportées.
Concernant votre deuxième question, nous avons contribué à une étude de l'Ademe qui a évalué le coût et le bénéfice associés aux dix mesures proposées pour réduire les émissions d'ammoniac par l'agriculture. Les résultats de cette étude montrent que les mesures qui concernent les bâtiments sont les plus coûteuses, alors que celles qui concernent l'épandage ont un coût modéré et un potentiel de réduction important. Par ailleurs, une meilleure efficacité dans l'alimentation des animaux d'élevage permet de diminuer les émissions d'ammoniac.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie de vos interventions.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous remercie de votre présence, mais j'aimerais vous manifester une certaine déception de ma part car les premières victimes de ces pollutions agricoles ce sont les agriculteurs eux-mêmes et j'attendais davantage de la part des organisations qui les représentent.
Audition de MM. Xavier Susterac, président de BASF France et Philippe Prudhon, directeur technique de l'Union des industries chimiques et d'un représentant de Bayer
M. Jean-François Husson, président. - Mes chers collègues, nous procédons à l'audition de M. Xavier Susterac, président de BASF France.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Xavier Susterac de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Xavier Susterac, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
M. Xavier Susterac prête serment.
M. Xavier Susterac, président de BASF France. - Depuis décembre 2014, j'assume la présidence de BASF France après avoir passé plus de vingt ans en Allemagne. Plus particulièrement, j'ai exercé des fonctions dans la spécialité qu'est la catalyse automobile chez BASF à Hanovre. La problématique de la pollution de l'air, à laquelle j'ai consacré au moins quatre ans de ma vie professionnelle, est un sujet qui me tient particulièrement à coeur.
Notre société, dont le siège est à Levallois-Perret, emploie 3.000 personnes réparties sur quatorze sites en France. Elle génère un chiffre d'affaires de deux milliards d'euros. Parmi ces sites, deux se trouvent d'ailleurs en Meurthe-et-Moselle et en Seine Maritime.
Dans le rapport de 2011 de l'agence européenne de l'environnement, sont recensés 622 sites qui contribuent à la pollution atmosphérique. J'évoquerai, à cet égard, les deux sites BASF d'Anvers et de Ludwigshafen, respectivement classés 152ème et 50ème sur cette liste ; ceux-ci n'étant d'ailleurs pas placés sous ma responsabilité. Nous disposons également d'un rapport mentionnant l'ensemble des données sociales et environnementales que notre société a diffusé sur ces deux sites. Un rapide calcul fait ainsi état de 9,2 millions de tonnes de CO2 diffusés, soit 0,6 % du total des émissions de ces 622 sites. Environ 80 % proviennent du secteur de l'énergie ; les émissions en provenance des activités du secteur de la chimie étant bien inférieures à ce chiffre.
J'évoquerai à présent le concept de « site Verbund», qu'on peut traduire en français par économie circulaire, pour qualifier ces deux sites. Il faut avoir conscience par exemple qu'un site comme celui de Ludwigshafen rassemble à lui seul quelque deux cent usines pour 35.000 employés, ainsi que celui d'Anvers qui réunit cinquante usines pour 3.000 employés. Ce sont ainsi des sites consolidés qui accueillent toute la chaîne de fabrication, depuis la création de la matière première jusqu'aux applications les plus sophistiquées.
Les émissions de gaz toxiques et polluants représentent un très grand sujet pour BASF qui a fait du développement durable le fer de lance de sa stratégie. D'ailleurs, alors que le groupe fête son 150ème anniversaire, le changement de logo et de devise, qui est désormais de « créer de la chimie pour un avenir durable » s'inscrit en ce sens. D'une part, les émissions de monoxyde de carbone, d'oxyde d'azote et d'hydrocarbure font l'objet de toute l'attention du groupe qui a prévu de les réduire de 60 % entre 2002 et 2020 ; chiffre déjà atteint par le groupe qui est parvenu à atteindre une réduction globale de 63 % en douze ans.
Il est important pour nous de réduire les émissions de CO2, qui sont le corrélat des processus chimiques, par kilos produits, afin de respecter une échelle de comparaison avec les autres sociétés. Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre doivent également être réduites de 40 % entre 2002 et 2020, et nous avons d'ores et déjà atteint 34 % en 2015.
L'ensemble des chiffres, qui couvre la totalité des émissions de notre groupe, figure dans notre rapport environnemental de cette année. Cette démarche reflète l'exigence de transparence qui est celle de BASF.
Les usines de type Verbund assurent des économies d'échelles elles-mêmes qui permettent, à leur tour, des économies d'énergie substantielles. D'une part, sur les 6 sites Verbund du groupe, ce sont quelque 3,5 millions de tonnes d'équivalent CO2 de substances rejetées qui sont ainsi évitées, ainsi que l'utilisation de 280.000 camions qui assureraient des transports routiers, si les différents sites qui composent ces usines étaient distincts les uns des autres. D'autre part, l'efficacité énergétique a été augmentée de 19 % en 2014 par rapport à l'année de référence 2002.
En outre, le Groupe BASF a investi 350 millions en 2014 pour la protection de l'environnement et, au niveau des coûts de fonctionnement, 897 millions d'euros ont été consacrés à l'amélioration des infrastructures pour mieux répondre aux exigences de protection de l'environnement.
N'oublions pas, en définitive, que les émissions des deux sites de Ludwigshafen et d'Anvers ne représentent au total que 0,6 % des émissions mesurées au niveau européen et que le Groupe BASF consacre tous les efforts possibles pour poursuivre leur réduction.
M. Philippe Prudhon, directeur technique de l'Union des industries chimiques. - L'industrie chimique en France réalise un chiffre d'affaires de 82 milliards d'euros et représente 3.345 entreprises qui emploient 157.000 salariés directs. On estime par ailleurs qu'à chaque salarié direct s'ajoutent trois salariés indirects. Secteur dynamique, l'industrie chimique est le premier exportateur national avec 54 milliards d'euros et un solde positif de plus de 7 milliards d'euros dans les échanges. La partie cadre et technicien représente 68 % des effectifs qui sont, à hauteur de 96 %, sous contrat à durée indéterminée, du fait de la technicité des métiers qui se trouvent dans cette filière.
Les gaz à effet de serre ont été réduits, dans l'industrie chimique, de 50 % par rapport à 1990, ce qui a permis à la France de respecter son engagement souscrit dans le cadre du Protocole de Kyoto. L'industrie chimique représente ainsi 5 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Les émissions de CO2 ont été divisées par quatre depuis 1990 et représentent 10 % des émissions nationales. Les composés organiques volatiles (COV) ont été, quant à eux, réduits de 50 % par rapport à 1990 et l'industrie chimique émet 1 % de l'ensemble des particules émises en France ; ces dernières ayant enregistré une baisse de 41 % par rapport à leur niveau de 1990.
De tels résultats ne sont nullement l'effet du hasard mais les effets d'une réglementation stricte et de longs efforts en matière d'innovation. En termes d'investissement, la chimie investit chaque année un peu plus de trois milliards d'euros, sur lesquels 245 millions d'euros sont consacrés spécifiquement à l'environnement, 381 millions d'euros à la sécurité et au risque industriel et 1,46 milliards au maintien à niveau des infrastructures industrielles ; le reste de la capacité d'investissement étant consacré à l'augmentation des capacités ou à la réalisation de nouveaux produits. Force est ainsi de constater qu'avec 245 millions d'euros, la protection de l'environnement constitue un poste important de l'investissement de notre filière.
Je ne suis cependant pas en mesure de préciser la part qui y est allouée aux différents postes, puisque le management de nos sites industriels est intégré. D'ailleurs, la Directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles, dite « IED » adoptée en 2010, transposée depuis lors en droit français, implique la publication de documents dénommés des Brefs, qui font référence aux meilleures technologies disponibles et visent l'ensemble de l'environnement par grands secteurs.
La chimie est l'industrie mère des autres industries puisque celle-ci se trouve très en amont de l'ensemble des autres secteurs quels qu'ils soient, y compris l'industrie pharmaceutique. Nous essayons ainsi d'apporter des réponses aux grands défis climatiques et environnementaux auxquels nous sommes confrontés.
M. Gilbert Emeric, directeur du développement durable de Bayer France. - Scientifique de formation, je représente la société Bayer qui est active dans trois domaines, à savoir le domaine de la santé humaine et animale, celle des plantes et les matériaux de haute performance ; ces matériaux présentant des applications au quotidien qui impliquent notamment des consommations énergétiques. La manière dont les productions sont réalisées est à cet égard fondamentale : notre référentiel en matière d'impact environnemental, économique et social part de l'année 2010. L'industrie chimique dans son ensemble, petites sociétés comprises, fait aujourd'hui tout son possible pour accompagner les progrès en matière de réduction des émissions néfastes à l'environnement.
J'espère ainsi être en mesure de vous apporter les compléments d'information que votre commission d'enquête a sollicités, que ce soit pour les sites français ou pour l'ensemble de nos implantations.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie et passe la parole à ma collègue, Mme Leila Aichi, Rapporteur de notre commission.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Merci de vos présentations. A titre liminaire, je tenais à saluer le président de BASF France qui est venu personnellement répondre à nos questions. Mes questions seront précises : comment envisagez-vous de contribuer à la réduction de la pollution de l'air ? Quels sont les budgets que vous consacrez à la recherche et comment travaillez-vous avec les administrations et les différentes associations qui ont pour fonction l'élaboration des normes et l'amélioration des dispositifs de lutte contre la pollution de l'air ?
M. Xavier Susterac. - S'agissant de la contribution quotidienne de notre groupe à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notre action s'opère à plusieurs niveaux : par une participation importante dans le secteur de l'énergie éolienne et dans celui de la catalyse qui permet une réduction de la diffusion de l'oxyde d'azote. La réduction du poids des composants dans l'automobile participe à cette dynamique dans laquelle nous sommes également présents. D'ailleurs, l'élaboration de jantes en matière plastique, sur laquelle nous travaillons actuellement et qui se substitueraient à l'acier ou l'aluminium, contribuerait significativement à la réduction du poids des véhicules.
Quel est l'impact de l'ensemble des activités de BASF en matière de réduction d'émissions de CO2 ou d'équivalent CO2 en développant les produits innovants ? Nous sommes parvenus au chiffre de 520 millions de tonnes. Nous ne sommes bien évidemment pas les seuls contributeurs, mais nous estimons que 11 % de ces 520 millions de tonnes seraient attribuables, tout au long de la durée de vie des produits, à BASF. Cette intervention ne génère d'ailleurs pas d'empreinte carbone car les réductions d'émission de nos produits s'avèrent supérieures à celles émises par nos sites de production. Au niveau des investissements, le groupe investit 1,8 milliard d'euros dans la recherche et le développement ; trois cent projets sont en cours et présentent des incidences sur l'environnement.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Une partie de votre budget de recherche et développement est-elle consacrée à l'évaluation du coût financier et économique de la pollution de l'air qu'engendrent vos activités ?
M. Xavier Susterac. - Cette démarche est très difficile et ne relève pas, à proprement parler, de notre métier.
M. Jean-Marc Pétat, directeur du développement de BASF.- Pour compléter ce que vient de rappeler M. Susterac, BASF a développé en interne, depuis de nombreuses années, les outils pour optimiser l'impact de nos produits sur l'environnement. Ceux-ci sont constitués de 69 indicateurs et permettent d'évaluer la pertinence de nos productions et de l'optimiser. Cette démarche, dénommée en interne « See Balance », permet de répondre davantage aux préoccupations environnementales.
M. Jean-François Husson, président. - Et vous considérez donner suite à un projet à partir du moment où il répond à combien de critères sur les 69 que vous venez d'évoquer ?
M. Jean-Marc Pétat. - Ces 69 critères, élaborés en partenariat avec la communauté scientifique, n'ont pas tous la même valeur et tout dépend de l'usage des produits. Cependant, ce sont près de 600 produits qui ont en définitive été évalués de la sorte.
M. Xavier Susterac. - La catalyse automobile fournit ainsi un exemple pertinent de cette démarche. En termes d'émission de différents polluants, un facteur 100 est constaté entre 1974 et un véhicule d'aujourd'hui qui répond aux critères d'Euro-6-c. BASF est l'un des acteurs essentiels du marché des filtres à particules et attend impatiemment la mise en place d'Euro-6-c dans le domaine de l'essence, car les particules fines émises par les véhicules à essence sont aussi préoccupantes. Or, celles-ci s'avèrent beaucoup plus fines que les particules émises par les véhicules diésel qui sont désormais équipés de pots avec filtres. Ces particules extrêmement fines sont dangereuses et il était grand temps que la Commission européenne décidât enfin l'installation de filtres à particules pour les véhicules à l'essence ou, à tout le moins, l'élaboration d'une réglementation sur les particules issues de ces automobiles.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous saluez le fait que la Commission a élaboré une réglementation idoine ?
M. Xavier Susterac. - J'ai en effet employé l'adverbe enfin à dessein. Plus tôt eût certes été mieux !
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous considérez ainsi que la réglementation a un impact important sur votre activité ?
M. Xavier Susterac. - En effet. L'une de nos préoccupations réside dans la limitation des émissions de particules dans les grandes villes. L'une de nos avancées technologiques consiste d'ailleurs à transformer l'ozone en oxygène. Nous avons d'ailleurs équipé trois millions de véhicules aux États-Unis, et notamment dans l'État de Californie, avec une imprégnation des moteurs de voitures, lesquels transforment l'ozone en oxygène. Il n'y a pas de réglementation en ce sens en Europe, mais je souhaite qu'à terme nous soyons en mesure de travailler en Europe sur cette question.
M. Jean-Marc Pétat.- La réglementation va parfois trop vite par rapport au rythme de l'innovation. Il faut gérer ce risque de décalage.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Le contraire se produit également ; la réglementation arrivant quelquefois en retard ! Mais ce n'est pas notre sujet. Le processus de transformation de l'ozone en oxygène, que vous nous avez évoqué, nous intéresse quant aux solutions susceptible d'être préconisées pour lutter contre la pollution atmosphérique.
M. Jean-François Husson, président. - L'objet de cette commission d'enquête étant le coût économique et financier, pourriez-vous poursuivre plus avant votre évocation de cet exemple d'innovation en Californie susceptible, à terme, de réduire les coûts de la pollution atmosphérique ? La réglementation était-elle à l'origine de ce programme ? En définitive, qu'apporte ce dernier ?
M. Xavier Susterac. - Des incitations financières, via un système de crédit, faites aux particuliers étaient à l'origine de cette démarche. L'ozone est au coeur des préoccupations pour les grandes villes. Cette substance ne résulte pas, en tant que telle, des émanations des véhicules, mais de l'agrégation de divers composants chimiques. Il faut, en conséquence, réduire sa concentration.
M. Jean-François Husson, président. - Nous souhaitons obtenir plus amples informations sur ce programme susceptible d'inspirer la recherche de solutions qui est également l'une des préoccupations de notre commission.
M. Charles Revet. - L'existence de particules extrêmement fines, émises par les véhicules à essence, est-elle de nature à remettre en cause les orientations actuelles qui préconisent la suppression du diésel et ce, dès lors que la Communauté européenne va mettre en place une régulation idoine ?
M. Xavier Susterac. - Euro-6 est valable à la fois pour les véhicules diésel et essence. Le domaine des particules pour l'essence est une nouveauté et les industriels sont conscients de la nécessité de faire quelque chose à ce sujet. Par ailleurs, les moteurs diésel d'aujourd'hui émettent bien moins de dioxyde de carbone que par le passé !
M. Charles Revet. - Ce que vous nous dites est extrêmement important ! Dès lors, si à l'analyse le résultat de la comparaison est différent, le résultat est dramatique, surtout si nous orientons notre appareil productif vers ce qui polluera plus !
M. Xavier Susterac. - Le diésel polluait auparavant beaucoup plus. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Des systèmes de catalyse très complexes permettent en effet de réduire les émissions de polluants par les véhicules diésel et, de surcroît, les particules fines sont filtrées depuis la mise en oeuvre des normes Euro 5. Une réelle préoccupation demeure cependant quant aux véhicules diésel plus anciens.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Il y a toutefois une hiérarchie dans les sources de pollution ! Le diésel est ainsi reconnu, de manière incontestable par de nombreuses études, comme cancérigène. Ce sujet demeure d'actualité ! Je souhaiterais connaître si le représentant de Bayer est en mesure de répondre aux questions qui lui ont été préalablement adressées.
M. Gilbert Emeric. - La première de vos questions concernait le classement en 2010 de Bayer comme l'entreprise la plus polluante de l'air aux États-Unis, du fait de ses émissions de substances chimiques. Ce classement a été dressé par un institut basé dans le Massachusetts, le « Political economy research institute » (PERI), en vertu d'un modèle lui permettant de recenser les industries les plus polluantes sur le continent nord-américain. Il est vrai qu'à l'aune de ce modèle, Bayer s'est retrouvée l'industrie la plus polluante aux États-Unis. Un tel résultat nous a naturellement alertés et il nous a fallu comprendre les raisons d'un tel rang. Ainsi, l'Agence fédérale pour l'environnement demande à chaque industriel de fournir une liste des produits utilisés et rejetés par les usines et c'est sur cette base que le PERI a opéré. Dans le cadre fixé par cet institut de recherche, les modèles de dispersion des produits chimiques dans l'air sont mis en oeuvre, ainsi que leur toxicité et les volumes déclarés d'émissions. En outre, la présence de populations dans un rayon de cinquante kilomètres des sites de production est également prise en compte. Ce modèle, pour complexe qu'il est, ne rend que partiellement compte de la différence de localisation entre les émissions et le traitement des déchets. Les résultats sont publiés sur une base biannuelle et les résultats auxquels vous faisiez référence dans votre questionnaire renvoyaient à l'année 2010. Un second classement a également été publié en août 2013 et le classement de notre groupe ne nous convient pas puisqu'il porte à nouveau sur les données transmises en 2010. Le temps d'adaptation est, pour les industriels que nous sommes, important et force est de constater que le modèle, à l'aune duquel nos émissions sont évaluées, demeure perfectible.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Contestez-vous la valeur de ce modèle ?
M. Gilbert Emeric. - Ce modèle est en effet perfectible, mais comme entreprise responsable, Bayer ne peut que questionner son propre mode de fonctionnement. Il nous faut ainsi comprendre la méthodologie du modèle et prendre des mesures correctives destinées à amender son résultat, dans un dialogue avec l'institut. Mais force est de constater que l'ensemble des mesures prises seront reflétées dans les résultats destinés à être publiés à l'horizon 2017. Entre la publication des résultats et les mesures prises, un délai de trois ans subsiste ! En outre, lorsqu'on regarde les résultats de l'enquête, nous constatons qu'un de nos sites représente 91 % des facteurs expliquant notre classement. Hormis ce site, le reste de nos implantations est considéré comme ne présentant aucun impact d'après le modèle du PERI. En outre, dans ce site, l'utilisation d'un seul produit chimique, le tolluenediamine qui entre comme précurseur dans la fabrication des mousses souples polyuréthane, est mise en exergue. Bien que nous prenions toutes les mesures nécessaires au maniement de ce produit, qui est cancérigène, c'est ce produit, et l'incinération des substances qui ont été en contact avec lui, que prend le modèle PERI comme base de son classement. Nous travaillons, à cet égard, avec les entreprises spécialisées afin de nous assurer que les déchets que nous générons soient traités de la manière la plus optimale possible. Et cette démarche n'est pas prise en compte par le modèle PERI qui prend en compte l'origine du produit et non l'endroit où celui-ci est éventuellement incinéré. En outre, la valorisation énergétique est prise en compte dans le modèle comme un facteur de moindre toxicité et il est clair que si Bayer travaillait avec les entreprises spécialisées dans ce secteur, sa place passerait au 42ème rang. Cette démarche concerne 30% des déchets actuels, mais il faut savoir que les usines de valorisation énergétique des déchets se trouvent à quelque 600 kilomètres de leur lieu de production ! Les externalités générées par le transport de ces déchets, comme les gaz à effet de serre, ne sont pas prises en compte dans le modèle. Les modèles eux-mêmes doivent bel et bien être amendés afin de mieux prendre en compte la réalité de nos activités industrielles, de manière à ne pas prendre de mauvaises décisions.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'objet de notre commission d'enquête n'est pas, à proprement parler, le dérèglement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, mais celui-ci porte sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Est-ce un sujet sur lequel vous avez travaillé ou sur lequel votre entreprise commence à forger des outils de mesure idoines ?
M. Gilbert Emeric. - Les outils de mesure, dans une entreprise comme la nôtre, existent par rapport aux préoccupations environnementales. Mais il n'est pas aisé d'obtenir un standard assurant la valorisation économique et financière.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Nous avons auditionné des acteurs sur les aspects sanitaires de cette valorisation qui demeure complexe. Il faut reconnaître la diversité des effets de la pollution de l'air mais aussi proposer des solutions, afin d'impulser collectivement des mesures. Votre groupe a-t-il évalué l'impact de la pollution de l'air ?
M. Gilbert Emeric. - Nous avons envisagé ces questions à l'échelle de notre industrie tout entière, par le biais notamment de regroupements professionnels dans lesquels s'expriment des sociétés qui ont conduit, à leur tour, des études d'impact environnemental(« environmental profits and loss programs») chiffrées. Mais ce questionnement en est à ses débuts.
M. Jean-François Husson, président. - Néanmoins, au titre de votre outil de production, vous êtes éligible en France à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui alimente également le réseau ATMO de lutte contre la pollution de l'air ; l'objectif étant pour une entreprise de prendre les mesures nécessaires pour s'en soustraire ou éviter d'en acquitter un montant trop élevé !
M. Gilbert Emeric. - Une diversité de taxes existe en effet qui permettent d'alimenter certains réseaux comme ADELF avec lequel nous travaillons et qui implique que soient modifiés des produits courants, comme les emballages de boissons notamment qui ont connu de réels allégements. Les industries qui sont les nôtres font leur maximum pour à la fois répondre à des exigences environnementales et fiscales. De telles démarches peuvent ainsi être à l'origine de cercles vertueux. Nous sommes typiquement dans ce type de développement.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Précisément, avez-vous une idée de l'impact sur la pollution de l'air des produits du groupe Bayer en Europe et en France, à l'instar de la situation en Amérique du Nord ?
M. Gilbert Emeric. - Sur l'ensemble des facteurs qui ont été évoqués par mes collègues de BASF, comme en matière d'émissions de gaz à effet de serre, celui-ci est retracé, depuis 2008, dans un rapport spécifiquement consacré au développement durable. Si l'on se réfère à l'article 75 du Grenelle II de l'environnement, qui vise la communication des gaz à effet de serre, réussir à intégrer de telles données dans un rapport n'est pas chose aisée, d'autant plus lorsqu'on y intègre également les données environnementales, économiques et sociales, comme nous y parvenons ! D'ailleurs, comme l'ADEME l'a souligné, cet article 75 s'applique aux entreprises de plus de 500 employés et seulement 49 % d'entre elles ont rempli cette obligation, et ce chiffre n'atteint que 26 % pour les collectivités locales ! Cette démarche est certes récente, mais elle traduit les efforts d'un groupe comme le nôtre de remplir ses obligations.
M. Xavier Susterac. - Les 350 millions d'euros investis par notre groupe pour améliorer la situation environnementale et les 900 millions d'euros que coûte, de manière récurrente, l'amélioration de nos sites, représentent un investissement considérable pour notre groupe. Nous avons d'ailleurs réglé 61.000 euros de TGAP, ce qui signifie que notre groupe est tout à fait dans les normes, même si des marges de progression demeurent !
M. Philippe Prudhon. - Autant les sociétés ont agrégé, peut-être pas toutes à la même vitesse, l'ensemble des résultats de leurs sites dans le monde, autant la réglementation en Europe et en France exige la connaissance des chiffres, et notre industrie connaît, quant à elle, une longue tradition d'évaluation des émissions et de leurs impacts. D'ailleurs, celle-ci nourrit un dialogue avec l'administration à ce sujet.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Connaissez-vous la part dans la pollution de l'air des entreprises qui sont membres de votre union ?
M. Philippe Prudhon. - Nous disposons d'indicateurs, comme les émissions de SO2 et de gaz à effet de serre, dont notre industrie est à l'origine respectivement de 10 et 5 %. L'industrie chimique représente ainsi 5 % des SOV, 5 % des Nox et 1 % des particules toutes confondues. Des documents reprennent ainsi ces données dont le CITEPA collecte l'intégralité. D'ailleurs, le Commissariat général au développement durable a indiqué qu'entre 2001 et 2012, l'intensité énergétique a diminué de 11 % ; la chimie intervenant après le secteur automobile dans cette baisse. D'autres instances que les nôtres ont ainsi mesuré les progrès enregistrés.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je note que de tels progrès ont été réalisés grâce à la réglementation ce que, du reste, vous avez à votre tour signalé. Comme nous l'évoquait un économiste, la réglementation demeure le meilleur moyen de lutte contre la pollution de l'air. Ce qui m'amène à vous interroger sur les actions de lobbying conduites par les grands groupes industriels, notamment au niveau européen, lorsqu'il s'agit de limiter de nouvelles normes contraignantes alors que, dans le même temps, il est avéré que la réglementation est un facteur de progrès ; ce que, du reste, vous corroborez.
M. Jean-Marc Pétat. - La réglementation est importante, mais l'engagement des sociétés en faveur du développement durable l'est tout autant. Lorsqu'un groupe comme BASF se fixe comme objectif une baisse de 70% des émissions globales de polluants à l'horizon de 2020, c'est un engagement auquel la réglementation, à l'échelle locale, est à même de contribuer.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Il est important d'actionner tous les leviers. La réglementation étant ainsi un levier important, il n'y a pas de raison de s'en priver. C'est d'ailleurs le sens de notre rapport qui vise à élaborer, de manière collective, les moyens d'amélioration de l'air que nous respirons. Je suis d'ailleurs ravie que nos intervenants d'aujourd'hui aient à leur tour rappelé l'importance de la réglementation !
M. Philippe Prudhon. - Il nous faut des règles et des spécifications. Il faut toutefois faire attention au périmètre de la réglementation laquelle, si elle est trop franco-française, risque de créer de la distorsion susceptible de conduire, à terme, à la délocalisation des outils de production impliquant le rapatriement vers l'Europe de produits finis en recourant aux transports ! Notre industrie fortement capitalistique, dont les cycles de production s'étalent sur plusieurs années, voire décennies, a ainsi besoin de visibilité !
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je comprends parfaitement ces contraintes. Mais, en guise d'illustration de nos propos, le tournant pris vers le diésel, quand bien même l'ADEME dès 1999 tirait la sonnette d'alarme, est une aberration ! C'est pour éviter de tels errements que nous souhaitons échanger avec vous. Mais je retiens que la réglementation, en matière de pollution et de dépollution, est particulièrement significative !
M. Jean-Marc Pétat. - Pour en revenir au diésel, je pense que la réglementation s'est trompée de cible puisqu'il eût mieux valu débuter par cibler les particules plutôt que les gaz à effet de serre.
M. Jean-François Husson, président. - Il faut tout de même rendre à César ce qui lui appartient ! Madame la Rapporteure a bien expliqué que notre commission d'enquête était consacrée à l'évaluation des coûts économiques et financiers de la pollution de l'air. À ce titre, parmi les leviers qui permettent d'en atténuer le cours, figure la réglementation, qu'elle vienne d'Europe ou d'ailleurs. D'ailleurs, la réglementation peut conduire à l'émergence d'activités nouvelles, amorçant ainsi une sorte d'économie circulaire. Certes, il importe de se fonder sur des diagnostics pour que soient dégagées des solutions communes. Tout cela est complexe, comme l'a rappelé l'épisode de l'écotaxe, mais le dialogue entre les entreprises et les élus est à ce titre essentiel. La situation que vous décrivez, en tant qu'acteurs industriels et représentants de votre secteur, ne peut bien évidemment nous laisser indifférents.
M. Xavier Susterac. - Lorsque, dans mes fonctions précédentes, je me rendais à Bruxelles, nos interlocuteurs reconnaissaient nos activités comme une forme de lobbying positif. Il s'agissait pour nous de faire en sorte que les Autorités européennes mettent en place, le plus vite possible, des réglementations. Deux niveaux de réglementation nous paraissent également devoir être distingués : d'une part, les réglementations européennes qui régissent notamment les activités de leaders mondiaux de l'automobile et qui doivent être prises dans le domaine des particules fines et extrafines et, d'autre part, les réglementations nationales, lesquelles ne doivent pas se télescoper avec les premières, sous peine de devenir contreproductives. Si on pouvait, d'ailleurs, accélérer les choses dans le domaine de la lutte contre les émanations de particules fines, ce serait formidable !
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - On a pu constater, dans les domaines agricoles et phytosanitaires, un fort lobby au niveau européen pour ne pas permettre l'interdiction de pesticides qui étaient des perturbateurs endocriniens. Je veux bien entendre qu'il existe une sorte de lobby positif, mais je vois plutôt les principaux acteurs du lobbying agir en défaveur des causes environnementales. D'ailleurs, ces dernières sont souvent prises en otage par les contraintes économiques et c'est aussi l'intérêt de notre rapport qui est de partir de l'aberration sanitaire qu'est la pollution de l'air, qui présente de nombreux impacts, pas seulement sur les populations mais aussi sur les terres agricoles et la qualité de l'eau ainsi que sur la biodiversité, pour dénoncer l'enfermement dans une rhétorique condamnant a priori les innovations de demain. Mais une telle aberration est également porteuse de développement économique pour l'ensemble de nos acteurs, ce que refusent d'entendre, du reste, les principaux lobbys. Il y a toujours un moment où les externalités doivent être supportées par la collectivité ! Donc, soyons cohérents dans notre démarche, reconnaissons à la réglementation son rôle essentiel et réfléchissons collectivement à des solutions permettant d'assurer le développement durable.
M. Gilbert Emeric. - La notion de réflexion collective est extrêmement importante et doit aller au-delà de la simple énumération de données économiques. Il me paraît important que nous partagions le même constat, ce qui n'est nullement évident ! Nous sommes ainsi en train d'assurer une mutualisation de l'information qui est importante !
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Mais force est de constater une grande résistance au changement à l'instar de ce qui s'est passé pour le diésel ! J'ai d'ailleurs été l'une des premières avocates à avoir attaqué l'État en 1999 mais que de temps perdu sur cette question !
M. Gilbert Emeric. - Les sociétés que nous représentons autour de cette table sont nécessairement innovantes. À cet égard, un tiers du chiffre d'affaires que Bayer réalise vient de l'innovation récente. Sur les sujets que vous évoquez, en tant qu'élus, il importe que les acteurs des domaines concernés doivent échanger avant que ne soit élaborée une réglementation qui soit respectée. Mais l'industrie requiert du temps pour s'adapter à la réglementation et la zone d'application demeure cruciale.
M. Philippe Prudhon. - Je ne partage pas votre point de vue, Madame la Sénatrice, sur les perturbateurs endocriniens. Nous attendons une définition scientifique de ces derniers au niveau européen. L'exemple du bisphénol A (BPA) est révélateur : alors qu'il est interdit en France, il est autorisé par une agence européenne qui en précise cependant les taux d'exposition. Deux agences en Europe se sont d'ailleurs prononcées de façon contradictoire à la lueur de 700 études !
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Lorsqu'on connaît la force des lobbys à l'échelle européenne, ce n'est guère étonnant ! Mais ce n'est pas notre sujet ! Vous savez d'ailleurs pertinemment comment sont financées les études par les lobbys. On ne peut nier cette réalité !
M. Philippe Prudhon. - On ne peut pas non plus nier que deux agences européennes se sont prononcées sur cette question de manière contradictoire.
Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avec 1.600 lobbyistes au Parlement européen, la force des lobbys y est conséquente. Le sujet de notre commission n'est nullement à charge et son objectif est de faire qu'une situation défavorable s'avère porteuse d'opportunités et de développement pour notre pays.
M. Jean-François Husson, président. - Toute évaluation précise d'un problème auquel a été confrontée l'industrie que vous représentez, pourrait être intéressante pour notre appréciation du coût économique et financier de la pollution de l'air. Du fait de notre accord sur la portée de la réglementation, notre commission est particulièrement désireuse d'examiner un site industriel qui, selon vous, illustre la prise en compte des exigences environnementales par vos sociétés.
M. Gilbert Emeric. - Je peux vous proposer également, au-delà des sites industriels, de visiter des sites de recherche et développement susceptibles de vous intéresser.
M. Xavier Susterac. - BASF serait très heureux de vous accueillir dans le site de Ludwigshafen, dont les dimensions et le nombre d'employés, pour vous montrer ce que notre groupe réalise dans le domaine qui vous intéresse.
M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie, Messieurs, pour vos interventions et vos propositions.
Audition de M. Didier Havette, directeur en charge du développement durable et des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance, à BpiFrance
Présidence de M. Charles Revet, président -
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur l'impact économique et financier de la pollution de l'air.
M. Charles Revet, président. - Mes chers collègues, nous procédons à l'audition de M. Didier Havette, directeur du développement durable de la Banque publique d'investissement (BPI France).
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Didier Havette de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Didier Havette, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
M. Didier Havette prête serment.
M. Didier Havette, directeur du développement durable de la Banque publique d'investissement (BPI France). - A titre liminaire, je tiens à souligner que BPI France n'est pas un établissement spécialisé dans la qualité de l'air. La banque publique d'investissement assume quatre fonctions principales : société de gestion qui investit directement dans les entreprises ou dans des fonds d'investissement, banquier et soutien à l'innovation via des subventions ou des avances remboursables, enfin gestionnaire de fonds de garantie de prêts d'autres banques de la Place. Le positionnement de BPI France est spécifique puisque notre établissement intervient toujours en cofinancement. Il n'est ainsi pas question qu'il provoque un effet d'éviction des autres acteurs du marché ! À ces différentes fonctions il convient enfin d'ajouter l'accompagnement des entreprises, fonction à laquelle notre directeur général est très attaché.
Les principales cibles de notre établissement sont ainsi les TPE-PME, ainsi que les entreprises de taille intermédiaire et marginalement les grandes entreprises, dans la mesure où il s'agit de consolider un actionnariat. Nous intervenons également à tous les stades de développement de l'entreprise, depuis son amorçage jusqu'à sa transmission, et finançons toute sorte de développement, que ce soit lors de l'acquisition de l'équipement ou d'opérations de croissance externe, avec toutefois une singularité qui est également de pourvoir au financement de l'immatériel.
La responsabilité sociétale d'entreprise de BPI France relève d'une décision du législateur, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement. Celui-ci indique la nécessaire prise en compte de l'impact social et environnemental du portefeuille d'engagements de la Banque publique d'investissement. Dans ce cadre, BPI s'est dotée l'année passée d'une charte de responsabilité sociétale d'entreprise (RSE) qui décrit, d'une façon générale, son engagement pour le développement durable qui repose sur trois piliers, à savoir l'engagement économique, social et environnemental.
Quatre priorités sont distinguées par cette charte, à savoir l'emploi, notamment des jeunes, la transition écologique et énergétique, avec un focus sur l'efficacité énergétique, l'entrepreneuriat au féminin, en insistant sur la place des femmes dans l'économie et, enfin, la qualité de la gouvernance et du management des entreprises.
Dans le cadre de nos métiers de prêteur et d'investisseur, nous veillons à la prise en compte de l'ensemble de ces activités. Ainsi, depuis janvier dernier, la totalité des activités de financement pour des investissements de plus d'un million d'euros répond à une grille d'analyse RSE reposant sur une dizaine de critères. Nous sommes la première banque à suivre une telle démarche pour l'activité de prêt. Du côté de l'investissement, les établissements qui ont été réunis lors de la fondation de la BPI, à savoir CDC-entreprises et le fond stratégique pour l'investissement, manifestaient déjà des critères d'investissement responsables et insistaient sur les aspects sociaux et environnementaux dans l'analyse des dossiers qui leur étaient soumis. Néanmoins, force est de constater qu'au moment de la création même de la BPI France investissement, il a fallu harmoniser les pratiques qui étaient antérieurement celles des établissements bancaires qui lui étaient postérieurs et je dois avouer que les critères d'intégration sociaux et environnementaux n'étaient pas alors au premier plan de nos préoccupations.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Cette transparence vous honore !
M. Didier Havette. - Depuis, nous avons forgé, avec un prestataire extérieur, un outil d'analyse environnemental et social qui permet à nos investisseurs en rentrant à la fois le secteur d'activités et la taille de l'entreprise concernée de faire apparaître assez rapidement les enjeux de leur projet en matière de gouvernance et d'obtenir une liste de questions à adresser à l'entreprise afin de l'évaluer. Cet outil vient d'être mis en place et transmis par notre directeur général à l'ensemble de nos chargés d'affaire. Il est d'ailleurs accompagné de deux modules de formation. Cette démarche est ainsi consignée dans nos procédures d'investissement. Ainsi, tous nos dossiers d'investissement doivent contenir une analyse environnementale, sociale et de gouvernance des projets auxquels ils se rapportent !
La transition écologique et énergétique est l'une de nos priorités et est mentionnée à l'article 1er de la loi portant création de la BPI. Notre établissement y contribue de deux manières : d'une part, en soutenant les entreprises qui contribuent à cette transition énergétique, en produisant notamment de l'énergie renouvelable, et, d'autre part, en finançant la transition des entreprises vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement.
Au cours de l'année 2014, la BPI a ainsi financé à hauteur de 850 millions d'euros, auxquels peuvent être ajoutés 45 millions d'euros de garantie apportés à d'autres banques. Cette somme se répartit ainsi : 90 millions d'aides à l'innovation dans des domaines qui sont principalement la chimie verte, les bâtiments à impact environnemental et plus largement la qualité de l'air et celle de l'eau. D'ailleurs, s'agissant de la qualité de l'air, BPI France a notamment financé des entreprises qui élaboraient des capteurs. 700 millions d'euros sur l'année 2014 ont été consacrés aux prêts consacrés au financement de la production d'énergie renouvelable, soit à 80 % de l'éolien et du photovoltaïque, ainsi que de la biomasse et de l'énergie hydraulique. De façon très marginale, des prêts éco-énergie, dont la fourchette va de 10.000 à 50.000 euros, ont été accordés aux TPE, mais ceux-ci ne rencontrent pas le succès espéré.
Du côté de l'investissement, qui représente plus d'une cinquantaine de millions d'euros, la BPI a souscrit une partie de cette somme dans des fonds dédiés, comme le fonds Emertec, dont le groupe Caisse des Dépôts a largement contribué à la naissance. En outre, cette somme a contribué au financement d'investissements directs en gérant un fond écotechnologie au titre des investissements d'avenir, un fonds bois sur nos fonds propres, un fonds joint-venture consacré à la santé, au numérique et à l'environnement qui intervient à l'issue de l'étape capital-risque et au moment où il s'agit d'atteindre de gros montants de capitalisation. D'ailleurs, les entités antérieures à BPI France n'avaient pas cette culture de l'investissement, à l'exception d'une opération portant sur la société Fermentalg. Pour mémoire, je mentionnerai le fonds d'investissement SPI, qui fonctionne sur les programmes d'investissement d'avenir et investit sur des projets de sociétés industrielles et dont le premier projet concernait la production thermique. Enfin, on pourrait citer l'ancien fonds TGE devenu désormais Mid-Cap et qui investit dans un certain nombre d'entreprises du secteur de l'environnement.
BPI France a mis également en oeuvre des prêts verts de 2010 à 2013. Ceux-ci représentent des sommes de l'ordre de 100.000 à un million d'euros et sont destinés à favoriser l'évolution de l'outil de production. Forte de leur succès, BPI France vient de démarrer une seconde tranche de ces prêts qui sont bonifiés et fonctionnent sur la ressource publique, ce qui permet de les garantir. Ceux-ci sont encore remboursables sur sept ans, avec deux ans de différé. Par ailleurs, entre 2010 et 2013, la dotation en investissement d'avenir (PIA) qui y était consacrée avoisinait une centaine de millions d'euros, ce qui a permis d'accorder quelque 300 millions d'euros de prêts à 430 entreprises et d'obtenir un effet de levier important d'environ 2,5 milliards d'euros. Si le suivi de ce qui a été financé peut encore être amélioré, les opérations ainsi financées peuvent se répartir ainsi : un tiers de ce financement concernait la réduction de consommation d'énergie, un quart relevait de la catégorie des « bénéfices environnementaux multiples » dont 14 % pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et 4% pour la réduction des émissions atmosphériques polluantes présentant un impact sur les milieux naturels.
M. Charles Revet, président. - Merci Monsieur pour votre intervention. Je passe la parole à Madame Leila Aichi, Rapporteur.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Quel est selon vous le potentiel de croissance associé aux technologies vertes ? Est-ce un marché d'avenir pour nos entreprises ?
M. Didier Havette. - Clairement oui. En ce moment d'ailleurs se tient le « Business and Climate Summit » à l'UNESCO où les grandes entreprises se positionnent clairement pour répondre aux enjeux du changement climatique. En termes de marché, la demande de produits davantage respectueux de l'environnement devrait croître, en raison de la prise de conscience générale sur cette question. Cependant, la réglementation demeure un levier fondamental comme j'ai encore pu le constater lors de cette réunion à l'UNESCO au cours de laquelle tous les participants ont réclamé un prix pour le carbone. Une telle décision induirait un changement de rentabilité entre les différentes énergies. D'ailleurs, le financement des énergies renouvelables en France nous pose un certain nombre de questions, puisque BPI France est un acteur très investi dans ce secteur. En effet, si sa part de marché, tous prêts confondus, est de l'ordre de 4 à 5 % auprès des entreprises, elle s'élève à 20 % dans les énergies renouvelables.
Les conditions de rachat d'énergie, qui sont en train d'évoluer, sont déterminantes et la question du potentiel de développement s'avère extrêmement liée à la réglementation en vigueur, tout comme d'ailleurs en est tributaire la qualité de l'air.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Pensez-vous d'ailleurs que la réglementation en France est fortement incitative ?
M. Didier Havette. - Sur la qualité de l'air, je ne suis pas compétent pour vous répondre.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Comment financez-vous des projets de conversion technologique des activités polluantes vers des activités qui ne le sont pas ?
M. Didier Havette. - Les prêts verts, que j'évoquais précédemment, sont l'outil idoine. Ils peuvent être consacrés au remplacement d'équipements ou à l'adoption de nouvelles technologies énergétiques, comme le passage de chaudières fioul à la biomasse par exemple. Ces prêts concourent également au financement des entreprises de la transition énergétique avec les aides à l'innovation versées par BPI France, comme la société Cooltech innovation qui développe un système de réfrigération magnétique.
M. Charles Revet. - Globalement, quels types d'énergie renouvelable financez-vous ?
M. Didier Havette. - Essentiellement, l'éolien et le photovoltaïque.
M. Charles Revet. - Lors de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique, nous avons évoqué les moulins à eau qui pourraient représenter l'équivalent d'une tranche de centrale nucléaire. BPI France finance-t-elle une telle source d'énergie ?
M. Didier Havette. - Je ne pense pas qu'on le fasse, mais BPI France assure le financement de formes d'énergie hydraulique. On peut ainsi regarder ce point.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Pourriez-vous revenir sur la grille d'analyse des entreprises que vous avez évoquée lors de votre introduction ?
M. Didier Havette. - Je vous en adresserai un exemplaire. Le principe de cette grille est simple : sur une seule feuille, nous avons constitué, à partir des quatre priorités de notre responsabilité sociale d'entreprises, dix catégories à l'aune desquelles nos chargés d'affaires, qui sont des financiers, évaluent les projets qui leur sont soumis. Les 2.200 collaborateurs de BPI France, que ce soit du côté de l'investissement que du financement, travaillent beaucoup et cette grille, qui leur est destinée, doit être libellée de la manière la plus pragmatique possible, afin de ne pas être perçue comme une charge de travail supplémentaire.
M. Charles Revet, Président. - Quelle est l'ampleur des investissements de BPI France dans les projets ayant trait au développement durable et comment ceux-ci sont-ils sélectionnés ? On sait par ailleurs que l'Allemagne investit énormément dans les énergies renouvelables et assure, par l'agriculture, une production importante de méthane à partir du maïs. Subventionnez-vous ainsi ce type de projet et, le cas échéant, tenez-vous compte de l'origine des produits assurant la production de méthane ?
M. Didier Havette. - Le mode de sélection dépend de la nature des projets qui nous sont soumis. S'agissant de l'innovation et des investissements relevant du capital-risque, on s'interroge sur la réalité de la rupture technologique que le projet entend conduire et ce, d'une manière globale, tout en examinant les potentiels de marché. Ces attentes sont légitimes lorsqu'on est un investisseur. J'ai en tête une entreprise, dans laquelle BPI France a investi, et qui assurait la méthanisation à partir de déchets agricoles dans le cadre d'un projet social et environnemental visant à minimiser les nuisances et à créer de l'emploi au niveau local, mais je n'en connais pas qui consacre la production de maïs spécifiquement à cette tâche, comme cela semble être le cas Outre-Rhin.
M. Charles Revet, président. - À l'inverse de l'Allemagne, la France s'est très peu engagée dans cette filière. C'est la raison pour laquelle je vous posais cette question.
M. Didier Havette. - Je n'ai pas une vision globale de cette filière, mais je répondrai par courrier à votre interrogation.
Mme Leila Aïchi, rapporteur. - On envisage le lancement de nouveaux programmes d'investissement d'avenir. Quelle devrait-être, selon vous, la part accordée aux technologies vertes ?
M. Didier Havette. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre, mais je ne manquerai pas de vous faire parvenir, par la voie écrite cette fois, les éléments que vous m'avez demandés.
M. Charles Revet, président. - Je vous remercie de votre intervention.