Mardi 16 décembre 2014
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 138 (2014-2015) autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto.
La réunion est ouverte à 10 heures.
M. Hervé Maurey, président. - Nous examinons le rapport pour avis de Jérôme Bignon sur le projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997. Cet amendement entérine les engagements de limitation des émissions de gaz à effet de serre pris à Doha il y a deux ans. La semaine dernière, à Lima, où se trouvaient des membres de notre commission, le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a fortement incité les États à ratifier au plus vite cet amendement. Un tel projet de loi de ratification passe d'ordinaire par la procédure simplifiée ; nous avons souhaité en être saisi et tenir un débat en séance publique compte tenu des enjeux.
M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis. - L'actualité de ce texte ne pourrait pas être plus brûlante en effet, quelques jours seulement après l'exhortation de Ban Ki-moon. La question du réchauffement climatique se pose depuis une trentaine d'années. À l'incompréhension a succédé le doute, avant qu'un consensus scientifique se dégage sur la réalité du phénomène. La prise de conscience de l'urgence à agir est désormais collective et largement répandue dans la société civile. La conférence de Paris de l'année prochaine sera la vingt-et-unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, initiée à Rio en 1992. Les enjeux actuels sont remarquablement présentés dans la note de décryptage de Pierre Radanne, accessible sur Internet dans plusieurs langues et que nous diffuserons plus largement au Sénat. Je remercie le président Maurey de sa perspicacité : nous montrons l'utilité de la commission du développement durable en nous saisissant de ce texte.
Le protocole de Kyoto, signé en 1997, est entré en vigueur en 2005. C'est le premier accord mondial contraignant sur le climat, et le seul à ce jour. Il fixe des objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre aux pays développés comme aux économies en transition, et marque le point de départ d'un processus itératif visant à renforcer les contraintes pesant sur 193 pays, éloignés tant par la géographie que par leur niveau de développement... Autant dire que la construction de la tour de Babel était plus aisée ! De manière originale, le protocole de Kyoto ouvre la possibilité aux États d'atteindre leurs objectifs en réduisant directement leurs émissions ou en finançant des projets verts à l'étranger grâce aux systèmes de mise en oeuvre conjointe et au mécanisme de développement propre. La France devait, entre 2008 et 2012, réduire ses émissions de 8 % par rapport à 1990.
Le bilan de la première période d'engagement 2008-2012 est mitigé. Les États-Unis, qui ont cédé à la Chine leur place de plus gros émetteur mondial, n'ont jamais ratifié le protocole de Kyoto ; le Canada s'en est retiré fin 2012 pour ne pas avoir à répondre du manquement à ses obligations. Au total, les États parties ont obtenu un résultat six fois meilleur que les objectifs de départ, mais seuls les pays d'Europe ont dépassé leurs objectifs, huit des 36 États concernés ayant dû recourir aux mécanismes de flexibilité pour se conformer à leurs engagements. Le respect du protocole de Kyoto résulte en vérité moins des adaptations apportées au mix énergétique que de la tertiarisation des économies des pays en développement. Au niveau mondial, entre 1990 et 2010, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 30 %. Elles ont progressé de 18,5 % au Canada et de 9,5 % aux États-Unis.
C'est le coeur du problème : le protocole de Kyoto, conçu pour établir les engagements de pays développés qui représentaient en 1997 plus de la moitié des émissions mondiales, ne reflète plus la réalité des contributions au réchauffement climatique. La défection des États-Unis a réduit la couverture de la première période d'engagement à 39 % des émissions totales ; la deuxième période d'engagement n'en couvre que 15 %.
Le principe de cette deuxième période a été adopté à la suite de la conférence de Copenhague, qui a marqué un certain recul de la mobilisation collective, en retenant une logique d'engagements volontaires individuels non contraignants. Il a été consacré par l'amendement de Doha, adopté en 2012 à l'initiative de l'Union européenne et à la demande des pays en développement, que nous devons à présent ratifier. Cette deuxième période prolonge l'application du protocole de Kyoto de 2013 à 2020 en fixant un objectif de réduction des émissions d'au moins 18 % par rapport aux niveaux de 1990. De plus, elle prend en compte un septième gaz à effet de serre : le trifluorure d'azote, ou NF3. Cet ajout est capital, puisque ce gaz, que l'on a cru bon de substituer aux hydrofluorocarbures après la signature de la convention de Vienne sur la protection de la couche d'ozone, a la caractéristique épouvantable d'être 17 000 fois plus émetteur de gaz à effet de serre que le CO2. Enfin, l'amendement de Doha introduit de la souplesse dans le dispositif en laissant à chaque partie la possibilité de se fixer des objectifs plus ambitieux.
Il entrera en vigueur le 90e jour suivant la date de réception, par les Nations unies, des instruments d'acceptation d'au moins trois quarts des parties. À ce jour, seulement 21 États sur 144 ont déjà transmis les leurs. L'Union européenne prépare l'adoption d'une décision traduisant l'engagement de l'Union européenne à ratifier l'amendement avant le 16 février 2015 et de faire en sorte que tous les instruments d'acceptation des États membres soient déposés simultanément à l'ONU. Lors de la conférence de Lima, Ban Ki-moon et Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ont appelé à une ratification rapide de l'amendement par tous les États parties. L'amendement de Doha fait ainsi la jonction avec le nouvel accord ambitieux et universel qui doit être conclu à la COP 21 à Paris en décembre 2015.
Un mot sur les négociations en cours. Un accord a été adopté de justesse ce week-end au Pérou, après 36 heures de prolongation de la conférence - Ronan Dantec et Louis Nègre y étaient. Les négociations ont achoppé sur deux points. D'abord, sur le principe de la différenciation, en vertu duquel les pays industrialisés, qui sont les principaux responsables du réchauffement, doivent aider les pays en développement à tenir leurs engagements. Les pays d'Afrique francophone, avec lesquels nous avons des échanges plus aisés, y insistent beaucoup. Or les pays développés restent réticents à contribuer au Fonds vert. Ce serait évidemment plus simple si le taux de croissance mondiale était de 5 % ; malheureusement, ce n'est pas le cas. Si l'accord de Lima rappelle le rôle des pays développés dans le soutien financier aux pays plus vulnérables, il reste muet sur la question du financement. Le principe de différenciation sera au coeur de la préparation de la conférence de Paris.
Deuxième pierre d'achoppement : les contributions nationales. L'idée de présenter de telles contributions au cours de l'année 2015 traduit la volonté de ne pas réitérer l'échec de Copenhague et de rompre avec la logique verticale du protocole de Kyoto. Le résultat de la conférence de Lima est en-deçà des attentes : les contributions que les États sont invités à communiquer seront finalement dépourvues d'informations obligatoires et n'afficheront que la progression par rapport à la situation actuelle. Leur examen par un tiers au cours de l'année 2015 a été envisagé, puis abandonné dans le document final de la conférence. Celui-ci évoque simplement un rapport de synthèse remis au secrétariat exécutif d'ici le 1er novembre 2015, et non plus au premier trimestre ou au premier semestre comme cela avait été envisagé, soit quelques semaines seulement avant la conférence de Paris...
L'accord de Lima reste vague sur les actions à mener d'ici 2020, date d'entrée en vigueur supposée de l'accord de Paris. Le paragraphe 17 ne fait qu'encourager les parties à mettre en oeuvre le présent amendement au protocole de Kyoto. Son annexe de 37 pages, qui constitue le brouillon de l'accord de Paris, est bonne tant dans son architecture que sur le fond ; mais des dizaines d'options restent ouvertes. Reste à obtenir sa validation par les États, paragraphe par paragraphe, selon la technique des crochets. Bref, Lima met en lumière l'écart entre l'état actuel des négociations et l'ambition d'un accord universel et juridiquement contraignant en 2015. Si la prise de conscience de la réalité du changement climatique est plus nette et mieux partagée qu'à Copenhague, notamment grâce au dernier rapport du GIEC, la crise économique a conduit à une réduction du soutien financier aux pays en développement. La mobilisation des sociétés civiles sera essentielle pour obtenir un accord ambitieux et équitable. Le slogan de la conférence de Lima, pon tu parte, ou « prends ta part », souligne l'importance de l'action individuelle.
Le temps ne joue pas en notre faveur, a souligné Ban Ki-moon. Les Français ont d'ailleurs été frappés par la météo fictive d'Evelyne Dhéliat annonçant une température de 42 degrés sur les plages niçoises en 2050... Inondations, sécheresses et événements climatiques extrêmes se multiplient en Europe, en Asie et aux États-Unis. Depuis Copenhague, où les erreurs tactiques des diplomates ont conduit à l'échec, la confiance a été quelque peu ébranlée. Espérons qu'elle soit restaurée à Paris où les problèmes financiers resteront incontournables. Résolument optimiste par nature, je veux y croire. Je souhaite bon vent aux négociateurs et vous propose d'émettre un avis favorable au projet de loi de ratification de l'amendement au protocole de Kyoto.
M. Hervé Maurey, président. - Merci pour cette présentation très intéressante et très complète.
M. Ronan Dantec. - Les négociations à Lima ont été assez laborieuses. Nous avons obtenu le vote du paragraphe 17 invitant à ratifier l'amendement au protocole de Kyoto dans la nuit. M'exprimant au nom des collectivités territoriales, j'intervenais en dernier ; je n'ai eu la parole qu'à trois heures du matin.
L'étape était importante : tout notre système européen de quotas d'émissions de gaz à effet de serre est adossé à ce protocole. S'il fonctionne mal à cause de l'abondance de l'offre et de la faiblesse de la demande due à la crise, on peut espérer que le cours de la tonne de CO2 remonte. Idem pour le mécanisme de développement propre, destiné à orienter des flux financiers vers les pays en développement.
Pourquoi a-t-il été si difficile d'adopter ce qui n'était finalement que le socle de l'accord de Durban ? Parce que les États ont indiqué leurs exigences pour la prochaine COP 21. Somme toute, c'est plutôt bon signe ; la preuve que les parties veulent conclure un accord à Paris.
Fait nouveau, le G77, qui rassemble les pays du Sud et l'ancien bloc des pays non-alignés, n'a pas su parler d'une seule voix. Le groupe africain, emmené par le Soudan, a très clairement fait savoir qu'un accord sur le développement conditionnera la réussite de la conférence. L'Afrique, on s'en souvient, avait joué un rôle-clé dans le cycle de Durban en mettant sur la table des négociations quelque chose de tout à fait nouveau : la contribution des grands émetteurs en contrepartie d'une aide au développement propre. La Chine y avait même perdu un moment la maîtrise des négociations... À Copenhague, on avait arrêté le chiffre de 100 milliards de dollars par an pour alimenter le Fonds vert ; nous n'en sommes qu'à 10 milliards d'engagement pour quatre ans. L'autre groupe, par la voix de la Malaisie, défend entre autres les intérêts de la Chine. Ce groupe a insisté sur le principe de responsabilité commune et différenciée : aux anciens émetteurs d'assumer leurs responsabilités sans entraver le développement des émergents. Autrement dit, nous devrons travailler sur une définition plus précise de l'équité. Pour l'heure, seuls les Suisses se sont attelés à cette tâche.
Les grandes lignes des engagements sur les émissions de gaz à effet de serre qui seront discutées à Paris sont déjà connues. L'hypothèse d'une augmentation moyenne de la température du globe de trois degrés fait consensus, c'est dire le chemin qu'il reste à parcourir pour la limiter à 2°C. La société civile doit y prendre toute sa part. Dans l'entretien qu'il a accordé aux Échos hier, Brice Lalonde appelle de ses voeux la formation de dynamiques transversales, au-delà des frontières - une logique semblable à celle qu'appliquent les collectivités territoriales qui ont malheureusement perdu, dans l'accord final de Lima, le mécanisme de soutien qu'elles espéraient.
M. Jean-Jacques Filleul. - Merci, Monsieur Bignon, pour votre rapport passionnant et, Monsieur Dantec, pour les éclairages que vous avez apportés sur la complexité des enjeux à Lima. Le groupe socialiste soutiendra évidemment l'adoption de ce projet de loi.
La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
Communication du président
M. Hervé Maurey, président. - Le 12 janvier, le président Larcher organisera à Bordeaux une journée hors les murs sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, comme il l'a fait pour le projet de loi NOTRe à Chartres. La commission du développement durable et la commission des affaires économiques participeront à cette journée. Je vous communiquerai ultérieurement le programme exact, qui est en cours de finalisation.
En tant que président de notre commission, je dois remettre fin janvier une contribution au groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat formé par le président Larcher. Je vous invite à me faire part de vos suggestions d'ici là. Je vous présenterai mon projet de texte lors d'une réunion fin janvier.
La réunion est levée à 10 h 45.
Mercredi 17 décembre 2014
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Transition énergétique pour la croissance verte - Table ronde de think tanks
La réunion est ouverte à 9 heures 35.
M. Hervé Maurey, président. - Je tiens tout d'abord à remercier nos invités de leur présence.
La commission a voulu organiser cette table ronde avec un certain nombre de représentants des principaux think tanks afin d'éclairer le débat sur la transition énergétique qui va s'ouvrir au Sénat dès la rentrée de janvier avec l'examen du projet de loi par notre commission, avant d'être abordé dans l'hémicycle au mois de février.
Le Sénat a opté pour une solution différente de l'Assemblée nationale, qui a créé une commission spéciale chargée d'examiner le texte. La Haute assemblée a décidé que chacune des deux commissions concernées examinera une partie du texte, la commission du développement durable se chargeant en particulier des questions de transport et de mobilité, de l'économie circulaire, des risques nucléaires, des énergies renouvelables et des déchets.
Louis Nègre a été nommé rapporteur de ce projet de loi et a déjà réalisé un grand nombre d'auditions.
Nous avons estimé qu'il était bon de vous entendre pour élever le débat.
Géraud Guibert et Arnaud Gossement représentent La Fabrique écologique qui s'est notamment penchée sur le rôle des territoires dans la transition énergétique, sur l'articulation entre les priorités énergétiques nationales et les stratégies énergétiques territoriales. Vous savez que le Sénat est très attentif à la place et au rôle des collectivités territoriales. Nous serons donc très heureux de vous entendre à propos du modèle de « décentralisation énergétique » que vous appelez de vos voeux.
Denis Voisin, représente la fondation Nicolas Hulot qui a construit une déclaration mettant en avant les cinq principes essentiels que sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la maîtrise de la demande énergétique, le développement des énergies décarbonées, la sortie de la précarité énergétique, et l'encouragement à l'innovation.
Nous serons heureux de vous entendre pour savoir si, selon vous, le projet de loi permet d'avancer en ce sens. Vous aurez certainement des choses à nous dire sur les enjeux de la « démocratie écologique », dans un contexte où la question de l'acceptabilité des projets est essentielle, même si elle est parfois compliquée à obtenir.
Jean-Marc Jancovici et Brice Mallié, vous représentez The Shift Project, qui a l'originalité de croiser l'expertise scientifique et les enjeux économiques. Vous avez élaboré un certain nombre de scénarios de transition au niveau national, mais aussi au niveau européen.
Vous évoquerez certainement le projet de « cartographie de la transition carbone », que vous avez initiée dès 2012, le « passeport efficacité énergétique », outil que vous proposez en matière de rénovation énergétique, et votre projet de société de financement de la transition énergétique, que vous conduisez avec la fondation Nicolas Hulot.
Enfin, Esther Jourdan, Pierre Musseau et Corentin Sivy, vous travaillez sur la question de la transition énergétique allemande avec la fondation Terra Nova. Vous insistez beaucoup sur la dimension européenne de la transition énergétique et sur l'opportunité de relance par l'investissement qu'elle constitue. Nous souhaitons vous entendre sur ces sujets.
Pour commencer, quel est le rôle des territoires dans la transition énergétique ?
M. Géraud Guibert. - Nous vous remercions tout d'abord de nous avoir conviés à cette table ronde. Cela n'a pu se faire à l'Assemblée nationale. Or, nous pensons que cela peut être utile...
Un mot de présentation de la Fabrique écologique, qui constitue une création récente ; celle-ci remonte en effet à un peu plus d'un an et a pour principale caractéristique d'être pluraliste et transpartisane. Elle a, tant dans son conseil d'administration que dans son conseil d'orientation, des représentants des entreprises, des ONG, des syndicats, mais aussi des représentants des différents partis politiques de l'arc républicain. C'est donc une création assez originale, où siègent les responsables de la majorité et de l'opposition.
Elle exige par ailleurs une grande rigueur et une large objectivité dans le suivi de ses travaux. Nous avons mis en place un certain nombre de procédures de validation pour les garantir.
Enfin la volonté d'innovation vis-à-vis de l'articulation entre l'expertise et la concertation avec les populations est très forte. Nous en sommes à notre huitième note et sommes sur un rythme de six à huit notes par an correspondant à ces caractéristiques.
S'agissant du sujet qui nous occupe, nous avons mené trois catégories de travaux, dont les premiers portaient sur la décentralisation énergétique. Il s'agissait d'un groupe de travail très large, représentant l'ensemble des acteurs. Tout cela se trouve sur notre site Internet.
En deuxième lieu, nous avons réalisé un travail sur la rénovation thermique des logements, avec toute une série d'acteurs. Une note a été publiée il y a quelques mois à ce sujet.
Enfin, avec Arnaud Gossement, nous avons coprésidé un groupe de travail destiné à examiner le projet de loi sur la transition énergétique et avons, à cette occasion, proposé une douzaine d'amendements significatifs sur le projet de loi tel qu'il a été déposé à l'Assemblée nationale.
Seule une partie de ces amendements a été reprise. Nous ferons un point rapide avec vous sur les points qui nous paraissent importants à signaler à ce sujet.
Je désirerais formuler deux remarques introductives, qui me paraissent importantes. En premier lieu, nous sommes dans un contexte extrêmement mouvant, marqué depuis quelques semaines par une très forte baisse du prix du pétrole, qui est passé de 110 dollars à moins de 60 dollars le baril.
Toute la stratégie de transition énergétique peut être marquée par cette évolution du prix du pétrole, qui a certes pour conséquence de rendre moins rentable, voire non rentable, un certain nombre de productions de gaz de schiste ou de schistes bitumineux, au Canada ou ailleurs, mais qui peut aussi porter un coup de frein important à la stratégie de transition énergétique par le biais des prix et de la diminution de l'incitation à entreprendre des travaux d'économie d'énergie.
On a connu la même situation dans les années 1980. Il est nécessaire de renforcer un certain nombre d'outils : si on ne fait rien, on prépare en effet le choc pétrolier suivant. La stratégie dans son ensemble, y compris la stratégie climatique, est fortement handicapée par l'évolution du prix du pétrole.
Le second aspect sur lequel toute la Fabrique écologique a travaillé concerne le fait qu'il manque selon nous une réflexion à propos du cadrage macroéconomique de la transition énergétique. La transition énergétique est une stratégie qui vise à remplacer des flux de matière et d'énergie par un capital et des investissements supplémentaires. La question de savoir comment faire en sorte d'arriver à un niveau d'investissement plus important se pose donc inévitablement dans nos économies.
Des réflexions ont été menées, mais ce sujet reste présent ; il doit faire l'objet de discussions, car il est aujourd'hui encore extrêmement mal réglé.
En matière d'isolation thermique des logements, une série d'amendements ont été proposés et retenus par l'Assemblée nationale ; ceux-ci figurent actuellement dans le projet de loi. Je suis moi-même élu local : nous connaissons tous, sur nos territoires, le problème que constituent les « passoires énergétiques ». Il faut distinguer les quelques millions de personnes en situation difficile, du fait d'une facture énergétique de plus en plus élevée, de celles qui, en outre, vivent dans des logements indécents. On ne les a pas identifiés, mais cela peut concerner plusieurs centaines de milliers d'individus.
De ce point de vue, le texte introduit un critère énergétique relatif aux logements décents. C'est un élément important, mais insuffisant. Selon nous, un dispositif d'identification est nécessaire, un certain nombre de personnes venant solliciter des aides en cas de défaut de paiement de leur logement. Le dispositif actuel ne tient pas suffisamment compte des travaux qui pourraient être réalisés a minima pour éviter que cette aide ne se prolonge année après année. En effet, un volume limité de travaux pourrait permettre d'améliorer certaines situations.
Nous avons fait une proposition d'amendement, le premier stade étant celui de l'identification des situations concernées. C'est un sujet relativement important ; il commence à être traité, mais insuffisamment selon nous.
Le second sujet concerne la gouvernance. Compte tenu de l'évolution technique, les énergies décentralisées vont inévitablement se développer, mais à un rythme différent. Certaines vont le faire de façon décentralisée, ce qui pose un problème de cohérence vis-à-vis de leur développement, du fait de l'architecture du réseau électrique, même si certaines débouchent sur la chaleur et, vis-à-vis du modèle énergétique français. Celui-ci paraît néanmoins devoir être sauvegardé si l'on veut conserver les atouts que constituent la péréquation et la continuité du service public.
La base de notre réflexion a donc consisté à parvenir à concilier cette nécessaire décentralisation énergétique avec les grandes caractéristiques du système français.
Aujourd'hui, le système est totalement déresponsabilisant, les collectivités locales, en particulier les régions, étant chargées, par l'intermédiaire de la réalisation de schémas territoriaux, du développement des énergies décentralisées ou renouvelables, sans aucune articulation entre ce qu'elles peuvent entreprendre dans ce domaine et les conséquences que cela peut avoir sur les réseaux, ou en termes de contribution au service public de l'électricité, dont chacun sait que le volume a augmenté très rapidement ces dernières années.
Comment rendre de la cohérence au système ? Si l'on n'y parvient pas, quelques grandes métropoles prendront un jour en main la distribution d'électricité et d'énergie, de manière inadaptée, alors que l'on sait que la solidarité entre l'urbain et le rural est nécessaire.
La ligne de réflexion que nous avons proposée met en avant un système équivalent à celui auquel recourt la SNCF pour ses TER. Les régions, autorités organisatrices des énergies décentralisées, à la fois pour la production et l'ajustement du réseau de distribution, passeraient convention avec l'opérateur national ERDF pour mettre ces orientations en oeuvre, tout en prenant financièrement en charge l'adaptation du réseau à la distribution, grâce à une part du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE).
Le projet de loi nous paraît à cet égard insuffisant, la programmation pluriannuelle de l'énergie, nouveauté de ce projet de loi, étant une stratégie totalement descendante. C'est pourquoi nous avons proposé des amendements destinés à y intégrer les schémas des régions, à la faveur d'un dialogue entre les régions et l'État, afin de parvenir à une programmation pluriannuelle de l'énergie prenant en compte les stratégies énergétiques régionales.
Nous avons également proposé des amendements afin que des régions, voire des autorités locales, puissent par exemple prendre financièrement en charge le raccordement au réseau, afin de permettre progressivement davantage de cohérence dans le domaine des énergies décentralisées.
M. Arnaud Gossement. - Quelques observations plus juridiques, puisque c'est là mon métier, à propos de la gouvernance, les déchets et les énergies renouvelables.
La Fabrique écologique a souhaité souligner un paradoxe en matière de gouvernance. Nous sommes dans un contexte de réforme territoriale, avec la fusion des régions et la discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).
Le lien entre le texte qui nous occupe aujourd'hui et les deux autres n'est pas réalisé. C'est un premier regret...
Le second regret vient du fait que le texte sur la transition énergétique adopte une logique qui va du haut vers le bas.
Trois outils de pilotage en matière de transition énergétique sont prévus: le budget carbone, la stratégie nationale bas carbone, et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). En soi, ces outils paraissent très intéressants, notamment du fait de leur caractère pluriannuel pour la PPE.
Le problème vient de ce qu'ils sont tous trois adoptés par décret. C'est donc l'administration qui va décider de ces trois projets...
J'entends bien que l'Assemblée nationale désire être efficace et aller vite. Toutefois, l'absence de consultation des régions risque d'entraîner des incohérences de planification, qui peuvent elles-mêmes engendrer complexité et contradictions
Le temps gagné en amont risque ainsi d'être perdu en aval. Or, les régions sont chefs de file en matière de climat et d'énergie depuis la loi du 24 janvier 2014 et vont pouvoir, dans le cadre de la loi NOTRe, recourir au Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), qui va inclure le plan déchets et les schémas régionaux climat, air, énergie. On va de la sorte se retrouver avec une planification de l'énergie par les régions et une planification de la transition énergétique par l'État sans lien entre les deux.
Nos amendements proposent que les régions soient associées au projet de programmation pluriannuelle de l'énergie, afin de pouvoir donner leur avis, et que les conseils régionaux puissent également s'assurer de la cohérence entre leurs projets et les projets nationaux.
On peut fort bien imaginer un délai de six mois, au terme duquel l'avis devient favorable. Certes, on perdra peut-être quelques mois au début, sans que cela soit certain, mais cela permettra l'information et une meilleure articulation entre les différents niveaux de planification.
En matière de gouvernance, le chef de l'État appelle à un choc de simplification. Or, de nouveaux plans apparaissent dans les différents projets de loi. On pourrait limiter leur prolifération et les contradictions, de manière à simplifier les choses.
Le Sénat ne peut qu'être sensible à cet objectif de simplification. Je crois que l'avenir est au schéma régional unique. On va vers l'autorisation unique : il faut donc également aller vers le schéma régional unique, pour donner une vraie compétence aux régions, avec des orientations qui s'imposent au niveau infrarégional !
Le projet de loi Macron propose des mesures de simplification au stade du projet : c'est bien trop tard ! C'est au moment de la planification, à l'origine, qu'il faut faire participer le public et réduire le nombre de schémas.
Le deuxième point sur lequel nous avons réfléchi, toujours dans une optique territoriale, concerne les déchets.
Le projet de loi comporte un titre relatif à l'économie circulaire et aux déchets. La définition de l'économie circulaire que nous avions proposée a été enrichie par les députés, qui ont intégré explicitement, à l'article 19, l'échelle territoriale pertinente. Cette définition nous paraît bonne, en l'état actuel des choses. J'attire toutefois votre attention sur le fait qu'il existe un autre article intéressant, qui permet de faire en sorte que l'économie circulaire ne soit pas seulement un slogan à la mode : il s'agit de l'article 19 ter, où figure la commande publique.
En effet, la loi relative à l'économie sociale et solidaire, que vous avez votée l'été dernier, permet de demander aux grands pouvoirs adjudicateurs que constituent essentiellement les régions de créer un schéma de promotion des achats publics responsables. En l'état, il ne comporte qu'un volet de réflexion sur l'économie sociale et solidaire. L'Assemblée nationale a accepté notre proposition d'y inclure une réflexion sur l'économie circulaire. Il ne s'agit pas d'imposer, mais de proposer une réflexion aux pouvoirs adjudicateurs permettant, à terme, de définir des critères d'achat en matière de marchés publics. Les marchés publics représentent près de 400 milliards d'euros par an ; c'est un levier considérable pour encourager des économies locales. Ce sont ces entreprises locales, ces circuits courts, ces entreprises de recyclage qui vont bénéficier de la planification des achats publics. Je vous invite donc à ne pas toucher à l'article 19 ter !
Enfin, avec la Fabrique écologique, nous nous réjouissons qu'il existe un titre relatif aux déchets. L'économie des déchets participe à la lutte contre le changement climatique, on l'oublie trop souvent. Le problème de ce titre vient du fait que le législateur ne tranche pas sur la manière de les gérer.
Je n'ai déjà que trop ennuyé M. Nègre avec cette affaire, mais il faut choisir ! Je sais que cela suscite souvent des débats passionnés entre les élus locaux. Beaucoup de sénateurs sont très informés de ces questions relatives aux nouveaux éco-organismes, à l'extension des périmètres des filières de recyclage ou à la responsabilité élargie du producteur (REP).
Or, le texte ne tranche notamment pas la question cruciale des déchets du BTP. Un mécanisme de récupération par certains distributeurs de déchets du BTP existe déjà. Le Sénat pourrait régler le problème en proposant ce modèle, et apporter ainsi sa plus-value. Il ne ferait qu'adapter les choses.
Ainsi, à l'article 21, bien qu'on ne veuille pas de nouveaux éco-organismes, on fait reposer la charge de la prévention en amont et en aval de la production de déchets. Ce sera bénéfique pour certaines filières mais moins pour d'autres, et entraînera des inégalités. Certains éco-organismes vont demander de l'argent à leurs adhérents, qu'ils vont ensuite leur rendre. Je pense aux éco-organismes de déchets professionnels, qui n'ont pas affaire aux collectivités territoriales. L'article 21 me paraît donc incohérent du point de vue juridique, faute d'une politique territoriale claire en matière de collecte et de traitement des déchets.
Enfin, s'agissant des énergies renouvelables, cette loi est l'occasion de trancher des débats vifs, polémiques, passionnels, comme celui relatif à l'énergie éolienne.
Deux axes sont possibles. Il faut tout d'abord améliorer la planification. On devait le faire à la suite du Grenelle avec les schémas régionaux climat, air, énergie. C'est un relatif échec. J'attire votre attention sur le fait que le tribunal administratif de Paris, le 13 novembre 2014, a annulé le schéma régional éolien d'Île-de-France, ce qui fait peser une insécurité juridique sur les autres schémas.
Le Conseil constitutionnel a également reproché au schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie de ne pas suffisamment encadrer la participation du public. Or, il serait plus intelligent de faire participer le public en amont, lors de la planification, plutôt qu'en aval, les enquêtes publiques n'attirant personne, sauf des citoyens qui ne changeront pas d'avis.
On pourrait déplacer la participation plus en amont, comme le propose le Conseil constitutionnel, qui appelle d'ailleurs le législateur à la repenser. Il est dommage que l'Assemblée nationale ne se soit pas saisie de cette décision.
S'agissant de l'éolien, outre un problème de planification, il faut simplifier ce régime. Tout le monde est aujourd'hui perdant : les opposants qui ont l'impression d'être consultés lorsque les jeux sont faits ; ceux qui y sont favorables mais qui sont confrontés à une montagne de normes inouïe. On peut simplifier le système en améliorant la concertation et en ne laissant pas les élus tout seuls.
Un amendement, que nous avions également soutenu, a été proposé à l'Assemblée nationale pour faire passer l'énergie éolienne du régime de l'autorisation lourde au régime de l'enregistrement. Les porcheries, et, hier, les installations de stockage de déchets inertes, sont passées au régime de l'enregistrement. Pourquoi une éolienne est-elle considérée, en droit, comme plus dangereuse qu'une porcherie, et aussi dangereuse qu'une raffinerie ou qu'un incinérateur ? On pourrait fort bien, en consolidant la participation en amont, avoir un registre d'enregistrement en matière d'éolienne. L'Assemblée nationale a adopté une mesure de simplification, mais uniquement concernant la loi littorale...
Il est en outre dommage de ne pas valoriser les autres filières. J'attire votre attention sur le fait qu'en matière d'obligation d'achat, l'État veut passer à un système de complément de rémunération. Il s'agit d'une recommandation de la Commission européenne. La France, pour une fois, transposera une recommandation de la Commission européenne avant que le texte ne soit publié ! Pourquoi pas ?
Toutefois, la loi ne dit rien sur la période transitoire. On va donc créer de l'incertitude chez les investisseurs, quels qu'ils soient et quelles que soient les énergies renouvelables. Lorsque la loi sera publiée au Journal officiel, seules les installations d'énergie renouvelable listées par décret pourront bénéficier d'une obligation d'achat.
Or, on ne sait pas où se trouve aujourd'hui le décret. Les autorités en charge de l'obligation d'achat, principalement EDF, pourront donc attendre de connaître les installations concernées pour les faire bénéficier du système.
M. Hervé Maurey, président. - Monsieur Voisin, quels sont, selon vous, les principes à respecter pour une véritable transition énergétique ?
M. Denis Voisin. - J'insisterai plus spécialement sur quatre points, concernant la fiscalité, le bâtiment, la mobilité et la démocratie.
La fondation Nicolas Hulot est relativement satisfaite du texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous avions fait une trentaine de propositions, dont beaucoup ont déjà été intégrées dans ce texte.
Il reste cependant beaucoup de choses à préciser et à améliorer, voire à intégrer.
Je veux insister, dès le début de mon propos, sur l'article relatif à la fiscalité, qui fixe l'objectif d'un élargissement progressif de la part carbone de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Cette part carbone a été mise en place en France en 2014. Les tarifs ont été fixés jusqu'en 2016. Il nous paraît essentiel de faire figurer dans le projet de loi, qui fixe de grands objectifs à long terme, un objectif d'évolution de cette fiscalité, alors que le prix du baril baisse fortement.
Les travaux conduits précédemment par de nombreux groupes d'experts fixaient un objectif de 100 euros par tonne de CO2 en 2030. C'est un levier puissant pour favoriser l'innovation et la réduction des émissions. Il s'agit d'un élément important, que nous vous demandons de réintégrer dans l'article concerné.
Le Comité pour la fiscalité écologique avait établi des propositions en ce sens l'année dernière ; il va être bientôt relancé pour continuer à travailler sur ce sujet.
Un autre point consiste à permettre aux collectivités locales d'expérimenter un certain nombre d'outils, comme celui de l'écotaxe. Il s'agit de mesures liées à la pollution de l'air, qui pourront être mises en place après le développement d'un système d'identification des véhicules polluants.
Pour ce qui est du bâtiment, deux priorités n'ont pas été traitées complètement. La première consiste en un grand plan de rénovation énergique des bâtiments de l'État ou du parc tertiaire public.
Ce projet de loi pourrait pour le moins mentionner l'obligation pour le Gouvernement de présenter un rapport détaillant sa stratégie en matière de rénovation du parc de l'État à l'horizon de 2050.
La précarité énergétique constitue un autre point important. Des objectifs chiffrés existent. Il faut préciser les moyens d'y arriver, qui ne sont pas très clairs pour le moment. Nous avons l'impression que la politique mise en oeuvre est insuffisante pour atteindre ces objectifs. On a du mal à progresser, et la précarité énergétique se développe.
J'aimerais insister aussi sur un sujet pris en compte dans ce projet de loi, celui de la mobilité. Vous avez la chance de bénéficier des travaux qui ont été conduits dans le cadre de la conférence environnementale 2014, où une table ronde a été consacrée à ce sujet. Je sais que M. Nègre y assistait. Beaucoup de propositions intéressantes y ont été formulées ; elles donnent des pistes pour enrichir ce texte.
Certaines avancées ont été réalisées en matière de véhicules propres. Les obligations destinées à certaines flottes privées sont intéressantes.
Un point semble assez facile à mettre en oeuvre. Il s'agit de l'obligation renforcée pour les collectivités de s'équiper en véhicules propres. Elle remonte à la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (LAURE). Elle n'est pas contraignante et n'a jamais été assortie de sanctions. Nous proposons d'introduire une sanction financière minime, dont le résultat serait affecté à un fonds pour le développement des véhicules propres.
La conférence environnementale 2014 a mis en relief les problèmes liés au diesel. Le discours du Premier ministre à ce sujet a été très allant, et les collectivités prennent également des initiatives en ce sens.
Deux points restent selon nous à préciser dans ce texte, qui introduit une prime à la conversion. Les modalités d'octroi de cette prime ne sont pas suffisamment définies. Pour sortir du diesel, on a besoin d'une politique sociale. Beaucoup de personnes en situation de mobilité précaire possèdent des véhicules diesel. Cette politique doit les concerner. Or, cette mesure n'atteint pas sa cible ; elle devrait être accordée sous conditions de ressources afin de permettre à ceux qui en ont le plus besoin d'acheter des véhicules d'occasion plus performants, de type Eurocat.
Le Gouvernement s'est engagé à étudier ces solutions, mais il nous paraît important d'insister sur cette démarche, qui constitue une mesure de lutte contre la précarité énergétique dans le domaine de la mobilité.
Une proposition de loi de la sénatrice Aline Archimbaud sur le diesel souligne, dans son article 2, l'important écart qui existe entre les émissions réelles des véhicules diesel neufs, dont les performances se sont beaucoup améliorées, et les véhicules de même type plus anciens. Par ailleurs, un écart sérieux apparaît entre les émissions réelles mesurables sur la route et celles évaluées sur banc d'essai, lors des tests d'homologation.
Un certain nombre d'études ont démontré l'existence d'écarts importants en matière d'oxydes d'azote (NOx), sur lesquels il conviendrait de se baser pour conduire les politiques publiques, comme l'a par ailleurs souligné l'ADEME. Il est en effet aberrant que des politiques comme le bonus-malus se basent sur des tests dont on sait qu'ils ne correspondent pas à la réalité ! Ce projet de loi pourrait y remédier.
Un consensus est apparu dans le cadre du débat sur la transition énergétique à propos de l'effet de la baisse des vitesses de dix kilomètres par heure sur route. Cette proposition est née lors de la Conférence environnementale 2014. Il nous paraît important de réintroduire dans ce texte la nécessité de réaliser une étude faisant le point sur les bénéfices environnementaux et les impacts socio-économiques d'une telle mesure.
Le texte se donne par ailleurs pour objectif de développer les plans de mobilité pour les entreprises de plus de cent salariés, ce qui constitue une très bonne chose. La nécessité de définir les plans de mobilité est également apparue lors de la Conférence intergouvernementale 2014. Comment les construit-on au sein de l'entreprise, en lien avec les collectivités locales ? Cela nécessite d'être précisé, en cohérence avec les conclusions de la Conférence environnementale 2014...
Quant aux performances des véhicules, il nous paraît important d'afficher des objectifs français de performance des véhicules, en termes d'émissions de CO2 et de particules. Certaines directives européennes fixent en effet des objectifs pour 2020, mais il est prévu de les repousser à plus tard. La position de la France à ce sujet est assez inquiétante, et il serait bon de fixer des objectifs nationaux. On sait en effet qu'il existe un lobby allemand important destiné à ne pas avancer sur ce sujet au niveau européen. Le texte pourrait préciser ce point.
Enfin, s'agissant de la gouvernance et de la démocratie, nous sommes favorables à une certaine transparence de la programmation pluriannuelle de l'énergie, à la mise en place un comité d'experts pluralistes, dont la composition reste à préciser, et à la relance des comités citoyens, afin de continuer à développer la pédagogie en matière de politique énergétique.
Certains sujets portant sur la participation et la gouvernance sont bien plus vastes. Le discours du Président de la République en la matière est apparu assez engageant. Un chantier va s'ouvrir à ce sujet, du moins l'espérons-nous. Nous pensons qu'une loi sur la participation du public et la démocratie participative est nécessaire. Il ne faudrait pas qu'on légifère par ordonnance, comme propose de le faire le projet de loi Macron, mais que ces travaux puissent aller plus loin , en poursuivant ceux menés dans le cadre de la modernisation du droit de l'environnement.
Certaines propositions concernant le commissaire enquêteur ont été faites dans le cadre du rapport Tuot sur la réforme du code minier : des groupes d'enquête à durée déterminée pourraient gérer les appels d'offres relatifs aux projets d'infrastructures, évitant ainsi les conflits d'intérêt et définissant les modalités de participation à des projets sensibles. Ces pistes sont à creuser et nous y reviendrons par la suite, en dehors de ce projet de loi.
Nous avons réalisé deux publications, l'une sur la mobilité et la précarité, l'autre sur la mobilité et la question des territoires périurbains et ruraux, dont les problématiques sont très différentes. Beaucoup de propositions y figurent : elles pourraient être intégrées à ce texte.
M. Hervé Maurey, président. - MM. Jancovici et Maillé vont à présent évoquer les questions de financement et de modèle économique, liées à ce projet de loi.
M. Jean-Marc Jancovici. - The Shift Project est presque ici par accident. Nous avons en effet vocation à nous adresser avant tout au monde économique, à la différence de nos collègues ici présents, et non en premier lieu au monde politique ou aux Français. Notre nom anglophone s'explique par notre orientation européenne.
On a, tout à l'heure, évoqué une logique allant du haut vers le bas. Il faut également s'intéresser à ce qui se passe à l'échelon européen. La France n'est pas seule au monde, un certain nombre de textes européens encadrant ce que nous pouvons faire.
En outre, les Français ne décident malheureusement pas seuls de la quantité de pétrole et de gaz qu'ils veulent consommer.
Le tropisme de The Shift Project tend vers l'économie. Notre écosystème premier, c'est le monde économique, qui a envie de réconcilier la préservation de notre maison commune avec une fiche de paye. Nos concitoyens, se préoccupent en ce moment beaucoup de leur fiche de paye. Tous les sondages expliquent leur attachement à l'environnement mais, en votant avec leurs pieds, ils agissent différemment, ce qui est normal : le monde économique a une importance centrale dans les démocraties. Savoir si on souhaite ou non ces réformes est un débat aujourd'hui dépassé !
L'idée un peu folle de The Shift Project est d'essayer de réconcilier des objectifs environnementaux, qui ont souvent, tels qu'on les voit, un substrat scientifique fort, avec des objectifs économiques : si, dans un monde qui préserve l'environnement, on n'est pas capable de dire à qui on donne une fiche de paye, et pour quoi faire, on reste dans le débat de surface et on n'a pas beaucoup avancé !
Quelques éclairages généraux sur l'énergie et la transition énergétique...
Je rappelle tout d'abord que l'énergie, avant d'être un sujet de débat, constitue une grandeur physique qui mesure les flux, qu'il s'agisse de chaleur, de mouvement, ou de réaction chimique. Sans énergie, il n'existe pas de vie, pas d'économie, pas d'évolution ; inversement, plus il y a d'énergie, plus il se passe de choses autour de nous.
La consommation d'énergie d'un individu n'est donc rien d'autre que son aptitude à modifier l'espace qui l'environne : plus il a d'énergie, plus il peut déplacer d'objets, plus il peut les chauffer, les refroidir, plus il peut transformer de choses, etc.
Cela signifie, soit dit en passant, que l'énergie propre est, par définition, impossible à mettre en oeuvre. Demeurer propre, c'est ne rien faire ; disposer de beaucoup d'énergie, c'est réaliser énormément de transformations. Les énergies propres sont des énergies infinitésimales. Dès qu'elles cessent de l'être, elles ne sont plus propres.
Enfin, l'énergie permet aux machines de fonctionner. Une usine avec des machines et des ouvriers, mais sans énergie, ne peut produire. Une voiture sans pétrole ne permet pas de se déplacer, etc. L'énergie est donc un des éléments indispensables au fonctionnement du monde industriel dans lequel nous vivons.
Le parc de machines qui nous environnent représente, en France, cinq cents fois la puissance musculaire de la population. La puissance à l'oeuvre en permanence des réfrigérateurs, des pompes qui amènent l'eau jusqu'à nous, des voitures, de l'éclairage, des usines qui fabriquent nos vêtements et nos chaises, etc., si on l'additionne, représente la puissance musculaire de la population.
Cela signifie que la puissance économique est, en première approximation, fonction du nombre de machines et de la quantité d'énergie qu'elles consomment, et non fonction de la taille de la population !
C'est la raison pour laquelle la production économique de la France a pu, pendant un siècle, dépasser celle de la Chine, alors que nous sommes bien moins nombreux que les Chinois. Le jour où le nombre de machines par personne, en Chine, deviendra équivalent au nombre de machine par personne en France, le PIB chinois représentera vingt fois le PIB français et je ne vois pas comment y échapper !
L'énergie, c'est ce qui permet à la civilisation industrielle de gérer les flux et la contrepartie économique de ces flux. Une loi de transition sur l'énergie, c'est en fait une loi de transition, sur l'organisation de la société, sur le pouvoir d'achat, sur la part des diverses activités économiques, sur la géopolitique, sur l'Europe, sur l'espérance de vie, sur l'éducation et la qualité des soins.
Le document que nous avons distribué indique que l'essentiel de l'énergie qui permet à la France de fonctionner provient des hydrocarbures, très loin devant l'électricité.
La matière qui permet à l'énergie d'être disponible en France provient à 45 % du pétrole, qui n'est pas produit en France, à 25 % du gaz, qui n'est pas produit en France, et enfin du nucléaire. L'uranium n'est pas non plus produit en France mais, alors que nos importations de pétrole et de gaz nous ont coûté l'an passé 70 milliards d'euros, l'uranium nous est revenu à 1 milliard d'euros ! Certes, on importe, mais les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes : même le charbon nous coûte plus cher que l'uranium.
Bien évidemment, ce sont les combustibles fossiles qui sont à l'origine de la quasi-totalité des émissions de CO2. L'électricité non fossile, quelle qu'elle soit, n'y concourt que peu, sauf au moment de la production, et éventuellement dans le cadre des cycles amont et aval.
La consommation de pétrole et de gaz est déjà en décrue en Europe, d'environ de 2 % par an : la production de la mer du Nord est en déclin, et la production mondiale, nonobstant les gaz et les pétroles de schistes, est à peu près étale depuis 2005. La part importée de l'Europe est donc en baisse, la consommation domestique de pays producteurs et la consommation des pays émergents étant en hausse.
Si l'on se penche sur la quantité de pétrole consommée dans le monde et sur le prix du pétrole sur un siècle, on observe qu'il n'existe pas de lien entre la quantité disponible et le prix, même si cela peut paraître étonnant. Affirmer que, le prix du pétrole baissant, on va pouvoir en disposer de grandes quantités est faux ! De même, il est faux de prétendre que, le prix du pétrole augmentant, on risque d'en manquer. Il suffit de se référer aux séries longues pour s'en convaincre. Je suis d'accord avec Géraud Guibert : ce qui s'annonce, c'est le prochain choc et la prochaine récession !
La loi de transition énergétique doit malheureusement s'inscrire dans un paysage économique qui sera désormais sans croissance, voire en récession structurelle. Supposer que l'on va disposer de davantage d'argent public et que l'on va pouvoir conserver tous les usages publics dont on bénéficie déjà, tout en finançant des dépenses supplémentaires, est loin d'être évident. Cela peut aller de pair avec un endettement croissant, s'il est affecté à quelque chose que l'on estime indispensable mais, un jour ou l'autre, l'endettement croissant, dans une économie sans croissance, se solde par de l'hyperinflation ou du défaut de paiement.
Le gaz est également en déclin en Europe depuis 2005 ; j'attire votre attention sur le fait que, pour le gaz comme pour le pétrole, le déclin a démarré avant la faillite de Lehman Brothers. Je ne souscris pas à l'idée que l'on consomme moins de pétrole du fait de la crise. Nous avons d'abord disposé de moins de pétrole, puis nous avons subi la crise.
Vous le savez, puisque vous votez tous les ans le budget de la nation : l'endettement de l'État et l'augmentation du chômage, difficiles à endiguer dans ce pays, ont débuté depuis que la production mondiale du pétrole s'est fortement ralentie, lors des chocs pétroliers de 1974 et 1979.
Les flux industriels, dans tous les pays de l'OCDE, sauf aux États-Unis, sont à la baisse depuis 2007, et l'approvisionnement énergétique des pays de l'OCDE a tendance à baisser. La France est dans la moyenne des autres pays en matière de dépenses d'importation de pétrole et de gaz depuis vingt ans. Il ne s'agit donc pas de petites sommes.
La loi de transition énergétique devrait avoir pour objectif de débarrasser l'économie française du pétrole et du gaz, ce qui n'est pas le cas ! Il s'agit en effet essentiellement d'une loi sur l'électricité qui, de notre point de vue, ne pose pas de problème majeur pour le moment.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Vous le savez, les grands objectifs de campagne ne correspondent pas nécessairement à l'application de la règle de trois !
Nous proposons donc de décarboner l'économie, pour une très large part grâce à des économies et, pour une part non négligeable, par un changement de mix énergétique. The Shift Project n'est pas favorable à la baisse du nucléaire. Nous estimons que ce n'est pas la priorité dans le contexte actuel, loin s'en faut !
Notre philosophie générale est que nous sommes désormais dans une course contre la montre. Si l'on reste les bras croisés, on ne peut préserver le pouvoir d'achat, ni le PIB français. On assiste à sa lente érosion, du fait de la décrue du pétrole et du gaz. Le temps joue contre nous.
Par ailleurs, tout argent dépensé là où ce n'est pas utile, par effet d'éviction, supprime la possibilité de le dépenser là où il est nécessaire. Dans un monde en croissance, on peut faire à la fois des choses intelligentes et commettre des erreurs ; dans un monde sans croissance, plus on commet d'erreurs, moins on fait des choses intelligentes !
Dans le domaine du bâtiment, nous proposons d'obliger les propriétaires, dès qu'ils rénovent leur bâtiment, à tenir compte de la performance thermique. Tout le monde devra y passer ! Un minimum de performance doit être respecté pour les bâtiments, au fur à mesure que le temps passe. Ainsi, en 2022, on ne comptera plus aucun bâtiment de classe G, en 2025 plus aucun bâtiment de classe F, etc.
Nous proposons de concentrer les aides sur ceux qui ne peuvent faire face économiquement à cette obligation. Le cadre supérieur n'a pas besoin de crédit d'impôt : cela ne sert à rien et n'engendre que des effets d'aubaine.
Cela étant, dès que l'on mélange plusieurs objectifs dans une même politique, on a de bonnes chances de n'en atteindre aucun ! Je le dis s'agissant de la difficile question de la précarité énergétique, dont on a tendance à penser qu'elle ne peut se traiter que grâce au prix de l'énergie. C'est la dernière des choses à faire ! On le sait depuis vingt ou trente ans...
S'agissant du tertiaire public, nous avons fortement appuyé un projet qui se trouvait en très bonne place dans les propositions faites par la France à la Commission européenne, dans le cadre du plan Junker consacré à la société de financement de la transition énergétique (SFTE), initié avec la fondation Nicolas Hulot. Ce plan vise à profiter de la Société de financement de l'économie française (SFEF), mécanisme mis en place pour le sauvetage des banques, à la suite de la faillite de Lehman Brothers. Il s'agit de faire intervenir la garantie publique, non consolidée dans Maastricht, pour obtenir des financements à de très bas taux, en vue de rénover le tertiaire public. Celui-ci présente l'énorme avantage d'offrir de très grandes surfaces d'un seul tenant, permettant ainsi aux gros acteurs du bâtiment d'intervenir. Ce sont les seuls à pouvoir se lancer les premiers dans un tel projet. L'APHP offre ainsi des dizaines de milliers de mètres carrés, qui peuvent représenter de très gros marchés, dans le cadre de partenariats public-privé (PPP), les grandes entreprises pouvant prendre le risque de la performance.
En second lieu, nous appuyons la mesure visant à décarboner les transports. On peut le faire de trois manières, l'électricité étant la dernière.
L'utilisation de la voiture entre le domicile et le travail représente un tiers des déplacements, la mobilité quotidienne un autre tiers, les déplacements sur de longues distances le dernier tiers. L'essentiel, pour la stabilité sociale du pays, réside dans les déplacements entre le domicile et le travail. Il faut donc massifier les réseaux de bus express autour des grandes villes. En terme de capital investi, c'est la façon d'agir la plus efficace et même de très loin. Cela permet d'utiliser la route, infrastructure déjà existante.
Il faut également abaisser fortement la consommation des véhicules neufs et permettre aux personnes qui ont peu de moyens d'acheter des véhicules consommant 2 litres de carburant aux 100 kilomètres. Cela ne se fera pas grâce aux mécanismes du marché. Il faut donc les y aider. La concurrence libre et non faussée ne permet pas de gérer les problèmes à cinquante ans...
Il convient par ailleurs de rétablir simultanément la vignette pour les véhicules qui consomment énormément.
Il est en outre nécessaire de préserver le transport interurbain en le basculant sur le train. Les échanges, c'est la paix, pour paraphraser Jean Monnet ! On doit donc conserver un flux d'échanges entre les grandes métropoles européennes en recourant au transport ferroviaire. La notion de paix n'est jamais prise en compte dans les bilans socio-économiques des transports...
Enfin, l'on doit décarboner l'industrie. Les flux de production vont de toute façon baisser, l'énergie étant appelée à diminuer. Il convient donc de développer le recyclage, la maintenance. Une partie de l'industrie va donc basculer vers les services. C'est normal : en utilisant les objets plus longtemps, on en fabrique moins.
The Shift Project met par ailleurs en avant la promotion du low-tech. En matière de modularité et de recyclage, plus on fait de la high-tech, plus on a du mal à retrouver dans l'objet les éléments qui peuvent être réutilisés. Paradoxalement, une partie de la solution peut être high-tech et l'autre low-tech.
Je n'ai pas discuté les articles un par un : j'ai tenté de brosser ici un large paysage, qui est celui de l'esprit général de la loi ; je considère malheureusement que celui-ci ne répond absolument pas à l'urgence de la situation. Notre pays s'offre un débat qui est un luxe dont nous n'avons pas les moyens !
M. Brice Maillé. - On a évoqué à plusieurs reprises la précarité énergétique. Je rappelle que la lutte contre cette dernière est une politique sociale qui mérite toute l'attention de la puissance publique, mais qui n'apporte pas grand-chose au débat énergétique en tant que tel. Par ailleurs, elle ne répond pas exactement aux enjeux de lutte contre le CO2. En effet, les ménages touchés par la précarité énergétique subissent de très fortes restrictions, et les gains réalisés ne sont que des gains de confort.
S'agissant du carnet numérique, nous avions, il y a plus d'un an, proposé un « passeport énergétique » en matière de rénovation thermique. Il s'agissait d'accompagner les logements dans la durée. Cette proposition avait été acceptée par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, et évoquée dans différentes instances.
La loi comporte aujourd'hui les termes de « carnet numérique de suivi et d'entretien ». Tout cela relève du même concept. C'est une bonne chose, mais j'attire votre attention sur le que fait que, sur le terrain, les acteurs professionnels de la filière, et même les collectivités, sont perdus face aux termes qui sont utilisés. On parle tantôt de « carte Vitale » pour le plan bâtiment durable, tantôt de « passeport », tantôt de « carnet numérique », ou de « carnet d'entretien » pour les copropriétés.
Il faudra, à un moment ou à un autre, que les acteurs publics, rassemblent la terminologie et concentrent la communication vers un dispositif généralisé que chacun comprend. Peu importe qu'il s'agisse d'un terme ou d'un autre : il faut que l'on y parvienne !
Certains objectifs sont fixés dans la loi. Quelques-uns sont ambitieux. Le cadre général est défini. Il n'en reste pas moins vrai qu'une bonne partie du succès de cette loi résidera dans les décrets d'application. J'attire l'attention sur les niveaux de performance énergétique en matière de réglementation thermique pour le parc l'existant, qui ne sont pas évoqués dans le texte mais qui sont déterminants pour le gain de performance des logements dans les années à venir.
En effet, l'enjeu ne réside pas dans les bâtiments neufs, qui sont déjà soumis à la réglementation thermique 2012, ni dans les très grosses rénovations, fort peu nombreuses, mais dans le diffus et la maison individuelle. C'est ici que tout se joue. Encore une fois, les critères de performance qui figureront dans les réglementations thermiques détermineront en grande partie la trajectoire de l'habitat résidentiel privé.
M. Hervé Maurey, président. - Les représentants de Terra Nova vont maintenant aborder la question de la dimension européenne de la transition énergétique.
Mme Esther Jourdan. - Le pôle énergie de Terra Nova a publié plusieurs notes sur les sujets qui nous occupent, comme les marchés de l'électricité, la transition énergétique en Allemagne, la politique gazière européenne, la rénovation énergétique des logements, le marché du carbone, la précarité énergétique, la question des investissements...
Nous vous proposons d'insister sur la question des investissements. Le constat que nous faisons rejoint celui de M. Jancovici : aujourd'hui, notre croissance économique est très fortement liée à la consommation d'énergie. Depuis la révolution industrielle, l'énergie alimente la croissance, nos modes de vie et notre confort.
Peut-on découpler la consommation d'énergie de la croissance économique ? On ne sait pas bien répondre à cette question. En effet, les modèles que l'on essaye de mobiliser pour évaluer les politiques publiques ont deux failles principales : en premier lieu, ils analysent très mal la dépendance passée entre énergie et croissance économique ; en second lieu, ces modèles sont basés sur le passé, même s'ils le comprennent mal. Or, le défi qui s'offre aujourd'hui à nous est d'inventer un nouveau modèle dans lequel on sait bien vivre dans un monde fini, et où extrapoler le passé pour évaluer l'avenir n'est absolument pas pertinent.
On est donc assez démuni. Le choix qui est devant nous est détaillé dans le projet de loi : il s'agit de réduire nos consommations d'énergie de 50 % à l'horizon de 2050, avec une étape intermédiaire de 20 % à l'horizon 2030. Cet objectif est selon nous l'objectif primordial de ce projet de loi. Je suis sûre qu'il fera débat et impliquera d'agir à tous les niveaux, notamment celui des investissements. C'est le point principal sur lequel nous allons insister.
Aujourd'hui, un relatif consensus se dégage à l'échelle européenne pour dire qu'il convient de relancer l'économie par l'investissement, le sujet de l'énergie étant prioritaires.
Il appartient à la France, à la suite des annonces faites par la Commission européenne fin novembre, de placer la transition énergétique au centre de ses projets d'investissement. Elle doit s'en emparer de matière efficiente, rechercher un impact maximum en termes de création d'emplois et de valeur, mais aussi de réduction des importations d'énergies fossiles, qui pèsent fortement dans notre balance commerciale. Chaque euro public investi doit viser l'efficience et, si possible, se fixer un objectif positif pour les comptes publics.
Cet investissement doit s'intéresser à la production d'énergie l'offre et à la demande l'efficacité énergétique.
Le projet de loi comporte des éléments intéressants en matière de production d'énergie. Il ne faut pas oublier que l'énergie ne représente pas que de l'électricité, mais aussi de la chaleur. Les investissements dans ce secteur sont importants.
Un récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime à environ 2 000 milliards d'euros les investissements nécessaires en Europe, entre 2014 et 2035, dans le secteur de l'énergie. C'est donc significatif. C'est à peu près 20 % de plus que ce qui s'est fait durant la dernière décennie.
Ces investissements sont importants et doivent être pilotés par la décision collective. Ils ne seront pas réalisés par les marchés. Aujourd'hui, les marchés, en particulier ceux de l'électricité, ne permettent pas d'envoyer des signaux économiques suffisants pour générer ces investissements. C'est normal : ces marchés ont été construits dans une logique d'optimisation et de mise en concurrence de court terme des moyens de production, qui étaient déjà amortis. Ils n'ont pas été conçus pour permettre des investissements longs dans le secteur de l'énergie.
Il est nécessaire, pour les pouvoirs publics, de définir les investissements souhaitables, de mettre en place les dispositifs nécessaires pour que ces investissements se réalisent, et d'adapter les marchés pour qu'ils puissent servir les décisions collectives.
Ces décisions doivent être prises en tenant compte du fait que les objectifs de la transition énergétique sont multiples et parfois antagonistes. Il faut assurer l'indépendance énergétique et la sécurité énergétique du pays, garantir une certaine efficience économique de la production d'énergie, et préserver l'environnement. Tous ces facteurs doivent être pris en compte. Il faut fixer des buts à chacun d'eux. Nous devons être en mesure de décliner notre mix énergétique en quantifiant le développement des capacités de production, filière par filière, et en les révisant de manière régulière, ainsi que cela a été proposé par la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Il ne faut pas se laisser détourner par des signaux de marché de court terme. Les marchés ne sont qu'un moyen, non un objectif. Il faut au contraire se fixer des buts de manière raisonnée et quantifiée, et mettre ensuite en place les structures nécessaires pour que ces objectifs se réalisent.
M. Pierre Musseau. - L'efficacité énergétique est sans doute le secteur où les montants des investissements sont les plus importants en fonction des objectifs que nous nous fixerons. Aujourd'hui, la Commission européenne s'est fixé un objectif de 27 % d'ici 2030 ; il pourra atteindre 30 % s'il est révisé à la suite de la COP21, notamment en termes climatiques et énergétiques.
Les outils qui se trouvent dans le projet de loi sur la transition énergétique sont très intéressants. Le budget carbone va permettre de décliner des objectifs climatiques par secteur, ce qui n'était pas encore fait de manière suffisamment précise. Les moyens à mettre en place devront également être indiqués, dont les investissements. Les économies d'énergie sont sans doute un secteur où les investissements peuvent être lancés massivement, avec des retombées économiques significatives et des bénéfices en matière d'emploi, de réduction des dépenses publiques, de gains sanitaires et sociaux pour un certain nombre d'investissements, et de compétitivité industrielle.
Si on le décline par secteur, le projet de loi prévoit un certain nombre de leviers pour soutenir l'investissement dans les transports, le bâtiment et l'industrie.
Dans les transports, les besoins d'investissements portent aujourd'hui notamment sur les infrastructures de transport en commun, qui constituent sans doute une priorité. Il faut également les bénéfices socio-économiques attendus, et ne pas oublier des investissements moins lourds, mais avec des retombées importantes, comme des voies réservées pour les bus en entrée de ville, ainsi que M. Jancovici l'a rappelé.
Le projet de loi fixe aussi un certain nombre d'obligations en matière de renouvellement de véhicules propres ; il prévoit de favoriser des mesures de réglementation, afin d'inciter progressivement à acheter de véhicules moins polluants. Il ne faut pas oublier de soutenir les investissements dans le domaine de la recherche et du développement, un certain nombre d'incertitudes demeurant au sujet des motorisations.
N'oublions pas, enfin, les investissements dans les formes urbaines : si l'on veut réussir à faire des économies d'énergie à long terme, il faudra réussir à rapprocher les logements des emplois, et prévoir des politiques de planification urbaine qui prennent en compte ces enjeux de mixité, pour favoriser progressivement une réduction des déplacements contraints. Il faut donc avoir une cohérence entre les politiques d'aménagement et les objectifs des politiques énergétiques.
Pour ce qui est des bâtiments, deux approches sont nécessaires, et il faut bien les différencier. Le soutien à la rénovation de logements doit en particulier cibler les logements du parc social public et privé. Il est également nécessaire de diffuser de nouvelles technologies performantes. Comme cela a déjà été dit, on ne pourra le faire qu'en incluant la performance énergétique dans les travaux, dont certains sont déjà réalisés de manière massive. Leur rythme s'est toutefois réduit en raison de la crise. Il faut trouver les moyens de stimuler la rénovation. Il existe déjà des obligations pour inclure la performance énergétique dans les travaux de rénovation classique. Il faut aller plus loin et définir des obligations de rénovation énergétique, qui pourraient stimuler les marchés de la rénovation énergétique.
On a évoqué le projet présenté par The Shift Project et la fondation Nicolas Hulot concernant le patrimoine public. Il est certain que le plan Junker constituera un levier majeur pour soutenir l'investissement des collectivités locales, qui disposent d'un patrimoine où existe un gisement d'économies d'énergie particulièrement rentable, qu'il faut pouvoir soutenir. La mobilisation des outils financiers qui seront mis en place dans le plan de la Commission européenne, via la Banque européenne d'investissement (BEI), devra être réalisée avec une grande attention.
Enfin, l'efficacité énergétique dans l'industrie doit servir des objectifs de politique industrielle en prenant en compte les enjeux de compétitivité ; dans certains cas, des choix pourront être faits pour soutenir des secteurs intensifs en énergie, mais il faut aussi veiller à améliorer la compétitivité de nos industries les plus intensives en énergie via l'efficacité énergétique.
Je souligne ici l'importance de la planification à travers les outils proposés dans le projet de loi, comme la stratégie bas carbone, les budgets carbone et la planification pluriannuelle de l'énergie.
Il faut considérer cette planification comme un levier en faveur de l'investissement. L'investissement en matière de transition énergétique représente à la fois un levier de sortie de crise et un moyen de démontrer notre crédibilité par rapport aux enjeux du climat, et à la COP21.
Nous insistons également sur le fait que l'ensemble des dispositions proposées dans ce projet de loi, qu'il s'agisse d'améliorations de la réglementation, d'incitations ou de nouvelles obligations, peut stimuler l'investissement dans les différents secteurs et constituer un effet de levier qui aide à la relance de l'économie. Il ne faut pas craindre d'accroître ces obligations, ni de développer de nouvelles incitations, comme la possibilité de moduler les droits de mutation, si l'on peut démontrer que ces mesures seront favorables à l'investissement.
Enfin, puisque nous sommes au Sénat, je conclus en insistant sur l'urgence de relancer l'investissement local. Vous savez sans doute qu'il existe de grandes inquiétudes à ce sujet. La transition énergétique peut constituer un levier pour soutenir et redresser cet investissement, à condition de veiller à une meilleure gouvernance.
M. Gossement a cité les évolutions des compétences qui figurent dans les lois de décentralisation et dans le projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République. Il faut veiller à une articulation à deux niveaux pour la transition énergétique, la planification régionale et les intercommunalités. Celles-ci doivent pouvoir monter en puissance et articuler l'ensemble des politiques liées à la transition énergétique. Elles doivent mobiliser des compétences en matière de planification urbaine, de logement et de développement économique.
La région doit les accompagner sur le plan du développement économique, de la formation professionnelle, et favoriser la lutte contre les effets « silos » que l'on rencontre aujourd'hui dans les collectivités locales, afin d'avoir de véritables stratégies d'investissement au service de la transition énergétique.
M. Hervé Maurey, président. - Il est bon de rappeler que nous sommes au Sénat ! Il est vrai que nous nous préoccupons non seulement de la transition énergétique, ce qui constitue la vocation de notre commission, mais aussi des collectivités locales. Toutefois, ainsi que l'ont soufflé un certain nombre de collègues, avec quoi réaliser les investissements nécessaires à la transition énergétique ?
C'est peut-être là la différence entre vous et nous : nous sommes, pour la majorité d'entre nous, aux manettes de collectivités locales. Nous avons subi une première baisse des dotations en 2014, qui n'est rien à côté de ce qui nous attend en 2015, 2016 et 2017, où les choses vont être d'une brutalité redoutable.
Même si l'on sait, à terme, que ces investissements vont générer des économies, comment faire si on ne peut les réaliser ? Il ne nous est pas possible, à la différence de l'État, de creuser les déficits. On est donc obligé de disposer d'un minimum d'excédents de fonctionnement. Je peux vous assurer, sans jouer les oiseaux de mauvais augure, que l'on va avoir de moins en moins de capacités d'investissement. Certaines communes parmi les plus petites n'arriveront même pas, dans les années qui viennent, à équilibrer leur section de fonctionnement !
Ces difficultés se répercutent sur la transition énergétique qui nécessite des investissements importants. Je ne remets pas en cause leur nécessité mais, quand on n'a pas d'argent, il est difficile de les réaliser.
Nous avons pour souci et pour vocation de représenter les collectivités locales. Nous sommes donc sensibles à toutes les nouvelles normes. Je parle ici sous le contrôle de Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation aux collectivités locales, spécifiquement chargé de la simplification des normes. Toutes les contraintes nouvelles que l'on peut imposer aux communes nous irritent particulièrement, qu'il s'agisse des sanctions que certains d'entre vous ont proposé d'appliquer aux collectivités locales, de l'augmentation des coûts, ou des décisions imposées aux communes.
Prenons l'exemple des éoliennes, que l'on connaît bien sur nos territoires : l'un d'entre vous a estimé qu'il fallait passer de l'autorisation au simple enregistrement. Personnellement, je trouve très difficile pour ne pas dire davantage que l'on installe des éoliennes lorsque les élus ne sont pas d'accord ! À quoi sert l'élu si des décisions aussi importantes sont prises contre sa volonté ?
Chacun est ici dans son rôle. Toutefois, il convient de trouver des points d'équilibre. Certes, il faut développer les énergies renouvelables, mais ce sont les élus qui sont responsables du devenir de leur commune devant les électeurs ! Je sais que ce que je dis n'est pas forcément compatible avec ce que vous pensez. Je tenais néanmoins à le préciser.
M. Louis Nègre, rapporteur. - Vous êtes bien au Sénat, face à des élus qui ont les pieds sur terre et qui, chaque jour, se heurtent à des difficultés !
Pour autant, on a besoin de vous : vous « secouez le cocotier » et vous pouvez vous le permettre. Vous êtes hors sol et c'est un avantage de pouvoir entretenir un dialogue avec des gens de terrain, qui se heurtent à certaines difficultés, mais qui réfléchissent et détiennent la possibilité de faire passer un certain nombre de messages.
J'ai retenu qu'il existait un problème de cohérence entre les réseaux décentralisés et le niveau national, où l'on se heurte à deux philosophies différentes, la philosophie jacobine et la philosophie girondine de l'économie et de la production décentralisées, qui constituent une réponse au problème global de la répartition de l'énergie.
On peut également se demander qui gouverne, et à quel niveau. Quelle est la cohérence de ces normes ? On voit bien les réactions que suscitent, au Sénat et dans les collectivités locales, les schémas prescriptifs qui n'ont pas bénéficié, ainsi que vous l'avez tous dit et nous vous rejoignons sur ce point de la démocratie locale, qui suppose de se concerter avec les populations. Nous imposer une telle situation est contraire à l'orientation que souhaitent les élus locaux !
Vous avez évoqué le choc de simplification qui représente un travail de titan. Nous nous heurtons à une grande diversité de plans et de termes, qui font que plus personne ne s'y retrouve. Vos remarques vont donc dans le bon sens.
S'agissant de la gouvernance, nous essaierons de l'améliorer ; il y a vraisemblablement dans ce domaine des modifications à apporter pour permettre la concertation et obtenir des autorisations uniques. On a non seulement un problème de normes, mais également de démocratie locale. Il faut donc trouver où placer le curseur. Il va falloir que les uns et les autres fassent preuve d'imagination !
Vous avez abordé la question de la fiscalité : beau sujet ! Le président l'a rappelé, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des Français, le ras-le-bol est général. Si nous n'y prenons pas garde, nous allons favoriser les extrêmes !
À périmètre constant, il faut, ainsi que vous l'avez suggéré, progressivement évoluer vers une fiscalité carbone. Vous avez souligné que l'essentiel de l'énergie, en France, ne provient pas de l'énergie nucléaire mais des énergies fossiles, dont l'importation représente plus de 60 milliards d'euros par an. Il convient donc de réaliser un effort plus important, surtout si nous voulons opérer la transition énergétique et faire en sorte que la COP21 de Paris, en 2015, se déroule mieux que la COP20 de Lima ! Ce sont cent quatre-vingt-dix pays qui vont se retrouver dans notre capitale ; j'aimerais que l'on arrive à s'entendre sur le changement climatique. Non seulement il n'y a plus d'argent dans les caisses, mais on va en outre demander aux Français de changer de comportement et d'évoluer, faute de quoi nous ne pourrons atteindre les objectifs fixés. Les économistes sont d'accord : si nous n'agissons pas, les dépenses risquent d'être bien plus importantes que prévu ! Votre vision de la planification pluriannuelle nous paraît aller dans le bon sens dans ce domaine-là.
J'ai été étonné qu'aucun de vous ne mette l'accent sur la qualité de l'air, ni sur la santé de nos concitoyens. Si les Chinois se mobilisent actuellement, c'est parce que les responsables de ce pays s'aperçoivent des conséquences de la mauvaise qualité de l'air sur leurs propres poumons, ainsi que sur ceux de leur épouse et de leurs enfants ! Notre pays connaît, pour sa part, une série de pics de pollution, à tel point que nous sommes l'objet d'une procédure de la Commission européenne. La chose ne mériterait-elle pas que l'on s'en préoccupe ?
Je ne vous ai pas non plus entendu évoquer l'obsolescence programmée, qui constitue un sujet sur lequel l'opinion publique revient pourtant souvent.
Enfin, qu'en est-il du sac en plastique à usage unique, qui n'est certes qu'un détail, mais qui retient beaucoup l'attention du public ?
Mme Annick Billon. - Ma question s'adresse à M. Jancovici, qui s'est déclaré favorable à la rénovation énergétique intégrée. Ne craignez-vous pas que les travaux ne se fassent pas, compte tenu de leur coût ?
Que faire lorsque le prix du bâtiment sera moins élevé que celui des travaux ? Quel sera l'intérêt du propriétaire d'engager une rénovation ?
L'évaluation de la valeur d'un bâtiment pouvant varier suivant l'avis du service des domaines et celui d'une agence immobilière, à partir de quel prix ces travaux seront-ils jugés réalisables ou non ?
Qu'en sera-t-il des obligations techniques et des contraintes juridiques lorsque la ville bénéficie déjà de zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) ? Certains bâtiments étant protégés, les PLU et les bâtiments de France n'empêcheront-ils pas la rénovation ?
Enfin, s'agissant des compétences des régions et de l'État, que plusieurs intervenants ont évoquées, les moyens qui vont devoir être mis en oeuvre seront différents selon qu'il s'agira des uns ou des autres. Je partage donc la remarque de M. Gossement : la loi NOTRe et la loi sur la transition énergétique doivent être reliées !
M. Gérard Miquel. - En tant que président du Conseil national des déchets, je considère que la responsabilité élargie du producteur constitue un très bon système, inégalé dans le monde. Nous devons le préserver. Or, j'ai quelques inquiétudes à ce sujet, du fait de l'arrivée d'opérateurs étrangers qui voudraient récupérer nos produits. Si l'on veut se lancer dans l'économie circulaire, il faut commencer par trier nos déchets et les valoriser sur notre territoire.
Il existe deux catégories de responsabilité élargie du producteur, l'une financière et l'autre opérationnelle. La première est intéressante, les collectivités ayant une certaine emprise sur les opérations, alors que la seconde massifie bien trop et laisse les collectivités pratiquement sans moyen pour assurer la collecte des produits.
S'agissant de l'énergie, nous disposons d'une ressource considérable de biomasse, qui est sous-utilisée, et que nous mobilisons mal, alors que nous en bénéficions à profusion et qu'elle est renouvelable. Le reboisement s'étend et, au nom de la protection de l'environnement, il ne faudrait toucher à rien... Il faut construire la filière économique ! Certains départements y travaillent.
J'ai bien entendu les remarques qui ont été faites à propos de la « grande » région et de la communauté de communes, mais il existe un niveau intermédiaire. En tant qu'ancien président de conseil général, je me souviens de tout le travail que j'ai mené en matière de rénovation et de mise à niveau des bâtiments, et des économies réalisées grâce aux politiques de proximité maîtrisées par les élus locaux, qui n'étaient pas dictées par la région...
Les normes sont ce qu'elles sont, mais il faut également tenir compte de leur interprétation par les services de l'État, qui sont souvent très pointilleux sur le plan administratif.
Quant au diesel, il faut certes le bannir mais n'allons pas trop vite. Dans les territoires ruraux, certains habitent à quinze kilomètres de leur travail et ne bénéficient que de petits salaires. Le diesel est pour eux plus économique pour se déplacer. Prenons garde de ne pas trop pénaliser ces personnes.
En matière de pollution, les camions et les trains fonctionnent au diesel lorsque la ligne n'est pas électrifiée, ainsi que tous les matériels de travaux publics. Toutefois, les équipements ont évolué, et les derniers véhicules automobiles diesel sont équipés de filtres NOx et de filtres à particules. Ils consomment moins qu'il y a quelques années.
Cette transition énergétique, il faut la réaliser. Nous allons bientôt avoir un véhicule hybride à air comprimé. Je compte beaucoup sur ces évolutions technologiques. Je suis favorable au fait d'aider les véhicules propres, mais attention de ne pas déclarer la guerre au diesel. Il faut diminuer la consommation de pétrole, et si nous recourons à la biomasse, nous y parviendrons !
La question de la vitesse constitue un grand débat. Sur des territoires comme le mien, je ne souhaite pas que l'on abaisse partout la vitesse à quatre-vingts kilomètres à l'heure ! Il faudrait classer les routes en fonction de leur état. Rouler à quatre-vingt-dix kilomètres à l'heure ou à cent kilomètres à l'heure sur une départementale toute droite ne change pas grand-chose. Toutefois, on pourrait abaisser la vitesse à soixante-dix kilomètres à l'heure sur certains tronçons sinueux. Il faudrait adapter tout cela. En tout cas, sur les autoroutes, maintenons la vitesse à cent trente kilomètres à l'heure !
Enfin, que pensez-vous de la taxe sur les ordures ménagères (TOM) ? Je considère qu'il s'agit aujourd'hui d'un système totalement inadapté. Nous devrions faire payer ce service à son juste prix. On ne peut évidemment instaurer partout une tarification incitative : lorsqu'on a sept habitants au kilomètre carré, on ne peut aller chercher les poubelles tous les trois kilomètres ! La TOM est un système que je considère inadapté, que l'on doit ajuster !
M. Ronan Dantec. - La question de la planification énergétique française dans le contexte européen est revenue de manière systématique dans l'ensemble des interventions. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est bien la capacité de l'État à retrouver une stratégie et une planification énergétiques qu'il a perdues au fil du temps, depuis les années 1970. C'est un point qui pourrait relativement faire consensus parmi différentes familles politiques : entre gaullistes et écologistes, on doit pouvoir se retrouver autour d'une telle idée.
Je souligne toutefois, pour avoir suivi la question d'extrêmement près en tant que président du groupe de travail sur la gouvernance du débat national sur la transition énergétique, qu'on a failli avoir une planification sur trois ans, ce qui était évidemment totalement ridicule ! On est passé à dix ans, révisable tous les cinq ans. C'est là le rythme politique. C'est probablement encore insuffisant. Une planification à vingt ans, révisable tous les dix ans, serait plus logique, mais je pense que personne ne reviendra en arrière sur le fait de confier à l'État une capacité de stratège. L'idée d'un comité d'experts à côté du lieu de la décision figurait bien dans les conclusions du débat national et du groupe de travail dont j'assumais la présidence. Cette proposition est toujours sur la table. Je pense qu'il faut remettre la planification au coeur du débat.
Cela signifie que ce sont l'État et la représentation parlementaire qui reprennent la main, et non un ou deux opérateurs énergétiques, à qui on a délégué la planification française depuis un certain nombre d'années.
S'il existe bien un enjeu en matière d'énergie fossile, il ne faut pas croire qu'il n'en existe pas pour ce qui est de l'énergie électrique. Le système électrique français est vieillissant, fondé sur un parc nucléaire qui approche les quarante ans. On n'est pas certain qu'il soit techniquement capable de durer. En Europe, certaines centrales s'arrêtent de fonctionner à cet âge. Des investissements massifs sont donc à prévoir dans les dix prochaines années. Il ne faut pas considérer que l'enjeu électrique est moins important que l'enjeu relatif à l'énergie fossile.
En matière électrique, on doit faire entrer le système français dans le système européen. On a, pour ce faire, des difficultés énormes, le premier ayant été conçu hors du second. C'est extrêmement compliqué, même si cela peut permettre de réaliser des économies très importantes sur le plan de la sécurité. Il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros. J'espère donc que le Sénat renforcera la capacité de planification énergétique de la France...
Le groupe de travail a énormément insisté sur le rôle des collectivités territoriales. C'est un enjeu essentiel, qui repose sur le couple intercommunalité-région. Il existe un élément de planification régionale, avec des schémas de développement économique, mais c'est bien à l'échelle de l'intercommunalité que va se faire le gros du travail et que l'on va trouver la capacité d'agir.
L'enjeu majeur immédiat est de faire en sorte que les collectivités s'engagent, surtout dans le contexte financier que nous traversons. Sortir les collectivités de leur endettement est une question centrale. Ségolène Royal avait répondu positivement à ma question lors de son audition : il faut que l'on trouve un mécanisme pour avoir, en lien avec la BEI, une capacité d'investissements. L'argent est disponible, mais on ne l'utilise pas. Si on réussit à trouver ce modèle, certaines collectivités pourront s'investir et générer énormément d'activités économiques, ainsi que des recettes fiscales, même pour elles-mêmes.
La formule magique n'est guère évidente à trouver par rapport au code des collectivités. Si l'un de vous y parvient, nous sommes preneurs !
La question de l'obligation de travaux est effectivement au coeur du rôle politique. Où met-on le curseur entre obligation et simplification ? C'est là toute la question ! Sans obligation, pas de planification. Ce qui fonde un grand pays développé par rapport à un pays émergent, c'est sa capacité d'obligation. C'est là que se fait la différence. Il faut ensuite étudier les obligations qui rapportent et celles qui ne rapportent pas.
L'obligation de rénovation énergétique au moment des travaux est une bonne réponse. Sans elle, on ne peut créer des volumes suffisants pour déboucher sur des filières économiques et sortir de la dépendance.
Revenir sur cette notion serait une erreur tragique, de même qu'il est tragique pour l'avenir de favoriser le diesel. En France, cette question constitue un tabou. Les politiques, comme le Gouvernement, considèrent que l'emploi est plus important que les vingt à trente mille morts prématurées par an qu'annoncent toutes les enquêtes épidémiologiques. Le choix de la puissance publique est assumé : on préfère favoriser la filière économique plutôt que de préserver la santé publique.
Toutefois, le diesel étant aujourd'hui considéré comme dangereux, les Français s'en détournent. On ne préserve donc pas la santé publique, et on n'en tirera aucun avantage économique, faute d'avoir su anticiper les nécessaires évolutions de la filière ! Il s'agit d'un mal typiquement français : on est incapable de s'engager dans les transitions et de retarder les échéances. C'est là tout le conservatisme français. J'espère que le Sénat, au moment de la discussion de la loi, ne se fera pas le défenseur du diesel !
M. Michel Vaspart. - Les représentants de Terra Nova ont estimé être démunis face aux projections sur le découplage entre consommation d'énergie et croissance. C'est toute la difficulté que nous avons avec les populations. On ne sait pas exactement où l'on va : on nous propose un changement de vie, sans savoir si cela va coûter de l'emploi ou si cela va en créer, ni comment la vie de nos concitoyens va évoluer, d'où le problème de l'acceptabilité de ces mesures. C'est, selon moi, l'une des difficultés principales : si l'on va trop loin, c'est dans la rue que les choses se régleront !
Prenons garde : tout le monde est décidé à faire des efforts, à condition qu'ils soient supportables. Notre pays, dans ce domaine, en a déjà fait beaucoup par rapport à bien d'autres !
Je voudrais revenir un instant sur les schémas régionaux prescriptifs. On met tout et n'importe quoi dans les projets de loi que nous examinons aujourd'hui, et il faut voter le texte tel qu'il est. Or, des consensus pourraient se dégager dans tel ou tel domaine. Nous ne voulons pas de prescriptions en matière d'urbanisme, mais nous sommes éventuellement prêts à l'accepter en matière de maîtrise de l'énergie au plan local, ou d'évolution de la transition énergétique au plan régional !
J'ai également entendu dire qu'il fallait renforcer la concertation : pourquoi pas ? On a dit que celle-ci n'intervenait pas à bon escient. Je suis prêt à partager cette analyse, à condition de ne pas allonger les procédures, car c'est au détriment d'un investissement qu'on ne réalise pas, ou que l'on diffère dans le temps. C'est donc de l'emploi en moins. Tout cela est lié.
Enfin, s'agissant du diesel, je partage l'opinion exprimée tout à l'heure. Il faut tenir compte des évolutions technologiques que réalisent les constructeurs automobiles, et ne pas les minimiser. D'après mes informations, les véhicules diesel qui sortent des chaînes de construction ne dégagent pratiquement plus de particules fines. Cela demande des expertises indépendantes si l'on veut se faire une idée objective à propos de cette question qui touche à la vie quotidienne de nos concitoyens.
Le diesel est partout sur le territoire, et pas seulement dans les grandes agglomérations. Il est également présent dans la France rurale, où il n'existe pas de transports publics, même si le covoiturage s'organise et que l'on fait beaucoup d'efforts de ce côté. Les chaudières à mazout, elles aussi, sont à l'origine de la dispersion de particules. Je voudrais que l'on prenne tout cela en compte.
Selon vous, un véhicule diesel qui sort des usines françaises est-il propre ou non ?
Les moyens vont manquer aux collectivités locales à partir de 2017, et certaines vont se retrouver dans une situation très difficile pour faire face à leurs charges de fonctionnement. Ne conviendrait-il pas, notamment concernant les transports, que le Gouvernement mette en place les moyens nécessaires pour supprimer les vieux véhicules diesel, qui posent énormément de problèmes en matière de particules fines ?
M. Didier Mandelli. - Nous partageons tous, autour de la table, les mêmes objectifs. Nous sommes avant tout des élus, des responsables, des citoyens et, pour nous-mêmes ou nos enfants, nous souhaitons aller dans les directions que nous venons d'évoquer.
Je partage la plupart de vos propos même si certains frôlent parfois la caricature, voire la doctrine ou le dogme. Ce qui doit prévaloir, c'est le pragmatisme et le bon sens, un bon sens presque paysan. C'est une formule que j'utilise souvent à propos des questions environnementales...
Nous vivons une profonde mutation. Nous devons changer de comportement, de mode de vie, et cela a des incidences sur le quotidien, que l'on soit dans une collectivité ou dans une entreprise.
Je suis maire depuis 2001 d'une commune qui a gagné 2 500 habitants en moins de quinze ans, et a donc accueilli 2 500 nouveaux emplois sur son territoire ; nous avons, pour ce faire, recouru à des espaces agricoles pour développer des entreprises dans différents domaines. Il est possible selon moi, de concilier le développement économique, base du développement durable, l'environnement et le social.
Bien qu'appartenant au groupe UMP, on me considère comme un élu écologiste. Dans ma collectivité, nous avons construit des bâtiments HQE, et avons établi un Plan environnement collectivité (PEC) avec l'ADEME. Cela fait longtemps que nous disposons de véhicules propres. Nous avons également mis en place une filière bois. Notre approche est transversale, et l'on parle aussi de mobilité et de transports. C'est notre façon de construire et d'habiter qui conditionne tous ces éléments.
Il faut avoir une approche plus globale de cette loi. Nous avons besoin de vous, et vous avez également besoin de nous. Nous pouvons alimenter votre réflexion à partir d'expériences et d'initiatives locales.
Vous ne détenez pas la vérité. Vous êtes nombreux ici, avec des positions différentes, de la même façon que les élus ont des sensibilités divergentes à propos des sujets évoqués. Inspirez-vous de ce qui fonctionne et de ce qui a été réalisé dans un certain nombre de collectivités ! Je souhaite que nous puissions vous expliquer ce que nous faisons, comment nous avons avancé. Soyez convaincus qu'un grand nombre d'élus, dans toute la France, quelle que soit la dimension des collectivités, ont pris en compte ces questions depuis longtemps. C'est le bon sens qui doit prévaloir.
M. Rémy Pointereau. - J'ai apprécié les différentes présentations qui ont été faites par les intervenants. La vision de Terra Nova est plutôt théorique, celle de la Fabrique écologique plutôt écolo-pragmatique, celle de The Shift Project plutôt économique et réaliste, et la vision de la fondation Nicolas Hulot un peu plus idéaliste. Il n'est pas toujours possible de concrétiser certains points de vue, qui peuvent demeurer des voeux pieux.
La volonté de simplification de la Fabrique écologique m'a plu, car il va falloir simplifier, être pragmatique et quantifier financièrement les projets. Je suis entièrement d'accord pour dire qu'il faut limiter le nombre de schémas. C'est un peu dans l'air du temps, mais je ne sais si la loi NOTRe va assez loin dans ce domaine.
Je partage moins les prescriptions qui ont été proposées. On ne peut établir de préconisations pour tous les schémas en matière d'urbanisme, alors qu'il faut déjà mettre le SCOT en cohérence avec le PLU et autres documents urbanistiques ! Si on y ajoute une prescription régionale, on ne s'en sortira pas ! Il faut donc que ce soit plus des recommandations que des obligations, et tenter d'évoluer sur ce point...
Quant à la mobilité, on est en train de mettre de plus en plus de camions et de voitures sur les routes...
M. Jean-Marc Jancovici. - Le nombre de camions sur les routes a baissé au moment de l'augmentation du prix du carburant !
M. Rémy Pointereau. - C'est un épiphénomène ! La SNCF fait un site de covoiturage et étudie la mise en place d'autobus sur les autoroutes pour aller de ville en ville et abandonne les dessertes ferroviaires existantes. Il faut être cohérent !
On a évoqué le tabou du diesel, mais il en existe également dans le domaine nucléaire. Certains veulent vivre dans une société moderne, mais sans diesel, nucléaire, photovoltaïque, ou éolien. Ce sont d'ailleurs parfois les mêmes !
Quelle est la meilleure énergie ? On n'a même pas parlé du gaz de schiste ! Peut-être a-t-on de l'or sous nos pieds !
J'aimerais également revenir sur le problème de l'acceptabilité. En matière d'éolien, on va arriver à la saturation des schémas régionaux. Le nombre d'éoliennes augmente sur le territoire, et la population va finir par les refuser, lorsqu'elles seront devenues visuellement intolérables. Comment les faire accepter ?
Enfin, il faut « tuer les normes dans l'oeuf » avant qu'elles ne se multiplient ! Comment obliger une famille modeste à s'adapter aux normes de transition énergétique lorsque le prix du pétrole est bas ? Il faut veiller à ne pas imposer à nos concitoyens, qui n'en peuvent déjà plus, des coûts trop importants. On doit donc évaluer ces normes au sein de notre commission ! Cela me paraît important.
M. Jean-Claude Leroy. - Ma question porte sur la biométhanisation et s'adresse aux membres de Terra Nova. Je pensais que nous aurions l'occasion de parler de politique énergétique comparée, et notamment de ce qui se fait en Allemagne. L'Allemagne est aujourd'hui pionnière dans ce domaine : quelles leçons tirer de son expérience ? J'ai l'intention d'intervenir sur ce thème au cours du débat...
M. Géraud Guibert. - Tout d'abord, les réflexions de la Fabrique écologique sont axées sur les territoires ; le sénateur Mandelli est le bienvenu s'il souhaite participer à nos travaux. Cela ne résout pas le problème que la Fabrique écologique se pose en permanence à propos de la généralisation d'un certain nombre d'initiatives. Étant moi-même élu local, je le reconnais volontiers.
Nous en sommes là aujourd'hui. C'est la question à laquelle le projet de loi tente de répondre sans toutefois toujours y parvenir.
Je remercie le sénateur Pointereau d'avoir qualifié la vision de la Fabrique écologique d'« écolo-pragmatique » : cela correspond exactement à ce que nous recherchons.
S'agissant de la meilleure énergie, ayez en tête que nous en sommes aujourd'hui à un stade où l'éolien terrestre est, en coût de revient, inférieur au coût du nouveau nucléaire. C'est un élément important. Le tarif consenti par EDF à la Grande-Bretagne sur vingt ans ou trente ans est de plus de 100 euros par kilowattheure, contre 70 euros à 90 euros pour l'éolien. Je ne dis pas que l'énergie éolienne remplacera l'énergie nucléaire, mais elle peut la compléter.
Quant à la santé, je considère que l'obligation n'est pas toujours la bonne solution. Il n'y a qu'à considérer ce qu'il en est aujourd'hui de la loi sur la sécurité des ascenseurs...
Le système prévu dans le texte me paraît assez sage s'agissant de l'obligation de mise aux normes au moment des travaux.
Cependant, une dizaine de milliers de logements, que j'ai qualifiés de « passoires énergétiques », posent des problèmes majeurs de santé publique. Ces cas sont de purs scandales, et l'obligation d'y porter remède nous paraît assez justifiée, à condition de prévoir des subventions pour aider à réaliser les travaux.
Le sénateur Vaspart a raison s'agissant de la difficulté de la tâche, mais on a déjà bien avancé sur le découplage entre la croissance et l'énergie. Celui-ci est aujourd'hui plus fort qu'il y a vingt ans. Il faut certes se fixer des objectifs ambitieux, mais ce n'est ni irréaliste ni irresponsable. Certains exemples prouvent que nous avons déjà avancé en la matière même s'il n'existe pas de découplage total. Le fait que l'intensité énergétique n'évolue plus en fonction de la seule croissance économique et soit dorénavant moins importante est l'un des événements les plus importants survenus au cours de ces vingt dernières années.
S'agissant de la planification et de l'intercommunalité évoquées par le sénateur Dantec, au-delà de la planification et de la volonté de l'État de reprendre la main ce qui constitue une bonne chose le projet de loi comporte un grave problème d'articulation entre les régions et les intercommunalités.
Un second sujet nous paraît assez mal réglé : si les intercommunalités de métropoles ont les moyens de se saisir de ces sujets, ce n'est pas le cas des intercommunalités rurales, qui disposent de moins de facilités. C'est là un vrai sujet. Nous avons essayé de proposer différentes solutions.
On ne peut pas traiter la transition énergétique sur la seule base des agglomérations. Il faut évidemment tenir compte du milieu rural, et de la solidarité qui existe avec l'habitat urbain, ainsi que du fait qu'un certain nombre d'intercommunalités, en zone rurale, ne disposent pas toujours des moyens humains et financiers. Ce sera d'ailleurs sûrement de moins en moins le cas...
M. Jérôme Bignon. - Elles n'en ont quasiment jamais les moyens !
M. Géraud Guibert. - J'en connais qui agissent...
M. Arnaud Gossement. - Concernant la planification, et afin de lever toute ambiguïté, nous ne proposons pas que le SRADDT devienne prescriptif. C'est la loi NOTRe qui le prévoit. Nous ne nous sommes pas exprimés à ce sujet...
Par ailleurs, réaliser la simplification au stade du projet, comme le fait à tort, selon moi, le projet de loi Macron, et procéder en outre par ordonnance, ne fait que produire des avalanches de normes. Grâce au présent projet de loi, vous pouvez agir sur la planification et tarir à la source les phénomènes d'insécurité. Par pitié, messieurs les sénateurs, n'écrivez plus « tenir compte », ou « prendre en compte » : cela entraîne des discussions sans fin devant les juges, et on ne sait pas ce que cela signifie !
En France, on peut avoir de très belles idées, mais l'analyse juridique manque. On ne se demande jamais ce que les choses deviennent une fois passées par le filtre de la norme juridique. On ne va pas créer une police de l'urbanisme pour vérifier si les travaux ont bien été réalisés. Il n'est pas non plus envisageable que les directions départementales du territoire (DDT), ou les maires, exercent une quelconque vérification. Ils n'en ont pas la capacité en matière d'ingénierie énergétique. Les fonctionnaires en charge de l'urbanisme ne sont pas des énergéticiens. On peut agir sur la fiscalité et sur la planification, mais ce que prévoit la loi est sage concernant l'obligation de travaux. Il serait certes préférable que chacun soit dans l'obligation de les mener, mais c'est irréalisable !
Pour ce qui est de la fiscalité, Monsieur Miquel, vous êtes l'un des meilleurs spécialistes de la question : vous avez mille fois raison de pointer le problème du doigt. Pour mener une transition énergétique, deux « jambes » sont nécessaires. La première est réglementaire ; la seconde est constituée par la fiscalité. Cela fait des années que l'on parle de la taxe sur les ordures ménagères, qui ne remplit plus sa fonction. Il faudrait également évoquer les taxes locales d'équipement (TLE), qui posent un véritable problème. Bien souvent, elles constituent des freins à la rénovation énergétique. On pourrait insérer un peu d'énergie dans la TLE. Ce ne serait pas totalement stupide. La fiscalité relative aux services publics locaux n'est malheureusement pas traitée...
Enfin, il a été fortement question d'énergies nouvelles. Le fait de passer de l'autorisation à l'enregistrement ne change rien à la consultation des élus locaux. Cela simplifie le régime. La police des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) n'a pas pour but de réaliser des consultations, mais doit apprécier les risques par l'intermédiaire des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Est-il logique de perdre beaucoup d'argent et de temps avec des études de dangers calibrées pour des raffineries ? Il vaut mieux consulter les élus en amont, au moment où l'on planifie un territoire.
C'est la leçon à tirer du barrage de Sivens. Le rapport du Commissariat général au développement durable (CGDD) et la lettre de mise en demeure de la Commission européenne soulignent à ce sujet la gestion du bassin Adour-Garonne. C'est à la fin des années 1990, lorsqu'on a planifié l'irrigation et les besoins en eau de ce territoire, qu'il fallait organiser la concertation, non au moment d'aborder le sujet des retenues collinaires. C'était trop tard !
M. Jean-Marc Jancovici. - Brice Maillé, durant deux ans, a conduit un travail de concertation assez poussé avec la totalité des acteurs concernés par la partie technique en matière d'obligations de travaux et de rénovation. Vous trouverez sur notre site Internet le rapport de ce groupe de travail. Il précise la façon dont on entend segmenter les logements individuels et collectifs, ce que l'on fait des immeubles haussmanniens où habitent les décideurs, etc.
On y trouve également une analyse économique ainsi que des recommandations répondant pour partie à ce qui a été dit sur le risque juridique. Celui-ci peut s'évacuer très largement grâce à des obligations de moyens dans la réglementation. Il n'existe donc pas de contrôle de conformité ex post, qui pourrait donner lieu à des actions...
Une question a été posée à propos de l'Allemagne. Ce pays a investi 300 milliards d'euros pour passer de 4 % à 22 % d'électricité d'origine renouvelable, la biomasse représentant de mémoire 6 % ou 7 % de ce total. Les modes intermittents stricts éoliens et photovoltaïques représentent respectivement 7 % et 6 %, soit un total de 13 %. Sur les sept dernières années, le contenu en CO2 du kilowattheure énergétique utilisé en Allemagne n'a pas bougé.
L'Allemagne a par ailleurs mobilisé un million d'hectares pour cultiver du maïs destiné à alimenter les méthaniseurs, ce qui est de mon point de vue une hérésie ! Ils ont fait la même erreur que les Américains avec le bioéthanol. On serait bien inspiré de ne pas faire de même. Il y a beaucoup mieux à réaliser avec le méthane si on en produit à la ferme, à commencer par l'utiliser comme combustible pour les tracteurs : cela me paraît plus intelligent que de produire de l'électricité !
Une remarque a été formulée à propos du fait que nous étions hors sol. Je n'ai pas de contribuables, mais j'ai des clients : c'est aussi une espèce capricieuse. De temps en temps, cela force à avoir les pieds sur terre ! En effet, ce n'est pas The Shift Project qui me fait vivre !
J'ai une règle de gestion à vous proposer en matière de transition énergétique : toute mesure imaginée doit être évaluée à l'aune du pétrole ou du gaz que cela permet de ne pas importer, à service rendu identique, par rapport aux économies réalisées en flux de trésorerie, ou capital expenditures (CAPEX). On se rend compte que les énergies renouvelables électriques sont la dernière des choses à faire avec cet indicateur. À l'inverse, le méthane pour les tracteurs arrive en haut de la liste des priorités. L'isolation des bâtiments également.
Cette règle de gestion bénéficie d'un énorme avantage : dès que vous économisez un million d'euros d'importation de pétrole et de gaz, à service rendu équivalent, vous avez créé vingt emplois, même si on ne sait pas où ils sont ! C'est une règle de trois très simple. En remplaçant une énergie domestique par une autre, à salaire identique, on ne crée aucun emploi !
Sans s'aventurer dans le long débat très intéressant sur l'État, l'Europe et les collectivités locales, j'aimerais faire une remarque générique : la liberté va avec une obligation de résultats, et inversement ! Plus les gens réclament qu'on les laisse libres de faire ce qu'ils veulent, plus il devient légitime de leur dire que le résultat que l'on attend est celui-là et non un autre ! On ne va pas résoudre ici l'éternel controverse entre planificateurs, libéraux, Girondins et Jacobins, mais plus on revendique de libertés, plus on est comptable du résultat. C'est pour moi une question de bon sens ! C'est la règle de management de n'importe quelle entreprise : si on oblige les gens, ils sont moins comptables du résultat que dans le cas où on leur fixe une obligation à laquelle ils doivent se tenir !
Enfin, je ne vois aucune raison que le contexte économique s'améliore du point de vue du PIB, du fait de sa dépendance à l'énergie. J'y vois même une excellente raison pour que les choses continuent à aller en sens inverse ! Tant qu'il n'existe pas de plan porteur pour l'avenir, ce sont les extrêmes que l'on verra monter. Les promesses irréalistes les renforcent. C'est ce que l'on constate partout en Europe. Dire la vérité aux gens est aujourd'hui utile. Ce n'est pas un luxe : c'est absolument indispensable !
Dans un contexte de ressources contraintes, on est obligé de choisir. Si on n'associe pas la population aux choix et à leur hiérarchisation, les choses se déroulent moins bien. Toutefois, ce n'est pas parce qu'on associe la population aux choix que l'on doit empiler toutes les revendications pour contenter chacun ! Ce n'est malheureusement plus possible. On découvre que le monde est fini, pour reprendre une citation qui remonte aujourd'hui à quelques décennies.
J'insiste sur le fait que toute mesure doit être aujourd'hui pensée non pas à moyens croissants, mais plutôt à moyens décroissants, et que la seule manière d'y échapper est de flécher l'endettement que l'on ne remboursera peut-être pas vers des investissements indispensables, afin que le pays augmente sa capacité à fonctionner avec de moins en moins d'énergie fossile.
Ces investissements peuvent être réalisés. Cela ne relève pas nécessairement du budget général. On n'est pas non plus tenu de les faire supporter par les seules collectivités : les ménages et les entreprises peuvent également en assumer une partie, à condition qu'on ne leur demande pas tout à la fois.
Mme Esther Jourdan. - Je ferai une réponse générale qui rejoindra ce qu'a dit M. Jancovici...
Vous nous reprochez de ne pas avoir les pieds sur terre ; vous vous plaignez de n'avoir que très peu de capacités d'investissement et affirmez que vous n'en aurez bientôt plus du tout. Vous êtes persuadés que ce que nous proposons va pousser les gens à descendre dans la rue. Je ne suis pas du tout d'accord ! Je crois que c'est le statu quo qui mènera les gens dans la rue.
À mon tour d'émettre un voeu : il est de votre responsabilité d'avoir une vision sur la question de la transition énergétique, une vision de long terme, qu'il faut étayer. Il faut prendre le temps de comprendre les enjeux de la situation, qui sont très complexes, avant d'innover, même s'il existe des freins à cette innovation. Le temps de discussion contraint fait que nos propositions peuvent apparaître simplistes.
On doit également être pragmatique, viser l'efficacité, et je rejoins les propositions concernant l'économie réalisée en CAPEX.
Il faut enfin être en mesure d'évaluer, de quantifier et de cibler les moyens que l'on peut dégager en faveur de notre pays en termes de transition énergétique, mais surtout en termes d'emplois, d'émissions de gaz à effet de serre, de santé, etc.
M. Pierre Musseau. - Je reviens sur l'enjeu que représentent l'innovation et l'investissement, et sur l'impact de ces mesures sur la DGF. Le premier objectif est de réduire les charges de fonctionnement. Une des solutions est de mutualiser un certain nombre de coûts. La réforme des collectivités territoriales doit permettre de réaliser des économies. On le sait, toute mesure de consolidation budgétaire, comme on l'a vu dans les pays méditerranéens, conduit à une baisse de l'investissement. C'est fort regrettable, et c'est ce qu'on déplore au niveau européen. Nous essayons d'y remédier.
Il y a sans doute des réductions d'investissement à opérer à l'échelon des collectivités locales, qui investissent énormément en proportion PIB. Il faut passer ces investissements en revue et chercher à établir des priorités en fonction des bénéfices socio-économiques que l'on veut atteindre.
En matière de transition énergétique, on peut avoir des moyens spécifiques. Ces moyens pourront être mis en place dans le plan Junker. L'étude de The Shift Project et de la fondation Nicolas Hulot donne des possibilités en faisant appel à des partenariats public-privé pour des contrats de performance énergétique.
Il existe aussi des solutions au sein des collectivités, comme l'intracting, ou convention de performance interne, qui fonctionne très bien à Stuttgart depuis longtemps. L'intracting permet de financer des travaux avec un retour sur investissement relativement court, en faisant en sorte de sortir des contraintes budgétaires des collectivités publiques. Il faut étudier ces solutions. D'autres seraient peut-être plus ambitieuses, comme celles que le sénateur Dantec a proposées. On doit continuer à y réfléchir.
Je voulais également revenir sur le sujet des obligations. Il ne faut pas les rejeter dans leur ensemble, mais les analyser. Je vous encourage à mener des évaluations. On doit les considérer comme des leviers en faveur de l'investissement, en veillant qu'elles ne forment évidemment pas des contraintes à trop court terme. Les étaler est une manière de donner de la visibilité à l'investissement.
Il faut sans doute aussi accorder des marges de manoeuvre aux collectivités locales, afin de mettre en place des interdictions en matière de diesel. Une des mesures qui permettra de réduire la part la plus polluante du diesel est de permettre aux collectivités de réglementer l'accès aux centres urbains, où la pollution pose le plus de problèmes. Cette solution ne touche pas le milieu rural.
Il faut également tenir compte de la fiscalité. On doit être pragmatique : aujourd'hui, on enregistre une baisse du prix du pétrole. C'est une occasion d'augmenter la fiscalité de manière « indolore ». Il ne faut pas rater cette occasion. C'est sans doute un soutien à notre croissance, mais on ne sait combien de temps cela va durer. Augmenter la fiscalité aujourd'hui est une manière d'amortir les hausses à venir, auxquelles il faut se préparer.
Investir dès maintenant, c'est aussi rechercher des économies plus résilientes face à la hausse à venir, aux niveaux français et européen. Elle sera peut-être plus violente que ce que l'on a connu auparavant, étant donné l'arrêt complet des investissements en matière d'exploration des énergies fossiles. Je vous encourage à y veiller à travers les mesures de ce projet de loi.
M. Corentin Sivy. - D'une manière générale, notre parc de centrales nucléaires a été construit en une dizaine d'années. Ces centrales ne sont pas éternelles. D'ici dix à vingt ans, elles vont toutes arriver en fin de vie. Les énergies renouvelables sont les plus avantageuses économiquement, d'où l'intérêt d'investir dès à présent pour préparer les filières de demain.
Pour ce qui est des moyens de financement et d'investissement, la KFW, la banque qui a servi à mettre en place le plan Marshall et la réunification avec l'Allemagne de l'est, est aujourd'hui au service de la transition énergétique. Elle emprunte à des taux extrêmement bas sur les marchés ou auprès de la BCE, et prête aux banques allemandes ou françaises à des taux très intéressants, ce qui permet de financer des investissements à un niveau attractif.
La KFW investit 8 milliards d'euros par an dans la rénovation énergétique des logements. En Allemagne, cela génère 30 milliards d'euros de travaux par an et permet de rénover 500 000 logements par an en France, nous en réalisons à peine 130 000 avec une moyenne de 76 000 euros par logement, là où, en France, on arrive à peine à 20 000 euros. C'est une grande réussite de la transition énergétique allemande. Cela permet de compenser une facture énergétique plus importante qu'en France, du fait des investissements dans les énergies renouvelables.
Le transfert de la fiscalité du travail sur l'énergie est également intéressant. Une part de la facture d'électricité des citoyens allemands sert à financer les retraites. Ce sont des charges patronales et sociales en moins qui, en renchérissant le prix de l'énergie, rentabilisent l'isolation et l'efficacité énergétique, tout en autorisant un effort de subvention moins important de la part de la puissance publique.
Enfin, en matière de biométhanisation, il est bon de tirer les leçons d'un plan allemand que l'on peut considérer comme un échec. Actuellement, toute la ressource en biomasse est utilisée pour être brûlée et transformée en électricité, au lieu de servir à la fabrication de biogaz. Ce n'est pas optimal. Le plan français prépare une solution bien plus pertinente en la matière.
M. Denis Voisin. - Le sénateur Mandelli a insisté sur la nécessité d'impliquer les collectivités locales dans le débat. Nous travaillons beaucoup avec elles. Trois de nos publications sur la mobilité, la restauration collective responsable, et la démocratie participative ont été réalisées avec des élus locaux qui ont développé certaines pratiques sur leur territoire. Nous l'utilisons comme une boite à outils, afin de diffuser ces solutions plus largement. Cela permet d'avoir les pieds sur terre, comme vous l'avez dit.
S'agissant de la fiscalité, le basculement est aujourd'hui essentiel. Votre responsabilité est de le prévoir. Nous travaillons avec l'OFCE pour chiffrer ces scénarios, qui ont commencé à être mis en place. Si l'on arrête le basculement à mi-chemin, on en perd tout le bénéfice. C'est aberrant. Il faut aller jusqu'au bout, et en tirer les avantages en termes d'emplois, de croissance, etc.
Considérons-nous le véhicule diesel comme un « véhicule propre » ? Nous n'aimons pas le terme de « véhicule propre », mais nous ne cherchons pas non plus à accabler le diesel, dans la mesure où il respecte la norme Euro 6, et où les études sur les émissions de particules sont indépendantes. On se base aujourd'hui sur des études de constructeurs, dont la fiabilité a été mise en doute par de plus en plus de voix en Europe. Lorsque l'expertise sera indépendante, on pourra raisonner et conduire des politiques publiques égalitaires, ce qui signifie une fiscalité équivalente pour les deux modes de motorisation. Nous ne demandons pas à le pénaliser, mais il ne s'agit pas non plus de le privilégier. La priorité est de sortir les vieux diesels du parc automobile. C'est tout l'intérêt de la prime à la conversion et des systèmes de discrimination des véhicules polluants. Les collectivités peuvent ainsi agir sur leur territoire.
M. Louis Nègre, président. - Il me revient la responsabilité de conclure.
Nous sommes très heureux de vous avoir accueillis ce matin. Nous regrettons que l'Assemblée nationale n'ait pas eu le temps ou les moyens de le faire. Les sénateurs sont quasiment tous restés pour vous écouter, ce qui démontre la qualité de notre dialogue.
Nous avons apprécié cet échange, qui a été à certains moments assez dynamique ! C'est cela, le dialogue et la liberté, pour reprendre les termes qui ont été employés tout à l'heure. Nous sommes dans un Sénat libre, qui discute avec tous ceux qui veulent être constructifs.
Vous avez évoqué l'intérêt général, et je vous en remercie. Le pragmatisme dont certains ont parlé nous touche car nous sommes sur le terrain tous les jours.
Enfin, je ne suis pas sûr que l'on ait répondu à notre collègue Vaspart qui s'interrogeait sur la propreté du diesel. Pourtant, c'est un sujet qui fait aujourd'hui polémique. On a tous entendu la maire de Paris à ce sujet...
J'espère, dans le cadre de ce projet de loi, réunir tous les partenaires intéressés, spécialistes, associations, experts, OMS, etc... pour savoir où nous en sommes.
J'ai cru comprendre que c'était un problème complexe. Certains affirment que le diesel peut rendre l'air plus propre ! D'un autre côté, on affirme qu'il est cancérigène ! Où est la vérité ? Je n'en sais rien, et c'est pourquoi je compte organiser une réunion pour que l'on puisse s'exprimer à ce sujet, dans cette maison qui est un lieu de liberté et de dialogue.
La réunion est levée à 12 heures 15.
Organismes extra parlementaires - Désignations
La réunion est ouverte à 15 h 30.
M. Hervé Maurey, président. - Nous devons procéder à la nomination des sénateurs amenés à siéger dans des organismes extraparlementaires. Voici la liste des candidatures à ces organismes :
La commission propose également, par anticipation, les candidatures :
- de M. Ronan Dantec, pour siéger en tant que titulaire au sein du Conseil d'orientation de l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d'outre-mer ;
- de Mme Odette Herviaux et de M. Michel Vaspart, pour siéger en tant que titulaires au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.
Il en est ainsi décidé.
Groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes - Communication
La commission entend une communication sur les travaux du groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
M. Jean-Jacques Filleul. - Notre groupe de travail, vous vous en souvenez, a été créé le 22 octobre dernier, à la suite de l'audition devant la commission de Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence. Durant cette audition, nous avions tous été un peu interloqués par les conclusions de l'Autorité de la concurrence sur la rentabilité exceptionnelle des sociétés d'autoroutes. Cet avis n'était pas unique. Il a été publié un an après un autre rapport, tout aussi critique, de la Cour des comptes, sur les relations entre l'État et les sociétés d'autoroutes.
Vous avez souhaité, Monsieur le Président, que nous cherchions prioritairement à faire des propositions pour l'avenir. Nous ne sommes donc pas revenus sur la privatisation - on connaît bien les critiques qu'elle a suscitées, sur tous les bancs du Parlement -, même si, évidemment, on ne peut pas totalement faire abstraction du passé dans nos analyses.
Depuis le 22 octobre, nous avons essayé d'entendre l'ensemble des parties prenantes, pour avoir une approche équilibrée de la question. Du côté des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), nous avons entendu les dirigeants des sociétés « historiques » et leurs actionnaires, mais aussi les dirigeants d'une société d'autoroutes récente, Alicorne - les problématiques étant tout à fait différentes pour ces nouvelles sociétés -, un avocat spécialisé dans la défense des SCA, enfin, la Caisse des dépôts, qui a investi dans certaines sociétés d'autoroutes. Du côté de l'administration, nous avons vu la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), mais Bercy n'a pas accepté de nous rencontrer, ce qui est extrêmement regrettable, compte tenu des enjeux. Nous avons aussi entendu le président de la Commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d'autoroutes, Christian Descheemaeker, et le président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, Pierre Cardo. Les attributions de l'ARAF pourraient en effet être élargies au contrôle du secteur routier, par la future loi « Macron ». Nous avons aussi sollicité une nouvelle fois l'Autorité de la concurrence, pour qu'elle puisse nous préciser certains points, à la lumière des auditions que nous avions réalisées. Nous avons également interrogé des économistes, dont le professeur Yves Crozet, ancien directeur du laboratoire d'économie des transports, ainsi que les membres du cabinet Microeconomix, qui ont réalisé une étude sur les différentes hypothèses de rachat des contrats de concession autoroutière. Enfin, nous avons reçu plusieurs associations d'usagers.
Je vous propose de vous présenter le diagnostic que nous avons établi. Mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ évoquera ensuite les pistes d'évolution pour l'avenir.
Les sociétés concessionnaires « historiques » ont été créées à partir de la fin des années 1950, essentiellement sous la forme de sociétés d'économie mixte, les SEMCA, qui ont été privatisées en 2006. Parmi celles-ci figurent les sociétés APRR et AREA, du groupe Eiffage, la SANEF et la SAPN, détenues en majorité par le groupe Abertis, ainsi que les sociétés ASF et ESCOTA, du groupe Vinci. S'y ajoute la société Cofiroute, créée en 1970, qui, elle, a toujours été privée, et dont l'actionnaire est aussi Vinci.
Ces sociétés historiques sont bien différentes des nouveaux concessionnaires apparus à partir des années 2000, tels qu'A'LIENOR, ALIS, ARCOUR, ALICORNE, etc. Ces sociétés exploitent en effet un réseau moins étendu, souvent moins rentable et en tout cas, dans des conditions beaucoup moins avantageuses. Ainsi, les constats réalisés par l'Autorité de la concurrence comme par la Cour des comptes concernent avant tout les sociétés d'autoroutes historiques.
En premier lieu, nous reconnaissons tous la qualité de notre réseau autoroutier et de son entretien par les concessionnaires. C'est un point positif, qui mérite d'emblée d'être souligné. Nous avons sans doute l'un des plus beaux réseaux autoroutiers d'Europe.
Nous avons ensuite pu remarquer qu'à aucun moment, les chiffres de l'Autorité de la concurrence n'ont été contestés. C'est davantage leur interprétation qui fait débat. Pour que sa portée puisse être appréciée de la façon la plus pertinente, au-delà des réactions « à chaud », cet avis doit à notre sens être replacé dans son contexte.
L'un des chiffres-clés de l'avis de l'Autorité de la concurrence, qui a le plus marqué les esprits, est le chiffre de 20-24 %, qui correspond à la rentabilité nette des sociétés d'autoroutes en 2013. Les sociétés d'autoroutes considèrent que ce chiffre n'est pas représentatif de leur activité, dans la mesure où il méconnaît la particularité du modèle de la concession, qui nécessite un investissement lourd au départ, amorti sur toute la durée de la concession. Ce modèle est représenté par une courbe en J : au départ, la société réalise des pertes, qu'elle compense à la fin de la concession par des profits importants. Les sociétés d'autoroutes préfèrent ainsi mettre en avant un autre chiffre, le taux de rentabilité interne des concessions, ou TRI, qui prend en compte la dette d'acquisition. Ce taux est toutefois très difficile à évaluer et sujet à caution - il faut être très attentif sur ce point -, mais il serait de l'ordre de 6 à 8 %. Par ailleurs, si le modèle de la concession est effectivement caractérisé par une courbe en J, il faut rappeler que les sociétés ont été privatisées au moment où elles généraient déjà des profits : elles étaient donc sur la partie positive de la courbe.
Pour y voir plus clair, il faut replacer l'avis de l'Autorité de la concurrence dans son contexte. Celle-ci a répondu à une demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui lui a posé une question bien précise, sur l'adéquation des tarifs des péages aux coûts du réseau autoroutier, la régulation du système par l'État, et le jeu de la concurrence, en particulier pour la passation des marchés de travaux. Ainsi, l'Autorité ne s'est pas intéressée au prix de la cession des participations de l'État réalisée en 2006, et n'a pas cherché à savoir si les sociétés avaient alors réalisé une bonne affaire ou non - ce n'est d'ailleurs pas son rôle. Elle a regardé l'activité d'exploitation autoroutière en tant que telle, et ce qu'elle a constaté, c'est que la formule d'indexation des péages sur l'inflation, qui est déconnectée des charges supportées par les SCA, n'est pas pertinente, car elle crée une rente préjudiciable à l'usager. Ainsi, indépendamment du prix d'acquisition des dernières participations publiques dans les anciennes SEMCA, l'activité d'exploitation autoroutière génère une rente, qui n'est pas justifiée par le niveau du risque supporté par les SCA, compte tenu de leur situation de monopole. En effet, le risque-trafic est limité, puisque la clientèle est captive, et le risque lié à la dette est faible aussi, compte tenu des flux de liquidités générés par les péages. D'ailleurs, les mécanismes d'optimisation mis en oeuvre par les SCA, qui ont versé des dividendes exceptionnels à leurs actionnaires et privilégié l'endettement pour leurs investissements, le prouvent. D'après l'Autorité de la concurrence, alors qu'entre 2003 et 2005, les SCA historiques versaient en moyenne moins de 60 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires, ce taux est passé à 136 % en moyenne les huit années suivantes (95 % si l'on neutralise les dividendes exceptionnels et les dividendes de Cofiroute, qui a toujours été privée) !
La question est donc de savoir comment on peut revenir sur cette rente injustifiée, qui pénalise en premier lieu l'usager. On peut relever que cette rente bénéficie, aussi, par ricochet, à l'État. D'après les sociétés d'autoroutes, près de 40% de leur chiffre d'affaires revient à l'État (via la TVA, l'impôt sur les sociétés, la fiscalité spécifique applicable aux concessions autoroutières...) ; soit environ 4 milliards d'euros par an. Je ne dis pas que cette ponction de l'État est injustifiée, car elle concerne toutes les activités économiques, mais plus le gâteau est grand, plus la part de l'État l'est.
Certes, cette rente n'aurait pas été aussi élevée sans la privatisation, puisque les acteurs privés ont amélioré leur productivité. Mais le problème principal est que l'État n'a pas modifié le cadre juridique applicable aux concessions lorsqu'il les a privatisées. Il ne s'est aucunement préparé à mener des négociations avec de grands groupes privés, qui savent défendre leurs intérêts, tout en restant dans le cadre légal. Cela s'est vu, en particulier, avec la pratique des contrats de plan. Pour mémoire, ces contrats permettent à l'État d'obtenir des investissements supplémentaires de la part des sociétés d'autoroutes, non prévus dans les contrats de concession initiaux, en échange d'une augmentation des péages, le plus souvent, ou d'une prolongation des concessions. Ils présentent donc un intérêt pour les sociétés d'autoroutes, mais aussi pour l'État impécunieux, qui fait réaliser des travaux sans en assumer le coût.
Or, la Cour des comptes a très clairement démontré que ces contrats ont été systématiquement négociés à l'avantage des concessionnaires, tant sur le champ des opérations compensées, que sur l'évaluation ex ante du prix des travaux.
En ce qui concerne le champ des opérations compensées, un exemple en particulier nous avait marqué, lors de l'audition de M. Lasserre : le télépéage sans arrêt (TSA). D'après la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, cet investissement n'aurait pas dû être compensé par l'État, car il est probable que les sociétés d'autoroutes l'auraient réalisé de toute façon. Nous avons interrogé les SCA sur cette question, mais aussi la DGITM, qui a négocié les contrats. Ils nous ont tous affirmé que ces investissements n'auraient pas été réalisés sans compensation. Face à des points de vue si divergents, il nous est difficile de nous prononcer sur la question. Mais, sans vouloir anticiper sur l'intervention de mon collègue, on voit bien ici l'intérêt de recueillir l'avis d'une autorité indépendante sur ce type de question.
En ce qui concerne l'évaluation ex ante du prix des travaux, et le calcul de la compensation des SCA, l'État souffre d'une asymétrie d'information qui l'empêche de payer le juste prix. C'est un vrai problème, dont il faut avoir bien conscience. En plus, ces contrats de plan accentuent la déconnexion entre les tarifs des péages et la réalité du coût des autoroutes. En effet, en l'absence de contrat de plan, les tarifs des péages augmentent en moyenne d'un pourcentage équivalent à 70 % de l'inflation, ce qui, déjà, est contestable. Mais lorsqu'un contrat de plan est signé, ces tarifs augmentent de 80 % de l'inflation, plus un reliquat correspondant à la compensation du coût des travaux. Mais pourquoi passe-t-on tout d'un coup de 70 % à 80 % de l'inflation, si les travaux sont compensés par le reliquat ? Cela n'est pas logique.
On le voit, la responsabilité de l'État dans ces dérives est clairement en cause. Si la DGITM réalise un travail conséquent sur le plan technique, pour s'assurer que les opérations réalisées correspondent bien aux normes attendues, en matière de sécurité par exemple, on a l'impression d'un réel vide dès que l'on aborde les questions financières. Celles-ci devraient pourtant être suivies de près, compte tenu du monopole exercé par les SCA.
Un défaut de régulation a aussi été constaté au sujet de la passation des marchés de travaux des SCA. La commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d'autoroutes est censée veiller au respect des obligations applicables dans ce domaine, après un premier contrôle par les commissions des marchés instituées au sein de chaque société. Mais elle n'a pas les moyens de ses missions. Son nouveau président nous a indiqué qu'il avait écrit aux ministres pour obtenir l'autorisation de publier son rapport et ainsi permettre davantage de transparence dans ce domaine, comme le prévoit le décret qui régit son activité ; il n'a pas eu de réponse. En outre, il ne possède pas l'ensemble des informations nécessaires à un contrôle effectif du respect, par les sociétés, de leurs obligations en termes de passation des marchés. Le seuil de mise en concurrence pour les marchés de travaux est aujourd'hui fixé à deux millions d'euros. Or, la commission nationale des marchés ne parvient pas toujours à obtenir la communication des marchés inférieurs à ce montant, ce qui l'empêche de vérifier que les sociétés n'ont pas fractionné volontairement des marchés de travaux pour échapper aux contraintes de la mise en concurrence.
J'ai été un peu long, mais je crois vous avoir démontré que cette situation ne peut perdurer en l'état. Je laisse la parole à mon collègue pour évoquer les pistes d'évolution.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Il nous semble qu'il faut tout d'abord bien définir les problèmes auxquels nous essayons de répondre. Comme mon collègue l'a expliqué, le premier enjeu, essentiel, est de mettre fin à cette situation de rente qui pénalise lourdement l'usager. Il ne faut pas se tromper de débat : l'objectif n'est pas de récupérer sur les sociétés d'autoroutes, les recettes que l'on n'a pas réussi à obtenir avec l'écotaxe... Même si je reconnais que ces deux dossiers sont proches, car ils abordent tous les deux la question de la tarification de l'usage de l'infrastructure.
L'autre enjeu est celui de la transparence. Il faut que l'État sache ce qu'il finance et que l'usager sache ce qu'il paie. Il y a aujourd'hui trop de zones d'ombres, ce qui n'est pas normal. L'État reste tout de même le propriétaire de ces infrastructures !
Vous connaissez le contexte dans lequel nous nous situons. Les contrats de concession conclus avec les différentes sociétés ont été « bétonnés » dans les règles de l'art. Nous sommes par ailleurs sensibles à la nécessité de préserver un climat de confiance pour les investisseurs, et conscients de l'impossibilité de remettre en cause la signature de l'État sans compensation, même si l'État a été pendant toutes ces années un négociateur peu avisé.
Nos propositions s'articulent autour de trois axes : renforcer la transparence et la régulation du secteur, changer de modèle pour les contrats de plan et avancer sur le chemin d'une reprise en main par l'État des concessions autoroutières.
Le premier axe est donc de renforcer la transparence et la régulation du secteur. La première des propositions est de sortir de l'opacité, en obligeant les SCA à communiquer chaque année au Parlement, à l'administration et aux autorités de contrôle compétentes toutes les données nécessaires à la transparence.
Nous soutenons par ailleurs le projet d'élargissement des compétences de l'ARAF au contrôle du secteur autoroutier - à condition toutefois qu'elle soit dotée des moyens adéquats. L'ARAF devra avoir le même pouvoir de régulation que celui dont elle dispose dans le domaine ferroviaire, où elle a fait ses preuves. Elle portera un regard indépendant, extérieur à l'administration, sur ces questions, alors que les services de l'État sont souvent confrontés à des commandes multiples et parfois contradictoires (négociations de plusieurs grandes opérations d'infrastructures à la fois, qui influent les unes sur les autres, nécessité d'aller vite, etc.). Elle permettra aussi de restaurer une certaine transparence sur ces questions.
Dans le projet de loi « Macron », l'ARAF est pour l'instant dotée d'un pouvoir d'avis consultatif sur les contrats signés entre l'État et les SCA, limité aux contrats ayant « une incidence sur les tarifs des péages ». Il faudra aller plus loin, car les contrats qui prolongent la durée des concessions ne doivent pas passer à la trappe - cette remarque ne vaut toutefois que si l'on continue à autoriser de tels contrats, ce qui n'est pas évident. Sur certains sujets, un avis conforme doit être envisagé. Enfin, l'Autorité devra disposer du pouvoir de sanctionner les manquements qu'elle aura constatés.
En parallèle, et comme l'avait déjà préconisé la Cour des comptes, il est impératif que les questions financières soient mieux prises en compte par l'administration elle-même, en amont, lors de la négociation des contrats. La Cour des comptes avait ainsi suggéré la mise en place d'une procédure interministérielle associant la DGITM et les services de Bercy tout au long de la procédure de négociation des contrats. Même en l'absence de négociation contractuelle, nous pensons qu'un suivi plus régulier des aspects financiers des concessions doit être assuré par les services des ministères financiers. Il faudrait aussi développer une évaluation ex post des contrats de plan réalisés par le passé, afin d'en tirer les leçons pour l'avenir et de les rendre plus transparents pour l'usager.
En ce qui concerne le contrôle des marchés de travaux des sociétés d'autoroutes, le président de l'ARAF nous a indiqué ne pas vouloir exercer de rôle particulier dans ce domaine. Il craint en effet que la multiplication des tâches relevant de la responsabilité de l'ARAF engendre une dilution de ses moyens et l'empêche d'exercer correctement son rôle. Cette question devra être réglée dans le cadre des débats autour du projet de loi « Macron », car la situation actuelle n'est pas satisfaisante, puisque la commission nationale des marchés des SCA ne dispose pas des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions, comme l'a exposé mon collègue tout à l'heure.
Quelle que soit l'autorité en charge de veiller au respect des obligations des SCA en termes de passation des marchés, elle devra être autorisée à saisir la justice des marchés qu'elle estimera douteux.
Nous pensons par ailleurs que le seuil de mise en concurrence doit être abaissé à 500 000 euros, comme le préconise l'Autorité de la concurrence, et reprenons à notre compte l'ensemble des recommandations qu'elle a formulées pour améliorer les conditions de la concurrence dans les appels d'offres des sociétés d'autoroutes.
J'en viens au deuxième axe : changer de modèle pour les contrats de plan. Puisqu'il est très difficile de toucher à l'équilibre des contrats de concession, la question posée, à très court terme, est de savoir si, oui ou non, nous devons signer de nouveaux contrats de plan.
Comme vous le savez, le Gouvernement a négocié un plan de relance autoroutier - une sorte de super-contrat de plan -, d'un montant de 3,6 milliards d'euros, en échange d'une prolongation des concessions de 2,5 à 6 ans. Ce plan a été soumis à Bruxelles, qui a donné son accord pour 3,2 milliards d'euros d'investissement, mais l'État n'a - fort heureusement - pas encore signé ce plan. Il nous paraît tout à fait impensable que le Gouvernement le signe en l'état, car cela reviendrait à perpétuer un modèle dont nous savons aujourd'hui qu'il est extrêmement défavorable à l'usager et à l'État. Le Gouvernement en est conscient, si l'on en croit l'actualité.
J'ajoute que le périmètre de ce plan de relance autoroutier a été remis en cause par l'Autorité de la concurrence, qui n'a pas hésité à parler d'adossement à son sujet. En effet, il permet l'attribution de gré à gré, sans mise en concurrence, de la construction et l'exploitation de nouvelles sections autoroutières.
Dans ce domaine, deux options sont possibles.
La première serait de mettre un terme à la pratique des contrats de plan et d'attendre la fin des concessions, prévue pour les années 2030. Cette mesure aurait l'effet mécanique de limiter la progression des péages à 70% de l'inflation, soit la formule « de base », dès l'année prochaine pour la SANEF et pour Cofiroute, et à partir de 2017 pour ASF et ESCOTA. Il faudrait d'ailleurs expertiser la question de savoir si l'on peut revoir cette formule réglementaire d'indexation des péages. En parallèle, la pression devrait être maintenue sur les sociétés d'autoroutes, pour qu'elles continuent à remplir leurs engagements contractuels de droit commun. Quant aux travaux prévus dans le plan de relance, soit leur champ devrait être réduit, soit ils devraient être financés par d'autres moyens, par exemple de nouvelles mises en concurrence. C'est une solution qui doit être prise en considération.
La deuxième option possible, si le Gouvernement persiste dans la volonté de lancer un plan de relance autoroutier, serait de le remanier profondément, pour rééquilibrer les relations entre l'État et les SCA. Il ne fait aucun doute que les sociétés d'autoroutes ont profité d'une solution confortable par le passé. Ce sont d'ailleurs souvent elles qui formulent des propositions à la DGITM sur le contenu des contrats de plan. L'État doit redevenir une force de proposition et de négociation : ces géants du BTP ont autant besoin de travaux que le Gouvernement !
Une négociation avec les sociétés d'autoroutes est en cours. Elle doit à notre sens aboutir à un ajustement de la loi tarifaire des concessions, car l'usager ne comprendrait pas que la situation n'évolue pas, malgré les rapports de l'Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes. Il faudrait que les péages diminuent, ou au moins qu'ils soient gelés pendant deux ou trois ans. En outre, l'évolution du trafic pourrait être prise en compte dans la formule tarifaire, comme le suggère l'Autorité de la concurrence. Il faudrait également prévoir des obligations de réinvestissement des bénéfices et des clauses de partage des bénéfices, comme c'est le cas pour les nouvelles concessions.
Quelle que soit la solution retenue, il est impératif que le Parlement soit consulté avant toute décision du Gouvernement dans ce domaine. C'est un gage de transparence. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que dans le passé, lorsque la privatisation des autoroutes a été décidée en catimini ! L'enjeu est trop important pour que le Gouvernement agisse seul.
J'aborde enfin la question, sensible, du rachat des concessions autoroutières.
Nous travaillons depuis moins longtemps que l'Assemblée nationale sur ces sujets, mais je dois dire que nous sommes assez sceptiques sur la perspective d'un rachat généralisé des concessions existantes, défendue par Jean-Paul Chanteguet. Il ne faut pas négliger les conséquences d'une telle mesure, qui risque d'engendrer un contentieux très lourd, avec des conséquences financières, voire sociales, importantes. Les calculettes sont en train de tourner, mais il ne faut pas oublier que si l'on remet en jeu les concessions, il faudra revoir les tarifs des péages, pour mettre fin à la situation de rente dénoncée par l'Autorité de la concurrence. L'État devra ainsi débloquer des sommes importantes pour le rachat des concessions, avec des perspectives de recettes plus faibles, ce qui semble compliqué par les temps qui courent. C'est donc, de notre point de vue, un pari risqué, qui mériterait en tout cas une expertise beaucoup plus poussée pour que nous nous aventurions à le proposer.
Ceci étant, rien n'oblige l'État à procéder de la même façon pour toutes les concessions. Ainsi, nous proposons qu'il s'engage, si les circonstances le justifient, dans le rachat d'une concession, afin de dresser un bilan des avantages et des inconvénients de ce type d'opération. L'État pourrait ainsi affiner son expertise dans ce domaine, avant de passer, éventuellement, à une étape plus « radicale » de rachat généralisé.
Je vous remercie de votre attention, et je remercie aussi l'ensemble des membres du groupe pour leur participation suivie à ces travaux qui ont été, me semble-t-il, très constructifs.
M. Hervé Maurey, président. - Je remercie et félicite l'ensemble des membres du groupe de travail et ses deux co-présidents. En raison du renouvellement sénatorial, ils ont eu peu de temps pour se saisir de l'ampleur du problème et formuler des propositions. Nous ne pouvions pas non plus attendre six mois, car nos propositions seraient arrivées à contretemps. Le Gouvernement a en effet décidé d'agir vite sur ce sujet, ce dont nous pouvons nous féliciter, même si l'on ne connaît pas encore la teneur des mesures qu'il envisage.
Les propositions du groupe de travail me paraissent pragmatiques, équilibrées et réalistes. Elles s'articulent autour de pistes intelligentes : l'amélioration de la transparence pour mettre fin à l'opacité actuelle, le renforcement du contrôle avec une véritable instance de régulation, la suppression ou l'encadrement sévère des contrats de plan afin d'éviter les dérives observées ces dernières années, l'option d'une nationalisation en dernier recours qui permet d'en conserver le caractère dissuasif. Je souscris pleinement à ces propos et laisse à présent les autres membres de la commission exprimer leur point de vue.
Mme Évelyne Didier. - J'ai participé au groupe de travail et je me réjouis de ce que nous avons fait en nous appuyant sur les auditions et les rapports de l'Autorité de la Concurrence et de la Cour des comptes. Le Parlement, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, s'est fort heureusement saisi de ce sujet : j'espère qu'à l'avenir, il sera davantage associé aux décisions prises.
Je rappelle pour mémoire que le groupe communiste républicain et citoyen (CRC) a déposé une proposition de loi en 2011, préconisant la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui n'a malheureusement pas été adoptée.
Compte tenu de l'impossibilité d'obtenir les informations commerciales et financières nécessaires pour creuser davantage le sujet, je suis convaincue de la nécessité de créer une commission d'enquête afin que Bercy ne puisse plus se dérober. Je le propose officiellement, Monsieur le Président. Nous avons vraiment besoin d'en savoir plus.
Il y a évidemment un consensus sur le diagnostic qui vient d'être établi : des décisions de privatisation hasardeuses et trop rapides en 2005 au détriment des intérêts de l'État, des usagers, des salariés et des citoyens ; une impossibilité de savoir comment se construit la position de l'État, en particulier sur les aspects financiers ; une optimisation de la rentabilité tirée d'un service public dans le cadre d'un monopole, celui des sociétés autoroutières ; des gains de productivité incompatibles avec la défense de l'emploi, avec 10-11 % de suppressions d'emplois au total ; la faiblesse de l'État dans les négociations, qui ont toujours été conclues en sa défaveur.
Je souscris aux préconisations du groupe de travail, moyennant quelques ajouts. Je suis évidemment favorable au gel des tarifs autoroutiers en attendant d'y voir plus clair. En ce qui concerne la fin des extensions des concessions, j'insiste pour que cela soit entendu autant dans leur durée que dans leur périmètre. Je souhaite enfin que toutes les solutions potentielles soient examinées : mon avis diverge en ce sens de celui de mes collègues, car j'aurais aimé que l'option d'une renationalisation totale ou partielle ne soit pas écartée d'emblée. J'aurais pu voter ce texte à cette condition, mais il ne m'a pas échappé que mon groupe n'était pas majoritaire dans cette commission. Je vais donc m'abstenir, mais c'est une abstention positive.
Mme Odette Herviaux. - Je félicite le groupe de travail pour sa réactivité et la qualité de sa présentation. Je souscris aux propositions formulées, y compris sur l'attitude prudente à adopter quant à la question de la nationalisation, en cette période où l'argent public est rare. Il faut bien garder à l'esprit que si l'État devait renationaliser ces autoroutes, ce ne serait pas pour empocher à son tour les bénéfices, mais pour restituer du pouvoir d'achat aux citoyens !
M. Ronan Dantec. - Étant donnée la mauvaise volonté dont fait preuve Bercy pour transmettre les informations nécessaires, je soutiens la proposition d'Evelyne Didier : une commission d'enquête s'impose !
Je trouve que les propositions qui viennent de nous être présentées sont plutôt retenues. Il faut affirmer plus clairement qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des choses, de s'engager dans la voie d'une extension des concessions en contrepartie de travaux supplémentaires. Le discours politique doit être extrêmement ferme sur ce point, afin que nous prenions le temps de rechercher la bonne solution. Le rachat des concessions me paraît également complexe à mettre en oeuvre. Nous devons en revanche explorer la piste des exonérations fiscales sur les intérêts d'emprunt, qui augmentent énormément.
M. Jean-Jacques Filleul. - La commission des finances a déjà réglé le problème : ce sera 50 % en 2013 et après c'est terminé.
M. Ronan Dantec. - Merci pour ces précisions. Il y a quand même un certain nombre de redevances sur lesquelles on peut jouer, et qui font partie d'une négociation. Il faut ramener le taux de rentabilité à un niveau normal, autour de 8-10 % alors qu'on est entre 20 et 25 % actuellement : 15 % du bénéfice actuel des sociétés d'autoroutes doivent revenir directement dans la poche de l'État. Il faut que l'État soit extrêmement ferme face aux grands groupes du BTP.
Il faut donc aller plus loin. Je vais m'abstenir également sur ce vote, tout en reconnaissant la qualité des travaux menés. La piste d'une commission d'enquête me semble assez logique.
M. Jérôme Bignon. - Quelque chose m'échappe : quelle est exactement la nature du lien juridique entre contrat de concession et contrat de plan ? Outre leur dénomination ambiguë, ces contrats de plan sont-ils prévus par le contrat de concession initial ? Une modification d'un contrat de plan conduit-elle systématiquement à devoir verser une compensation ? Est-ce que vous rajoutez des contrôles supplémentaires, ou s'agit-il simplement de contrôles initialement prévus mais qui n'ont pas été réalisés ? En général, la transparence est la base d'un contrat de concession !
M. François Aubey. - A l'issue de l'audition de Bruno Lasserre, j'avais cru comprendre que nous étions tous d'accord sur les conclusions à tirer du rapport de l'Autorité de la concurrence. Aujourd'hui, il apparaît que cela n'est pas vraiment le cas, puisque nos rapporteurs apparaissent partagés et embarrassés, sans doute en raison du manque de transparence de Bercy. Savez-vous pourquoi ce contrat avait été aussi mal négocié à l'époque ?
M. Rémy Pointereau. - Quelles sont les conclusions de l'avocat que vous avez rencontré au cours de vos auditions ? Quant aux contrats de plan, vous faites bien référence à des contrats public-privé ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le contrat de plan est un avenant au contrat de concession.
M. Rémy Pointereau. - Le nom est trompeur !
M. Hervé Maurey, président. - C'est malheureusement le terme officiel, mais il est effectivement peu judicieux.
M. Rémy Pointereau. - Je trouve également que l'idée de racheter une concession pour faire une expérimentation n'est pas mauvaise. Cela permettra de tester concrètement la faisabilité de cette solution. En conclusion, le groupe UMP approuve globalement les conclusions du groupe de travail.
M. Patrick Chaize. - J'ai apprécié de participer au groupe de travail et souligne l'excellent climat de nos réunions. Je souhaiterais ajouter quelques précisions. Quand on parle de privatisation des autoroutes, il faut bien garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas d'un transfert de propriété mais d'une privatisation de l'exploitation du réseau.
En ce qui concerne la concession, il me semble que le problème principal tient au fait que le contrat a été négocié à l'époque entre l'État et l'État : on n'était donc pas allé au bout des choses, on n'a pas réglé les moindres détails, et les entreprises privées ont repris le contrat à l'identique. C'est à ce moment qu'il aurait fallu ajouter des clauses sur la transparence, les indicateurs, le prix, les avenants et travaux à venir.
Mme Évelyne Didier. - Tout-à-fait !
M. Patrick Chaize. - Depuis, les contrats de plan ont eu pour seul effet d'offrir aux concessionnaires la possibilité de réajuster au fil du temps leur rentabilité : les prévisions de trafic ont été moins bonnes que prévues et les sociétés d'autoroutes ont ainsi pu s'ajuster périodiquement pour maintenir leurs profits, en s'écartant de la trajectoire initialement prévue.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il y a aujourd'hui 15 % à récupérer. En intégrant le remboursement de l'investissement initial, le taux de rentabilité évolue entre 6 et 8 %, ce qui n'est pas aberrant.
L'idéal serait à minima d'entamer une renégociation entre l'État et ses concessionnaires, afin de repartir sur des contrats modernes et actualisés. Il y a un véritable besoin de lisibilité. Aujourd'hui, on ne sait même pas ce qui va advenir à l'échéance du contrat : le prix du péage va-t-il fortement diminuer puisque les investissements seront amortis ? Ou, au contraire, ce prix va-t-il être maintenu afin de dégager des ressources pour investir ailleurs ? Nul ne le sait, pourtant il y a un véritable enjeu ! Du point de vue du consommateur, il n'est pas équivalent de savoir s'il s'agit d'une rente à vie pour les sociétés autoroutières ou si les autoroutes seront presque gratuites en 2030...
M. Jean-Jacques Filleul. - Je vous remercie pour vos commentaires et souhaiterais à mon tour saluer l'implication de l'ensemble des membres du groupe de travail dans ce dossier complexe.
Nous considérons qu'il n'est pas souhaitable de suivre la position de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, qui s'est prononcée en faveur d'une reprise, par l'État, de l'ensemble des concessions d'autoroutes.
Notre proposition de mettre fin à la pratique des contrats de plan est bien plus forte. J'ajouterai que l'insuffisance du suivi financier des concessions par les services de l'État nous a particulièrement surpris. Le fait que le cabinet du ministre du budget ait refusé de nous rencontrer n'est peut-être pas le fruit du hasard.
Nos collègues Evelyne Didier et Ronan Dantec ont évoqué la piste de la création d'une commission d'enquête. Il ne nous est pas possible de prendre ici une telle décision. Notre rôle consiste aujourd'hui à formuler des propositions. Si cela s'avère nécessaire, il faudra parvenir à ce que les concessionnaires acceptent, en particulier, le gel des péages pendant quelques années.
Les bénéfices réalisés au détriment des usagers ont été évoqués. La fiscalité a longtemps été favorable aux concessionnaires, mais ils n'ont pas été les seuls à en profiter. Ils en ont profité de manière quelque peu excessive, il est vrai, en rémunérant leurs mandants et en empruntant à due concurrence pour réaliser les travaux. La fiscalité le leur permettait. En fait, les usagers ont contribué à payer les actionnaires, par le jeu d'une économie circulaire !
Concernant les contrats de plan, je préciserai qu'il s'agit d'avenants négociés tous les cinq ans dans le cadre de travaux complémentaires ou de nouveaux tracés demandés aux concessionnaires, ayant pour contrepartie l'augmentation de la durée des concessions ou l'augmentation des tarifs des péages.
À la question de savoir pourquoi les concessions autoroutières ont été mal négociées, je rappellerai que notre objectif n'était pas d'étudier le passé. Nous estimons simplement qu'une certaine précipitation a conduit à la situation actuelle. L'État a travaillé avec les concessionnaires comme il l'avait fait précédemment avec les SEGMA et SEMCA.
En réponse à Rémy Pointereau, je préciserai que les conclusions de l'avocat auditionné sont qu'il est difficile juridiquement de modifier l'équilibre des contrats de concession actuels. D'où nos propositions de changer de modèle pour les contrats de plan et de modifier le seuil de mise en concurrence des marchés de passation de travaux.
Enfin, je tiens à indiquer que je partage naturellement la position exprimée par Patrick Chaize, membre du groupe de travail que j'ai eu l'honneur de co-présider.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie pour ces réponses et rappellerai pour conclure que le projet de loi pour la croissance et l'activité sera l'occasion de déposer des amendements sur ce sujet des concessions autoroutières.
Même si nous n'avons pas formellement à procéder à un vote sur un rapport, je note que les membres des groupes UMP, UDI-UC et socialistes sont favorables aux propositions du groupe de travail, et que les membres des groupes écologiste et CRC s'abstiennent.
La réunion est levée à 16 h 40.