- Mardi 9 décembre 2014
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de Mme Marylise Léon, secrétaire nationale de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), responsable de la politique du développement durable, des politiques industrielles, de la recherche, de l'enseignement supérieur et de la coordination en matière de RSE
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jacky Chorin, représentant de la Confédération Force Ouvrière - Membre du Conseil économique, social et environnemental
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Alexandre Grillat, secrétaire national au secteur « Développement durable, logement, RSE et énergie » de la Confédération Française de l'Encadrement - Confédération Générale des Cadres (CFE-CGC)
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable de la politique énergétique et industrielle à la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie - Confédération Générale du Travail (FNME-CGT)
- Nouvelle organisation territoriale de la République - Examen du rapport pour avis
- Mercredi 10 décembre 2014
- Transition énergétique pour la croissance verte - Table ronde avec des représentants d'organisations non gouvernementales
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des Énergies Renouvelables (SER)
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux, auteurs du rapport intitulé « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc » fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)
- Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)
Mardi 9 décembre 2014
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente -Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de Mme Marylise Léon, secrétaire nationale de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), responsable de la politique du développement durable, des politiques industrielles, de la recherche, de l'enseignement supérieur et de la coordination en matière de RSE
La réunion est ouverte à 14h30.
Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente. - Notre président, Jean-Claude Lenoir, est à Lima, pour la Conférence sur le climat. Mme Marylise Léon va nous présenter la position et les propositions du syndicat CFDT sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte.
Vous êtes, à la CFDT, en charge de la négociation sur la réforme du dialogue social, mais vous suivez également la transition énergétique. En quoi ce projet de loi favorise-t-il la compétitivité des entreprises, la création d'emplois, nos futures industries d'excellence et la croissance de nos territoires ? Ce texte apporte-t-il une vraie réponse à ceux de nos concitoyens qui, de plus en plus nombreux, ont des difficultés pour régler leur facture d'énergie ?
Mme Marylise Léon, secrétaire nationale de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), chargée du développement durable. - Dominique Olivier, secrétaire confédéral chargé du développement durable, sera heureux de répondre également à vos questions. Cela fait plusieurs années que la CFDT s'est investie dans une réflexion sur la transition énergétique, à l'occasion des conférences environnementales ou dans les débats publics et citoyens organisés sur la question. Nous ne nous contentons pas de réfléchir aux conséquences qui résulteront des choix économiques et environnementaux liés à la transition énergétique. Pour nous, la question est d'abord sociale et nous la posons en termes d'emplois et de transition professionnelle. Nous évaluons l'impact des options proposées sur la vie quotidienne des salariés - la qualité des logements, les transports, les ressources énergétiques. Lors de notre dernier congrès, nous avons clairement affiché notre ambition de travailler sur cet enjeu : comment agir collectivement pour aborder cette mutation tout à la fois économique, financière, sociale et environnementale ? Nous ne ferons pas rimer croissance et réduction de la consommation d'énergie sans mener une réflexion nouvelle. Nous proposons de centrer cette réflexion sur la qualité - celle de notre travail, de notre cadre de vie, de l'écosystème, du fonctionnement démocratique et du dialogue social.
La diversification des modes de production pour renforcer notre efficacité énergétique nous paraît un bon choix. Nous le soutenons, car il est en phase avec les engagements défendus par la Confédération européenne des syndicats et par la Confédération syndicale internationale. Diviser par deux notre consommation d'énergie à l'horizon 2050 est une obligation qui n'implique pas forcément la décroissance. Ce n'est pas une punition ! Produire et consommer autrement est possible, en s'appuyant sur l'intelligence et l'innovation. L'économie circulaire consiste à trouver les meilleures approches pour produire à moindre coût et sans gaspillage des ressources rares. Il manque un objectif intermédiaire dans les prévisions de réduction de la consommation d'énergie à l'horizon 2030. Une diminution de 20 % à 2030 ne suffira pas : elle implique un effort énorme entre 2030 et 2050. La sobriété précède l'efficacité énergétique dans l'ordre des priorités. Nous souhaitons que cette ligne soit clairement établie dans le projet de loi, ce qui est loin d'être le cas.
On a l'habitude de brandir un chiffre totem dans les discussions sur la part du nucléaire dans la production d'électricité. Fixer l'objectif à 60 % en 2030, voilà ce qui nous paraît plus réaliste. Il faudra nous préparer à la fermeture d'un certain nombre de centrales. En l'état actuel, le dialogue social ne permet pas d'envisager de tels changements. La transition professionnelle reste à aménager pour les personnes dont l'emploi risque d'être menacé - non statutaires, sous-traitants ou prestataires. La mobilité est une piste.
Nous ne pouvons que nous interroger sur la disposition qui prévoit de définir un prix compétitif pour les énergies renouvelables (EnR). La philosophie de l'économie circulaire consiste à faire reculer la consommation d'énergie, jusqu'à pouvoir idéalement s'en passer. À quoi servirait-il donc de fixer un prix compétitif ? La modulation du tarif d'achat des EnR en fonction d'un prix de marché et d'un complément de rémunération nous convient. Mieux vaut encourager l'investissement plutôt que la rente. Nous sommes particulièrement favorables à la participation des collectivités territoriales et des citoyens au capital des sociétés produisant ces énergies. Quant aux dispositifs relatifs aux concessions hydroélectriques, ils sont insatisfaisants, voire dangereux.
Il nous paraît important de faciliter les opérations de rénovation thermique des logements, tant pour le diagnostic que pour la qualité des prestations ou pour le financement. Le projet de loi y contribue, en installant des plateformes territoriales et en prévoyant un certain nombre de subventions ou d'incitations fiscales. Nous soutenons l'obligation de travaux. Nos concitoyens gagneront en confort et en hygiène, les factures d'énergie baisseront et l'on préviendra mieux les risques domestiques. Des interrogations demeurent sur le cadrage des guichets uniques. Un renforcement des structures décentralisées - et des moyens - de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est souhaitable. Nous sommes également favorables à un fléchage d'une partie des certificats d'énergie sur la résorption de la précarité énergétique.
Une réflexion sur les besoins de mobilité, donc sur l'organisation du travail - notamment, le développement du télétravail - s'impose pour faire baisser la consommation d'énergie liée aux transports. La mise en place de transports collectifs adaptés est une autre piste. Elle pourra être négociée dans le cadre des plans de déplacement intra- ou interentreprises. Enfin, la transition professionnelle est déjà en cours dans certaines régions, comme l'Ile-de-France ou le Nord-Pas-de-Calais. Des expériences y ont été menées pour créer quelques milliers d'emplois autour d'un objectif d'efficacité énergétique. Lors du Grenelle de l'environnement, nous proposions déjà d'établir, au sein des branches professionnelles, un diagnostic partagé, sur les emplois touchés et sur l'évolution des métiers, afin d'anticiper les évolutions de compétences nécessaires. Des négociations collectives dans les filières professionnelles sont à articuler avec les réflexions concernant les territoires. On pourrait adjoindre aux schémas régionaux climat-air-énergie, un volet emplois-compétences-formation pour anticiper les évolutions de métiers. On optimiserait ainsi l'efficacité énergétique, tout en créant des emplois nombreux et de qualité.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Le seuil des 60 % qui devrait, selon vous, définir la part du nucléaire dans la production d'électricité en 2030 est-il le résultat d'une analyse scientifique ? Vous nous avez fait part de votre inquiétude sur le devenir des emplois dans la filière du nucléaire. Je crois que vous aviez été plus explicite, lors de votre audition par la commission homologue de l'Assemblée nationale. Pourriez-vous nous en dire plus sur les difficultés de reclassement auxquelles les salariés du nucléaire risquent d'être confrontés ? Comment encourager le recours aux EnR thermiques - réseau de chaleur renouvelable, méthanisation, biogaz ? Ces énergies ont l'avantage d'être permanentes, et elles peuvent se développer partout sur le territoire.
M. Yannick Vaugrenard. - L'objectif affiché d'une baisse de la consommation d'énergie ne doit pas obérer l'évolution nécessaire de la croissance : c'est là une position intéressante, à laquelle on devrait davantage faire écho. La Confédération européenne des syndicats, à laquelle vous participez, a certainement mené une réflexion sur la transition professionnelle - sujet douloureux en Allemagne, où s'est opéré un passage brutal du nucléaire au charbon. Comment éviter de faire les mêmes erreurs ? Enfin, quel regard portez-vous sur le stockage énergétique, question essentielle dans le développement des EnR ?
M. Daniel Dubois. - Disposez-vous de statistiques sur le nombre d'emplois créés grâce au développement des EnR et de la croissance verte ?
M. Daniel Gremillet. - Il est de plus en plus compliqué d'implanter des parcs éoliens, d'utiliser la biomasse, la méthanisation, etc. Comment faciliter ces évolutions, en les rendant plus acceptables pour les populations ?
M. Dominique Olivier, secrétaire national de la CFDT, chargé du développement durable. - Je suis membre du Conseil national de la transition écologique (CNTE), et j'ai suivi le Grenelle de l'environnement depuis son début. J'ai également participé aux travaux de la Conférence européenne des syndicats sur l'ensemble de ces sujets.
Nous avons défini le seuil de 60 % pour la part du nucléaire dans la production d'électricité, il y a une dizaine d'années, bien avant qu'on ne parle de transition énergétique. Ce repère correspond à la production de base, au « lourd » de la consommation d'électricité. Par son inertie, le nucléaire répond bien à la fourniture du volume de masse. Les énergies complémentaires alimentent les pics ou les demandes supplémentaires. Nos analyses sont datées - elles remontent à l'avant Fukushima - mais elles méritent d'être prises en compte. L'horizon 2030 laisse du temps pour conduire la transition professionnelle dans l'industrie du nucléaire. Nous savons comment fonctionnent les centrales. Nous avons conscience qu'il faudra plus de temps que ce que prévoit le texte.
J'ai dit devant vos collègues députés que les salariés titulaires de leur emploi chez EDF n'avaient pas d'inquiétude. Qu'ils soient affectés à la construction des grands barrages, à l'exploitation des mines de charbon, ou à la filière nucléaire, ils ont l'habitude de la mobilité. Un accompagnement est prévu pour prendre en compte la diversité de leurs situations familiales. Ils sont également protégés par le statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG). La pyramide des âges indique qu'une hémorragie touchera toutes les catégories de personnel de l'entreprise d'ici cinq à dix ans : 100 % des exécutants, les deux tiers de la maîtrise, 50 % de l'encadrement et des ingénieurs devront être renouvelés. C'est considérable. On aura besoin de recruter massivement, à un moment où l'arrêt d'un certain nombre de centrales et de réacteurs sera prévu à moyen terme. Quel paradoxe ! Quant aux sous-traitants, ils sont clairement menacés, et pas protégés. Certains d'entre eux trouveront une suite à leur carrière professionnelle hors de la filière du nucléaire, lâchés dans la nature sans sécurisation de leur parcours - sauf à mettre en place un repérage.
On se polarise sur le caractère intermittent des premières énergies renouvelables - éolien ou photovoltaïque - alors que les énergies marines, la biomasse ou la méthanisation apportent des solutions dans la durée. GRDF propose un scénario alternatif, qui respecte l'objectif de réduction au quart des émissions de gaz à effet de serre. J'ai visité leurs installations, près de Lille. En injectant du gaz de biomasse dans leur réseau et grâce à un enrichissement à l'hydrogène, ils créent la possibilité d'une équivalence entre l'électricité et le gaz.
La baisse de la consommation d'énergie n'implique pas forcément la décroissance. Consommer moins d'énergie, c'est solliciter davantage l'intelligence et le travail humains. La rénovation thermique, l'efficacité énergétique, sont autant d'occasions de créer de l'activité, pour des entreprises qui sont les meilleures du monde en la matière - Saint-Gobain, Schneider ou Legrand. Nous avons du potentiel. L'avenir n'est pas sombre. Ces choix n'ont rien de nouveau. Ils figuraient déjà dans un livre de 400 pages que nous avions publié au Seuil, en 1983, Le Dossier énergie de la CFDT.
Quant à la transition professionnelle, nous devons l'anticiper, l'accompagner et la sécuriser, sans attendre d'être au pied du mur pour envisager les mesures à prendre. En Allemagne, le développement de nouveaux modes de production et d'une meilleure efficacité énergétique a créé 400 000 emplois qualifiés. J'ai participé à un voyage d'études en Pologne, en Allemagne et en France. Le point faible chez nos voisins est le recours au charbon : ils ne respecteront pas les engagements de réduction des émissions de CO2. En revanche, leurs efforts en termes d'innovation et de recherche ont trouvé leur aboutissement dans la création d'entreprises performantes. J'ai visité un parc photovoltaïque de 25 000 panneaux. Ils étaient fabriqués en Chine, certes... mais avec des machines allemandes ! Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'Observatoire régional des emplois et de la formation (réseau Carif-Oref) a évalué à quelques milliers le nombre d'emplois créés par la rénovation thermique des logements. Pour l'Ile-de-France, la direction régionale des entreprises (Dirrecte) a présenté un rapport sur les perspectives d'emplois dans ce secteur.
En favorisant le développement de l'économie circulaire et l'installation de boucles locales d'électricité - sans changement de lieu entre la production et la consommation - on éviterait le problème du stockage de l'énergie. D'autres solutions émergent, y compris pour les éoliennes en mer, capables de stocker leur propre énergie. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a lancé des travaux d'investigation sur le sujet. Nous y participons.
Ouvrir aux collectivités territoriales et aux groupements de citoyens le capital des entreprises productrices d'énergies renouvelables est le meilleur moyen pour que chacun ait le sentiment d'un choix collectif fait dans l'intérêt général, avec un droit de regard, un contrôle et un retour sur investissement. C'est dans l'ouest de notre pays, où la citoyenneté se nourrit d'une culture particulière, que les innovations et les coopératives de production sont les plus nombreuses. Les éoliennes en mer et les hydroliennes irritaient les pêcheurs. Des mois de concertation ont abouti à un compromis pour que l'activité de pêche côtière ne soit pas trop perturbée par ces initiatives.
Quant au projet de stockage de déchets radioactifs Cigéo, il est le résultat d'un choix responsable. Il est dommage qu'il ait disparu, reparu, pour être finalement exclu du projet de loi de simplification. Les déchets sont actuellement stockés sous des hangars, non sécurisés. Il vaudrait mieux qu'ils soient enfouis à 500 mètres sous terre, dans l'argilite de la Meuse. Les obligations européennes sont claires : chaque pays doit gérer ses propres déchets sur son territoire.
Mme Marylise Léon. - La Conférence environnementale a été une occasion de débattre sur l'acceptabilité sociale des projets de développement des EnR. Une réflexion est en cours, notamment dans le cadre du Conseil national de la transition énergétique (CNTE). S'il n'y a pas de consensus, laissons le temps aux citoyens de s'approprier les projets pour qu'à défaut, il y ait au moins un consentement.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jacky Chorin, représentant de la Confédération Force Ouvrière - Membre du Conseil économique, social et environnemental
Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente. - Nous entendons M. Jacky Chorin, représentant de Force Ouvrière, membre du Conseil économique, social et environnemental, et également membre suppléant du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Votre carrière se déroule à EDF et vous êtes très impliqué dans les sujets relevant de la transition énergétique. En quoi ce projet de loi favorise-t-il la compétitivité des entreprises, la création d'emplois et la croissance de nos territoires ? Ce texte apporte-t-il une vraie réponse à ceux de nos concitoyens qui peinent à régler leur facture d'énergie ?
M. Jacky Chorin, représentant de Force Ouvrière (FO). - Le projet de loi sur la transition énergétique, même rebaptisé « pour la croissance verte », traite de points qui n'ont pas fait consensus dans le débat sur la transition énergétique. Il prévoit de réduire de 50 % la consommation d'énergie en 2050 et de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2025. FO réaffirme son opposition à ces deux objectifs qui vont à l'encontre des besoins des citoyens et favorisent une logique de décroissance - et qui sont irréalistes selon de nombreux experts. FO soutient la transition énergétique dès lors qu'elle est fondée sur des incitations. Les obligations de travaux sont contre-productives, coûtent cher en financements publics dans une conjoncture budgétaire difficile, sans aucune garantie de performance des travaux. Le mix énergétique optimal doit articuler des impératifs de coût, de sécurité d'approvisionnement pour notre pays, de sûreté des installations, de réduction suffisante des émissions de CO2, d'emploi et de garanties collectives.
Le projet de loi cible particulièrement l'électricité d'origine nucléaire, en laissant de côté le pétrole et le gaz, alors que le nucléaire est une industrie d'avenir pour la France, qui emploie 220 000 salariés. Le choix fait outre-Rhin, motivé par des positions idéologiques, a conduit à un échec patent Les dispositions qui plafonnent la part du nucléaire dans le mix énergétique imposent à l'opérateur public EDF - et à lui seul - l'élaboration d'un plan stratégique ; les entreprises privées en sont dispensées. Nous en demandons le retrait. Nous nous étonnons également que la représentation nationale soit appelée à se prononcer alors que les aspects financiers ne font l'objet d'aucune analyse. Rien sur l'impact de l'augmentation de la part des énergies renouvelables (EnR) sur la CSPE payée par les usagers, ni sur le coût des énergies intermittentes, en particulier les coûts de réseau. Pas d'indications non plus sur l'indemnité versée à EDF, en cas de plafonnement du nucléaire. Le texte occulte l'échec des politiques de déréglementation et de concurrence mises en oeuvre au niveau européen sur l'électricité et le gaz, avec l'appui des gouvernements français successifs. En organisant la mise en concurrence des concessions hydro-électriques, le texte ne tient pas compte des possibilités ménagées par la récente directive européenne qui autorise le maintien de droits exclusifs au profit des services d'intérêt économique général (SIEG). Nous demandons le retrait de ces articles, ou un plus grand volontarisme politique.
L'aspect social est inexistant dans le projet de loi. La communication interministérielle met l'accent sur les créations d'emplois, or elles sont indépendantes du mix énergétique choisi. Notre confédération n'oppose pas les énergies les unes aux autres ; nous défendons avec la même détermination les salariés de Photowatt, de Total, GDF-Suez, Areva, EDF, etc. Les salariés du nucléaire se sentent injustement mis en cause, alors que le Comité stratégique de la filière nucléaire prévoit le remplacement de 100 000 postes d'ici 2020. Les garanties collectives des salariés, notamment ceux qui sont soumis au statut du personnel des industries électriques et gazières (IEg) ne sont pas non plus traitées. Les entreprises d'énergies renouvelables, en créant des sociétés de projet, contournent le statut, fraudant la loi et provoquant un dumping social intolérable. Nous demandons que la loi garantisse l'application du statut IEG. GDF-Suez lui-même cherche à vider la maison-mère du personnel sous statut. Des parlementaires ont saisi le ministère de cette question, nous attendons sa réponse. Une modification de la loi sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), qui a réécrit en 2010 le périmètre du statut, est indispensable.
M. Martial Bourquin. - C'est juste.
M. Jacky Chorin. - Enfin, nous soutenons la création d'un chèque énergie pour les usagers modestes, visant tous les modes de chauffage. Pour autant, nous ne comprenons pas le mode de financement de cet outil.
M. Jackie Pierre. - Nous ne le comprenons pas non plus !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Votre position est claire et elle me plaît ! Je ne suis pas d'accord avec les deux objectifs que vous contestez et je les formulerai différemment dans la loi ; je suis certain d'être suivi, du moins ici au Sénat... Quant à la concurrence hydraulique, la possibilité laissée à des acteurs publics ou privés d'entrer au capital des entreprises est une manière de respecter la directive européenne sans renoncer à tout - c'est-à-dire en maintenant un contrôle de l'État français. Je soutiendrai cette partie du texte. Enfin, pouvez-vous en dire plus sur les 100 000 emplois dont vous dites qu'ils disparaîtront d'ici 2020 ?
M. Jacky Chorin. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je partage votre point de vue sur le chèque énergie, c'est un bon produit. Une partie sera financée par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ; une autre par l'État, et c'est cette partie qui vous cause souci. Comment voyez-vous l'avenir de la CSPE ?
M. Daniel Gremillet. - Pour vous avoir connu dans d'autres fonctions, je reconnais votre clairvoyance sur le dossier du nucléaire et du mix énergétique. Avec volontarisme, vous avez mis l'accent sur la reconquête industrielle, donc sur les besoins énergétiques. Vous avez évoqué 100 000 postes à renouveler dans la filière nucléaire. Craignez-vous que la jeunesse se détourne de cette voie, qui pourrait être perçue comme condamnée ? Pensez-vous que la France, avec ses possibilités de production électrique à partir de l'eau, de la mer et des surfaces agricoles, ait une capacité exportatrice ?
M. Jacky Chorin. - Notre position, si elle a pu vous paraître un peu tranchée, est en réalité pragmatique. Elle se résume en une question : doit-on, pour des raisons uniquement politiques, arrêter des centrales nucléaires qui fonctionnent et que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) juge sûres ?
M. Daniel Gremillet. - Juste !
M. Jacky Chorin. - Cela signifierait que les efforts consentis depuis la loi de 2006 sur la transparence et la sûreté nucléaire n'ont servi à rien, cela signifierait aussi qu'il faudrait verser à EDF une indemnité puisque la société, et ce n'était certes pas le choix de FO, est cotée en bourse. Notre pays est déjà en difficulté, faut-il en ajouter ?
Monsieur le rapporteur, le Comité stratégique de la filière nucléaire évalue non pas la perte mais le turn over dans les prochaines années à 100 000 postes à cause des départs en retraite. Que se passera-t-il si des centrales ferment ? Soit dit en passant, les négociations autour de la réduction de la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie seront aussi importantes que les dispositions de la loi.
Très peu d'experts, mis à part ceux qui sont parfaitement militants, pensent que la France pourra diviser par deux sa consommation d'énergie par deux en 2050. Cela suppose une modification de notre mode de vie que les Français n'accepteront pas forcément. Si la réduction de notre consommation est une tendance historique et même une nécessité, inscrire dans la loi des objectifs inatteignables est contreproductif.
Notre approche est tout aussi pragmatique sur les barrages. La France est pratiquement le seul pays d'Europe à avoir adopté le support des concessions. Ce choix ne date pas d'hier, il remonte à 1919. La dernière directive, FO l'a fait vérifier, nous autorise à ne pas ouvrir leur renouvellement à la concurrence si la production d'énergie hydraulique est considérée comme un service économique d'intérêt général. Nous pensons que c'est le cas, parce qu'elle représente 75 % des ressources en eau, qu'elle est indispensable au fonctionnement des centrales et à la transition énergétique. Si l'on éclate l'opérateur historique en six ou sept morceaux, cela sera-t-il plus efficace ? L'exemple du gaz prouve le contraire : la Commission européenne a cassé les monopoles en Europe, elle demande maintenant la constitution de centrales d'achat pour baisser les prix... Environ 2 000 agents d'EDF travaillent à la gestion des ouvrages ; ils sont responsables des alertes météo ou encore des alertes de crue. Devront-ils vendre leurs services aux nouveaux concessionnaires ? Et dans quelles conditions ? Cette désoptimisation nous coûtera cher. FO, qui soutenait la proposition de loi de M. Roland Courteau, a cru comprendre qu'un compromis avait été trouvé à l'Assemblée nationale : investissement contre prolongation de la concession. À suivre. En tout cas, le contrôle public n'est pas assuré dans les sociétés d'économie mixte. L'État a beau détenir 34 % de participation au sein de GDF-Suez, on a vu comment Emmanuel Macron a dû valider la retraite chapeau de Gérard Mestrallet... On préfère parler d'ouverture du capital plutôt que de privatisation, mais quelle est la réalité quand un groupe chinois détiendra bientôt 49,9 % des parts de l'aéroport Toulouse-Blagnac ? Bref, portons ce beau débat sur le service public. Le Parlement européen, grâce au rapport de Philippe Juvin, a fait inclure dans la directive une réserve au titre des SIEG, il faut l'exploiter.
Le chèque énergie est une bonne idée, que nous avons toujours défendue. Cependant, beaucoup de petits propriétaires en zones rurales ou semi-rurales se chauffent au fioul, il n'y a aucune raison qu'ils subissent de ce fait une discrimination. Quant au financement, on peut imaginer une extension de la CSPE à plusieurs opérateurs, un système passant par l'impôt ou un abondement de la collectivité nationale sous toute autre forme. Le tout est de ne pas, au passage, détruire la CSPE et les tarifs sociaux du gaz, qui ont fait leur preuve.
Un seul constat sur l'avenir de la CSPE : aucune étude d'impact n'a chiffré les conséquences d'une augmentation de la part des EnR. Cette contribution doit-elle tout financer ? Y compris les primes sur l'effacement diffus dont il était question ce matin au Conseil supérieur de l'énergie ? La CSPE doit financer la solidarité et les tarifs sociaux ; les projets de développement d'EnR également, mais jusqu'où ? Une aide se justifie pour les hydroliennes au large de l'île de Bréhat parce que c'est un projet d'avenir ; on peut se poser la question dans d'autres cas.
L'absence de chiffres, j'y reviens, car elle me frappe. Développer l'éolien offshore, très bien, mais il faudra demain, pour les exploiter, installer des lignes à haute tension, les raccorder au réseau. Cela ne se fera pas sans l'accord des populations. Combien de kilomètres de lignes ? Pour quel coût ? Quel sera l'équilibre entre la production et la consommation ? Comment stocker ces énergies intermittentes ? Quel statut pour les employés de l'éolien offshore ? La loi de 1946 n'est pas appliquée à cause du détour par la sous-traitance : les salariés ne bénéficient pas du statut IEg. Tous ces sujets méritent d'être mis sur la table.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci pour ces propos effectivement très pragmatiques.
M. Jacky Chorin. - Puis-je vous remettre une proposition d'amendement ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Volontiers, nous l'étudierons.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Alexandre Grillat, secrétaire national au secteur « Développement durable, logement, RSE et énergie » de la Confédération Française de l'Encadrement - Confédération Générale des Cadres (CFE-CGC)
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Bienvenue à Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) chargé de l'énergie. Votre carrière professionnelle se déroule au sein d'EDF, et vous avez également été en pointe lors des débats sur la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Quel est votre avis sur le projet de loi sur la transition énergétique ?
M. Alexandre Grillat. - Ce texte fait suite au débat national de 2013 auquel la CFE-CGC a largement contribué. L'enjeu prioritaire est la mise en place d'une stratégie bas carbone. La transition énergétique, au vu des derniers rapports du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et de celui de M. Jean Jouzel, constitue une urgence absolue : le dérèglement climatique aura des effets sur le monde, y compris sur notre territoire national, dès 2050. C'est pourquoi nous accueillons favorablement les objectifs fixés et en particulier la priorité à la stratégie de bas carbone.
Cela suppose d'abord un mode de consommation plus sobre et plus intelligent dans les deux secteurs les plus énergivores. En premier lieu, le logement. L'objectif de rénovation thermique dans le bâtiment est bon, mais quel sera son coût et comment le Gouvernement compte-t-il le financer ? En second lieu, le transport.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le transport relève de la compétence de la commission du développement durable.
M. Alexandre Grillat. - Soit, cependant, je veux vous en dire un mot car ce secteur, le plus grand consommateur d'énergie et émetteur de gaz à effet de serre, est fondamental pour une transition énergétique responsable, pragmatique et rationnelle. La sobriété et la décarbonation de notre consommation passent par le développement de véhicules propres, qu'ils soient électriques ou au biogaz, pour les particuliers comme pour les transports collectifs et le transport routier ; et par l'articulation des politiques de mobilité, d'habitat, d'aménagement et d'urbanisme au niveau des territoires.
La stratégie bas carbone doit également s'appliquer à nos modes de production. Pour une transition énergétique systémique, il aurait fallu engager une réflexion sur les usages du pétrole et nos modes d'approvisionnement, une dimension qui est totalement absente de ce texte. Plus polémique, le plafonnement de la part du nucléaire et la mise en concurrence des concessions hydrauliques regroupées au niveau des vallées paraissent incohérents avec l'objectif d'une production peu ou pas carbonée. Prenons exemple sur la Suède qui a mis l'accent sur les énergies renouvelables (EnR) thermiques - les chaufferies biomasse et les réseaux de chaleur - plutôt que sur les EnR électriques. Un bon deal, à la fois pour les salariés et pour une transition énergétique responsable, a été trouvé à l'Assemblée nationale s'agissant des concessions hydrauliques : investissement contre prolongation de la concession.
On a reproché à ce projet de loi d'être électrocentré. Le développement des énergies renouvelables électriques se fera à deux conditions. D'abord, contrebalancer le coût pour la collectivité par la perspective de constituer des filières industrielles, a minima européennes, créant des emplois durables, qualifiants et valorisables dans la compétition internationale. La France peut miser sur l'éolien offshore et les hydroliennes, alors qu'elle a pris beaucoup de retard sur l'éolien et le solaire. Ensuite, le coût de la transition énergétique doit être financièrement soutenable pour la collectivité car, in fine, ce sont les consommateurs et les contribuables qui en supporteront le prix. La soutenabilité n'est pas garantie en l'état actuel du texte, en raison d'un pilotage insuffisant du développement des énergies renouvelables et de l'évolution de la CSPE. À propos de la CSPE, et après les longs débats à l'Assemblée nationale, la CFE-CGC pense qu'il faut limiter son évolution à un niveau raisonnable à cause de sa place croissante dans la facture d'électricité, qui augmente à vive allure.
Je poursuis sur la structure des tarifs, un aspect de la loi qui pose particulièrement question. Il faut indéniablement une vérité économique dans le signal prix. Marcel Boiteux, le président d'honneur d'EDF, aime à dire : « les horloges sont faites pour donner l'heure, le prix pour donner le coût ». Les Français doivent pouvoir effectuer leur choix en connaissance de cause - les particuliers, mais aussi les investisseurs, dont les décisions déterminent la qualité du service public et les emplois chez les prestataires et fournisseurs de matériels. Vous le savez tous ici, la dynamique d'EDF et de GDF, avec leurs sous-traitants, irrigue nos territoires. Quels que soient les choix effectués, l'entretien du parc nucléaire ou l'augmentation de la part des EnR, les investissements s'évaluent à des dizaines de milliards d'euros. Il faut de bons signaux économiques, afin que les opérateurs économiques soient en mesure de prendre des décisions rationnelles. Inclure une composante de prix du marché dans la structure tarifaire constitue une entorse au principe de la couverture des coûts. J'ajoute que le marché électrique est aujourd'hui complètement déstructuré à cause de la distorsion au profit des EnR subventionnées. Ce qui, en outre, fragilise la rentabilité de certains actifs de plus en plus déclassés, alors que les sites correspondants peuvent être appelés à la pointe. En revanche, l'introduction de la régulation normative concernant l'utilisation des réseaux et la sécurité des investissements va clairement dans le bon sens.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Merci pour ces propos très clairs. La réussite de ce texte dépend, vous avez raison, du pouvoir d'achat des Français. Faute d'argent, ils peineront à effectuer des travaux de rénovation thermique dans leurs logements. Plutôt que l'isolation, coûteuse, ne faut-il pas privilégier l'installation de systèmes de chauffage à partir de biomasse ou de bois ? Le retour sur investissement est plus court : quatre à cinq ans, contre quinze ans. Autre sujet délicat, le « baudet » de la CSPE est chargé, surchargé, son dos ploie sous la charge... Comment alléger le fardeau ?
M. Jean-Jacques Lasserre. - La biomasse et la méthanisation offrent des solutions pour du collectif de proximité et territorialisé, mais rien ne remplacera les réseaux classiques de gaz et d'électricité : je ne connais pas un dispositif d'énergie renouvelable qui fonctionne sans soutien public. De nouvelles économies d'énergie seront donc également indispensables. Sur les concessions, le renouvellement peut être vertueux : il est grand temps de revoir le contenu de contrats conclus il y a vingt, trente, voire cinquante ans.
M. Franck Montaugé. - La question de l'après pétrole n'est pas abordée, à dessein, dans ce projet de loi. Faut-il encourager la chimie verte, susciter l'émergence de nouvelles filières ? Je regrette que ce sujet ne soit abordé qu'à la marge.
M. Gérard César. - Avez-vous une idée du montant des investissements nécessaires dans le nucléaire et dans les EnR ? Selon quel échéancier ? Quelles en seront les incidences sur le prix de l'électricité ?
M. Roland Courteau. - Comme dans notre proposition de loi déposée il y a plus d'un an, vous proposez d'échanger investissements contre prolongation des concessions. Je me réjouis de l'entendre. Évitons de brader notre patrimoine national hydroélectrique, qui risque de passer sous capitaux étrangers !
Que pensez-vous du complément de rémunération pour les énergies renouvelables ? Le passage du soutien public à une logique de marché ne compromettra-t-il pas le développement de cette énergie verte ?
Le chèque énergie est indispensable également pour ceux qui se chauffent non pas au gaz ou à l'électricité, mais au fioul ou au bois. Avec la création de ce nouvel outil, faut-il maintenir les tarifs sociaux en l'état ?
M. Yannick Vaugrenard. - Merci pour la cohérence de votre présentation. Quelle est votre position sur la réduction du nucléaire de 75 à 50 % d'ici 2025 ? L'indépendance énergétique est une question géopolitique majeure pour la France mais aussi pour l'Union européenne. Il serait intéressant de l'évoquer dans le cadre de ce projet de loi.
L'énergie de proximité ne risque-t-elle pas de rester au niveau du symbole à court et moyen termes, compte tenu des volumes d'énergie dont notre pays a besoin ? Alstom et General Electric développent une nouvelle filière industrielle avec l'énergie marine renouvelable, mais son coût reste très élevé, notamment le coût lié à l'usure, pour les éoliennes off shore. Que pensez-vous de ces nouvelles énergies ?
M. Alexandre Grillat. - Pour réussir la transition énergétique, les investissements devront être rationnels. L'isolation des immeubles coûte extrêmement cher : l'opération doit être rentable. Seul un prix élevé de l'énergie justifie l'investissement. Plutôt que de dépenser des milliards d'euros pour isoler, il serait préférable d'investir dans la gestion active de la demande, afin que chacun pilote au mieux sa consommation, par l'utilisation d'appareils moins énergivores par exemple. L'électricité et le gaz se prêtent parfaitement à une telle gestion.
Le chèque énergie tel qu'il est conçu pour l'instant sera financé par les consommateurs d'électricité et de gaz, qui sont les énergies les moins carbonées ; et il bénéficiera surtout aux ménages qui se chauffent au fioul ou au propane, fortement carbonés. Il faut repenser cela. Le traitement de la précarité énergétique doit passer par des leviers fiscaux ou des subventions, non par les tarifs. Nous sommes opposés à une cohabitation entre tarifs sociaux et chèque énergie, qui pèsent sur les consommateurs d'électricité et de gaz. Concernant les dispositions relatives à la souveraineté énergétique dans les territoires d'outre-mer, des questions restent posées : quel en est le coût ? Par qui doit-il être supporté ?
Une approche globale de tous les postes de la CSPE est nécessaire, puisqu'elle traite à la fois de la précarité énergétique, des tarifs de première nécessité, des zones non-interconnectées et du financement des EnR.
Les énergies renouvelables thermiques sont par nature territoriales, ce qui n'est pas le cas de celles électriques qui font partie d'un système national. Une transition énergétique décentralisée implique la valorisation des ressources locales.
Pour que la transition énergétique soit la moins coûteuse possible, il convient de veiller à la rationalité économique et technique. Le coût de l'électricité française est le plus bas d'Europe parce que c'est l'ensemble du système national qui a été rationalisé - je ne veux pas évoquer le totem de la nationalisation de 1946, et nous ne sommes pas dans un combat entre Jacobins et Girondins... mais le service public du gaz et de l'électricité a favorisé l'efficacité. Nous prônons non une révolution, mais une évolution, et celle-ci sera d'autant plus facile qu'elle utilisera les atouts énergétiques de la France.
Ainsi, sur la part du nucléaire, gardons-nous de fixer des chiffres de façon dogmatique. N'oublions pas que le retour de la croissance impliquera une hausse de la demande d'énergie. Les usages électriques vont également se développer avec, par exemple, le véhicule électrique et les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Aux États-Unis, Internet et les smartphones consomment la puissance de vingt centrales nucléaires. Les scénarios de la demande détermineront les besoins en 2025, auxquels il faudra répondre 24 heures sur 24, même en l'absence de vent ou de soleil. L'objectif des 50 % du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025 ne correspond ni à l'objectif bas carbone ni à celui d'une transition énergétique rationnelle. L'évolution de la demande déterminera l'évolution du mix électrique du pays.
Nous sommes défavorables à la mise en concurrence sur l'hydraulique, qui désorganiserait et fragiliserait notre système national et ferait entrer des capitaux étrangers dans nos installations sans aucune réciprocité. En revanche, nous souhaitons un dialogue avec les concessionnaires lors du renouvellement.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci pour la clarté de votre exposé et de vos réponses.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable de la politique énergétique et industrielle à la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie - Confédération Générale du Travail (FNME-CGT)
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Vous êtes, madame Cailletaud, ingénieur à EDF, membre du Conseil économique, social et environnemental pour la CGT et membre suppléant du Conseil national de la transition écologique.
Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable de la politique énergétique et industrielle à la Fédération nationale des mines et de l'énergie - (FNME-CGT). - La CGT s'est beaucoup investie dans ce débat. Les enjeux énergétiques concernent tous les citoyens, au premier chef les salariés que nous représentons. Dès le départ, nous avons été assez critiques car le sujet mérite d'être abordé grand angle et non par le petit bout de la lorgnette. Lors de la Conférence environnementale de 2012, le Président de la République s'était engagé sur divers points qui reprenaient les thèmes développés lors de la présidentielle. Le débat s'en est trouvé centré sur le nucléaire, alors qu'il aurait fallu débattre de toutes les énergies. Il est également indispensable que ce texte traite des transports. Or, pour l'instant, il ne fait référence qu'aux véhicules électriques, ce qui est bien réducteur puisque les transports sont le premier émetteur de gaz à effet de serre.
Nous contestons la procédure accélérée : une loi annoncée comme majeure, comme la loi du quinquennat mériterait un débat digne de ce nom au Parlement. Et voilà qu'il n'y a pas de navette et que la procédure du temps programmé à l'Assemblée nationale a empêché des échanges sur des questions aussi importantes que la privatisation du secteur hydraulique.
Nous contestons l'objectif de diminution par deux de la consommation énergétique d'ici 2050, car il faut avant tout répondre aux besoins tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Comment d'ailleurs y parvenir avec une démographie dynamique, quand la réindustrialisation de notre pays apparaît indispensable ? De surcroît, et les NTIC sont grandes consommatrices d'électricité.
Le volet efficacité énergétique faisait consensus. Nombreux sont ceux qui estiment que les logements doivent être isolés, mais avec quels financements ? Les annonces du Président de la République impliquent 10 à 15 milliards d'investissements par an. Or, la loi énergétique ne prévoit qu'un milliard en tout. Si l'isolation devient obligatoire, les propriétaires augmenteront les loyers.
Nous contestons aussi la diminution dogmatique de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique. Certes, une évolution est souhaitable, mais en fonction de la maturité technologique. La loi ne dit pas comment la diminution du nucléaire sera compensée dans le bouquet électrique. Les énergies renouvelables ne sont pas prêtes à prendre la relève : le tarif de rachat devient insoutenable et les tranches thermiques classiques ferment dans notre pays.
Tous les syndicats s'inquiètent de la privatisation du secteur hydraulique qui produit une électricité à faible coût et sans émettre de gaz à effet de serre. De plus, nous sommes le seul pays d'Europe à livrer ces véritables mines d'or à la concurrence. On l'a vu avec GDF-Suez, il s'agit d'une privatisation, ni plus ni moins.
Enfin, la territorialisation et la régionalisation marquent le retour au morcellement d'avant 1946. C'est faire bon marché de la péréquation et de la solidarité. Les grandes métropoles vont prendre en 2015 la compétence énergie. Le gouvernement nomme en ce moment de nouveaux dirigeants dans les entreprises de l'énergie, qu'il s'agisse d'EDF, de GDF-Suez, d'Areva, du CEA ou, prochainement, de Réseau de transport d'électricité (RTE). Dans le même temps, il annonce la vente de 5 à 10 milliards d'actifs pour renflouer les caisses de l'État et il évoque l'ouverture du capital de RTE ce qui est fort inquiétant d'un point de vue stratégique.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'ai bien l'intention de revenir sur la réduction dogmatique du nucléaire et sur la diminution de moitié de la consommation d'énergie. Je serai probablement suivi par mes collègues, mais le combat n'en sera pas pour autant terminé puisque nous devrons trouver un terrain d'entente avec l'Assemblée nationale, ce qui ne sera pas chose aisée. Poursuivrez-vous votre lobbying auprès des députés ?
De même, vous avez raison de souligner le problème de financement, car si certaines mesures sont positives, il y a très peu de solutions précises. Vous avez parlé d'un milliard dans le projet de loi : où le trouvez-vous ? En outre, vous avez dit que le Président de la République avait annoncé, en 2012, 15 milliards de dépenses : pouvez-vous être plus précise ?
M. Michel Le Scouarnec. - Seule l'isolation des logements fera baisser le prix du chauffage et la charge du logement dans le budget des familles. Le prêt à taux zéro ne pourrait-il bénéficier aux offices HLM comme aux particuliers ? Réussir est possible et nécessaire pour faire rapidement repartir le bâtiment.
Mme Marie-Claire Cailletaud. - La ministre a annoncé le chiffre d'un milliard, mais il n'y en a nulle trace dans le projet de loi. Quant aux 10 à 15 milliards, nous nous sommes bornés à reprendre l'annonce du Président de la République qui disait vouloir que 500 000 logements soient isolés. Or, chaque logement faisant en moyenne 90 mètres carrés et le coût de l'isolation s'élevant à 250 euros le mètre carré, le calcul était simple. L'isolation des logements pourrait être une grande cause nationale ...à condition d'y mettre les moyens. Or, les personnes en précarité énergétique sont souvent des ruraux âgés qui se chauffent au fioul et dont la maison n'est pas isolable : le prêt à taux zéro n'est pas adapté à leur cas.
La filière du bâtiment a perdu 70 000 emplois en deux ans et elle emploie 200 000 travailleurs détachés qui sont payés 600 euros par mois. Si les emplois ne sont pas délocalisables, les salariés, eux, le sont ! Créons une filière, donnons-nous les moyens. Isoler les logements allégerait la facture énergétique de la France qui accuse un déficit de 70 milliards.
M. Jean-Pierre Bosino. - Nous avons évoqué avec l'administrateur général du CEA la question de la sûreté nucléaire, et nous savons les difficultés dans la sous-traitance. Quelle est la position de la CGT sur la diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique, ainsi que sur celle du stockage des déchets nucléaires ?
Mme Marie-Claire Cailletaud. - Comment donner un accès généralisé à l'énergie - 11 millions de Français sont en situation de précarité énergétique - tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre ? Il est étrange de commencer par affirmer qu'il faut réduire une énergie - le nucléaire - qui n'en émet pas ! Le bouquet énergétique doit donc évoluer grâce à de nouvelles technologies matures non émettrices de gaz à effet de serre. Si nous avions une technologie pour stocker l'électricité, nous changerions de paradigme : nous pourrions alors avoir recours à des énergies intermittentes et le bouquet énergétique évoluerait. Mais tel n'est pas le cas pour l'instant et la recherche est mal traitée.
Compte tenu de la situation actuelle, la filière nucléaire est nécessaire à condition que l'Autorité de sûreté nucléaire soit indépendante et de bon niveau, ce qui est le cas en France, et que tous les travailleurs bénéficient d'un haut niveau de garantie collective. Or la fragilité de la filière nucléaire vient des facteurs sociaux organisationnels et humains, notamment de la sous-traitance. Enfin, nous exigeons une maîtrise publique de l'industrie nucléaire.
Il est grand temps que le projet de stockage de déchets nucléaires Cigéo voit le jour. Les déchets sont là, il faut les traiter et nous avons la chance d'avoir pensé une filière complète. Or, les deux articles qui traitaient de l'enfouissement des déchets nucléaires ont été retirés de manière un peu cavalière à la demande de certaines personnes - les organisations syndicales n'ont pas eu le même succès lorsqu'elles ont demandé le retrait des dispositions sur les concessions hydrauliques. Dans le projet de loi pour la croissance et l'activité présentée par Emmanuel Macron, des articles sur Cigéo ont également été supprimés. Or, si l'on veut régler le problème du stockage des déchets nucléaires, le centre Cigéo doit voir le jour.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie pour votre présentation.
Nouvelle organisation territoriale de la République - Examen du rapport pour avis
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Le 5 novembre, notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République déposé en première lecture au Sénat, conformément à la tradition. Ce texte vise à renforcer l'efficacité de l'action des collectivités en substituant à la clause de compétence générale une répartition des responsabilités plus précise par niveaux de collectivités.
Notre commission a décidé d'examiner plus précisément les volets économie et tourisme, traités dans 7 des 37 articles de ce projet : les articles 2 et 3 donnent à la région le premier rôle dans le soutien au développement économique ; l'article 4 est consacré au tourisme ; l'article 6 traite du schéma régional d'aménagement et développement durable du territoire, pour son impact économique ; les articles 18, 19 et 20 renforcent le bloc des compétences obligatoires des intercommunalités en matière de tourisme et l'article 28 prévoit la création de guichets uniques en matière de tourisme.
J'ai procédé à plusieurs auditions et consultations tout en participant aux travaux de la commission des lois où des points de vue très divers se sont exprimés. Sept rapporteurs relevant de six commissions interviendront sur ce texte : Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, pour la commission des lois, Charles Guené pour la commission des finances, Catherine Morin-Desailly pour la commission de la culture, Rémy Pointereau pour la commission du développement durable et René-Paul Savary pour la commission des affaires sociales.
Dans ce contexte, mes propositions s'ordonnent autour d'un message simple : l'analyse des transformations économiques et sociales de terrain - et non pas l'esprit de système - doit guider l'adaptation du cadre juridique des interventions économiques des collectivités locales. Seul le réalisme assurera l'efficacité économique, la cohésion sociale et la préservation de la motivation des élus pour répondre aux attentes des entreprises et des citoyens. De plus, la situation actuelle ne nous donne guère le droit à l'erreur.
Au cours des auditions, certains intervenants ont rappelé qu'il n'était pas simple de distinguer parmi les interventions des collectivités celles qui sont de nature purement économique. Les collectivités territoriales, comme l'État, sont, par l'exercice direct de leurs compétences, des agents économiques de premier plan en tant qu'acheteurs et en tant qu'employeurs. Cependant, dans la logique juridique, ce rôle doit être distingué de celui d'intervenant au profit des entreprises du secteur marchand. Par leurs actions diverses en matière d'aménagement, d'infrastructures et de services aux entreprises, les collectivités contribuent à créer un environnement favorable à l'implantation et au développement des entreprises. Ces actions ne relèvent pas de la compétence « développement économique » au sens du projet de loi mais elles contribuent au dynamisme des territoires.
Les interventions économiques des collectivités territoriales avoisinent 6,5 milliards d'euros soit le septième de celles de l'État. Les régions y consacrent 2,1 milliards d'euros (soit 8,3 % de leur budget 2011), les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) 1,7 milliard d'euros, les départements 1,6 milliard d'euros (1,6 % de leur budget) et les communes 983 millions d'euros (1,5 %).
Si les dépenses d'intervention économique des collectivités ont progressé de près de 1% en moyenne annuelle sur la période 2007-2011, celles des départements ont décru de 14 %, en particulier à partir de 2010, et surtout au détriment de l'investissement (- 23 %) ; celles des régions ont progressé de 18 %, et celles des communes et groupements à fiscalité propre de près de 7 %. Ces dépenses se répartissent à part égale entre fonctionnement et investissement.
Le cadre juridique de ces interventions a été redessiné par deux lois de décentralisation récentes : celle du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, a institué le rôle de chef de file de la région, qui implique l'obligation de conventionnement pour certaines aides, ainsi que la nécessité, pour une collectivité infrarégionale souhaitant créer un dispositif propre, d'obtenir l'accord de la région ; la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, a supprimé la distinction entre aides directes et indirectes pour adapter le droit français à celui de l'Union européenne. Le régime actuel ne traduit pas de choix tranché en faveur d'une région chef de file incontestable en matière d'interventions économiques. Si les aides indirectes libres ont disparu, le nombre d'aides à l'immobilier que les collectivités peuvent octroyer sans accord de la région s'est accru.
Nous connaissons tous, sur nos territoires, le résultat de ce maquis institutionnel. À l'heure où les contraintes budgétaires se font toujours plus pressantes, il est grand temps de revoir notre copie, afin de rendre l'intervention des collectivités la plus efficace possible.
Dans une logique de cohérence et de simplification, nous devons consacrer le rôle de chef de file des régions en matière de développement économique. Leur fonction de coordination doit être spécifiée, car le développement économique est une vaste politique publique. Les régions sont, par exemple, le bon échelon pour organiser les plateformes de projection des PME et ETI à l'exportation, ou encore pour coordonner les stratégies d'attractivité. La coordination de ces actions s'impose, dans un contexte mondialisé, afin d'optimiser la visibilité de nos territoires.
Les spécificités des territoires doivent être mieux prises en compte, notamment par leur association forte aux schémas régionaux. Encourageons le dynamisme des collectivités, au moment où notre pays en a le plus besoin. Le soutien du développement économique passe par de nombreux vecteurs sur lesquels les régions n'ont ni monopole, ni véritable capacité de maîtrise d'ouvrage : animation de proximité de l'économie locale (réseaux d'affaires, interfaces avec l'université), aménagement économique du territoire (immobilier, foncier, dépollution des sols, réseaux...), services supports nécessaires pour attirer des entreprises (logement, offre culturelle et sportive, crèches etc..). Réfléchi au niveau régional, le schéma de développement économique doit être co-construit et co-produit avec les autres acteurs du territoire, intercommunalités et des métropoles en particulier.
Nous devons introduire dans la loi la souplesse nécessaire à l'élaboration de schémas qui soient vraiment du cousu-main. En matière de tourisme par exemple, on ne peut traiter de la même manière un territoire où rayonnent des stations touristiques classées, connues mondialement, et ceux dont le pouvoir d'attraction s'exercera dans le registre du tourisme vert ou industriel.
Comme l'a fait remarquer à juste titre Jean-Paul Delevoye lors de son audition devant la commission des lois, la carte territoriale ou la nouvelle répartition des compétences ne doivent pas être un objectif en soi ou une occasion d'appliquer des schémas de pensée verticaux hérités du passé, mais un moyen d'améliorer la performance économique de nos territoires et d'assurer la cohésion sociale. Dans ce que Laurent Davezies a appelé la « France périphérique », où le sentiment d'abandon domine, les collectivités sont en première ligne pour la sauvegarde de l'emploi. Favorisons des métropoles dynamiques, qui soient les locomotives d'un développement régional équilibré. Il nous faut pour cela clarifier les registres d'intervention entre le bloc local et le niveau régional, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités locales et l'absence de tutelle de l'une sur l'autre.
Quant aux grands principes constitutionnels applicables aux interventions économiques décentralisées, le président de la section de l'intérieur du Conseil d'État, entendu par la commission des lois, a souligné que « la prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité sur une autre ». Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité.
Afin de surmonter tout risque d'incertitude juridique, tout en nous conformant à la logique économique et sociale, je vous proposerai d'introduire, à l'article 2, l'élaboration conjointe des schémas de développement économique. Nous ne pourrons bâtir une réforme durable en matière de développement économique sans une vision stratégique partagée et une co-construction du schéma de développement. C'est en travaillant ensemble que les régions et leurs territoires construiront des politiques alliant l'aide au tissu économique et la préparation des activités du futur. C'est pourquoi les orientations du schéma doivent être mises en débat au sein des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) pour un avis global.
Je vous proposerai d'assortir ce principe du mécanisme de contractualisation issu de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014. Des conventions territoriales d'exercice concerté clarifieront la mise en oeuvre des orientations du schéma et définiront l'implication des collectivités dans une territorialisation fine. Il importe, pour consolider les orientations régionales et leur donner une réelle cohérence, de les rendre consensuelles et de prévoir leur déclinaison territoriale. Loin d'opposer un niveau à un autre, mon objectif est de mobiliser toutes les énergies, afin de construire un projet commun, cohérent et efficace, qui favorise l'optimisation des ressources au service du développement des territoires
Enfin, je vous proposerai le maintien du mécanisme de sauvegarde prévu par l'article L. 1511-5 du code général des collectivités territoriales, permettant à une collectivité, en cas de carence de l'initiative régionale, d'intervenir en contractualisant avec l'État.
En matière de tourisme, le maintien de la compétence partagée me semble opportun, et appelle la même logique de schéma co-élaboré. Les stations classées doivent pouvoir transférer leur compétence tourisme aux intercommunalités - une souplesse fortement demandée par les associations des organismes de tourisme et les collectivités -, non y être contraintes, au risque de démotiver les communes concernées, dont le savoir-faire est précieux pour notre pays.
M. Daniel Gremillet. - Je félicite notre rapporteure pour cette présentation très synthétique. Que devient la notion de guichet unique ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je ne propose aucun amendement à ce sujet qui est traité, en particulier à l'article 29 du projet de loi. Notre examen s'est concentré sur la définition de l'architecture guidant l'élaboration des schémas économique et touristique. Il appartiendra aux assemblées délibérantes des régions de se les approprier. Compétentes en matière économique, les régions doivent se concerter avec les territoires porteurs de l'action. La région co-élaborera, avec les collectivités, les établissements publics et les organismes consulaires, une stratégie globale, cohérente et partagée. Afin de garantir le caractère opérationnel de cette collaboration, le projet de schéma sera soumis à la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), c'est-à-dire aux élus, avant de se décliner en conventions territoriales, c'est-à-dire en une contractualisation par les deux acteurs. La création de guichets uniques doit s'inscrire dans ces déclinaisons et faire l'objet de conventions ? Il ne faut pas fixer de modèle uniforme dans la loi, car ce qui est adapté aux territoires ruraux ne l'est pas pour autant pour les collectivités urbaines. Faisons confiance aux régions, pour mettre en oeuvre, sur la base d'une règle du jeu très claire, des dispositifs adaptés, et faisons confiance aux territoires pour leur application fine.
M. Joël Labbé. - J'arrive d'un colloque du Conseil économique, social et environnemental qui traitait de l'agriculture familiale au niveau planétaire mais je suis pleinement convaincu par la clarté de votre présentation.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Ma lecture du texte est celle d'une élue de terrain ; nous verrons demain si la commission des lois la partage.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 1 traduit le principe d'une co-élaboration avec la région.
M. Gérard Bailly. - Il n'est plus question ici des pays, qui étaient pourtant jusqu'à présent les interlocuteurs des régions.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - On pourrait les mentionner, mais je rappelle que l'article 51 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé la possibilité de créer de nouveaux pays
M. Jean-Pierre Bosino. - J'apprécie votre distinction entre concertation et co-élaboration. C'est surtout cette seconde notion qui devrait figurer dans le texte.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Nous y viendrons en examinant ma proposition de rédaction de l'alinéa 5 de l'article 2 du projet de loi.
M. Martial Bourquin. - Aujourd'hui, les intercommunalités travaillent déjà sur les schémas régionaux de développement économique. La nouveauté réside dans l'émergence du couple région-communauté de communes ou communauté urbaine.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Le projet de loi vise à passer un cran au-dessus : la région serait désormais responsable sur son territoire de la définition de toutes les orientations stratégiques. Logiquement, si les territoires ne s'y conforment pas, ils n'obtiendront pas les moyens afférents.
M. Martial Bourquin. - Voilà qui a le mérite d'être plus précis : la région doit désormais travailler avec l'ensemble des collectivités.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - C'est souhaitable, si on ne veut pas que les décisions de la région leur soient imposées, mais cela ne signifie pas que le schéma régional soit l'addition de schémas territoriaux. Voilà tout l'intérêt de la compétence obligatoire de la région, qui pourra désormais trancher.
M. Martial Bourquin. - Que se passera-t-il en cas de désaccord ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - La région aura le dernier mot.
Mme Annie Guillemot. - L'Association des Maires de France (AMF) souhaite que les collectivités locales et les intercommunalités soient systématiquement associées à l'élaboration de ces schémas.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Ce n'est pas moi qui dirai le contraire ; je suis simplement soucieuse de l'avis que la commission des lois exprimera demain.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 2 supprime une mention peu claire sur la prévention des délocalisations au sein de la région ou d'une région limitrophe. Il y a un vrai sujet d'égalité de traitement entre la métropole et le reste de la région. Attention à ne pas créer de distorsions !
M. Martial Bourquin. - Si je m'accorde avec la rapporteure pour déplorer l'absence de toute précision sur les moyens pour atteindre l'objectif, j'estime qu'une simple suppression de cette phrase de l'article 2 ne règle rien.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je veux bien retirer cet amendement, mais, loin d'assurer un équilibre, cette mention nous expose à de très graves disparités territoriales.
M. Martial Bourquin. - Les délocalisations sont évidemment le résultat du dumping fiscal entre territoires.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Certes, mais la liberté accordée aux métropoles dans la suite de cet article 2 n'arrangera rien dans ce domaine. D'un côté, le projet redoute les délocalisations d'activité mais quelques alinéas plus loin, il instaure un régime dérogatoire en faveur des métropoles.
M. Martial Bourquin. - D'accord, mais vous n'apportez pas de solution.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je suis prête à retirer cet amendement, à condition de favoriser l'égalité des territoires, comme le proposent mes amendements suivants, qui précisent qu'un unique schéma doit associer tous les territoires d'une région.
Mme Annie Guillemot. - À mon sens, le schéma régional ne doit pas être prescriptif.
L'amendement n° 21 est retiré.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Afin de favoriser la montée en gamme des schémas régionaux, l'amendement n° 26 distingue trois phases de concertation, d'élaboration et de contractualisation des schémas. La convention territoriale d'exercice concerté des compétences de développement économique déterminera les orientations et les règles que les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre signataires s'engageront à respecter. Afin de tenir compte des observations du Conseil d'État, ces établissements mettront en oeuvre des stratégies compatibles avec les orientations des schémas, et non conformes.
M. Martial Bourquin. - Il faut se garder d'instituer la tutelle d'une collectivité sur d'autres.
M. Daniel Dubois. - Elle sera plus douce...
M. Martial Bourquin. - Certes, mais ne vaudrait-il pas mieux parler d'un schéma d'objectifs partagés ?
M. Joël Labbé. - La compétence étant régionale, le concept de co-construction du schéma de développement économique me convient.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Ce mécanisme imposera aussi aux territoires de s'intégrer au jeu collectif et de faire preuve de vision prospective. Cet amendement les remet dans la boucle, tout en respectant l'équilibre du texte.
L'amendement n° 26 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Sans s'immiscer dans les compétences des métropoles, l'amendement n° 25 tend à appliquer à tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) le même mécanisme, sinon on risquerait d'aboutir à un schéma métropolitain différent du schéma régional. L'élaboration d'une stratégie partagée ne peut pas passer par des démarches parallèles.
Mme Annie Guillemot. - Je tiens à souligner que Lyon est la première métropole à mettre en oeuvre la loi « Métropoles » avec toutes les difficultés que cela implique. Il n'est pas question que notre travail soit remis en cause par un nouveau changement des règles du jeu. Gérard Collomb l'a dit au Gouvernement avec beaucoup de force : il faut nous laisser mener à bien notre tâche en fonction de la loi votée il y a six mois. Je ne nie pas, pour autant, la réalité du problème que vous soulevez.
M. Joël Labbé. - Pensons co-construction et prenons garde à ce que la métropole ne devienne pas un État dans l'État régional. La métropole doit réfléchir au-delà de son territoire.
Mme Annie Guillemot. - La loi « Métropoles » a été votée à l'unanimité !
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je suis pleinement consciente de la complexité de la machine qu'est une métropole. Ma région en comportera une. L'important est que la métropole tienne compte, dans l'élaboration de son schéma de développement économique, de celui de la région. C'est à cette condition qu'elle jouera son rôle de locomotive, en entraînant les wagons, et qu'elle pourra discuter avec la région, notamment de l'utilisation des fonds européens.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je rappelle que les dispositions de la loi d'affirmation des métropoles ont été votées très rapidement et sans étude d'impact, ce qui explique les difficultés qu'elle rencontre à présent.
Mme Annie Guillemot. - Notre avis reste défavorable car la loi « Métropoles » votée en janvier 2014 a tranché le débat.
L'amendement n° 25 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 4 intègre dans le schéma régional de développement économique les entreprises de l'économie sociale et solidaire, en cohérence avec l'article 7 de la loi du 31 juillet 2014.
L'amendement n° 4 est adopté.
Article additionnel après l'article 2
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Les organismes consulaires, associés de plein droit à la concertation sur le schéma régional de développement économique, doivent pouvoir l'être également aux conventions territoriales d'exercice concerté. L'amendement n° 27 prévoit, à cette fin, que des dispositions relatives aux relations entre collectivités et organismes consulaires soient annexées à ces conventions.
M. Martial Bourquin. - Les différentes chambres se prononcent déjà sur les schémas.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Ici, nous remontons d'un cran dans la valeur normative du schéma.
M. Martial Bourquin. - Il s'agit donc d'une clarification des compétences.
L'amendement n° 27 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 29 garantit l'égalité de traitement des collectivités territoriales et de leurs groupements compétents en matière de mécénat et d'aide aux organismes participant à la création d'entreprises. Les EPCI sont soumis à des règles du jeu, les métropoles non.
Mme Annie Guillemot. - Je m'efforce de remettre les amendements en perspective : nous sortons d'une réunion avec le président Larcher et les présidents des trois grandes associations d'élus. Cette proposition ne sera pas du goût des régions, qui voient déjà d'un mauvais oeil les pouvoirs des métropoles.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Loin de là, ce sont les métropoles qui verront leur liberté réduite.
Mme Annie Guillemot. - Revenir sur la loi MAPTAM créerait une insécurité intenable pour la métropole de Lyon.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je partage votre inquiétude, mais peut-on accepter la différence de traitement entre deux types d'EPCI ?
Mme Annie Guillemot. - Le Parlement en a déjà débattu et a donné aux métropoles une liberté spécifique d'action.
M. Martial Bourquin. - La métropole de Lyon est un prototype qui marche. Les équilibres ont été négociés à la base, entre des collectivités de tendances parfois différentes. Les remettriez-vous en cause ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - La même discussion sur la compétence économique a eu lieu lors des débats sur la loi MAPTAM, et n'a jamais été vraiment tranchée. Cette clarification serait bienvenue.
M. Joël Labbé. - La situation étant, pour moi, trop confuse, je ne participerai pas au vote.
L'amendement n° 29 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 28 maintient le mécanisme de sauvegarde prévu à l'article L.1511-5 du code général des collectivités territoriales.
Mme Annie Guillemot. - Je participais tout à l'heure à une réunion autour du président Larcher, qui souhaite une solution d'ensemble. Cet amendement risque de mettre le feu aux poudres dans les régions.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Pourquoi supprimer cette soupape de sécurité dans la période d'incertitude politique que nous connaissons ?
M. Martial Bourquin. - La loi donne aux régions une compétence, et on envisage qu'elles ne l'exercent pas...
M. Jackie Pierre. - On prévoit la non-application de la loi...
M. Daniel Gremillet. - Les régions, qui auront la compétence économique, n'en feraient pas usage ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Le mécanisme ne jouerait qu'en cas de carence. Je suis prête, cela dit, à retirer cet amendement : il aura eu le mérite de soulever clairement le problème.
L'amendement n° 28 est retiré.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - En cohérence avec les dispositions de ce texte faisant du tourisme une compétence partagée, cet amendement prévoit une élaboration conjointe du schéma dédié au tourisme, ainsi que l'articulation de cette compétence partagée dans le cadre d'une convention territoriale.
M. Joël Labbé. - La compétence tourisme reste partagée dans le projet de loi.
Mme Annie Guillemot. - Les élus locaux réclament des compétences, ne leur imposons pas trop de contraintes ! La région Rhône-Alpes Auvergne ne fera sans doute pas les mêmes choses que l'Île-de-France.
M. Gérard Bailly. - Encore faut-il qu'il y ait un chef de file. On parle d'élaboration conjointe ; comment aura-t-elle lieu entre une vingtaine d'intercommunalités et huit ou neuf départements ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'article est clair !
M. Martial Bourquin. - Pourquoi descendre autant dans le détail des choses ? Énoncer le principe général de co-construction me parait suffisant.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - J'adapte mes propositions d'amendement à la rédaction du texte.
M. Daniel Dubois. - Nous venons d'avoir le même débat pour le schéma économique, et nous avons approuvé un mécanisme similaire : soyons cohérents.
La réunion, suspendue à 18 h 30, est reprise à 19 h 35.
L'amendement n° 6 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 7 confie aux régions la mise en place d'une politique d'information géographique qui mette à disposition des collectivités et des autres acteurs un système d'information géographique (SIG).
M. Jackie Pierre. - Cela crée-t-il une obligation pour la région ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'Association des Régions de France y était très favorable !
M. Jackie Pierre. - Les régions feront payer leur carte aux départements...
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Cela créerait un outil unique pour tout le territoire, avec le concours des services de l'État.
M. Jackie Pierre. - Un soutien moral...
M. Gérard Bailly. - Pour l'instant, qui le fait ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Tout le monde ; c'est pour cela qu'il faut mutualiser.
M. Daniel Laurent. - Nous avons donc tous des SIG ?
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 23 intègre pleinement les EPCI à fiscalité propre et les conseils généraux concernés à l'élaboration du projet de schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire, en écrivant « participent » et non « sont associés ».
M. Gérard César. - C'est mieux !
Mme Sophie Primas. - La participation active est en effet préférable.
L'amendement n° 23 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 14 évite de limiter les actions de promotion du tourisme à la création d'offices du tourisme.
M. Jackie Pierre. - Très bien !
L'amendement n° 14 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Les communautés de communes seront compétentes en matière de tourisme. L'amendement n°15 propose que les stations classées puissent le rester.
M. Jackie Pierre. - Oh !
M. Joël Labbé. - Non : il faut penser territoire !
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Seules les stations classées sont concernées.
M. Gérard Bailly. - Elles garderont la taxe de séjour pour elles seules ?
M. Daniel Laurent. - Actuellement, ce sont les communes qui sont compétentes.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Certes, mais le texte confie cette compétences aux communautés de communes. Bien des voix se sont élevées pour demander le retour de toute la compétence tourisme aux communes. Ma proposition est de compromis : une dérogation pour les stations classées.
M. Daniel Laurent. - Maintenons la compétence communale : les intercommunalités sont l'émanation des communes.
Mme Sophie Primas. - Le tourisme relève du développement économique ; cela fait sens qu'il soit confié à l'intercommunalité, sans nier le caractère touristique de telle ou telle commune.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Certaines stations classées ont une renommée internationale...
Mme Sophie Primas. - Cela ne constitue pas un obstacle à la mutualisation.
M. Joël Labbé. - Il est très important que cette vision soit portée par l'intercommunalité, même si c'est principalement sur le territoire de la commune concernée.
M. Gérard Bailly. - Comment mutualiser la taxe de séjour ? Comment développer des projets communs, comme des sentiers ? Les stations thermales, les stations vertes sont-elles concernées ? Si la commune veut être moteur eu sein de l'intercommunalité, soit !
M. Daniel Gremillet. - Vice-président d'une région à l'aménagement du territoire, j'ai eu un mal fou à coordonner les stations de ski du massif vosgien ; et je ne parle pas de celles du versant alsacien ! La communauté de communes est presque trop petite pour le tourisme.
M. Gérard César. - Si ces communes veulent rester indépendantes, c'est souvent au détriment des autres membres de l'intercommunalité.
M. Daniel Laurent. - La commission des lois proposerait que le tourisme soit confié aux départements et aux régions, sans chef de file.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - La communauté d'agglomération de près de 200 000 habitants que je préside a un office du tourisme intercommunal. Je n'ai déposé cet amendement que parce que les représentants des communes concernées m'avaient convaincu du bien-fondé de leur requête.
Mme Sophie Primas. - C'est une affaire de chapelle !
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je retire l'amendement après vous avoir rendu compte des remontées des auditions.
L'amendement n° 14 est retiré.
Article 19
L'amendement de coordination n° 16 est adopté.
Article 20
L'amendement de coordination n° 17 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 22 associe de plein droit les communautés d'agglomération ayant une population de plus de 150 000 habitants au pilotage des pôles de compétitivité dont le siège est situé dans leur territoire.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Aujourd'hui, elles les financent sans être vraiment consultées.
L'amendement n° 22 est adopté.
L'amendement n° 18 est retiré.
Article 21
L'amendement n° 20 est retiré.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 5 autorise les agents des organismes départementaux assumant les compétences susceptibles d'être transférées ou mises à disposition des métropoles à bénéficier d'une mise à disposition de la métropole à qui la compétence tourisme aurait été transférée. Il faut rassurer les quelque 2 000 agents potentiellement concernés.
L'amendement n° 5 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Les amendements n°s 10, 12 et 13 sont en cohérence avec les amendements des commissions de la culture. Ils créent des commissions thématiques tourisme, sport, culture.
L'amendement n° 10 est adopté.
Articles additionnels après l'article 28
L'amendement n° 12 est adopté, ainsi que l'amendement n° 13.
La réunion est levée à 19 h 55.
Mercredi 10 décembre 2014
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente -Transition énergétique pour la croissance verte - Table ronde avec des représentants d'organisations non gouvernementales
La réunion est ouverte à 9h30.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Dans le cadre de l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, j'ai le plaisir d'ouvrir notre table ronde avec des représentants d'organisations non gouvernementales : Mme Maryse Arditi, responsable du réseau énergie de France Nature Environnement ; Mme Anne Bringault, chargée de la coordination des activités sur la transition énergétique pour les ONG ; M. Marc Jedliczka, vice-président du Comité de liaison pour les énergies renouvelables ; Mme Armelle Le Comte, chargée de plaidoyer climat et énergies fossiles à Oxfam France. Chacun de vous a suivi de près l'élaboration de ce projet de loi puis le débat commencé à l'Assemblée nationale, merci de nous présenter votre analyse et vos propositions éventuelles d'amélioration.
Mme Maryse Arditi, responsable du réseau énergie de France Nature Environnement. - L'analyse que France Nature Environnement fait de ce texte peut se résumer ainsi : les objectifs à long terme sont les bons - et il est bon d'avoir des objectifs à long terme pour la transition énergétique -, mais l'étape qu'il fixe à 2030 est sous-dimensionnée et les mesures de court terme sont insuffisantes pour atteindre même cette étape. Dès lors, nous vous suggèrerons trois modifications et je ferai deux remarques d'ensemble.
Les députés ont prévu que les bâtiments « énergétivores », c'est-à-dire consommant plus de 330 kWh d'équivalent primaire par mètre carré, devront avoir été rénovés d'ici à 2030, mais ils n'ont assorti cette obligation d'aucune sanction ; nous vous proposons que cette rénovation devienne une condition pour la vente du bien à partir de 2030 : les propriétaires auraient ainsi une quinzaine d'années pour s'organiser et ils sauraient en avance que s'ils veulent vendre leur bien, il leur faudra l'avoir mis aux normes.
Deuxième proposition, celle qu'un débat public national soit organisé pour autoriser le prolongement de fonctionnement de toute centrale nucléaire au-delà de quarante années de service. Les cuves de nos centrales ont été conçues pour cette durée d'exploitation, elles sont de conception homogène, ce qui est un atout pour notre production - en particulier pour les coûts -, mais qui peut devenir une grande faiblesse en cas de problème technique lié au vieillissement. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) reconnait elle-même que le passage des quarante ans d'exploitation est sensible, des études en profondeur sont conduites pour voir comment rénover les installations en toute sécurité. Nous savons que nous n'aurons pas les moyens de les rénover toutes, qu'il nous faudra faire des choix si nous ne voulons pas sacrifier la sécurité. Dès lors, un débat public national, sous la houlette de l'ASN et de l'IRSN, aurait toute sa justification et donnerait aux commissions locales d'information (CLI) les éléments nécessaires au choix publics.
Troisième proposition, le rétablissement d'un débat public pour toute ligne à très haute tension ; le Gouvernement nous assure que le texte nous donne satisfaction, mais nous savons bien qu'il n'en est rien dès lors que le porteur de projet se voit confier l'organisation du débat public.
Ma première remarque, ensuite, portera sur l'ouverture du capital des porteurs de projet en matière d'énergie renouvelable. Le projet de loi précise que le porteur de projet « peut » ouvrir son capital : précision inutile, puisque c'est déjà le cas ; en revanche, la loi pourrait utilement prévoir que le porteur de projet doive chercher des partenaires, avant de monter effectivement son projet.
Enfin, je crois que le passage des énergies renouvelables au système européen de la vente au « marché plus prime » requiert toute notre vigilance ; parce que si des industriels sont prêts à un tel système dans des pays où les énergies renouvelables ont atteint une certaine maturité et représentent déjà une bonne part de la production électrique, comme en Allemagne, ce n'est pas le cas chez nous, où elles plafonnent, hors hydroélectricité, à 4 % de notre production électrique : nous avons déjà perdu, sans qu'on en parle nulle part, des milliers d'emploi dans le photovoltaïque, attention à ce que nous allons faire en la matière !
Mme Anne Bringault, chargée de la coordination des activités sur la transition énergétique pour les ONG. - Pourquoi faut-il une transition énergétique ? La notion n'a rien d'évident : un sondage récent montre que seulement un Français sur cinq sait ce qu'elle recouvre et un débat a eu lieu sur l'intitulé même de ce texte. Parmi les nombreuses raisons qui justifient la transition énergétique, il y a l'augmentation des prix de l'énergie, alors que notre pays compte déjà onze millions de précaires énergétiques, il y a l'épuisement des ressources fossiles et il y a le changement climatique. Le GIEC vient de décrire les impacts du changement climatique qui se produira si nous ne changeons pas nos modes de consommation : un réchauffement moyen de 5 degrés, avec une montée du niveau de la mer de un mètre environ. Les conséquences en sont très nombreuses, sur notre territoire même : des vins dont la qualité se dégrade, des stations de ski sans neige, quelque 5 000 kilomètres de route et 2 000 kilomètres de rail impraticables, une canicule 40 jours par an en région parisienne, la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes comme les tempêtes... L'impact sur les pays du sud est bien plus grand encore, avec le déplacement forcé du dixième de la population de ces pays, une production des céréales en baisse, la raréfaction de l'eau, de la ressource halieutique, de nouveaux conflits.
Ces perspectives dramatiques nous incitent à tout faire pour en rester à un réchauffement de 2 degrés, ce qui implique de laisser les deux-tiers des ressources fossiles dans le sol. Concrètement, nous devons tenir un objectif de facteur 4 d'ici 2050, c'est-à-dire diminuer par quatre nos émissions de gaz à effet de serre, et tous les scénarios autour de la table conviennent que cela nécessite de réduire de moitié notre consommation d'énergie d'ici 2050 ; or, les objectifs que ce projet de loi fixe pour 2030 ne permettent pas de tenir le rythme. Il faut pourtant bien mesurer l'intérêt économique même de la transition énergétique : il y aurait au moins 630 000 emplois à créer d'ici 2030, notamment dans l'efficacité énergétique.
Sur les énergies renouvelables, ce projet de loi demeure insuffisant, puisqu'il revient à freiner le rythme entre 2020 et 2030, alors même que ces énergies deviennent compétitives.
Sur la rénovation du bâtiment, ce texte apporte des éléments intéressants. Les financements actuels sont nombreux, complexes et loin d'être toujours cohérents, les ménages ne s'y retrouvent guère ; nous demandons la création d'un fonds souverain à taux très bas, pour flécher des crédits vers la rénovation performante.
Pour tenir nos objectifs, également, il faut donner un prix au carbone, c'est la contribution climat énergie ; elle va progresser, mais pas au-delà de 2016, alors que nous avons besoin d'une trajectoire plus longue pour changer les comportements, par exemple avec un objectif de 56 euros la tonne de CO2 en 2020 et de 100 euros en 2030.
Nous souhaitons également un élargissement des zones d'information des riverains de centrales nucléaires : le périmètre est actuellement de dix kilomètres, alors que l'accident de Fukushima a occasionné l'évacuation des populations dans un rayon de cinquante kilomètres. Il faut informer les populations sur les consignes en cas d'accident, c'est nécessaire.
Enfin, nous aurons des propositions pour renforcer le dialogue environnemental et sur la gouvernance de la transition énergétique, tant le dialogue de la société civile et des administrations nous paraît une condition même de réussite.
M. Marc Jedliczka, vice-président du Comité de liaison des énergies renouvelables. - Ce projet de loi marque une évolution des consciences, que nous avons constatée déjà au sein du Conseil national de la transition énergétique - où un débat a eu lieu entre la société civile, les administrations, le Parlement, un débat fructueux puisque si nous avons constaté nos divergences, nous avons aussi partagés des constats, en particulier celui qu'il nous faudrait réduire collectivement notre consommation d'énergie et que la transition énergétique est une opportunité économique, comme nous le montrent l'Allemagne, le Danemark ou encore la Grande-Bretagne.
La France doit investir pour l'efficacité énergétique, d'abord parce que notre parc nucléaire ne peut rester en l'état : quel que soit le scénario retenu, avec des EPR ou la rénovation des centrales actuelles, nous devrons investir des dizaines de milliards d'euros les prochaines années pour faire face à nos besoins - c'est le bon moment pour une réflexion stratégique sur l'utilisation de ces moyens, mais aussi sur les leviers pour le développement de notre pays et de ses territoires. Il faut le souligner devant le Sénat : les territoires ont été les grands absents de nos politiques énergétiques, alors qu'ils sont aujourd'hui indispensables pour réussir la transition énergétique.
Sur les énergies renouvelables, il faut porter la plus grande attention aux mesures visant les tarifs d'achat. On peut douter, d'abord, que le changement de notre système vienne d'Europe. Mais surtout, nous devons partir de ce constat simple : l'air, l'eau et le soleil sont partout, dans les territoires, pourquoi leur exploitation devrait-elle revenir seulement à quelques multinationales ? Le recours au marché risque très fort d'exclure les PME, les collectivités locales, il faut préserver ce tissu, ce qui suppose, à tout le moins, de prévoir la réversibilité du mécanisme de marché dans lequel on s'engage.
L'ouverture des projets à l'investissement citoyen, ensuite, va dans le bon sens, je le vois dans mon département où nous avons une société publique d'investissement dans les énergies renouvelables, cette participation est utile en particulier pour l'acceptation des projets par la population. Nous souhaitons aller plus loin, en autorisant le crowdfunding pour financer la dette des projets en matière d'énergies renouvelables.
Les garanties d'origine, dont le droit européen nous impose la création, ne devraient pas aller exclusivement à l'acheteur unique - EDF ou les entreprises locales de distribution -, parce qu'elles ont potentiellement une valeur et qu'il est probable qu'elles feront l'objet d'un marché ; il serait souhaitable de partager cette valeur entre le producteur et la contribution au service public de l'énergie (CSPE).
Nous vous proposerons des amendements sur la régulation des marchés. La France est en retard pour l'ouverture de son marché et nous souhaitons une plus grande séparation entre les activités de production et celles de gestionnaire de réseau, c'est nécessaire pour que les collectivités locales reprennent la main sur la gestion des réseaux dont elles sont propriétaires. De même, il faut bien distinguer les métiers de l'efficacité énergétique et ceux des fournisseurs d'énergie, la confusion règne par exemple dans les offres de type « bleu ciel » ; je le sais par mes fonctions à la tête d'un espace info énergie, où nous passons beaucoup de temps à décrypter avec les consommateurs les nombreuses offres, qui sont souvent de la publicité - nous jouons le rôle d'un véritable service public de l'information indépendante.
Concernant la gestion des réseaux, il conviendrait de revenir sur le traitement différencié, voire discriminatoire, qui existe en France entre consommateurs et producteurs d'électricité et ce au mépris du droit européen, en particulier de la directive de 2009 sur les réseaux. Ces dispositions pénalisent les producteurs qui n'ont pas droit, par exemple, à la réfaction : une demande de raccordement au réseau d'une installation photovoltaïque est ainsi payée à 100 % par le producteur alors que le consommateur ne paie lui que 60 % du coût de raccordement, les 40 % étant mutualisés via le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe). C'est une anomalie totale qui date de la mise en place du moratoire sur le photovoltaïque. Autre illustration de cet effet de balancier qu'a connu le photovoltaïque après la gestion pour le moins erratique, par l'État, de ses tarifs d'achat : lorsque vous investissez dans une installation photovoltaïque qui ne fait pas appel au tarif d'achat, vous ne pouvez pas déduire ces sommes de vos impôts alors que c'est possible pour les autres investissements dans les PME. Le photovoltaïque subit donc désormais une triple peine, sans même parler des quotes-parts fixées dans les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) qui font échouer de nombreux projets.
Nous sommes également pour la clarification des règles pour les réseaux fermés, qui n'ont pas accès, par exemple, aux tarifs nationaux.
Nous vous proposerons encore des mesures pour faciliter l'accès aux données détenues par les opérateurs et qui sont indispensables aux collectivités locales, pour connaître précisément leur territoire sur le plan énergétique, donc établir en conséquence les documents de programmation. Nous sommes également favorables à ce que l'obligation des plans climat-énergie territoriaux (PCET) couvre l'ensemble du territoire, mais aussi à ce que les divers documents qui existent soient mieux articulés, qu'il y ait une cohérence entre les plans portant sur des échelles géographiques différentes ; le Sénat nous paraît, à cet égard, le mieux à même de redéfinir cette architecture, pour une véritable gouvernance territoriale de la transition énergétique.
Enfin, là où le texte met en place un « service public de l'efficacité énergétique », nous pensons qu'il faudrait aussi, ou plutôt, un service public de l'information sur l'énergie, ce n'est pas la même chose ; les espaces d'information énergie, comme celui que je préside, montrent déjà tout l'intérêt d'une information indépendante, transparente ; bien des forces vives sont prêtes à se mobiliser davantage sur l'ensemble du territoire, il faut aller dans ce sens.
Mme Armelle Le Comte, chargée de plaidoyer climat et énergies fossiles à Oxfam France. - A Oxfam France, où nous travaillons beaucoup sur le financement de la transition énergétique - au Nord comme au Sud -, nous partageons l'analyse qui vient de vous être présentée : les objectifs de moyen terme fixés par ce projet de loi ne permettent pas d'atteindre ceux qui sont affichés pour 2050. La transition énergétique demanderait 20 à 30 milliards d'euros par an et, selon l'Agence internationale de l'énergie, 500 milliards de dollars à l'échelle mondiale pour tenir l'objectif d'un réchauffement limité à 2 degrés. Or, ce projet de loi ne comporte guère de volet financier, hormis le fonds prévu à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Pire, ce texte n'entreprend rien pour limiter le financement des énergies polluantes par le secteur privé : entre 2005 et 2014, les investissements bancaires français dans le charbon ont bondi de 218 %, alors qu'il reste le plus polluant, avec 43 % des émissions de CO2, devant le pétrole et le gaz. Il faudra également bien plus de transparence sur les investissements, publics comme privés, pour piloter la transition énergétique, ou bien nous ne ferons que suivre les évolutions du marché, sans pouvoir orienter les milliards d'euros nécessaires à la transition. Les investisseurs privés sont prêts à des actions d'envergure : à New-York, en septembre dernier, 350 investisseurs institutionnels et bancaires, représentant une capitalisation de quelque 24 000 milliards de dollars, se sont prononcés pour la « décarbonisation » de leurs investissements et ont appelé les gouvernements à légiférer dans ce sens pour réduire l'empreinte carbone globale. L'ONU et la Commission européenne vont dans le même sens - cependant, sans action concrète des États, ces engagements manquent d'effectivité, les acteurs se mobilisent sans disposer de standards communs.
Oxfam France proposera quatre améliorations de ce projet de loi. Deux concernent, au titre VIII, l'empreinte carbone : d'abord rendre obligatoire, pour chaque investisseur, l'évaluation de l'empreinte carbone de ses investissements, c'est-à-dire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais aussi leur « part verte », c'est-à-dire les investissements qui diminuent ces émissions ; ensuite, étendre les obligations de reporting environnemental liées à la transition énergétique. Deux autres concernent la prise en compte du risque climatique : nous souhaitons que les entreprises prennent explicitement en compte les risques de long terme de leur activité : aucune information n'apparaît aujourd'hui sur ces risques, alors qu'ils sont bien souvent connus, identifiables, en particulier les risques physiques liés au changement climatique ; nous souhaitons que ces risques soient également pris en compte par les banques, parmi les critères de leurs activités.
Ce texte peut apporter bien plus de transparence, indispensable à la transition énergétique. La France peut cesser de soutenir le charbon, François Hollande, lors de la conférence environnementale, a dit son intention que les crédits à l'exportation ne soutiennent plus le charbon : nous demandons que cette mesure de bon sens soit effective dès l'an prochain, ce sera un gage d'exemplarité pour la France, qui organisera en décembre la Conférence mondiale sur le climat.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Merci pour vos exposés clairs et concis. J'examinerai toutes vos propositions avec la plus grande attention, j'en reprendrai certaines, d'autres le seront par mes collègues ; merci de me dire, en me les transmettant par écrit, quelle a été la teneur du débat à l'Assemblée nationale sur chacune d'elle : nos collègues députés n'ont eu que très peu de temps pour débattre, les comptes rendus attestent qu'il n'y a parfois eu aucun débat, nous avons plus de temps au Sénat et j'entends bien faire vivre le débat.
Je suis très intéressé par l'ouverture du capital des projets en matière d'énergies renouvelables, y compris au crowdfunding ; même chose pour l'élargissement de la zone d'information autour des centrales nucléaires, quoique un périmètre de 50 kilomètres paraîtra peut-être difficile à tenir. Cependant, je ne pense pas proposer de revenir sur la séparation des métiers de producteur et de fournisseur d'énergie, telle que nous l'avons établie dans la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité. En tout état de cause, comptez sur moi pour vous répondre rapidement, afin que chacun sache à quoi s'en tenir.
Madame Arditi, une question sur les relations de FNE avec l'ASN : tenez-vous compte des avis de l'ASN ? Il semble que votre organisation s'en dispense, qu'elle critique systématiquement l'ASN, alors que cette Autorité est indépendante, bien plus que d'autres institutions comparables de par le monde, et que ses avis font l'objet d'études approfondies.
Mme Maryse Arditi. - L'ASN progresse effectivement depuis sa création, à mesure du vieillissement des centrales et de l'accroissement des risques. Je respecte ses avis, mais lorsqu'elle dit qu'il faut doubler l'épaisseur d'installations à Fessenheim, puis qu'elle se range finalement à l'avis d'EDF qui ne projette pas davantage que des renforcements ponctuels, on mesure que l'ASN doit encore grandir pour tenir tête à EDF ! Un débat public national l'y aidera, nous ne contestons pas les autorités puisque nous demandons que ce débat soit préparé par l'ASN et l'IRSN.
Chacun sait, dans les milieux informés, que l'accident nucléaire majeur est une hypothèse de travail : la France dispose d'un comité directeur pour la gestion de la phase post accidentelle d'un accident nucléaire ou d'une situation d'urgence radiologique, le Codirpa, pourquoi ne pas en parler davantage au public ? Nous savons bien que l'information est primordiale, mais aussi qu'il y a de quoi s'inquiéter pour nos centrales au-delà de quarante années de service, que leur rénovation est un enjeu national. Sur les quatre grandes puissances nucléaires civiles, les trois autres que nous ont chacune connu un accident nucléaire grave : pourquoi devrions-nous faire comme si nous étions au-dessus des risques ? Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de visiter des territoires touchés par une catastrophe nucléaire : à Fukushima, des personnes âgées reviennent, mais aucun parent ne se risque à se réinstaller avec des enfants ; un accident nucléaire, c'est la mort assurée des territoires où les centrales sont implantées. Quel que soit le scénario retenu, nous n'aurons pas les moyens de rénover convenablement toutes nos centrales, il faut choisir lesquelles vont fermer - ce qui est cohérent avec l'objectif de diminuer la part du nucléaire dans notre consommation énergétique. Le débat public national est donc tout à fait légitime.
Une précision : lorsque l'on parle de 30 milliards d'euros annuels pour la transition énergétique, il s'agit bien de tous les moyens confondus, y compris ceux qui sont déjà mobilisés, et non pas seulement de moyens nouveaux.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Une demande de précision également : je suis surpris d'entendre que le soutien privé au charbon aurait doublé ces dernières années, merci de m'en communiquer les chiffres.
M. Daniel Dubois. - Vous partagez l'idée que les objectifs de ce texte à 2030 ne permettront pas d'atteindre ceux de 2050, que nous serions en dessous de la trajectoire voulue, mais ne manque-t-on pas d'une étude d'impact sérieuse pour en juger ? Une telle étude n'est-elle pas nécessaire à la transparence du débat sur la transition énergétique ?
Une question d'ensemble, ensuite : aurons-nous les moyens de compenser la baisse du nucléaire sans recourir davantage au thermique et au charbon, donc sans polluer davantage l'atmosphère ? On voit comment l'Allemagne peine sur ce chemin, n'est-il pas contradictoire ? Et quel est le coût d'une telle transition énergétique ?
On parle d'une quinzaine de milliards d'euros annuels pour rénover 500 000 logements par an, est-ce réalisable ? N'est-on pas dans une impasse ? En quoi ce texte nous fait-il avancer ?
Je suis très intéressé, enfin, par ce que vous dites de la production locale d'énergie : les énergies renouvelables sont partout, leur production est un atout pour les territoires, contre la désertification rurale, il faut traduire ces intentions par des mesures concrètes.
M. Roland Courteau. - Il faudrait une volonté politique pour attirer les financements vers la transition énergétique. Par ailleurs, à l'horizon 2010, nous avions fixé un certain nombre d'objectifs qui semblent avoir été oubliés. Pensez-vous que l'actuelle trajectoire nous permettra d'atteindre le seuil de 23 % d'énergie renouvelable à l'horizon 2020 ? Surtout, quelles conditions faudra-t-il remplir pour atteindre l'objectif de 32 % à l'horizon 2030 ?
Baisser à 50 % la part du nucléaire à l'horizon 2025 nécessitera une forte augmentation des énergies renouvelables ainsi que des économies d'énergie. À quelles conditions peut-on y parvenir ?
En outre, les méthaniseurs sont alimentés en Allemagne par des cultures dédiées tandis qu'ils le sont en France par le traitement des déchets dont le caractère méthanogène est très inférieur. Le projet de loi qui nous est bientôt soumis offre la possibilité de cultures intermédiaires à vocation énergétique et l'on pourra, par dérogation, autoriser certaines cultures dédiées. Quelle est votre position sur cette question ? Faut-il aller plus loin ?
Enfin, s'agissant de la conjonction entre effet de serre et réchauffement climatique, un problème me tient particulièrement à coeur ; c'est celui de l'acidification des mers et des océans. Ce phénomène frappe la Méditerranée déjà polluée par la fragmentation des plastiques qui ne sont pas biodégradables. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Bruno Sido. - Nous avions, avec l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), auditionné fin septembre un ensemble de spécialistes de l'environnement, dont vous-même, Mme Arditi, pour évoquer l'expérience allemande en matière de transition énergétique. À cette occasion, je m'étais d'ailleurs étonné du fait que vous soyez peu loquace sur le sujet. Il semble bel et bien que nous allons débuter une démarche analogue à celle des Allemands sans disposer toutefois des mêmes moyens.
L'objectif qui doit désormais guider toute politique environnementale est de limiter la hausse des températures à deux degrés, voire même moins si c'est possible. En Allemagne, l'arrêt anticipé de l'énergie nucléaire a conduit à un développement de sources intermittentes, éolien et photovoltaïque, qui implique notamment, dans la mesure où la production est au nord et la consommation au sud, la construction de nouvelles lignes à haute tension pour assurer la distribution de l'énergie à travers le pays dont le citoyen allemand ne veut pas. Surtout, l'abandon du nucléaire a conduit au redémarrage des centrales au charbon mais pire encore, au lignite dont les conséquences sur l'environnement s'avèrent désastreuses. Le charbon importé des États-Unis, dont le prix s'est effondré avec l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste, permet aux Allemands d'interrompre l'exploitation de leurs centrales au gaz qui sont pourtant moins polluantes !
Il est manifeste que des moyens de substitution s'avèrent nécessaires pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables et qui, in fine, pourraient aboutir à doubler la puissance installée. Comme le souligne une récente étude publiée par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), dans les endroits considérés comme les plus venteux, la charge d'une éolienne se limite à 30 %, ce qui implique de trouver, dans 70 % du temps restant, des moyens alternatifs de production de l'électricité. J'aurai ainsi une question adressée plus particulièrement à Mme Arditi : que pensez-vous des échanges que nous avons eus, et notamment de ce que nous ont dit nos invités allemands, lors de la table ronde que nous avons organisée avec l'OPECST et quelles leçons doit-on tirer de l'expérience allemande en matière de transition énergétique ?
M. Martial Bourquin. - Répondre aux nombreux défis suscités par le réchauffement climatique implique de mobiliser la société civile aux côtés des pouvoirs publics. À cet égard, les organisations non gouvernementales (ONG) sont appelées à jouer un rôle essentiel. Un récent rapport de l'ONU vient de réévaluer le montant des investissements nécessaires au bon déroulement de cette transition énergétique qui nécessite près de 500 milliards d'euros d'ici à 2050. C'est donc une question vitale qui engage l'avenir de notre civilisation et dont la réponse nous oblige à revoir nos modes de production. À cet égard, le Royaume-Uni, le Danemark et les Pays-Bas viennent, en basculant leur fiscalité sur le carbone, de prendre une décision destinée à trouver les moyens d'assurer leur transition énergétique. Quelles seront les prochaines filières professionnelles et industrielles qui permettront une meilleure économie de l'énergie ? Les ONG conduisent-elles une réflexion en ce sens ? Les filières du bâtiment peuvent également être mises en péril en fonction des choix opérés dans ce domaine et le sort des travailleurs détachés est un motif légitime de préoccupation.
La production d'énergie est certes essentielle, mais son stockage et son transport sont tout aussi importants et il importe de mobiliser les capacités d'ingénierie, au travers notamment de la commande publique, pour que soit orientée la logistique existante vers la production d'énergie plus douce et l'optimisation de son acheminement. Enfin, il me paraît important de soutenir la société EDF, dont certaines activités sont actuellement remises en cause mais sans laquelle la bataille climatique ne sera pas remportée !
Mme Maryse Arditi. - Une question demeure : peut-on atteindre le seuil de 50 % d'énergie nucléaire d'ici à 2025 ? Derrière un tel chiffre, l'objectif fondamental est d'obtenir une réduction de la quantité d'énergie nucléaire produite de manière à obtenir un mix plus équilibré. Nous ne disposons pas d'étude d'impact sur cette réduction, mais je souhaitais vous rappeler que celle-ci a fait l'objet d'une demande unanime exprimée par le groupe de travail sur les scenarii, que je co-présidais avec le président de l'Union française de l'électricité. Une telle demande s'est trouvée bloquée au niveau politique.
S'agissant du nombre de réacteurs à rénover, les taux de disponibilité des réacteurs français se situent aux alentours de 77 % contre 90 % dans les autres États qui disposent de l'énergie nucléaire. Si nos réacteurs fonctionnaient de manière optimale, on pourrait alors fermer environ 7 à 8 réacteurs, sans induire une baisse du niveau de production.
L'Europe se trouve d'ailleurs en situation de surcapacité électrique. Les économies d'énergie constituent l'enjeu fondamental de la transition énergétique et un consensus existe globalement sur ce point. Cette démarche donne lieu à deux attitudes distinctes : d'une part, assurer des économies d'énergie de l'ordre de 10 à 15 % à partir des équipements existants et en privilégiant une certaine forme d'automatisation pour assurer une rentabilité de court terme et, d'autre part, enclencher une vision de plus long terme, d'ici à 2050, qui conduise l'ensemble du parc à atteindre un niveau correct de consommation énergétique. Une telle vision conduit à une rénovation, étape par étape, de l'ensemble des installations. Nous sommes, quant à nous, en faveur de la vision d'un parc bâtiments rénové.
Certaines situations demeurent également insupportables, à l'instar de l'attente, depuis le Grenelle de l'Environnement, d'un « décret tertiaire » destiné à préciser les modalités de rénovation des bâtiments du tertiaire. Un tel retard freine les initiatives des secteurs public et privé dans la rénovation des bâtiments !
Il importe avant tout d'enclencher une décroissance du nucléaire. Il faut enfin reconnaître la nécessité de fermer certains réacteurs et d'en rénover d'autres pour atteindre un taux de disponibilité de 90 %.
J'ai en effet participé à la séance organisée par l'OPECST qui a accueilli près de dix-neuf intervenants et a duré près de quatre heures. La brièveté des propos que j'y ai tenus était à mettre au compte de mon ordre de passage comme dernière intervenante et à la durée des interventions qui me précédaient !
Le seuil de 30 % de taux de fonctionnement des éoliennes en milieu venteux me paraît devoir être contesté à l'aune d'exemples que je connais dans le département de l'Aude. Et l'idée de doubler la puissance des installations pour combler les 70% évoqués ne résiste pas à l'épreuve des faits ! En effet, entre 18h et 19h, la consommation évolue de près de 10 %. Nous avons trois types de vent en France et l'ensemble des installations éoliennes et photovoltaïques représente 4 % de notre consommation nationale. Il n'est pas nécessaire d'installer, dans les dix années qui viennent, de nouvelles installations pour compenser l'arrêt du photovoltaïque et de l'éolien ! En revanche, à moyen terme, je plaide en faveur d'une méthode de stockage de l'énergie qui conférera un avantage absolu sur le pays qui en sera le bénéficiaire ! Les pays qui ont le plus d'avance en matière d'énergies renouvelables risquent d'en profiter les premiers et il est essentiel que la France s'y emploie !
M. Marc Jedlickza. - À ce sujet, j'ai pu, dans le cadre d'une étude réalisée en partenariat avec l'ADEME, faire le point sur les recherches conduites notamment en Allemagne et au Danemark en matière d'exploitation de l'hydrogène. Certes, ces deux pays conduisent des projets distincts. Ainsi, en Allemagne du Nord, la société Audi a investi dans une ferme éolienne offshore et l'électricité qui y est produite est transformée en hydrogène puis en méthane par capture du CO2 dans une unité de méthanisation qui est proche. L'énergie qui est ainsi recréée permet ainsi d'alimenter l'équivalent de près de 1 300 véhicules dont le carburant est du méthane (GNP) produit par électrolyse. D'autres projets, développés notamment par une start-up basée à Stuttgart, sont également en cours dans ce domaine. En 2025, il est prévu que l'Allemagne atteigne 30 % de production d'énergies fluctuantes et non intermittentes.
Le Danemark se consacre aux recherches sur les énergies issues de la technologie bio-gaz. Celle-ci intéresse d'ailleurs l'Union européenne, qui a lancé des appels à projets pour mettre au point des démonstrateurs. L'ADEME commence à s'y intéresser et devrait communiquer une étude, au moment du débat sur la transition énergétique au Sénat, portant sur l'ensemble des incidences de la mise en oeuvre d'un réseau électrique qui soit totalement alimenté par des énergies renouvelables. Ce réseau devrait ainsi intégrer les technologies de transformation et de stockage de l'hydrogène et du méthane sans lesquelles il n'est pas viable. Ainsi, le réseau de gaz en France serait susceptible d'assurer le stockage des molécules d'hydrogène et de méthane puisque les capacités actuelles sont en mesure de stocker jusqu'à quatre mois de la consommation nationale de gaz ! Il ne s'agit pas d'une rupture technologique : la réaction de méthanation a été découverte par un scientifique français, Paul Sabatier auquel le Prix Nobel de chimie fut décerné, en 1912, pour cette avancée. Puisque l'industrie utilise, de manière quotidienne, ces procédés de transformation, il s'agit de lui adresser un signal clair pour qu'elle investisse pleinement dans la recherche en matière d'énergies renouvelables.
Faute d'objectifs ambitieux et clairs, la France risque d'être distancée par d'autres pays qui travaillent dans ce domaine !
En outre, l'interconnexion entre les réseaux, qui sont la propriété des collectivités locales, est essentielle. Ceux-ci sont actuellement gérés de manière verticale et concurrentielle au niveau local. Cette situation est insensée : il faut, au contraire, que sous l'égide des territoires, la gestion des réseaux optimise les ressources locales et l'implication de leurs différents acteurs, plutôt que de laisser libre-cours à une concurrence obérant leur développement.
M. Daniel Gremillet. - J'aurai plusieurs remarques et deux questions. D'une part, en matière d'obligations, notamment de travaux, qui seraient exigibles lors de la vente d'immeubles, quel peut être le retour sur investissement généré à cette occasion ? Cette question fait débat et pourrait être de nature à entraver durablement l'accès à la propriété.
D'autre part, s'agissant du mix énergétique, il faut faire preuve de réalisme. À titre personnel, en tant qu'exploitant agricole, j'ai moi-même investi dans le photovoltaïque. En décembre dernier, je n'ai pu produire d'électricité, du fait des intempéries, et pourtant, la consommation au niveau local ne s'arrêtait pas ! Cette sujétion aux aléas climatiques rend nécessaire l'exploitation d'autres sources énergétiques. Il y a là une question de fond : certes, la France a des capacités d'exposition solaires intéressantes, mais il importe d'arbitrer entre plusieurs options qui ont chacune leurs propres externalités. L'exemple de la pose de panneaux solaires est révélateur : mieux vaut-il les poser au sol, au risque de raréfier les surfaces cultivables et nourricières ? Est-ce que l'évaluation des conséquences induites par ces choix technologies a été conduite ?
Enfin, je partage votre préoccupation quant à l'évolution des réseaux qui est l'une des problématiques de l'aménagement du territoire. Il faut trouver une cohérence qui assure l'égalité de traitements entre producteurs et distributeurs. Cette question d'ordre stratégique conduit à s'interroger sur les capacités contributives de chacun.
À la lueur de vos propos et du contenu du projet de loi que nous allons discuter, je pense qu'il faut se prémunir contre le risque de tourner le dos au progrès. Je prendrai un exemple : l'un des débats aujourd'hui consiste à faire haro sur le diesel alors que, quelques années auparavant, certaines études avaient démontré que son utilisation était moins polluante que celle de l'essence. Il faut faire confiance avant tout aux capacités de progrès. La France dispose également, avec sa forêt notamment, de fortes capacités pour produire de la biomasse et il convient d'innover dans ce domaine. La méthanisation représente également une question essentielle pour nos territoires et nos surfaces agricoles. Notre pays dispose ainsi de nombreux atouts comme ses côtes et sa pluviométrie. Malheureusement, le projet de loi sur la transition énergétique ne semble pas accorder aux capacités hydrologiques la place qui leur revient.
En outre, la question de l'acceptabilité de l'ensemble des programmes se pose : certes l'existence d'une ligne directrice proposée aux industriels est importante, mais l'aval des populations est également important.
Enfin, je ne peux que m'inscrire en faux contre l'idée selon laquelle l'énergie est consommée sans se soucier de son prix. À l'heure où les chefs d'entreprises préparent leur budget pour 2015, je peux vous assurer que l'énergie est le troisième poste de leurs dépenses et que toute économie dans ce domaine induit une baisse notable des coûts qui est constamment recherchée.
M. Franck Montaugé. - J'aurai une première question concernant la gestion des risques par les investisseurs, que ce soit des particuliers ou des collectivités locales, dans des sociétés de production d'énergie renouvelable. Trouvez-vous que les mécanismes du marché de l'énergie, s'agissant notamment de la fixation des prix, permettent une gestion du risque acceptable pour l'investisseur ? En effet, j'ai pu constater, dans ma circonscription, que de nombreux investisseurs qui s'étaient lancés dans la mise en oeuvre d'installations photovoltaïques n'ont pas pu lancer la production d'énergie ou rentabiliser leur investissement initial. La visibilité des investisseurs quant au prix de rachat représente ainsi un problème crucial et la mobilisation de l'ensemble des investisseurs, citoyens compris, exige bel et bien une meilleure appréhension de la question des risques.
S'agissant de la contribution des zones rurales à très faible densité d'habitat à la production d'énergies renouvelables, que ce soit photovoltaïques ou encore géothermiques, il convient en effet d'éviter que des terres nourricières disparaissent. Mais cette question des relations entre ces surfaces et la production énergétique a-t-elle été envisagée ?
M. Gérard Bailly. - Je souhaitais vous évoquer les difficultés que j'ai éprouvées dans mon département, le Jura, en matière de projets. Les besoins en matière d'électricité vont s'amplifier, avec notamment l'augmentation du nombre de voitures électriques impliquant la pause de bornes de rechargement et celle des instruments électriques dont l'utilisation nous est quotidienne. Disposons-nous des études qui projettent notre consommation électrique à moyen et long termes ?
Par ailleurs, dans mon département, aucun projet de déploiement d'éolienne n'a pu être conduit à son terme du fait des agissements de diverses associations. Le Jura vient également d'accueillir un premier parc photovoltaïque dont la surface, initialement fixée à 13 hectares, a dû être réduite de moitié, pour des motifs de préservation de la nature.
Dans mon département se trouvent également 1 300 retenues sur les rivières qui furent, il y a un siècle, l'unique source énergétique. Or, toute tentative de produire de l'électricité à partir de ces retenues se heurte à une opposition des milieux associatifs qui dissuade tout investisseur de s'y lancer ! Au bilan, à l'exception de quelques installations photovoltaïques sur les toits, je demeure sceptique quant à la réalisation des objectifs auxquels, certes, je souscris mais qui se heurte à de récurrentes difficultés. Je ne reviendrai pas sur la question de la pollution par le chauffage au bois, alors que la forêt représente près de 45 % de la superficie de mon département !
Je suis très favorable aux ressources locales, mais qu'attendez-vous de l'agriculture française alors que les agriculteurs allemands tirent autant de revenus de leur production énergétique que de leurs produits. Nos exploitants agricoles en auraient bien besoin, même si la superficie de leurs terres ne permet peut-être pas d'atteindre le même niveau que celui de nos voisins d'Outre-Rhin. N'oublions pas que les terres agricoles doivent être protégées alors que la population mondiale ne cesse d'augmenter !
M. Alain Chatillon. - Je souhaiterais obtenir plus d'éléments sur la décision d'arrêter la distribution de sacs plastiques d'ici à 2016 susceptible de fragiliser certaines entreprises reconnues pour leur excellence à l'exportation. Avons-nous estimé les conséquences, à court terme, d'une telle décision ? Je souhaite d'ailleurs que notre commission se saisisse de cette question.
Mme Armelle Lecomte. - S'agissant de notre capacité à changer de modèle énergétique, il ne s'agit bien évidemment pas de substituer à l'usage du nucléaire celui du charbon ! D'ailleurs, des marges de progrès en matière de recherche sur les énergies alternatives demeurent énormes en France et il faut les mobiliser au plus tôt pour respecter l'objectif d'un réchauffement de deux degrés. C'est pourquoi Oxfam salue l'initiative du Président de la République de porter un terme aux subventions de la Coface qui bénéficiaient jusqu'alors au charbon. Cette décision reflète une tendance de fond puisque la Banque européenne d'investissement ou encore les différentes banques multilatérales de développement ont opéré le même choix, tout comme d'ailleurs les États-Unis depuis l'année dernière. Cette tendance devrait d'ailleurs se poursuivre tout au long de l'année 2015 et au-delà.
Oxfam France est préoccupée par le caractère inefficace des investissements qui se portent en priorité vers les énergies fossiles, notamment le charbon, sans prendre en considération les risques climatiques, faute d'un encadrement législatif suffisant. Une « bulle carbone » existe bel et bien ! Certes, ces investissements dans ces énergies fossiles sont voués à disparaître et la prochaine Conférence internationale sur le climat fournira l'occasion de s'interroger sur leur pérennisation. Faute de mesures en ce sens, le réchauffement climatique connaîtrait alors une augmentation de l'ordre de 4 à 6 degrés, aux conséquences désastreuses pour la planète, sans parler des conséquences humaines et économiques. En ce sens, Oxfam France promeut une certaine forme de transparence de ces capitaux, dont les montants réels demeurent inconnus, afin d'en assurer le fléchage vers la transition énergétique.
Mme Anne Bringault. - S'agissant du soutien de l'État aux investissements des particuliers, un coût de 15 milliards a été évoqué. Il ne s'agit nullement d'une dépense, mais d'un investissement permettant des économies d'énergie qui en apportent pleinement la justification. D'ailleurs, les estimations réalisées corroborent ce point et permettent de préciser les délais assurant ce retour sur investissement.
La mobilisation de la population est un enjeu prioritaire et ne peut être assurée qu'en déployant des campagnes de proximité susceptibles de sensibiliser et d'informer les particuliers. Certes, il existe déjà les espaces info énergie, mais ceux-ci sont encore trop peu nombreux et nous espérons que la prochaine loi de transition énergétique permettra de les démultiplier et de renforcer leurs moyens.
Le Réseau Action Climat ne souhaite pas non plus que l'Allemagne soit en tout point imitée par la France ni, d'ailleurs, qu'un choix s'opère en faveur du charbon. Ce n'est qu'en tirant le bilan de la politique énergétique de notre voisin d'outre-Rhin que nous serons en mesure de proposer des modalités, qui tiennent compte des spécificités de nos territoires, de production d'énergie renouvelable. En Allemagne, comme il a été précédemment signalé, c'est plutôt le charbon qui remplace le gaz, du fait de la modicité de son coût. Une telle situation souligne les risques de laisser au seul marché l'organisation du secteur énergétique !
Sur les filières professionnelles, il faut également ajouter aux emplois créés par le développement des énergies renouvelables ceux générés par la baisse de la facture énergétique nationale. Ainsi, réduire à la fois la facture et les consommations énergétiques permet de mobiliser plus de moyens et d'agir en faveur de l'emploi.
Enfin, s'agissant de l'acceptabilité des énergies renouvelables, l'Allemagne fournit, sur ce point, un indicateur intéressant. La moitié du parc éolien appartenant à des particuliers et parmi ceux-ci, des agriculteurs, est un fait qui a largement contribué à l'acceptabilité de cette forme d'énergie. D'ailleurs, l'ensemble des sondages démontre que la très grande majorité des Français demeurent favorables aux énergies renouvelables.
M. Marc Jedliczka. - Il importe de mutualiser les moyens pour assurer la méthanisation à l'usage des sols. Je vous renvoie ainsi à l'étude réalisée par l'ADEME portant sur les scenarii volontaristes à l'horizon 2030-2050 qui concerne également l'optimisation de l'usage de la biomasse. Ainsi, il n'y a pas de problème de l'usage des sols en France et il est important de stopper l'intégration systématique du bâti. Un équilibre est possible entre production énergétique et préservation des surfaces agricoles. D'ailleurs, la France dispose certainement du territoire où se trouvent les plus importants gisements d'énergie renouvelable. Notre potentiel est gigantesque mais, malheureusement, l'État n'a pas été apte à l'exploiter, s'agissant notamment de l'énergie photovoltaïque, secteur dans lequel la parole de l'État a été dévoyée. Moyennant un certain nombre de précautions, il est manifestement possible de faire beaucoup mieux !
Mme Maryse Arditi. - Sur la question de la méthanisation, France Nature Environnement est défavorable aux cultures dédiées, sauf ponctuellement, pour des installations de taille modeste sur des petites exploitations qui y trouvent un complément nécessaire à leur survie.
L'acidité des océans représente un sujet majeur de préoccupation que nous partageons d'ailleurs avec les pêcheurs et qui touche notamment la reproduction des espèces. À force d'absorber le CO2, les océans s'acidifient et on constate des phénomènes préoccupants d'accélération de stockage de la molécule CH4 dans les océans dont la fuite serait catastrophique pour l'écosystème ! De façon analogue, l'évolution du climat est susceptible de connaître des ruptures de seuils : si le permafrost se mettait à fondre, des millions de tonnes de CH4 seraient ainsi relâchées dans l'atmosphère. Un autre risque de rupture réside dans la fin du Gulf Stream qui aurait des conséquences climatologiques immédiates sur les côtes françaises de l'Atlantique et de la Manche qui connaîtraient alors une baisse considérable de leurs températures.
Sur les temps de retour dans le bâtiment, il faut avoir à l'esprit l'existence de deux types d'investissement en fonction de leur durée. Ainsi, une chaudière, qui fonctionne pendant 15 ans, représente un investissement rentable à l'issue d'une décennie, tandis qu'une isolation, conduite à terme sur 35 ans environ, devient rentable au bout de vingt ans. Il est donc nécessaire de trouver les investisseurs de long terme comme on y parvient en Allemagne. Il importe ainsi que la Banque européenne d'investissement assure le financement des systèmes bancaires nationaux à des taux très bas pour permettre, en retour, aux établissements bancaires de consentir des crédits aux particuliers et aux entreprises à des taux très bas pour conduire les travaux d'isolation de manière globale.
Arrêtez en outre d'intégrer le photovoltaïque sur les toits ! Cette démarche est catastrophique car elle conduit à remplacer des toitures en bon état et à augmenter le risque de fuites dans les bâtiments ! D'ailleurs, nos voisins allemands ne s'y risquent pas !
Le label « énergie renouvelable » ne décerne pas, à lui seul, un satisfecit aux investissements vers les installations qui s'en réclament, car des projets peuvent s'avérer funestes, à l'instar de la transformation de la centrale au charbon de Gardanne en centrale biomasse sans cogénération qui est une catastrophe et ce, de l'avis de tous, y compris du Gouvernement !
Qu'attendons-nous de l'agriculture ? Des produits de qualité. Comment se fait-t-il que nos producteurs de poulets fournissent en priorité le Moyen-Orient tandis qu'il nous faut importer des poulets d'Allemagne, dont la taille répond davantage aux attentes des consommateurs français ? Cette situation est proprement incompréhensible !
Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des Énergies Renouvelables (SER)
La commission entend M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 16 (2014-2015), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
La réunion est ouverte à 14 heures 30.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Monsieur le Président, nous vous avions déjà entendu avant l'été à la suite de la Conférence énergétique et avons aujourd'hui l'occasion de vous entendre de nouveau, cette fois sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Dans votre propos liminaire, vous nous direz si le texte adopté par l'Assemblée nationale vous satisfait ou si vous avez des propositions pour l'améliorer, puis le rapporteur et ceux de nos collègues qui le souhaitent vous interrogeront.
M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables. - Merci Mme la Présidente. Nous portons une appréciation positive sur le texte issu des travaux de l'Assemblée, ce qui ne nous empêche pas de formuler des propositions pour l'améliorer encore. En premier lieu, l'objectif de porter la part des énergies renouvelables (EnR) à 32 % de la consommation finale brute d'électricité en 2030, qui se situe dans la continuité de nos engagements européens pour 2020 tels que sanctuarisés par les lois « Grenelle », soit 23 % en 2020 en partant de 9 % en 2005, cet objectif nous semble à la fois raisonné et responsable. Raisonné, d'abord, car il reflète la mobilisation d'un potentiel et de gisements qui existe et que d'un point de vue économique, les coûts des principales EnR ont fortement décru et avoisinent désormais ceux des technologies traditionnelles. Responsable, ensuite, car il concourt de façon décisive à la réduction de 30 % de la consommation d'énergies fossiles en 2030 et donc à la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à cette même date. Il y a donc là une véritable cohérence.
Nous apprécions également que la loi prévoit des instruments de pilotage de ces objectifs, au premier rang desquels figure la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui devra décliner ces objectifs par filière - électricité, chaleur et transport - et qui fixera en particulier des plafonds financiers d'engagements publics : c'est un point essentiel sur lequel nous serons très attentifs.
Le texte prévoit de confier au gestionnaire du réseau de transport d'électricité l'établissement d'un registre des installations de production dont nous pensons qu'il s'agit là encore d'un très bon outil.
Nous nous félicitons encore de la présence d'un objectif sur la chaleur qui vise à multiplier par cinq la chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux de chaleur à l'horizon 2030 car on a toujours tendance à limiter nos réflexions aux seules énergies électriques.
En matière de bâtiment, plusieurs aspects positifs figurent dans le texte et devraient notamment faciliter l'introduction d'instruments de production d'EnR dans les bâtiments, en particulier dans les constructions neuves mais pas seulement. Je citerai aussi la possibilité pour les collectivités territoriales de bonifier leurs aides financières en fonction des critères de performance énergétique des bâtiments, le fait que toute nouvelle construction sous maîtrise d'ouvrage public soit, chaque fois que possible, à énergie positive et à haute performance environnementale ou encore la réflexion sur l'opportunité d'aides fiscales à l'installation de filtres à particules sur les chauffages au bois.
S'agissant des transports, nous adhérons aux principales dispositions du texte mais il faudrait selon nous les compléter par un objectif de 15 % d'EnR dans les transports en 2030, ce qui peut être atteint grâce aux biocarburants de toutes générations et à l'électricité d'origine renouvelable.
Concernant le titre V relatif aux EnR, je souhaiterai insister sur deux sujets : le cadre économique, d'une part, le contrôle des installations d'EnR électriques, d'autre part. Sur le cadre économique, le texte introduit une nouveauté importante avec le complément de rémunération qui s'additionnera au produit de la vente directe sur le marché et a vocation à se substituer aux tarifs d'achat déterminés après appel d'offres ou en guichet ouvert. Il s'agit là de transposer les nouvelles lignes directrices de la Commission européenne qui encadrent les aides d'État.
Nous serons particulièrement attentifs à ce que la transition vers ce nouveau système soit progressive, en particulier pour sécuriser toutes les demandes antérieures au 1er janvier 2016. En outre, la forme que prendra ce complément de rémunération, selon qu'il s'agira d'une prime versée en début ou en fin de période, est essentielle : une prime ex post ou contrat pour différence, comme cela existe en Allemagne, permettra en effet de sécuriser les producteurs, c'est ce que nous recommandons et c'est ce vers quoi la ministre a dit s'engager.
S'agissant du renforcement des contrôles et du durcissement des sanctions, nous y sommes favorables sur le principe mais avons néanmoins deux interrogations, d'abord sur le fondement juridique qui sous-tend la création d'un lien entre le manquement constaté et la sanction prononcée et, ensuite, sur le respect du principe de proportionnalité entre l'infraction au code du travail ou la non-conformité aux dispositions du code de l'énergie et la décision de résiliation du contrat d'achat : cette dernière nous semble en effet excessive dès lors que cette infraction ou cette non-conformité sont déjà sanctionnées par ailleurs.
Le chapitre consacré à la simplification administrative est aussi important. Nous apprécions en particulier la généralisation de l'expérimentation de l'autorisation unique et nous pensons que nous pourrions aller encore plus loin.
Enfin, nous saluons l'engagement d'une dynamique territoriale, et notamment en outre-mer.
Parmi nos propositions d'améliorations, je citerai l'exclusion de la biomasse de l'élargissement de la part carbone dans la fiscalité énergétique ; l'incorporation de biométhane dans les réseaux de gaz naturel à hauteur de 10 % à l'horizon 2030 ; la fixation d'un objectif de 15 % d'EnR dans les transports en 2030 ; le retour au principe d'une prise en charge par le producteur des frais du contrôle des installations uniquement en cas de constat d'une infraction ou d'une non-conformité ; la préservation des demandes complètes de raccordement lors du passage au complément de rémunération ; la fixation du montant de la sanction pécuniaire selon les modalités prévues au code de l'énergie et non pas en fonction de la puissance électrique installée de l'installation dans la limite de 100 000 euros par mégawatt ; la suppression de l'obligation de permis de construire pour les éoliennes dès lors que les dispositions du code de l'urbanisme sont déjà prises en compte dans le code de l'environnement et dans le régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ; de même, pour l'hydroélectrique, l'intégration du permis de construire dans l'autorisation unique expérimentée, également délivrée par le préfet ; la simplification de l'autorisation des réseaux de chaleur géothermiques ; enfin, l'exonération du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) pour les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) lorsqu'elles sont en soutirage et rendent donc service au réseau.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Monsieur le Président, j'ai bien entendu votre satisfaction sur l'objection de porter la part des EnR à 32 % de la consommation finale brute d'énergie en 2030. Dans l'étude d'impact, cet objectif est décomposé par secteur : 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur et 15 % de la consommation finale de carburants ; quel est votre avis sur ces chiffres, en particulier celui sur la chaleur, et seriez-vous favorables à l'ajout de cette déclinaison dans le texte même du projet de loi ?
S'agissant du complément de rémunération, ses modalités concrètes, de même que son financement, restent encore largement à préciser. Pourriez-vous revenir sur la forme que vous souhaiteriez lui voir prendre ?
Quant à vos propositions d'amendements, je les examinerai avec attention et vous remercie de bien vouloir m'indiquer, pour chacun d'entre eux, quel accueil leur a été fait à l'Assemblée nationale, par le co-rapporteur concerné comme par le Gouvernement.
M. Jean-Louis Bal. - Concernant la répartition de l'objectif des 32 % par secteur, nous avions effectivement proposé que ces objectifs figurent dans le projet de loi lui-même mais il nous a été répondu que ce serait l'objet de la PPE et non de la loi. Nous en prenons acte mais maintenons notre souhait d'ajouter un objectif de 15 % pour les transports et de 10 % de biométhane incorporé dans le réseau de gaz naturel en 2030. Les trois objectifs déclinés dans l'étude d'impact nous semblent raisonnables même si les 38 % pour la chaleur sont ambitieux puisqu'il s'agira pour l'essentiel de mobiliser la biomasse. C'est possible car nous avons le gisement nécessaire mais il est, d'une part, toujours compliqué d'aller chercher le bois en forêt et, d'autre part, le bois énergie n'est qu'un co-produit d'autres productions comme le bois d'oeuvre. Il faudra donc mobiliser la filière bois dans son ensemble. Le potentiel est là et c'est un défi à relever ; c'est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d'une véritable stratégie pour la biomasse.
Concernant le complément de rémunération, nous sommes favorables à une prime déterminée en fin de période qui permette de s'ajuster aux variations du marché et d'intégrer les EnR au marché tout en garantissant aux investisseurs un prix cible fixe. À l'inverse, une prime d'investissement octroyée par appel d'offres inciterait les investisseurs à demander une prime plus élevée et coûterait in fine plus cher au consommateur.
M. Roland Courteau. - Nous avions déjà fixé des objectifs pour 2010. Par rapport à ceux fixés pour 2020, la trajectoire actuelle est-elle suffisante pour les atteindre, notamment les 23 % d'EnR à cette date ? Que faudra-t-il pour atteindre ensuite les 32 % d'EnR visés en 2030 - plus de volonté politique, plus de simplification, plus de visibilité ? Et seront-ils à leur tour suffisants pour atteindre ceux de 2050 ? Ne faudrait-il pas fixer la barre plus haut en 2030 ?
L'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 nécessitera d'augmenter considérablement la part des EnR et de favoriser les économies d'énergie. Pensez-vous que cela soit réalisable et si oui à quelles conditions ?
L'annonce d'un financement accru du fonds chaleur est une excellente nouvelle mais est-ce suffisant pour faire émerger des projets nouveaux alors que les plus simples et les moins coûteux ont déjà été réalisés ?
En matière de biomasse, comment mobiliser la ressource ? Chaque année, 50 % de la surface supplémentaire gagnée par la forêt est déjà exploitée. L'exploitation en zone de montagne est particulièrement difficile or, si nous disposons d'une ressource abondante, encore faut-il pouvoir aller la chercher. Si nous exploitons davantage le bois d'oeuvre, nous disposerons de sous-produits pour l'énergie.
Enfin, la participation des communes et de leurs groupements au capital des sociétés de production d'EnR va-t-elle selon vous dans le bon sens ?
M. Gérard César. - Le projet de loi prévoit la fin de l'exigence d'un permis de construire pour les éoliennes lorsque le document d'urbanisme couvrant une commune permet ce type d'installation. Je pense, au contraire, comme beaucoup d'élus, qu'un permis de construire reste nécessaire pour installer des éoliennes.
M. Jean-Pierre Bosino. - Pouvez-vous nous indiquer la part dans la production d'énergie des réseaux de chaleur ? Dispose-t-on d'une estimation des possibilités d'alimenter les réseaux de chauffage urbain à partir des réseaux de chaleur ? L'incinération de déchets ménagers permet l'alimentation de tels réseaux. Le raccordement à de tels réseaux a des effets positifs pour les ménages logés en logements collectifs, dont les charges locatives baissent. Comment pourrait-on inciter les réseaux de chauffage urbain à se connecter aux réseaux de chaleur ?
M. Jean-Louis Bal. - La loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) de 2005 avait fixé à 21 % la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité à l'horizon 2010. Elle prévoyait de faire passer la part du renouvelable dans la production d'énergie primaire de 6 % à 10 %. Aucun de ces objectifs n'a été atteint. Alors que nous en étions à 9 %, la loi Grenelle de l'environnement a fixé à 23 % la part des énergies renouvelables dans la production d'énergie primaire à l'horizon 2020. Aujourd'hui, la part du renouvelable est de 14 %. Le Grenelle de l'environnement a eu un effet de stimulation, mais la tendance n'est désormais plus la bonne pour atteindre les objectifs fixés en 2020 : au rythme de progression actuelle des énergies renouvelables, leur part dans la production d'énergie sera de 17 à 18 % à cet horizon et non pas de 23 %.
Dans ces conditions, atteindre un objectif plus ambitieux en 2030 nécessite de lever plusieurs freins à la production d'énergies renouvelables. Le premier frein réside dans le manque de continuité des dispositifs de soutien. Les investisseurs ont besoin de visibilité. S'il doit y avoir des évolutions des tarifs d'achat, il faut qu'elles se fassent progressivement. Cela n'a pas été le cas ces dernières années. La plainte de l'association « Vents de colère » a ajouté de l'incertitude.
Un autre frein consiste en la complexité de l'encadrement réglementaire sur la quasi-totalité des énergies renouvelables. Des mesures de simplification sont nécessaires, par exemple pour ramener la durée d'un projet d'implantation d'éoliennes actuellement de 8 à 9 ans, à 3 ou 4 ans, notamment en encadrant les durées des recours, ou en supprimant un niveau de juridiction dans l'examen de ces recours.
L'atteinte de l'objectif de production d'énergies renouvelables en 2030 passe aussi par la mobilisation de la biomasse, qui peut couvrir la moitié du besoin de production supplémentaire. Cette mobilisation de la biomasse est difficile mais possible : elle passe moins par les acteurs du secteur de l'énergie que par ceux de la filière bois dans son ensemble, qui s'est organisée à travers le contrat de filière du secteur du bois. Le secteur du bâtiment doit aussi être mobilisé, car il peut être un gros consommateur de bois d'oeuvre.
La participation des collectivités territoriales au capital des sociétés de production d'énergie renouvelable est plutôt positive car cela mobilise les collectivités et les populations sur la réussite de ces projets. Des sociétés d'économie mixte ou des syndicats d'électricité portent déjà des projets de production d'énergie renouvelable. Ces projets réussissent mieux que la moyenne. La participation des collectivités territoriales au capital d'entreprises portant de tels projets doit être encouragée mais pas rendue obligatoire.
Les permis de construire sont aujourd'hui obligatoires pour installer une éolienne. Ils sont accordés par le préfet. Or, le dossier de permis de construire comporte des redondances avec le dossier d'autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Il faut supprimer ces redondances, portant par exemple sur les études de commodité, de voisinage, de sécurité, de conservation des sites et des monuments, car cela permettrait d'accélérer les projets. Supprimer le permis de construire ne diminue en rien la protection de l'environnement.
Les réseaux de chaleur desservent environ 1,5 millions d'équivalents logements. Les énergies de récupération, comme celles résultant d'incinération de déchets ménagers, représentent 35 % de l'énergie délivrée. Il est possible de faire davantage. La mise en place du fonds chaleur a été très utile depuis cinq ans pour permettre l'utilisation des énergies fatales, par exemple en raccordant davantage de logements aux réseaux de chaleur. Ce type d'action n'est pas la plus difficile à mener pour atteindre les objectifs de production d'énergie renouvelable. L'amortissement des raccordements s'effectue sur une durée assez courte. L'extension d'un réseau de chaleur reste une opération administrativement compliquée. Le syndicat des énergies renouvelables est favorable à l'objectif de multiplier par cinq l'énergie fournie par les réseaux de chaleur.
M. Martial Bourquin. - C'est bien d'avoir un objectif, et encore mieux de s'en donner les moyens. Le Grenelle de l'environnement a fixé des objectifs ambitieux mais a pêché sur les moyens. L'objectif de développement des énergies renouvelables s'est heurté au changement des politiques publiques en la matière, ce qui a créé des difficultés majeures. Ne faut-il pas accompagner les nouveaux objectifs concernant les énergies renouvelables de nouveaux moyens ? Tel est l'enjeu de ce projet de loi.
Il faut dépasser les clichés concernant les énergies renouvelables, qui veulent que celles-ci soient forcément chères et très subventionnées. Le développement des énergies renouvelables est une nécessité pour atteindre le bouquet énergétique du 21ème siècle. L'Allemagne a décidé depuis 2013 de ne subventionner le photovoltaïque qu'avec batterie, pour faire face au problème de l'intermittence qui est la faiblesse majeure des énergies renouvelables. Ne faudrait-il pas en France suivre cet exemple ?
Enfin, la connexion aux réseaux intelligents ne doit pas être une politique sectorielle mais une politique nationale.
M. Daniel Dubois. - La Somme, dont je suis l'élu, dispose de la ferme des mille vaches et d'éoliennes, dont les implantations se sont multipliées. Le risque n'est-il pas de se mettre les populations à dos ?
Par ailleurs, dispose-t-on d'une analyse précise du bilan carbone des chaufferies bois dans les territoires où il n'y a pas de forêts ? Le fonds chaleur a permis de développer de telles chaufferies sur tout le territoire, alimentées par des norias de camions qui parcourent des centaines de kilomètres pour apporter le bois. La Commission des affaires économiques ou celle du développement durable devrait demander le bilan carbone des chaufferies bois dans notre pays.
M. Roland Courteau. - L'ADEME a produit une analyse sur cette question.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Il n'y a pas eu de cohérence concernant les possibilités offertes aux particuliers de s'équiper. En matière de photovoltaïque, les changements de tarification ont généré des difficultés économiques pour certains ménages. Il y a eu un défaut de conseil public. Par ailleurs, dans certaines régions, des éoliennes individuelles ont été installées chez des particuliers, ce qui les met en difficulté financière. Il faudrait que les initiatives individuelles soient mieux encadrées pour éviter les aberrations financières.
M. Daniel Gremillet. - On est trop timide en France en matière de biomasse. La biomasse a permis de découvrir qu'on pouvait développer la sylviculture. Notre pays a des atouts formidables avec abondance d'eau et de surfaces. Dans les Vosges, nous avons expérimenté la mise en place de tiges à croissance rapide, qui permettent de développer les capacités de production énergétique.
M. Jean-Louis Bal. - Les objectifs en matière d'économies renouvelables doivent être assortis de moyens, mais les moyens financiers ne sont pas les seuls : il faut aussi du conseil et de l'accompagnement technique. Par ailleurs, les moyens financiers nécessaires ne sont plus aussi élevés que par le passé car la filière éolienne ou photovoltaïque ont fait d'énormes progrès de productivité. Les énergies renouvelables ont surtout besoin de visibilité réglementaire.
Les clichés sur les énergies renouvelables ne sont pas justifiés : si le coût de production du MwH est de 100 à 110 € pour les réacteurs nucléaires de type EPR, qui produisent l'énergie la plus décarbonnée, le coût pour l'éolien dans les régions propices à ces équipements est de 85 € et de moins de 100 € pour le photovoltaïque dans le Sud de la France. On peut donc produire de l'énergie décarbonnée à un prix compétitif.
Plus la part des énergies renouvelables est faible, plus l'intermittence peut être gérée facilement. Mais on peut encore progresser sans souci technique : l'intermittence ne deviendra un problème que lorsque les énergies renouvelables atteindront une part de 45 % dans la production. Le réseau français de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) peut être développé pour assurer la gestion de l'intermittence. Le photovoltaïque sur batterie coûte trop cher en métropole et ne se développera qu'à long terme, mais peut être diffusé dans les outre-mer, où les énergies renouvelables ont un taux de pénétration immédiat déjà supérieur à 30 %.
Les zones de développement des éoliennes (ZDE) ont été supprimées lorsqu'ont été créés les schémas régionaux éoliens. Si le syndicat des énergies renouvelables propose de supprimer les permis de construire sur les éoliennes, les communes resteront partie prenante dans le cadre de l'instruction des dossiers ICPE. Et elles resteront responsables de la planification spatiale des installations dans les documents d'urbanisme. Dans la Somme, la plupart des actuelles éoliennes ont été installées dans les ZDE et l'acceptabilité sociale de tels projets est constante dans le temps, d'après les études de l'ADEME. Elle est même plus forte à proximité des éoliennes.
Le bilan carbone des chaufferies bois reste très positif, d'après l'ADEME, même si le bois est transporté sur longue distance, ce que nous ne conseillons pas. Un plan d'approvisionnement doit être présenté lorsque les dossiers des chaufferies bois sont instruits.
M. Daniel Dubois. - Il faut prendre en compte les rejets de CO2 !
M. Jean-Louis Bal. - Les changements de réglementation ont pesé négativement sur les projets d'équipements individuels de production d'énergie renouvelable. Il faut cependant renforcer les points info-énergie. Le secteur éolien a souffert de vendeurs peu scrupuleux qui ont présenté de manière trop favorable le crédit d'impôts. De tels équipements ne sont pas très intéressants car, en général, les habitations sont installées à l'abri du vent et les permis de construire sont obligatoires pour les équipements de plus de 12 mètres.
Concernant la sylviculture, la nécessité de son développement ne fait pas de doute.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux, auteurs du rapport intitulé « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc » fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)
M. Jean-Yves Le Déaut, député. - Je remercie le président de la commission Jean Claude Lenoir et le rapporteur Ladislas Poniatowski de nous avoir invités à présenter notre rapport avant que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ne soit examiné par le Sénat en séance publique.
La rédaction de ce rapport, remis le 9 juillet 2014, résulte d'une saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) par le Bureau de l'Assemblée nationale le 27 mai 2013. Au cours de nos travaux, nous avons auditionné quelque 200 acteurs du secteur du bâtiment et nous sommes rendus dans différentes régions - Franche-Comté, Alsace, Lorraine, Rhône-Alpes - et à l'étranger - Allemagne, Suède, Finlande, Autriche.
Nous avons pu constater que l'Europe est en mouvement pour conquérir d'immenses marchés dans le domaine de la rénovation énergétique. La France risque de perdre la bataille de l'emploi qui y est associée si nous négligeons l'innovation dans la physique des bâtiments. La situation dans notre pays est peu satisfaisante : les aides sont mal ciblées et les critères qui les fondent s'avèrent complexes. Les annonces politiques sur les performances visées manquent de cohérence et perdent de leur crédibilité. Les entreprises n'ont plus confiance en un système opaque, bureaucratique et trop centralisé. Le système relationnel entre les prescripteurs et les prestataires en matière de réglementation énergétique du bâtiment est extrêmement confus : la recherche, l'évaluation, le conseil, l'expertise et le contrôle ne font pas l'objet d'une réelle séparation. Le manque de recherches et d'innovations ainsi que l'endogamie des acteurs décisionnels avec les responsables industriels montrent que le bâtiment est aujourd'hui considéré comme une discipline subalterne.
Il serait irresponsable de gérer la transition énergétique dans l'immobilisme technique. Nous sommes aujourd'hui face à un formidable défi scientifique, technologique et économique qui doit relancer notre économie et stimuler sa capacité à créer, à inventer et à innover pour conquérir des parts de marché. Cette vision dynamique de la transition énergétique donne toute sa légitimité à notre étude sur les freins à l'innovation. Un calcul sommaire indique que le marché français de la rénovation est de l'ordre de 900 milliards d'euros, c'est-à-dire trois fois le coût du renouvellement à neuf du parc d'électricité. Un effort d'innovation dans le domaine de la physique du bâtiment doit donc être mené pour ne pas perdre la bataille.
Deux recommandations majeures résultent de nos travaux. D'une part, il est nécessaire d'affirmer le besoin d'un nouvel élan, dans notre pays, en faveur de la physique du bâtiment, particulièrement au service des progrès de la mesure de la performance réelle. Il ne suffit pas de distribuer des aides pour changer les choses : il faut que celles-ci soient octroyées en fonction de la performance réelle et non de la performance théorique. Des moyens existent pour effectuer ces mesures. D'autre part, un contrôle renforcé du Parlement doit être institué sur la gouvernance et l'activité du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
M. Marcel Deneux, ancien sénateur. - L'objet de notre étude était d'examiner les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment.
Si nous prenons un peu de recul à l'égard des dispositifs complexes qui régulent l'insertion sur les marchés des composants de la construction, qu'il s'agisse des matériaux ou des équipements, on s'aperçoit que les procédures d'évaluation de la sécurité et de la qualité des produits, en France, sont gérées dans la perspective de la responsabilité décennale mise en place par la loi « Spinetta » de 1978. C'est un régime de présomption de responsabilité de tous les acteurs de la construction vis-à-vis du maître d'ouvrage. Les procédures de contrôle interviennent à plusieurs étapes du cycle de vie du produit, depuis les premiers contrôles techniques jusqu'au repérage des sinistres qui surviennent a posteriori, une fois le produit en place dans la construction. Elles sont prises en charge successivement par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), les organismes de certification, comme, par exemple, l'ACERMI pour les isolants, et l'Assurance Qualité Construction (AQC).
Le deuxième domaine pouvant produire des freins réglementaires à l'innovation est celui des aides publiques. Cela peut paraître paradoxal de considérer les aides comme un frein, mais la mise en place d'aides s'accompagne de la fixation des règles définissant leurs conditions d'octroi. Or, par définition, les innovations ne sont pas connues au moment où ces règles sont fixées. Les produits innovants sont donc naturellement désavantagés par rapport aux produits mûrs. De plus, les industriels fabriquant des produits mûrs font tout, nous l'avons constaté, pour conserver leurs aides et empêcher les nouveaux venus d'en obtenir. Nous avons décompté 14 aides nationales et 347 aides locales ; personne, dans l'administration, n'a une vision globale de cette « jungle ».
Enfin, le troisième domaine d'apparition potentielle de freins à l'innovation touche aux règles de la construction en général et à la réglementation thermique en particulier, aujourd'hui la RT 2012. Les prescriptions quantitatives de cette réglementation sont intégrées dans un outil de simulation appelé le « moteur de calcul ». La conception de toute nouvelle construction doit être soumise à un test de validation permettant de vérifier, dès sa conception, si le bâtiment pourra se conformer à la RT 2012. Or, tout composant nouveau doit être préalablement référencé puis techniquement décrit dans le « moteur de calcul » pour pouvoir ensuite être utilisé. La procédure à suivre pour l'intégration dans le « moteur de calcul » est dite procédure du « titre V ». Elle est gérée formellement par la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) mais, en réalité, c'est le CSTB qui a la main sur le « moteur de calcul ».
Ce sera sans doute un apport important de notre étude d'avoir essayé de mettre un peu de lumière sur cet univers complexe. Dans leurs plaintes, les industriels mélangent les différents aspects et sont de ce fait difficilement compréhensibles.
Ce n'est plus possible de continuer à fonctionner ainsi, car le sujet des économies d'énergie est devenu trop important. C'est pourquoi nos recommandations sont ambitieuses.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Notre rapport s'ouvre sur deux affaires qui ont provoqué l'indignation de plusieurs de nos collègues, députés ou sénateurs : l'affaire de la ouate de cellulose, qui montre qu'une enquête parlementaire peut, dans une certaine mesure, modifier le cours des choses, et l'affaire des couches minces d'isolants.
La ouate de cellulose est un isolant écologique tiré du bois dont la fabrication a été abattue en plein envol par une triple alerte réglementaire : d'abord, sur l'utilisation des sels de bore comme fongicides et ignifugeants ; ensuite, sur les risques importants d'incendie en cas de proximité avec des spots lumineux encastrés ; enfin, sur les conditions d'octroi des certificats d'économies d'énergie.
La première alerte réglementaire a été déclenchée par un groupe spécialisé de la commission en charge de formuler les avis techniques (CCFAT). Dans ce premier cas, la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) a sur-réagi à l'égard des évolutions de la réglementation européenne, notamment de la directive REACH, selon laquelle les sels de bore sont dangereux. Nous avions alerté les ministres du logement successifs du danger d'aller trop vite. Sans concertation, les sels de bore ont dû être remplacés par des sels d'ammonium qui, au bout de six mois, ont dégagé de l'ammoniac. Une nouvelle autorisation a alors été délivrée aux sels de bore.
La deuxième alerte réglementaire, celle relative aux risques d'incendie en cas de proximité avec des spots encastrés, a été déclenchée par l'Agence Qualité Construction (AQC) ; la troisième, concernant l'accès aux certificats d'économies d'énergie, résulte d'un hiatus dans la gestion d'une certification gérée par le CSTB.
On nous a fait entendre beaucoup de choses invérifiables : certains continuent de croire à une préméditation par un jeu d'influences bien calculé. On constate néanmoins que la moitié des entreprises concernées ont aujourd'hui fait faillite et que le CSTB n'a pas su jouer son rôle et donner un avis technique.
Quant à l'affaire des couches minces, elle résulte de la revendication d'une entreprise de l'Aude concernant une performance de son produit, justifiée par sa facilité de mise en oeuvre. La rénovation des bâtiments anciens doit souvent s'accommoder de la géométrie imparfaite des surfaces ; dans ce cas, des films souples permettent de réaliser beaucoup plus facilement l'étanchéité qu'avec des blocs massifs d'isolants qu'il faut ajuster aux jointures.
Le conflit entre le CSTB et l'entreprise en question porte depuis une dizaine d'années sur la valeur qu'on peut accorder à une mesure in situ, dans des chalets expérimentaux, pour rendre compte de la performance du produit. L'entreprise concernée n'a pas fait faillite. Néanmoins, avec le label RGE (Reconnu Garant de l'Environnement) de l'ADEME, un certain nombre de formateurs reviennent aux mono-produits et refusent des évolutions techniques, comme les couches minces, qui sont des produits complémentaires.
Les leçons que nous retenons de ces deux affaires sur l'organisation de l'évaluation technique sont de deux ordres :
- D'abord, le CSTB, pour ses tâches d'évaluation technique via la CCFAT, est en situation de prescripteur-prestataire ; il est dépendant de ses prestations techniques pour son financement, et il est en position de réclamer aux industriels des tests techniques qu'il va ensuite leur facturer.
- Ensuite, le CSTB, pour ce qui concerne ses analyses scientifiques comme celles relatives à la mesure de la performance réelle, n'est pas assez immergé dans le monde de la recherche et n'a pas suffisamment développé de moyens d'évaluation dans ses laboratoires de Champs-sur-Marne. Nous avons a posteriori appris que le producteur de matériaux de construction de couches minces avait mené des expériences très intéressantes sur ce sujet au Royaume-Uni, en s'appuyant sur les infrastructures techniques des universités de Salford et Leeds.
C'est pourquoi nous avons préconisé de séparer le CSTB en deux entités. D'une part, le CSTB lui-même resterait en charge de l'évaluation technique, mais aussi de l'expertise auprès du Gouvernement et de l'information. D'autre part, tous ses moyens techniques seraient regroupés dans un établissement juridiquement distinct : « Les laboratoires de la physique du bâtiment », chargé de la recherche et du contrôle, qui serait immergé dans la communauté scientifique correspondante.
Le Gouvernement ne l'a pas souhaité. Néanmoins, l'examen du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale nous a permis d'obtenir un contrôle renforcé du CSTB par le Parlement, en prévoyant notamment la nomination de son président après avis des commissions permanentes compétentes du Parlement. Il faudra cependant profiter d'une prochaine loi organique pour intégrer la nouvelle procédure de désignation du président du CSTB au mécanisme prévu à l'article 13 de la Constitution, une loi simple ne suffisant pas à compléter la liste des instances concernées.
En outre, l'idée de se fixer annuellement un rendez-vous avec le CSTB sous forme d'audition a été retenue, ce qui nous satisfaisait.
M. Marcel Deneux. - Je l'ai évoqué précédemment, les aides aux produits, qu'il s'agisse de matériaux ou d'équipements, constituent une véritable barrière à l'entrée pour les produits innovants qui sont exclus de leur champ. Le calage de ces aides sur les avis techniques et les certifications accroît d'ailleurs la tension sur l'obtention de ces signes de qualité.
Mais les aides aux produits ne constituent pas seulement un frein pour l'innovation. Elles ont aussi pour conséquence un gaspillage des ressources publiques d'appui à la rénovation, pour deux raisons : tout d'abord, les intermédiaires relèvent leurs prix, cela a été prouvé ; ensuite, les intermédiaires utilisent les aides publiques comme argument commercial, ce qui provoque au coup par coup des décisions d'investissement qui ne sont pas forcément pertinentes.
Ainsi, la France, déjà à la peine pour mobiliser des ressources publiques, disperse de plus en plus ses efforts avec son système d'aides aux produits. L'analyse des aides montre en effet qu'elles sont, à hauteur de 60 % au moins, des aides ciblant des produits.
Notre principale recommandation, en ce qui concerne ces aides, consiste donc à demander qu'elles soient affectées aux projets de rénovation, et non plus aux produits. Révolutionnaire en termes de procédure, l'idée est que, pour chaque bâtiment à rénover, soit utilisée la technologie la plus adaptée, et non la technologie la plus aidée. Il faut rechercher au cas par cas l'utilisation la plus efficace possible des ressources publiques affectées à la rénovation.
Dans cette approche, une difficulté surgit : comment définir la solution la plus efficace ? De fait, l'ADEME a déjà esquissé la réponse à cette question en imaginant le label « RGE », entré en vigueur au mois de juillet dernier. Mais si le principe de labellisation des professionnels pour le conseil en rénovation nous semble pertinent, la cible choisie nous semble inadaptée : les 385 000 artisans sont très enclins à vendre avant tout leurs propres services. Les retours que nous avons eus sur les stages permettant d'obtenir ce label indiquent du reste qu'ils sont assez superficiels, et un reportage de l'émission Capital sur M6 l'a confirmé.
Notre recommandation est donc plus ambitieuse : nous proposons de certifier un groupe d'environ 3 000 à 4 000 conseillers en rénovation, qui rempliraient cette fonction d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, à la fois qualifiée et indépendante, dont on a besoin pour gérer de la manière la plus efficace possible chaque cas de rénovation. L'accès aux aides serait conditionné par l'élaboration d'un plan de rénovation conçu avec l'un de ces conseillers certifiés, qui seraient des acteurs privés, payés pour leur prestation.
Nous avons découvert à Berlin que ce modèle rejoignait certaines réflexions en cours au sein de la DENA, l'équivalent allemand de l'ADEME.
Notre idée est que la certification devrait être assurée par l'université. Elle s'appuierait sur une formation initiale pour les étudiants, une formation continue pour les ingénieurs thermiciens et les architectes candidats et une formation professionnelle pour les artisans souhaitant se consacrer à ce nouveau métier. Des filières pouvant délivrer ce genre de compétence hybride se mettent déjà en place, à Grenoble par exemple. La certification serait perdue en cas de refus d'effectuer les efforts de mise à niveau.
Vous le savez, mes chers collègues, l'article 40 de la Constitution s'oppose à un réaménagement du système d'aides par voie d'amendement parlementaire. À la faveur de la discussion à l'Assemblée nationale, Jean-Yves Le Déaut a néanmoins obtenu, au paragraphe VI de l'article 5 du projet de loi, l'inscription d'une remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement sur la globalisation des aides et leur octroi sur validation des projets complets de rénovation par un conseiller à la rénovation.
C'est une avancée modeste, mais qui permettra une prise de conscience progressive de l'inefficacité du système d'aide actuel. Ce système est en effet conçu plus comme un soutien économique aux artisans que comme un véritable outil au service d'une politique efficace de rénovation énergétique des bâtiments. La globalisation de ces aides permettrait d'avoir une politique de performance énergétique plus efficace, sans remettre aucunement en cause ce même soutien économique, puisque le volume financier globalement distribué devrait rester le même. Il suffit simplement d'avoir la volonté politique d'un meilleur ciblage.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Les artisans ne sont pas les seuls concernés : des études menées sur différents appareils commercialisés en Belgique, en Allemagne et en France ont montré que la différence des prix de vente correspondait au montant de l'aide accordée par chaque pays. C'est la preuve que l'argent injecté ne profite pas au consommateur.
Nous nous sommes intéressés aux problématiques de financement, dont le besoin global est de 900 milliards d'euros, et qui concernent plus particulièrement les « taudis énergétiques ». Le montant des aides à la rénovation est de 6 000 à 7 000 euros en moyenne.
Le diagnostic énergétique initial n'est pas toujours réalisé, ou de façon imparfaite. En Allemagne, on dénombre 7 000 conseillers à la rénovation énergétique provenant d'horizons divers et possédant de réelles compétences techniques.
Ce diagnostic coûtant de 500 à 1 000 euros par bâtiment, des aides d'un montant de 7 000 euros avant le début des travaux seraient très appréciables, surtout avec l'appui du carnet d'entretien du bâtiment. Il faut mettre en cohérence tous ces dispositifs, et permettre ainsi à des personnes ayant de faibles moyens d'initier des travaux dans la durée.
Nous avons soutenu le tiers-financement, pour lequel des règles prudentielles doivent être mises en place.
Nous avons également appuyé l'extension du prêt viager hypothécaire, qui existe déjà dans la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. S'il n'a bénéficié qu'à 7 000 clients en France, dont l'âge moyen est de 76 ans, il est toutefois très utile. En le mettant en place pour la rénovation des logements, il permettrait de ne payer que les intérêts ; lors de la mutation du bien, le principal serait remboursé. Une personne n'ayant pas de moyens bénéficierait ainsi d'une baisse de charges, et donc d'un allègement de sa facture énergétique.
M. Marcel Deneux. - Il est un point sur lequel le moteur de calcul n'a pas évolué : c'est la prise en compte des émissions de CO2. Pourtant, c'est là un des objectifs premiers de la politique énergétique de notre pays.
Le rapport de nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille en 2009 avait soulevé le problème de l'ajout d'un plafond d'émission de CO2 dans la réglementation thermique, à côté du critère de consommation en énergie primaire. Lorsque nous sommes allés à Bruxelles, les fonctionnaires de la Commission européenne nous ont confirmé que rien, dans le droit européen, ne s'opposait à cet ajout, contrairement à ce que l'administration française avait indiqué à l'époque. La loi Grenelle 2 a prévu que ce plafond serait un des éléments de la prochaine réglementation thermique de 2020, et des discussions se tiennent depuis plusieurs mois autour de l'idée de tester un tel plafond dans le cadre d'un nouveau label plus exigeant que la règlementation thermique 2012.
Le débat achoppe sur le calcul des émissions de CO2 de l'électricité, à cause de la thèse consistant à prendre en compte, non pas les émissions moyennes sur l'année, mais les émissions dites « marginales », celles de la pointe de consommation d'hiver. Cela revient pratiquement à considérer que le contenu en CO2 de l'électricité française est égal à ce qu'il serait, si celle-ci était produite à 100 %, tout au long de l'année, par les plus mauvaises centrales au charbon d'Europe.
Manifestement, ce raisonnement n'est pas très cohérent. Il est d'ailleurs invalidé pour les années aux hivers doux, qui devraient se multiplier avec le réchauffement climatique.
Mieux vaut donc sortir de ce débat en calculant les émissions réelles tout au long de l'année, y compris en tenant compte des appels de puissance supplémentaires adressés à nos voisins à certains moments.
Par ailleurs, comme l'avait indiqué un rapport de nos collègues Bruno Sido et Serge Poignant en 2010, il faut traiter la question de la pointe de consommation par une politique spécifique jouant notamment sur les réserves d'effacement de la demande, la suppression, grâce à des relogements prioritaires, des taudis énergétiques équipés de « grille-pain », et la mise en place d'une politique tarifaire dissuasive de type EJP (option effacement des jours de pointe).
Le gaz a toute sa place dans le chauffage des bâtiments, notamment parce qu'il possède cet avantage déterminant de pouvoir être stocké. Sur le plan du stockage, l'électricité ne pourra pas offrir de solution économiquement viable, au moins jusqu'au milieu du siècle.
Cela n'empêche pas de coupler l'électricité avec des formes innovantes de stockage d'énergie. Nous avons visité à Crailsheim, dans le Bade-Wurtemberg, un système de stockage d'énergie à l'échelle d'un quartier, basé sur un ballon d'eau chaude de plusieurs millions de litres, et une dizaine de sondes souterraines enterrées à plus de 60 mètres. Ce système permet de restituer en hiver, par des pompes à chaleur, l'énergie solaire thermique accumulée durant les saisons plus clémentes. Il illustre la vitalité innovante de nos voisins.
Le réseau de gaz présente un inconvénient : il n'est pas accessible partout en France. En conséquence, nous avons proposé une modulation de la réglementation thermique créant une incitation à étendre les zones géographiques donnant accès au gaz, et favorisant l'installation d'un chauffage relais pour les jours de pointe : chaudière à bois ou système local de stockage d'énergie.
Cette approche d'aménagement très ciblée n'a pas prévalu lors de la discussion à l'Assemblée nationale. C'est un amendement de François Brottes, revenant à l'intention initiale de Claude Birraux et Christian Bataille en 2009, qui a prévalu, avec un plafond de CO2 imposé à partir de 2018. D'une certaine façon, « qui peut le plus, peut le moins » : nos propres idées d'aménagement sont ainsi satisfaites. Mais elles conservent leur pertinence, même avec un plafond général de CO2, car elles créent des incitations à élargir la couverture du réseau de gaz et à développer des technologies de stockage d'énergie.
M. Jean-Yves Le Déaut. - L'intégration de toutes ces normes dans la règlementation thermique est un problème. En 2012, cette règlementation représentait 1 377 pages. Un moteur de calcul règlementaire, dont on ne sait pas vraiment qui s'en occupe, permet de déterminer si une innovation satisfait aux normes en vigueur dans ce domaine.
En première lecture, alors qu'il était prévu un conseil supérieur de la construction, nous avons rajouté une compétence en matière d'efficacité énergétique ; il doit réaliser toutes les évaluations techniques permettant à une innovation d'être prise en compte. Nous avons par ailleurs, dans un amendement, indiqué que le code source devait en être librement accessible.
M. Marcel Deneux. - La qualité des prestations de construction joue un rôle essentiel dans l'atteinte de la performance énergétique. Le moindre trou, le moindre défaut dans un raccord constitue une source de déperdition de chaleur. En contrepartie, le système de ventilation doit lui aussi être installé avec un très grand soin pour conserver l'équilibre entre confort et performance.
Nos investigations nous ont donc naturellement amenés à nous pencher sur les diverses manières de favoriser cette qualité indispensable. Jean-Yves Le Déaut évoquera la voie pratique de la formation. Je vais évoquer la voie juridique de la mise en jeu de la responsabilité des prestataires.
Cette question est devenue prégnante, car les consommateurs sont de plus en plus agacés de constater que les promesses de performance énergétique portées par le discours public ne se traduisent pas dans les faits, notamment en ce qui concerne les constructions.
Cette pression des consommateurs s'est traduite par l'adoption de deux amendements dans le projet de loi qui étendent la responsabilité décennale au cas de la défaillance sur le plan de la performance énergétique, par un paragraphe IV à l'article 5, et par un article 8 bis A.
C'est l'article 1792 du code civil, introduit par la loi Spinetta du 4 janvier 1978, qui a créé la responsabilité décennale. Dans le cadre de notre rapport, concernant la responsabilité des prestataires, nous avons plutôt retenu, en lien avec les réflexions des juristes de l'UFC-Que choisir, une approche de nature purement contractuelle.
C'est ainsi que l'article 5 bis A du projet de loi, adopté avec l'accord du Gouvernement, cale cette responsabilité contractuelle sur le régime de l'abus de faiblesse dans le code de la consommation. Il s'agit de protéger les consommateurs contre des démarchages faisant miroiter des possibilités de performance énergétique ou environnementale, sans aucun engagement réel de la part du prestataire.
Le dispositif prévoit ainsi que le prestataire soit s'engage sur un résultat - qu'il doit alors préciser -, soit qu'il ne s'engage pas sur un résultat - le consommateur est alors loyalement informé. Le second cas n'empêche en rien la conclusion du contrat, ni l'amélioration de la performance ; la mention permet seulement que cette conclusion s'effectue sur une base de confiance.
Concernant l'extension de la responsabilité décennale à une défaillance en matière d'efficacité énergétique, voici nos réflexions.
D'un côté, il faut faire attention à ne pas oublier que la performance réglementaire est exprimée en termes conventionnels ; d'un autre côté, il faut s'interdire de considérer que toute dérive de consommation est nécessairement causée par un comportement aberrant des utilisateurs. Il faut donc à la fois éviter les contestations exagérées et le blocage abusif des contestations parfaitement justifiées.
La solution proposée consiste à invoquer un écart manifeste dans la performance constatée au regard de la performance à laquelle on aurait pu s'attendre compte-tenu des conditions d'utilisation. Il s'agirait de compléter dans cet esprit l'article 1792 du code civil par l'alinéa suivant : « l'ouvrage est considéré comme impropre à sa destination lorsqu'un vice de sa conception ou de sa réalisation entraîne un dépassement manifeste de la consommation énergétique conventionnelle telle qu'elle résulterait d'une utilisation conforme à celle sur la base de laquelle la réglementation thermique a été établie ».
C'est une formulation positive, cernant le cas dans lequel la responsabilité peut être mise en jeu, à l'inverse de certaines formulations négatives dont nous avons eu connaissance, qui visent à bloquer toute tentative pour invoquer une défaillance de la construction sur le plan énergétique en se mettant à l'abri de la prescription décennale.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Il y a un important problème de formation dans le secteur du bâtiment. Tous les acteurs intervenant à ce titre - lycées professionnels, centres de formation des apprentis - ont un rôle à jouer en la matière, et doivent être davantage mis en relation.
Deux cents chercheurs seulement travaillent dans ce domaine, soit beaucoup moins qu'en Allemagne. Ils sont très dispersés, même si une alliance de coordination de la recherche au niveau de l'énergie a été créée pour les fédérer.
Ce grand enjeu économique concerne 1 100 000 personnes salariées dans le secteur du bâtiment, auxquels s'ajoutent 385 000 artisans. La règlementation thermique 2012 a représenté un progrès, mais il nous faut évoluer par rapport aux différents points que nous avons abordés.
L'OPECST a ouvert un certain nombre de pistes. On y voit que le secteur de la formation et l'université sont trop éloignés du secteur du bâtiment, et gagneraient à s'en rapprocher. Il faut davantage de transparence, même si cela a évolué au CSTB et au Gouvernement. La transition énergétique constitue un grand défi scientifique, technologique et social qui doit transformer notre vie au quotidien.
Je voudrais enfin citer rapidement deux sujets très importants. La qualité de l'air intérieur, qui constitue pour moi une bombe à retardement. Et la maison de demain, une construction passive qui sera capable de récupérer de la chaleur et de la restituer.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Merci et bravo pour ces travaux et propositions, dont vous avez fait passer certaines dans la loi.
J'aimerais cependant que vous nous en disiez davantage sur ce Conseil supérieur de la construction, et notamment le partage de ses compétences avec l'Agence de la qualité de la construction, mais aussi sur le partage des compétences de ces deux structures avec celles du CSTB, qui me satisfait en l'état.
Vous n'avez pas réussi à intégrer dans le texte le Haut conseil de l'efficacité énergétique, qui figure toutefois dans le rapport. Quelles seraient les relations entre ces trois structures ?
Vous avez également évoqué la proposition de créer des conseillers à la rénovation scientifique et des passeports à la rénovation. Au moment où l'on cherche à faire des économies et à simplifier, cela est-il réellement opportun ?
En matière d'économie d'énergie, qu'êtes-vous parvenus à faire passer dans le texte, et quelles préconisations n'ont pas été retenues ?
M. Henri Tandonnet. - Comment s'est terminée l'aventure de l'entreprise de ouate de cellulose ? Dispose-t-on de techniciens suffisamment compétents pour assurer le contrôle des performances énergétiques ?
La France est plutôt en avance avec son système d'assurance décennale, il n'y aurait pas intérêt à mon avis à le modifier pour la performance énergétique. La jurisprudence l'a d'ailleurs élargi de telle sorte qu'il puisse jouer pour la performance des bâtiments.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Le Conseil supérieur de la construction avait été annoncé, avant la publication de notre rapport, par la ministre au mois de juin. Nous n'avons pas créé de nouvelle instance, nous avons simplement étendu ce conseil aux problématiques d'efficacité énergétique. Il doit regrouper des professionnels de tous les secteurs concernés, et valider toutes les décisions règlementaires concernant le bâtiment. Aujourd'hui, une grande partie de ces décisions relèvent du « titre V », soit une commission très secrète fonctionnant de façon peu satisfaisante. Là, l'idée est au contraire d'avoir auprès du Premier ministre un conseil regroupant tous les acteurs, se saisissant de certains dossiers et demandant au Centre scientifique et technique du bâtiment de l'éclairer.
L'Agence de la qualité de la construction rassemble des professionnels qui vérifient si les techniques nouvelles utilisées sont fiables. Le Centre scientifique et technique du bâtiment est quant à lui un organisme de recherche devant évaluer des solutions techniques.
Nous n'avons donc pas rajouté de nouvelle strate, nous avons simplement essayé de mettre de l'ordre dans celles existantes.
Nous ne souhaitons pas supprimer l'assurance décennale. Mais il y a un taux de malfaçons dans le bâtiment supérieur à celui d'autres secteurs de l'économie, et que l'assurance couvre. Va-t-on mettre la garantie de performance énergétique d'un bâtiment dans un tel système assurantiel, et qui va s'engager ? Nous n'avons fait que poser la question ...
Globalement, les recommandations les plus importantes sont passées.
L'idée des conseillers à la rénovation, qui sont en fait des personnes habilitées à intervenir, n'est pas accueillie favorablement par le Gouvernement, ni par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), ni par la Fédération française du bâtiment (FFB). Mais si l'on ne dépense pas dès le départ 500 à 1 000 euros, on le fera après...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - C'est bien vous, M. Le Déaut, qui êtes à l'origine de l'article 8 bis A ? Cette garantie, rajoutée dans le texte, ne fait-elle pas doublon avec la garantie décennale, dont le champ d'application est déjà très large ?
M. Jean-Yves Le Déaut. - En effet, cela pourrait être simplifié dans le projet de loi, en conservant la garantie décennale, mais en précisant dans votre rapport le taux global de malfaçons relevé dans les secteurs couverts par ce type de garantie par rapport à d'autres secteurs n'en possédant pas.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'ai beaucoup auditionné sur ce point : l'intention qui a présidé à l'introduction de cet article 8 bis A était bonne, mais tel qu'il est rédigé, il pose problème ...
M. Jean-Yves Le Déaut. - Ce n'était pas notre rédaction, mais celle du groupe socialiste ; nous en avons une autre.
M. Marcel Deneux. - Je souhaiterais revenir sur le problème de compétences des artisans du bâtiment en matière de rénovation. On peut aller jusqu'à 30 % de pertes énergétiques du fait d'une mauvaise pose des matériaux, nous a-t-on dit. Il faudrait, dans les aides accordées à ces produits, intégrer la notion d'efficacité.
Juridiquement, lorsque l'on agrée un matériau nouveau, la notice d'utilisation est également visée. Or, dans les magasins détaillants, cette dernière n'est jamais incluse. Si c'est un artisan qui le pose, il le fera peut-être de façon correcte. Si c'est un particulier en revanche, ce ne sera pas le cas ; c'est une véritable gabegie car les aides publiques sont tout de même attribuées.
C'est dans ce cadre qu'il faut appréhender l'augmentation générale du niveau de qualification, objectif qui ne concerne d'ailleurs pas uniquement le secteur du bâtiment, mais plus largement le réseau des 400 000 artisans de notre pays. La rénovation est un art nouveau en matière de construction. Dans une quarantaine d'années, une maison sera une construction à énergie passive. Nous avons pris du retard dans la conception même de l'habitat, avec la généralisation du chauffage électrique, source de déperditions énergétiques.
Trop de gens se plaignent de ne pas constater d'améliorations notables alors qu'ils ont appliqué la règlementation thermique 2012. Il faut voir, en fait, la façon dont elle est appliquée. Alors qu'en Allemagne, la moindre fuite est traquée, c'est loin d'être le cas en France.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Vous avez proposé la création de 3 000 à 4 000 postes de conseillers à la rénovation certifiés, ce n'est pas rien !
M. Marcel Deneux. - Cela équivaut à 30 par départements en moyenne ...
M. Jean-Yves Le Déaut. - Les architectes n'ont pas suffisamment investi en la matière. Si certains artisans se sont formés au label RGE, ce n'est pas forcément le cas de leurs employés. Il y a là un réel problème de formation.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci Messieurs pour votre rapport et vos éclairages.
Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)
La commission a entendu M. Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Monsieur le Président, j'ai entendu que le secteur du bâtiment avait le sourire avec le projet de loi « Macron », peut-être est-ce aussi le cas avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. On annonce en effet que ce texte permettrait de développer très fortement l'activité et l'emploi dans votre secteur.
M. Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me recevoir. On aimerait retrouver le sourire mais vous le savez tous, notre secteur connaît actuellement une grave crise. Notre chiffre d'affaires a baissé de 20 %. Nous attendons beaucoup des mesures proposées pour le logement neuf mais aussi pour le marché de la rénovation. Ce dernier représente plus de 55 % de notre activité.
Plusieurs éléments nous satisfont : l'amplification du financement des travaux par le renforcement de l'éco-PTZ, les mesures liées à l'écoconditionnalité, le crédit d'impôt pour la transition énergétique qui atteint 30 %. D'autres mesures vont également dans le bon sens : l'assouplissement des règles d'urbanisme ou encore les dispositions relatives au tiers-financement.
Nous avons toutefois plusieurs craintes. La première de nos craintes concerne un volontarisme déclaré qui peut freiner ou inquiéter les maîtres d'ouvrage public. Je donnerai l'exemple des BEPOS (bâtiment à énergie positive). Nous sommes inquiets à l'idée qu'on impose des obligations en la matière. Il faut être conscient du surcoût qu'entraîne le choix d'avoir un bâtiment à énergie positive. Or dans un contexte de contrainte budgétaire, je ne suis pas sûr qu'imposer une telle obligation permette de relancer l'investissement au niveau local. Il faut être vigilant par rapport aux annonces qui pourraient être faites en la matière.
Notre seconde crainte concerne les « travaux embarqués » qui conduisent, à l'occasion de travaux importants, à réaliser des travaux de rénovation énergétique. Notre crainte c'est qu'en imposant une obligation, nous bloquions le marché, les particuliers n'ayant en effet pas les moyens financiers d'assumer le coût de travaux de rénovation en plus des travaux initiaux. Il y a bien sûr des exceptions parmi lesquelles l'existence d'un surcoût disproportionné mais il ne faut pas aller trop loin. J'ajouterai que si l'obligation de travaux est ciblée sur la rénovation énergétique, on risque de connaître un transfert des travaux. Très concrètement, le particulier fera les travaux de rénovations énergétiques au lieu de refaire sa salle de bain !
Enfin, l'article 5 du projet de loi, qui est notre préoccupation majeure sur ce texte, prévoit que l'entreprise est responsable au titre de la garantie décennale des résultats en matière de performance énergétique. Lorsque vous réalisez des travaux, vous avez une obligation conventionnelle par rapport aux matériaux. Il est pour nous inimaginable de garantir par la garantie décennale le montant de la facture d'électricité. Nous ne maîtrisons pas le comportement de l'utilisateur. Si la garantie décennale est mise en jeu dès que la facture est trop importante, on assistera à une augmentation du contentieux juridique et des primes d'assurance.
Cet article 5 est d'ailleurs en contradiction avec l'article 8 bis A du projet de loi qui prévoit des garanties pour le consommateur. L'idée n'est pas de se dégager de cette responsabilité mais de l'encadrer en ayant recours à des critères objectifs.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je vous remercie pour votre présentation. Vous nous avez indiqué que 55 % de votre activité était consacré à la rénovation. Pourriez-vous nous préciser quelle est la part pour le logement, le tertiaire et les bâtiments publics ? D'autres personnes que j'ai auditionnées ont également attiré mon attention sur les problèmes de rédaction posés par les articles 5 et 8 bis A du projet de loi sur la garantie décennale. Comment améliorer ces dispositions ? Enfin, l'article 5 ter prévoit d'inscrire pour les marchés privés de bâtiment portant sur des travaux d'un montant inférieur à 100 000 euros, une règle d'absence de solidarité juridique en cas de cotraitance. Comment justifiez-vous une telle exclusion de solidarité ?
M. Jacques Chanut. - 60 % à 70 % du marché de la rénovation concerne les logements. C'est un marché très diffus, massif, très sensible. La valeur verte d'un logement, c'est-à-dire le fait pour un bâtiment d'être vertueux sur le plan énergétique, n'est pas encore ancrée dans les esprits. Pour le tertiaire, c'est différent. En effet, la consommation d'énergie est prise en compte dans les charges des sociétés. En outre, ces dernières sont attentives à leur image, le choix des bâtiments qu'elles occupent entre en ligne de compte dans la défense de cette image. En pratique, on constate d'ailleurs que les bureaux les moins énergivores sont très rapidement occupés.
Il faut accompagner le financement de la rénovation des logements. Un retour sur investissement sur 40 ans envisageable pour une société est inimaginable pour un particulier.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je reçois demain M. Claude Turmes, député européen, qui va me dire qu'il ne faut pas se limiter aux logements et qu'il faut étendre les objectifs aux bâtiments du secteur tertiaire et aux bâtiments publics !
M. Jacques Chanut. - Il a sans doute raison. Pour le financement de la rénovation des bâtiments publics, le plan Juncker est une solution. En effet, ce type d'investissement n'entraîne pas de frais de fonctionnement, puisqu'au contraire on réalise des économies. On est, me semble-t-il, dans le champ d'application de ce plan. En résumé, il faut des financements pour la rénovation énergétiques des logements, le secteur tertiaire peut se réguler de lui-même et enfin, pour les bâtiments publics, le plan Juncker est une solution.
Sur l'article 5 du projet de loi, on recherche une solution d'équilibre. Il faut rassurer le consommateur et mettre en place un dispositif simple et efficace pour que le marché de la rénovation énergétique démarre.
Sur le recours à la cotraitance et la question de la solidarité, les clients aiment avoir une forme de garantie ; pour les artisans, prévoir une solidarité juridique est un engagement fort. La solidarité juridique freine le développement de marché en cotraitance. Il faut cependant faire attention à ce que le client ne se méprenne pas sur ces dispositions. En pratique, soit il y a sous-traitance, soit il y a des marchés séparés. Le recours à la cotraitance est peu répandu aujourd'hui. Cette disposition pourrait peut-être l'aider à se développer.
M. Yannick Vaugrenard. - Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur les difficultés que pose l'intégration de la notion de performance énergétique dans le champ de la garantie décennale. À partir du moment où cette performance ne dépend pas seulement de la qualité du travail fourni par l'entreprise mais également du comportement des occupants des locaux, rendre l'entreprise responsable de l'insuffisance éventuelle de cette performance ne va pas de soi.
Au cours de notre travail d'auditions, certains chiffres ont été portés à notre connaissance. On parle de près de trente millions de bâtiments susceptibles de faire l'objet d'une rénovation énergétique. Compte tenu de ce volume, compte tenu aussi du rythme du progrès technique dans le domaine de la rénovation thermique, pensez-vous que la formation professionnelle des artisans du bâtiment et de leurs salariés soit suffisamment bien organisée pour répondre aux besoins. Ce facteur ne risque-t-il pas de bloquer la transition énergétique ?
Enfin, je voudrais exprimer une préoccupation. Comment faire en sorte que la main d'oeuvre résidente profite pleinement du marché de la rénovation thermique des bâtiments ? Nous avons déjà eu l'occasion de discuter ici de la question du recours de plus en plus massif aux travailleurs détachés dans le secteur de la construction. Il y a aussi la question des entreprises de travail intérimaire dont le siège social est à l'étranger et qui, semble-t-il, de ce fait là échapperait au droit social du pays d'accueil.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je reviens moi-aussi sur la question essentielle de la formation des professionnels du bâtiment. Il y a de nouvelles normes, peut-être d'ailleurs y en a-t-il trop. Les enjeux de la rénovation thermique et de la transition énergétique sont-ils suffisamment pris en compte dans la formation ? L'éducation nationale a-t-elle adapté ses programmes en conséquence ?
M. Henri Tandonnet. - Je partage les craintes concernant l'obligation des nouveaux bâtiments publics d'être à énergie positive. Il y a un surcoût pour réaliser ce type de construction. Que les collectivités qui en ont les moyens le fassent si elles le souhaitent. Mais imposer cette obligation risque de bloquer des projets, avec pour conséquence une difficulté à fournir les services publics pour lesquels ces bâtiments doivent être construits.
M. Jacques Chanut.- Je confirme l'importance considérable du marché de la rénovation. Il y a un besoin de construction, un besoin de rénovation. C'est pour cela que, malgré les difficultés qu'il traverse, le secteur de la construction garde malgré tout un certain optimisme. Il est vrai que, jusqu'à présent, ce marché, dont on prédit l'essor depuis des années, n'a pas encore décollé.
L'éco-conditionnalité des outils de financement constitue une réponse à la question de la formation. Le label RGE (Reconnu Garant de l'Environnement) des entreprises du secteur, qui conditionne l'accès aux dispositifs de financement public, rassure les consommateurs et incite les professionnels à acquérir les compétences nécessaires. Les chiffres montrent que cette éco-conditionnalité fonctionne et qu'il y a une vraie prise de conscience des professionnels du secteur qu'ils doivent se former. Avant l'été, on dénombrait deux cents entreprises qualifiées RGE par mois. Depuis la rentrée, ce nombre est passé à deux mille. À la fin de l'année, vingt-cinq mille entreprises auront obtenu la qualification. Pour être en mesure de répondre aux besoins du marché, nous pensons qu'il faudrait atteindre un total de trente à trente-deux mille entreprises. On s'en rapproche !
Concernant l'innovation, notamment des matériaux, je souligne qu'il n'y a pas d'innovation révolutionnaire impliquant l'émergence de nouveaux métiers, mais plutôt une adaptation des métiers existants. La révolution qui attend les professionnels du bâtiment, c'est d'apprendre à travailler ensemble, parce que la mise en oeuvre des techniques et des matériaux de la transition énergétique suppose une coordination plus poussée des interventions de chaque corps de métiers -sans quoi la performance énergétique n'est pas au rendez-vous. Les industriels nous aident d'ailleurs beaucoup à nous former, car ils sont conscients que leurs matériaux n'ont d'intérêt que s'ils sont bien posés.
Sur la question du détachement des travailleurs, il est vrai qu'elle nous préoccupe. Mais nous ne combattons pas le détachement des travailleurs européens lui-même, nous combattons la fraude au détachement : fraude sur le nombre d'heures effectuées pour un salaire fixe, sur les tarifs horaires, etc. Des mesures ont déjà été prises. La décision européenne de faire évoluer la directive sur le détachement des travailleurs va dans le bon sens ; la loi Savary visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, qui permet la responsabilisation des maîtres d'ouvrage, également. Pour avoir un dispositif complet, il manque cependant encore deux choses. La première devrait être apportée par la loi Macron, grâce à la carte d'identification professionnelle pour les salariés du secteur, résidents ou non. C'est indispensable pour pouvoir réaliser des contrôles simplement et efficacement. Il est aujourd'hui très difficile de savoir qui fait quoi sur un chantier. Avec la carte, demain, nous pourrons le savoir. La seconde chose est la mobilisation des moyens de contrôle de l'État. L'inspection du travail n'est pas en capacité de les conduire. Il faudrait pouvoir réaliser des contrôles à toute heure, même le week-end. Associer les services des douanes permettrait d'aller beaucoup plus loin dans les contrôles, notamment en permettant de contrôler les matériels en même temps que les personnes. Je regrette que M. Michel Sapin ne se montre pas davantage réceptif à cette demande. Si l'on se demande comment utiliser les cent cinquante douaniers qui étaient prévus pour faire fonctionner le dispositif Ecomouv, nous aurions quelques idées... L'idée n'est pas de faire la chasse aux travailleurs détachés, mais d'enrayer la fraude au détachement. Il y a une hypocrisie des entreprises, des maîtres d'ouvrage, des architectes, des clients... Il faut y mettre un terme en faisant respecter les règles.
Concernant la formation des professionnels du secteur je ferai quelques remarques. Il est vrai qu'il y a trop de labels en matière de qualité et de performance des constructions, avec des exigences en matière de qualification qui ne sont pas harmonisées. On s'y perd. Les professionnels du secteur sont en partie responsables de cette situation, il est vrai. Pour ce qui est du rôle de l'éducation nationale dans le processus de formation, il n'est pas encore optimal, mais je tiens à dire que l'image des métiers du bâtiment s'améliore et que la difficulté principale aujourd'hui n'est pas d'orienter en nombre suffisant les jeunes vers ces filières de formation : elle est de trouver des entreprises et des artisans pour les accueillir en formation. Le nombre d'apprentis dans les CFA est en recul de 25 % !
La séance est levée à 17h30.