Mercredi 3 décembre 2014
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -Audition de M. Hael Al Fahoum, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France
La réunion est ouverte à 14 h 5.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous accueillons son Excellence Hael Al Fahoum, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France, afin d'évoquer les trois propositions de résolutions en faveur de la reconnaissance par la France d'un État palestinien, signées d'Esther Benbassa, Eliane Assassi et Gilbert Roger, après celle votée à l'Assemblée nationale hier.
La France est mobilisée de longue date en faveur de deux États ayant Jérusalem pour capitale. La reconnaissance de la Palestine favorise-t-elle cette perspective ? Quel est votre diagnostic de la situation actuelle, et quelle est votre réaction au vote d'hier ?
M. Hael Al Fahoum, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France. - C'est un grand honneur pour moi de pouvoir vous exposer pourquoi cette reconnaissance par la France est la seule avancée possible en faveur de la paix. Il existe un peuple palestinien, riche d'une identité singulière, d'une histoire, d'une mémoire, d'une culture, et qui vit sur son territoire depuis des millénaires. Depuis l'invasion de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, il vit sous occupation militaire, livré par une violence armée quotidienne à l'arbitraire de l'occupant, qui limite ses déplacements, le prive progressivement de ses terres agricoles, lui interdit de construire des logements, empêche le développement de son économie et implante sur son territoire plus de 500 000 colons israéliens.
Pouvez-vous imaginer l'état de la France après quarante-sept ans d'occupation étrangère ? Douze fois les quatre années dont vous avez eu l'expérience ! Imaginez le peuple français progressivement refoulé des régions les plus riches, privé de l'accès aux côtes et aux grands axes routiers ; imaginez les champs, les vignes, les vergers interdits aux agriculteurs ; les villes coupées de leur région ; l'état de vos bourgs et de vos villages, des périphéries de vos villes après quarante-sept ans d'interdiction de toute construction en dur ; imaginez les Français exclus de la plus grande partie de Paris. C'est ce que nous vivons ; voilà pourquoi notre revendication est juste.
Ses fondements sont légitimes ; les trois conditions sont remplies : les Palestiniens sont un peuple, qui vit sur un territoire, et disposent d'institutions reconnues par la communauté internationale depuis sa création il y a vingt ans, et qui ont toujours respecté leurs engagements, en dépit des difficultés à gouverner sous une occupation étrangère. Bien des compromis ont été acceptés. La Palestine vit amputée d'une partie de son peuple et de son territoire. C'est un des derniers peuples colonisés, à être privé de son droit légitime par une exception incroyable au droit international. Il est sommé de garantir la sécurité militaire de son occupant, cette puissance nucléaire qui dispose de l'une des armées les plus puissantes au monde ! Comment un Etat palestinien pourrait-il menacer sa sécurité ? La reconnaissance de l'Etat de Palestine souverain et démocratique ne peut que bénéficier à la paix et à la sécurité de la région et du monde. C'est une condition sine qua non d'un voisinage pacifié.
Au-delà de l'allégeance politique de chacun, le gouvernement palestinien rassemble aujourd'hui des technocrates ; ses choix recherchent l'union nationale dans la perspective d'un Etat palestinien. La situation est devenue absurde : les vingt années de négociation ont été mises à profit par le gouvernement israélien pour renforcer son emprise sur notre territoire, l'annexer de fait, emprisonner nos enfants - dès douze ans ! Combien de temps devrons-nous encore souffrir ? Nous ne sommes pas un peuple masochiste, mais un peuple qui aime la vie. Nous nous languissons d'un pays pacifié sur lequel notre peuple meurtri pourrait enfin revivre et faire des projets.
Notre seul recours est la reconnaissance de la Palestine en tant qu'Etat par la communauté internationale. Après vingt ans de négociations en vain, c'est un droit, dont l'usage ne peut être qualifié de menace pour un processus de paix. Israël a fait usage de ce même droit en 1948, et n'a été reconnu par les Nations unies qu'après s'être autoproclamé.
La solution n'est pas militaire, nous en sommes convaincus. Nous avons toujours condamné sans délai toute violence contre la population civile, quelle qu'elle soit. Le gouvernement israélien cautionne, quant à lui, des violences contre le peuple palestinien. Il veut que nous reconnaissions maintenant la judéité de l'Etat d'Israël, sans prendre en considération que les Palestiniens citoyens d'Israël perdraient alors leurs droits. D'ailleurs, cela n'a pas lieu d'être : la Palestine n'a pas à statuer sur le caractère religieux ou non d'un autre Etat. Imaginez la France demandant à l'Allemagne de la reconnaître comme Etat laïc !
Nous assistons à une montée de la violence qui menace la concrétisation de la paix. Au printemps, après l'échec des négociations, imputé par tous au gouvernement israélien, une répression a été lancée à travers toute la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est, suivie de l'agression militaire contre la bande de Gaza, qui a fait 2 200 civils tués, 10 000 blessés, dont 3 000 enfants handicapés à vie. Mohammad Abou Khdeir était brûlé vif à Jérusalem-Est par des colons, crime resté impuni à ce jour.
Ce n'est pas un conflit religieux, malgré les nombreux discours qui tendent à la faire accroire ; c'est un conflit politique, dans lequel les Palestiniens réclament le respect de leurs droits inaliénables à l'autodétermination, à un Etat indépendant souverain vivant en paix avec ses voisins ; un conflit éthique, car le peuple palestinien reste l'un des derniers peuples occupés ; un conflit juridique, car toutes les juridictions régionales et internationales ont affirmé l'illégalité de l'occupation israélienne, comme la Cour internationale de justice en 2004, alors qu'elle n'était interrogée que sur le mur de séparation.
Les résolutions des Nations unies sont légion mais ne sont jamais appliquées : la reconnaissance de l'Etat d'Israël par la résolution 181 était elle-même soumise à des conditions restées lettre morte comme l'établissement d'un Etat palestinien dans le cadre du plan de partage de 1947 ; puis cela a été la résolution 294 sur le droit au retour ; le droit à l'autodétermination tel que défini notamment par la charte est resté lui aussi sans application. La paix au Moyen-Orient ne sera pas complète sans la fin de l'occupation et l'établissement d'un Etat palestinien souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale ; c'est ce que nous demandons. Israël, quant à lui, n'a toujours pas accepté de définir ses frontières.
L'occupation est le problème ; la reconnaissance de l'Etat palestinien est la solution. En 1982, le premier chef d'Etat français à se rendre en visite officielle en Israël, François Mitterrand, se prononce en sa faveur devant la Knesset. En 1992, il affirme : « Un Etat palestinien a été reconnu par les Nations unies lorsqu'a été créé l'Etat d'Israël. Il me semble que les Nations unies ont reconnu à la fois la perspective d'un Etat pour Israël et celle d'un Etat pour les Palestiniens. L'un de ces Etats s'est constitué vigoureusement et courageusement. Tant mieux ! L'autre est resté en rade, alors que le droit est le même. »
La Suède est le neuvième pays européen à reconnaître la Palestine ; l'ont suivie les parlements espagnol, britannique, le sénat irlandais et hier, l'Assemblée nationale française. Il est temps que la France renoue avec sa vocation historique. Son rayonnement international repose sur des principes dans lesquels la recherche d'une solution juste au Proche-Orient tient une place de taille. Puissance de premier plan et leader européen, la France a un rôle majeur à jouer, dans une dynamique diplomatique cohérente inscrite dans la durée.
Les mots de Laurent Fabius à la conférence du Caire pour la reconstruction de Gaza le 12 octobre dernier, conformes à l'engagement du président François Hollande exprimé par le vote positif de la France pour l'entrée de la Palestine aux Nations unies en 2012, sont sans ambiguïté : « Nous devons tirer les leçons du passé. L'objectif est clair : un Etat de Palestine indépendant, démocratique, contigu et souverain, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés d'Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats. Cette solution des deux Etats est menacée sur le terrain, notamment par la colonisation. Face à ce danger, il nous faudra bien, à un moment, reconnaître l'Etat palestinien. »
Paris accueillera le premier séminaire intergouvernemental France-Palestine début 2015 ; la France pourrait assumer son rôle en Europe et aux Nations unies, comme autrefois par le passé par la déclaration de Venise de Valéry Giscard d'Estaing en 1980, le discours de Jacques Chirac à la Knesset en 1996 et l'engagement de Nicolas Sarkozy en faveur de l'adhésion de la Palestine à l'Unesco en 2011.
Vous êtes les garants de l'avenir. Deux alternatives se présentent : le statu quo, la poursuite de l'occupation et tout ce qui en découle au niveau régional ; ou la fin du conflit grâce à la fin de l'occupation. La reconnaissance de l'Etat de Palestine est la première étape de cette sortie du conflit. La solution de deux Etats est dangereusement menacée.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup pour la force de votre expression.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Laurent Fabius l'a dit, si la négociation n'est plus possible avec les Israéliens, la France devra prendre ses responsabilités en reconnaissant la Palestine. Les médias rapportent des actes de violence inacceptables perpétrés contre des Juifs à Jérusalem ou récemment contre une synagogue. La négociation est-elle encore possible ? Comment l'armée israélienne et les colons se comportent-t-ils ? Vous avez raison, la solution ne peut pas être militaire.
M. Hael Al Fahoum. - La seule solution est négociée. Il y a un consensus international sur cette solution ; ce qu'il faut négocier maintenant, ce sont ses paramètres d'application. Nous condamnons vigoureusement tout acte de violence. Mais le désespoir est terrible. J'aimerais connaître le sentiment d'un citoyen français qui vivrait une seule journée de l'enfer que sont nos jours et nos nuits. Nous avons du mal à accompagner nos enfants à l'école, à cause des check-points. Des représentants des grands partis de pays considérés comme les alliés stratégiques d'Israël - tel l'Allemagne - sont venus à Jérusalem-Est, à Hébron, à Bethléem ou à Jénine : ils avaient l'impression d'étouffer ! C'est l'impression de tous nos visiteurs. En tant qu'ambassadeur, je ne peux pas me rendre chez moi sans une coordination préalable, sous peine de devoir attendre six ou sept heures, par vengeance.
Malgré toute cette souffrance et cette frustration, nous condamnons ces actions, comme celle contre la synagogue. Même si nous subissons un sort comparable, nous ne devons pas devenir comme les autres. Voilà la culture que nous tentons de développer à l'intérieur de nous-mêmes. Si un autre peuple avait connu ce que nous avons vécu, il serait devenu un bloc de haine pure. Nous avons résisté contre cette tendance, explorant tout ce qui est positif à l'intérieur de nous pour vivre en paix avec nos voisins, nos cousins, nos frères israéliens. La colonisation accumule les provocations. Nous sommes prêts malgré tout à nous asseoir demain à la table de négociation si Israël gèle les actes illégaux : constructions de colonies, destructions de maisons, arrestations administratives de nos enfants. Israël a rejeté toutes nos demandes de négocier sur les frontières. Comment négocier sans parler des frontières et sans geler la colonisation ?
Oui, nous sommes prêts ; oui, c'est possible, à condition qu'il y ait une mobilisation internationale. Pendant des décennies, le désespoir a pu nous rendre myopes, mais nous cherchons maintenant des remèdes pour mieux voir les autres et les accepter ; il faudrait trouver aussi un remède pour l'aveuglement des Israéliens, cette forme d'arrogance du pouvoir qui les fait se sentir au-dessus des lois, de tout le monde, croire qu'ils peuvent imposer leurs conditions. C'est impossible : il n'y a pas de sécurité pour Israël sans reconnaissance des droits des Palestiniens, et réciproquement.
On parle de conflit israélo-palestinien, alors que nous subissons l'aide qu'Israël a reçue pour maintenir l'occupation : nous étions seuls face à tout cela. Sans volonté de vivre et de laisser vivre, de trouver le moyen de communiquer avec l'autre, le peuple palestinien aurait disparu depuis longtemps. Notre amour de la vie nous a gardés en vie. Ils ont tenté de nous enterrer, dit un proverbe mexicain, en oubliant que nos corps étaient des graines qui produisent des floraisons encore plus puissantes.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Vous répondez sur la volonté de dialogue. Avez-vous confiance en la perspective d'une reprise des négociations ?
M. Hael Al Fahoum. - La médiation américaine, à laquelle nous avons été soumis depuis vingt ans, a échoué, comme le dit Laurent Fabius : nous avons besoin de l'implication de toute la communauté internationale sur la base des résolutions de l'ONU. L'Europe ne peut pas être écartée : la paix au Proche-Orient fait partie des intérêts stratégiques de la France et de l'Europe.
Nous ne vous demandons pas de vous investir dans une guerre, mais dans la paix. Un responsable américain a déclaré que pour éradiquer les extrémistes du Proche-Orient, il fallait dix ans et de 600 à 700 milliards d'euros. Investissez-les dans le développement économique de la région et appuyez la paix. La diplomatie peut faire beaucoup plus que la guerre.
Mme Esther Benbassa. - Lors du voyage organisé par le groupe d'amitié France-Palestine, nous avons vu ce qui se passait et les difficultés de l'occupation au quotidien. Pensez-vous que le futur Etat palestinien serait viable tel qu'il est actuellement, avec les colonies qui le traversent ? Comment discuterez-vous avec le Hamas ? En tant qu'historienne, je sais qu'on fait la paix avec ses ennemis ; mais les Israéliens ont besoin de ne plus être attaqués continuellement. Même si on ne peut pas comparer, ils souffrent aussi du conflit.
M. Aymeri de Montesquiou. - Beaucoup d'entre nous partagent votre constat. Y a-t-il une chance que le Hamas prenne conscience qu'il empêche les négociations ? Le Fatah a reconnu Israël depuis longtemps, mais ceux qui se soucient de la sécurité d'Israël hésitent à voter pour ces résolutions parce qu'elle ne leur apparaît pas garantie. Y a-t-il une chance que le Hamas participe à des négociations ? En cas d'élections sous surveillance internationale à Gaza, la population inciterait-elle le Hamas à le faire ?
Mme Josette Durrieu. - Nous sommes pour la paix entre deux Etats. Notre constat est le vôtre : les négociations n'ont pas abouti et le statu quo est intenable. Vous avez rappelé que l'occupation était militaire. J'étais en Palestine la semaine dernière et j'ai ressenti le poids de la présence militaire, celle d'une puissance nucléaire. Or la paix n'est assurée que par l'équilibre des forces. Toutes nos énergies sont tendues vers la paix. La conférence internationale est une réponse. Le président de l'OLP, seul politiquement légitime - le Hamas n'en fait pas partie - déposera-t-il à l'ONU une résolution demandant la fin de l'occupation? Adhérerez-vous au statut de Rome sur la Cour pénale internationale ?
M. Hael Al Fahoum. - Oui, l'Etat palestinien est viable. Ce projet d'identité politique du peuple palestinien a un potentiel humain énorme, reconnu par tous. Je parle bien sûr d'un Etat continu, pas en morceaux ; c'est indispensable. Avec la colonisation, avec la condition posée par les Israéliens de maintenir leurs forces dans la vallée du Jourdain, dans les terres agricoles les plus riches représentant 40% de son territoire, que reste-t-il de la Palestine ? Je parle d'un Etat dans les frontières de 1967, moyennant quelques échanges de territoires. Alors, nous pourrons construire une coopération économique, comme ce que j'avais proposé dans les années 1980 - tout le monde se moquait de moi : un Benelux entre Jordanie, Palestine et Israël, avec une valeur ajoutée gigantesque, non seulement pour les trois pays, mais pour le monde entier. La Palestine peut devenir un centre de distribution régional, grâce à la qualité de ses ressources humaines.
Ce que vit le peuple palestinien le pousse au désespoir ; les désespérés, sans solution sur terre, la cherchent dans le ciel. Quoi de mieux pour isoler les positions violentes que de donner de l'espoir ? Comme l'a dit Mahmoud Darwich, il y a sur cette terre de quoi aimer la vie - il n'a pas dit : de quoi aimer la mort ! Ce n'est pas facile de continuer à aimer la vie dans les conditions où vivent nos familles. Si un espoir est permis, toute démarche extrémiste sera écartée par le peuple palestinien, pas par le gouvernement. Rappelez-vous Oslo : ce n'était pas un accord idéal, mais tout le peuple avait présenté des branches d'olivier à l'armée israélienne, qui l'avait pourtant opprimé pendant la première intifada.
C'est l'OLP, représentant politique du peuple palestinien, et non le Fatah, qui a reconnu Israël par un accord de reconnaissance mutuelle signé par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin - après la reconnaissance indirecte que constituait la proclamation de l'indépendance palestinienne dans les frontières de 1967 en 1988. Ce sont les Etats qui se reconnaissent, pas les partis politiques. Lorsque nous avons négocié la mise en place d'un gouvernement de réconciliation nationale, la première condition pour y participer était de respecter tous les engagements de l'OLP. J'ai ainsi le compte-rendu des contacts à Qatar entre Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal, qui montre que le Hamas lui-même accepte la création de l'Etat palestinien dans les frontières de 1967. Il faudrait maintenant que le Hamas reconnaisse Israël... Allez donc voir la charte du Likoud : vous y trouverez la négation totale de toute identité palestinienne sur notre terre. L'OLP a annulé la charte proclamant l'Etat sur toute la Palestine historique, pendant la visite du Président Arafat à Paris, compromis historique oeuvre d'un chef historique.
Nous avons le courage de prendre ces décisions. Un homme d'Etat sait prendre des décisions courageuses, même au risque de perdre le soutien de son opinion publique, s'il agit pour les générations futures. Un haut responsable américain a parlé avec raison de la lâcheté de Benyamin Netanyahou, qui ne sait pas prendre de décision cruciale dans le sens de la paix, craignant la perte d'un peu de popularité. La société israélienne ne connaît pas le peuple palestinien, à cause d'une certaine forme de manipulation extrémiste. J'essaie de communiquer avec le peuple israélien pour qu'il découvre le peuple palestinien, intelligent, ayant soif de paix. Nous luttons contre la manipulation qui est aussi à l'oeuvre chez nous, en développant une stratégie d'action, qui préfère le réel au virtuel. Nous gagnons du terrain chez nous, ce qui n'est pas le cas en Israël, hélas, même si sept-cents personnalités israéliennes ont appelé publiquement les Palestiniens leurs frères ; je les appelle aussi nos frères ! Nous sommes condamnés à vivre ensemble.
La première condition posée par le Président Mahmoud Abbas au Hamas a été l'absence d'un quelconque droit de veto ou possibilité de dénoncer un accord signé. Nous avons condamné toute action violente des deux parties. C'est l'agression israélienne qui alimente les groupes extrémistes, pas nous. Au contraire, nous sommes en porte à faux vis-à-vis de notre opinion publique, qui nous dit : cela fait vingt ans que vous négociez, sans rien apporter aux Palestiniens ! Il faut lui apporter des preuves : les gens veulent sentir, toucher, goûter... Les paroles ne suffisent pas !
Mme Leila Aïchi. - Quel serait le rôle du Hamas dans un futur Etat palestinien ? C'est le point nodal.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Quand j'ai visité l'institut franco-allemand à Ramallah, petite lueur d'espoir, j'y ai vu le mur de la peur. Vous souhaitez présenter un texte ambitieux aux Nations unies ; ne craignez-vous pas un veto à cause même de votre ambition ? Qu'attendez-vous concrètement de l'élan en votre faveur qui s'exprime en Europe et en France en particulier ?
Mme Michelle Demessine. - Je me rends sur votre terre depuis plus de vingt ans, j'y ai vu la situation se dégrader. Le mot occupation a pris petit à petit tout son sens ; nos références historiques ne suffisent pas à la comprendre : cette occupation nie l'existence de l'autre ; le pays se développe comme s'il n'y avait pas d'autre peuple.
C'est la première fois que notre pays connaît un débat d'une telle intensité sur cette question ; c'est tant mieux : il montre que nous nous sentons collectivement concernés. Certains pensent que la reconnaissance aggraverait la situation ; vous nous dites que c'est la solution pour les deux peuples. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les conséquences de cette situation dans la région nous inquiètent beaucoup. Quels seraient les effets de la dégradation supplémentaire qui ne manquerait pas de suivre une absence de sursaut de la communauté internationale ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Pour construire la paix, il faut briser le cercle des défiances ; Dieu sait que c'est difficile. Vous nous parlez des territoires de 1967, qui sont d'ailleurs sujets à interprétation... Les Palestiniens considéreraient-ils que le Golan est un élément important pour la sécurité d'Israël ?
M. Christian Cambon. - Quelles seraient les institutions d'un Etat palestinien ? Les élections législatives ont été repoussées depuis plus de quatre ans. Des institutions les plus démocratiques possibles faciliteraient le processus.
M. Daniel Reiner. - Le peuple palestinien attend des faits, plus des paroles. Quel est l'état d'esprit de sa jeunesse, et notamment de celle qui va à l'université ? N'a-t-elle pas le sentiment que son avenir se situe ailleurs ?
M. Hael Al Fahoum. - Notre jeunesse représente notre avenir. Elle est brillante, elle a un potentiel incroyable, qu'elle soit en Palestine ou ailleurs. Nous devons nous mobiliser pour elle. Je suis fier d'être en contact avec les jeunes : je les aime. Ils me donnent des vitamines pour en faire encore plus pour notre cause. Nous cherchons à construire un cadre pour la mobiliser dans le bon sens, vers l'action et non la réaction.
La Ligue arabe a adopté à l'unanimité une résolution fixant une date limite pour l'occupation ; notre ambassadeur à New York a coordonné ses démarches avec l'ambassadeur de France, en contact avec les cinq membres permanents, pour débloquer la situation. J'espère que les Américains ne mettront pas leur veto, à cause de l'échec de leur méthode. Nous avons le droit d'adhérer au traité de Rome. Pourquoi avoir peur de ce cadre ? C'est le meilleur moyen de dissuader tout le monde de commettre des crimes de guerre. Les Américains nous ont dit que c'était une bombe nucléaire. Mais ce sont les Israéliens qui en possèdent une ! Selon les Américains, Rome est encore plus puissant que la bombe. Eh bien, que ce soit une source d'énergie pour la paix !
Nous avons demandé à M. Kerry si l'occupation était légale ; il a répondu qu'elle était illégitime et illégale. Nous lui avons demandé combien de temps mettrait l'armée israélienne pour occuper une Palestine indépendante ? Deux heures. Dans ces conditions, quel danger cet Etat représenterait-il ? Les Américains ne sont pas cohérents. C'est pourquoi nous avons besoin de l'Europe et de la communauté internationale.
Le plan de paix arabe parle de normalisation globale entre le monde arabo-musulman et Israël : relations économiques, politiques, bien au-delà d'une simple reconnaissance. Non pas seulement 27 000 kilomètres carrés, mais 15 millions ! Il faut voir plus loin : cela représente une valeur ajoutée énorme pour Israël, qui sera protégé non par le soutien européen et américain, mais par l'intérêt de tous ses voisins arabes. Vous avez parlé de ces extrémistes qui font beaucoup plus de mal à l'Islam qu'aux autres - 99% de leurs victimes sont des musulmans - et prennent pour prétexte l'injustice subie par notre peuple. Nous n'avons pas besoin d'eux : ce sont nos ennemis, autant que les vôtres.
Nous sommes d'accord avec les paramètres présentés par la France au Conseil de Sécurité. Nous cherchons à accumuler des étapes dans le bon sens. Chaque pas peut faire exploser des énergies positives chez nous, en nous donnant des arguments pour avancer. La reconnaissance, c'est une étape, l'inverse de la construction de colonies. Cela dissuadera tous ceux qui tentent d'éviter la négociation.
L'Etat palestinien sera un Etat démocratique. Vous, une grande puissance, avez des difficultés à imposer votre démocratie. Nous avons imposé la nôtre dans des conditions impossibles. Le vote pour le Hamas était un vote de protestation, de désespoir ; et il n'a pas dépassé 40% ! Nous faisons tout pour établir un Etat démocratique, qui intègre musulmans, chrétiens et juifs, croyants et non croyants, conformément à la laïcité, que malheureusement le monde arabe interprète comme l'incroyance. Le Président Mahmoud Abbas a déclaré qu'il n'accepterait pas un soldat israélien dans le territoire palestinien. Nos voisins ont, à tort, interprété cela comme le refus de toute présence juive. Nous avons toujours vécu avec nos compatriotes juifs, chrétiens et musulmans. Naplouse possède la plus ancienne communauté juive du monde, représentée dans le conseil législatif palestinien.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie. Il est normal que chacun mette de la profondeur dans ses interventions sur un tel sujet.
Audition de M. Yossi Gal, ambassadeur d'Israël en France
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous souhaitons la bienvenue à M. Yossi Gal, ambassadeur d'Israël en France. Quelle est votre analyse de la situation et votre lecture du vote qui a eu lieu hier à l'Assemblée nationale ? Nous vous posons la même question qu'au représentant de la Palestine : la reconnaissance d'un tel Etat peut-elle favoriser l'issue positive des négociations ? Nous sommes tous pour la paix dans cette région, avec une sécurité assurée pour les deux Etats.
M. Yossi Gal, ambassadeur d'Israël en France. - Merci de me donner l'opportunité de traiter d'une question aussi importante pour Israël, pour la France et pour le futur du Moyen-Orient, comme pour nos relations bilatérales. J'ai toujours apprécié la manière pleinement responsable avec laquelle nos deux démocraties ont mené leurs relations, comme j'apprécie qu'avant de prendre votre décision, vous ayez convié les parties concernées, afin de connaître leurs positions à la source - j'aurais aimé qu'il en ait été de même à l'Assemblée nationale.
Je ne suis pas venu lancer une polémique, ni même débattre avec qui que ce soit, mais pour faire appel à votre sagesse, à votre sens des responsabilités. J'ai le plus profond respect pour vos points de vue, même critiques : les divergences d'opinion sont naturelles entre alliés. Il en existe même parmi les partis représentés ici. Je viens le coeur lourd de préoccupations pour l'impact négatif d'une telle résolution. Je suis venu au nom de la raison et de la modération, au nom des valeurs communes à toutes les démocraties.
Quel Etat palestinien vous demande-t-on de reconnaître ? Celui du Hamas, qui appelle à un Etat selon les frontières de 1948 en lieu et place de l'Etat d'Israël ? Ce Hamas, qui est reconnu en France comme une organisation terroriste, qui promet l'extermination des Juifs. Est-ce celui des Hooligans qui crient « Mort aux Juifs ! » dans les rues de votre capitale ? Celui d'Abou Mazen, qui contrôle à peine la moitié du peuple palestinien dans les frontières de 1967 ? Ou celui qui résulterait de négociations directes entre les deux parties ?
Quelle est la sagesse d'un acte unilatéral ? Le Quartet, dont la France fait partie en sa qualité de membre de l'Union européenne, a déclaré : « tout acte unilatéral ne préjugera en rien du résultat des négociations et ne sera pas reconnu par la communauté internationale ». La France doit-elle jouer ainsi une partie d'échecs contre elle-même ? Pourra-t-elle ensuite jouer un rôle de médiateur ?
Le moment est-il propice ? Le Moyen-Orient tout entier est en flammes, Israël est sous l'emprise d'une vague de terreur - et je remercie celles et ceux qui ont partagé avec nous leur chagrin après le massacre barbare perpétré dans la synagogue de Jérusalem.
Alors qu'il n'a aucun rapport avec le conflit israélo-palestinien, le tremblement de terre qui secoue le Moyen-Orient est largement orienté contre Israël, les Juifs et nos valeurs communes. L'Iran poursuit sa course à l'armement nucléaire, il continue à financer le terrorisme international et appelle ouvertement à la destruction d'Israël. La Syrie continue à assassiner sans relâche ses citoyens : plus de 200 000 Syriens innocents ont été massacrés, et des millions de réfugiés affluent vers la Jordanie et le Liban. Contre ce carnage, je n'ai vu aucune manifestation de masse à Paris... Daech défie le monde, poursuit ses exécutions horribles et occupe de plus en plus de territoires en Irak et en Syrie. La terreur réapparaît partout ; en Israël, en quelques semaines, onze personnes ont été victimes d'attaques terroristes : c'est plus qu'au cours des deux dernières années. Al-Qaïda et le djihad mondial s'amassent tout au long de notre frontière nord et tentent de nous impliquer dans le bourbier syrien. De jeunes Européens se précipitent en masse dans les organisations terroristes. Que se passe-t-il lorsqu'ils reviennent en Europe ? Nous avons vu ce qui s'est produit à Bruxelles, une attaque terroriste contre le musée juif. Nous l'avions déjà vu à Montauban et à Toulouse : les incidents antisémites se multiplient sur le sol français. Le Hezbollah continue à développer son arsenal militaire : cent mille missiles sont à présent pointés sur Israël. Alors qu'il est reconnu par la France comme une organisation terroriste, il a annoncé avoir reçu de l'Iran des missiles à longue portée. Le Hamas ne renonce pas à son rêve de détruire Israël et poursuit la construction de son « Hamastan », qui est un mélange d'Iran et d'Etat islamique aux portes de mon pays. Le chef de l'Autorité palestinienne a rendu hommage sans sourciller à l'auteur de l'attentat terroriste du 29 octobre à Jérusalem, Mouataz Hijazy, le qualifiant de héros dans une lettre à sa famille publiée par la presse officielle palestinienne. Il l'y appelle même martyr et qualifie Israël d'Etat terroriste ! Les terroristes d'Ansar Beït Al-Maqdess, très actif dans le Sinaï, ont rallié Daech, ce qui rapproche encore ce monstre de nous : ils ont déclaré qu'Israël et l'Egypte étaient leurs ennemis.
Dans ce contexte, vous paraît-il juste de faire porter toute la pression sur nous et de donner carte blanche à l'autre côté ? Croyez-vous que ce vote aura un effet positif ? Ne compliquera-t-il pas, plutôt, la situation ? Nous rapprochera-t-il de la paix ou en éloignera-t-il la possibilité ? La réponse est claire : cette initiative est irresponsable. Le moment est mal choisi, le message est erroné et n'a aucun rapport avec la solution à deux Etats.
Comme le vote d'hier, cette initiative en faveur d'une reconnaissance unilatérale de l'Etat palestinien sans négociations, sans conditions, est mauvaise pour la diplomatie de la France, pour Israël, pour les citoyens de confession juive vivant en France et pour la communauté musulmane modérée qui y vit. Elle est surtout contreproductive pour les intérêts palestiniens et pour la paix au Proche-Orient.
La France est à la fois l'amie d'Israël et des Palestiniens. Jusqu'à présent, elle a réussi à obtenir l'écoute et la confiance des deux parties pour peser favorablement sur les modalités d'une résolution juste, négociée et acceptée par les deux acteurs. Elle est aussi confrontée, comme Israël, à la menace terroriste. Elle devrait rester impartiale dans la résolution de ce conflit. Lorsque la Suède a engagé cette initiative, Israël a rappelé son ambassadeur pour une durée indéterminée. Cette mesure diplomatique importante montre combien le sujet sensible chez nous. Le ministre des affaires étrangères, M. Fabius, a rappelé l'ambition de la France de jouer un rôle dans la région. Allez-vous vous opposer aux projets de votre propre gouvernement ?
Une telle reconnaissance ne ferait qu'exacerber les tensions et risquerait d'encourager un nouveau cycle de violence en Israël et en France. Dans notre région, le risque d'une explosion incontrôlée de la violence existe. Déjà, nous déplorons de très nombreux attentats, commis par des moyens barbares, à la hache, au couteau ou à la voiture-bélier, et que le Hamas salue. Je remercie votre Président de la République et votre Premier ministre pour leurs déclarations si fortes après le carnage que nous avons connu à Jérusalem. Une reconnaissance unilatérale de l'Etat palestinien ne résoudra aucun des dossiers actuels : la question de Jérusalem, celle des frontières, des implantations, la sécurité... Alors que les Palestiniens sont divisés politiquement entre une moitié régie par les terroristes du Hamas et l'autre sous l'Autorité palestinienne qui n'hésite pas à rendre hommage aux terroristes, une reconnaissance théorique par les élus français ne fera que compliquer le processus diplomatique.
Ne faisons pas croire aux Français que les Israéliens ne souhaitent pas la paix. Nous souhaitons une paix juste et durable qui nous apporte la sécurité, à nous comme à nos voisins. Les terroristes du Hamas, qui font partie de la coalition gouvernementale palestinienne, ont salué en des termes abjects, et même revendiqué, des attentats perpétrés chez nous. Cette résolution aura l'effet contraire à celui que souhaitent tous ceux qui sont attachés à la paix : au lieu d'encourager un retour aux négociations, elle ôtera toute bonne foi aux acteurs en encourageant les Palestiniens à adopter des positions plus dures. Elle ne fera pas évoluer la situation sur le terrain et mettra en péril la coopération israélo-palestinienne en matière d'économie et de sécurité, grâce à laquelle la Cisjordanie a connu une croissance sans précédent et les territoires placés sous le contrôle de l'Autorité palestinienne, un calme relatif.
Il est clair que cette initiative serait contre-productive, irresponsable. Elle découragerait les partisans de la paix en éloignant la possibilité de parvenir à un accord. La seule solution au conflit est d'instaurer des pourparlers directs et honnêtes entre les deux parties. Le porte-parole du ministère français des affaires étrangères l'a dit lui-même : « Seule une solution négociée permettra de mettre un terme au conflit. » Nous devons donc nous mobiliser pour faire redémarrer le processus de paix. Le Premier ministre israélien a déclaré à l'ONU en 2012 que les Palestiniens devraient d'abord faire la paix avec Israël avant d'obtenir un Etat. Dès qu'un tel accord aura été signé, Israël sera le premier à accueillir un Etat palestinien à l'ONU.
Vous devriez plutôt utiliser votre voix pour convaincre l'Autorité palestinienne de renoncer à son alliance avec le terrorisme du Hamas et de reprendre le chemin des négociations. Rassemblons le peuple qui aime la paix, juif, musulman et chrétien ; travaillons avec le camp modéré (Egypte, Arabie Saoudite, Jordanie et Etats du Golfe) à réduire le fanatisme qui envahit notre région. Il n'y a pas d'alternative aux négociations directes, à une paix réelle et négociée, à la lutte contre la terreur.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour ce message particulièrement clair.
M. Christian Cambon. - Merci d'avoir accepté de participer à cette concertation. Nous souscrivons tous à votre vibrant plaidoyer contre la violence et le terrorisme et nous partageons tous votre volonté d'assurer à Israël des frontières sûres. Pour autant, l'étonnante politique de colonisation nous interpelle. Elle touche non seulement Jérusalem-Est mais aussi, plus discrètement, l'agriculture palestinienne. Cinquante logements ont été récemment construits à Jérusalem-Est, que la partie palestinienne revendique comme sa future capitale. Loin de limiter ces colonisations, le gouvernement a déclaré à plusieurs reprises qu'il souhaitait en accélérer le rythme. Elles sont pourtant contraires aussi bien à la Convention de Genève qu'à la résolution 446 des Nations unies, ou aux nombreux engagements pris par Israël. Les Palestiniens se voient interdire l'accès aux zones dites sous coordination, ce qui les empêche de cultiver des terres qui leur appartiennent. Alors que la récolte des olives fait vivre 100 000 familles, des plants ont été arrachés. S'agit-il vraiment d'une politique de paix ?
Mme Bariza Khiari. - Je partage les interrogations exprimées par mon collègue. Si votre gouvernement est attaché à la paix, pourquoi persistez-vous à construire des colonies sur les territoires illégalement occupés depuis 1967, et notamment à Jérusalem-Est, qui a valeur de symbole ? Limiter ainsi la viabilité d'un futur état palestinien, n'est-ce pas mettre en danger le processus de paix ? Israël est une démocratie, ce qui suscite des attentes... et des déceptions. Le projet de loi présenté par M. Netanyahou pour renforcer le caractère juif de l'Etat d'Israël n'a été retiré qu'in extremis. Il faisait des citoyens arabes des citoyens de seconde zone. Pourquoi demandez-vous aux Palestiniens de reconnaître un Etat juif Israël alors que vous n'avez jamais imposé cette condition à d'autres pays ? Ne prenez-vous pas le risque de confessionnaliser un conflit qui n'est à l'origine qu'un litige territorial ? Sur les litiges territoriaux, les institutions internationales sont très claires...
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je vous poserai la même question qu'à l'ambassadeur palestinien que nous venons d'entendre : M. Fabius a récemment déclaré que si les négociations avec Israël sont impossibles, la France doit prendre ses responsabilités et reconnaître l'Etat palestinien. Après quarante ans de colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, 500 000 colons israéliens sont installés dans les territoires palestiniens occupés et bénéficient de manière presque exclusive des réseaux routiers et des infrastructures qui y sont construits. Lorsque la colonisation des terres palestiniennes sera terminée, il n'y aura plus de territoire palestinien : les négociations avec Israël sont-elles possibles ? Êtes-vous prêts à rendre leurs terres aux Palestiniens ou considérez-vous qu'elles appartiennent désormais à Israël ? La Cisjordanie est-elle, pour vous, un territoire arabe ou israélien ?
M. Aymeri de Montesquiou. - La reconnaissance d'Israël lui donne des droits - et notamment celui à la sécurité - mais aussi des devoirs. Elle doit, en particulier, respecter le droit international. Quand mettrez-vous en oeuvre les résolutions de l'ONU, et surtout celle de 1967 ? Quand appliquerez-vous les décisions de la Cour internationale de justice sur la destruction du mur qui coupe la Cisjordanie ? Quand les colons de Cisjordanie retourneront-ils en Israël ? Quand appliquerez-vous l'accord signé en 1988 entre les présidents Rabin et Arafat et reconnaissant les deux Etats ? Pour la paix, tous les moments sont propices...
M. Gaëtan Gorce. - Un démocrate, sur notre continent, ne peut s'adresser à Israël qu'en ami. Les amis ont des responsabilités : en l'occurrence, nous devons vous rappeler que la sécurité d'Israël passe par la paix avec le peuple palestinien. Les menaces auxquelles votre pays est confronté ne doivent-elles pas vous conduire à rechercher des solutions pacifiques. En qualifiant une éventuelle résolution du Sénat d'irresponsable, voulez-vous dire que la paix a d'autres chances d'aboutir dans un délai raisonnable ? Quel progrès avez-vous observé ces dernières années dans ce domaine ? Quelles initiatives alternatives le gouvernement israélien s'apprête-t-il à prendre ?
M. Jean-Pierre Masseret. - Vos propos liminaires m'ont paru scandaleux. Nous ne sommes pas venus autour de cette table pour nous faire rabrouer ou traiter d'irresponsables. Je n'ai signé aucune des propositions de résolution et ne voterai jamais la reconnaissance unilatérale d'un Etat palestinien. Pour autant, je ne discerne dans vos propos aucune perspective de paix. Au contraire, les portes se ferment les unes après les autres : confessionnalisation, colonisation... Vos propos sont fabuleusement contradictoires et votre argumentation incroyable.
Mme Leila Aïchi. - Nous sommes tous sensibles à la sécurité d'Israël. Je ne reviendrai pas sur les événements de cet été : 2 500 civils, dont 296 enfants, ont trouvé la mort ; 300 000 Palestiniens ont été déplacés, 20 000 ont été blessés, et 69 soldats israéliens ont été tués. D'où qu'elle vienne, la violence est inacceptable. Quel sera le bon moment pour faire la paix ? La colonisation est-elle une solution pour la sécurité d'Israël ? Quel est l'avenir de vos cousins et frères, pour reprendre l'expression d'Hael al Fahoum ?
Mme Esther Benbassa. - M. Gorce a dit l'essentiel. Ne confondons pas le conflit israélo-palestinien avec la situation française. Notre vivre-ensemble est déjà assez fragile. Vous n'avez pas parlé de l'occupation : Israël occupe les terres d'un peuple, qui est en diaspora ou dans des camps... À faire la comptabilité des morts, Israël risque de perdre. Puisque le statu quo dure depuis des années, il faut bien que les pays européens interviennent. Ont-ils tort ? Des négociations sont-elles prévues ? Nul ne remet en cause le droit d'Israël à exister, mais il ne faut pas réduire les Palestiniens au Hamas. La France a bien fait la paix avec le FLN... L'histoire montre qu'il faut faire un jour la paix avec ses ennemis, qu'ils soient terroristes ou non. Il faudra bien réunir autour d'une table les Israéliens, l'Autorité palestinienne et le Hamas.
M. Michel Billout. - La colonisation de la Cisjordanie est un obstacle considérable à la paix. Le blocus de Gaza l'est aussi. Je me suis rendu de nombreuses fois en Israël et en Cisjordanie, mais le gouvernement israélien m'a toujours interdit de pénétrer dans la bande de Gaza. Vous avez parlé de « Hamasland ». Ne croyez-vous pas que le gouvernement israélien a une responsabilité importante dans sa constitution en condamnant la population à l'isolement ? Le blocus de Gaza est condamné par la communauté internationale, comme beaucoup d'actions d'Israël.
Mme Josette Durrieu. - Personne ne dira que le Hamas n'est pas une organisation terroriste, et nous condamnons le terrorisme. Mais ce n'est pas la communauté internationale qui est à l'origine de sa création. La France s'engage pour un processus de paix. Nous pensons que la création de deux Etats est nécessaire à l'existence même d'Israël et à sa sécurité. La reconstruction de Gaza coûtera entre deux et cinq milliards d'euros (3,5 milliards d'euros selon l'ONU). Allez-vous y participer ? Les sociétés israéliennes vont-elles soumissionner dans les marchés ? Allez-vous lever le blocus sur le ciment et l'acier, qui empêche la reconstruction ?
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Notre démocratie est vivante ! Je sais que la Knesset connaît aussi des débats directs. La gravité de la situation génère des sentiments très forts. Si le niveau de violence est impressionnant, quelles sont les perspectives de sortie ? Nous nous méfions de plus en plus du statu quo, qui cristallise des oppositions en terrorisme. Nous voulons tous agir pour sortir de l'immobilisme.
M. Yossi Gal. - C'est Israël qui a lancé la formule de « deux Etats pour deux peuples vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». Comment y parvenir ? Le seul moyen est une négociation directe. Le manque de progrès en ce domaine me frustre plus que vous. Abou Mazen a choisi de s'allier avec le Hamas au lieu de poursuivre la négociation. Les dernières fenêtres d'opportunité ouvertes par le gouvernement Barak à Yasser Arafat n'ont pas permis d'aboutir à un accord. Les propositions du gouvernement Olmert ont suscité de la part des Palestiniens des réactions négatives, alors qu'elles allaient presque jusqu'à la division de Jérusalem et ont même failli diviser le peuple israélien. Le désengagement de la bande de Gaza, transférée à l'Autorité palestinienne, n'a eu pour résultat qu'un coup d'Etat sanglant des terroristes du Hamas.
Lisez la charte du Hamas : « Israël existe et continuera à exister jusqu'à ce que l'islam l'abroge comme il a abrogé ce qui l'a précédé. Notre combat avec les juifs est une entreprise grande et dangereuse. » Les solutions de paix vont à l'encontre de la profession de foi du mouvement de la résistance islamique : « il faut propager l'esprit de jihad dans la nation. » Les responsables du Hamas ont déclaré que, grâce à l'accord de réconciliation, « les Palestiniens seront à nouveau habilités à combattre Israël » et que « la réconciliation vise à unir le peuple contre l'ennemi sioniste et ne sera jamais une alternative à la résistance. »
En 1995, quand nous avons évacué la bande de Gaza, nous avons détruit toute implantation et évacué par la force 9 000 Israéliens. Nous nous sommes retirés de tout le territoire délimité en 1967, jusqu'au dernier millimètre carré. Résultat ? Le Hamas et trois guerres.
Il faut regarder les faits. Sur les 2 000 logements annoncés récemment à Jérusalem, 800 sont pour des Palestiniens. Y êtes-vous opposés ? Ce serait une erreur de ne voir le conflit qu'à travers le prisme des implantations. Nos divergences d'opinion sur les constructions à Jérusalem ne peuvent être réglées qu'à travers une négociation bilatérale. La sécurité du peuple israélien n'est-elle pas aussi une question importante ?
C'est l'ONU, en 1947, qui a parlé la première d'un Etat juif : la résolution du 29 novembre 1947 évoque « l'établissement et l'indépendance d'un Etat juif. » Notre Etat démocratique a vocation à être aussi le foyer de toutes les minorités. Il est regrettable que les Palestiniens nous dénient le droit d'avoir un Etat sur la terre de nos ancêtres.
Je m'en suis assuré à plusieurs reprises auprès du gouvernement : il ne sera pas engagé par la décision que vous prendriez, qui gardera un caractère déclaratoire.
Oui, nous avons construit une barrière : depuis, nous n'avons plus eu d'attentat de même ampleur que dans les années 1990 ou 2000. Quant à l'agriculture, nous avons renouvelé l'exportation des produits agricoles de la bande de Gaza. Désormais, le transport du ciment n'y pose pas plus de problèmes que celui de l'alimentation ou des médicaments.
Mme Josette Durrieu. - Depuis quand ?
M. Yossi Gal. - Depuis quelques semaines, sous la supervision d'Israël et de la communauté internationale.
Mme Josette Durrieu. - Soit. J'ai entendu l'inverse la semaine dernière.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - C'est toujours comme cela dans ce type de situation... Merci de nous avoir fait part de vos convictions et de la position de votre pays. Notre commission soutient les initiatives prises par le gouvernement français pour une paix durable.
Expression des auteurs des propositions de résolution
La commission entend les auteurs des propositions de résolution, présentées en application de l'article 34-1 de la Constitution :
- n° 49 (2014-2015) sur la reconnaissance de l'Etat palestinien ;
- n° 54 (2014-2015) sur la reconnaissance par la France d'un Etat palestinien ;
- n° 105 (2014-2015) sur la reconnaissance de l'Etat de Palestine.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous entendons à présent les premiers signataires des trois propositions de résolution déposées au Sénat, dans l'ordre chronologique du dépôt des propositions : Mme Esther Benbassa, Mme Eliane Assassi et M. Gilbert Roger.
Mme Esther Benbassa. - Israël-Palestine est la terre du Livre, de la Bible, qui rassemble un peuple dispersé. Terre symbolique, chargée de l'imagination des siècles, du rituel des ancêtres, et du poids de ce Livre, elle ne cesse d'être l'enjeu de débats passionnés et d'une colonisation controversée. Comment négocier un symbole ? Tous les efforts déployés pour la normalisation du rapport des Juifs à leur terre se heurtent à l'obstacle de sa sacralisation. Chaque centimètre carré de territoire est converti en absolu, par les Juifs et, tout autant, en réaction, par les Palestiniens. Pourquoi cette terre ne peut-elle ressembler aux autres, ni devenir à ceux qui l'habitent aussi naturelle que l'air qu'ils respirent? L'Occident chrétien lui-même ne regarde pas avec indifférence ce petit coin du Moyen-Orient disputé où se trouvent les lieux saints : la Terre sainte le reste, et pour tous. C'est là qu'est né, il y a 66 ans, l'Etat moderne d'Israël, et là qu'attend de renaître l'Etat de Palestine.
En 1918, il y a 664 000 Arabes en Palestine et environ 82 700 Juifs. La présence britannique, depuis 1922, et l'immigration juive donnent lieu à des montées de violences et à des révoltes arabes dans les années 1930-1940. La situation, toujours plus explosive, pousse les Britanniques à quitter la région. En mai 1947, le dossier de la Palestine est présenté à l'ONU et une commission spéciale de l'United Nations Special Committee on Palestine (UNSCOP) est chargée de formuler un projet. Ce sera celui d'un partage en deux Etats économiquement liés, Jérusalem et sa région étant placées sous administration de l'ONU. La communauté juive de Palestine approuve ce partage, les Arabes, mécontents, s'en prennent aux colonies juives. La Guerre d'Indépendance engagée par les Juifs donne naissance à l'Etat d'Israël, proclamé le 14 mai 1948. Des centaines de milliers de Palestiniens sont contraints à l'exil. Cette tragédie, synonyme de spoliation, de déracinement et de dispersion pour le peuple palestinien, c'est la Nakba, ce qu'on peut traduire par catastrophe, un terme qui finira, sans en être synonyme, par faire écho à un autre, celui de « Shoah ».
La fondation de l'Etat d'Israël n'est pas la conséquence directe du génocide. Elle est d'abord l'aboutissement d'un projet national, la traduction concrète du nationalisme juif, né au XIXe siècle, dans le sillage d'un développement général des mouvements nationaux en Europe. Reste que le génocide hâte le processus. Israël sera un refuge pour les Juifs persécutés et en transit dans les camps.
Deux peuples, pour une seule terre, convoitée par les exilés juifs d'hier et par les exilés palestiniens d'aujourd'hui. Rien ne dit mieux que ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwish la nostalgie, la souffrance, le sentiment de perte irréparable que cette terre engendre chez les Palestiniens :
« La Palestine est belle - oui la Palestine est belle
« Variée riche - riche en histoire
« C'est une terre de mythes
« de pluralismes
« et elle est fertile malgré le manque d'eau
« elle est modeste aussi
« la nature y est modeste
« c'est un pays simple
« Voici la terre de mon poème
« et dans ces terres je me sens un peu étranger
« il est vrai que l'on peut se sentir étranger
« même dans son propre miroir
il y a quelque chose qui me manque
« et ça me fait mal
« je me sens comme un touriste
« sans les libertés du touriste.
« Être en visite me mine,
« quoi de plus éprouvant que se rendre visite à soi-même ?
N'est-il pas temps de tourner la page des souffrances, des morts, des blessés, des destructions, de la misère, des missiles, de la terreur et de la peur ? Le vote d'hier, à l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi semblable à celles dont nous débattons aujourd'hui envoie un message clair, simple, symbolique de première importance aux deux peuples, au gouvernement d'Israël et aux autorités de la Palestine occupée. Ce message vient après ceux partis de Suède, d'Angleterre, d'Irlande et d'Espagne.
Cette reconnaissance est une urgence d'abord pour les Palestiniens et pour Mahmoud Abbas, qui proposera au Conseil de sécurité de l'ONU une résolution appelant à un retrait israélien complet, dans les deux ans, des territoires palestiniens occupés depuis 1967. On peut supposer que les Etats-Unis exerceront leur droit de veto. Aux Européens de faire entendre une autre voix. Le processus de paix est au point mort, Israël préfère maintenir le statu quo et poursuit les constructions dans les colonies.
Les marges de manoeuvre diplomatique sont étroites. Tout vote symbolique en faveur de la reconnaissance de l'Etat palestinien aux côtés de l'Etat israélien - dont toutes les parties doivent reconnaître le droit à l'existence et à la sécurité - est néanmoins un pas en avant et neutralisera l'influence du Hamas, dans un contexte préoccupant. Les Etats européens ont intérêt à pousser dans ce sens et à passer enfin des mots, des subventions, aux actes. De tels votes en faveur de la reconnaissance de l'Etat palestinien pourraient amener Israël à sortir de son isolement, à entamer de vrais pourparlers avec des Palestiniens désormais considérés comme des égaux.
De tels votes pourraient avoir des retombées positives dans les pays de l'Union européenne, et spécialement en France. On se souvient des manifestations de cet été, des violences et des dérapages. La reconnaissance par la France de l'Etat de Palestine serait perçue, non comme la victoire d'un camp contre l'autre mais comme un rééquilibrage indispensable. Elle couperait l'herbe sous le pied de ces petites minorités promptes à accuser les Juifs de je ne sais quels complots. Il est fort regrettable que les sénatrices et les sénateurs avancent en ordre dispersé. Espérons que l'issue de nos scrutins, au Sénat, soit malgré tout positive.
Ce serait un pas de plus en avant, la réaffirmation d'un simple principe d'équité et de justice - le seul qui devrait nous guider -, l'expression d'un soutien de poids aux Palestiniens, aux militants de la paix en Israël, et à la future coexistence pacifique de deux Etats indépendants. Ce serait aussi un signal en faveur d'un renouveau de notre savoir-vivre ensemble, ici en France, un signal en faveur d'un apaisement entre juifs et musulmans. Ces arguments devraient suffire à nous unir, malgré nos divergences sur tel ou tel point de détail, pour voter, par-delà nos sensibilités politiques différentes, un texte commun qui fasse entendre aux Israéliens que la colonisation doit cesser sans délai, si l'on veut vraiment que naisse un Etat palestinien viable, et qui fasse aussi entendre aux Palestiniens que le terrorisme n'est pas le chemin qui mène à l'indépendance. Ce texte ferait enfin entendre aux uns et aux autres que la reprise des négociations est une urgence absolue, et que nul ne doit accepter de tomber dans le piège tendu par les extrémistes des deux bords. Il y a plus sacré que la terre : la vie des hommes et des femmes qui l'habitent.
Mme Éliane Assassi. - Le groupe CRC a déposé une proposition de résolution sur la reconnaissance par la France d'un Etat palestinien, qui a été inscrite par la conférence des présidents du 5 novembre dernier à l'ordre du jour du 11 décembre prochain. Constatant l'échec du processus d'Oslo et des négociations bilatérales, nous proposons une démarche nouvelle pour résoudre ce conflit vieux de soixante-dix ans : le statu quo n'est plus acceptable et nous devons sortir les Israéliens et Palestiniens du face-à-face sans issue dans lequel ils sont confinés. Cela requiert une intervention ferme de la communauté internationale. Nous souhaitons la reconnaissance d'un Etat palestinien depuis des décennies.
En adoptant notre résolution, le Sénat affirmerait « solennellement son attachement au principe d'un Etat palestinien viable, vivant en paix et en sécurité aux côtés de l'Etat d'Israël » et exprimerait « le souhait que la France reconnaisse l'Etat palestinien souverain et démocratique sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats. » Il inviterait la France « à tout mettre en oeuvre pour faire aboutir sur le terrain la solution négociée de deux Etats indépendants contigus. »
Le processus d'Oslo était trop complexe et il y manquait un contrôle international. Le fossé était déjà trop profond. Il faut à présent imposer fortement une contrainte extérieure. La guerre qu'a menée au mois de juillet le gouvernement israélien contre la population de Gaza et les tensions provoquées à Jérusalem-Est par la poursuite de la colonisation rendent encore plus urgente la nécessité de trouver enfin une solution politique et diplomatique.
La répartition actuelle des territoires est le résultat de guerres antérieures entre Israël et trois pays arabes. Mais la situation actuelle découle de l'occupation par Israël d'une grande partie des territoires palestiniens et de la provocation permanente que constitue la poursuite d'une politique d'implantation de colonies sur ces territoires. Cette politique est l'un des principaux obstacles à la mise en oeuvre de la solution à deux Etats, puisqu'elle ampute et morcelle le territoire d'un futur Etat palestinien, dont la viabilité devient de plus en plus aléatoire. C'est parce qu'il est opposé à la solution à deux Etats que l'actuel gouvernement israélien multiplie les implantations dans les territoires palestiniens. Les dirigeants israéliens ne cherchent pas à préserver un quelconque statu quo territorial, ils le modifient par la force pour décourager par avance toute tentative de négociation.
Si une solution politique n'était pas rapidement élaborée, ces deux peuples se dirigeraient inéluctablement vers une autre guerre à Gaza et vers une nouvelle Intifada dans les territoires occupés. Une explosion de violence incontrôlée n'est dans l'intérêt de personne.
La solution existe : c'est la coexistence de deux Etats dans les frontières résultant de la guerre de 1967, avec Jérusalem comme capitale partagée. Il revient à la communauté internationale de prendre ses responsabilités pour faire respecter les nombreuses résolutions de l'ONU. La première d'entre elles date de 1947 : il s'agissait d'un plan de partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, qui prévoyait expressément la création de deux Etats. Sans une pression politique extérieure, il ne pourra pas y avoir de paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Le principal instrument de pression, c'est la reconnaissance symbolique, pays après pays, du principe et de la nécessité d'un Etat palestinien coexistant avec Israël. Les conditions fixées pour cela par le droit international sont largement réunies : un peuple, un territoire et un gouvernement, même s'il est faible et contesté par une partie de la population. Si un Etat palestinien était internationalement reconnu, les négociations pourraient reprendre sur ses frontières, sur sa configuration, sur son caractère même.
Cette reconnaissance changerait la nature des négociations, puisqu'elle rendrait illégale l'occupation de portions de territoires d'un Etat qui serait souverain. Je ne pense pas que cette proposition de résolution puisse gêner les initiatives diplomatiques du gouvernement. Nous approuvons d'ailleurs la proposition de tenir une conférence internationale chargée d'encadrer la reprise des négociations de paix. Mais l'engagement pris par le ministre des affaires étrangères de ne reconnaître un Etat palestinien que dans le cas où les négociations n'aboutiraient pas nous semble de nature à repousser encore cette reconnaissance, quand il faut, au contraire, presser le pas. Nous nous félicitons du vote historique des députés. Il revient à présent au Sénat de consacrer l'engagement du Parlement français tout entier pour la reconnaissance d'un Etat palestinien. Cela viendrait en soutien à la résolution que déposera Mahmoud Abbas devant le Conseil de sécurité des Nations unies, appelant à un retrait israélien complet des territoires palestiniens occupés depuis 1967.
Reconnaître l'Etat palestinien n'est ni une faveur ni un instrument politique. C'est faire valoir un droit et réparer une injustice. Cela redonnerait espoir à la jeunesse palestinienne, qui n'aurait plus comme seul avenir que les frustrations, les humiliations, la pauvreté qu'impose la vie dans un pays occupé par une armée étrangère. Cela soutiendrait, en Israël, ceux qui veulent vivre en paix et en sécurité et qui ont compris que, sans l'Etat palestinien, c'est l'avenir même de leur pays qui est compromis.
Ce qui fut un rêve pendant des décennies peut devenir réalité. Donnons une chance à la paix ! Nous ne sommes pas les seuls à porter cette exigence : nombre de nos concitoyens la partagent et se mobilisent pour la reconnaissance d'un Etat palestinien. Et, s'il faut nous rassembler pour adopter cette proposition de résolution, nous y sommes favorables.
M. Gilbert Roger. - Les préoccupations exprimées par mes deux collègues sont très proches de celles que j'ai en tant que président du groupe d'amitié France-Palestine. J'ai conduit en Palestine, en mars dernier, une délégation comportant Mmes Demessine et Benbassa. Nous avons fait le 11 juin dernier un rapport devant la commission des affaires étrangères et de la défense. C'est à la suite de la publication de ma tribune dans Le Monde du 21 octobre dernier, dans laquelle je lançais un appel au gouvernement français à reconnaître l'Etat de Palestine, que les initiatives parlementaires ont commencé à fleurir. Un tel enjeu requiert notre unité.
Les démarches politiques européennes en faveur de cette reconnaissance interviennent alors que le blocage du processus de paix israélo-palestinien est manifeste. Le cycle de négociations mené par les Etats-Unis s'est conclu par un échec. Au coeur de l'été, le conflit meurtrier de Gaza a fait au moins 2 160 morts, dont 83% de civils palestiniens. L'échec de la diplomatie a repoussé la perspective d'un règlement définitif du conflit.
Dans ce contexte, l'initiative parlementaire française a toute sa place. La reconnaissance d'un Etat palestinien a été défendue par la France lors de la déclaration de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Dans son programme présidentiel, François Hollande s'est engagé à reconnaître l'Etat de Palestine.
Jusqu'à présent, nous pensions que cette reconnaissance interviendrait après un accord bilatéral sur les frontières et le statut de Jérusalem. Face à l'impasse actuelle, cet argument n'est plus recevable. Depuis l'échec en avril de la dernière médiation américaine, aucune négociation n'a eu lieu. Aussi faut-il inverser le processus qui n'a pas fonctionné depuis les accords d'Oslo, à savoir la négociation d'accords intérimaires suivie cinq plus tard d'une négociation bilatérale sur le statut final. Nous devons donc reconnaître dès à présent l'Etat de Palestine, afin qu'il vive en paix aux côtés d'Israël, ce qui serait le premier pas vers une relation d'égal à égal. Ne pas reconnaître la Palestine comme un Etat, c'est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestiniens et israéliens continuent à vivre dans la violence et l'insécurité. Cette reconnaissance est la condition indispensable de l'ouverture de véritables négociations entre Israël et la Palestine. Reconnaître la Palestine comme un Etat, c'est se conformer au droit international : en tant que législateurs, nous nous devons d'être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l'autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d'un Etat. Cette reconnaissance sécurisera l'existence de l'Etat de Palestine aujourd'hui gravement menacée par la poursuite de la colonisation israélienne.
J'ai écouté les arguments de M. Yossi Gal, ambassadeur d'Israël en France et je veux le rassurer. La commission des affaires étrangères tentera d'élaborer un texte le plus consensuel possible, même si chacun aurait aimé trouver certains mots dans la résolution que j'ai eu l'honneur de déposer.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - En effet, nous essayons de parvenir à un texte commun. Ce n'est assuré en l'instant, sachant que les pistes sont voisines pour aboutir à une paix durable.
Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous sommes très heureux, monsieur le ministre, de vous accueillir alors que l'heure est grave. Des sénateurs qui ne sont pas membres de la commission des affaires étrangères assistent à ce débat.
Nous avons entendu le chef de la mission de Palestine à Paris puis l'ambassadeur d'Israël. Ensuite, nous avons entendu les groupes politiques présenter leurs résolutions.
Après le vote de l'Assemblée nationale, nous voudrions votre avis sur notre démarche : comment s'insèrera-t-elle dans le processus de paix durable que vous appelez de vos voeux ? Cette résolution facilitera-t-elle votre action ?
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - C'est une bonne chose si le Sénat peut apporter une contribution constructive au débat actuel. Plusieurs propositions de résolution ont été déposées et, si je peux émettre un souhait, c'est que l'expression finale soit aussi rassembleuse que possible. À l'Assemblée nationale, il n'a pas été possible de parvenir à un texte commun : je souhaite que ce soit possible ici. Certains se sont interrogés sur le droit des assemblées à se prononcer sur un tel sujet : elles ont bien sûr le droit de s'exprimer, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une injonction. Le gouvernement est à l'écoute du Parlement ; reste que selon la Constitution de la Ve République, le gouvernement et le Président de la République sont en charge de la politique extérieure.
Votre démarche est au service de la paix. La tradition de la France est d'être l'amie du peuple palestinien et du peuple israélien. Nos seuls ennemis sont les extrémistes, les fanatiques, qui se trouvent de chaque côté et qui entravent la marche vers la paix. Nous devons également veiller à ne pas importer ce conflit qui, par sa spécificité, a une résonnance particulière dans notre pays et dans de nombreux pays, d'où les réactions de divers parlements.
Dans nombre de conflits, la principale difficulté est de définir les paramètres de la solution : c'est le cas en Syrie ou en Ukraine. Dans le conflit israélo-palestinien, les paramètres sont connus : le plan de paix des Arabes, les propositions des Américains et celles des Européens comportent des éléments voisins. En revanche, les deux intervenants principaux n'arrivent pas à se mettre d'accord sur ces paramètres, en dépit de longues discussions. Ces échecs tiennent le plus souvent à des raisons de politique intérieure tant du côté israélien que du côté palestinien.
Nous sommes arrivés à la conclusion que les deux parties auront beaucoup de mal à parvenir à un accord s'ils restent seuls, même avec l'aide des Etats-Unis. Une intervention d'un autre ordre est donc indispensable : une autorité internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies par exemple, doit intervenir pour éviter de nouveaux dégâts.
Le principe de la reconnaissance des deux Etats est inscrit dans la tradition politique française. Ainsi la résolution 181 des Nations unies a-t-elle reconnu en avril 1947 un Etat juif et un Etat arabe. La France a obtenu de haute lutte la reconnaissance d'Israël puis a oeuvré pour la reconnaissance de la Palestine. Sous la présidence de M. Sarkozy, il y a eu l'entrée de la Palestine à l'Unesco et, il y a deux ans, la Palestine est devenue un Etat observateur non membre des Nations unies. Tous les présidents de la République ont été sur la ligne des deux Etats.
Se pose désormais la question des modalités. Jusqu'à présent, nous voulions que la reconnaissance soit liée à des négociations, mais si celles-ci n'aboutissent pas, elles deviennent l'élément interdisant la reconnaissance du blocage. Nous suggérons donc une évolution de la méthode avec, en premier lieu, une définition des paramètres au niveau international, sanctionnée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. J'ai rencontré hier les représentants d'une soixantaine de pays sur d'autres sujets mais nous avons évoqué cette question. Nous parlons bien sûr aussi avec les Palestiniens et les Israéliens. Ces derniers sont réticents. Si nous pouvons porter une résolution, en évitant un véto, pour définir les paramètres des négociations, le droit international sera affirmé. Certains prétendent qu'il faut attendre les élections israéliennes de mars avant d'agir. Je ne le crois pas, car la situation sur le terrain peut dégénérer à tout moment.
Si nous voulons un accompagnement international, ces paramètres devront être acceptés par les deux parties mais aussi par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, par les Etats arabes directement concernés et par ceux qui ont une influence directe sur la solution. Si nous voulons que l'une des parties n'utilise pas la négociation comme un droit de véto et que l'autre partie accepte de s'engager, il faut fixer une date limite. Les Palestiniens souhaitent dix-huit mois ; il serait préférable de prévoir vingt-quatre mois. En cas de blocage - que nous ne souhaitons pas -, nous prendrons nos responsabilités en reconnaissant l'Etat de Palestine.
Nous devons trouver un chemin entre deux extrêmes : si nous disions aujourd'hui même que nous reconnaissons la Palestine, il n'y aurait pas de traduction concrète sur le terrain. Si un terme n'est pas fixé au processus, la négociation risque de s'enliser. Ce weekend même, la piste que nous avons esquissée a été appréciée.
Dans les jours qui viennent, nous devrions en terminer avec la première phase. Nous pourrions ensuite entrer dans la deuxième phase.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Si je comprends bien, la reconnaissance de l'Etat de la Palestine dans le cadre d'un processus de paix durable s'inscrit dans la ligne de l'exécutif français.
M. Laurent Fabius, ministre. - Absolument.
M. Christian Cambon. - La Suède est à l'origine du mouvement, le Parlement britannique a suivi, l'Espagne puis la France. Je constate néanmoins un déficit d'Europe. L'Union n'aurait-elle pu présenter une position commune ?
La presse émet quelques doutes sur la conférence internationale que vous voulez réunir à Paris. Pour reconstruire Gaza, l'Europe met la main à la poche sans rechigner. Elle a beaucoup plus de mal à parler d'une même voix lorsqu'il s'agit d'une initiative pour la paix. Que fait l'Allemagne, par exemple ?
M. Didier Guillaume. - L'initiative du Sénat est-elle utile à la France et au processus de paix ? Il n'y a pas d'autres questions à se poser...
Nous sommes toutes et tous pour la paix et contre les extrémismes, d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient : Mme Benbassa l'a très bien dit. Notre position doit être équilibrée et nous ne devons pas choisir les uns contre les autres. En outre, prenons garde à ne pas importer ce conflit : nous devons réaffirmer la primauté de la laïcité. Cette résolution doit être en faveur de la paix entre deux Etats vivant côte à côte. Nous devons nous rassembler sur un texte qui aidera le gouvernement à affirmer ces objectifs et montrera que les sénateurs, femmes et hommes libres, veulent eux aussi contribuer au processus de paix.
Mme Bariza Khiari. - L'ambassadeur d'Israël a fait une description apocalyptique de la situation pour nous dissuader de voter cette résolution. M. Masseret, ami d'Israël, a dû rappeler que le terrorisme intellectuel avait vécu.
Les négociations bilatérales tuent la négociation. Nous devons donc trouver d'autres solutions, comme celle que vous nous proposez. J'espère que notre résolution sera adoptée par une grande majorité afin de témoigner de la sagesse du Sénat et de vous aider dans vos difficiles négociations.
M. Laurent Fabius, ministre. - M. Cambon a raison de dire que l'Union européenne devrait être présente et unie. La plupart des pays sont favorables à la reconnaissance mais certains sont plus réticents, comme l'Allemagne pour des raisons historiques. Le vote de la Chambre des communes a été massif, mais le gouvernement britannique est plus réservé et souhaite au préalable se concerter avec les Américains. Même si la nouvelle Haute représentante veut aller de l'avant, l'Europe reste en retrait.
Je remercie M. Guillaume pour son soutien.
Il ne faut pas opposer les amis d'Israël aux autres dans cette affaire, madame Khiari, car l'intérêt d'Israël est de trouver le chemin de la paix pour assurer sa sécurité.
Bien sûr, il faut une négociation, mais les procédures ne peuvent être utilisées contre les buts de la négociation ! Si chacun se borne à affirmer ses droits, rien n'avancera, et les populations ne le supporteront pas.
M. Jacques Gautier. - Vous nous avez présenté une feuille de route, avec une négociation sur deux ans afin d'aboutir à une décision, avant la reconnaissance de l'Etat de Palestine. La France est toujours apparue comme le pays du juste équilibre, qui a su concilier son amitié pour Israël et pour le peuple palestinien. Aujourd'hui, on a l'impression que l'adoption de la résolution nous priverait de la confiance d'Israël, et donc de notre rôle d'arbitre. Qu'en pensez-vous ?
Mme Josette Durrieu. - La paix passe par l'existence de deux Etats et la fin d'un statu quo insupportable. Des négociations bilatérales ne peuvent aboutir, malgré l'intervention des Etats-Unis. À juste titre, vous voulez élargir le cercle des intervenants et vous remettez au centre des discussions la notion de droit. L'intervention de l'ONU est donc indispensable.
J'ai été il y a un mois et la semaine dernière dans les territoires palestiniens : à Gaza, l'urgence humanitaire est pressante : la reconstruction n'a pas redémarré à cause du blocus qui interdit l'arrivée du ciment et de l'acier. La situation très tendue me fait dire que nous n'avons pas forcément beaucoup de temps. À côté, je note une réelle dynamique et j'en remercie la Suède. En Grande-Bretagne, seulement douze voix contre !
Entre cette urgence et cette dynamique, nous devons agir. J'étais à Ramallah vendredi soir : l'espoir y était immense.
M. Daniel Reiner. - La communauté internationale s'est enfermée dans des négociations directes qui ont fait la preuve de leur incapacité à aboutir depuis Oslo, il y a vingt-deux ans. Les forces en présence ne sont pas équilibrées et les tensions politiques internes sont réelles, tant en Israël qu'en territoires palestiniens. Les négociations bilatérales ne pourront donc pas aboutir : le processus de paix ne se fera que sous l'égide de l'organisme qui a créé l'Etat d'Israël et, de fait, l'Etat de Palestine en 1947. Notre résolution de reconnaissance de la Palestine doit donc faire référence à un processus de négociation sous l'égide de l'ONU.
M. Laurent Fabius, ministre. - Vos trois interventions convergent et rappellent le rôle historique de la France. Le général de Gaulle et François Mitterrand n'épousaient pas forcément les voeux de telle ou telle sensibilité, mais ils ont permis d'avancer. La résolution adoptée par le Conseil de sécurité ne satisfera certainement ni M. Mahmoud Abbas, ni nos amis israéliens. Mais le rôle de la France est d'être l'interprète du droit international et de montrer le chemin de la paix. Les négociations directes sont nécessaires, mais Oslo I, Oslo II, Madrid et Taba ont montré qu'au dernier moment, il n'était pas possible d'aboutir à un accord. Il convient donc de prévoir un encadrement de la communauté internationale. Les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité ont une responsabilité historique, auxquels il faut ajouter l'Europe et les pays arabes qui souhaitent, aujourd'hui, reconnaître le droit d'Israël à vivre en sécurité. Il y a une circonstance historique - le kairos des Grecs - qu'il faut saisir, même si les deux parties se montrent réticentes. Notre rôle est d'essayer ; de ce point de vue, et en respectant totalement l'indépendance du Sénat, tout ce qui sera signe de rassemblement de la France, que vous incarnez, sera bienvenu.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, monsieur le ministre, de nous mettre sous pression !
La réunion est levée à 17h20.