- Mercredi 12 novembre 2014
- Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger
- Loi de finances pour 2015 - Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique
- Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt
Mercredi 12 novembre 2014
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger
La commission auditionne M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.
La réunion est ouverte à 10 heures.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Notre commission a entrepris une série d'audition des ministres dont le champ des compétences la concerne. Après Laurent Fabius, nous avons le plaisir d'accueillir Matthias Felk, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, un éclairage sur la politique du gouvernement dans les domaines du commerce extérieur et du tourisme.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. - Je vous remercie de votre invitation. C'est toujours avec bonheur que je reviens au Sénat, où j'ai eu naguère l'honneur de travailler. J'ai toujours plaidé, lorsque j'étais député, en faveur d'un Parlement fort, et le même souci continue de m'animer depuis que je suis au Gouvernement.
Après avoir fait le point sur l'état des négociations commerciales internationales, je m'attacherai à vous résumer la situation de notre commerce extérieur et les priorités du Gouvernement en la matière, sans oublier d'évoquer le tourisme. Enfin, même si j'ai conscience que le troisième volet de mon portefeuille, qui concerne les Français de l'étranger, n'est pas au coeur de notre rencontre d'aujourd'hui, je suis tout prêt à répondre à vos questions sur ce point, sachant combien leur rôle est important, y compris pour notre commerce extérieur.
Alors que les négociations commerciales internationales menées dans un cadre multilatéral, en particulier sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), s'essoufflent, un transfert s'est opéré, ces dernières années, vers un cadre bilatéral de négociations, conduites, pour ce qui nous concerne, par l'Union européenne, et qui viennent se juxtaposer les unes aux autres.
S'agissant, en premier lieu, de l'accord entre l'Union européenne et le Canada, la fin des négociations a été officiellement proclamée lors du dernier sommet, et nous entrons dans une phase de toilettage juridique et de traduction de l'accord dans toutes les langues de l'Union européenne, à la suite de quoi viendra le temps de la ratification, selon les procédures spécifiques à chaque État membre.
Quelle est l'appréciation de la France sur le résultat des négociations ? En mettant de côté la question du mécanisme de l'arbitrage, nous estimons que sur le fond, il s'agit d'un bon accord, qui fait significativement progresser nos intérêts offensifs. Je pense à l'ouverture des marchés publics canadiens, à tous les niveaux - national, provincial, local -, qui profitera aux quelques 10 000 entreprises françaises qui exportent vers ce pays, parmi lesquelles 80 % de PME. Le deuxième motif de satisfaction concerne la protection de nos indications géographiques. Je sais que vous y êtes très attentifs, parce que nos produits de terroir sont concernés. Ce ne sont pas moins de 42 indications géographiques qui, au-delà de celles sur les vins et spiritueux déjà reconnues en 2004, sont entrées dans le champ de l'accord.
Reste la question complexe du mécanisme d'arbitrage entre les investisseurs et les États. Vous connaissez les principaux termes du débat : il porte sur le caractère de ces juridictions, sur le respect des principes fondamentaux tels que l'indépendance et l'impartialité de la justice, ainsi que sur le droit des États à édicter des normes, à les faire appliquer, et à faire respecter les choix collectifs qui sont les siens. La France a émis des réserves sur le mécanisme envisagé et une consultation européenne est en cours : elle a donné lieu à 150 000 contributions, dont 10 000 émanant de notre pays.
Enfin, selon notre analyse, partagée par l'ensemble des États membres, il s'agit d'un accord mixte, qui suppose à la fois une ratification européenne et nationale. Ce sont donc les parlements nationaux qui auront le dernier mot.
En ce qui concerne, en second lieu, l'accord en cours de négociation avec les États-Unis, l'année 2014 - marquée par la fin de mandat de la Commission européenne et les élections de mi-mandat aux États-Unis - n'aura pas permis d'avancée significative, même si les rencontres se sont poursuivies. La France se réjouit de la transparence enfin obtenue sur le mandat de négociation, et sa publication, en octobre, doit beaucoup à l'action successive de Nicole Bricq et de Fleur Pellerin, que j'ai à mon tour relayée. J'estime que les citoyens ont le droit d'être informés et suis donc très attaché à la transparence sur ces négociations commerciales. C'est là un sujet neuf, sur lequel tout reste à construire, et c'est pourquoi nous nous attelons à élaborer un agenda de la transparence. Vous faites partie, monsieur le Président, du Comité de suivi stratégique, qui s'est réuni il y a quelques semaines. Ce comité, auquel participent à la fois les parlementaires et, ainsi que je l'ai souhaité, des représentants de la société civile, doit être un lieu de débat où tous les sujets sont mis sur la table.
Je précise que là encore - et c'est là encore une analyse convergente des États membres - nous sommes en présence d'un accord mixte, ce qui signifie que les parlementaires auront le dernier mot, une fois qu'il aura été finalisé - et nous en sommes encore loin, l'horizon se situant, à mon sens, au-delà de l'année 2015.
J'en viens aux difficultés que connaît, depuis une décennie, notre commerce extérieur et aux priorités qu'elles appellent. Nous soulignons la nécessité d'une approche extrêmement volontariste, et en tout premier lieu dans l'ordre des politiques économiques internes. C'est pourquoi le Gouvernement a engagé un grand chantier de réformes structurelles en faveur de la compétitivité et de l'attractivité de notre pays. C'est la condition absolue pour améliorer les performances de notre commerce extérieur. Voyez l'Allemagne : si elle est performante à l'export, c'est avant tout parce que son tissu économique est robuste, innovant, et pugnace dans la conquête de nouveaux marchés.
Viennent ensuite les actions qui relèvent spécifiquement du secrétariat d'État au Commerce extérieur, désormais placé auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international. Notre premier objectif est de rationnaliser un dispositif devenu peu lisible, en particulier pour nos PME, parce que trop d'acteurs interviennent. Nous finalisons la réforme d'UbiFrance et de l'Agence française des investissements internationaux (AFII), engagée par mes prédécesseurs. La fusion des deux entités en une nouvelle agence, dont le nouveau nom sera bientôt choisi, sera effective au 1er janvier 2015. Cette fusion doit nous faire gagner en efficience. J'ajoute que d'autres opérateurs ont vocation à rejoindre le dispositif. Je pense à la Sopexa, dont j'ai récemment rencontré les responsables. Une mission de l'Inspection générale des finances est en cours pour rechercher les voies et moyens de la simplification dans les domaines agricole et agro-alimentaire. D'autres acteurs pourraient également s'associer au dispositif. Je pense aux chambres de commerce et d'industrie, dont je rencontre régulièrement les responsables. Il s'agit, en somme, d'aider nos petites et moyennes entreprises à se consacrer pleinement à leurs projets au lieu de perdre leur temps à rechercher le bon interlocuteur.
J'ajoute que les régions, pilotes en matière de développement économique, ont, dans ce dispositif, un rôle fondamental à jouer au bénéfice de notre politique à l'export. Coordonner les intervenants, voilà ce qui importe. Je pense aussi aux conseillers au commerce extérieur de la France, très impliqués sur le terrain, et également au volontariat international en entreprise (VIE). Il s'agit d'un dispositif très innovant, et qui fonctionne bien - plus de 50 000 jeunes sont passés par là, et leurs taux d'insertion dans l'emploi à la sortie font rêver...
Deuxième axe de notre action : faire de nos PME une priorité. Nous souffrons, en ce domaine, d'une faiblesse structurelle. La France compte deux fois moins de PME exportatrices que l'Italie, quatre fois moins que l'Allemagne, et nos PME peinent à exporter dans la durée. J'ajoute que notre dispositif à l'export est extrêmement concentré : 1% des exportateurs réalisent 70 % des exportations. Il faut agir, et c'est là un constat que l'on peut me semble-t-il partager, quelles que soient nos sensibilités politiques. La force de l'Allemagne vient de son fameux Mittelstand, de ses PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices, innovantes, conquérantes sur tous les marchés, et en particulier en Asie. Je me suis rendu en Chine il y a quelques semaines, aux côtés du président Raffarin, qui a monté un forum PME à Chengdu. Nous y conduisions une délégation de quelque 350 PME, qui ont pu prendre plus de 5 000 contacts directs avec des entreprises chinoises. De telles initiatives, qui aident nos entreprises à s'ouvrir des portes, méritent d'être encouragées. N'oublions pas que nos PME créent des emplois non délocalisables. Pour qu'elles puissent le faire partout en France, il faut qu'elles conquièrent de nouveaux marchés. Ce n'est pas simple, mais j'ai la conviction qu'en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs, sur les régions, sur les opérateurs à l'export, on peut bâtir des dispositifs robustes, concrets, simples, et qui fonctionnent dans la durée.
Il faudra adapter notre outil diplomatique à ces priorités. Laurent Fabius prend très à coeur cet enjeu de la diplomatie économique. La réunification de l'action économique extérieure de la France autour du ministère des affaires étrangères et de nos ambassadeurs suppose des redéploiements et une adaptation de notre réseau diplomatique aux priorités stratégiques, sectorielles, géographiques de la France, afin que notre réseau - le deuxième au monde - suive les évolutions et de nos communautés françaises à l'étranger, et des intérêts stratégiques de notre pays. C'est là une action d'intérêt général, que pilote Laurent Fabius, et qui suppose une réorganisation administrative et budgétaire, déjà engagée, afin que la présentation du budget soit en cohérence avec la manière nouvelle dont s'organise l'action de l'État.
J'en arrive au tourisme qui constitue une priorité fondamentale pour ce Gouvernement. Les recettes du tourisme mondial l'an dernier, d'après les chiffres de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), ont été de 873 milliards d'euros, en progression de 5 % par rapport à 2012. Alors que l'on recensait un milliard de touristes en 2012, ce flux devrait presque doubler d'ici à vingt ans. La France a accueilli l'an dernier, 84,7 millions de touristes, soit une augmentation de 2 % par rapport à 2012. C'est dire combien ce secteur économique est important pour notre pays. Plus de 2 millions d'emplois y sont directement ou indirectement liés. Le tourisme représente 7 % dans notre PIB et contribue de façon significative à notre balance commerciale, devant l'agro-alimentaire, les vins et spiritueux, les industries pharmaceutique et cosmétique.
Au cours des Assises du tourisme, qui se sont tenues le 19 juin dernier, des priorités ont été définies, avec l'ensemble des acteurs, autour de cinq axes, déclinés en 30 mesures. Il s'agit, tout d'abord, de hiérarchiser notre démarche de promotion internationale autour de quelques marques fortes, visibles, regroupées autour de cinq pôles d'excellence. Nous avons, avec Laurent Fabius, inauguré le premier de ces pôles il y a quelques jours, au Mont-Saint-Michel, autour des « savoir-faire », l'idée étant de réunir autour d'une même table les acteurs traditionnels du tourisme qui opèrent sur ce site extraordinaire et des entreprises qui veulent faire connaître des métiers, en organisant des visites de leur site - en l'occurrence Saint-James, fabricant de pulls marins, dont le PDG, M. Lesénécal, a été nommé fédérateur du pôle d'excellence, afin de diffuser ailleurs ces bonnes pratiques. La France recèle des savoir-faire extraordinaires, qu'il convient de valoriser.
Nous voulons également stimuler la politique d'hospitalité en travaillant sur les maillons du parcours touristique, pour supprimer tout ce qui peut ternir, dans l'accueil ou la qualité du service, l'expérience des voyageurs. Il nous faut aussi être davantage présents sur la scène numérique, et bâtir des sites internet unifiés, des applications accessibles depuis des téléphones mobiles, afin que la marque France soit lisible depuis l'étranger.
Enfin, le Gouvernement souhaite développer le tourisme au bénéfice des Français et ouvrir l'accès aux vacances au plus grand nombre, et nous appuyons, à cette fin, l'action que mène Carole Delga.
Le ministre est très impliqué sur ce vaste dossier. Il reste beaucoup à faire pour que notre pays s'insère mieux dans les flux touristiques mondiaux. Nous devons travailler sur des sujets très concrets, comme les dessertes aériennes, car bien des pays dont proviennent de nombreux touristes, comme la Chine, sont mal reliés à la France.
Il va de soi, enfin, que les Français de l'étranger ont un rôle déterminant à jouer, tant pour notre commerce extérieur qu'au bénéfice du tourisme. Formant une communauté de 2,5 millions de personnes, bien insérée dans la vie économique, sociale, éducative de leur pays de résidence, ils sont nos premiers ambassadeurs.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci de nous avoir brossé ce tableau très précis, qui vient compléter ce que nous avait exposé Laurent Fabius il y a quinze jours.
Que le portefeuille du commerce extérieur soit rattaché au ministère des affaires étrangères, tandis que les crédits qui se trouvent encore à Bercy y seront bientôt transférés, est une première. Chez nous comme dans bien d'autres pays, tel le Japon, avec son puissant MITI, c'est le rattachement au ministère des finances qui a longtemps prévalu. Bien que votre expérience en soit encore courte, peut-être percevez-vous déjà les avantages et les inconvénients de ce nouveau découpage ?
Lors de la discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, nous avons, à la faveur d'un amendement porté par Elisabeth Lamure, longuement débattu de la question du regroupement des opérateurs. Outre les opérateurs que vous avez cité, il ne faut pas oublier le rôle important que jouent les collectivités territoriales, et notamment les régions. Laurent Fabius a évoqué devant nous celui de la région Rhône-Alpes, mais toutes les régions n'ont-elles pas vocation à jouer un rôle à l'international ?
Vous avez également soulevé la question des PME et des ETI. Chacun ici peut témoigner qu'une entreprise qui cherche à se tourner vers l'international rencontre vite un problème de financement. La participation à un salon n'est guère qu'une étape initiale. Quelles solutions, ensuite pour « transformer l'essai »?
Laurent Fabius a indiqué que l'action extérieure de la France en faveur du commerce international devrait sans doute être recentrée sur certaines zones. On devine quelles peuvent être les priorités, hors Union européenne : l'Asie, l'Amérique du Nord... Pouvez-vous nous apporter quelques éclairages sur ce qui pourrait être entrepris ?
Il est désormais gravé dans le marbre que l'accord entre l'Union européenne et le Canada est un accord mixte, qui devra donc être ratifié par le Parlement français. Il est bon que les choses soient claires, car tel n'a pas toujours été le cas... Je me suis rendu en septembre, avec une délégation de notre commission, au Canada, où nous avons appris que le mandat donné là-bas était fédéral, et n'engageait pas les provinces. La situation est, au fond, analogue de ce côté de l'Atlantique, puisque l'accord passé par l'Union européenne devra être ratifié par les parlements nationaux. Il me semble important, si l'accord est signé, que les deux continents marchent d'un même pas.
Ce qui nous inquiète surtout, c'est l'accord avec les États-Unis. En particulier, on sent poindre une grande préoccupation chez les agriculteurs et dans le secteur de l'agro-alimentaire. Va-t-on vraiment vers un accord gagnant-gagnant ? Certains esprits informés sont aujourd'hui nuancés. On sait combien les États-Unis sont compétitifs dans certains secteurs, comme l'élevage. Il ne serait pas inutile, s'agissant du déficit de notre balance commerciale, de rappeler quel est le poids de l'énergie et, en regard, l'apport de l'agriculture et de l'agro-alimentaire.
Enfin, j'ai eu l'occasion de rappeler, lors de l'audition de Laurent Fabius, tout l'intérêt, pour le tourisme, de la procédure des contrats de destination, initiée il y a déjà un an et demi. Je réitère ma question : où en est-on pour le Perche ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Vous comprendrez que je manque encore de recul pour tirer un bilan du rattachement du portefeuille du commerce extérieur aux Affaires étrangères. Sur le plan des principes, cependant, il me semble cohérent de regrouper action extérieure de l'Etat et diplomatie économique autour d'un pôle, celui qui agit à l'extérieur. Avoir clairement conféré un rôle pivot à nos ambassadeurs donne une grande force à notre diplomatie économique. C'est autour de ces fédérateurs, de ces animateurs de réseau que les acteurs prendront ainsi leur place. Sous réserve que les crédits soient unifiés, comme cela devrait intervenir dans le courant de l'année prochaine, c'est une bonne décision, vouée à durer. Je constate d'ailleurs que les administrations jouent le jeu et souhaitent que cela fonctionne. J'en veux pour preuve la convention signée entre le Quai d'Orsay et la direction du Trésor. Chacun a conscience que la situation est trop grave pour se lancer dans des guerres administratives.
Je vous rejoins sur les régions, dont j'ai dit combien le rôle est central. Pour avoir été, jusqu'en 2012, vice-président de la région Aquitaine, en charge du développement économique, je considère que bien des compétences - politique économique, soutien à l'exportation - doivent reposer sur elles, parce qu'elles disposent de la masse critique pour agir dans la cohérence, en même temps que du lien avec le terrain.
J'approuve également vos propos sur les PME. Leur appréhension à l'export est liée, pour beaucoup, au financement. Si des problèmes juridiques ou d'impayés viennent s'ajouter à l'éloignement, à la barrière de la langue, cela peut être fatal pour elles. Il faut donc faire mieux connaître les garanties financières de la Coface, ou ce que peut leur apporter la Banque publique d'investissement (BPI), pour que les PME s'en saisissent.
S'agissant des priorités stratégiques par zone, il me semble préférable, plutôt que de raisonner sur des aires géographiques dans leur ensemble, de privilégier une approche fine, par pays. J'ai récemment proposé que soit élaboré, en lien avec les parlementaires et les acteurs de terrain, un document stratégique annuel, discuté devant le Parlement, afin d'identifier des priorités et de se donner une feuille de route dans la durée.
C'est l'analyse convergente des États membres et du Conseil de l'Union européenne que de reconnaître un caractère mixte aux accords transatlantiques en cours de négociation avec le Canada et les Etats-Unis. J'ai demandé qu'une expertise juridique sur ce point soit prochainement rendue publique. Je partage votre analyse sur le lien entre les deux accords. Si les négociations avec le Canada sont si sensibles, c'est parce que le traité transatlantique avec les États-Unis va suivre, et celui-ci concernera, sur un immense marché, 800 millions de citoyens. Connaissant la force de frappe des entreprises américaines, on peut effectivement craindre pour nos préférences collectives - alimentaires, sociales, environnementales et le Gouvernement y est tout particulièrement attentif.
S'agissant de notre balance commerciale, son déficit dépasse, en 2013, 61 milliards d'euros, dont 13 milliards hors énergie. Les chiffres les plus récents - ceux du premier semestre 2014 - font apparaître un déficit de 29 milliards, dont 8,9 milliards hors énergie et matériels militaires. Et c'est là une tendance lourde. Les secteurs agricole et agro-alimentaire comptent parmi nos principaux excédents, après l'aéronautique qui demeure un secteur stratégique, avec sa sous-traitance. Viennent ensuite les secteurs pharmaceutique, cosmétique, la chimie et les industries du luxe - où interviennent aussi de petites entreprises artisanales. Tels sont les secteurs qui tirent notre commerce extérieur et dont je relève qu'ils se portent également mieux que d'autres à l'intérieur de nos frontières, preuve qu'il est vain d'opposer compétitivité externe et interne.
Les contrats de destination, sur lesquels vous m'interrogez, seront bientôt rendus publics. Une dizaine seront retenus, mais ceux qui ne le seront pas dans cette première vague feront l'objet d'un examen très attentif, afin qu'ils puissent être perfectionnés au cours de l'année 2015. Je sais que dans le Perche, beaucoup d'actions sont engagées, notamment autour du « slow tourism ». Nous y seront très attentifs.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le slow évoque la tortue et la lenteur, mais vous connaissez la fable...
Mme Élisabeth Lamure. - Je reviens sur la fusion entre UbiFrance et l'AFII. Je partage votre constat sur la multiplicité des intervenants, au nombre d'une cinquantaine, et c'est bien pourquoi il serait bon d'aller plus loin que cette seule fusion, en encourageant le regroupement d'un certain nombre d'acteurs, afin de donner à nos entreprises des repères lisibles.
Un mot sur les dotations budgétaires. Les deux entités ont bénéficié, en 2014, de 111 millions d'euros. Elles en recevront 108,8 en 2015. Les 5 millions que le Gouvernement doit accorder à UbiFrance pour accompagner la fusion en font-ils partie ? Quelle appréciation portez-vous sur cette diminution des crédits à l'heure où les entreprises ont plus que jamais besoin de soutien, au profit de notre économie ?
J'ajoute que les principaux bénéficiaires du CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ne sont pas les entreprises les plus exportatrices. Ne pourrait-on imaginer un rééquilibrage du dispositif puisque je rappelle que parmi les grands bénéficiaires de ce crédit d'impôt figurent les entreprises de la grande distribution, ou La Poste, qui a reçu 300 millions en 2013 ?
Pour aider les PME, il n'est certes pas inutile de se rendre en Chine sur un salon, mais on constate bien souvent que l'accompagnement, ensuite, fait défaut. Les PME qui veulent exporter doivent réaliser d'importants investissements, et quand les financements manquent, elles se découragent. On sait, en revanche, que lorsqu'elles s'adossent à un grand groupe, cela fonctionne mieux. Comment faciliter de tels parrainages ?
M. Martial Bourquin. - Je remercie le ministre de son intéressant plaidoyer. Si la question de l'export est directement liée à la qualité de notre industrie - sa compétitivité, sa capacité à monter en gamme, il nous faut aussi, et au-delà, surmonter un problème culturel : les Français ne sont pas suffisamment exportateurs dans l'âme. En Italie, il est naturel, même pour les TPE, d'exporter ; pas chez nous. Certes, la fusion d'UbiFrance et de l'AFII facilitera l'accompagnement, mais beaucoup dépend aussi de la qualité de notre industrie et de sa volonté de rayonner dans le monde.
Par ailleurs, l'absence de transparence dans la négociation du traité de libre échange transatlantique, le TAFTA, m'a stupéfié. Alors que les économies européennes sont directement intéressées, nous sommes restés, pendant un an et demi, sans information. Je salue donc vos efforts, et ceux de vos prédécesseurs, dont Nicole Bricq, ainsi que ceux de nos amis italiens, pour obtenir la transparence.
Je suis très inquiet de ce qu'on peut lire sur les tribunaux d'arbitrage. La Commission européenne a relevé de nombreux abus. Que de tels tribunaux puissent être chargés de trancher chaque fois que des entreprises américaines soulèveront un problème n'est pas pour rassurer. Notre modèle social européen est une admirable conquête, chacun le reconnaît. Comment ne pas craindre pour lui quand on sait que ces tribunaux, partout où ils ont sévi, ont presque toujours tranché en faveur des multinationales américaines. De deux choses l'une, soit on traite à part cette question de la négociation, ce que les Américains ne veulent pas, soit il nous faudra vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. J'estime que sur ce sujet, il ne faut pas hésiter à engager un bras de fer. J'ai cru comprendre, également, que les services publics de l'éducation et de la santé figuraient toujours dans la négociation. Le confirmez-vous ? Compte tenu des répercussions énormes de ce traité, le Parlement doit se saisir de ces questions.
M. Alain Chatillon. - Je suis moi aussi très inquiet sur ces négociations. Prenons l'exemple de l'agriculture. Nous devons au Gouvernement de Mme Thatcher de payer, depuis 1984, plus de 4,6 milliards d'euros aux Britanniques. Cela fait 30 ans qu'on les aide ainsi à faire rentrer sur le marché européen des produits alimentaire du Commonwealth, à des prix très compétitifs puisqu'ils ne payent pas un centime à l'Europe. J'irai encore plus loin : en ce qui concerne les protéines végétales, alors que nous étions autosuffisants à 70 % jusqu'il y a une vingtaine d'années, nous ne le sommes plus qu'à 30 %. Le reste, 70 %, ce sont des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui arrivent tous les jours dans nos ports, en provenance d'Amérique du sud et du nord. La raison en est qu'en France, on n'a pas le droit de produire d'OGM. Combien de temps opprimera-t-on ainsi nos agriculteurs, qui étaient 2,2 millions en 1980 et ne sont plus aujourd'hui que 450 000, c'est à dire cinq fois moins ? Je suis consterné de voir que l'on continue de défendre l'Angleterre, allié des États-Unis, et que nous ne sommes pas capables de faire respecter nos frontières, alors que dans le même temps, nos produits sont brimés Outre-Atlantique - je pense, en particulier, à ce qu'il est arrivé au foie gras. Alors qu'il faut être plus que jamais vigilants, nous ne sommes pas au courant de ce qui se négocie.
Sur la compétitivité des entreprises, bien des rapports ont été produits, parmi lesquels celui de la mission d'information du Sénat sur la désindustrialisation des territoires, présidée par Martial Bourquin et dont je fus le rapporteur. Nous avions fait des propositions, mais n'avons pas été entendus. Je le regrette.
Vous avez évoqué l'excellence des pôles de compétitivité. Vous savez combien je m'y suis impliqué, dans votre région et dans la mienne. Or, je viens d'apprendre, par mon successeur, que l'État allait réduire son aide. On ne peut pas dire une chose et son contraire. Ces 70 pôles, créés à la demande du Gouvernement, vont être doublement pénalisés : d'un côté les régions disent qu'elles vont réduire la voilure parce qu'elles reçoivent moins d'aide de l'État, de l'autre, l'État lui-même les abandonne peu à peu.
Un mot, enfin, de la Coface. Quand on voit l'aide que reçoivent les pays du sud-est asiatique ou l'accompagnement que l'Allemagne assure à ses entreprises, on a du mal à admettre que la Coface réduise ses soutiens. Or, et je parle en tant qu'industriel, il devient très difficile d'obtenir des crédits sur certains pays, y compris voisins, comme l'Espagne.
Vous avez évoqué un éventuel rapprochement entre UbiFrance et la Sopexa. Il est grand temps de trancher, sans attendre le résultat d'improbables études ! A cause de querelles qui opposent les deux structures depuis des années, les personnels ne travaillent pas assez ensemble. Il est temps de faire jouer les synergies. Songez, encore une fois, à ce que fait le MITI japonais pour ses entreprises, à l'accompagnement que les Allemands offrent aux leurs, au travers de leurs ambassades. C'est une bonne initiative que d'avoir rapproché le Commerce extérieur des Affaires étrangères, mais il faut maintenant la concrétiser ! Tournez-vous vers les opérateurs, plutôt que de faire travailler des énarques sans doute très compétents, mais auxquels manque l'expérience industrielle. Prenez l'avis de ceux qui ont fait, et pas seulement de ceux qui ont lu ! Ce n'est d'ailleurs pas une critique que j'adresse à ce seul Gouvernement.
Un mot, pour terminer. J'assistais à un congrès des notaires, samedi, dans ma région...
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pas besoin d'être grand clerc pour deviner quel en était le sujet...
M. Alain Chatillon. - ...et j'ai eu la surprise d'apprendre qu'il avait été décidé de prolonger l'augmentation de 0,70 % des droits de mutation. Arrêtons donc de taxer ! Et simplifions les procédures. Un patron de TPE, qui doit être en relation avec pas moins de 38 organismes, consacre 35 % de son temps à répondre à l'administration. Nous avons proposé depuis des mois, avec Eric Doligé, qu'une box soit créée où les entreprises pourraient transférer toutes les informations qu'on leur demande. Cela nous est refusé ! Il est temps de changer de braquet, et de passer à la vitesse supérieure, car je peux vous dire que les Allemands ne nous attendent pas pour avancer.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pour prolonger ce qu'a dit Martial Bourquin sur la transparence, peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus, monsieur le ministre, sur le comité de suivi stratégique auquel participent des parlementaires, dont je suis.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Je partage, sur cette question, le constat de Martial Bourquin. On ne peut plus admettre que les négociations commerciales restent opaques ; il faut bâtir un agenda concret en vue de la transparence. Nicole Bricq y a beaucoup travaillé ; c'est elle qui avait mis en place le comité de suivi stratégique, pour rendre compte régulièrement aux parlementaires. Dans le prolongement de son action, j'ai voulu que ce comité accueille officiellement des représentants de la société civile - associations, syndicats, fédérations professionnelles - réunies dans un collège distinct de celui des parlementaires. Dès lors qu'il vous reviendra de vous prononcer en dernière instance, il est normal que vous soyez informés en temps réel, et je suis prêt à venir devant vous chaque fois que vous le souhaiterez, en particulier en amont des conseils européens.
Nous entendons faire de ce comité de suivi stratégique un lieu de travail, où tous les sujets de préoccupation pourront être mis à l'ordre du jour. Nous rendrons également davantage d'informations publiques sur les pages internet du Quai d'Orsay. Le Gouvernement français a été le premier à demander la transparence sur le mandat de négociation, et la présidence italienne de l'Union européenne en a fait une priorité. Ce ne fut pas simple, il a fallu beaucoup insister pour que l'on finisse par avancer. Mais la publication officielle des termes de ce mandat n'est, pour moi, qu'un début ; il faut aller beaucoup plus loin. Le chantier est immense. Il faut contraindre tous ceux qui négocient à mettre l'information sur la table. La France ne peut être seule à le faire, ce ne serait pas rendre service au pays. C'est pourquoi le Gouvernement est animé d'une détermination absolue pour avancer avec tous ses partenaires, en Europe et dans le monde. C'est là un vrai chantier pour le XXIème siècle : un travail d'appropriation, par les citoyens, du débat démocratique.
S'agissant de la fusion entre UbiFrance et l'AFII, je partage, Elisabeth Lamure, votre constat. Il faut aller plus loin, et c'est ce que nous entendons faire avec la Sopexa. Nous attendons les conclusions de la mission en cours pour disposer d'un diagnostic précis. Nous avons tous constaté combien les préoccupations des entreprises sont avant tout concrètes. La fusion des deux entités constitue une étape importante dans la réponse que nous entendons leur apporter. Afin de l'accompagner, 5 millions seront nécessaires, qui n'étaient pas prévus dans la version initiale du projet de loi de finances. Il faudra les dégager courant 2015. Une telle dépense n'a rien d'anormal : toute fusion a d'abord un coût, avant de dégager, à terme, des économies, ainsi que j'ai pu le constater lorsque j'ai eu à engager, auprès d'Alain Rousset, celle des agences de développement économique de la région Aquitaine.
Sur le CICE, je suis prêt à regarder de près si l'on peut mieux faire pour l'export, mais la position du Gouvernement est claire : priorité est donnée à la stabilité du dispositif.
Je vous rejoins sur les PME. L'accompagnement compte beaucoup, et il peut leur être très utile de s'adosser aux grands groupes. Cela passe par une meilleure structuration des filières, afin que les sous-traitants aient une relation plus étroite et plus prévisible avec leurs donneurs d'ordres.
M. Alain Chatillon. - C'est précisément le rôle des pôles de compétitivité.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - C'est leur rôle en effet, et beaucoup y travaillent. Il y a eu des avancées, mais on peut encore mieux faire.
Martial Bourquin connaît parfaitement bien les problématiques industrielles de notre pays. Il sait que les performances à l'export sont directement liées à la situation de notre industrie. D'où la nécessité de mener les réformes en cours et d'être ambitieux dans l'identification des filières d'excellence. Je fais mienne la stratégie engagée par Nicole Bricq, déployée autour de grandes familles à l'export - tourisme, urbanisme, santé...
Les services publics sont officiellement exclus du mandat de négociation sur le TAFTA. Quant aux tribunaux d'arbitrage, la France n'a pas été demandeuse et ils ont été inclus au mandat avant que ce Gouvernement n'arrive aux affaires - mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui importe, c'est de préserver le droit des Etats à édicter des normes et à en assurer l'application, le principe de l'indépendance et de l'impartialité de la justice ainsi que la capacité des peuples à faire valoir leurs préférences collectives. Nous ne voulons pas manger du poulet chloré ou du boeuf aux hormones et souhaitons continuer à produire et à consommer nos produits de terroir. Le Gouvernement est très offensif sur ce point.
Il est normal, Alain Chatillon, qu'un effort budgétaire soit demandé aux pôles de compétitivité, comme on le demande à tous les opérateurs de l'État.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de rationaliser notre dispositif d'aide à l'export, mais je souhaite rendre hommage à ceux qui y travaillent. Les équipes font de leur mieux, en France et à l'étranger, pour aider les entreprises. Ce qui reste difficile, pour nos PME, c'est d'identifier la bonne porte d'entrée.
M. Alain Chatillon. - Vous ne m'avez pas répondu sur la Coface, outil déterminant à l'export.
Par ailleurs, depuis dix-huit ans, les industriels, dont je suis, militent pour pouvoir embaucher en alternance, à l'étranger, des jeunes issus des écoles de commerce. Ce serait plus efficace et moins cher.
Je vous rappelle enfin, s'agissant des pôles de compétitivité, que l'aide de l'État à celui consacré à l'agro-alimentaire, qui rayonne dans votre région qui est aussi la mienne, et que je connais bien pour l'avoir présidé sept ans durant, s'élève en tout et pour tout à 80 000 euros. Qu'on ne nous dise pas qu'il faut encore faire des économies, alors que ce pôle aide 350 entreprises de l'agro-alimentaire, qui représentent, avec les agriculteurs de nos deux régions, 200 000 emplois. Ce serait une ânerie !
M. Yannick Vaugrenard. - Monsieur le Ministre, merci, de vos précisions sur l'accord entre l'Union européenne et le Canada. Disposer d'une information complète est essentiel, tant aux parlementaires qu'à l'opinion publique. Qu'un manque d'information, attisé par la crainte de l'avenir conduise le pays à un repli sur soi serait dramatique. De ce point de vue, l'élargissement du comité de suivi stratégique est une excellente initiative. Il nous sera également utile d'avoir avec vous des points d'étape, ne serait-ce que pour prévenir des inquiétudes nées d'un simple manque d'information.
Je rappelle que les mille plus gros exportateurs réalisent à eux seuls plus de 70 % des ventes à l'international. Ces mille exportateurs représentent 1 % des entreprises exportatrices, tandis près de 90 % des exportateurs sont des PME, et ne comptent que pour 14 % des exportations. Tout est dit. Nos PME peinent à atteindre la dimension d'entreprises de taille intermédiaire, d'où l'impérieuse nécessité de simplifier, et de parer aux effets de seuil. Ne pensez-vous pas qu'il serait bon que les partenaires sociaux s'emparent du sujet, afin de mettre les choses à plat ?
Certaines collectivités, départements ou régions, sont actives à l'international, mais agissent en ordre dispersé. Quand on se tourne vers un pays comme la Chine, qui nous regarde, et a fortiori à l'échelle régionale, comme des nains, mieux vaut, comme on dit, « chasser en meute » : il serait donc utile que les régions - je pense au grand ouest, mais aussi à d'autres ensembles - se regroupent pour s'adresser aux décideurs étrangers.
Développer le tourisme, c'est aussi développer le tourisme industriel et je pense notamment à la construction navale. Les chantiers de Nantes-Saint-Nazaire sont en train de construire le plus grand paquebot au monde : le tourisme industriel y connait un succès remarquable, et il en va de même pour l'agro-alimentaire.
M. Bruno Sido. - Le rattachement du Commerce extérieur aux Affaires étrangères est une très bonne chose. M. Fabius semble d'ailleurs très impliqué sur le tourisme, ce qui est de nature à faire bouger les lignes.
Cependant, je me demande si nos ambassadeurs, restés jusqu'à présent très éloignés de ce qu'ils considèrent peut-être encore parfois comme de simples contingences, sont assez mobilisés autour du commerce extérieur.
Le commerce extérieur doit aussi s'appuyer, avez-vous dit, sur les régions. La réforme territoriale, qui les agrandit, est-elle propre à répondre à ce voeu ? Combien de temps mettront-elles à s'adapter à leur nouvelle taille ? Arriveront-elles à suivre ?
Vous comptez sur les effets des réformes structurelles engagées en faveur de la compétitivité. Quelles sont celles qui sont spécifiques au commerce extérieur ?
Alors que l'agriculture française a longtemps occupé le premier rang en Europe, les Allemands nous ont désormais dépassés pour le chiffre d'affaires à l'export. Alors que les mêmes règles s'appliquent à nos deux pays, comment expliquer que la France ait ainsi rétrogradé ?
Dernière question, enfin : livrerons-nous les Mistral aux Russes ?
M. Gérard César. - Je tiens à souligner le rôle exemplaire que joue UbiFrance. Pourquoi changer son nom ? Je sais bien que le changement d'appellation est aujourd'hui une mode, y compris en politique, mais enfin... Comme vous l'avez souligné, le rôle d'UbiFrance sera de fédérer les acteurs - régions, départements, chambres de commerce et d'industrie, chambres d'agriculture. N'oublions pas le volontariat international en entreprise, qui mérite d'être soutenu à bien des titres.
Enfin, on a besoin, en matière de diplomatie économique, d'un chef de file et Laurent Fabius nous a indiqué qu'il entendait fédérer les missions économiques autour des ambassadeurs. Pourquoi pas... à condition qu'ils sachent évoluer et je reconnais que certains ont déjà su le faire, je tiens à le souligner.
M. Henri Tandonnet. - Je reviens sur la négociation en cours avec les États-Unis. Le mandat de négociation de l'Union européenne a été publié, et les États membres s'accordent à voir dans le futur traité un accord mixte. Fort bien. Mais au-delà, quels mécanismes permettent au Gouvernement français de suivre les négociations ? Comment le ministère de l'agriculture, par exemple, peut-il s'assurer que la négociation préserve les intérêts de nos agriculteurs ?
Le débat sur le mécanisme d'arbitrage traduit une lutte d'influence entre deux approches du droit, d'un côté, celle du système anglo-saxon, qui inspire ces tribunaux, et de l'autre côté, la tradition latine, que nous partageons avec nos amis allemands, davantage appuyée sur le droit écrit. Beaucoup dépendra de l'issue de ce combat. Le parallèle est sans doute osé, mais je m'étonne, du même coup, que le Gouvernement entreprenne de remettre en cause le statut des notaires, des géomètres, au moment même où de nombreux pays, comme la Chine, commencent à s'intéresser à ce système de professions réglementées, pour la sécurité juridique qu'elles apportent, notamment en matière de transactions immobilières.
M. Michel Le Scouarnec. - Sur le terrain, les petits producteurs nous ont tous exprimé leurs inquiétudes face aux négociations en cours. Et l'on peut craindre, de fait, que les multinationales n'en sortent grandes gagnantes. On nous assure que le traité devra être ratifié par le Parlement : mais lorsque le « paquet » nous arrivera, il sera sans nul doute bien ficelé et pourra-t-on encore changer la donne ?
A-t-on songé qu'avec ce traité, on va voir des produits de toutes sortes franchir des milliers de kilomètres ? Que restera-t-il du développement durable, de l'objectif de réduction de la consommation d'énergie et de l'émission de gaz à effet de serre ? Il y a là un paradoxe. (M. Alain Chatillon approuve). Les services publics, nous dites-vous, sont exclus de la négociation. Mais cet accord aura des effets si puissants que l'on peut se demander s'ils seront longtemps protégés...
M. Franck Montaugé. - Je veux ici porter la voix des territoires ruraux. Si je souscris à vos orientations stratégiques en matière de tourisme, j'attire néanmoins l'attention sur les pôles d'excellence dont vous avez parlé, en citant l'exemple de celui qui s'est constitué autour du Mont-Saint-Michel. Il serait bon, à mon sens, de mener de telles démarches à vaste échelle, peut-être celle des régions, afin d'associer l'ensemble des acteurs de terrain, depuis la métropole jusqu'aux territoires ruraux, depuis les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration jusqu'aux coopératives de l'agro-alimentaire de nos zones rurales. Est-ce la méthode que vous entendez retenir ? Il serait regrettable qu'un tel dispositif ne fonctionne qu'autour de quelques acteurs, sur des périmètres réduits.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Oui, Alain Chatillon, il faut faire connaître les possibilités qu'offre la Coface, mais aussi coordonner l'action des opérateurs sur le terrain. Nous entendons y parvenir en faisant travailler les équipes de la Coface et celles d'UbiFrance, sur le terrain, main dans la main. Ce sera le rôle des chargés d'affaires internationaux, une quarantaine sur l'ensemble du territoire, que d'offrir ce guichet unique vers la couverture assurantielle, les financements, le conseil à l'export.
M. Alain Chatillon. - Quand seront-ils en place ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Début 2015.
M. Alain Chatillon. - Et entretemps ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - On ne part pas de rien ! Nous essayons simplement de lever des difficultés.
M. Alain Chatillon. - La Coface fonctionnait très bien il y a dix ans. Aujourd'hui, les PME se retrouvent face à un mur, alors qu'elles ont à résoudre des problèmes que ne connaissent pas les grandes entreprises.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Nous sommes d'accord, d'où nos efforts pour lever les obstacles. Si vous songez à des difficultés spécifiques, je suis prêt à examiner avec mes services tous les dossiers dont je serai saisi.
J'approuve les propos de Yannick Vaugrenard : il faut « chasser en meute », repérer les entreprises pour les réunir autour de la région, et emmener les PME dans le sillage des grands groupes, qui ont l'expérience de l'international et peuvent leur ouvrir des portes. C'est ce à quoi je veille dans tous mes déplacements officiels. En Chine, un dirigeant de PME m'a dit que cela lui avait fait gagner deux ans.
Vous avez évoqué la question des seuils. Nous devons, en effet, aider nos entreprises à croître, nos PME à devenir des ETI. On y parviendra aussi en renforçant la participation des salariés à tous les niveaux, et en les associant aux décisions stratégiques. Cela fonctionne très bien dans d'autres pays. Le ministre du travail s'est attelé à la tâche, en lien avec les partenaires sociaux. C'est en s'y prenant ainsi que l'on règlera le problème des seuils.
En matière de tourisme industriel et de patrimoine industriel, il y a des choses magnifiques à faire, qui permettront d'irriguer tout le pays plutôt que de laisser l'activité se concentrer dans quelques sites prestigieux. En matière de tourisme rural aussi. Telle est l'idée des pôles d'excellence : identifier, dans les territoires, ceux qui ont des compétences, pour que les recettes qui marchent puissent être transposées ailleurs.
Laurent Fabius, ainsi que vous l'avez souligné, Bruno Sido, prend le sujet du tourisme très à coeur. La diplomatie française est susceptible de faire bouger les lignes dans bien des domaines. N'oublions jamais que la France est l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu, et qu'elle mène, dans le monde, une action diplomatique importante et attendue. Beaucoup de nos ambassadeurs sont totalement mobilisés autour de la diplomatie économique. Ils connaissent bien le tissu économique du pays dans lequel ils sont en poste, et vont à l'offensive pour débusquer les opportunités.
L'un des objectifs de la réforme territoriale est bien de consolider les régions, pour qu'elles atteignent la taille critique nécessaire pour peser, y compris dans la compétition européenne.
C'est l'ensemble des réformes structurelles conduites par ce Gouvernement en faveur de la compétitivité économique qui renforce notre commerce extérieur. S'il en est une qui soit spécifique à mon portefeuille, c'est sans doute la priorité donnée aux PME.
Notre agriculture n'a pas rétrogradé, elle est parmi les plus performantes du monde. Elle est innovante et dégage des excédents commerciaux. L'Allemagne est devant nous ? Mais elle l'est dans bien des domaines économiques. Il est bon de prendre exemple sur ce qui fonctionne bien outre-Rhin - les PME, l'innovation - sans en faire béatement un modèle en tout. Il y a aussi beaucoup de choses, en Allemagne, qui ne fonctionnent pas si bien que cela.
Le Président de la République a indiqué qu'il prendrait sa décision sur les Mistral entre fin novembre et début décembre, en tenant compte de la réalité des contrats et notamment de la soumission ou non des cocontractants à sanction.
Nous changeons le nom d'UbiFrance, Gérard César, parce que nous changeons l'opérateur. Ce nouvel opérateur aura vocation à s'occuper de l'export et des investissements ; ce sera un nouvel outil, doté de nouvelles missions. Je partage votre constat sur le VIE, qui favorise le multilinguisme et salue, comme vous, l'action souvent remarquable de nos ambassadeurs en matière économique.
Vous avez raison de souligner, Henri Tandonnet, la lutte d'influence qui se joue entre le droit anglo-saxon et le droit d'inspiration latine. C'est un grand combat dans le monde d'aujourd'hui. Il est vrai que l'arbitrage n'est pas dans la tradition latine. Je vous laisse, en revanche, la responsabilité du parallèle que vous établissez avec le débat sur les professions réglementées.
Sur la négociation, menée par la Commission européenne, tous nos services sont mobilisés. Nos ambassadeurs à Bruxelles la suivent pas à pas dans le cadre du Comité des représentants permanents, le Coreper. La direction du Trésor et toutes les directions concernées dans les différents ministères entretiennent des échanges permanents sur les questions qui relèvent de leur compétence. C'est aussi le cas des représentants du Gouvernement. Je rencontre régulièrement, quant à moi, mes homologues européens, et je m'entretiendrai prochainement avec la commissaire au commerce, Cécilia Malmström.
Je crois, Franck Montaugé, avoir répondu à votre question sur le tourisme. Quant à la négociation sur le TAFTA, soyez assuré que nous restons attentifs, tant sur le sujet des services publics, exclus du mandat, mais auquel nous veillons, qu'en matière de santé, d'environnement et d'alimentation, afin de faire prévaloir nos choix. Je suis totalement ouvert au débat. Il y a des craintes que je partage, d'autres que je ne partage pas. Ce qui importe, à mon sens, c'est de lever les craintes infondées et de nous mobiliser autour celles qui sont fondées, en bâtissant avec nos partenaires européens des positions communes.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie de ces éclairages. Il me semble utile de prévoir, ainsi que vous nous l'avez proposé, des rencontres privilégiées à la veille des grands rendez-vous européens.
La réunion est levée à 11h50.
Loi de finances pour 2015 - Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique
La commission auditionne Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique.
La réunion est ouverte à 15h45
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Madame la Ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir. Vous venez d'être auditionnée par nos collègues de la commission du développement durable, principalement sur les problématiques d'aménagement numérique du territoire ; il sera ici question du projet de loi de finances pour 2015 et de la stratégie numérique du Gouvernement.
Le secteur français des télécoms fait l'objet d'une importante restructuration en ce moment. Ce mouvement de concentration va-t-il selon vous se poursuivre ? Pensez-vous que nos opérateurs soient potentiellement des cibles pour de grands groupes internationaux ?
Le cadre national n'est plus pertinent aujourd'hui pour réguler les géants mondiaux de l'Internet, qui interviennent depuis l'étranger. Cela est vrai en matière fiscale, mais aussi pour ce qui est du droit de la concurrence. Quelle est selon vous la stratégie que doit adopter l'Union européenne pour mieux intégrer des marchés numériques encore très nationaux, et favoriser l'émergence de « poids lourds » européens ? Il est important de souligner le nombre d'opérateurs en Europe par rapport à celui des États-Unis, par exemple, pour un marché de consommateurs similaire.
Enfin, vous nous donnerez peut-être des précisions sur le projet de loi numérique annoncé par le Gouvernement depuis près de deux ans ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - L'action économique menée à Bercy vise les start up et les jeunes entreprises innovantes d'une part, le reste du tissu économique - grands groupes, très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) - d'autre part.
S'agissant des start up, en premier lieu, j'ai annoncé cet après-midi le nom des métropoles s'étant vu attribuer la labellisation « French tech », qui favorise l'émergence d'écosystèmes au coeur de nos territoires. Jusqu'à présent, ces start up n'entraient pas dans le « radar » des décideurs publics, bien qu'elles soient agiles et innovantes. La French tech va permettre de les fédérer, de maintenir leur ancrage sur le territoire national, d'améliorer leur visibilité à l'international et de faire prendre conscience de « l'innovation ouverte » qu'elles permettent.
Plusieurs dispositifs vont être consolidés à leur profit : le statut de jeune entreprise innovante (JEI) ; le crédit d'impôt recherche (CIR), étendu au crédit d'impôt innovation (CII) ; le label « French tech » justement ... 215 millions d'euros d'investissement leur sont dédiés dans le projet de loi de finances pour 2015, à travers le programme d'investissements d'avenir (PIA) :
- 200 millions d'euros de fonds propres pour soutenir les accélérateurs, qui font l'objet d'un co-investissement de la Banque publique d'investissement (BPI) avec des fonds privés ;
- 15 millions d'euros consacrés à l'attractivité internationale du programme.
Le « French tech ticket », au sein de ce programme « attractivité », offre un visa, une bourse et un guichet administratif aux entrepreneurs étrangers talentueux pour mettre en oeuvre leurs idées sur notre territoire. La compétition internationale se joue aujourd'hui autant sur les dispositifs règlementaires, sociaux et fiscaux que sur l'attractivité des talents et des ressources humaines. C'est pourquoi il y aura un volet consacré à l'actionnariat salarié dans le projet de loi « croissance » préparé par mon collègue Emmanuel Macron à Bercy.
L'an II de la French tech, qui s'ouvre aujourd'hui, va être consacré à l'innovation ouverte chez les grands groupes. Je vais tenter de convaincre les patrons des entreprises du CAC 40 d'ouvrir leur structure aux start up, en finançant des projets, en ouvrant des débouchés commerciaux par la commande privée, en les incitant à placer des capitaux dans ces entreprises, en créant des incubateurs pour faire le lien avec les équipes de recherche et développement (R&D) ...
Nos entreprises doivent acquérir une maturité numérique supérieure ; ce niveau, actuellement insuffisant, explique notre incapacité à anticiper l'avènement du numérique. Aujourd'hui, celui-ci est partout, et pas seulement dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Mon rôle est de sensibiliser nos acteurs économiques, trop éloignés de ces problématiques, à leur importance fondamentale.
S'agissant des PME et des ETI, elles doivent pouvoir exporter plus facilement dans le domaine du numérique. Elles le font insuffisamment, moins en tout cas que leurs homologues allemands ou italiens. Il s'agit également d'accompagner leur passage au numérique, faute de quoi s'en occuperont les géants de l'Internet, qui y trouveront un moyen de capter les données que possèdent nos entreprises. C'est l'objet du programme « transition numérique de l'économie », géré par la direction générale des entreprises à Bercy.
Passons à présent à un volet plus industriel. Nous avons été aveuglés par l'impératif de libre-concurrence appliqué à nos propres acteurs, sans voir l'arrivée de grands acteurs mondiaux dont les stratégies divergeaient profondément. Les « over the top » (OTT), en gros les « GAFA » - Google, Apple, Facebook, Amazon - ont en effet une approche horizontale de captation des données dans toutes sortes de service en ligne.
Le temps est venu d'une contre-offensive en Europe. 78 % des entreprises cotées dans le secteur numérique sont américaines, 2 % seulement européennes, ce qui n'est absolument pas représentatif de la place de nos industries dans l'économie mondiale ! Il est urgent d'agir, en adoptant une stratégie industrielle comme nous en avons eu dans d'autres secteurs, par exemple l'aéronautique, visant à créer les conditions d'émergence d'acteurs économiques de cette envergure. Il nous faut aussi identifier les secteurs de croissance future, comme les objets connectés, le « big data », la cybersécurité, la e-santé, la e-éducation, les logiciels embarqués, les services « sans contact » ... À Berlin, il y a peu, j'ai invité nos partenaires allemands à travailler ensemble sur des standards opérationnels communs, par exemple dans l'« infonuagique », comme on appelle le « cloud computing » au Québec.
S'agissant du projet de loi numérique, le Premier ministre a lancé une consultation le 4 octobre dernier. Vous devriez, en tant que parlementaires, recevoir un courrier vous invitant à y participer et à organiser des rencontres dans vos circonscriptions autour des enjeux numériques. C'est la première fois que l'État, à cette échelle, lance un tel processus de dialogue avec l'ensemble de la société civile. Le projet de loi qui en découlera sera présenté au Parlement et examiné en première lecture, je l'espère, au premier semestre 2015. Il comportera trois volets : l'un économique, qui visera à libérer les possibilités d'innovation, à réviser le déploiement du très haut débit et à identifier les secteurs dont le cadre règlementaire doit évoluer ; l'autre juridique, qui aura trait aux données numériques ; et enfin le dernier à l'action publique, à travers l'« open data ».
Quelques mots à présent de la restructuration du secteur des télécoms. Le rapprochement entre SFR et Numericable va faire évoluer le marché dans son ensemble. D'autres opérations de ce type restent possibles. Nous souhaitons, au Gouvernement, que ces mouvements permettent de consolider le secteur de façon à ce qu'il puisse investir. C'est une priorité, avec celle de l'emploi. Nous avons besoin d'acteurs puissants au niveau européen, et encourageons dans ce but la mutualisation des infrastructures et le respect des engagements d'investissement dans le programme national très haut débit, notamment dans les zones publiques.
Aux États-Unis, loin d'être considéré comme déclinant, notre marché est perçu comme conquérant. J'en veux pour exemple l'opérateur Free, qui a tenté de racheter un opérateur américain, ce qui a eu une grande répercussion dans les esprits outre-Atlantique. Cela valide notre politique, qui a permis de faire émerger ce type d'acteurs, mais aussi d'avoir un marché dont les prix de détail sont deux à trois fois moins élevés qu'aux États-Unis et au Canada, pour des débits deux à trois fois supérieurs. Numericable serait aujourd'hui intéressé par une acquisition au Portugal. Les mouvements de concentration, le cas échéant, doivent avoir lieu à l'échelle européenne désormais.
J'aborde maintenant la problématique de la régulation. Aux États-Unis, la lutte contre les monopoles et les oligopoles existe de longue date ; Roosevelt est ainsi resté comme le « président de l'anti-trust ». En Europe, le cadre en a été créé avant l'avènement des « géants du Net ». Or, cette approche traditionnelle ne permet plus d'appréhender ces grands acteurs de l'Internet, tel Google, qui totalise 78 % de parts de marché dans les moteurs de recherche. La réponse se situe aujourd'hui dans une évolution des règles du droit européen de la concurrence. Notre pays se trouve parfois isolé dans ce combat, alors qu'il en est à l'avant-garde. J'ai demandé que le prochain Conseil européen traite de ce sujet. Toutefois, ce sera difficile, nous le savons bien. Le rapport annuel du Conseil d'État, qui porte sur les droits et libertés numériques, propose des évolutions intéressantes, telles que la reconnaissance du principe de loyauté des plateformes, ou l'application de la règlementation du pays de destination, comme ce sera le cas au 1er janvier prochain pour ce qui est de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Fort heureusement, ces considérations sont partagées par plusieurs de nos partenaires européens, et l'opinion publique les appuie. Par ailleurs, le sujet est à l'ordre du jour de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi qu'à celui du prochain G20.
Enfin, je terminerai avec la problématique des données personnelles. Nous sommes en pointe dans ce domaine, vu notre longue tradition de protection des libertés individuelles. Se profile toutefois le risque d'une concurrence internationale accrue entrainant une forme de « dumping de la data », qui favorise le moins-disant dans la protection des données. Nos entreprises ne resteront compétitives, dans un tel contexte, que pour autant qu'elles protègent convenablement les données de leurs clients. La bataille se jouera à Bruxelles, où se négocie le projet de règlement européen sur les données personnelles. Le calendrier s'est accéléré ; un texte pourrait être adopté l'année prochaine. Nous y travaillons activement avec ma collègue Christiane Taubira et les commissaires européens.
M. Philippe Leroy. - Je vous félicite, Madame la Ministre, pour l'approche européenne et mondiale que vous avez des sujets numériques. Cependant, je m'inquiète également de ne pas vous avoir entendu évoquer les enjeux de fracture numérique. Les situations sont en effet extrêmement diverses d'un département à l'autre, certains possédant plusieurs réseaux à très haut débit quand d'autres attendent toujours une desserte satisfaisante. Or, le Gouvernement fait preuve d'atermoiements, et laisse aux collectivités le soin de régler ce problème.
Vous avez bien développé le projet French tech, Madame la Ministre. Toutefois, les crédits mobilisés cette année dans le projet de loi de finances sont équivalents à ceux du dernier exercice : cette action, mise en oeuvre depuis un an, n'a donc rien d'une nouveauté. Derrière de grands discours et des effets d'annonce, je crains qu'il n'y ait pas de résultats tangibles. L'enveloppe votée dans la loi de finances pour 2014 a-t-elle été consommée ?
Le rapprochement entre Numericable et SFR soulève une importante question : quelle est la stratégie de notre pays pour l'accès au très haut débit fixe entre opérateurs sur câble et opérateurs sur fibre ? Il faudrait que le Gouvernement nous donne une idée de ce qu'il compte faire à cet égard.
Vous avez mis en place, Madame la Ministre, une Agence du numérique. Son positionnement vis-à-vis du Conseil national du numérique (CNN) et de la mission très haut débit - sans parler du régulateur national, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) - me paraît toutefois confuse ...
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle que les questions liées à la fracture numérique des territoires ne relèvent pas du champ de compétences de notre commission, mais de celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, elles ne seront pas abordées lors de cette audition ...
M. Martial Bourquin. - Merci Madame la Ministre pour votre plaidoyer en faveur du numérique. Notre pays est plutôt bien avancé en la matière, comme le prouvent des comparaisons internationales des taux de pénétration du haut et très haut débit. Il nous faut toutefois accélérer l'intégration du numérique dans les processus de production. C'est ce vers quoi tendent les 57 objectifs prioritaires que s'est fixé le gouvernement pour le Plan France numérique 2012-2020.
Le budget de l'État dans ce domaine doit être utilisé pour entraîner une dynamique chez les acteurs privés et publics, aboutissant à des territoires équipés et attractifs. Il faut un État-stratège capable d'accompagner les mutations que sont l'e-commerce, l'e-administration, l'e-éducation, l'e-santé ...
Une entreprise n'ayant pas accès au réseau très haut débit est aujourd'hui potentiellement en danger. La connexion constitue, d'un point de vue économique, une impérieuse nécessité.
Notre pays est en pointe en ce qui concerne l'usage du numérique : nous sommes par exemple le cinquième marché au monde en matière de téléchargement de musique.
La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat », présentait certains manques auxquels il faudra pallier. La ruralité, ne l'oublions pas, c'est aussi l'industrie ; il nous faut une capacité d'innovation sur les territoires.
M. Daniel Dubois. - Vous avez établi un lien, Madame la Ministre, entre développement numérique et territoires. Vous avez mis en avant l'aspect fiscal ; vers quel type de fiscalité souhaitez-vous aller pour favoriser le développement d'entreprises dans ce secteur ?
Le besoin de cohérence est important : vous avez évoqué l'« open data », dont le lien avec la réforme de l'État est évident. Mais le sujet s'étend aux collectivités : il faut une couverture convenable de nos territoires si l'on éloigne le citoyen de ces dernières. Or, tel n'est pas le cas.
Les opérateurs télécoms, que nous avons entendus en commission, nous ont dit faire un « métier d'industriels » et ne souhaitent visiblement pas payer pour l'aménagement numérique des territoires ruraux. Qui va le financer, dans ces conditions ? Comment faire le lien entre le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) figurant dans la « loi Pintat » et les quelques centimes qui pourraient être prélevés sur chaque communication électronique ?
M. Jean-Pierre Bosino. - Je me félicite d'entendre que le Gouvernement se soucie de la compétitivité des entreprises et de leur développement numérique. Mais comment faire en sorte que les banques soutiennent les entreprises dans ce passage au numérique ? L'égalité de traitement entre les citoyens et les entreprises sur l'ensemble du territoire ne tient plus aujourd'hui ; y a-t-il là aussi des initiatives ? J'ai reçu le témoignage d'une société organisant des séminaires d'entreprises et se trouvant en difficulté car n'étant pas couverte par l'ensemble des opérateurs mobiles ...
En matière fiscale, plutôt que de prélever quelques centimes d'euros sur les communications électroniques de nos acteurs nationaux, il faudrait, me semble-t-il, travailler sur la taxation des grands groupes internationaux du secteur, qui bénéficient de nos infrastructures numériques sans les financer. Certes, c'est un sujet européen, mais notre pays pourrait être force de proposition.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Je suis à votre entière disposition pour évoquer l'aménagement numérique de nos territoires, mais ce sujet, que j'ai évoqué lors de la précédente audition devant vos collègues de la commission du développement durable, ne me semblait effectivement pas devoir être abordée avec vous ...
Quoiqu'il en soit, le plan France très haut débit est aujourd'hui inégalé en Europe. Il mobilise 20 milliards d'euros de financement, dont 3,4 à la charge de l'État - 1,5 milliard étant sanctuarisés dans le présent projet de loi de finances, le reste provenant du produit de la redevance des opérateurs télécoms -, autant à celle des collectivités, le reste provenant des opérateurs privés. Dans la plupart des autres pays, les pouvoirs publics n'interviennent pas et laissent la concurrence jouer dans les zones urbaines.
La mise en oeuvre de ce plan va demander du temps, car il faut former les techniciens nécessaires, développer les sites de production de fibre optique, sécuriser le cadre juridique pour les différents acteurs ... Je me réjouis de ce que les projets locaux, soumis par les collectivités, avancent plutôt bien.
Je me tiens à votre disposition pour organiser éventuellement une audition commune avec la commission du développement durable, sur ce thème qui occupe une majeure partie de mon temps. J'ajoute qu'il y aura des inflexions dans le plan France très haut débit pour inciter les opérateurs à investir davantage dans les zones d'initiative publique, voire ouvrir une partie de celles-ci à des investisseurs étrangers, et pour peut-être étendre ce plan à la couverture mobile du territoire, pour favoriser les complémentarités entre les deux types de réseaux.
On ne peut parler d'« effet d'annonce » à propos de la French tech : des décaissements étaient annoncés pour 2014, mais il était prévu que les crédits soient mis en exécution à partir du 1er janvier 2015, et nous sommes dans les délais. La BPI co-investira dans des accélérateurs avec des fonds privés pour aider les start-up.
Le PIA, ce sont 350 millions d'euros, également sous forme de décaissements, planifiés pour 2015. L'année 2014 a servi à finaliser les très nombreuses conventions qui permettent de déployer les actions en ce domaine.
L'Agence du numérique, liée au ministère de l'économie, n'a rien à voir avec le CNN, instance totalement indépendante qui rend des avis sur tous types de sujets. On part en la matière de l'existant. Mais en vue d'une plus grande cohérence administrative et stratégique, nous allons regrouper la mission French tech, la mission très haut débit et la délégation aux usages de l'Internet, qui deviendra la mission aux services et aux usages du numérique. Nous serons ainsi plus réactifs, en lien avec les élus, les collectivités et les entreprises, sans concurrencer les instances déjà existantes.
Le câble permet d'apporter du très haut débit. Mais Numericable, c'est 10 millions de lignes câblées au mieux. L'entreprise a annoncé qu'elle déploierait, en outre, de la fibre, qui constitue bien l'horizon technologique vers lequel il faut tendre. La complémentarité avec les autres technologies est toutefois nécessaire ; ainsi, le plan « écoles connectées », qui permettra de desservir 16 000 établissements, aura recours au satellite.
Les enjeux de transformation de l'économie et de compétitivité sont en effet liés à l'industrie. Les allemands sont très conscients de la nécessité d'une modernisation de leur tissus industriel par le numérique, ce qu'ils appellent « l'industrie 4.0 ». En France, nous avons mis en place à cet effet le PIA et le plan industriel « usines du futur », qui accompagnent les entreprises dans cette transition. Les entreprises et les services publics doivent être raccordés en priorité dans les zones dites AMII (appel à manifestation d'intention d'investissement), et nous veillons à ce que ce soit le cas. Le cahier des charges du plan France très haut débit sera infléchi davantage en ce sens d'ici quelques semaines.
Martial Bourquin, vous avez raison de souligner le paradoxe de Français gros consommateurs de services en ligne, peut-être grâce à l'expérience du Minitel, et d'entreprises qui sont insuffisamment présentes sur Internet. De retour récemment des États-Unis, je me suis toutefois réjouie de l'achat par Netflix de la série française Les revenants, comme quoi cette plateforme peut être source d'opportunités pour nos entreprises, y compris sur le marché américain.
Daniel Dubois, vous avez parlé des opérateurs de téléphonie mobile. Ceux-ci ont déjà réalisé trois milliards d'euros d'investissements et se sont engagés à couvrir 60 % de la population en très haut débit. Ceci dit, je souhaiterais impliquer encore davantage les opérateurs en matière de couverture mobile de nos territoires car c'est un enjeu essentiel pour notre pays. À ce titre, il serait utile de définir une stratégie nationale de la couverture mobile.
En matière de fiscalité, je rappellerai simplement que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) constitue un effort historique qui doit permettre à nos entreprises de retrouver des marges. D'ores et déjà, le coût du travail en France s'est rapproché du coût du travail en Allemagne et nous devrions même présenter un coût du travail inférieur l'an prochain.
Mais la compétitivité n'est pas seulement une question de coût, c'est aussi, voire surtout, la capacité à apporter une plus-value qualitative. Je suis convaincue que si nos entreprises ne proposent pas des technologies innovantes, elles ne gagneront pas de marchés par le dumping social. Or, l'on a tendance à sous-estimer l'effort fait par le Gouvernement pour améliorer la compétitivité des entreprises dans toutes ses composantes : à Londres par exemple, certaines start-up se plaignent de ne pouvoir accéder au très haut débit, ce qui serait impensable à Paris.
Jean-Pierre Bosino, vous avez justement souligné l'importance du rôle des banques. Les entreprises sont aujourd'hui confrontées au double enjeu de l'accès aux financements et aux marchés. En ce qui concerne les sources de financement, la BPI est devenue un acteur incontournable pour les entreprises, au point que l'on peut se demander si les acteurs privés sont assez présents. Alors que le décret sur le financement participatif ou « crowdfunding » est récemment paru, ce mode de financement rencontre un vif succès. Nous travaillons aussi avec le secteur des assurances pour réorienter l'épargne des Français vers le financement de l'économie réelle.
En matière d'accès aux marchés, nous avons déjà largement facilité l'accès à la commande publique en favorisant les achats publics innovants par l'État. Dans le cadre de la seconde phase de la French Tech, notre objectif sera de convaincre les grands groupes d'ouvrir l'accès à la commande privée aux PME. Il s'agit là d'un travail de longue haleine qui ne peut se limiter à une seule action et qui doit permettre l'éclosion de nouveaux acteurs, voire des champions du numérique de demain.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous allons à présent devoir clore cette audition, Madame la Ministre, sans malheureusement avoir pu entendre tous les sénateurs souhaitant vous interroger, faute de temps. Mais nous aurons à n'en pas douter l'occasion de vous accueillir à nouveau ultérieurement. Je vous remercie en tout cas, Madame la Ministre, de votre venue et pour l'ensemble des éléments d'information dont vous nous avez fait part.
Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt
La commission auditionne M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, pour cette audition consacrée aux crédits inscrits à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2015.
Ce budget est marqué par une baisse importante des crédits de paiement, et notamment ceux de FranceAgrimer. Parallèlement, on constate une nette augmentation des autorisations d'engagements : pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette double tendance ?
L'application de la discipline budgétaire au sein de l'Union européenne affecte particulièrement les aides directes versées aux agriculteurs. La commission européenne propose une diminution de ces aides, afin d'alimenter une réserve de crise quasiment épuisée par l'embargo russe. Quelles sont les initiatives prises par la France à ce sujet ?
Je déplore par ailleurs que les ressources allouées aux chambres d'agriculture soient réduites dans le projet de loi de finances.
Enfin, je vous informe que notre commission va créer deux instances qui suivront des thématiques agricoles. Un groupe de travail, créé à l'initiative de notre collègue Daniel Dubois, s'intéressera aux normes sanitaires et environnementales en agriculture. Un groupe de suivi sur la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC) sera constitué en commun avec la commission des affaires européennes, sur proposition de son président, M. Jean Bizet.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Le débat qui nous occupe aujourd'hui est d'autant plus important que dans un contexte économique difficile, le budget dédié à l'agriculture est lui aussi mis à contribution afin de contribuer au redressement des finances publiques.
Le budget agricole au sens large est cette année de 4,7 milliards d'euros pour les crédits de paiement, soit 4 % de moins que l'an dernier. Mais plusieurs aspects de ce budget sont positifs.
Tout d'abord, les débats lors du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt avaient montré l'importance de soutenir la compétitivité de nos filières agricoles et agroalimentaires. C'est chose faite avec le pacte de compétitivité, dont les différentes mesures - CICE, allègement de charges sur les bas salaires - ont permis de débloquer 730 millions d'euros au profit du secteur agricole et agroalimentaire. N'oublions pas que c'est grâce au CICE que les abattoirs GAD, menacés de fermeture, ont pu fonctionner jusqu'à l'arrivée du repreneur !
Nous avons bien entendu dû cibler nos efforts, et avons pour cela identifié six priorités.
L'enseignement et la recherche enregistrent des hausses respectives de 5,9 % et 2,8 %, qui permettront notamment la création de 165 postes. L'école vétérinaire de Maisons-Alfort se voit également doter de nouveaux moyens.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le président du Sénat vous en remerciera probablement !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous mettons également l'accent sur la sécurité sanitaire. Le programme n° 206, qui avait vu ses crédits stabilisés en 2013, bénéficiera l'année prochaine de la création de 60 postes : c'est un vrai progrès. Cet effort va dans le sens des préconisations de plusieurs rapports de la Cour des comptes et de l'Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV), qui recommandaient la plus grande vigilance dans ce domaine. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), en particulier, aura les moyens d'assurer ses nouvelles missions relatives aux autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. En outre, nous avons réglé la question du plafond d'emplois de l'ANSES. Nous souhaitons que notre politique sanitaire soit ambitieuse et véritablement offensive.
La modernisation des exploitations agricoles est notre troisième priorité, avec un budget en hausse de 26 millions d'euros, ce qui double presque les crédits alloués l'an passé. En ce qui concerne FranceAgrimer, je tiens à souligner que 120 millions d'euros prélevés sur les plans d'investissement d'avenir (PIA) permettront de maintenir un budget d'investissement opérationnel.
Le soutien à l'élevage, qui nous tient particulièrement à coeur, se verra allouer 1,1 milliard d'euros d'ici 2016, avec près de deux ans d'avances sur l'échéance annoncée par le Président de la République lors du 22ème sommet de l'élevage à Cournon. Dès 2015, 928 millions d'euros viendront soutenir l'élevage dans les zones à handicap naturel.
Enfin, nous souhaitons vivement permettre le développement de l'agro-écologie, qui avait été au coeur des débats du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Les moyens du compte d'affectation spécial développement agricole et rural (CASDAR) sont en hausse de 22 millions d'euros, pour atteindre 147 millions d'euros. Ils permettront notamment le soutien aux groupements d'intérêts économiques et environnementaux (GIEE). Je crois beaucoup en cette stratégie pour mettre en oeuvre un projet cohérent qui nous permette de sortir du système trop complexe et contraignant de la norme environnementale a priori. J'en profite pour vous annoncer que la 1ère journée de l'agro-écologie se déroulera le 15 janvier prochain, et visera à fixer des critères qui permettront à 50 % des exploitations agricoles françaises de devenir « agro-écologiques » d'ici 2025.
Malgré ces points positifs, il est évident que le contexte économique nécessite des efforts, et que la diminution globale des crédits alloués à l'agriculture affecte certaines structures. On enregistre en effet sur le budget la suppression de 225 postes. Par ailleurs, des efforts sont demandés aux opérateurs. Le contrat d'objectifs et de performances de l'Office national des forêts (ONF) va être renégocié ; les chambres d'agriculture, quant à elles, se voient appliquer la règle prudentielle des trois mois sur les fonds de roulement. Mais, je le rappelle, l'ensemble des mesures du pacte de responsabilité a tout de même permis de débloquer 730 millions d'euros qui viendront soutenir la compétitivité de nos filières.
L'Europe a effectivement décidé de compenser l'embargo russe par l'utilisation des moyens du fonds de gestion de crise, qui est alimenté par un prélèvement sur le premier pilier. Pour poursuivre ce mouvement, il faudrait donc, en 2015, prélever à nouveau le premier pilier pour approvisionner ce fonds. La France est défavorable à cette solution, et l'a d'ailleurs annoncé au Conseil des ministres européens de l'agriculture en début de semaine, via une déclaration soutenue par 21 autres pays. L'Allemagne, qui n'a pas souhaité signer cette déclaration, a tout de même affiché publiquement son soutien à notre position. Nous pensons que les sanctions financières payées par les agriculteurs de plusieurs pays européens en raison du dépassement des quotas laitiers, qui représentent près de 400 millions d'euros, devraient venir alimenter le fonds de gestion de crise. L'enjeu est désormais de porter cette position à la connaissance du Conseil des ministres des finances, pour faire évoluer la situation vers une solution qui nous semble plus favorable.
En ce qui concerne les normes et les contrôles, je vous informe que Mme Frédérique Massat, députée, a été nommée parlementaire en mission sur ce sujet. Il est évident qu'avec 9,1 millions d'euros d'aides à distribuer, nous ne pouvons pas supprimer les contrôles. On paie, aujourd'hui, 950 millions d'euros de refus d'apurement communautaire sur des trop-perçus d'aides entre 2006 et 2012, car, à l'époque, nos calculs ont été trop imprécis. Initialement, nous devions même payer 4,5 milliards d'euros au titre du refus d'apurement : nous progressons, mais ces montants justifient à eux seuls la nécessité de maintenir des contrôles. Cependant, je suis également d'accord pour dire que nous devons mieux les ordonner et les coordonner. Cela éviterait aussi que les agriculteurs se sentent soumis à un contrôle systématique...
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Dans certains territoires, monsieur le ministre, on est proche de la jacquerie ! Je vous rappelle, d'ailleurs, qu'à l'initiative de Daniel Dubois, notre commission a créé un groupe de travail qui s'intéressera aux normes dans le domaine agricole.
M. Gérard César. - Je souhaite tout d'abord, monsieur le ministre, vous faire part de ma plus vive inquiétude au sujet des chambres d'agriculture. Elles font l'objet de 45 millions d'euros de prélèvement sur leur fonds de roulement et d'une perte de recettes de 15 millions d'euros par an, et se trouvent dépourvues de leur capacité d'investissement.
Par ailleurs, un des objectifs du Gouvernement était d'augmenter le taux de couverture du territoire par les assurances aléas climatiques. Au vu de la baisse générale des crédits, nous craignons que le taux réel de subvention ne passe de 65 % à moins de 50 %. Quelles solutions proposez-vous pour rendre ces assurances attractives dans de telles conditions ?
En ce qui concerne FranceAgrimer, pouvez-vous nous préciser comment les comptes seront provisionnés en cas de crise conjoncturelle ? Pouvez-vous également dresser le bilan de l'action de l'observatoire des prix et des marges, mis en place par la loi de 2010 ?
Nous avons créé, dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation, et la forêt, un fonds stratégique bois censé soutenir la politique forestière. Quels financements permettront à ce fonds d'être un véritable appui pour une politique forestière cohérente ?
Enfin, je suis très inquiet, et je pense que mon collègue Roland Courteau partage cette inquiétude, par rapport aux contrats vendanges. S'ils disparaissent, nous mettons en péril le statut des étudiants et des ouvriers qui rendent pourtant service au secteur viticole pendant les vendanges, et nous encourageons le développement du travail non déclaré.
Mme Frédérique Espagnac. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le ministre, pour la position que vous avez choisi de défendre devant l'Union européenne en ce qui concerne l'embargo russe.
Je vous confirme également, pour l'avoir auditionnée tout à l'heure, la satisfaction de l'ANSES par rapport au déplafonnement du nombre de salariés pouvant être employés sur des missions ponctuelles.
Pouvez-vous détailler les priorités du Gouvernement en matière de contrôle dans le secteur alimentaire ?
M. Jean-Jacques Lasserre. - Vous nous avez indiqué que la diminution des crédits de la mission agriculture était compensée par les mesures du pacte de responsabilité. Pourtant, il ne permettra pas de venir en aide à tous les secteurs en crise de l'agriculture. Sur un autre sujet, nous devons sortir de la situation ambiguë dans laquelle nous nous trouvons par rapport aux limites définies par l'Europe sur le déploiement des aides de la PAC.
Ma première question porte sur la mise aux normes des bâtiments d'élevage. C'est une grande préoccupation, car les agriculteurs, en raison de la crise, n'ont pas la possibilité d'investir, comme on leur demande. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la traduction de l'engagement pris par le Gouvernement sur ce sujet dans le budget ?
Depuis quelques années, les prélèvements sur le fonds de roulement et le rétrécissement de l'assiette fiscale mettent en danger les chambres d'agriculture. Ces organismes semi-publics ont une véritable mission d'accompagnement à l'installation qui va disparaître faute de moyens. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Concernant les assurances aléas climatiques, peut-on rester offensifs malgré le désengagement financier du budget pour 2015 ? Actuellement, l'assurance est chère, et il faut que la puissance publique trouve les moyens de garantir la profession agricole face à ces calamités climatiques.
Allez-vous, ou l'Europe va-t-elle, engager prochainement le redécoupage des zones défavorisées ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous avons fait en sorte, au niveau européen, que la surface de zones considérées comme défavorisées reste constante malgré la réforme envisagée.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Ce sujet interroge beaucoup dans mon département. Quelle méthode sera utilisée pour procéder au redécoupage, et quels seront les moyens de consultation mis en oeuvre pour assurer la prise en compte du point de vue des différents acteurs et élus locaux ?
Ma dernière question concernera le CASDAR. Sa structure financière est basée sur un prélèvement sur les volumes produits. En cas de moindres recettes du CASDAR, quelles seraient les conséquences pour les structures qu'il permet de financer ?
M. Jean-Claude Lenoir, président - Je rebondis tout de suite sur le sujet des chambres d'agriculture. La diminution de la taxe qui leur permet de fonctionner va entraîner des diminutions d'emplois.
M. Michel Le Scouarnec. - Ma première question porte sur l'adaptation des filières à l'évolution des marchés, poste qui pèse 130 millions d'euros dans le budget. Comment justifier la baisse des moyens de soutien aux filières en crise, et notamment aux entreprises de transformation et de commercialisation de produits agricoles ? Vous êtes venu à plusieurs reprises en Bretagne, monsieur le ministre, car nos entreprises, comme Doux et Gad, ont été durement touchées par la crise. Comment, dans ces conditions, accepter une diminution de la dotation dans ce secteur ?
Les crédits proposés pour l'action « Gestion équilibrée et durable des territoires » sont en baisse de 6,4 %, et ils doivent permettre de soutenir des pratiques agricoles responsables et respectueuses de l'environnement, ainsi que le maintien des populations dans les zones rurales. Moi qui suis fils de petits paysans, je comprends mal les grands élevages de plus de mille vaches : comment peut-on défendre la « petite agriculture », qui conserve plus d'emplois et oeuvre véritablement pour le maillage du territoire ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage mobilise 200 millions d'euros au titre du second pilier de la politique agricole commune (PAC) et 56 millions d'euros complémentaires en provenance du budget de l'État. Comme vous le savez, ce sont les régions qui, en tant qu'autorité de gestion, sont désormais chargées de prioriser au niveau local les objectifs poursuivis par le plan en matière de bien-être animal, d'efficacité énergétique des bâtiments ou encore d'amélioration du niveau global des résultats de l'exploitation. Aussi chaque région structure-t-elle différemment son plan après concertation avec la profession agricole et en fonction des spécificités de l'agriculture régionale. Les premiers retours nous remontent du terrain et nous allons désormais pouvoir faire le point.
La ferme dite des « mille vaches », ou plutôt des cinq cent vaches est un projet certes symbolique mais qui n'a jamais été celui du Gouvernement. Je tiens à souligner que dans la réforme de la PAC, pour la première dans l'histoire de la distribution des aides, le principe de transparence des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) est reconnu. La volonté du Gouvernement est de donner une dimension économique collective qui permette d'assurer la compétitivité du groupement mais avec des chefs d'exploitation qui restent des agriculteurs. Je veux garder des agriculteurs et, s'agissant de la ferme dite des « mille vaches », il faut par ailleurs être attentif aux impacts sanitaires et environnementaux de ce type de projets.
De même, et pour revenir brièvement sur la question du barrage de Sivens, il n'est aujourd'hui plus question de réaliser des retenues d'eau pour cultiver du maïs irrigué. La stratégie du ministère de l'agriculture en la matière consiste désormais à autoriser des retenues pour assurer une production fourragère minimale et, partant, le maintien de l'élevage là où les risques de sécheresses de printemps sont les plus importants.
Les chambres d'agriculture sont des établissements publics et doivent participer à l'effort de réduction des dépenses publiques. Nous avons fait le constat que la plupart d'entre elles disposaient d'un fonds de roulement d'un montant supérieur à ce qu'il devait être en application de la règle prudentielle des trois mois. Même si c'est un signe de bonne gestion, ces établissements publics n'ont pas vocation à accumuler des fonds de roulement excessifs et dans cette période de restriction budgétaire, le Gouvernement a donc décidé d'en prélever une partie tout en garantissant le respect de la règle prudentielle.
Dans ce cadre, j'ai veillé à ce que les investissements décidés par les chambres d'agriculture avant le 1er juillet 2014 ne soient pas remis en cause. J'entends les objections de certains d'entre vous mais soyons honnêtes : si nous n'avions pas fixé de date limite, les chambres auraient pu décider de lancer des investissements jusqu'à maintenant pour éviter le prélèvement sur leur fonds de roulement. J'ajoute que les chambres d'agriculture ont été préservées jusqu'ici alors même que d'autres - je pense aux chambres des métiers et aux chambres de commerce et d'industrie - ont été touchées. En outre, le prélèvement qui m'avait été proposé était de 135 millions d'euros et j'ai choisi de le limiter à 90 millions d'euros sur trois ans.
J'ai souhaité que l'effort demandé aux chambres ne contribue pas uniquement au budget général mais qu'il demeure, pour partie, dans le domaine agricole. Ainsi, une part du prélèvement contribuera ainsi à réduire la taxe additionnelle sur le foncier non bâti tandis qu'une autre financera un fonds de péréquation doté de 25 millions d'euros et destiné à assurer la solidarité avec des chambres dont la situation financière est moins favorable. Ce fonds permettra également de renforcer le rôle de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), sa capacité de pilotage et d'organisation de la solidarité entre les chambres. L'effort demandé s'élève à 45 millions d'euros, soit 15 millions d'euros et 5 % par an, ce qui est certes beaucoup mais l'État fait bien plus ! Enfin, la dépense budgétaire n'a pas vocation à alimenter des fonds de roulement d'un montant excessif et tout le monde est d'accord pour faire des économies - à commencer par la majorité sénatoriale qui entend proposer un budget alternatif qui irait au-delà des économies proposées par le Gouvernement.
Le contrat vendanges est une exception liée à cette activité saisonnière et au fait que l'on recourt à une main d'oeuvre majoritairement composée d'étudiants, de chômeurs ou de retraités. Ce contrat n'est pas remis en cause et permet toujours de cumuler certains revenus, dont les retraites. Seule la prise en charge par l'État des exonérations de charges salariales est supprimée alors que, dans le même temps, la viticulture va bénéficier, au titre du CICE, de 60 millions d'euros d'allègements de charges supplémentaire pour atteindre une somme totale de 344 millions d'euros pour 2015. Les charges salariales représentent à peine 8 % de la totalité du coût du travail et le contrat vendanges dans son périmètre antérieur n'empêchait pas le recours aux travailleurs détachés.
Cette suppression est aussi la conséquence du recours déposé devant le Conseil constitutionnel par des députés du groupe UMP, dont certains élus de régions viticoles, qui contestait les exonérations de charges salariales jusqu'à 1,3 SMIC. Le conseil ayant donné raison aux requérants en considérant que ce dispositif créait « une rupture d'égalité entre les assurés d'un même régime qui ne repose pas sur une différence de situation en lien avec l'objet de la contribution sociale », sa décision s'applique également au contrat vendanges qui était fondé sur le même principe. Il reste que les salariés recrutés dans le cadre d'un contrat vendanges bénéficieront, comme les autres salariés, de la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu qui se substitue à ce dispositif d'exonération. On peut d'ailleurs noter que, sur les 17 millions d'euros que représente aujourd'hui l'exonération de cotisations salariales au titre du contrat vendange, certains départements viticoles en bénéficient plus que d'autres : 24 à 28 % par exemple pour la Marne ou 12 % pour la Gironde.
Sur le volet sanitaire du projet de loi de finances, notre priorité est de créer soixante postes pour renforcer le contrôle dans les abattoirs. La Cour des Comptes, mais aussi les autorités européennes réclament ce renforcement. C'est aussi la condition pour pouvoir continuer à exporter de la viande dans l'Union européenne et au-delà.
Concernant l'assurance-récolte, nous sommes passés d'une enveloppe globale de 85 millions d'euros à 100 millions d'euros. Mais il faut aussi progresser sur les dispositifs mutualisés, en mobilisant tous les assureurs potentiels. Nous reportons l'application du nouveau dispositif d'assurance en agriculture au début de l'été 2015, car il faut d'abord mettre d'accord les assureurs, dont certains sont aujourd'hui en situation difficile, les réassureurs et les autres acteurs concernés. À l'été 2015, des établissements financiers seront prêts à répondre au besoin. Dans le secteur laitier, les deux principaux opérateurs du marché de l'assurance agricole que sont Groupama et le Crédit agricole sont prêts. Un pacte sera signé avec la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) avant la fin de l'année 2014. En viticulture, nous savons que d'autres opérateurs financiers sont également prêts à s'engager. Une fois que le plan de modernisation de l'agriculture doté de 200 millions d'euros sera exécuté, il faudra trancher la question du montant qui devra être prélevé sur le premier pilier de la PAC pour soutenir l'assurance en agriculture. Cette question se posera d'ici trois à quatre ans. Le nouveau dispositif d'assurance en agriculture, reposant sur le contrat-socle, sera proposé à l'été 2015 : chaque agriculteur pourra disposer d'un contrat de base lui permettant de se prémunir contre les aléas. Les cotisations des agriculteurs financeront cette assurance. Nous devrons peut-être aussi prélever sur le premier pilier, qui représente tout de même de l'ordre de 7 milliards d'euros.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Ces propositions me semblent intelligentes. Si le nouveau dispositif d'assurance permet de mettre à l'abri les producteurs par rapport aux aléas climatiques, il est intéressant.
M. Gérard Bailly. - La semaine dernière, les agriculteurs étaient dans la rue pour défendre leur profession. Je connais vos convictions, monsieur le ministre, pour défendre l'élevage, mais la réalité est là : les prix des veaux, du lait fléchissent. Les exploitations ont un problème de rentabilité. Ma première interrogation porte sur la course aux prix bas. Les accords de regroupement des centrales d'achat de la grande distribution vont permettre aux acheteurs de représenter 20 à 25 % du marché. Les transformateurs ne pourront se permettre d'être déréférencés par la grande distribution. À leur tour, les petites et moyennes entreprises de l'agroalimentaire mettent sous pression des producteurs agricoles. À l'arrivée, nous aurons moins de producteurs, mais aussi des pertes d'emploi dans l'agroalimentaire. Au demeurant, des milliers d'emplois ont déjà été perdus en quelques années dans ce secteur. Comment mettre fin à la course aux prix bas dans le secteur alimentaire ?
Les agriculteurs sont inquiets également sur le renforcement de la réglementation concernant les nitrates. Nous pourrions faire des économies budgétaires sur les mesures concernant les grands prédateurs : je connais un éleveur de mouton dont 132 bêtes ont été dévorées par des lynx en quelques années. Supprimer des loups ou lynx me paraît nécessaire.
Concernant le statut de l'animal : certes les animaux ne sont ni des tables ni des meubles, mais il ne faut pas aller trop loin, comme le souhaitent certaines associations. Les éleveurs sont inquiets de la remise en cause de l'alimentation en produits carnés.
M. Roland Courteau. - Je me réjouis des effets du pacte de responsabilité sur le secteur agricole, qui bénéficiera de 730 millions d'euros. J'apprécie aussi dans le projet de loi de finances pour 2015 la progression des aides à l'agriculture biologiques et les importants moyens mis sur les mesures agroenvironnementales (MAE). Je vous félicite pour votre bonne gestion des conséquences de l'embargo russe. Je regrette toutefois la remise en cause de l'exonération de charges salariales sur le contrat vendanges. Il n'est pas certain que tous les viticulteurs puissent bénéficier du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), notamment ceux imposés au forfait agricole.
Concernant les retraites agricoles, leur moyenne s'établit à 680 euros par mois, alors même qu'il y a déjà eu des revalorisations. Le seuil de pauvreté se situe autour de 933 euros. Qu'en est-il de l'objectif d'atteindre un niveau des pensions agricoles à 75 % du SMIC ?
Concernant la réforme du forfait agricole, je vous alerte sur les fortes inquiétudes, notamment dans le secteur viticole de mon département. En effet, les faibles revenus font que la plupart des agriculteurs sont au forfait.
Enfin, l'esca de la vigne reste un problème sans solution. L'arsénite de soude constitue la seule réponse technique. Il s'agit d'un produit dangereux donc désormais interdit. Où en est la recherche sur de nouveaux produits.
M. Daniel Dubois. - Je suis fils d'agriculteur et ai fait des études agricoles. Nous verrons de plus en plus de fermes de 500 vaches - et non 1 000 vaches - si nous voulons rester compétitifs en production laitière par rapport à l'Allemagne ou au Danemark. L'important est que les enquêtes publiques soient effectuées et les règles respectées par les agriculteurs porteurs de ce type de projet. Je suis parfois surpris du double langage des autorités : lorsque les règles sont respectées, le préfet donne les autorisations. Si ces autorisations sont contestées, quelle est la valeur de l'engagement de l'État. Aujourd'hui, les entrepreneurs ont besoin de visibilité et de confiance dans l'application de la réglementation.
Face à la concentration des centrales d'achat de la grande distribution, je me demande si l'observatoire des prix et des marges est encore efficace. Ne faudrait-il pas changer les règles en matière de relations entre acheteur et vendeurs de produits agricoles ? Même si les agriculteurs sont regroupés, même s'il y a des médiateurs des relations commerciales, il faut revoir les règles car la bataille aujourd'hui est celle du « pot de terre contre le pot de fer ».
Le durcissement de la règlementation sur les nitrates génère de nouvelles contraintes infligées aux agriculteurs. Pourriez-vous préciser, Monsieur le ministre, les critères pris en compte pour étendre les zones concernées par la réglementation des nitrates. Il existe des débats sur la pertinence de ces critères : sont-ils statistiques ou scientifiques ? Dans mon département, l'avis négatif des services de l'État n'a pas été suivi par le préfet de région. Un recours a été déposé, mais l'extension de la zone vulnérable a été décidée. Une autre inquiétude porte sur le raccourcissement des périodes d'épandage : nous allons avoir des surcoûts de fonctionnement et devrons faire des investissements pour des aires de stockage. Enfin, concernant le verdissement, de la PAC, les agriculteurs manquent de repères : ils ont dû effectuer leurs emblavements alors que les règles n'ont pas encore été toutes définies. Les contrôles risquent d'être difficiles.
M. Daniel Gremillet. - Je voudrais d'abord vous encourager, monsieur le ministre, dans votre démarche avec d'autres pays européens concernant la préservation des crédits européens de gestion de crise. Les marchés de produits agricoles connaissent une dégradation rapide et nous risquons d'avoir des besoins de soutiens bien supérieurs aux moyens existants.
Le CICE est bénéfique pour les entreprises agricoles, mais les coopératives n'y ont pas accès, alors que la grande distribution en est le premier bénéficiaire. Concernant les accords entre centrales d'achats de la grande distribution, il est curieux de laisser faire, alors qu'entre producteurs, s'il y a regroupement, des condamnations sont prononcées au titre du droit de la concurrence et de la lutte contre les ententes.
L'objectif de 50 % d'exploitations agricoles engagées dans la démarche de l'agro-écologie en 2025 est très intéressant. Mais, il faut être attentif aux difficultés rencontrées aujourd'hui en matière de verdissement : les agriculteurs sont actuellement en phase de déclaration des surfaces d'intérêt écologique (SIE). Or, ces surfaces ne seront plus éligibles aux aides de la PAC. Les agriculteurs seront donc pénalisés et détruiront ou n'entretiendront plus les haies ou talus. Parlons de cette question avant que les arbitrages définitifs ne soient rendus. Votre ministère ne doit pas être accusé demain d'avoir contribué à la suppression des haies et talus.
Concernant les chambres d'agriculture, je ne comprends pas la proposition du Gouvernement : les dirigeants des chambres d'agriculture sont des agriculteurs élus, qui doivent pouvoir décider du niveau d'imposition applicable aux agriculteurs. Lorsque les chambres demandent que le prélèvement sur les fonds de roulement prenne en compte les investissements programmés après le 1er juillet 2014, il ne s'agit pas de cacher des excédents ! Les chambres ne peuvent pas inscrire dans leurs comptes des provisions pour travaux. La chambre d'agriculture des Vosges siège aujourd'hui dans un bâtiment de type Pailleron. Des économies ont été faites pour pouvoir reconstruire ce bâtiment, avec des ressources provenant uniquement du monde paysan. Avec le prélèvement sur fonds de roulement, cela ne sera pas possible, ce qui est incompréhensible. Les chambres n'ont pas d'activité commerciale, et n'ont d'autre ressource que la taxe additionnelle au foncier non bâti. Comment des chambres fragilisées pourront-elles apporter leur aide technique aux agriculteurs en difficulté ou accompagner la transition vers l'agro-écologie avec peu de moyens ?
Le plan de modernisation de l'agriculture va dans le bon sens. Les régions et les départements doivent pouvoir accompagner ce plan. Mais il importe que les agriculteurs disposent d'un guichet unique d'instruction des dossiers, notamment pour éviter les distorsions de concurrence entre exploitants agricoles.
Enfin, je regrette que le fonds stratégique bois (FSB) soit aussi faiblement doté.
M. Bruno Sido. - Les chambres d'agricultures ne peuvent en effet pas constituer des provisions pour investissement. Or, il existe de nombreux bâtiments à rénover. Le prélèvement sur fonds de roulement rend impossible de tels travaux.
Concernant l'assurance-récolte, je souhaite que l'on arrête de prélever sur le premier pilier de la PAC. Il faut revoir l'assurance récolte, d'autant plus qu'il est quasiment impossible de prendre une assurance-récolte dégroupée de l'assurance-grêle. Il faudrait rendre obligatoire l'acceptation de l'assurance par l'assureur, à un tarif raisonnable.
Les crédits en faveur de la forêt passent de 317 millions d'euros à 279 millions d'euros. En 2012, nous étions à 349 millions d'euros. On comprend mieux pourquoi, il y a quelques mois, ait été envisagé de mettre fortement à contribution les communes forestières. Vous avez accepté de renoncer cette année à une telle décision et d'engager une concertation. Il faut prendre garde : certaines communes forestières pourraient vouloir sortir du régime forestier et faire gérer leurs forêts par des opérateurs privés, fragilisant encore plus l'Office national des forêts (ONF). Est-ce votre volonté ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous ne souhaitons pas fragiliser l'ONF.
M. Franck Montaugé. - La politique agricole est menée aujourd'hui avec beaucoup de cohérence. L'application de la directive nitrates me préoccupe. Le Gers sera concerné par l'extension des zones vulnérables. La France a certes mis trop de temps à transposer la directive nitrates, qui date d'il y a une vingtaine d'années. Aujourd'hui, les agriculteurs ont le sentiment de ne pas avoir été associés à la redéfinition des cartes des zones vulnérables. Par ailleurs, il existe des études montrant que les zonages peuvent être reconsidérés.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pouvez-vous nous indiquer comment est mise en place la nouvelle gouvernance du Haras du Pin, qui est le « Versailles du cheval », voulue dans la loi d'avenir pour l'agriculture, votée en juillet dernier ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Concernant la gouvernance du Haras du Pin, un comité de pilotage associant l'État, la région et le département a été mis en place et un décret est en préparation. Je ne sais si le haras du Pin est ou n'est pas le « Versailles du cheval », mais c'est un lieu auquel il faut redonner une activité, notamment touristique et des perspectives stratégiques.
Les crédits d'action de FranceAgrimer s'élevaient à 97 millions d'euros en 2014, 87 provenant du programme n° 154 et 10 provenant du CASDAR. En 2015, 93 millions d'euros seront mis à disposition, dont 25 provenant du programme n° 154, mais également 28 provenant du CASDAR et 40 provenant du programme des investissements d'avenir (PIA). La baisse des crédits est donc limitée à 4 millions d'euros et FranceAgrimer doit rester un lieu de pilotage stratégique des filières agricoles, s'appuyant sur les conseils spécialisés.
Les regroupements de centrales d'achat de la grande distribution s'effectuent sous la forme d'accords de coopération entre entreprises. Le Gouvernement a toutefois saisi l'Autorité de la concurrence.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - La commission des affaires économiques a également saisi l'Autorité de la concurrence.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est très bien. Le rapprochement entre Système U et Auchan était vital pour Système U. Ces opérateurs ne sont pas ceux qui ont pour ligne stratégique la guerre des prix. Le regroupement peut donc peser sur les autres de manière positive. La semaine dernière, j'ai signé une charte des acheteurs responsables destinée à définir des critères de bonnes pratiques. Système U est le premier signataire. Le dialogue entre grande distribution et industriels est indispensable, d'autant qu'en période de déflation, ce n'est pas la baisse des prix qui relancera la consommation. D'ailleurs, si le consommateur anticipe la baisse de prix, il attend pour acheter ! Je constate que la grande distribution progresse moins sur les volumes de ventes qu'en développant de nouveaux concepts comme les commerces de proximité, où les prix sont plus élevés.
En tout état de cause, l'observatoire des prix et des marges reste utile.
La loi Hamon aide aussi à rééquilibrer les relations entre acheteurs et vendeurs de produits alimentaires. Le décret est publié. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est engagée à en contrôler l'application.
Concernant les nitrates, la commission européenne reproche à la France l'eutrophisation de l'eau, qui pénalise la biodiversité. La France s'est d'abord occupée de lutter contre l'eutrophisation des zones littorales et plus particulièrement dans les estuaires, en fixant un seuil de 15 milligrammes d'azote par litre d'eau, à partir duquel il y a risque d'eutrophisation. Or, cette approche a été considérée comme insuffisante. Il s'agit de prendre en compte non seulement l'eutrophisation de l'eau dans les zones littorales mais aussi des eaux souterraines. De nouvelles cartes ont donc été élaborées, classant en zones vulnérables de nouveaux territoires, notamment ceux situés dans le croissant allaitant.
La France travaille sur les aspects scientifiques de la question des nitrates, afin de savoir si le seuil de 15 mg par litre est réellement celui à partir duquel il existe un risque d'eutrophisation. Un travail d'évaluation a été demandé à l'INRA et l'IRSTEA. La France travaille aussi à effectuer un zonage plus fin, non pas à l'échelle des communes mais à l'échelle des bassins hydrographiques. Il est cependant nécessaire de créer la nouvelle base de données géographique pour réduire la carte des zones vulnérables.
Nous travaillons aussi à modifier les mesures des plans d'action contre les nitrates. Les périodes d'épandage sont une question sensible car plus la période est courte, plus il faut stocker les lisiers et fumiers. Nous cherchons à convaincre la commission européenne que les fumiers pailleux ne présentent pas de risque lorsqu'ils sont stockés en plein champ. Cela limitera les investissements de stockage à réaliser. Nous souhaitons aussi alléger les interdictions d'épandage sur les terrains en pente. Les textes européens semblent permettre l'épandage sur des terrains avec une pente de plus de 15 % dès lors que la pente ne se termine pas par un ruisseau. Ensuite, nous souhaitons encourager le stockage collectif pour alléger les investissements nécessaires. Le stockage collectif permet aussi de développer la méthanisation. Nous envisageons de permettre aux agriculteurs de pratiquer l'auto-construction, pour alléger le coût des mises aux normes. Toutes ces mesures visent à réduire l'impact de la réglementation sur les nitrates sur les investissements des agriculteurs.
Concernant le loup, des modifications législatives ont été apportées par la loi d'avenir pour l'agriculture. Comme je m'y étais engagé, j'ai pris contact avec les autres pays européens sur la directive habitat. L'Espagne semble sensible à la question.
Concernant les crédits européens, il ne faudrait pas que l'agriculture soit triplement pénalisée d'abord en subissant des sanctions financières au travers des refus d'apurement communautaire, ensuite en consommant les crédits de crise du fait de l'embargo russe, et enfin, en réduisant le montant des aides directes pour respecter les plafonds budgétaires agricoles. Une coordination est nécessaire avec le Parlement européen sur ce point.
Une loi a été votée et les décrets publiés pour améliorer la situation des retraites agricoles. Le régime complémentaire obligatoire (RCO) concerne 400 000 bénéficiaires, surtout des femmes, et représente 30 euros par mois. Les retraites seront à 73 % du SMIC en 2015 et on atteindra progressivement les 75 % en 2017.
Concernant la réforme du forfait agricole, un fonds sera mis en place pour gérer la transition vers le nouveau régime, alimenté par les économies faites grâce à la réforme. L'application du forfait consomme 150 agents et ce régime a un coût de gestion de 13 %. Ce n'est plus envisageable. La profession agricole accepte le changement sur ce point. La viticulture et naturellement concernée. Je serai très attentif à cette réforme pour en éviter d'éventuels effets néfastes.
Concernant les SIE : ils sont la condition du versement de 30 % des aides directes. La France n'a pas imposé de contraintes supplémentaires et a appliqué la réglementation européenne. Les haies me semblent éligibles aux droits à paiement de base. Je vais faire vérifier ce point.
M. Daniel Gremillet. - Non, les haies sont sorties du périmètre des parcelles au-delà du pourcentage autorisé !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Je vous fais remarquer que nous avons permis l'assouplissement des critères de diversification des cultures en faisant reconnaître la couverture hivernale des surfaces en maïs comme une culture à part entière.
Les coopératives ne bénéficient certes pas du CICE mais vont bénéficier de la suppression anticipée de la cotisation sociale de solidarité des sociétés (C3S), soit environ 50 millions d'euros, alors qu'un dispositif comme le CICE leur aurait bénéficié à hauteur de 100 millions d'euros. Leurs filiales au demeurant paient l'impôt sur les sociétés et donc bénéficient du CICE.
Concernant le bois, je suis attaché à la gestion publique de la forêt publique avec le régime forestier qui doit être conservé. Il faut donc conforter l'ONF, qui a bénéficié de 100 millions d'euros de soutiens additionnels depuis 2012. Pour 2015, un effort de 20 millions d'euros a été demandé à l'établissement et le contrat d'objectifs et de performances est en renégociation. Le fonds stratégique bois est alimenté par une partie des centimes forestiers que touchaient par le passé les chambres d'agriculture, et par la taxe de défrichement. Au passage, j'indique que la loi d'avenir pour l'agriculture a exonéré de taxe de défrichement la transformation de surfaces boisées en terres agricoles dans certains départements touchés par la déprise.
M. Daniel Gremillet. - L'attribution des centimes forestiers des chambres d'agriculture au fonds stratégique bois n'est pas positive, car dans les départements forestiers, on démantèle les services dédiés à la forêt dans les chambres d'agriculture.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Non, les plans pluriannuels de développement de la forêt (PPDF) sont conservés. Mais il faut rationnaliser. Mon objectif à terme est d'alimenter le fond stratégique bois avec de nouvelles recettes. Lorsque le marché du carbone redeviendra dynamique, il faudra attribuer au fonds une partie des crédits carbone. D'autres pistes sont à l'étude pour drainer l'épargne privée vers la forêt. Les forestiers sont intéressés par ces pistes.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Dans le même esprit, j'avais déposé un amendement à la loi sur la simplification de la vie des entreprises, afin qu'une partie des fonds de l'assurance-vie retournent vers l'économie réelle.