- Mardi 4 novembre 2014
- Mercredi 5 novembre 2014
- Réforme territoriale - Table ronde sur les relations entre les associations et les collectivités territoriales
- Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) - Demande de renvoi pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Désignation d'un rapporteur
- Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
- Jeudi 6 novembre 2014
Mardi 4 novembre 2014
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 15 h 40.
Audition de Mme Frédérique Bredin, présidente du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous auditionnons Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) depuis juin 2013. Cette audition s'inscrit dans le cadre de notre examen pour avis du projet de loi de finances pour 2015 ; elle illustre également l'attention vigilante que nous portons depuis longtemps au secteur du cinéma, élément essentiel d'une exception culturelle que nous souhaitons tous vivante et dynamique.
Le CNC est une création ancienne, dont les canaux d'intervention se sont développés au fil du temps. Dans un contexte financier difficile, il a su adapter ses missions aux défis que pose la révolution numérique, qu'il s'agisse de la préservation des films anciens, de la modernisation des salles ou du mode de diffusion des oeuvres, la concurrence des nouveaux médias.
Plus généralement, tous les mécanismes de soutien qui lui incombent sont aujourd'hui remis en question par l'évolution des techniques et des usages qui en découlent.
Sur tous ces sujets, nous attendons, madame la présidente, votre éclairage.
Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). - C'est un honneur et une joie de venir devant votre commission, qui a pris des positions très fermes pour soutenir la création et le cinéma en particulier, je pense par exemple à la loi sur la numérisation des salles, qui est devenue un modèle remarqué dans l'Europe entière.
En une année à la tête du CNC, j'ai pu me forger deux convictions.
D'abord celle que l'audiovisuel connaît une mutation majeure avec la révolution numérique, qui est aussi une révolution des pratiques et des usages, en particulier chez les jeunes, ainsi qu'un élargissement des échanges, qui sont d'emblée d'échelle internationale. Cette mutation est une chance autant qu'une menace - cela dépend pour beaucoup de l'angle où l'on se place. Le marché de la diffusion connaît une évolution divergente : les salles se portent bien, l'exportation aussi, tandis que les chaînes de télévision « classiques » voient leur chiffre d'affaires diminuer, que la vidéo à la demande progresse, sans être pour autant assez rémunératrice, et que la vidéo physique s'effondre. Ces évolutions contrastées ont une incidence directe sur le financement des oeuvres et sur le modèle économique du cinéma et de l'audiovisuel. Autre mutation, elle aussi très importante : l'arrivée de géants d'Internet dans l'audiovisuel bouleverse le cadre de la concurrence, menaçant les positions de ceux qui paraissent bien établis aujourd'hui encore - les chaînes de télévision, mais aussi les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Car ces géants, en plus de disposer de moyens très importants, ne sont soumis à aucune des obligations fiscales et de diffusion qui pèsent sur les acteurs traditionnels et qui sont au coeur de notre système de financement de l'industrie cinématographique.
Seconde conviction, celle que les principes et les objectifs de notre soutien public à l'audiovisuel et au cinéma, définis et appliqués depuis bientôt soixante ans, n'ont rien perdu de leur pertinence dans la période actuelle. Le cinéma a déjà connu des révolutions, celle du parlant, de la couleur, de la télévision, d'Internet - chaque fois, le secteur s'est adapté. Créé en 1946 en réaction à l'accord Blum-Byrnes qui faisait craindre un déferlement du cinéma américain sur les écrans français, l'établissement public qui a précédé le CNC a d'abord été pensé pour protéger la production et la diffusion de films français ; le législateur a instauré alors une taxe sur le billet d'entrée pour abonder un fonds de soutien aux films français : la taxe portait sur l'ensemble des films, y compris étrangers, tandis que l'aide allait au cinéma français ; le système mutualisait aussi une partie des gains entre films, avec un effet redistributeur : c'est ce mécanisme qui a soutenu la création cinématographique sur notre territoire, avec la réussite que vous savez, et qui s'est avéré un modèle non seulement pour la création cinématographique, mais aussi pour sa diversité. J'ajoute que l'exception culturelle est tout à fait compatible avec l'ouverture au monde, notre soutien au cinéma en est l'illustration : les aides ne signifient pas un repli sur soi, notre production cinématographique est ouverte via les coproductions, l'accueil de cinéastes étrangers, ce mouvement permanent nourrit la création ; le secteur est également exportateur, nous avons des forces à développer pour exporter davantage encore, c'est un relais de croissance à ne pas négliger.
Quelles sont les perspectives de réformes ?
Je citerai d'abord le soutien à la diffusion en salle. L'acte I de la numérisation des salles a été très réussi, la totalité des salles sont aujourd'hui numérisées, nous sommes le seul pays dans ce cas en Europe. On en mesure l'importance lorsque l'on voit qu'ailleurs, en Italie, en Espagne ou au Portugal par exemple, les salles qui ne sont pas numérisées ne peuvent pas passer des nouveaux films que les distributeurs ne proposent plus qu'en numérique - ce qui condamne ces salles à une fermeture certaine. On peut dire que la numérisation a sauvé notre réseau de salles, nombreuses et diversifiées sur notre territoire - et qui sont importantes pour le lien social dans notre pays. La TVA à taux réduit a fait du bien et les salles ont joué le jeu, avec l'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » : huit millions de places ont été vendues, le succès est incontestable, des jeunes ont pu davantage aller au cinéma, le plus souvent en famille. Nous devons continuer dans ce sens, pour répercuter la baisse de la TVA mais aussi pour aider les salles à s'équiper, en particulier pour l'accueil des personnes handicapées.
L'aide à l'exportation des films français, ensuite : nous avons des positions fortes, mais aussi des marges de progrès que je crois importantes, des mesures sont venues inciter davantage les producteurs et les distributeurs à aller à l'international - il faut continuer dans ce sens.
Le soutien de l'offre française en matière de services audiovisuels numériques : l'arrivée de Netflix et d'Amazon risque de déstabiliser le secteur, ces géants exerçant une concurrence peu équitable avec les opérateurs nationaux et européens qui sont soumis à des obligations fiscales et d'investissement pour le cinéma. Comment, dès lors, soumettre ces géants à des obligations comparables, pour rétablir l'équité de la concurrence ? Ne faut-il pas commencer par taxer la vidéo à la demande ? Le Parlement français l'a demandé, l'État français l'a notifié à la Commission européenne, les Allemands nous ont rejoints : le principe, ce serait d'appliquer la fiscalité du pays de destination, par exemple que la fiscalité française s'applique à ces entreprises lorsque la demande de vidéo est faite depuis le territoire français. Au-delà de la vidéo à la demande, ce même principe pourrait être appliqué aux plateformes qui vivent de la publicité : la fiscalité serait celle du pays où le chiffre d'affaires est réalisé. Une telle réforme, essentielle, fait l'objet d'un débat important. Il faudrait, également, soumettre ces diffuseurs aux obligations de soutien à la production de films, comme il en existe en Europe, en général, et en France, en particulier - ce qui demande une nouvelle directive.
Nous devons faire également des progrès sur la transparence et la maîtrise des coûts dans la production cinématographique. Des réflexions importantes ont été conduites, ouvrant sur des propositions concrètes - je pense en particulier au rapport de la Cour des comptes sur Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle, aux Assises pour la diversité du cinéma, au rapport que René Bonnell a consacré au Financement de la production et de la distribution cinématographique à l'heure du numérique. Des mesures ont été prises et continueront de l'être, avec comme levier la possibilité de rendre l'aide publique conditionnelle au respect d'obligations mieux définies.
Je terminerai cet exposé liminaire par l'importance de l'industrie cinématographique pour la production de valeur ajoutée et pour l'emploi sur notre territoire. N'oublions pas que l'organisme qui a précédé le CNC était rattaché au ministère de l'industrie - et que c'est André Malraux, en 1959, qui l'a rattaché au nouveau ministère de la culture, tout en indiquant que le cinéma était à la fois un art et une industrie... Cette double matrice continue d'être à la base de la stratégie publique de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, le secteur représente 340 000 emplois et 0,8 % du produit intérieur brut (PIB). C'est davantage que l'industrie automobile ; ces chiffres sont méconnus. Cet emploi est particulièrement important en région. On le voit bien, par exemple, pour l'animation, un secteur très dynamique et qui s'exporte très bien. Le soutien public au cinéma, enfin, est particulièrement « localisant », nous soutenons une activité qui s'implante dans l'Hexagone, qui nous est donc directement utile collectivement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour cette présentation et pour ce rappel de l'importance de l'industrie cinématographique en termes d'emploi.
M. David Assouline, rapporteur pour avis pour le cinéma. - De cet exposé fort clair, et qui soulignait bien les enjeux, je retiendrai qu'en dépit d'une diminution des recettes prévisionnelle de 5 % pour le fonds de soutien et au terme de discussions très étendues, et parfois tendues, le soutien du dispositif d'aide au cinéma est maintenu. Si, dans la situation budgétaire que nous connaissons, les crédits de l'audiovisuel sont restreints alors que ceux de la culture sont globalement préservés, au sein même du secteur audiovisuel, les crédits alloués au cinéma se maintiennent. Nous devons nous féliciter de ce parti pris gouvernemental.
L'organisation du secteur du cinéma se caractérise par quelques dispositifs vertueux tels que la taxe sur les billets d'entrée prélevée au profit de la création et la chronologie des médias. Mais le choc de la révolution numérique doit nous conduire à nous interroger et à poursuivre notre réflexion sur les réformes à envisager, dont certaines préconisées par le rapport Lescure, le rapport Bonnell ou encore le rapport de la Cour des comptes. On avait évoqué, lors des Assises pour la diversité du cinéma, une réforme de la chronologie des médias, avec une commission décidant chaque semaine de dérogation pour les films ne rencontrant pas de succès en salles, pour une diffusion plus rapide en vidéo : a-t-on avancé sur ce dossier ?
Dans un contexte de crise et de concurrence extérieure croissante, les opérateurs français se disent pénalisés par les obligations qui pèsent sur eux, alors que nous savons bien, et eux aussi, que ces obligations ont permis au cinéma français de continuer à se développer. Dès lors, l'alternative à l'allègement de ces obligations, n'est-elle pas d'y soumettre également les opérateurs étrangers : c'est bien le débat, chacun sait de quel côté je me place, dans l'intérêt même de notre industrie cinématographique et de la création dans son ensemble. J'aurais tendance à penser qu'après avoir imposé la TVA nationale à des services proposés sur un territoire donné, l'Europe devrait s'efforcer de généraliser ce principe à la fiscalité des entreprises ; le soutien à l'industrie cinématographique européenne ne peut pas se résumer à une taxe sur les billets vendus en salle, il faut agir davantage contre les grands groupes qui déploient des stratégies d'optimisation fiscale très élaborées.
Cela dit, il semble que les choses avancent, un certain nombre de pays européens s'inspirant de notre dispositif de soutien au cinéma.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles ». - Le ministère de la culture ne versant plus de subvention de fonctionnement au CNC depuis 2011, en 2012, il considérait : « son rattachement au programme 224 [transmission des savoirs] n'est aujourd'hui qu'administratif et n'a aucune incidence budgétaire ». Pour autant, le CNC est désormais rattaché au programme Livre et industries culturelles, ce qui me fournit l'occasion de vous interroger sur son fonctionnement après les ponctions opérées sur son fonds de roulement au cours des années récentes : pouvez-vous nous apporter des précisions sur la mobilisation de la réserve de solidarité pluriannuelle en 2013 ?
En tant que membre de la commission des affaires européennes, j'insiste, par ailleurs, sur la nécessité de maintenir la pression sur la Commission européenne afin que l'exception culturelle demeure un principe fondamental de notre action. Le financement de la création cinématographique est assis sur des mécanismes nationaux bien rôdés mais remis en cause par l'émergence de nouveaux acteurs, sociétés multinationales qui échappent aux contraintes de droit commun, même si l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient de rendre publiques ses premières recommandations en faveur d'une révision des conventions fiscales intéressant les « GAFA ».
Mme Frédérique Bredin, présidente du CNC. - Avec 630 millions d'euros pour 2015, le CNC prévoit une diminution significative du fonds de soutien, mais elle est le fait du recul du marché lui-même ; ce qu'il faut signaler, d'abord, c'est que, dans ce contexte, le CNC a été pleinement respecté dans ses missions puisque le Gouvernement renonce à écrêter les taxes qui nous sont affectées, de même qu'à prélever notre fonds de roulement. Nous nous félicitons de ces nouvelles conditions très positives, qui devraient perdurer pour le triennal à venir.
L'an passé déjà, nous constations un recul de nos recettes de 40 millions d'euros : 10 millions liés à « l'amendement Canal + » et 30 millions à la diminution du chiffre d'affaires des diffuseurs, recul que la participation des fournisseurs d'Internet n'a pas compensée, malgré nos espoirs. Nous savons d'ores et déjà que ce mouvement va se poursuivre l'an prochain - il est satisfaisant, cependant, que les FAI aient accepté de participer au financement de la création, après l'avoir refusé avec fermeté pendant bien des années.
Plusieurs grands dossiers se présentent à l'échelon européen. Avec nos homologues, réunis au sein du réseau des centres européens du cinéma, nous avons saisi les institutions européennes récemment renouvelées pour qu'une régulation soit mise en place, qui passe par des outils capables de faire contribuer ces nouveaux acteurs extérieurs, sur le plan fiscal aussi bien que pour la diffusion et le soutien à la création de contenus. Des avancées ont été possibles pour la TVA, il faut le faire pour le cinéma et l'audiovisuel.
M. Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC. - La chronologie des médias est fixée par un accord interprofessionnel, le CNC n'a qu'un rôle de facilitateur ; l'accord actuel court jusqu'au 6 avril prochain. Nous tenons une réunion plénière dans deux jours avec toutes les parties prenantes pour se mettre d'accord sur la commission de dérogation. L'idée est qu'il existe un délai de quatre mois intangible où le film ne peut être vu qu'en salle. Il est fondamental de ne pas toucher à ce délai avec néanmoins des exceptions envisageables, comme lorsqu'un film n'a pas eu le succès escompté et qu'il puisse être diffusé plus rapidement en vidéo à la demande (VàD).
Aujourd'hui, il n'existe pas d'obligation de présentation d'une oeuvre sur une plateforme de VàD. C'est l'objet des discussions et c'est loin d'être simple. Nous espérons avancer rapidement sur ces sujets d'ici la fin de l'année.
Mme Maryvonne Blondin. - L'emploi est une dimension très importante de l'industrie cinématographique, mais on ne sait pas précisément de quel type d'emploi il s'agit, s'il est salarié ou intermittent, à durée déterminée, quels sont les niveaux de formation : avez-vous des éléments sur ce sujet ?
Ensuite, l'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » va-t-elle être renouvelée ?
M. Jean-Pierre Leleux. - Il y a déjà de nombreuses années que la politique de soutien au cinéma recueille un très large consensus au sein de notre commission, c'est une raison des succès que nous avons enregistrés. Je me réjouis que les ressources du CNC ne soient pas écrêtées cette année car les ponctions remettent en cause notre modèle même du soutien au cinéma.
Vous avez rappelé le succès de la loi sur la numérisation qui fait qu'aujourd'hui, pratiquement toutes les salles sont équipées ; c'est un modèle à préserver. Des petites salles en province, cependant, continuent d'être menacées et il ne faut pas perdre de vue que le succès global des salles - près de 200 millions de spectateurs cette année - masque une grande disparité des situations, avec une forte concentration, qui s'amplifie : il faut y prendre garde. De même, il ne serait peut-être pas inutile, surtout quand on appelle à plus de transparence, de regarder du côté des relations entre les distributeurs et les exploitants, un domaine très particulier s'il en est, où les contrats sont oraux et se trouvent conditionnés par le succès que rencontrent les films...
La mise aux normes pour l'accueil des personnes en situation de handicap, ensuite, va poser de grandes difficultés à nombre de salles anciennes, les délais paraissent courts : dans quelle mesure le CNC peut-il les y aider ?
Comment anticipez-vous la fin du mécanisme financier des frais de copies virtuelles (VPF), qui a aidé les salles à s'équiper en numérique ? Le CNC conduit-il une réflexion sur le sujet ?
L'an passé, au terme d'une rude bataille, nous avons relevé le crédit d'impôt sur les dépenses de tournage effectuées en France, mais nos voisins allemands et belges, par exemple, continuent de bénéficier de mécanismes plus favorables. Ce crédit d'impôt est un critère de localisation de tournages, donc un levier de développement de nos territoires : pensez-vous qu'il faille aller plus loin, et comment ? Quid, en particulier, de la question des sommes éligibles ?
Enfin, où en est le programme de numérisation des oeuvres sur support argentique ?
Mme Marie-Annick Duchêne. - Quelles sont vos relations avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Quel regard portez-vous sur les politiques européennes de soutien au cinéma et quels vous paraissent les obstacles à la création du marché unique numérique à l'horizon 2020 ?
Mme Sylvie Robert. - Où en est votre réflexion sur l'évolution des conventions avec les régions ? C'est un outil extrêmement intéressant, le cofinancement élargit l'investissement - quelles évolutions voyez-vous dans la réforme territoriale en cours, quelle répartition des compétences ? Pour ma part, j'ai toujours plaidé pour des conventions beaucoup plus territorialisées...
Mme Frédérique Bredin, présidente du CNC. - L'emploi dans l'industrie cinématographique recouvre effectivement des métiers et des statuts très divers, nous les connaissons mieux grâce à une première étude globale que nous tenons à votre disposition : c'est un sujet sur lequel nous allons continuer de travailler ; l'animation est, effectivement, un secteur très dynamique, avec quelque 5 000 emplois, le plus souvent des jeunes, très qualifiés, avec des entreprises présentes en région. La cartographie de l'industrie cinématographique fait apparaître des pôles régionaux tout à fait intéressants : il y a bien là un levier pour le développement régional dans son ensemble.
Les crédits d'impôt liés à la production jouent effectivement un rôle décisif pour la localisation des tournages dans l'Hexagone ; nous y avons travaillé également et tenons à votre disposition des éléments très précis, démontrant l'effet de levier des tournages bien au-delà des professionnels du cinéma. Les études montrent aussi que l'État lui-même est gagnant, puisque l'activité produite abonde ses recettes fiscales et celles de la Sécurité sociale : le rapport serait même de un pour trois... Les crédits d'impôt, d'une manière générale, s'avèrent donc un outil très utile, sur le plan économique et culturel.
L'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » rencontre un succès incontestable, les exploitants de salles en ont conscience, c'est un signe très fort en direction des familles et des jeunes. Le taux réduit de TVA étant pérenne, nous espérons qu'elle sera reconduite ; je crois que les exploitants ont compris le message mais également l'intérêt qu'ils ont à ce que les jeunes prennent l'habitude de venir dans leurs salles.
M. Olivier Wotling, directeur du cinéma au CNC. - Les relations entre distributeurs et exploitants sont effectivement un sujet, des discussions sont en cours.
L'exploitation en salle se concentre progressivement, le mouvement est engagé depuis de nombreuses années, le tiers des écrans réalise aujourd'hui quasiment les deux-tiers des entrées. Des mesures ont été prises pour l'enrayer, le rapport de votre ancien collègue Serge Lagauche sur la réforme de la procédure d'aménagement cinématographique propose des pistes très intéressantes, notamment pour renforcer les critères strictement cinématographiques dans l'autorisation d'implanter de nouvelles salles : il faut mieux prendre en compte les salles indépendantes et les salles d'art et essai.
L'importance des relations entre distributeurs et exploitants a été très bien marquée lors des Assises sur la diversité du cinéma, nous avons débattu de l'accès aux nouveaux films pour les plus petites salles. Notre objectif est de parvenir à un engagement de distribution pour une meilleure répartition des films en sortie nationale, qui limiterait la concentration dans les seuls grands centres urbains. Nous projetons également de renforcer l'aide à la petite et à la moyenne exploitation ; c'est le cas en particulier pour l'aide aux travaux d'accessibilité aux personnes handicapées : nous la ciblerons sur les petites exploitations. Nous souhaitons également faciliter la transmission des petites exploitations, c'est un facteur clé pour que ces salles ne soient pas rachetées par quelques grands groupes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour toutes ces informations.
Loi de finances pour 2015 - Audition de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche
Puis la commission auditionne Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le projet de loi de finances pour 2015.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Madame la ministre, vous allez nous présenter les crédits du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour 2015. Pour compléter notre information, nous recevrons demain le ministre de l'agriculture, responsable notamment du programme 142 « Enseignement supérieur et recherches agricoles ». L'intérêt que notre commission porte à l'enseignement supérieur et à la recherche n'est pas nouveau, comme en témoignent les récents travaux de notre collègue Dominique Gillot sur le financement des universités - en collaboration avec la commission des finances. Les économies demandées aux établissements d'enseignement supérieur dans le cadre du redressement des comptes publics, avez-vous annoncé, tiendront compte de la situation financière de chacun d'entre eux. Qu'en est-il précisément ? Ces économies ne risquent-t-elles pas de remettre en cause les engagements pris par le Gouvernement en matière d'emploi scientifique - remplacement de toutes les personnes qui partent à la retraite, chercheurs comme ingénieurs, sans oublier les perspectives d'avenir que nous devons pouvoir offrir à nos jeunes chercheurs ?
L'Agence nationale de la recherche (ANR) a un nouveau président-directeur général. Il doit appliquer le décret de mars dernier qui renouvelle le cadre de fonctionnement de l'agence, en renforçant ses missions et en modifiant sa gouvernance. Quelles orientations lui avez-vous données pour mener à bien cette tâche ? Enfin, à l'occasion de la table ronde que nous avions consacrée aux Moocs au printemps dernier, nous avions reçu les responsables de France Université Numérique. Pouvez-vous nous faire le point sur ce dossier, sachant que nous ne pouvons rester à l'écart du développement des nouveaux modes d'enseignement fondés sur le numérique.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Même si ce ne sont pas des sujets à forte portée médiatique, l'enseignement supérieur et la recherche sont une priorité pour notre pays. J'ai du reste déploré que lors du vote de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, les médias se soient focalisés sur deux ou trois éléments - je songe notamment à l'article 2 sur les cours dispensés en langues étrangères -, occultant tous les autres. Dans son ensemble, mon budget 2015 est placé sous le signe de la stabilité, conformément aux engagements du Président de la République et du Premier ministre. Les moyens sont préservés, 26,6 milliards d'euros pour la mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (MIRES) et 23,5 milliards pour le périmètre de l'enseignement supérieur et de la recherche. La MIRES recouvre tous les programmes du Secrétariat d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche ainsi que les programmes de recherche des ministères de l'agriculture, de l'environnement et de la défense. Les crédits consacrés à l'enseignement supérieur - ceux du programme 150 - sont stables et même en légère hausse, à 12,8 milliards d'euros. Les dépenses immobilières chutent, la fin des travaux à Jussieu - désamiantage et reconstruction - dégageant une économie de 111 millions d'euros. C'est une bonne nouvelle, 106 millions d'euros supplémentaires ont ainsi pu être consacrés à la masse salariale et au fonctionnement des établissements. Ces moyens dévolus aux universités ont permis de financer les grands engagements du Gouvernement. Mille emplois supplémentaires sont alloués chaque année aux universités jusqu'en 2017, pour 60 millions d'euros par an. Des mesures catégorielles ont été rendues possibles en faveur des catégories B et C, avec une augmentation des crédits correspondants de 20 millions d'euros. La compensation boursière était réclamée par des universités qui, accueillant un grand nombre de boursiers, sont désavantagées car elles ne perçoivent pas de frais d'inscription. Elle sera complète dans quatre ans - la première année, 25 % seront pris en charge, ce qui représentera une dépense de 13 millions d'euros. Enfin, le glissement vieillesse-technicité (GVT), qui n'avait pas été pris en compte lors du passage des universités aux responsabilités et compétences élargies (RCE), figurera pour la première fois dans le budget. C'est une grande victoire, il nous a fallu deux ans pour convaincre !
Les mesures engagées par le ministère ont amélioré la situation des universités, fortement dégradée après leur passage aux RCE. Dix-sept universités étaient en déficit en 2012, huit en 2013 et quatre en 2014 ; quatre universités seulement sont en double déficit, et elles ne seront probablement plus que trois en 2015, car l'université de Versailles-Saint-Quentin devrait retrouver une trésorerie positive, en dépit de tous les dysfonctionnements qu'elle a pu connaître. Ces progrès sont le résultat d'un accompagnement très serré et de formations coordonnées par le ministère et dispensées auprès des équipes de gouvernance des universités.
Les crédits consacrés à la vie étudiante progressent de 45 millions d'euros. Ils serviront à financer la deuxième vague de réforme des bourses d'études. Cette année, 77 500 étudiants - contre 57 000 l'an dernier - qui bénéficiaient seulement de la dispense des frais d'inscription ont obtenu une allocation de 1 000 euros. Mille nouvelles aides d'un montant de 4 000 à 5 500 euros ont été prévues pour les étudiants en rupture familiale - 8 000 sont concernés. Enfin, nous avons augmenté de 0,7 % - soit deux fois l'inflation -, le montant de l'ensemble des bourses. L'effort global s'élève à 100 millions d'euros. En cette période de restriction budgétaire, il s'agit d'un acte politique fort. Pourquoi avons-nous privilégié les aides sur critères sociaux ? Toutes les études montrent qu'une situation sociale déficiente est le premier facteur qui compromet la réussite dès la première année d'études. Il est donc logique que sur le total de 600 millions d'euros de bourses, nous y consacrions 458 millions.
Les moyens de la recherche sont sauvegardés à hauteur de 7,77 milliards d'euros, en légère hausse, de 6 millions. Les organismes de recherche conservent leurs moyens, de même que l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui se maintient à 580 millions d'euros - elle n'a jamais dépensé plus. Dans un contexte démographique rendu défavorable par la fin des départs à la retraite de la génération du baby boom, la loi Sauvadet, pourtant votée unanimement sous le précédent quinquennat, a eu un impact négatif : beaucoup de contrats à durée déterminée (CDD) ont été conclus, lors d'appels d'offre nombreux et mal préparés. À présent ces contrats se terminent. J'ai négocié avec les organismes de recherche afin que chaque départ à la retraite soit remplacé et même davantage - et cela pour tous les métiers exercés, chercheurs, ingénieurs, personnels administratifs, etc. J'ai également demandé que la priorité soit donnée à l'embauche des jeunes chercheurs. Forte de ses 12 000 docteurs par an, la France devance le Royaume-Uni et l'Allemagne en nombre de chercheurs dans la population active. Pour élargir les perspectives d'embauche, nous avons également sollicité les entreprises privées.
La priorité budgétaire accordée à l'enseignement supérieur et à la recherche s'inscrit dans le droit fil de l'effort engagé depuis 2012. Cet effort a conduit à une augmentation de 638 millions d'euros en trois ans des crédits accordés à ce secteur déterminant pour l'avenir. Dans une période de budget contraint, cette performance m'est enviée par mes collègues !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - La contribution au redressement des comptes publics prévue pour les établissements supérieurs, 100 millions d'euros, suscite quelques inquiétudes. Les économies tiendront-elles compte de la situation financière de chaque établissement ? C'est indispensable. La fin de la sanctuarisation des crédits ne nous rassure pas non plus. Devant notre commission, il y a quelques instants, Mme Frédérique Bredin, présidente du centre national du cinéma et de l'image animée, a évoqué les salles obscures et les premiers baisers ; je voudrais parler des mots d'amour et des preuves d'amour. Fin 2012, lors des assises de l'enseignement supérieur, le Président de la République affirmait vouloir insuffler une ambition nouvelle à la recherche. Les mots d'amour sont là ; les preuves d'amour n'y sont pas, car ni la loi de juillet 2013, ni le budget que vous nous présentez ne contribuent à mettre en place une stratégie de long terme pour la recherche. La loi fondatrice d'avril 2006 prévoyait, dans une période également contrainte, de faire de la recherche le socle de la relance économique. Les investissements d'avenir avaient alors mobilisé 35 milliards d'euros.
Il est indispensable de relancer notre recherche dans un monde de plus en plus compétitif, en prévoyant le renouvellement des équipes et le remplacement des départs en retraite, pour combler le trou générationnel. Vous nous avez parlé d'une augmentation de 7 millions d'euros sur le fonds consacré à la recherche et d'une baisse de 5 millions d'euros sur celui de l'enseignement supérieur. C'est un équilibre.
Les difficultés budgétaires des universités persistent, néanmoins. La Conférence des présidents d'universités (CPU) a évalué à 200 millions d'euros l'écart entre la prévision des dépenses obligatoires pour les établissements et les dotations de l'État. Dans une motion, elle indique que la création des postes d'enseignement supérieur ne saurait masquer l'ampleur des besoins de financement globaux des établissements et l'urgence à y répondre. Les difficultés budgétaires des universités les incitent à revoir leurs priorités. Une stratégie d'austérité se met en place : fermeture de certaines filières, baisse des volumes horaires, gel des postes...
Quant aux 1 000 emplois, le Snesup lui-même a parlé de « jeu pipé », car certains établissements n'ont pas créé les postes attribués en 2013, utilisant les fonds pour maintenir l'équilibre de leurs comptes. Le bilan positif que vous dressez au sujet de la réduction du déficit des universités est peut-être un peu optimiste. Le manque de postes pousse les enseignants à faire davantage d'heures supplémentaires et met le personnel administratif en difficulté. La CPU regrette que les crédits soient alloués en priorité à la vie étudiante plutôt qu'aux établissements. Le dernier versement 2014 de l'État, fin octobre, a été amputé de 20 % ; un versement additionnel est prévu en novembre. Les universités les plus fragiles n'arrivent plus à payer leur personnel.
Dans le contrat de projets État-régions 2015-2020, le volet enseignement supérieur et recherche est très légèrement en baisse par rapport à celui de 2007-2014. Selon l'Association des régions de France (ARF), ces crédits passeraient de 2,19 milliards à 850 millions d'euros. Participez-vous aux négociations ? Avez-vous des informations sur cette diminution des crédits ? Les universités concernées vont-elles percevoir en 2015 une compensation intégrale pour l'exemption des droits d'inscription des étudiants boursiers ? La répartition entre établissements sera-t-elle équitable ? Quelles pistes de réforme envisagez-vous pour le nouveau modèle d'allocation des moyens aux universités, Modal ? Le Gouvernement avait prévu la suppression des bourses au mérite - cela concerne 16 000 bacheliers. Le Conseil d'État a décidé de suspendre cette suppression. Quelles en sont les conséquences budgétaires ? Enfin, l'État respectera-t-il en 2015 ses engagements budgétaires vis-à-vis des établissements d'enseignement supérieur privés ? Quand commencera-t-il à attribuer la qualification d'établissement d'enseignement supérieur d'intérêt général, conformément à ce qu'a prévu la loi du 22 juillet 2013 ?
Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - De la CPU, je n'ai pas entendu la même chose que ce qu'en a retenu M. Grosperrin : il faut croire que nous n'avons pas les mêmes oreilles. Le maintien des crédits consacrés à la recherche est un effort remarquable dans la période actuelle. Quelles mesures concrètes le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre pour limiter la précarité de l'emploi scientifique ? Tous les chercheurs n'ont pas vocation à occuper un emploi statutaire. Leur nombre augmente. Comment favoriser leur embauche par des entreprises - au-delà du crédit impôt recherche ? Comment développer la recherche partenariale entre les entreprises qui bénéficient du crédit impôt recherche et les universités, en particulier les universités de technologie ? Dans quelle mesure l'ANR pourra-t-elle renforcer son préciput afin de mieux prendre en compte les frais de gestion associés à la conduite des projets de recherche ? Le taux de prise en charge de ces frais est en moyenne de 20 % dans l'Union européenne, contre 12 % en France. Sous quelles conditions et dans quel délai pourrons-nous nous aligner sur l'objectif européen ? Des comités sont au travail pour définir les stratégies nationales d'enseignement supérieur et de recherche. Ces stratégies s'appuient sur des acquis et sur l'évolution des pratiques de transmission et de partage de la connaissance. Comment favoriser la recherche en formation et en pédagogie innovante ? Les investissements d'avenir pourront-ils porter la dimension participative du partage de la culture scientifique ? Dans la recherche, les évolutions de carrière dépendent beaucoup du nombre de publications. Comment intéresser les chercheurs à la pédagogie sans qu'ils y voient un handicap pour leur avancement ?
Quels seront les taux de mise en réserve des crédits dans les organismes de recherche en 2015 ? Quelle sera la nature des économies qui leur seront demandées pour contribuer aux efforts de la nation ? Conformément à la loi de 2013, quelles mesures favoriseront l'accès des titulaires d'un doctorat à la haute fonction publique ? Des campagnes de promotion sont-elles envisagées pour changer le regard du secteur économique sur ces diplômés formés à la recherche ? Enfin, la mobilité internationale est souvent considérée comme une fuite des cerveaux plutôt que comme une chance pour la jeunesse. N'est-ce pas confondre mobilité entrante et sortante, émigration et immigration ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. - J'apprécie l'étendue et la variété de vos questions. Je le redis : dix-sept universités étaient en déficit lorsque j'ai pris mes fonctions ; elles ne sont plus que quatre. Nous avons accompagné le changement. Nous avons fait des diagnostics flash plutôt que de nous limiter à constater les dysfonctionnements et les échecs - comme à l'université de Versailles-Saint-Quentin. Nous avons fait en sorte que les universités adoptent de plus en plus un système de comptabilité analytique qui facilité la lisibilité des évolutions budgétaires. Le passage aux RCE nécessite un accompagnement et une formation des équipes administratives, au sein des universités. C'était le maillon manquant après le vote de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). Dans une entreprise, tout changement est accompagné. Pourquoi ne le serait-il pas dans les universités ? Nous avons consacré beaucoup de temps à la formation des équipes, notamment dans le cas de l'université de Saint-Quentin. Je suis reconnaissante à mon cabinet et aux services du ministère d'avoir joué ce rôle nouveau, indispensable.
La simplification a également porté ses fruits. Sans parler de matières rares, 30 % des masters avaient une seule université de référence, voire un seul enseignant-chercheur de référence, pour moins de quinze étudiants parfois. Une offre de formation avec 10 000 parcours de masters et 5 000 intitulés différents est-elle encore lisible ? Non. La réduction de leur nombre est une clarification, non un appauvrissement. La formation universitaire est la seule à être irriguée par la recherche. Elle est diverse et n'est pas formatée. Les entreprises ont besoin d'ingénieurs, de gens qui anticipent les mutations, sentent les usages et mesurent l'acceptabilité des produits fournis par l'entreprise. La formation universitaire est la plus à même de fournir ce type de compétences. La simplification des masters contribue à rendre l'offre universitaire lisible pour les entreprises. Elle s'est faite au bénéfice de l'insertion professionnelle des étudiants, et en dialogue avec les responsables de département. Nous avons réduit le nombre des masters à un peu plus de 400. À présent, nous nous adapterons au fil de l'eau. L'université est un organisme vivant et pluraliste. Le dogmatisme ne lui convient pas. La même règle ne peut pas s'appliquer à tous les établissements. Nous avons également simplifié les licences générales, en réduisant leur nombre de 1 800 à moins de 300, et nous sommes en négociation avec les départements pour simplifier le système des licences professionnelles. Ainsi, les familles devraient y voir plus clair.
La remise en place du dispositif « Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité » (Sympa) participe du même esprit de simplification. Beaucoup de modèles ont été expérimentés, prenant en compte des facteurs comme le nombre de boursiers, de disciplines ou d'étudiants, sans que les simulations financières donnent satisfaction. Le travail n'est pas perdu pour autant. Il a montré que le dispositif s'appliquait facilement aux écoles d'ingénieurs, mais pas aux universités qui offrent trop de diversité. Qu'y a-t-il de commun entre une grande université centrée sur la recherche et une université régionale, plus petite, mais utile aux étudiants qui souhaitent commencer leurs études en restant dans leur région ? Pour avoir des modèles équitables, nous devons prendre le temps de catégoriser les universités. Si nous appliquions le modèle Sympa, certaines universités verraient leur dotation baisser de 20 millions d'euros. Ce n'est pas réaliste. Chaque année, cinq versements sont alloués aux universités. Ceux qui m'ont précédée dans mes fonctions se sont battus pour obtenir le maximum de crédits jusqu'à la fin de l'année. C'est aussi ce que je fais. Jusqu'à présent, les arbitrages ont toujours été favorables.
Quant aux aides au mérite, elles ont été mises en place par Claude Allègre, à un moment où il y avait moins de 3 % de mentions « très bien » au baccalauréat. Aujourd'hui, le pourcentage dépasse 12 %. Or les bacheliers qui obtiennent une mention « très bien » appartiennent rarement aux classes défavorisées. Ces aides n'ont aucun effet levier social. Compte tenu de l'avis négatif du Conseil d'État, qui portait sur la forme et non sur le fond, il a finalement été décidé de maintenir ces aides, dont la suppression avait été annoncée près d'un an à l'avance, afin de ne pas pénaliser les bénéficiaires ; elles représentent en tout 39 millions d'euros et 14,6 millions pour la première année. Nous réfléchissons à la création d'un système capable de prendre en compte la dimension sociale, pour aider les étudiants à améliorer leurs conditions de vie - logement, santé, etc. La majorité des organisations étudiantes nous soutient dans cette démarche. Mme Pécresse avait vu les limites du système et déjà réduit de 20 % à 2 % le nombre de boursiers concernés, au niveau du master. Du reste, le système de notation variant selon les disciplines et les universités, les étudiants n'étaient pas tous traités pareillement, ce qui donnait lieu à de nombreux recours.
Dans la recherche, avec la fin du baby boom, le volume de départs à la retraite a effectivement diminué. Nous entretenons un dialogue soutenu avec les organismes de recherche pour qu'ils orientent leur politique de ressources humaines vers l'embauche des jeunes chercheurs et l'insertion des post-docs. Le secteur privé finance la recherche à hauteur de 63 % et 60 % des chercheurs travaillent dans le privé, mais seulement 12 % d'entre eux sont titulaires d'un doctorat académique. Les entreprises embauchent plutôt des ingénieurs. Il faut changer la culture à la fois du côté des entreprises et du côté académique. Les jeunes qui s'engagent dans une thèse doivent pouvoir envisager la recherche privée comme un débouché possible. Nous formons 12 000 docteurs par an dont 41 % sont étrangers - c'est important pour la défense de la francophonie. Il faut en finir avec le préjugé selon lequel la recherche privée est une issue pour ceux qui ne réussissent pas à faire une carrière académique. En Allemagne, on compte quatre fois plus de docteurs dans l'industrie qu'en France. Dans notre pays, cinq ans après leur diplôme, 50 % des docteurs exercent dans la recherche publique, 25 % dans des établissements privés et 25 % ailleurs, dans des start-ups, comme journalistes ou autres. Il y a là une anomalie de la culture française. En rapprochant les écoles des universités, nous ferons tomber bien des cloisonnements. Plus qu'un infléchissement, nous voulons un changement culturel.
Une difficulté particulière concerne la biologie. Les jeunes filles, titulaires d'un bac S avec mention « bien » ou « très bien » se dirigent vers la biologie ou les sciences de la vie plutôt que vers la physique ou les mathématiques. Combien de masters en informatique ou en mathématiques 100% masculins ! J'ai pu constater que le master « Big data » de l'université Pierre et Marie Curie comptait seulement trois filles sur 100 étudiants : deux Algériennes et une Syrienne. Il y a en France un problème manifeste ! D'autant que la biologie fournit dès lors des promotions trop nombreuses, que nous ne parvenons pas à gérer.
La frénésie d'appels d'offre durant le dernier quinquennat a conduit à la multiplication d'embauches en CDD dans les organismes de recherche : à l'Inserm, la proportion de contrats à durée déterminée est passée de 10 à 35 %. À cela s'est ajoutée la loi Sauvadet. Si bien que nous connaissons maintenant des difficultés d'insertion. Les quatre années qui viennent vont être délicates, nous étudions comment éviter un trop grand creux dans les recrutements, d'autant que la file d'attente ne diminuera pas.
Entre 2012-2013 et 2013-2014, le nombre de postes d'enseignants dans le supérieur est passé de 91 300 à 91 771. Des postes ont été gelés, mais 1 000 ont été créés : 23 % dans les fonctions de soutien et de support, 1,5 % au service de l'entreprenariat, 10,5 % pour le numérique et 65 % au profit direct de l'étudiant (amélioration de l'orientation, innovations pédagogiques, insertion, maîtrise des langues).
Nous demandons aux universités de réduire leurs charges de 100 millions d'euros, certes, mais nous leur accordons 206 millions supplémentaires, soit 106 millions nets. Oui, un effort de mutualisation des services généraux est nécessaire : comment accepter que certaines universités, parce que chacun entend préserver son pré carré, conservent quatre services de relations internationales ou quatre services informatiques ?
Il existe aujourd'hui 53 Moocs, comptant 400 000 inscrits. Cédric Villani m'a assuré hier qu'il mettrait en place en 2015 trois Moocs qui seront paraît-il assez surprenants. Les Moocs ne suppriment pas la place des enseignants, ils rétablissent un lien de proximité avec l'étudiant sur la base de connaissances déjà acquises. Les cours théoriques sont diffusés par voie numérique ; l'enseignant rencontre ensuite des étudiants plus avertis. Il y a peu, un jeune Allemand m'a dit sa surprise lorsqu'il a constaté qu'en France seul l'enseignant parlait. Eh oui : l'interactivité doit progresser !
Enfin, la fuite des cerveaux est un marronnier des médias, mais elle n'existe pas. Au cours des dix dernières années, le solde positif se monte à 900 000 personnes diplômées qualifiées, ce qui nous place en deuxième position après les États-Unis. Notre pays compte 41 % de doctorants étrangers et 31 % de chercheurs étrangers au CNRS. Tous les grands scientifiques ont un parcours international.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Les étudiants en master 2 qui sont en apprentissage ont du mal à trouver des entreprises pour les accueillir. Ainsi en est-il pour le master en ingénierie éditoriale et communication (IEC) à Cergy. Les entreprises sont-elles contactées en amont par l'établissement ? Les effectifs étudiants sont-ils décidés en fonction des engagements des entreprises ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Les inquiétudes persistent sur le rétablissement financier des universités. Vous indiquez que 1 000 postes ont été créés, mais combien sont réellement ouverts ? Les universités gèlent les recrutements parce qu'il faut d'abord payer les dépenses courantes, comme le chauffage !
La Cour des comptes a calculé que 900 équivalents-temps-plein (ETP) avaient été supprimés en 2012, et encore 2 231 en 2013. Vous mentionnez quant à vous 471 créations...
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Sur l'année universitaire 2013-2104, oui.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous annoncez des redéploiements en fonction des priorités du gouvernement mais les services administratifs universitaires souffrent de carences d'emplois...
Nous sommes hostiles à la logique et à la méthode de financement de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Nombre d'organismes de recherche, comme le CNRS, ont vu leur budget et leurs effectifs diminuer. En outre, les places aux concours se raréfient. Le crédit impôt recherche, coûteux, est-il efficace ? Sanofi en a largement bénéficié, ce qui ne l'a pas empêché de fermer des centres de recherche.
M. Daniel Percheron. - J'ai vu à Grenoble comment le modèle français, qui ne repose pas sur la cogestion avec les entreprises comme en Allemagne, mais sur l'intelligence des territoires, peut fonctionner. Quels que soient demain les contours des régions et des départements, les futurs contrats de projets État-région (CPER) devront faire la part belle à cette intelligence des territoires. Vous incarnez, madame la ministre, l'État stratège, le territoire stratège, et, ajouterai-je, le bonheur grenoblois. François Hollande n'a-t-il pas dit : « Mon modèle, c'est Grenoble » ? Et le brillant Christian Blanc a lui aussi affirmé : « Pour moi, l'avenir, c'est Grenoble ». Comment avez-vous abordé l'épreuve de vérité des contrats de projets, qui vont nous engager pour longtemps ? Dans la première mouture, pour ma région, 3 millions d'euros ont été prévus sur six ans.
Votre ministère est au coeur de l'avenir de notre pays, qui repose fondamentalement sur la formation, la recherche, l'innovation. Ma région, qui compte 4 millions d'habitants, est attributaire de 2 % des investissements d'avenir, contre 42 % à l'Île-de-France. Nous consommons 1,6 % du CIR, l'Île-de-France 67 %. Mais le Nord-Pas-de-Calais fournit 9 % des exportations : nous sommes ancrés dans l'économie mondiale. Votre expérience grenobloise peut nous éclairer : comment procéder aux adaptations territoriales qui s'imposent ?
Mme Françoise Laborde. - Il existe une inadéquation entre les étudiants désireux de suivre une formation en alternance et le nombre d'entreprises disposé à les accueillir. Ne pourrait-on utiliser le CIR pour rapprocher l'offre de la demande ? Le RDSE se satisfait de ce budget en relative augmentation, depuis plusieurs années, ces crédits sont privilégiés.
Mme Maryvonne Blondin. - Les sept universités de Bretagne et des Pays de la Loire veulent construire une communauté d'universités et d'établissements (Comue), mais s'inquiètent aussi du contenu des futurs CPER.
La santé des étudiants me tient à coeur : que va-t-il se passer, dans la mesure où la MGEN n'a pas souhaité prendre en charge la gestion de La Mutuelle des étudiants (LMDE) ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Madame Duchêne, 75 % des étudiants estiment qu'il faut renforcer les liens entre les entreprises et l'université afin d'accroître leurs chances de trouver un emploi. Ils ont l'obsession, bien légitime, de l'insertion dans la vie professionnelle. Nous prenons des initiatives à ce sujet.
Nous voulons aussi faire une plus grande place, dans les enseignements, à la conduite de projets, car notre système de formation est basé sur la performance individuelle et jamais sur le travail d'équipe. J'ai travaillé dans une start-up, j'ai vu quelles pertes de synergie et de compétitivité pouvaient résulter de ces lacunes.
Les universités savent à quelles entreprises s'adresser pour leur demander d'accueillir des étudiants en master 2. Cela est d'autant plus vrai pour les universités situées en ville nouvelle, comme à Cergy et Marne-la-Vallée. Sans environnement préexistant, elles n'ont d'autre choix que de se tourner vers les milieux économiques extérieurs.
Grâce à l'apprentissage et l'alternance, les jeunes gagnent leur vie durant leurs études, cela est précieux notamment pour ceux issus de milieux modestes. Les chiffres sont éloquents : 23 % de la population active est considérée comme modeste, or on trouve 13,5 % des enfants de cette catégorie en première année de licence, 9 % en première année de master et moins de 5 % en doctorat. Il y a donc aggravation des inégalités, ce qui est désespérant pour ces jeunes : leur destin scolaire serait prédéterminé par leur origine sociale. Voilà pourquoi, j'y insiste, les bourses au mérite ne sont pas une bonne solution. J'ajoute que les enfants de familles modestes qui n'acquièrent pas à l'école primaire les savoirs fondamentaux ne récupèrent jamais leur retard, alors que dans les milieux aisés, cela reste possible. Il faut donc mobiliser les créations de postes dans les zones les plus difficiles afin de lutter contre ce déterminisme social.
Notre pays ne compte que 135 000 apprentis sur 2,4 millions d'étudiants. Nous voudrions parvenir à 150 000 d'ici deux ans et à 200 000 dans dix ans. Trouver des stages pour les étudiants en fin d'études n'est pas un problème, ils intéressent les entreprises. La situation est beaucoup plus difficile avant le baccalauréat, notamment pour le stage de 3e !
Le plan d'adossement de la LMDE, envisagé avec la MGEN, a connu une fin moins positive qu'espéré. Nous avons pourtant besoin de mutuelles spécialisées pour les étudiants : les comportements addictifs se multiplient, les désordres mentaux également. Les jeunes consultent peu les ophtalmologues, les dentistes, les gynécologues. Or c'est lorsque des jeunes parlent aux jeunes que la prévention est la plus percutante. La communication de Sidaction est plus efficace que toutes les campagnes institutionnelles. Il est donc impératif que les mutuelles étudiantes continuent d'exister et qu'elles soient plus visibles que les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps), notamment grâce à des points santé installés sur les campus. Le logo « campus santé » sera plus parlant que le sigle Sumpps...
Enfin, je partage l'amour de M. Percheron pour Grenoble, mais je suis une ministre de la République et m'interdis toute partialité ! Quoi qu'il en soit, la première version des CPER ne satisfaisait pas non plus mon ministère. Nous sommes en train de les renégocier pour obtenir plus, région par région. La réunion qui aura lieu demain devrait être déterminante.
M. Daniel Percheron. - Quelle coordination s'opère entre votre action et le programme des investissements d'avenir (PIA) ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Louis Schweitzer et moi-même avons décidé de nous voir plus régulièrement afin de mener des actions conjointes. Il n'y a pas d'un côté une administration assoupie, poussiéreuse, de l'autre une cellule réactive et dynamique. Le ministère doit faire face à un problème concret : comment amener plus de titulaires de bacs pro à l'enseignement supérieur ? Nous devons construire une véritable filière pro, au service de l'industrie. Les investissements d'avenir doivent être solidaires de cet objectif. Nous allons travailler en étroite collaboration, M. Schweitzer et moi-même.
Les derniers chiffres du CIR sont beaucoup plus positifs que ceux sur lesquels la Cour des comptes avait fondé ses analyses : 439 docteurs embauchés grâce au dispositif CIR en 2007, 1 305 par an à présent. En outre, pour un euro non perçu par l'État, l'effet de levier pour la recherche n'est plus de 1,1 euro mais de 1,51 euro. Le coût du CIR n'augmente plus. Le crédit impôt recherche bénéficie aux deux tiers aux PME et à des entreprises innovantes, même si, en montants, l'essentiel est versé à des grands groupes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.
La réunion est levée à 18 h 05.
Mercredi 5 novembre 2014
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Réforme territoriale - Table ronde sur les relations entre les associations et les collectivités territoriales
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise une table ronde sur les relations entre les associations et les collectivités territoriales. Sont entendus :
- M. Christian Sautter, Président de l'association France active ;
- M. Yann Joseau, représentant l'association Le Mouvement associatif.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour une table ronde consacrée à l'évolution des relations entre les associations et les collectivités territoriales dans le cadre de la réforme territoriale, organisée à l'initiative de notre collègue Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits de la jeunesse et de la vie associative.
Les départements, spécialistes de l'action sociale de proximité, soutiennent activement les associations intervenant auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture. Or, il est prévu dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République que les départements transfèrent ou délèguent aux métropoles, lorsqu'elles existent, une partie de leurs compétences, dont l'aide à la jeunesse en difficulté. Il sera intéressant de recueillir le sentiment de nos invités, MM. Christian Sautter, président de l'association France active et Yann Joseau, représentant l'association Le Mouvement associatif.
J'ajoute que les secteurs de la culture, du sport, de la jeunesse et de l'éducation populaire ont traditionnellement été caractérisés par l'importance des financements croisés provenant des différents niveaux de collectivités territoriales qui disposent d'une compétence partagée dans ces domaines. Le projet de loi entend renforcer la lisibilité de l'intervention des collectivités territoriales dans ces secteurs par la mise en place facultative de guichets uniques pour l'ensemble des aides et subventions qu'elles attribuent. Nous pourrons nous interroger sur la pertinence et la faisabilité d'un tel dispositif.
Je laisse sans plus tarder la parole à nos invités, avant que notre rapporteur, Jacques-Bernard Magner, puisse vous interroger puis que le débat s'engage avec l'ensemble de nos collègues.
M. Christian Sautter, président de l'association France active. - Les relations entre les associations et les collectivités locales sont un sujet très important pour notre association. Les relations sont très étroites et si le système évolue, il faudra être très vigilant.
Le réseau France active a été créé en 1988 par la Caisse des dépôts et consignations et la Fondation de France avec l'idée fondatrice d'accompagner et de financer les chômeurs qui créent leur propre entreprise. 5 500 chômeurs ont été concernés l'année dernière. Et pour permettre à ceux qui ne pouvaient pas créer leur propre entreprise, on leur a permis de rejoindre des entreprises d'insertion qui sont devenues peu à peu des entreprises solidaires afin de leur permettre de reprendre pied dans la vie active avant de retourner dans des entreprises classiques.
L'an dernier, nous avons soutenu plus de 1 000 entreprises solidaires qui ont accompagné et financé des personnes en difficulté. Parmi celles-ci 750 sont des associations et environ 150 des coopératives, le mouvement associatif constituant l'essentiel des bataillons pour la création de l'emploi et le développement économique de proximité.
Dans ces entreprises solidaires, 15 % appartiennent au secteur culturel et 7 % relèvent du secteur de l'éducation populaire.
Nous avons deux activités principales en direction des associations. Tout d'abord, nous avons une activité de conseil. C'est très important d'aider les associations à se professionnaliser, avoir une gestion plus rationnelle. Nous assurons un tiers des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA). Dans ce cadre-là, nous avons conseillé un millier d'associations.
Deuxièmement, nous aidons les associations, une à une, à construire un projet économique et financier, soit en leur prêtant de l'argent, soit en nous portant garant auprès du système bancaire. Elles passent devant un comité d'engagement où il y a, entre autre, des représentants du monde associatif. Je remarque que la réticence des banques diminue grâce à cette garantie et aussi au fait qu'il y a un taux de réussite dans 96 % des cas. En cas de problème, nous remboursons à la banque la moitié des sommes restant dues.
Les collectivités locales jouent un rôle essentiel grâce à leur expertise. Nous payons 550 salariés du réseau France active. Les collectivités territoriales assurent la moitié du financement de nos 41 fonds territoriaux et constituent donc un soutien indispensable. En cas de réforme territoriale, que va-t-il se passer ? Notre réseau est un réseau parmi d'autres. Fédérer les compétences sur le terrain, c'est facile quand les compétences existent.
Il faut éviter une longue période de l'entre-deux systèmes, les associations étant des êtres fragiles. Dès qu'il commence à y avoir du retard, cela pose des difficultés en termes de trésorerie. Or, le soutien des banques est limité et couteux.
Je vous demande de faire attention à de trop longues périodes de transition qui peuvent blesser ces structures fragiles. J'ajoute que les associations dans le domaine culturel sont particulièrement fragiles car elles sont moins installées que dans le domaine médico-social et que l'on y trouve beaucoup de bénévoles, de salariés précaires et elles ont peu de ressources permanentes et régulières comme les associations sportives. Soyons prudent si l'on change de dispositif !
Sur la question du guichet unique, il existe déjà une plateforme d'information informatique, au niveau du département ou de la métropole tout à fait satisfaisante. La création du guichet unique risque d'être longue à mettre en place.
Ma priorité, ce sont les usagers ! Cherchons dans la réforme territoriale ce qui est bon pour les associations car elles sont fortement créatrices d'emploi et de lien social. Le réseau France active est à la disposition sur le terrain des conseils généraux, des départements, et des métropoles avec lesquelles nous avons des rapports contractuels étroits. Nous sommes un réseau de proximité à la disposition des collectivités territoriales.
M. Yann Joseau, représentant l'association Le Mouvement associatif. - Le Mouvement associatif que je représente aujourd'hui est une organisation nationale de l'ensemble du monde associatif destinée à structurer la parole des associations et à servir d'interface entre celles-ci et les pouvoirs publics, et notamment les élus. Pendant longtemps les réseaux associatifs se caractérisaient par des organisations verticales propres à leurs domaines d'intervention (sport, sanitaire et social ou culture) Au début des années 2000, les grands réseaux se sont regroupés en une Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA) que nous venons de rebaptiser Le Mouvement associatif, afin de bien marquer notre vocation à représenter l'ensemble du monde associatif.
S'agissant des conséquences attendues de la réorganisation territoriale sur la vie associative, je dirais qu'elles sont différentes selon que les associations oeuvrent au niveau local (c'est ce que j'appelle le bloc 1), au niveau régional ou départemental (bloc 2) ou au niveau national ou international (bloc 3).
80 % des associations sont strictement bénévoles et la majorité d'entre elles ont une action au niveau communal ou intercommunal.
L'impact pourra être organisationnel et nécessiter un changement de culture, aussi bien pour les collectivités que pour les associations. D'une part, c'est le financement unique qui passera pour vertueux, alors qu'aujourd'hui le plurifinancement est plus valorisé. D'autre part, les financeurs seront plus proches, ce qui peut avoir une influence sur des décisions risquant d'être moins impartiales.
L'impact pourra aussi être financier : les communes garderont la capacité juridique de financer les associations, qui les solliciteront plus pour obtenir ce que les autres collectivités ne financeront plus. La fin des financements régionaux et départementaux pour les actions locales accroîtra une tension déjà palpable, comme le montrent les travaux de Viviane Tchernonog.
J'évoquerai rapidement les associations nationales et internationales, pour qui les conséquences de la loi seront indirectes et provoquées par les difficultés attendues de leurs échelons régionaux et départementaux.
Ce sont, en effet, les associations de niveau départemental qui seront sans doute les plus touchées. Parmi elles, nous devons distinguer les associations agissant dans le champ des compétences partagées de celles qui n'entrent pas dans ce champ.
Pour les premières, la perspective des guichets uniques peut paraître intéressante, dans la mesure où ceux-ci devraient permettre de mobiliser les partenaires et financeurs de façon plus systématique et plus méthodique et de gagner en efficacité et en cohérence, à condition, toutefois, que les associations soient consultées lors de la mise en place de ce dispositif.
L'inconvénient de cette nouvelle approche est que les financements concernent plus les actions des associations que les associations elles-mêmes, qui ont cependant besoin d'être soutenues dans leurs temps de réflexion, d'expérimentation et de défrichage.
Nous risquons aussi de voir des collectivités moins proactives et plus centrées sur leurs compétences obligatoires.
Enfin, les décisions de soutien risquent, par ailleurs, de devenir moins audacieuses et trop conformes à un modèle, « l'harmonisation des critères » étant quelque peu problématique.
S'agissant des associations dont l'action n'entre pas dans le champ des compétences partagées, le danger me semble plus grave. Si elle est mise en oeuvre de façon aveugle, la suppression annoncée de la clause de compétence générale interdira purement et simplement aux conseils généraux et aux conseils régionaux de financer des associations en dehors de leurs compétences identifiées. Or, qu'elle concerne la jeunesse, l'éducation populaire, la famille ou encore la ruralité, l'essence même de l'action associative est d'être transversale. Les associations doivent cependant être financées par le niveau territorial correspondant à leurs actions, car elles ont une fonction primordiale d'organisation et d'interface entre les pouvoirs publics et les populations. Parce qu'en tant qu'élément incontournable du dialogue civil, la vie associative est consubstantielle de notre organisation socio-économique, le Mouvement associatif propose de l'identifier comme une quatrième compétence partagée, au côté de la culture, du sport et du tourisme.
Tout, et son contraire, a été dit sur la clause de compétence générale, les postures des différentes associations, ainsi que celles des politiques, étant pour le moins contrastées.
On a pu entendre que la suppression de cette clause permettra une affectation plus claire des compétences de chaque strate, des économies substantielles dans les dépenses des collectivités, ainsi qu'une meilleure visibilité de qui finance quoi.
Ces affirmations me semblent largement remises en cause par l'observation du terrain. Si je prends l'exemple du conseil régional de Picardie, je constate qu'au-delà des compétences exclusives ou obligatoires (formation professionnelle et apprentissage, lycées, transports représentant 69 % du budget), des compétences dites intermédiaires (aménagement du territoire et action économique : 14 %), des compétences partagées (culture, sport et tourisme : 5 %) et du cas particulier des maîtrises d'ouvrage déléguées par l'État, seul 7 % du budget régional, soit 70 millions d'euros, sont consacrés à des actions entrant clairement dans le cadre de sa compétence générale. En outre, ces actions qui concernent l'enseignement hors lycée, les loisirs, la santé et l'action sociale ou la vie associative, sont des actions à fort rendement car à forte valeur ajoutée.
Faut-il pour autant maintenir la clause générale de compétence ? Ce n'est pas la position du Mouvement associatif, à condition toutefois, on l'a vu, que la vie associative devienne une compétence partagée.
Pour conclure, je voudrais répondre aux questions qui nous ont été adressées avant cette réunion.
Sur la question du transfert des compétences départementales aux métropoles, je suppose qu'il ne peut y avoir de réponse unique. L'important pour nous est que des services administratifs dédiés à la vie associative existent et qu'ils soient gérés de manière transversale. Or certains conseils généraux se sont dotés de ce type de service et d'autres non. Il en est de même pour les métropoles. Identifier la vie associative permettra de résoudre la question, pour peu que les moyens financiers soient réels et perdurent.
J'ai déjà répondu sur les compétences partagées et le guichet unique, mais je souhaiterais revenir sur la notion d'harmonisation des critères qui me paraît dangereuse : il convient au contraire que les critères de chaque niveau de collectivité soient spécifiques, faute de quoi les compétences partagées ne se justifieraient plus.
Enfin, je dirais que la question des conditions d'attribution des subventions aux associations et leur compatibilité avec la réglementation européenne a été clarifiée par la loi sur l'économie sociale et solidaire, qui a donné un statut juridique à la subvention. La charte et ses déclinaisons territoriales constituent le cadre des échanges entre les pouvoirs publics et la vie associative : chacun doit maintenant se l'approprier et la faire vivre.
M. Jacques-Bernard Magner. - Merci, Madame la Présidente, d'avoir accepté le principe de cette table ronde et merci à nos interlocuteurs pour avoir planté le décor d'une réforme qui bouleversera sans doute le paysage des associations quelle que soit leur importance et même si elle n'aura pas le même impact pour toutes et que la suppression de la clause de compétence générale est inévitable.
Beaucoup d'associations fonctionnent sur la base de contrats d'objectifs conclus avec les différents niveaux de collectivités territoriales et avec l'Etat. Cela signifie qu'elles sont engagées pour plusieurs années Mais la nouvelle organisation territoriale perturbera davantage le fonctionnement : ne craignez-vous pas qu'au niveau local, les communes et communautés de communes soient confrontées à de très fortes demandes. Je constate qu'elles ne disposent pas nécessairement des moyens fiscaux pour assurer le financement des multiples associations locales. En tant que responsable associatif et élu local, je constate également que le fonctionnement des associations n'est pas assuré par la région, qui ne dispose pas encore de la compétence, ni par le département, dont les moyens diminuent. 2015 va constituer un véritable trou d'air : nous sommes à une période médiane ; tout le monde est dans l'expectative.
Mais n'oublions pas que le monde associatif regroupe des milliers d'associations, que font vivre des millions de bénévoles. Il ne faut pas que tous baissent les bras face à un système jugé trop complexe et, au moment où nous allons devoir nous prononcer sur la nouvelle organisation territoriale, en fin de compte, la pression s'exercera sur les communes.
M. Jean-Léonce Dupont. - Les besoins sont illimités et il est utile de savoir comment les collectivités territoriales peuvent y répondre. Cette question renvoie au problème des finances disponibles de chaque niveau de collectivités. Dans le contexte de baisse des dotations de l'Etat, contrairement à ce qui a été dit, la question n'est pas que les conseils généraux ne veulent plus mais qu'ils ne peuvent plus financer. Il est d'ailleurs très difficile de clarifier les compétences sans connaître les moyens financiers qui vont avec. Je crois que nous raisonnons aujourd'hui dans un contexte budgétaire fantastiquement tendu, ne serait-ce qu'en raison de l'augmentation des dépenses de solidarité. Cette situation nous impose des choix dramatiques, qui concernent les champs d'intervention non obligatoires des départements. L'absence de lisibilité de la réforme est très dommageable.
Ma seconde observation concerne le modèle économique des associations. Celles-ci se sont saisies de dispositifs nationaux avantageux mais temporaires et sans garantie de financement. De sorte que lorsque les financements se raréfient, les associations se retournent vers les collectivités territoriales afin qu'elles se substituent au financeur précédent, en mettant en avant les risques que ferait peser la fin de leurs interventions, par abandon d'une activité ou en termes d'emploi. De plus, les conventions collectives qui régissent les associations sont parfois dommageables à la poursuite de leur activité, car trop exorbitantes du droit commun, et, en définitive, se retournent contre elles. Ainsi, dans le secteur social, certaines associations étaient déjà passées aux 35 heures avant le vote de la loi. Dès lors, certains salariés ont souhaité maintenir ce qui leur apparaissait comme un avantage, de sorte que la durée hebdomadaire du travail est passée à 32 heures 30, ce qui a alourdi le coût des prestations assurées par les associations qui les emploient. Mais les collectivités territoriales ne disposent plus de la marge de manoeuvre qu'elles pouvaient utiliser à l'époque. Même si nous ne disposons pas de lisibilité sur les modalités de la nouvelle organisation territoriale et que j'ai bien entendu les remarques que nos interlocuteurs ont formulées quant à la période de transition pour sa mise en oeuvre, je crains que les collectivités territoriales soient conduites à des choix dramatiques, qui pourront aller jusqu'à entraîner la cessation d'activité de certaines associations.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur Dupont. Nous allons prendre plusieurs questions.
Mme Maryvonne Blondin. - Les deux interventions précédentes reflètent bien notre inquiétude. C'est une grosse préoccupation au sein des conseils généraux compte tenu des temps difficiles vers lesquels nous nous dirigeons. J'aurais à ce titre une question pour M. Sautter. Vous dites financer la réinsertion des chômeurs par le biais associatif. Depuis 14 ans que je préside la fédération locale contre l'exclusion en Bretagne, je n'ai jamais entendu parler de « Bretagne Active ». Le conseil général aide les chômeurs notamment en faisant des études de faisabilité de projet pour obtenir des financements mais dans ce domaine, je n'ai jamais entendu parler de France Active.
M. Philippe Bonnecarrère. - Concernant la réforme NOTRe et notamment la clause de compétence générale, je trouve vos propos très balancés. Ainsi, M. Sautter, j'aurais deux questions. Premièrement, s'il n'y avait plus de clause de compétence générale, à qui le monde de l'insertion devrait-il être rattaché ? À la commune du fait de la proximité d'action, au département de par l'aspect social de l'action, à la région compte tenu de son rôle économique ? Deuxièmement, existe-t-il une plateforme Internet qui fonctionne bien et puisse servir d'exemple ?
M. Christian Sautter. - Alors permettez-moi de vous confirmer que Bretagne Active existe bien. Elle est d'ailleurs active dans chacun des départements mais contrairement à d'autres, nous communiquons peu sur notre action. Je m'engage à corriger cette défaillance.
Vous me demandez à quel niveau de collectivité devrait être rattachée l'insertion. Il s'agit d'une économie sociale et solidaire qui comprend environ 1 000 entreprises. Leur modèle est hybride. Les associations culturelles peuvent par exemple créer de l'emploi donc être économiquement vertueuses mais elles ont aussi un aspect social. Ainsi, le réseau associatif à des raisons de passer des contrats en fonction de la compétence concernée. Il faut donner des réponses cohérentes avec le terrain plutôt que de procéder à un découpage en tranche. La vie sociale et solidaire ne peut pas être découpée en rondelles juridiques. À vos questions juridiques je donnerai donc une réponse pragmatique.
Nous sommes financeurs solidaires vers l'emploi. Il y a d'ailleurs tout un champ d'innovation dans le domaine agri-rural. Avec l'appui des régions nous aidons la vie économique à redémarrer et passerons des contrats séparés si les compétences sont séparées. Il faut être pragmatique : nous nous attarderons sur ceux qui souhaitent s'appuyer sur un réseau associatif pour permettre à des chômeurs un retour vers le marché du travail. Il s'agit d'un investissement sur l'humain. Dans la plupart des régions, nous fournissons beaucoup d'informations comme par exemple dans le cas de la mutualisation et de ses différences avec les fusions. Les associations connaissent souvent très mal les différences de procédures, ce qui peut créer une méfiance. Il faut aussi dire que la fusion des structures conduit à mettre un chapeau au-dessus de ces dernières et donc à recruter. Il n'y a pas d'économie notable à la clé. Nous sommes en faveur d'une coopération s'il y unité de projet mais la fusion des structures ne nous semble pas judicieuse.
M. Yann Joseau. - Bien évidemment, le transfert de compétences suppose le transfert des moyens correspondants. Le problème fondamental est de savoir où se trouvent ces moyens, où est la marge de manoeuvre, où est la capacité à lever l'impôt pour les différents niveaux de collectivités. La seule réponse que nous avons, en tant qu'associations, est une posture tactique. La réforme territoriale risque de créer des compétences négatives. Se présentent alors au monde associatif deux options : soit nous militons pour le maintien de la clause de compétence générale mais, dans ce cas, le débat semble perdu d'avance ; soit nous demandons que la vie associative soit inscrite comme compétence partagée, ce qui permettra de créer un filet de sécurité qui permettra aux élus de continuer à financer des actions qui répondent bien aux besoins de vos territoires.
Bien souvent, les associations sont de fait des sous-traitants des pouvoirs publics. Le modèle économique des associations est donc intimement lié à la faculté des collectivités territoriales de faire appel à l'intervention des associations ou d'assumer directement la mise en oeuvre de politiques publiques. En ces temps de réduction des moyens des conseils généraux et régionaux, ce sont généralement les sous-traitants qui sont les premiers à en faire les frais.
M. Jean-Léonce Dupont. - Nous sommes en train d'étudier s'il ne faut pas ré-internaliser un certain nombre d'activités dans la structure départementale en raison d'une inflation des conventions collectives telle qu'elle engendre un grand différentiel de coûts. C'est sous cet angle là que je vous interrogeais, pour savoir si vous rencontriez les mêmes difficultés pour définir le modèle économique le plus efficace.
M. Yann Joseau. - Je ne suis pas spécialiste du secteur sanitaire et social, mais nous observons qu'un certain nombre d'associations déposent le bilan et disparaissent. Le privé lucratif ne manque pas d'intervenir sur ce segment parce qu'il n'est pas soumis aux mêmes conventions collectives, ce qui peut affecter la qualité de l'assistance fournie et le temps accordé par un travailleur social à la personne auprès de laquelle il intervient, dès lors qu'il lui importe d'abord, étant payé à la tâche, de réaliser la quantité de travaux qui lui est assignée dans un délai restreint. Face à cette réalité, notre posture est double : on résiste et on s'adapte. Les conséquences sont moins problématiques pour les prestataires de ce service que pour les gens auxquels nous rendons ce service. Nous n'avons pas les clés des moyens publics à disposition.
La principale difficulté du monde associatif, contrairement au monde consulaire, c'est notre incapacité à générer les ressources nécessaires au financement de nos organisations collectives. L'organisation de nos différents échelons passe par la contribution des pouvoirs publics. Nous n'avons de cesse de réclamer un cadre législatif qui obligerait l'ensemble des associations à contribuer de façon minime à l'organisation de leur implantation départementale ou régionale. Comment fait le monde de l'entreprise ? Il lève une taxe. Une entreprise est soumise à une contribution obligatoire à la chambre de commerce et d'industrie (CCI). Nous avons manqué l'occasion de l'inscrire dans la récente loi sur l'économie sociale et solidaire, pour laquelle nous avions réclamé l'instauration d'un prélèvement obligatoire de l'ordre d'un euro par salarié et par mois, prélevé par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), afin que cette manne revienne à l'organisation collective aux niveaux départemental et régional. Nous n'avons pas réussi, la classe politique étant hostile à l'addition de nouvelles taxes. Mais, dans le même temps, les élus locaux nous rappellent qu'ils n'ont plus les moyens de nous financer. À ce stade, on bricole, ce qui nous laisse au final moins de temps pour négocier avec les responsables des collectivités territoriales, de faire passer des messages et de faire entendre des réalités qui, si elles ne sont pas anticipées, arrivent violemment. En Picardie, nous sommes quatre au sein du Mouvement associatif à coordonner un réseau de près de 30 000 associations...
Mme Marie-Christine Blandin. - N'y a-t-il pas contradiction entre nos deux orateurs, avec deux demandes tout aussi légitimes :
- d'une part, une transition rapide pour que les associations ne souffrent pas ;
- et, d'autre part, plutôt faire de la compétence générale une perspective à terme en laissant le temps aux collectivités territoriales de se saisir du problème et de s'organiser en conséquence ?
Le collectif des associations citoyennes s'inquiète d'une réforme dans un contexte budgétaire où il y aurait, au travers du pacte de responsabilité à tous les étages (État, grandes collectivités, communes...), 18 milliards d'euros en moins pour les associations. Ce chiffre vous paraît-il juste ?
Une chercheuse, Viviane Tchernonog, a réalisé un travail sur les missions des associations qui révèle que, de plus en plus, les associations se transforment en prestataires de service autofinancés, répondant à des appels à projets, professionnalisés. Ce qui laisse entendre la mort d'une granulométrie fine de ce qui se fait au plus près des quartiers. Ne risque-t-on de faire tomber tout ce qui est cohésion, prévention de la violence, de la discrimination et du racisme ?
Vous avez proposé que la vie associative glisse en compétence générale, c'est une bonne idée, mais n'y a-t-il pas pertinence cependant de la définition d'un niveau maximum d'intervention ? Sur les plans budgétaires, des ressources humaines et des types d'actions, certaines structures associatives sont puissantes et s'imposent comme de véritables prestataires de service, quand d'autres interviennent au plus près des quartiers ou des campagnes. Pourrait-on imaginer un plafond ?
M. Jean-Jacques Lozach. - Je me demande si le débat sur la clause de compétence générale n'est pas, au fond, un débat de principe sur le « pour ou contre la clause de compétence générale ». La réalité mériterait d'être plus nuancée, et le débat plus bordé. Quand on se présente comme un défenseur de cette clause, on est aussitôt accusé d'être opposé à la clarification des compétences. Or, il est possible de progresser en matière de clarification des compétences, en confiant par exemple aux régions, en relation avec les intercommunalités, l'ensemble du champ des activités économiques ; en revanche, le principe même de la clause de compétence générale permet d'introduire de la souplesse dans le fonctionnement quotidien des collectivités territoriales. Un exemple caractéristique : la déclinaison concrète sur le territoire de la révolution numérique. Sans cette clause, en matière de couverture territoriale, pour le haut et très haut débit et la téléphonie mobile, on serait encore très en retard.
En ce qui concerne la légitimité du tissu associatif, il est difficile de mesurer l'impact associatif de la réforme territoriale qui s'annonce. Le problème de fond est bien celui du fonctionnement démocratique. La démocratie a besoin des corps intermédiaires entre les citoyens et l'État, c'est tout aussi vrai pour les associations que pour les partis politiques ou les syndicats. Si on fragilise le tissu associatif, on fragilise le bon fonctionnement de notre démocratie.
Ne faudrait-il pas, selon vous, un traitement différencié selon les champs d'intervention du tissu associatif ? Prenons l'exemple de l'enjeu crucial du maintien à domicile des personnes âgées : 500 associations ont disparu il y a deux ans en France dans ce secteur. C'est bien le tissu associatif qui permet la couverture territoriale de ce service à la population. Là où les associations disparaissent, le relais est pris par le secteur marchand, mais à la condition que la rentabilité soit possible et que la densité de population soit suffisante.
M. Jean-Pierre Leleux. - Le débat est intéressant dans le contexte de la réforme territoriale qui va prochainement être examinée au Sénat. Je crois que nous sommes confrontés à la nécessité de mettre un peu d'ordre dans un monde qui a profondément muté ces 20 dernières années. Il est devenu indispensable de rendre la politique l'égard du monde associatif plus lisible et plus efficiente.
Je pense que le monde associatif est souvent en avance sur le monde politique dans la perception de la société. Mais nous avons assisté à son inflation non maîtrisée. C'est pourquoi une clarification est devenue indispensable afin de faciliter l'action, mais aussi l'évaluation de ce monde associatif. Et nous devons pour cela assumer quelques vérités, notamment à charge pour les collectivités territoriales, responsables de cette prolifération, le politique ayant abandonné le terrain souvent pas assez occupé par les services territoriaux.
Il est apparu un démembrement du service public, l'élu ne prenant plus les décisions. Ainsi pour chaque idée concernant la collectivité, le réflexe du citoyen est devenu la création d'une association, laquelle sert parfois d'ailleurs à assurer son propre emploi - ce qui, vous en conviendrez, est parfois déjà une réussite - mais la question du financement est alors devenue centrale. La logique est alors devenue celle du chantage auprès du maire, contraint d'accorder des subventions forcées compte tenu des emplois en jeu. Or, c'est au maire de décider de la politique sociale. En outre, cette mécanique a entraîné beaucoup de doublons au sein des associations, peu enclines à accepter une évaluation approfondie.
Dans un tel contexte, la suppression de la clause générale de compétence, accompagnée d'une classification des compétences pour la commune, permettrait de remettre de l'ordre tout en garantissant le maintien du monde associatif dont le rôle est essentiel.
M. René Danesi. - Nous sommes à la fin d'un cycle de la vie associative et la suppression de la clause générale de compétence ne fait qu'accélérer ce moment.
En Alsace, région riche en matière associative, s'est développée le réflexe de demander des subventions. Nous observons aujourd'hui, pour chaque association, jusqu'à huit co-financeurs publics ou parapublics. Chaque financeur ne contribuant généralement pas au-delà de 10 % du montant total, aucun ne s'interroge sur la justification de l'action ainsi subventionnée. Il me semble donc que, de ce point de vue, nous sommes arrivés à la fin d'un cycle comme je le disais : nous sommes désormais plus attentifs à l'utilisation de l'argent public.
Dans cette période de transition, dont nous devons être conscients, il convient de poser la question de l'identité de chaque association et de l'objectif recherché afin d'avoir la certitude du bon usage des deniers publics. Certaines associations n'ont aucune raison d'être et pourtant ont réussi à survivre pendant des années ! Dans quelles conditions peut-on aujourd'hui organiser une bonne transition ? Je ne suis pas certain qu'un quatrième champ de compétence partagée aide vraiment à répondre à cette question.
Mme Marie-Pierre Monier. - Monsieur Joseau, vous avez évoqué l'hypothèse d'une compétence partagée pour la vie associative, avec la culture, le sport et le tourisme. Quelle est alors la différence avec la clause de compétence générale ? Dans ce cas, pourquoi ne pas la maintenir ?
J'ajoute que le bénévolat est un élément majeur du lien social en zone rurale. Or, il risque aujourd'hui d'être détruit. Vous avez tout à l'heure parlé de mono-financement, est-ce à dire qu'il reposerait uniquement sur les communes qui doivent déjà faire face à la baisse des dotations ?
M. Yann Joseau. - Je crains d'avoir peut-être été mal compris. J'évoquais le mono-financement dans un contexte de suppression de la clause de compétence générale : si elle disparaît alors cela deviendra inéluctable. Les maires pourront-ils alors renvoyer la question aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ? Je l'ignore. Il est toutefois certain que les conseils généraux et régionaux ne pourront plus juridiquement financer ces associations. Mais encore une fois je partage entièrement votre constat du danger en la matière.
Je rappelle que les EPCI ne disposent pas de la clause de compétence générale, puisqu'ils ne peuvent agir que dans le domaine des compétences qui leur ont été transférées. C'est pourquoi, si j'étais élu, je défendrais la clause de compétence générale. Le monde associatif a le choix entre deux scenarii : soit nous luttons pour le maintien de la clause de compétence générale - ce qui paraît extrêmement difficile, soit nous avons besoin d'un filet de sécurité car en l'absence de financement du niveau départemental ou régional, nous remettrons quinze ans à tout reconstruire pour le territoire. Les associations, isolées sur le territoire, seront alors moins efficaces.
Se pose souvent la question de l'alternative entre mutualisation et fusion-absorption. La première est bien plus intéressante car la seconde n'est pas toujours possible, la fusion des objectifs étant rarement envisageable. En outre, il s'agirait de fusionner non seulement les conseils d'administration mais aussi les équipes de bénévoles. Or la fusion risque de couper le monde associatif d'une partie des bénévoles, pourtant indispensables dans la mesure où ils font précisément toute la différence avec les autres types de structures pouvant intervenir.
M. Christian Sautter. - Les associations ont horreur du flou. Or, si la phase de transition est trop longue et floue, de nombreuses associations de terrain pourraient disparaître. La clarté s'impose donc. Vous avez évoqué, madame Blandin, le chiffre de 18 milliards d'euros, mais je ne connais pas cette évaluation.
Certaines associations ayant moins de financements publics s'orientent vers des modèles d'entreprises associatives. Il s'agit alors de vendre des prestations de services et d'ailleurs à France Active nous prêtons de l'argent pour ces projets. Je crois qu'il est très important de prendre conscience de la guerre de mouvement qui est en cours : les entreprises privées pénètrent aujourd'hui en force dans un domaine qui était uniquement associatif. En ayant développé le recours à la procédure des appels d'offres, les collectivités territoriales ont accentué ce mouvement. La réhabilitation de la subvention me semble donc extrêmement positive. Je rappelle également que les associations cherchent aussi à trouver des financements complémentaires auprès des usagers.
S'agissant de la compétence générale, l'important c'est qu'il y ait des chefs de file, que tout le monde ne fasse pas la même chose. Découper des territoires juridiquement étanches représenterait un recul.
M. Lozach a insisté sur un point très important, à savoir que l'innovation, qu'elle soit sociale, environnementale ou technologique - je pense en particulier au numérique - n'entre pas dans ces catégories très rigides. Mais, je le répète, la vie est désordonnée et les plantes ne poussent pas spontanément alignées. La vie est compliquée mais je la trouve pour ma part assez joyeuse.
Je répondrais à M. Leleux que l'important n'est pas de mettre de l'ordre mais de mettre en mouvement. Tout ne va pas venir de l'État ou des collectivités territoriales. La société civile est pleine d'initiatives, les jeunes en particulier : il faut chercher les champignons sous les feuilles mortes !
En revanche, je suis convaincu de l'importance que revêt l'évaluation des actions mises en oeuvre. Il faut développer la culture du résultat, en vérifiant la réalisation des engagements, qu'il s'agisse, par exemple, du nombre d'emplois créés, concerts réalisés ou personnes âgées aidées. Le souci de l'efficacité de l'action des associations est encore insuffisant. Il faut regarder concrètement le résultat des interventions trois ans plus tard.
M. René Danesi. - Si nous sommes arrivés à la fin d'un cycle de la vie associative, un autre commence, fondé sur une autre économie, une autre vie. Ne négligeons pas l'instinct de création, de force vitale : le droit c'est bien mais la vie c'est mieux !
Je souhaiterais préciser mes propos de tout à l'heure en indiquant que, selon moi, les conseils généraux ne sont pas empêchés d'aider les associations oeuvrant dans leur propre champ de compétences.
M. Yann Joseau. - 93 % des actions associatives subventionnées par les conseils généraux relèvent de leurs compétences et ce taux se situe à 85 % au niveau national. Le reste, ce qui n'est pas prévu par les textes et est ouvert la clause de compétence générale, c'est tout simplement « la vie ».
En réponse à Mme Blandin je dirais que nous devons prendre quelques distances vis-à-vis des extrapolations du collectif des associations citoyennes qui a sans doute légèrement forcé les choses, afin de frapper les esprits.
Mme Blandin a fait allusion au rapport de Mme Viviane Tchernonog que j'avais citée dans mon introduction. Selon moi, le fait notable est qu'à l'égard des associations, les collectivités tendent à remplacer les versements de subventions par des procédures d'appels d'offres.
Je pense, comme M. Lozach, que les discussions relatives à la compétence générale relèvent largement du symbole, les choses étant largement bordées d'un point de vue juridique. En ce domaine le monde associatif s'adaptera aux décisions prises et accompagnera le mouvement.
Cela dit, permettez-moi d'évoquer une initiative prise il y a quelques années par l'un des trois départements de la région Picardie qui, avec d'excellentes raisons, ont souhaité s'impliquer dans le service à la personne. Cette expérience a abouti à un échec dans la mesure où le dispositif mis en place s'adressait dans les faits à une population plutôt aisée. La souplesse et l'adaptabilité du réseau associatif reste nécessaire car, s'agissant du pré-lucratif, on ne peut que constater que les prévisions et espérances de M. Borloo ne se sont pas réalisées, notamment en termes d'emplois.
M. Leleux considère à juste titre que l'évaluation de l'action des associations est nécessaire. Les associations elles-mêmes souhaitent ces évaluations, à condition toutefois de ne pas confondre évaluation et contrôle.
À M. Danesi qui évoquait la fin d'un cycle pour les associations, M. Sautter a répondu que cette fin de cycle correspondait au début d'un autre cycle, car c'est toute l'histoire du mouvement associatif : nous passons notre temps à nous adapter et, si vous me le permettez, je dirais que la société a besoin de nous, les associatifs, comme elle a besoin de vous, les politiques.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie, messieurs, pour cet intéressant débat, qui pourrait être utilement complété par quelques données chiffrées que vous pourriez nous adresser sur les difficultés rencontrées par les associations dans un contexte de restriction budgétaire et de diminution des subventions.
Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) - Demande de renvoi pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République, dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, est saisie au fond et désigne Mme Catherine Morin-Desailly rapporteure pour avis sur ce texte.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Colette Mélot rapporteur du projet de loi n° 2319 (AN) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (sous réserve de sa transmission par l'Assemblée nationale).
La réunion est levée à 11 h 30.
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Loi de finances pour 2015 - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, sur le projet de loi de finances pour 2015.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux sur le projet de loi de finances pour 2015 en accueillant M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Je voudrais tout d'abord, monsieur le ministre, vous remercier d'avoir bien voulu accepter le principe de cette audition, qui n'est pas très habituelle. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication n'a évidemment pas vocation à traiter de l'ensemble des questions relevant de votre secteur ministériel et ce n'est pas l'objet de nos échanges aujourd'hui.
En revanche, notre commission s'est toujours beaucoup préoccupée de la dimension des politiques publiques dont elle a la charge qui intéresse l'agriculture et la ruralité. Je pense notamment à notre collègue Françoise Férat, rapporteur aguerrie du budget de l'enseignement technique agricole. Je mentionnerai également l'avis rendu en début d'année par notre commission sur le projet de loi d'avenir de l'agriculture. Notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin s'est efforcée de porter la voix de notre commission, même si nous n'avons pas suffisamment été entendus.
Mais c'est la première fois depuis près de vingt ans que nous avons l'occasion d'appréhender dans le détail, et non pas au détour de l'examen d'une mission plus générale, les crédits dont vous avez la responsabilité, qu'il s'agisse de ceux inscrits au sein de la mission enseignement scolaire ou du programme 142 « enseignement supérieur et recherche agricoles » de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ».
Monsieur le ministre, je vous cède sans plus tarder la parole, avant que nos rapporteurs puissent vous interroger. Le débat s'engagera ensuite avec les membres de la commission.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Merci, madame la présidente, il me paraît normal, puisque vous m'avez sollicité, de venir devant vous m'expliquer sur le budget de l'enseignement agricole, secondaire et supérieur.
L'enseignement agricole constitue, depuis mon arrivée au ministère, une des priorités de mon action, qu'ont notamment illustré les débats sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAF). Trois objectifs guident l'action de mon ministère vers l'enseignement agricole :
- le premier objectif est de conforter ce qui fait la force de l'enseignement agricole : la réussite scolaire et l'accès à l'emploi. Nous constatons des résultats à hauteur de 86 % en termes de réussite aux examens et de 87 à 88 % d'insertion dans l'emploi selon les diplômes. L'enseignement agricole jour un rôle majeur dans la mobilité sociale, qu'il convient de développer ;
- le deuxième objectif, majeur, qui a été inscrit dans la loi d'avenir, est ce qu'on nomme l'agroécologie, c'est-à-dire le changement des modèles de production. Il s'agit de faire en sorte que l'enseignement agricole soit un vecteur des nouveaux modèles de production destinés à assurer une performance économique et écologique. L'Assemblée nationale et le Sénat ont veillé à y inclure une dimension sociale. L'enseignement agricole est, à ce titre, un enjeu et un outil de cette évolution vers la définition d'un nouveau modèle intégrant les aspects économique et écologique. Plus simplement, si je considère les grands enjeux du réchauffement climatique et les grandes questions liées au phytosanitaire, il s'agit d'essayer, à travers cette loi, d'anticiper les demandes et les choix de la société et, en matière d'environnement, de sortir du recours systématique à la norme. S'agissant de l'emploi de substances phytosanitaires et des risques qui peuvent l'accompagner, mon objectif est de faire en sorte que l'agriculture ait de moins en moins recours à leur utilisation. Il s'agit d'une question environnementale. C'est aussi un objectif économique de l'enseignement agricole : produire autrement, enseigner autrement, rechercher autrement. Voici le deuxième axe que avons fixé parmi les grands objectifs de cette loi d'avenir ;
- le troisième objectif est de faire en sorte que cet enseignement agricole soit ouvert vers l'extérieur, permettant dans tous les lycées agricoles, d'accéder à une dimension internationale et européenne. Cela fait partie du grand défi alimentaire mondial. À ce titre, l'enseignement agricole a des atouts à faire valoir.
S'agissant de ces trois points, des efforts budgétaires ont été accomplis consistant à créer des postes dans l'enseignement agricole ; conclure des protocoles d'accord avec l'enseignement agricole privé afin d'assurer sa pluralité, notamment les maisons familiales rurales (MFR), ainsi que pour lui donner, dans sa diversité, les capacités dont il a besoin pour faire réussir les élèves.
Depuis mon arrivée, un peu plus de 470 postes ont été créés dans l'enseignement agricole. Le prochain budget prévoit la création de 140 postes dans l'enseignement scolaire, 20 postes supplémentaires dans la recherche et 25 postes auxiliaires de vie scolaire individuels (AVSi). Nous poursuivons, au rythme initialement prévu, notre objectif d'une création globale d'environ mille postes pour l'enseignement agricole au cours du quinquennat.
Dans le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles », cet effort se traduit par une hausse de 5,9 % des crédits, à 331 millions d'euros. Le programme 143 « Enseignement technique agricole » bénéficie de 1,380 milliard d'euros, en hausse de 2,8 % par rapport au budget précédent.
L'enseignement agricole, pour les raisons que je viens d'évoquer, est pour moi un enjeu de développement parfaitement en cohérence avec les objectifs de l'agroécologie. Ceux qui viennent apprendre aujourd'hui seront les exploitants agricoles de demain. Leur apprendre à intégrer une dimension écologique et sociale constituera un atout pour l'agriculture française de demain.
Je n'oublie pas la revalorisation des bourses, que ce soit dans l'enseignement supérieur ou technique.
Je rappelle l'engagement que j'ai pris de mettre en place un dispositif pour tenter de sortir l'école vétérinaire de Maisons-Alfort d'une situation difficile, qui ne permettait pas d'assurer un enseignement à la hauteur des enjeux de cette école, pourtant reconnue à l'échelle européenne. Dans ce sens, il est prévu un crédit de 60 millions d'euros sur 6 ans, répartis pour moitié entre l'État et la région Ile-de-France.
Dans le cadre de la loi d'avenir, la création de l'Institut français de l'agriculture vétérinaire et forestier de France (IAVFF) a fait particulièrement débat, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Cet institut vise à donner une visibilité à l'ensemble des domaines de formation liés au ministère de l'agriculture, à l'instar de l'agronomie, des domaines vétérinaire et de la forêt.
Cet institut français aura vocation à porter, en particulier à l'international, les grands enjeux de coopération et de développement de la ligne que nous avons définie dans la loi sur l'écologie. Il y a un mois, à Rome, au cours d'un premier symposium, la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies a décidé d'intégrer dans sa stratégie « défi alimentaire et écologique» la ligne agroécologique définie par la France.
L'enseignement agricole, aujourd'hui, a trouvé les moyens et les arguments pour poursuivre l'excellent travail qui est le sien, notamment en mettant l'accent sur l'alternance, la formation continue, la formation initiale et la recherche. C'est le « paquet » sur lequel je m'appuie pour faire réussir des élèves dans les différents parcours offerts : apprentissage, formation continue, formation supérieure, avec la volonté de donner aux élèves la possibilité d'un cursus scolaire ouvert et accessible. Nous avons mis en place des passerelles permettant, après un baccalauréat professionnel, de poursuivre des études dans l'enseignement supérieur. On peut intégrer dans la loi d'avenir la validation des acquis, avec un système pédagogique qui admet que ce qui est réussi doit être acquis et reconnu et qu'il ne faut pas constamment mesurer l'échec mais favoriser la réussite et encourager les élèves à poursuivre leurs études. Cette validation des acquis a fait l'objet d'une discussion interne et constitue un enjeu important.
Alors que le budget de l'agriculture connaît une réduction importante de ses crédits : 5,2 milliards d'euros en 2012, 4,7 milliards aujourd'hui et une baisse de 200 millions d'euros entre 2014 et 2015, la priorité sera donnée à l'enseignement agricole ainsi qu'aux services vétérinaires. Au sein de ces derniers, pour la première fois depuis 15 ans, 60 postes ont été créés, notamment pour le contrôle vétérinaire. Au niveau européen et en France, dans le rapport de la Cour des comptes, il a été reconnu nécessaire de renforcer les effectifs dans ces structures essentielles à la qualité de l'alimentation et pour assurer des débouchés à notre agriculture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions, monsieur le ministre. Je cède sans plus attendre la parole à notre rapporteur pour avis pour l'enseignement technique agricole, Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits du programme « Enseignement technique agricole ». - Permettez-moi, monsieur le ministre de saluer votre présence. Je n'avais pas eu le plaisir d'accueillir dans cette commission le ministre de l'agriculture, n'étant sénateur que depuis quatorze ans. Je suis particulièrement ravie de vous entendre aujourd'hui, d'autant qu'une part de moi-même est restée dans mon département auprès des agriculteurs. J'ai dû faire un choix cornélien pour être présente et pouvoir vous interroger.
J'ai bien entendu, et ce n'est pas la première fois que vous nous le dites : produire autrement implique évidemment de former autrement. J'en viens à la stratégie et au pilotage. Monsieur le ministre, qu'en est-il du sixième schéma national des formations ? Comment s'articulera-t-il avec le projet stratégique national présenté à l'automne 2013 au conseil national de l'enseignement agricole mais qui n'a pas été adopté, si mes informations sont bonnes ?
Vous savez que j'ai été très attachée au rôle de l'État en matière d'élaboration de la carte des formations avec les régions parce que j'étais convaincue que la régionalisation risquait d'accentuer les disparités d'une région à une autre. Souvenez-vous, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement en ce sens en première lecture. Vous m'aviez promis de le regarder avec attention. En seconde lecture, je n'ai pas eu davantage de succès. Je me permets de revenir vers vous pour conforter cette demande parce que je sais qu'il existe des partenariats entre certaines directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), le conseil régional et le rectorat. Je me demande ainsi pourquoi on ne pourrait pas mener ce genre de collaboration au niveau national. Cela permettrait de garantir un traitement équitable entre les territoires.
J'en viens maintenant au budget pour 2015. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les efforts qui ont été faits. Il est vrai qu'en apparence ce budget est favorable. Des crédits augmentant de 2,8 %, c'est séduisant. 140 postes d'enseignants et 25 postes d'auxiliaires de vie scolaire (AVS) sont créés, c'est très bien.
Mais je souhaiterais vous faire part de mes inquiétudes quant à la fragilisation de la situation financière et administrative des établissements. Certaines mesures ne sont pas budgétisées, à l'instar de la baisse des charges de pensions pour les emplois gagés en centres de formation d'apprentis (CFA) et centres de formation professionnel pour adultes (CFPPA) ou de la sous-budgétisation des emplois d'assistants d'éducation. Elles ont pour conséquence de mettre à la charge des établissements qui souhaitent oeuvrer en ce sens, des dépenses relevant normalement de l'État. Quelles mesures envisagez-vous à l'avenir pour aider les établissements concernés ? Il me semble qu'il serait plus simple et normal de budgétiser les sommes concernées.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Ah, la dépense publique ! Tout serait plus simple si l'on pouvait dépenser.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - J'ai bien compris, monsieur le ministre. Mais quand cela touche à notre jeunesse, vous l'avez dit, le répétez souvent et avez bien raison de le dire, la dépense ne se pose pas dans les mêmes termes.
Mme Françoise Cartron. - Quand on aime on ne compte pas.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - On pourrait dire cela.
Un point me tient particulièrement à coeur, l'orientation. Les statistiques disponibles ainsi que les auditions que nous avons menées dans le cadre de ce rapport nous amènent au même constat : les élèves sont de moins en moins orientés vers les formations proposées par l'enseignement agricole, comme si cet enseignement ne formait que des producteurs. On sait bien qu'ils représentent moins de 20 % des diplômés issus de l'enseignement agricole ; que tous les autres ont vocation à occuper des métiers « d'aujourd'hui ». J'aimerais me tromper, mais je pense qu'il s'agit d'un choix délibéré de retarder l'orientation des élèves. Je regrette cette vision dépassée et - je sais que vous serez d'accord avec moi - que l'enseignement agricole soit trop mal connu. Il faut faire un réel travail d'information et de communication - d'autres métiers que la production existent ! - je me permets d'insister.
J'en viens à la question des effectifs parce que si on n'oriente pas les jeunes vers l'enseignement agricole, par définition, les effectifs s'amenuisent au fil du temps. Cela me semble une question existentielle. Je n'ai de pire crainte de voir au fil des années les effectifs se réduire et que dans quelques temps on nous dise que ce système éducatif n'a plus sa raison d'être, qu'il serait préférable de l'intégrer à un autre système, qui aurait une prise en compte moins accompagnée que l'enseignement agricole. En deçà d'un certain seuil d'élèves, le maintien d'un système éducatif distinct de l'éducation nationale n'aura plus de sens, quelle que soit l'excellence de ses formations et de ses résultats.
Quelles sont les actions qui pourront être mises en oeuvre ? J'entends bien : nous n'avons peut-être plus les moyens d'une véritable campagne de communication. Mais je crois que, dans ce cas, il nous faut faire preuve d'imagination et il nous faut améliorer l'attractivité, ainsi que mieux informer. Il nous faut aussi, et c'est une source d'économie, approfondir la coopération avec les services de l'éducation nationale et notamment en matière d'orientation, et pas seulement.
Un point qui me tient à coeur également : il s'agit de l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA). Nous en avons déjà parlé ensemble, monsieur le ministre, et je regrette comme vous, la censure des dispositions de la loi d'avenir relatives à l'ONEA par le Conseil constitutionnel, pour des motifs de procédure. L'ONEA a produit des rapports de grande qualité, malheureusement trop peu exploités ; c'est un regret que je formule par rapport à la loi d'avenir. Dans quels délais comptez-vous remettre cette instance en ordre de marche ? Quelle sera sa composition ? Surtout, quelles seront les garanties d'indépendance du nouvel observatoire ?
Pour terminer, je voudrais vous poser une question relative aux décrets et aux normes sur l'encadrement des stages. Lors des débats sur la loi du 10 juillet 2014 relative à l'encadrement et à la gratification des stages, le Gouvernement a reconnu la spécificité des maisons familiales rurales (MFR), dont l'enseignement est basé sur l'alternance, en étendant la durée de stage sans gratification à douze semaines pour les structures accueillant un jeune de MFR de la quatrième au bac professionnel. Toutefois, ces dispositions doivent être mises en oeuvre par un décret qui n'a, à ce jour, pas été publié, à moins que vous n'ayez d'autres informations. Alors que l'année scolaire est désormais bien engagée, que les maîtres de stage peinent à signer les fameuses conventions, ce retard pénalise fortement les MFR et leurs élèves. Avez-vous un calendrier à me communiquer par rapport à cette publication ? Ou bien pourriez-vous nous dire quels sont les obstacles rencontrés pour expliquer ce retard ?
Madame la présidente, encore quelques points que j'aimerais évoquer : je le rappelle, même si je dois pour cela agacer quelques-uns de mes collègues : l'enseignement agricole constitue un enseignement d'excellence, qui permet une intégration professionnelle de qualité. Vous évoquiez tout à l'heure l'accès à l'emploi, monsieur le ministre, ne nous privons pas de cet outil.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je vous propose, mes chers collègues, d'aborder en premier lieu l'enseignement scolaire, puis l'enseignement supérieur et la recherche dans un deuxième temps. Y a-t-il des questions complémentaires à celles déjà très fournies posées par Mme Férat à M. le ministre avant qu'il nous réponde ?
Mme Françoise Cartron. - Je voudrais rebondir sur ce que vient de dire Mme Férat. Nous portons tous l'excellence de l'enseignement agricole sans particularismes. Bien souvent cet enseignement est novateur quant à ses méthodes, son ouverture et son intégration dans le territoire. Je crois que nous en sommes tous des défenseurs. Nous saluons les postes qui seront créés durant ce quinquennat. Cela nous rappelle, madame Férat, lorsque nous nous désolions de la baisse des crédits de l'enseignement agricole. Je souligne cette dynamique positive pour cet enseignement qui le mérite bien. Concernant la baisse des effectifs mentionnée par Mme Férat, je ne crois pas qu'une campagne nationale puisse la résoudre. Je crois au contraire que chaque établissement sur son territoire doit se « vendre » avec ses atouts et sans doute tisser des liens, comme vous le dites, avec l'enseignement public et le collège, afin que l'enseignement agricole soit situé sur un pied d'égalité avec les autres filières en matière d'orientation des élèves. Il y a sans doute des actions à mener et des campagnes qui permettront de le valoriser, notamment avec les conseils régionaux, parties prenantes très importantes de l'enseignement agricole.
J'aurais deux questions à poser à M. le ministre. Premièrement, concernant la fréquentation : disposez-vous d'une étude sociologique des élèves fréquentant l'enseignement agricole ? Sont-ils issus de milieux agricoles ou, de par sa spécificité, d'origine sociale plus défavorisée - je pense notamment aux MFR ?
Deuxièmement, par rapport aux objectifs fixés en matière d'agroécologie et d'agroagriculture, les exploitations attachées à la plupart des établissements agricoles se montrent-elles véritablement en pointe ? La question du statut de ces exploitations agricoles, qui sont à la fois un lieu d'expérimentation pédagogique et aussi un lieu de production, parfois d'excellence sur le marché, se pose également. Comment assurer le financement de ces exploitations ? N'y a-t-il pas parfois une dérive entre objectif pédagogique et logique de production et de commercialisation ? Le lycée professionnel agricole de la Tour Blanche, en Gironde, produit un excellent Sauternes. Dans ce cas, où se situe la limite entre le pédagogique et l'exploitation commerciale ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Enseignement d'excellence, nous le disons tous. Mais cet enseignement a besoin d'actes et de moyens. Il était plus qu'urgent de rétablir des moyens après les purges subies pendant le précédent quinquennat. J'en veux pour preuve que les effectifs d'élèves dans le public ont diminué faute de moyens et du fait des fermetures de classes de 4e et de 3e. Les postes administratifs ont été particulièrement touchés. Comment s'engage le mouvement de dé-précarisation dans les établissements : des postes sont-ils consacrés à cet objectif ? Comment cela se passe-t-il localement dans les établissements ?
M. Jean-Claude Carle. - J'ai une question complémentaire à celle de Mme Françoise Férat, qui a dit que l'enseignement agricole était un enseignement d'excellence. Cela est tout à fait vrai. Il constitue aussi une voie de la deuxième chance pour des jeunes en situation d'échec dans la voie classique de l'enseignement scolaire et pour lesquels cette voie de l'apprentissage est plus appropriée. Mais cette dernière doit faire face aujourd'hui à un certain nombre de freins et de contraintes. J'en citerai deux. Nous avions mis en place, dans la loi de 2009, un mécanisme appelé « dispositif d'initiation aux métiers en alternance » (DIMA), qui visait à faire en sorte que les élèves en situation de décrochage ou en échec dans la voie classique, en 4e ou 3e, puissent se familiariser avec les métiers. Il est difficile à 14 ou 15 ans de savoir quel métier on veut faire. Ce dispositif leur permettait de pouvoir terminer leur année, sous statut scolaire, dans un centre de formation d'apprentis (CFA). Je pense, en particulier, aux maisons familiales rurales. Or, un certain nombre de circulaires successives ont rendu ce dispositif tellement contraignant qu'il est devenu quasiment inopérant. Allez-vous intervenir auprès de votre collègue ministre de l'éducation nationale pour faire en sorte que ce mécanisme retrouve son efficacité ?
Le second frein à la voie de l'apprentissage concerne les contraintes liées à l'utilisation des machines dangereuses. Ce problème, que nous connaissons depuis plus de 20 ans, constitue un frein à la conclusion de contrats d'apprentissage et prive les jeunes d'une insertion professionnelle, car l'apprentissage représente pour eux la chance d'une insertion professionnelle.
Mme Maryvonne Blondin. - Je vais témoigner de l'ouverture à l'international que vous avez mise en avant dans votre troisième objectif pour indiquer qu'il est important de travailler effectivement avec les collectivités territoriales. Dans mon département, nous mettons en oeuvre plusieurs actions de coopération décentralisée : la maison familiale rurale (MFR) de Ploudaniel, impliquée au Chili et le lycée aquacole et agricole de Bréhoulou. Nous avons des échanges mais les destinations lointaines induisent des coûts importants et les conseils généraux sont alors plus sollicités : envisagez-vous une dotation améliorée en faveur des établissements ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Monsieur le ministre, vous avez mentionné un axe fort en agroécologie et évoqué les exploitations liées aux sites d'enseignement agricole. Un lycée du Pas-de-Calais fait de gros efforts en production bio et, compte tenu de l'état du marché de la distribution aujourd'hui, il est moins compétitif par son exploitation que d'autres fermes liées à des lycées produisant de façon conventionnelle. Ce projet a été rendu possible par un appui du conseil régional et je considère que ces expérimentations en agroécologie devraient être davantage encouragées et soutenues par l'État que les productions des établissements utilisant des pesticides. Aujourd'hui, l'agroécologie repose sur la bonne volonté d'une collectivité et non pas sur une décision du ministère.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Le plan stratégique pour l'enseignement agricole n'était en effet pas dans la loi, mais j'avais souhaité qu'il soit préparé par l'ensemble des enseignants et des syndicats en même temps que la loi. Ce plan stratégique a mis en avant onze priorités, afin que les enseignants de l'enseignement agricole soient à l'unisson du choix de la représentation nationale : le premier était la poursuite d'ouvertures de classes dans les lycées agricoles. C'est un enjeu par rapport au nombre d'élèves, en particulier s'agissant des classes de brevet de technicien supérieur (BTS). Un autre objectif fixé, conformément à la loi, concerne l'enseignement à produire autrement avec des adaptations de référentiels qui sont engagées, notamment pour les brevets de technicien supérieur agricole (BTSA) ACSE (Analyse et conduite de systèmes d'exploitation) qui forment les futurs chefs d'exploitation. Le référentiel a changé - j'ai pu le constater dans une MFR que j'ai visitée. Le cours auquel j'ai assisté intégrait les nouveaux éléments en termes de gestion des modèles de production, qui vont s'étendre maintenant aux brevet de technicien agricole (BTA) et brevet d'études professionnelles agricole (BEPA) pour que tout l'enseignement agricole bascule dans un enseignement qui intègre ces objectifs.
A été également retenue l'ouverture des classes européennes d'enseignement agricole et internationales.
Le plan stratégique comprenait la mise en place d'un site de formation pour les enseignants, à l'instar de ce qui a été décidé pour l'éducation nationale. Ceci a été intégré dans les choix du plan stratégique négociés avec l'ensemble des syndicats. Ce site, situé à l'école nationale supérieure agronomique (ENSA) de Toulouse, commencera à former les enseignants à la rentrée 2015.
Les onze priorités du plan stratégique sont :
- renforcer la promotion sociale et la réussite scolaire ;
- favoriser l'accès à l'enseignement agricole supérieur ;
- conforter les filières de l'apprentissage et de la formation professionnelle tout au long de la vie ; - poursuivre la rénovation des diplômes ;
- relancer la pédagogie et les innovations - développer l'utilisation du numérique éducatif ;
- enseigner à « produire autrement » ;
- renforcer la place des exploitations agricoles des établissements ;
- poursuivre l'ancrage territorial des établissements et les liens avec leurs partenaires ;
- renforcer l'ouverture internationale ;
- développer les actions éducatives, l'apprentissage du vivre ensemble et l'éducation à la citoyenneté ; - développer la formation initiale et continue de la communauté éducative ;
- appuyer les établissements d'enseignement dans leurs projets ;
- mettre en oeuvre ces priorités à travers un dialogue social renforcé. Ce plan stratégique a été annexé et débattu en même temps que la loi et ses priorités reprennent celle de la loi.
En ce qui concerne l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA), j'avais proposé qu'il soit intégré dans la loi d'avenir. Cette disposition a été rejetée par le Conseil constitutionnel. Dans ces conditions, ce sera par arrêté ministériel que seront confortés la place et le rôle de l'ONEA ainsi que ses missions précisées. L'ONEA, qui devient l'Observatoire de l'enseignement technique agricole, concentrera ses évaluations au regard de l'efficacité de notre enseignement agricole, des besoins, de la qualification ainsi que de l'accompagnement général sur les grands choix qui ont été faits. Nous insérerons dans cette instance la parité. Je proposerai à M. Nallet, qui était déjà son président, de continuer le travail engagé. Cet observatoire est donc conforté et il sera mis en place rapidement.
Vous avez évoqué la question du compte d'affectation spéciale (CAS) pensions, liée à une situation ancienne où l'État prenait une partie des pensions dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) des agents qui étaient payés par les établissements. Le budget a baissé dans ce domaine, passant de 6 à 3 millions d'euros. Les établissements devront désormais prendre à leur charge la partie des pensions de retraite précédemment financée par l'État. J'ai conscience que les établissements auront peut-être des difficultés mais fixer des priorités, se donner les moyens de développer l'enseignement agricole en situation de contrainte budgétaire, nécessite des arbitrages que j'assume.
Vous avez évoqué la concertation relative à l'enseignement agricole, elle va se poursuivre dans la mise en application du plan stratégique et dans les instances dévouées à cet objectif. Je suis prêt à vous donner l'état des discussions et des conclusions qui peuvent être tirées.
Un décret est effectivement paru sur les stages dans le cadre de l'apprentissage, mais les MFR sont exclues de son champ d'application et n'ont rien à craindre. Le décret les concernant est en cours de finalisation. Seule la rémunération des stagiaires a été augmentée.
S'agissant des effectifs, à la rentrée, une baisse a été constatée en particulier dans l'enseignement privé, qui serait en grande partie liée au passage de quatre ans à trois ans pour les bacs professionnels. Une réflexion est engagée sur ce sujet afin de connaître l'impact, en termes de réussite scolaire, de ce passage de quatre à trois ans pour en tirer des conclusions et corriger, si nécessaire, les causes éventuelles d'un échec supplémentaire ou d'une mauvaise réussite au diplôme. Nous avons décidé d'établir un rapport, conduit par la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) et un inspecteur général, afin de prendre du recul et d'apporter des éléments de correction à ce qui pourrait être un handicap supplémentaire à la réussite des élèves.
Si les exploitations de l'enseignement agricole ont bien sûr une vocation pédagogique, elles ont également une dimension territoriale. Elles sont financées par les collectivités territoriales, en particulier par les conseils régionaux. Je l'ai dit : pédagogie et économie sont liées, puisqu'il participe de la pédagogie de l'enseignement agricole de mettre les élèves en situation de gérer une exploitation. Aujourd'hui, 74 % des exploitations ont déjà, parmi leurs activités, au moins un projet concernant une orientation agroécologique en cours de réalisation. 55 % ont au moins une production en agriculture biologique et elles sont 11 % à exploiter l'intégralité de leur surface en agriculture biologique. 56 % des exploitations sont concernées par le plan Écophyto - qui vise à réduire l'emploi des phytosanitaires - et 152 parmi elles sont inscrites dans des projets ou actions visant à promouvoir des innovations techniques et des pratiques culturales ou d'élevage respectueuses de l'environnement. Il s'agit désormais de fixer des objectifs aux exploitations de l'enseignement agricole en matière d'agroécologie, sans se limiter à la seule agriculture biologique. Ce processus doit intégrer l'ensemble des dispositions du projet d'agroécologie, et en particulier la question des phytosanitaires, qui va constituer le débat central des mois à venir. En ce qui concerne les phytosanitaires, je souhaite que nous soyons en capacité de sortir de la logique normative pour entrer dans une démarche partenariale nous permettant d'en réduire l'utilisation. Ainsi, nous avons mis en place des mesures agroécologiques (MAE), qui permettent de verser des aides de l'État supplémentaires en contrepartie de l'engagement des exploitations à restreindre l'emploi des phytosanitaires. Ce débat n'est pas facile. Mais si nous ne nous impliquons pas ensemble dans cette démarche, les exploitations se verront un jour imposer des normes strictes en la matière. Nous l'avons vu lors de l'examen du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, il y a un équilibre à trouver entre le maintien de la production agricole et les enjeux de santé publique.
Ainsi, le 15 janvier prochain, un bilan d'étape sera organisé avec le comité national d'orientation et de suivi du plan Écophyto, qui intégrera les conclusions du rapport de Dominique Potier sur les produits phytosanitaires. Nous aurons ainsi un premier aperçu de l'agroécologie en France. Je rappelle que notre objectif est de parvenir à ce que 50 % des exploitations s'engagent dans une démarche agroécologique. Bien sûr, les régions assurent une part importante dans le financement de ce plan. En ce qui concerne l'agriculture biologique, sa mise en oeuvre relève des choix effectués par les régions comme par les exploitations. Mais partout, les chiffres le montrent, l'innovation et l'expérimentation sont en marche.
Quant à la règlementation des travaux dangereux, nous avons engagé, avec les autres ministères concernés, un travail pour simplifier et adapter la règlementation applicable aux stagiaires et aux apprentis. Tout en demeurant vigilant sur la question de la sécurité, il s'agit de ne pas pénaliser leur insertion professionnelle. Ce processus est bien engagé, un décret devant être publié au début de l'année 2015. Avec François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, nous travaillons sur le compte pénibilité, que le Sénat a d'ailleurs supprimé cet après-midi, afin de trouver les adaptations nécessaires aux petites exploitations, qui n'ont pas les mêmes moyens que les grandes entreprises.
Pour ce qui est de l'ouverture internationale de l'enseignement agricole, nous avons mis en place des bourses à la mobilité, qui sont prises en charge par l'État. Cependant, le financement des actions concrètes est en grande partie de la responsabilité des collectivités territoriales, essentiellement des régions. Il s'agit d'un point important car il existe à l'international des débouchés importants, pour l'enseignement agricole comme pour ses élèves. Malheureusement, le budget n'est pas extensible et il nous faut ainsi faire des choix dans un contexte difficile. Les échanges internationaux demeurent un enjeu de premier plan, puisqu'ils donnent à des jeunes les moyens d'aller se former à l'étranger et permettent la transmission de nos savoir-faire dans les autres pays.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci monsieur le ministre pour ces réponses. Je vous propose donc d'aborder maintenant l'enseignement supérieur et la recherche agricoles. Si monsieur Grosperrin est d'accord, je cède d'abord la parole à Dominique Gillot, qui doit nous quitter d'ici quelques minutes.
Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Je salue l'exposé du ministre concernant l'enseignement supérieur et la recherche agricoles, qui illustre son caractère novateur, sa capacité à accompagner les évolutions de notre société, notamment dans le domaine de l'agroécologie. Votre exposé met en évidence sa capacité d'entraînement des politiques publiques, qui préparent l'avenir et influent les pratiques de construction de la connaissance et de transmission du savoir. Il s'agit là d'un enjeu de l'ouverture à l'international, notamment en ce qui concerne le transfert de compétences aux pays en développement.
Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche agricoles met en oeuvre les priorités annoncées, notamment en matière de créations de postes, de promotion sociale ou s'agissant des orientations pédagogiques de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Celles-ci ont fait l'objet d'un plan d'action lancé il y a un an et dont on peut apprécier la portée. En ce qui concerne l'adaptation des référentiels pédagogiques, les évolutions sont à l'oeuvre, de même que les incitations à l'innovation pédagogique notamment en matière d'évaluation par les compétences. Siégeant moi-même au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), j'ai assisté à l'inscription des études paysagistes dans un référentiel de master. Le rapport a obtenu l'approbation unanime des membres. À cette occasion, les autorités académiques comme les organisations syndicales ont pu mesurer à quel point l'enseignement agricole est un élément essentiel de la promotion de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai pu constater aussi un encouragement à participer au regroupement des universités et des établissements, à l'instar de ce qui se fait sur le plateau de Saclay. Pourriez-vous nous indiquer quels autres sites pourront bénéficier de ces regroupements ? Comment décloisonner les disciplines ?
Par ailleurs, vous avez affirmé que la rénovation des concours d'accès aux écoles d'ingénieurs et vétérinaires engagée depuis 2011 avait permis la promotion sociale et l'ouverture des grandes écoles à la diversité. Avez-vous des indications à nous apporter sur cette ouverture ?
Enfin, comment l'enseignement supérieur agricole va-t-il participer à l'évolution de la formation initiale des maîtres, en partenariat avec les écoles supérieurs du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Monsieur le ministre, j'ai quatre questions à vous soumettre. Tout d'abord, dans quelle mesure les établissements d'enseignement supérieur agricole participeront-ils aux mouvements de regroupement universitaires mis en place par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche ?
Deuxièmement, quel est le calendrier envisagé pour la mise en place de l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France (IAVFF) ? Quels devraient être les moyens qui lui seront attribués dans le projet de loi de finances pour 2015 ?
En matière de résultats, pourriez-vous nous indiquer quel est le taux de réussite en premier cycle au sein des établissements d'enseignement supérieur agricole comparativement à l'enseignement supérieur général, ainsi que le taux de poursuite d'études à la fin du premier cycle ?
Enfin, l'État a-t-il respecté ses engagements financiers vis-à-vis des établissements d'enseignement supérieur agricole privés avec lesquels il a conclu des contrats ?
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Sur l'enseignement supérieur, je tiens à rappeler l'effort budgétaire qui porte ce budget à 331 millions d'euros, soit une hausse de 5,9 %, ainsi que la création de vingt postes. L'enseignement supérieur agricole, dont les établissements sont répartis sur l'ensemble du territoire, maintient ses résultats en matière d'insertion professionnelle à un excellent niveau, puisque plus de 90 % des diplômés sont insérés dans l'emploi dix-huit mois après leur sortie d'études, proportion qui s'élève à 79 % après six mois.
L'enseignement supérieur agricole, qui offre des cursus allant de Bac+3 à Bac+8, développe une stratégie de regroupement au sein des communautés d'universités et d'établissements (COMUE). Toutes nos écoles vont y participer. Dans la logique du débat sur l'IAVFF, l'enjeu principal est de parvenir à s'insérer dans l'enseignement supérieur et la recherche tout en conservant notre identité et notre spécificité. L'IAVFF, qui remplace Agreenium, nous permet de conserver cette spécificité tout en s'intégrant parfaitement au sein des COMUE et en poursuivant notre collaboration avec l'enseignement supérieur général.
Nous avons créé un master dans le cadre de la formation des enseignants car il s'agit là d'enjeux spécifiques. Mais nous agissons dans ce sens et intégrons les enjeux cités précédemment. Il existe bien sûr un socle de disciplines générales mais également des enseignements de spécialisation car l'enseignement agricole doit être en mesure de former ses propres professeurs. L'accent est donc mis sur la spécificité de la filière et la collaboration avec les autres. Actuellement nous comptons sept établissements d'enseignement supérieur sous contrat. Enfin, pour revenir sur les questions concernant la fusion des universités, il n'y a pas d'autre fusion prévue. Cependant, nous nous inscrivons tout à fait dans la logique des COMUE.
Les financements des établissements privés sont stables en 2014, comme en 2013. Il y a eu une baisse de report des charges mais, sur ces sujets, un véritable effort a été fourni pour répondre aux sollicitations et, en même temps, faire face aux contraintes budgétaires.
J'étais, il y a quelques jours, à Tunis pour un colloque qui s'inscrivait dans une démarche de recherche agronomique France-Maghreb. Ce colloque abordait notamment les enjeux de développement durable et la gestion de l'eau que l'IAVFF a l'ambition d'aborder. C'est pourquoi nous voulons créer un institut donnant une visibilité nationale et internationale. La France dispose d'un véritable potentiel dans le domaine de l'agroécologie, elle peut jouer un rôle moteur, avec, par exemple, une université virtuelle sur le sujet.
Mme Maryvonne Blondin. - Vous parlez de rechercher autrement et d'axer sur la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. J'aimerais savoir si, dans la recherche et la formation, les programmes font le nécessaire pour trouver des alternatives à la biorésistance - par exemple, la phagothérapie.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Nous pouvons noter des résultats plutôt positifs de baisse de l'emploi d'antibiotiques. Il existe également des industries de biocontrôle parmi lesquelles nos petites et moyennes entreprises (PME) sont pionnières. Elles ont ainsi bénéficié d'une croissance de 15 %. Contre l'antiobiorésistance, il nous faut réfléchir à toutes les alternatives. Je ne connais pas la phagothérapie mais je serais ravi d'en prendre connaissance.
Mme Corinne Bouchoux. - Ma question, et je n'attends pas une réponse immédiate, concerne la « CDIsation » des personnels B et C de l'enseignement agricole.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Les mesures promises sont en train d'être mises en oeuvre. Concernant la dé-précarisation de ces personnels, nous agissons depuis 2012-2013 et 400 à 500 personnels ont été dé-précarisés. Compte tenu de la dispersion sur l'ensemble du territoire des établissements de l'enseignement agricole, la sécurisation d'un poste peut conduire à déplacer les personnels concernés à de grandes distances, c'est pourquoi cela prend du temps. Nous indiquons les postes disponibles et travaillons actuellement avec un syndicat pour publier avec clarté la liste des postes ouverts.
Pour répondre enfin à la question de la composition des effectifs d'étudiants, sachez que 13 % des élèves sont issus du milieu agricole et plus de 39 % sont boursiers. La mobilité sociale est donc un objectif bien atteint dans le domaine.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci beaucoup pour votre venue et les réponses que vous nous avez apportées, monsieur le ministre.
La réunion est levée à 17 h 45.
Jeudi 6 novembre 2014
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Loi de finances pour 2015 - Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche
La commission auditionne Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le projet de loi de finances pour 2015.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous auditionnons, sur le projet de loi de finances pour 2015, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, nous sommes nombreux à souhaiter vous interroger également sur la dernière rentrée scolaire, qui a marqué l'« an II » de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République et a vu la généralisation des nouveaux rythmes scolaires.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Nous partageons tous les mêmes objectifs : améliorer les apprentissages et créer les conditions de la réussite de tous les élèves.
Porté à 65 milliards d'euros, le budget de mon ministère pour 2015 est un marqueur de la politique de ce gouvernement et de la priorité qu'il donne à la jeunesse : son augmentation de 2,4 %, après 1,2 % en 2014, en fait à nouveau le premier budget de la nation, devant la charge de la dette.
Nous nous sommes engagés à créer 60 000 nouveaux postes d'ici 2017 : 54 000 pour l'éducation nationale, 5 000 pour l'enseignement supérieur, 1 000 pour l'enseignement agricole. Ce ministère aura, dès 2015, 10 421 postes supplémentaires, alors qu'avant 2012, ses moyens étaient en nette régression.
Sur le total, 352 millions d'euros supplémentaires iront à l'éducation prioritaire, réformée pour mieux correspondre à la réalité des difficultés sociales sur le territoire. La nouvelle éducation prioritaire est préfigurée dès cette année dans 103 établissements. À la rentrée 2015, 1 080 réseaux composés de collèges et d'écoles primaires formeront la nouvelle carte. Ce dispositif comporte une revalorisation des indemnités spécifique de ses enseignants, qui bénéficieront de meilleures formations, de décharges horaires favorisant le travail en équipe et la conduite de projets pédagogiques interdisciplinaires. L'accueil des élèves sera plus précoce, l'accompagnement et le tutorat renforcés, notamment en classe de sixième, afin que les élèves soient aidés dans leurs devoirs tous les jours.
En outre, 100 millions d'euros seront consacrés à la revalorisation des indemnités, en particulier des professeurs des établissements qui concentrent le plus de difficultés sociales et scolaires. Ce budget donne la priorité au premier degré, où nous aurons plus de maîtres que de classes, et où les actions de formation seront renforcées. Notre école accueille de plus en plus d'enfants en situation de handicap : deux fois plus en cinq ans. Nous faisons en sorte qu'ils soient accompagnés par des personnes formées à cet effet. Le gouvernement s'est engagé à ce que ces 28 000 auxiliaires de vie scolaire bénéficient, au terme de six années d'exercice, de contrats à durée indéterminée ; 350 nouveaux emplois d'accompagnants ont été créés à la rentrée 2014, 350 le seront à nouveau en 2015. S'y ajoutent 41 000 contrats aidés pour l'accompagnement de ces élèves. Enfin, 30 unités d'accueil des enfants autistes ont été créées cette année, notamment au niveau de la maternelle.
Telles sont les nouveautés de ce budget, qui poursuit par ailleurs les engagements généraux pris par le gouvernement pour la refondation de l'école. La formation des enseignants dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) s'opère désormais en alternance, les stagiaires consacrant une moitié de leur temps à l'enseignement en classe. Ce sont 25 000 postes qui seront ouverts en 2015 aux concours. Les moyens consacrés à cette réforme de la formation initiale se monteront à plus de 750 millions d'euros. Nous avons choisi, dans les trente académies, d'installer les ÉSPÉ au sein des universités, afin de les adosser à la recherche. Les enseignants doivent en effet s'habituer dès leurs premières années à évaluer leurs pratiques et à les voir évoluer. Je suis bien consciente qu'il reste des améliorations à apporter au nouveau système, qui a seulement une année d'existence.
Ce budget prévoit l'accompagnement des communes dans la réforme des rythmes scolaires : 400 millions d'euros y seront consacrés en 2014-2015, en particulier pour les aider à organiser les activités périscolaires ainsi qu'en 2015-2016. Nous leur demandons en contrepartie de s'engager dans un projet éducatif territorial (PEDT) garantissant la qualité de ces activités.
Ces mesures sont complémentaires de mouvements de fond de l'éducation nationale, en faveur notamment de l'insertion professionnelle des jeunes. Nous nous sommes engagés, lors de la grande conférence sociale de l'été dernier, à accroître l'ouverture de l'école sur le monde professionnel, à mieux valoriser l'apprentissage et l'enseignement professionnel. La réforme des programmes, la réforme des collèges, en tiendront compte. Le développement du numérique à l'école est également une priorité, répondant à une attente forte des Français en général et des enseignants en particulier. Les collégiens auront accès dès la rentrée 2016 à des ressources numériques, avec l'aide d'enseignants spécialement formés. Il faudra équiper les établissements en conséquence. Nous travaillons enfin sur le parcours de santé des élèves et nous conduisons des consultations sur les programmes et le socle commun.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire. - Si je devais, madame la ministre, vous noter sur le montant de votre budget, vous auriez certainement mention « très bien ». Mais ce n'est pas le seul critère d'évaluation : les crédits ont constamment augmenté depuis des décennies, sans supprimer les difficultés de notre système éducatif, loin de là.
Sur les 60 000 postes que le Président de la République s'était engagé à créer, seuls 3 856 l'ont été à ce jour, ce qui ne couvre pas même l'augmentation démographique : il y a moins de maîtres dans les classes primaires qu'en 2011. Comment expliquer cet écart ?
Le niveau de recrutement aux concours semble avoir dramatiquement baissé : des candidats auraient été reçus avec des notes très faibles. Est-ce pour pallier le manque de professeurs dans certaines disciplines et dans certaines académies ? Le problème de l'attractivité du métier est manifeste : un enseignant doté d'un master débute à 1 300 euros nets, alors qu'il pourrait être recruté ailleurs dans de bien meilleures conditions. S'y ajoute le manque de considération dont souffre la profession.
J'avais averti votre prédécesseur, qui a supprimé la formation initiale, que c'était une erreur : les nouveaux professeurs sont compétents dans leurs disciplines, mais pas nécessairement en pédagogie. Quel bilan tirez-vous, après un an d'application, des ÉSPÉ ? Prendrez-vous des mesures pour améliorer cette formation ? Les interlocuteurs que nous avons rencontrés déplorent en outre l'insuffisance, voire l'absence complète de la formation continue.
Le Président de la République veut faire de l'apprentissage une priorité, avec un objectif de 500 000 apprentis. Cette ambition louable se heurte à certaines contraintes : le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA) a été rendu si contraignant par des circulaires successives qu'il en est quasiment inopérant. Comptez-vous l'assouplir ? Autre frein, la règlementation relative à l'utilisation de machines dangereuses. L'administration fait appliquer les circulaires avec un tel zèle qu'elle freine la conclusion de nombreux contrats d'apprentissage.
Vos déclarations au sujet des mères voilées accompagnant les sorties scolaires ont fait polémique et inquiètent certains chefs d'établissements. La circulaire Chatel continue-t-elle de s'appliquer ? Bien des sorties sont remises en cause.
La mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires a été omniprésente dans la campagne sénatoriale : pas une commune où il n'en ait été question. Je ne connais pas d'élus qui refusent de l'appliquer, mais souvent ils ne le peuvent pas, pour des raisons de personnel ou de crédits. Vous nous annoncez la reconduction des aides en vigueur, à condition que les communes signent un contrat éducatif territorial, mais ce sera difficile pour les plus petites. Ces fonds supplémentaires proviendront-ils, par redéploiement, d'autres lignes de votre budget, ou avez-vous obtenus de Bercy des fonds supplémentaires ?
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits du programme « Enseignement technique agricole ». - Le programme 143, intégré par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) à votre budget, voit ses crédits augmenter de 2,8 % et comporte 140 nouveaux postes d'enseignants et 25 d'auxiliaires de vie scolaire (AVS). Mais la baisse des charges de pension pour les emplois gagés en centres de formation d'apprentis (CFA) et en centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA), comme la sous-budgétisation des emplois d'assistants d'éducation, mettent ces dépenses à la charge des établissements et les fragilisent. Les arbitrages budgétaires ne sont certes pas pour demain, mais je tenais à appeler votre attention sur ces points.
L'enseignement agricole est un enseignement d'excellence, hélas assez méconnu. L'orientation partagée des élèves n'existe pas. L'idéal serait de leur faire découvrir à la fin de la classe de troisième toutes les possibilités qui leur sont offertes, mais l'orientation est, au contraire, souvent retardée, ce qui provoque une perte de confiance et des décrochages scolaires. Éducation nationale et enseignement agricole devraient être complémentaires. Or les filières agricoles - qui ne forment pas seulement des agriculteurs - ne sont pas proposées, pas plus que les métiers manuels. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour remédier à cette situation ?
J'ai longtemps milité pour la mutualisation des moyens de l'éducation nationale et de l'enseignement agricole. Les deux parties y gagneraient. Où en sommes-nous ?
Présente quotidiennement sur le terrain, je ne rencontre pas d'élu qui n'évoque pas les difficultés causées par la réforme des rythmes scolaires. Votre attachement à l'égalité et à la réussite de nos enfants, madame la ministre, n'est plus à démontrer. Or l'injustice et l'inégalité engendrées par cette réforme sont flagrantes. Injustice envers les élus, qui ont dû mettre en oeuvre cette réforme sans concertation, au moment même où l'État réduisait fortement les dotations des collectivités. Le Premier ministre et vous-même nous avez donné des assurances sur le fonds d'amorçage, mais le compte n'y est pas. Ne laissons pas croire que nous prenons à la légère l'intérêt des enfants.
Que pensez-vous des dérogations accordées à certaines municipalités et pas à d'autres ? Deux communes voisines, dans mon département, avaient déposé tardivement leurs demandes : l'une a été acceptée, l'autre non. Le courrier que j'avais adressé à ce sujet à votre prédécesseur est resté sans réponse. Inégalité encore pour les parents, qui doivent souvent participer financièrement à ces activités, si bien que certains enfants en sont tout simplement privés. Inégalité pour les enfants, et c'est le plus grave : les communes rurales n'ont pas les locaux appropriés, ne trouvent pas les intervenants nécessaires et ne parviennent finalement à organiser que de simples garderies. En CM2, à la veille de l'entrée en sixième, ce n'est pas sérieux.
Notre système éducatif exige une refonte. La cinquième matinée devait permettre d'étaler l'enseignement des matières les plus difficiles, mais elle n'a en réalité rien changé. Quel sens trouver à cette réforme, alors qu'à partir du 20 juin les enfants jouent toute la journée dans la cour de récréation ?
M. David Assouline. - Quel rapport avec les crédits de l'enseignement agricole ? Vous vous éloignez de votre sujet. Je ne comprends pas votre intervention.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cher collègue, c'est votre intervention qui est superflue : je me charge de présider cette réunion.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Madame la présidente, puis-je poser mes questions ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Poursuivez.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - L'annualisation du temps de travail scolaire serait une première mesure essentielle pour alléger les emplois du temps. Madame la ministre, établirez-vous un bilan objectif de cette réforme en termes de coûts pour les collectivités et d'intérêt pour les enfants ? Je regrette d'avoir à faire un constat aussi négatif...
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Un grand journal du soir a mis en doute, dans son édition d'hier, la création effective des postes annoncés par le Gouvernement. Or 24 666 ont déjà été créés au 1er septembre 2014. Si 18 070 de ces nouveaux enseignants sont encore stagiaires, ils ne le demeureront pas à vie ! Ils seront titularisés au bout de deux ans. Nous prévoyons la création de 10 561 postes supplémentaires en 2015. La montée en charge de ces recrutements ne peut être que progressive.
Nous confirmons la priorité que nous donnons au premier degré : c'est essentiellement là que les postes nouveaux ont été distribués. Oui, le nombre d'élèves augmente : où en serions-nous si les suppressions de postes avaient été poursuivies ! Je veux vous rassurer, les 3 350 postes « devant élèves » supplémentaires ne sont pas absorbés par l'évolution démographique. Nous aimerions certes en faire plus pour la préscolarisation des enfants en zones prioritaires, mais toutes les familles ne sont pas intéressées. C'est une culture à installer.
Le métier d'enseignant manque certes d'attractivité, mais moins que ces dernières années, qui avaient vu la suppression de 80 000 postes en dix ans et celle de la formation initiale - sans oublier les propos dévalorisants tenus à l'endroit des professeurs. Notre travail depuis 2012 a consisté à revaloriser le métier, par l'ouverture de postes et par l'augmentation des salaires. Les enseignants du premier degré reçoivent désormais une prime de 400 euros annuels. Est-ce insuffisant ? Sans doute. Lorsque nous en aurons les moyens, nous ferons plus. Quatorze métiers de l'éducation nationale, notamment ceux d'enseignant, de conseiller principal d'éducation (CPE) ou de directeur d'école, ont fait l'objet de chantiers « métiers » avec les syndicats, afin de redéfinir les missions et les moyens. Une première série de conclusions sera rendue la semaine prochaine. Les directeurs d'établissements, par exemple, bénéficieront de davantage de décharges horaires et du renfort de contrats aidés pour les tâches administratives.
La notation des épreuves des concours n'est pas une évaluation absolue, mais relative, visant à classer les candidats. Ayant tous obtenu un master, ils sont diplômés et ont le niveau requis pour exercer. Les ÉSPÉ sont là pour compléter cet acquis disciplinaire par une formation pédagogique : félicitons-nous d'avoir réussi à les mettre en place dès la rentrée 2013. Elles sont certes perfectibles, mais le gouvernement a tenu à les installer au plus tôt. Si nous avions tardé, nous aurions connu les mêmes difficultés... plus tard. Je rappelle que les universités sont des entités autonomes, non des opérateurs de l'État susceptibles de recevoir des instructions. Nous avons créé un comité de suivi présidé par le recteur Filâtre, et les inspections générales ont rendu un pré-rapport sur la mise en oeuvre de cette réforme.
La formation continue des enseignants est l'un des points sur lesquels nous pouvons avancer. Les personnes en exercice ont besoin d'être renforcées dans leurs pratiques. Nous le faisons au moyen d'un outil en ligne, Magistère, qui devra être complété par des formations spécifiques, à destination notamment des enseignants en zone prioritaire.
Nous introduisons, dans le cadre de la réforme des collèges, un parcours nouveau d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIODMEP), conçu par le Conseil supérieur des programmes et destiné à devenir une étape systématique dans toutes les classes du collège. Nous en sommes au stade de l'appel à projets. Il sera expérimenté en janvier dans une centaine d'établissements volontaires, dans toutes les académies.
L'éducation nationale accueille aujourd'hui 40 000 élèves sous statut d'apprentis, nous en voulons 60 000 en 2017. Il est pour cela nécessaire de changer les réflexes des enseignants, des parents et des élèves qui tendent considérer que l'apprentissage est réservé aux cas d'échec scolaire et débouche sur des métiers mal payés. C'est faux ! Les offres d'apprentissage apparaîtront désormais dans tous les outils d'orientation post-troisième et post-bac. J'ai en outre demandé à chaque recteur de réfléchir à une stratégie de développement de l'apprentissage. Nous ferons le point tous ensemble lors d'une réunion qui se tiendra le 19 novembre prochain.
Un travail interministériel est en cours afin de simplifier la règlementation relative à l'usage des machines dangereuses par les élèves. On s'orienterait vers un régime de déclaration pour faciliter la tâche aux entreprises et ouvrir aux élèves l'accès à des expériences utiles.
Vous connaissez mon attachement à la laïcité : elle doit être défendue et promue à l'école, non seulement comme une règle de neutralité religieuse imposée, mais comme une culture à acquérir afin de pouvoir se forger une liberté de conscience et de jugement. Nous pouvons nous appuyer pour cela sur la charte de la laïcité, dont l'affichage a été très opportunément décidée par Vincent Peillon ; un enseignement moral et civique est en cours de conception, il s'adressera à tous les élèves ; des référents laïcité, dans toutes les académies, ont été désignés pour conseiller les enseignants et répondre à leurs interrogations ; enfin les ÉSPÉ comportent des modules « Laïcité » grâce auxquels les enseignants pourront aborder le sujet plus sereinement en classe.
Comme l'a précisé le Conseil d'État, les parents ne sont pas soumis à la règle de neutralité religieuse qui s'impose au personnel de l'éducation nationale, mais sont tenus de s'abstenir de tout prosélytisme, conformément à la circulaire Chatel, sur laquelle il n'est pas question de revenir. Les mères d'élèves voilées sont donc autorisées à accompagner les sorties scolaires, d'autant que tout rapprochement entre l'école et les familles est vertueux, bénéfique pour les enfants.
Pour avoir longtemps été élue locale, je sais que la mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires est compliquée et je ne prétends pas que l'accompagnement financier de l'État couvre tous les coûts. Mais c'est une bonne réforme : l'étalement des enseignements sur cinq matinées améliore la qualité des apprentissages ; et l'instauration des activités périscolaires, culturelles, artistiques ou sportives, est pour tous les enfants une ouverture sur le monde. De telles activités ne sont plus réservées aux enfants des familles aisées. Chaque jour, la revue de presse de la presse quotidienne régionale m'apprend d'ailleurs que la réforme ne pose pas seulement des difficultés : je suis étonnée de lire tous ces témoignages de familles, d'enseignants et d'élus qui se disent ravis. Restent évidemment quelques cas particuliers, comme celui d'une commune des Bouches-du-Rhône qui a refusé de la mettre en oeuvre...
Nous avons à nouveau provisionné 400 millions d'euros pour l'accompagnement de l'État en 2015 et 2016, mais il sera réservé aux communes signataires d'un projet éducatif territorial. C'est simplement une question d'engagement et de volontarisme : nous ne voulons pas verser d'argent à ceux qui ne font aucun effort pour proposer des activités de qualité. Je signale que les communes rurales sont beaucoup plus nombreuses que les grandes villes à y avoir souscrit.
Sur les 60 000 nouveaux postes prévus, 1 000 iront à l'enseignement agricole : 685 auront été créés entre 2012 et 2015 ; et 25 nouveaux AVS s'ajoutent cette année aux 100 recrutés depuis 2012. De nouvelles classes ont été ouvertes dans les lycées agricoles et la capacité des classes de BTSA a été augmentée. Stéphane Le Foll a dû vous parler hier du plan d'action « Enseigner à produire autrement ». L'enseignement agricole s'ouvre mieux à l'international avec le renforcement de ses classes européennes. Les nouveaux enseignants bénéficient d'un cycle spécifique d'un an à l'école de formation de Toulouse.
Les dérogations accordées aux communes pour l'application de la réforme des rythmes scolaires feront l'objet, après un an, d'une évaluation.
Mme Françoise Laborde. - Le Sénat avait conduit une mission commune d'information sur le parcours d'orientation. Elle a conclu à l'importance de prononcer le mot dès la maternelle pour qu'il perde sa connotation négative. Et surtout de mettre en place un vrai parcours, qui seul donne son sens à l'orientation scolaire.
Un décret Vallaud-Belkacem pourrait-il remédier aux inconvénients du décret Hamon sur la répartition du temps scolaire ? Deux fois une heure et demie valent mieux qu'une demi-journée... Le décret du 27 juin 2014 sur la professionnalisation des AVS ne précise pas si les intéressés peuvent, lorsqu'ils le souhaitent, travailler davantage qu'à mi-temps ? Ils effectuent d'ores et déjà des heures de réunion qui ne sont pas comptabilisées, et leur situation est souvent très précaire.
La laïcité progresse, c'est une bonne nouvelle. Il faudrait officialiser la journée nationale de la laïcité, le 9 décembre. En Haute-Garonne, nous encourageons toutes les écoles à prendre part à l'événement. Enfin, sur l'apprentissage des langues, vous avez évoqué les classes européennes, mais ailleurs, dans les maternelles et à l'école primaire, cet enseignement est un peu faible.
M. Jacques-Bernard Magner. - On ne peut pas avoir d'état d'âme face à un budget en hausse de 2,4 %, qui constitue de surcroît le premier budget de l'État. Depuis trois ans, les gouvernements successifs ont renforcé de manière considérable les moyens de l'Éducation nationale. En 2012, 11 % des enfants de moins de trois ans étaient scolarisés. L'objectif est fixé à 30 % cette année, grâce à des moyens supplémentaires. Je participe avec ma collègue Marie-Christine Blandin au Conseil supérieur des programmes, créé par Vincent Peillon. Le nouveau PIODMEP doit être pris en compte dans le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, de la maternelle jusqu'au collège. Il offrira aux enseignants les outils adéquats pour accompagner les élèves et éviter que 150 000 enfants ne « décrochent » chaque année. Les auxiliaires de vie scolaire, qui participent à faire de l'école un lieu d'accueil plus large, ont été dé-précarisés. C'est un apport de qualité qui renforce la présence des adultes auprès des enfants handicapés. Le fonds d'amorçage destiné aux communes a été sécurisé jusqu'en 2016. J'espère qu'il sera maintenu au-delà, car les communes rencontrent des difficultés. Elles ont besoin de temps pour adapter leur projet éducatif. Beaucoup de communes craignent d'être sanctionnées financièrement pour n'avoir pas présenté assez vite leur PEDT.
Mme Mélot et moi avons mené en début d'année une mission d'information sur la mise en place des ÉSPÉ. La collaboration entre l'Éducation nationale et l'enseignement supérieur n'allait pas de soi, et c'est une avancée formidable. Monsieur Carle, le métier d'enseignant redevient attractif. L'an dernier, 30 % des étudiants ont choisi une formation aux métiers de l'Éducation nationale, sans doute attirés par l'alternance et les passerelles ouvertes entre l'académique et le professionnel.
Le développement du plan numérique pour les enfants passe par l'informatisation et la numérisation de l'ensemble des classes - et plus seulement une seule salle disposant d'ordinateurs. Dans l'école de ma commune, les cinq classes ont besoin d'un tableau numérique. Les communes sont désarmées, car elles manquent de moyens. Pour les collèges, les départements sont mieux dotés. Un nouveau plan informatique pour la numérisation dans les écoles éviterait le développement des inégalités.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Grâce à l'amélioration des processus de recrutement et de formation, le vivier d'enseignants se reconstitue. Veillons à ce que ce soit au bénéfice de toutes les disciplines. Un pré-recrutement beaucoup plus en amont serait souhaitable. Quel bilan faites-vous des emplois d'avenir professeur (EAP) ? Combien de jeunes ont poursuivi dans l'Éducation nationale ? Combien ont abandonné, et pourquoi ? L'accompagnement par un tuteur fonctionne-t-il ? Par ailleurs, disposez-vous d'un bilan sur la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans, mise en place par votre prédécesseur ? Hier, le ministre de l'agriculture nourrissait certaines inquiétudes sur l'obtention des diplômes ou la connexion avec les entreprises. Sont-elles fondées ? Dans certaines familles, le bac pro pose problème car ce sont des années d'études en plus. Je m'inquiète également de l'état de la médecine scolaire. De quelles informations disposez-vous sur la mise en place d'un parcours de santé des élèves ? Enfin, vous êtes attachée à l'égalité entre hommes et femmes. Comment y sensibiliser les élèves dès le plus jeune âge ?
Mme Colette Mélot. - Mon collègue Magner a évoqué la mission d'information sur les ÉSPÉ. Il serait utile de poursuivre notre travail pour savoir comment les choses ont évolué au cours de leur deuxième année de fonctionnement. Un rapport des inspections générales du 8 octobre dresse un bilan sévère. Vous dites que « le système est perfectible ». Laisser le temps aux écoles de s'implanter, oui, mais à la condition de pouvoir constater des progrès ! Il est souhaitable que les étudiants puissent se réorienter vers les divers métiers de l'éducation en cas d'échec au concours. Ce serait peine perdue, sinon, d'avoir fait d'aussi longues études pour en sortir sans aucune formation professionnalisante.
Quel est le statut des étudiants qui ont réussi le concours, il y a deux ans, dans le système précédent ? Ils n'ont pas reçu de formation avant d'être face aux élèves. Ont-ils été titularisés ? Un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre que nos enseignants sont moins intéressés par la formation continue que ceux des autres pays. Ils sont 76 % à en bénéficier contre 88 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Le pourcentage est moindre encore dans les établissements privés. Cette désaffection s'expliquerait par l'inadéquation entre l'offre et les besoins. La formation au numérique est indispensable : dans certaines communes, les enseignants n'arrivent pas à utiliser les tableaux numériques informatisés qui ont été installés. Les Moocs sont un outil à privilégier.
M. Claude Kern. - Je vous félicite pour l'augmentation de votre budget. Néanmoins, même revalorisé, le métier d'enseignant est de plus en plus difficile à exercer, dans le premier degré comme dans le secondaire. Les enseignants se plaignent de la détérioration du comportement des élèves. Ils ont besoin de reconnaissance.
La formation en alternance facilite l'insertion professionnelle des étudiants en multipliant les débouchés. Les entreprises apprécient ce dispositif, même si elles regrettent la disparition de la dotation en apprentissage. Qu'avez-vous prévu pour compenser ce manque ? Quant à l'orientation, je note avec satisfaction qu'elle évolue comme prévu. Le parcours doit rester axé sur les métiers, sans négliger les passerelles possibles dans le secondaire, qui sont autant de portes ouvertes pour les élèves.
Des inégalités existent entre zones rurales et zones urbaines dans l'aménagement des rythmes scolaires. Les offres d'activités périscolaires ne peuvent pas être partout les mêmes. Les parents en font souvent le reproche aux maires des petites communes. Lors de la dernière campagne électorale, j'ai pu constater une désertion de l'enseignement public au profit du privé, surtout dans les zones rurales. Le privé propose aux parents une prise en charge de leurs enfants toute la journée, tandis qu'à l'école publique, il faut assumer les coûts du périscolaire. Enfin, s'agissant de l'initiation aux langues étrangères dès le plus jeune âge, il me paraît souhaitable de privilégier la langue du pays voisin dans les régions frontalières, pour favoriser l'emploi futur. Encore faut-il avoir des enseignants suffisamment formés pour mettre en place des classes bilingues.
Mme Corinne Bouchoux. - La mise en place des nouveaux rythmes scolaires ne se fait pas sans difficultés. Mais il ne s'agit pas seulement d'une question de moyens. En milieu rural, il est très important d'exploiter les ressources relationnelles locales - faire appel au photographe établi dans le village, par exemple. Le rapport d'un étudiant sur le développement du périscolaire dans une petite commune du Maine-et-Loire énumère ainsi les activités proposées - jardin partagé, club photo, atelier poésie-roller, tout cela sans le moindre coût et pour le plus grand épanouissement des enfants. Une bourse aux bonnes idées serait un outil efficace.
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Oui !
Mme Corinne Bouchoux. - Le 30 septembre, l'Unesco a rendu son bilan sur l'éducation à l'environnement et au développement durable. Les éloges sont mesurés au sujet de la France. La loi de refondation mentionne cet objectif. Où en est-on ?
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Madame Laborde, le décret dit Hamon prévoyait des dérogations pour la mise en place des nouveaux rythmes : or peu de communes y ont fait appel, 3 000 sur les 23 000. Ce sont des communes importantes - dont la mienne - et c'est la raison pour laquelle on en a beaucoup parlé. Mais elles sont minoritaires. Une évaluation aura lieu au printemps : s'il apparaît que les dérogations sont préjudiciables à la réforme, elles ne seront pas reconduites.
La réforme offre aux enfants la possibilité de mieux apprendre grâce à des activités périscolaires de qualité. J'aborde ce sujet avec beaucoup d'humilité. Le volontarisme et l'ambition ne suffisent pas ; l'évaluation est le maître mot. Le comité de suivi national mesurera la réussite ou non de la réforme. À voir la situation des communes qui ont mis en place les nouveaux rythmes dès 2013, je suis plutôt optimiste. Vous évoquiez les AVS : 28 000 obtiendront à terme un contrat à durée indéterminée, 5 000 cette année. Leur emploi sera ainsi sécurisé. Des postes seront créés pour l'accueil des enfants en situation de handicap - 350 cette année et autant à la rentrée prochaine. Pour assurer l'accueil de ces enfants en périscolaire, l'Éducation nationale met à disposition des établissements un personnel déjà formé et identifié - les accompagnants des élèves en situation de handicap ou AESH, qui suivent aussi les enfants dans leur temps scolaire, ce qui est un avantage. La caisse d'allocations familiales peut également être sollicitée, à hauteur de 54 euros par enfant et par an, dès lors que le cadre d'accueil de loisirs est agréé. J'ai assoupli les conditions de cet agrément lorsque j'étais ministre de la jeunesse et de la vie associative.
Vous pouvez compter sur moi, Madame Laborde, pour faire du 9 décembre une date solennelle, célébrée dans les établissements scolaires. Et je vous invite à y travailler avec moi.
Monsieur Magner, 7 000 communes ont signé un PEDT ; 70 % d'entre elles ont moins de 2 000 habitants. Jusqu'alors, personne ne leur demandait de signer un tel contrat, d'où la faiblesse apparente de leur nombre. Je souhaite que le dispositif fonctionne sans contrainte, ni démarches administratives lourdes. Une réunion est prévue cet après-midi avec les associations d'élus locaux pour travailler sur le formulaire du PEDT. Madame Bouchoux, je retiens avec enthousiasme l'idée de la bourse aux bonnes idées et vais la leur soumettre ! Le périscolaire n'a pas besoin d'activités luxueuses. C'est une idée fausse de croire que les communes modestes feraient moins bien que les autres. Jardinage, poterie, photo, tout cela ne demande pas des moyens considérables mais offre la possibilité d'apprendre autrement.
À la rentrée 2016, le plan numérique s'adressera d'abord aux collégiens. Alléger les cartables surchargés, faciliter les apprentissages grâce à l'interactif, tels sont les objectifs à privilégier. Néanmoins, les écoles primaires seront également équipées et connectées. Lors de cette rentrée scolaire, 8 000 écoles rurales ont bénéficié du très haut débit. Nous souhaitons également introduire une initiation à la programmation informatique, dès l'école primaire, sur le temps périscolaire. Nous avons lancé un appel à projets.
Madame Gonthier-Maurin, vous avez raison de constater la faible attractivité de certaines disciplines. En mathématiques, notamment, il est difficile de recruter des enseignants. Les étudiants de ces filières donnent la préférence au métier d'ingénieur, mieux rémunéré, mieux considéré. À nous de rendre le métier d'enseignant attractif et de revaloriser les matières délaissées. Avec Cédric Villani, nous allons développer une grande stratégie nationale de mobilisation pour les mathématiques.
Je suis très attachée au dispositif des emplois d'avenir professeurs (EAP). Après un démarrage tardif, la première année, 3 000 jeunes ont été recrutés, pour 4 000 postes offerts. À la rentrée 2014, près de 5000 nouveaux EAP les ont rejoints. Des choses restent à améliorer, comme l'organisation de la formation.
Le pré-recrutement est un objectif intéressant. Nous y travaillons dans les limites de ce qu'autorise le Conseil constitutionnel, toujours soucieux du principe d'égalité d'accès aux emplois publics.
L'enseignement professionnel concerne 670 000 élèves avec un flux annuel de bacheliers qui augmente régulièrement - un tiers de plus entre 2009 et 2014. En 2014, 30 % des bacheliers ont obtenu un bac pro, contre 20 % en 2008. Lors du prochain Salon de l'éducation, je ferai des annonces sur cette question.
Les difficultés de recrutement dans la médecine scolaire sont réelles. Sur 1 500 postes, 300 restent vacants. Le ministère ouvre une cinquantaine de postes par an. Le problème est global et non spécifique à l'Éducation nationale. Des mesures salariales, une revalorisation indiciaire, amélioreront je l'espère la situation. L'accueil d'étudiants en médecine dans l'éducation nationale, durant les stages d'internat, produit également ses effets et sera donc renforcé. Le rapport sur la médecine scolaire commandé par Vincent Peillon doit m'être remis prochainement. Il facilitera la mise en place d'un parcours de santé de la maternelle au lycée. L'objectif est de donner aux élèves la culture nécessaire pour prendre soin d'eux-mêmes et éviter les conduites à risque.
Le plan sur l'égalité filles-garçons que nous avions annoncé avec Benoît Hamon à l'automne dernier est sur le point d'être finalisé. Cette question sera abordée dans la formation initiale et continue...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Des heures y seront-elles dédiées dans la formation initiale ?
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Oui. Le plan sera présenté le 26 novembre prochain. Madame Mélot, 99 % des étudiants qui s'engagent dans les ÉSPÉ sont titularisés au bout de deux ans. Seuls 114 ne l'ont pas été. Monsieur Kern, je me rends dans l'Allier demain pour les assises de la ruralité. Quand je parle d'une école qui crée les conditions de la réussite pour tous les élèves sur tout le territoire, je pense aussi aux zones rurales ! L'isolement, le sous-équipement, le manque d'associations sont des difficultés dont nous avons conscience.
Une solution est d'inciter les communes et les collectivités locales des zones rurales à contractualiser avec le ministère de l'Éducation nationale, sur le modèle de ce qu'a fait le département du Cantal. En anticipant sur trois ans les évolutions démographiques de ce territoire, nous avons pu en neutraliser les effets. Plutôt que de fermer des classes par manque d'élèves, nous incitons les élus locaux à travailler sur des réseaux d'écoles. Cela fonctionne. Les Hautes-Pyrénées et l'Allier se sont engagés dans le programme. Je suis très attachée au développement de l'enseignement bilingue. Je dois prochainement inaugurer une école maternelle franco-allemande dans la Sarre. Enfin, je crois que l'enseignement privé s'alignera à terme sur les nouveaux rythmes scolaires, notamment pour ne pas imposer aux parents une double organisation compliquée. C'est déjà le cas de 10 % des établissements privés.
M. Michel Savin. - Le rapport de la Cour des comptes indique que le problème de l'école n'est pas dans le nombre d'enseignants mais dans l'insuffisance des moyens. Il insiste sur l'inutilité d'augmenter le nombre de professeurs sans réformer la gestion et recommande de redéfinir le métier d'enseignant.
Le décret du 26 août 2005 prévoit qu'il revient au chef d'établissement de mettre en place un protocole pour remplacer les enseignants du second degré absents pour une courte durée. Manifestement, le décret n'est pas appliqué. C'est un problème pour les élèves et leurs familles.
La demi-journée de consultation des enseignants a posé aux familles et aux collectivités de gros problèmes d'organisation. Pourquoi ne pas l'avoir organisée en dehors du temps de classe ? Ou sur les 24 heures prévues pour le travail pédagogique des enseignants ?
Vous donnez la priorité à l'apprentissage. Or, le nombre des contrats d'apprentissage a reculé de 8 % en 2013 et de 14 % en 2014, contredisant votre discours volontaire. Quels sont vos objectifs chiffrés dans ce domaine ?
Mme Françoise Cartron. - Sur quels critères, et selon quelle pondération, est actualisée la carte des réseaux d'éducation prioritaire (REP) ? En Gironde, trois collèges ruraux, isolés, en difficultés sociales et culturelles ont été exclus du dispositif, et un collège de Bordeaux y est entré. Cela suscite l'incompréhension et nous sommes bien démunis pour expliquer ce choix.
Concernant la réforme des rythmes scolaires, personne n'a cité le dernier rapport de l'Unicef qui recense 3 millions d'enfants pauvres en France. Les inégalités sont immenses. Et nous n'entendons aucun cri de révolte contre cette bombe qui pourrait disloquer notre société. La réforme des rythmes scolaires apporte un autre espace d'apprentissage à ces enfants. Le développement des activités, hélas, se heurte à des difficultés pratiques, l'habilitation des intervenants notamment. Une institutrice à la retraite, passionnée d'herboristerie, mais ne possédant pas de brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), ne peut faire partager sa passion aux enfants. Si elle l'emploie, la commune ne touchera pas les aides de la CAF. Des ajustements restent à faire. De même, dans les petites communes, le directeur d'école se propose souvent pour jouer le rôle du référent, et assurer la coordination des activités. Or, il n'est pas reconnu !
Enfin, quelle est votre position sur la situation des collèges dans le cadre de la réforme territoriale et de la répartition des compétences : doivent-ils être rattachés à la région ou au département - d'un point de vue éducatif, bien sûr ?
Mme Dominique Gillot. - Dans le projet de refondation de l'école initié par Vincent Peillon, le numérique devait enrichir les méthodes pédagogiques, à travers une distribution de matériel, de projets et d'accompagnement. Comment renforcer la formation ? Le numérique nécessite également une articulation des réseaux sur le territoire. Un pilotage national est indispensable. Comment l'envisager sans avoir recours à un énième plan informatique ? Enfin, le numérique réinvente des recettes d'éducation populaire, issues de la pédagogie Freinet. Que pensez-vous de ce retour ?
La mise en place des ÉSPÉ reste problématique, notamment leur représentation au sein des conseils scientifiques et pédagogiques des universités. Elles sont des écoles dans l'université mais non des facultés de l'université. Il conviendrait de préciser leur pilotage national. Il reste aussi à examiner la question de leur adossement aux lieux de recherche...
Mme Maryvonne Blondin. - L'École des hautes études de santé publique de Rennes soutiendrait avec efficacité votre volonté de développer l'attractivité du métier de médecin scolaire. Les psychologues scolaires jouent un rôle clef, car ils aident les élèves dans les domaines de la bien-traitance et de la lutte contre l'addiction. Le quatorzième chantier métiers a travaillé à créer un seul corps de psychologues scolaires.
L'apprentissage des langues étrangères doit commencer dès le plus jeune âge. N'en va-t-il pas de même pour les langues régionales ?
Le 25 septembre dernier, je vous ai adressé un courrier pour attirer votre attention sur les difficultés d'un PEDT intercommunal : comment répartir les sommes versées par la CAF, entre la ville-centre disposant de l'accueil de loisirs (et du coordinateur ALSH) et les communes périphériques, démunies pour organiser les nouveaux rythmes ?
Mme Nicole Duranton. - Je ne partage pas votre optimisme sur la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Dans mon département, certaines communes rurales sont en difficulté. Leurs maires vous le diraient. Le fonds d'amorçage sera-t-il pérennisé ? Il faudrait en clarifier les conditions d'attribution pour que les sommes puissent être versées aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui prennent en charge des activités périscolaires.
M. Jacques Grosperrin. - Pour un budget de l'État qui représente 6,3 % du PIB, les résultats sont décevants. Un rapport de McKinsey indique que l'enseignement n'est pas meilleur avec plus d'enseignants. La Cour des comptes dénonce un « effet Bahlsen ». Tous les gouvernements sont responsables de cet échec. Les enseignants ont besoin d'un vrai changement de statut. Celui de 1950 a été toiletté, mais ce sont les syndicats qui ont dicté les aménagements. Je vous signale que 45 000 postes, cela ne représente guère que deux heures de plus par enseignant... Pourquoi ne pas accorder plus d'autonomie aux écoles, imaginer un recrutement par les chefs d'établissement ? Et quand aurons-nous le courage de donner à ces derniers un vrai statut, pour qu'ils ne soient plus des collègues, mais de vrais dirigeants ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Aurélie Filippetti avait annoncé un plan pour l'éducation artistique et la culture à l'école, et une ligne budgétaire spécifique. Nous n'en savons pas plus. Ne pourrait-on s'appuyer sur les contrats locaux d'éducation artistique (CLEA) ? Il serait intéressant de les articuler aux activités périscolaires, dont 30 % relèvent des domaines artistique et culturel.
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Monsieur Savin, je partage les conclusions du rapport de la Cour des comptes. Les moyens ne font pas tout et il faut réformer leur gestion. Mais les moyens comptent tout de même ! Précisément, j'entends affiner la répartition des ressources en donnant plus d'importance au profil sociologique des établissements.
Nous travaillons à la définition du métier d'enseignant, depuis dix-huit mois, dans le cadre des chantiers métiers. Le décret de 1950 a été revu cette année. Les missions des enseignants sont clairement définies : cours, accompagnement des élèves, dialogue avec les parents, à quoi s'ajoutent les missions particulières de l'éducation prioritaire. Des changements sont en cours. Le protocole des remplacements de courte durée est bel et bien appliqué, grâce à quoi 20 à 30 % des absences de dernière minute, non prévisibles, sont remplacées.
La demi-journée de consultation relevait d'une démarche exceptionnelle. Il était important de mobiliser collectivement, le même jour, toutes les catégories de personnel pour travailler sur la réforme du socle, décisive et qui aura une incidence sur les programmes, année après année.
Pour l'apprentissage, nous avons mis en place des aides aux entreprises, 200 millions d'euros, sous forme de primes à l'accueil des jeunes apprentis. La mesure a été votée ici-même, au Sénat.
Madame Cartron, vous connaissez les quatre critères pris en compte dans la réforme des REP : le taux de catégories socio-professionnelles défavorisées, le taux de boursiers, le taux de résidence en zone urbaine sensible (ZUS) ainsi que le taux de retard en sixième.
Mme Françoise Cartron. - La prise en compte du taux de résidence en ZUS défavorise les zones rurales.
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Nous recherchons la convergence avec les réformes de la politique de la ville et les contrats que Mme Pinel est en train de mettre en place. Mais bien évidemment, les zones rurales ne sont pas oubliées. Nous en reparlerons aux assises de la ruralité. J'insiste pour que les parlementaires que vous êtes se saisissent de cette question. C'est vous qui avez la connaissance la plus fine du territoire. Dites-nous où vous constatez des difficultés.
Le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) est un organisme indépendant, qui a établi son propre programme de travail. Sa démarche, sur la base de conférences de consensus, me semble très bonne.
Le fait que les collèges dépendent des régions ou des départements n'a pas d'impact sur le plan pédagogique. La réforme du collège, qui nous engagerons à la rentrée 2015, en aura bien davantage. Elle donnera plus d'autonomie aux établissements, de façon notamment à ce qu'ils suivent mieux les élèves en difficulté.
Le pilotage national du plan numérique existe, les acteurs de terrain doivent y être associés, nous les consulterons au début de 2015. Il ne s'agit pas seulement d'équipement mais de rénovation pédagogique. Certaines des ressources nouvelles seront produites par les enseignants eux-mêmes.
Un travail est engagé, dans le cadre des chantiers métiers, pour la création d'un corps de psychologues scolaires, de la maternelle à l'université en passant par les Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), et intégrant également les conseillers d'orientation psychologues.
Madame Blondin, la discussion du budget à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, a été l'occasion de régler les problèmes qui se posent dans les intercommunalités, mais je prends note de votre interrogation sur les aides de la CAF et vous adresserai une réponse.
Monsieur Grosperrin, vous nous invitez à faire travailler davantage les enseignants. C'est pourtant une réforme de votre majorité qui, en 2008, a fait passer les enseignants du premier degré de 26 à 24 heures travaillées par semaine. Il faut prendre en considération, outre le temps scolaire, celui que les enseignants consacrent à leur travail d'équipe interdisciplinaire, ainsi qu'à des rencontres avec les parents.
Sur le plan éducatif, artistique et culturel, le bilan de la dernière année scolaire est positif : les activités, nombreuses, contribuent à la réussite scolaire. Une dotation de 260 millions d'euros est prévue en 2015 pour l'éducation artistique et culturelle. Ma collègue Fleur Pellerin et moi-même présenterons prochainement une feuille de route conjointe dans ce domaine.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, madame la ministre, nous reviendrons sur ce sujet. Nous sommes évidemment soucieux de l'égalité républicaine, de la façon dont sont réparties les ressources, et de la qualité des intervenants périscolaires.
La question des rythmes scolaires est plus sensible ici qu'à l'Assemblée nationale, parce que nous sommes des élus d'élus, et nous-mêmes souvent des élus locaux. Les difficultés viennent peut-être en partie de ce que l'on n'a pas suffisamment relié cette question à celle des rythmes sociaux. L'inscription de ces dispositions non pas dans un décret mais dans un texte de loi - la loi de refondation de l'école, par exemple - aurait ménagé un temps de débat et privilégié une approche pragmatique : cela aurait facilité les choses. Notre commission suivra bien sûr l'application de ce décret, dans le prolongement des travaux de la mission commune d'information.
Les élus locaux de notre pays, croyant tous à l'école républicaine, sont très engagés pour leurs écoles. Celles des communes rurales sont d'ailleurs soigneusement rénovées et équipées. Dans l'ensemble, ils ont voulu bien faire dans l'application des rythmes scolaires.
Mme Françoise Cartron. - Et ils y parviennent !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Aidons-les à surmonter leurs difficultés, écoutons-les. Sous l'impulsion de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), il était envisagé de faire de l'éducation au numérique une grande cause nationale. Quant à moi, je me flatte d'avoir fait inscrire dans le code de l'éducation, en 2010, l'obligation de l'éducation au numérique. Car après l'illettrisme, pour reprendre la formule employée par Mme Laborde, l'illectronisme constitue un nouveau défi pour l'avenir !
La réunion est levée à 11 h 55.