Mercredi 29 octobre 2014
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 14 h 45.
Réforme territoriale - Table ronde avec les associations d'élus
La commission organise une table ronde avec les associations d'élus sur la réforme territoriale :
- M. François Bonneau, président du Conseil régional du Centre, président de la commission Éducation de l'ARF et Mme Karine Gloanec-Maurin, vice-présidente de la Région Centre, présidente de la commission Culture de l'ARF (Association des régions de France) ;
- Mme Catherine Bertin, directeur délégué culture, sport, éducation, Affaires européennes et internationales de l'ADF (Assemblée des départements de France) ;
- M. Claude Raynal, sénateur de la Haute-Garonne, vice-président de Toulouse Métropole, membre du Conseil d'administration de l'AdCF (Assemblée des communautés de France) ;
- M. David Constans-Martigny, chargé de mission « Culture, Éducation et Enseignement supérieur » à l'AMGVF (Association des maires des grandes villes de France).
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le projet de loi portant nouvelle organisation de la République devrait être débattu en séance plénière à la mi-décembre. Pour nous y préparer dès à présent, nous avons voulu entendre les représentants des grandes associations d'élus, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Plusieurs dispositions de ce texte intéressent notre commission au titre de ses compétences en matière d'éducation, de culture, de sport, sans oublier la vie associative qui, si elle n'apparaît qu'en creux dans le projet, n'en sera pas moins touchée par les effets de cette réforme.
Afin de laisser du temps à l'échange, je suggère à chacun de s'en tenir à un bref exposé, sans entreprendre de répondre point par point au questionnaire nourri que nous vous avons adressé, et qui pourra faire l'objet de contributions écrites.
M. François Bonneau, président de la commission Éducation de l'ARF. - Je vous remercie de votre accueil et de votre intérêt pour les réflexions des associations d'élus, à l'heure où se prépare une étape importante vers une nouvelle organisation de la République. Les questions écrites que vous nous avez adressées se rangent en deux blocs, l'éducation, d'une part, la culture, le sport et la vie associative, d'autre part. Ce partage est naturel dès lors que le projet de loi à venir entend confier une responsabilité marquée à un échelon territorial, la région, en matière d'éducation, tandis que les trois autres compétences seraient partagées, selon une structuration qui sera définie non seulement par la loi mais au travers de leur mise en oeuvre sur les territoires.
En matière d'éducation, les régions ont reçu, au fil des lois de décentralisation, des compétences qui leur confèrent une responsabilité centrale. Elles y consacrent près de 50 % de leur budget, tant en investissement qu'en fonctionnement. Les régions ont la charge des lycées, de l'apprentissage, mais elles accompagnent aussi l'immobilier universitaire, la vie étudiante, la formation des demandeurs d'emplois ainsi que des formations syndicales et sociales.
Alors que le pays, la représentation nationale, le gouvernement envisagent de clarifier la décentralisation en allant vers une nouvelle étape de son développement, l'idée d'aller au bout de la compétence attribuée aux régions en leur confiant la responsabilité des collèges peut faire sens. Le fait est que les responsabilités que portent région et département au bénéfice des lycées, dans un cas, des collèges, dans l'autre, sont de même nature : investissement dans les bâtiments, maintenance, restauration, numérique - qui prend un poids croissant -, fonctionnement. Nous faisons les mêmes métiers : il y a là matière à clarification. Sachant de surcroît que les régions assument une nouvelle compétence, qui articule formation et emploi, notamment via la responsabilité de la carte des formations, nous estimons pouvoir aller dans le sens du projet de loi, qui entend leur confier la responsabilité des collèges. Je vois, au-delà, quelques avantages à privilégier une responsabilité unique. Cela éviterait qu'en matière numérique, par exemple, on voit coexister sur un même territoire des configurations numériques qui ne sont pas interconnectables, parce que collèges et lycées n'ont pas fait le même choix. La maintenance informatique, de même, gagnerait, pour être plus opérationnelle et se déployer avec le maximum de technicité, à être assurée par une équipe opérant sur un territoire correspondant à un bassin de formation.
J'en viens au deuxième bloc de compétences - culture, sport et vie associative -, qu'il convient d'aborder avec beaucoup de pragmatisme. Les acteurs culturels et sportifs sont inquiets. Ils craignent de voir les différents échelons de collectivités se renvoyer la balle. Il faut donc bien border les choses : s'il y a compétence partagée - principe auquel nous croyons, parce qu'il favorise le développement de l'offre culturelle et la vitalité de la création -, il faut que la loi précise autant que faire se peut la nécessité pour chaque collectivité de se saisir de cette responsabilité et d'en organiser les grands traits, selon le contexte. Il en va de même du sport, ainsi que de la vie associative, indispensable au développement des solidarités, y compris culturelles et sportives : les acteurs craignent, là aussi, à l'heure où une telle solidarité est particulièrement nécessaire, de voir les mailles se desserrer, et tel échelon de collectivité se défausser sur tel autre. Si donc les régions ont un rôle fondamental à jouer dans certains domaines, comme l'industrie du livre ou celle du cinéma, il reste que l'essentiel repose sur le partage des responsabilités.
Mme Karine Gloanec-Maurin, présidente de la commission Culture de l'ARF. - Je vous remercie de votre invitation à nous exprimer sur un texte qui inquiète beaucoup les acteurs culturels, les artistes, et le secteur associatif. Au sein de la commission Culture de l'ARF, nous nous sommes interrogés sur ce que pourrait être le périmètre de la compétence culture. Et ce n'est pas simple, dès lors qu'il est susceptible de varier en fonction des territoires et des chefs de file désignés. C'est pourquoi nous avons fait un effort de clarification sur ce que nous pourrions solliciter en vue d'un transfert de compétence. La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, a déjà ouvert une possibilité de délégation de compétence, que nous avons défendue auprès des acteurs en soulignant que grâce à l'existence du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC), le dialogue avec l'État pouvait se nouer et devenir l'occasion, en particulier pour les métropoles, de développer une vraie politique culturelle sur le fondement d'un projet agréé.
Pour autant, il reste difficile de cerner la compétence culture dans un périmètre fiable. Il est certes quelques transferts dont la nécessité nous paraît claire - tel celui de l'industrie du livre et du cinéma, ainsi que l'a rappelé François Bonneau. Les régions, qui investissent beaucoup dans ces domaines, pourraient entretenir un lien direct avec le CNL (Centre national du livre) et le CNC (Centre national de la cinématographie et de l'image animée). En revanche, pour les autres domaines de la création, les choses sont moins faciles à définir, et nous avons besoin, à nos côtés, de la présence de l'État, pour que soit préservée une politique nationale. Notre modèle culturel, marqué par une forte décentralisation et que l'on qualifie volontiers de pionnier, ne s'en est pas moins bâti dans un dialogue nourri avec l'État. Il est temps, à présent, d'imprimer cette réalité dans la loi, faute de quoi l'on risque fort de voir les collectivités, qui portent 70 % de l'engagement financier en faveur de la culture, se désengager, au risque d'un recul radical pour certains pans de la création. Il faut donc clarifier les choses, dans le dialogue avec l'État. D'où l'idée, avancée par notre commission de la culture lors de la dernière réunion du CCTDC, de compétence partagée obligatoire. Nous sommes conscients cependant que cette idée - très nouvelle - a soulevé de vrais débats, notamment autour du principe de liberté d'agir reconnu aux territoires, que, bien sûr, nous n'entendons pas récuser.
Mme Catherine Bertin, directrice déléguée culture, sport, éducation, affaires européennes et internationales de l'ADF. - Je vous prie de bien vouloir excuser Yves Ackermann, président de la commission de l'ADF que je viens ici représenter, retenu aujourd'hui par ses fonctions de président du conseil général du Territoire de Belfort.
L'approche de l'ADF, engagée dans la préparation du scrutin de mars prochain qui renouvellera les conseils départementaux, a été marquée, vous le comprendrez, par quelques inquiétudes de calendrier. Nous craignions une coïncidence entre l'examen de ce texte et le scrutin, ainsi que l'a indiqué notre président.
Comme l'a dit le Premier ministre hier dans votre hémicycle, nous sommes un pouvoir local intermédiaire. M. Frécon, président du Congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l'Europe pourrait en parler mieux que moi, mais je voulais rappeler ici que l'ADF souhaite que l'on se penche sur cette notion. La Confédération européenne des pouvoirs locaux intermédiaires, dont elle détient le secrétariat, est née d'une initiative commune des représentants de cet échelon territorial, qui, à la différence des communes et des régions, ne porte pas partout le même nom, mais qui n'en existe pas moins comme pouvoir intermédiaire. Nous avons mené des études qui établissent que notre sort est commun et que nous exerçons partout les mêmes compétences, ce qui nous engage à tenter de porter un regard commun. Le Premier ministre, dans le discours qu'il a prononcé hier devant votre assemblée, a indiqué que nous avions cinq ans pour évoluer et faire des propositions au regard de la nouvelle carte territoriale.
Pour l'ADF, le département est marqué par trois grandes caractéristiques, qu'a également rappelées le Premier ministre hier. Il est la collectivité de solidarité sociale et territoriale, l'espace d'organisation des schémas de service public et, ainsi que nous le revendiquons, celui de la fameuse ingénierie publique territoriale. C'est sous ce triple éclairage que nous aborderons ce projet de loi.
J'en viens à la question des compétences. En matière d'éducation, l'ADF, qui gère les collèges et les transports scolaires, n'est pas favorable à leur transfert à la région. Nous estimons, au nom de la proximité et de l'efficacité, qu'ils doivent rester au niveau départemental. Le département est, historiquement, une collectivité très liée au bloc communal, notamment en matière de transports scolaires, puisque nous organisons la desserte des élèves pour le compte des communes. Nous avons mené, au cours des derniers mois, la réforme de l'école de la République, dont nous partageons les orientations, tant sur le principe du socle commun de connaissances que dans la réflexion pédagogique engagée sur le partage entre temps scolaire et périscolaire. Nous nous inscrivons donc plus naturellement dans cette logique du socle commun que dans celle du projet de vie professionnelle, qui serait plutôt celle des régions... Les années collège sont celles de la scolarisation obligatoire, ce qui nous rapproche du métier des maires pour le primaire. Une réflexion en profondeur est engagée sur la liaison entre le CM2 et la 6e. Les enfants qui nous sont confiés doivent être scolarisés et c'est pourquoi nous menons une politique d'accompagnement au-delà même du seul volet éducatif. J'ajoute que tout notre bloc social est adossé sur le scolaire : prévention de la délinquance, décrocheurs, mineurs isolés, aide sociale à l'enfance...
En matière de culture, la réflexion a débuté lors du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) de juillet. Au sein de cette instance, qui permet à tous les niveaux de collectivités territoriales de mener un dialogue régulier avec le ministre, les débats ont porté sur la notion de compétence partagée obligatoire mise en avant par l'ARF. Pour l'instant, nous restons très réservés, car nous voyons mal comment une compétence partagée peut devenir obligatoirement partagée. Le président Lebreton a rappelé qu'alors que les lois de décentralisation ne les y ont jamais obligées, tous les échelons de collectivités se sont saisis de ces compétences et mettent en oeuvre des politiques qui concernent toutes les disciplines culturelles, avec des résultats tangibles : plus de 70 % de l'investissement public en faveur de la culture est le fait des collectivités territoriales. Ce sont la liberté d'agir et la volonté des élus sur leur territoire qui ont amené la culture et le sport à se développer. Rendre la compétence obligatoire conduirait à inverser cette logique.
Il est aussi un autre argument. Les voies d'exercice des compétences culturelles au sein du département sont multiples. Certaines, comme la lecture publique et les archives, sont déjà des compétences obligatoires. À l'inverse, le soutien à la création ou au spectacle vivant est totalement optionnel. Entre les deux, il est aussi des compétences partiellement exercées par le privé, comme l'archéologie préventive, mais dans lesquelles beaucoup de départements se sont investis - un tiers d'entre eux possède un service d'archéologie préventive. On voit, à descendre ainsi dans la réalité de l'exercice des compétences, que des modes de gouvernance très divers coexistent, et qu'il est peut-être plus fructueux de se pencher sur cette variété des outils de gouvernance plutôt que sur la question de l'obligation. Il peut exister, en matière culturelle, une forte intégration, pour une discipline, dans un outil. Pour l'État, on peut songer au CNC, au CNL, à l'Institut français... Mais les régions, les départements ont aussi leurs agences. À côté de cela, il existe aussi ce que l'on appelle aujourd'hui des EPL (entreprises publiques locales), mais également des modalités d'organisation d'une compétence culturelle territoriale articulées à la dimension européenne. Un programme comme Intereg, par exemple, permet de mettre en oeuvre des politiques transfrontalières. Un récent rapport de l'Inspection générale des affaires culturelles établit que l'intervention financière de l'État en faveur de la culture en région provient pour une moitié du ministère et pour l'autre des grandes agences nationales. Il serait intéressant de mesurer, de la même manière, ce qu'il en est entre les échelons territoriaux. Il est important de savoir comment la gestion s'organise sur le terrain, pour mesurer ce que pourrait être l'impact de la nouvelle carte territoriale.
L'ADF souhaite enfin que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) demeurent des interlocuteurs forts pour les collectivités et restent entre les mains de l'État, lequel devrait définir des compétences culturelles dites régaliennes. Le rapport que j'ai cité, se penchant sur les expérimentations menées en Corse ou outre-mer, montre que d'autres manières d'organiser la compétence culturelle sont déjà à l'oeuvre. En Corse, la DRAC conserve ainsi une compétence, que l'on pourrait identifier comme régalienne, en matière scientifique et technique.
Nos débats n'ont pas encore été aussi poussés sur la question du sport. Lors du récent conseil national du sport, le ministre a posé les termes du débat. L'ADF est favorable au maintien d'une compétence partagée mais, à la différence de la culture, la question des financements croisés se pose avec plus d'acuité. Le ministre a clairement indiqué qu'en cas de suppression de la clause de compétence générale, il faudrait trouver le moyen d'en préserver la possibilité. Les collectivités territoriales sont les premières équipementières du sport. Cela fait partie de notre mission d'aménagement du territoire, mais le taux d'obsolescence des équipements approche les 80 %, à quoi s'ajoute le problème de leur mise aux normes.
Autre sujet de réflexion, l'organisation du mouvement sportif en France, qui, à la différence de la culture, est très lié à notre organisation territoriale. Chaque département, chaque région a son comité olympique et sportif, CDOS et CROS. C'est ainsi que les fédérations et les clubs se sont historiquement organisés, et notre action consiste à travailler avec les CDOS et à subventionner les clubs et les fédérations. Les évolutions de la carte territoriale et celle du mouvement sportif, avec lequel nous allons dialoguer, resteront très liées.
L'ADF plaide, comme elle l'avait déjà fait lors des débats sur la loi Maptam, pour que, dans le bloc des compétences partagées, la jeunesse compte comme une compétence à part entière et souhaiterait voir le projet de loi amendé en ce sens.
Ne conviendrait-il pas, enfin, de redéfinir le partage entre service public de la culture et industries culturelles ? Au niveau européen, pour la période 2016-2020, il n'existera plus à proprement parler de programme culture en phase avec les actions que nous menons dans nos politiques locales. De fait, le programme Europe créative, qui s'y substituera, est principalement axé sur les industries culturelles. Votre commission s'est interrogée sur l'impact du droit communautaire des services d'intérêt économique général (SIEG). Nous avions constaté que l'approche très singulière de la France en matière culturelle nous contraindrait à mener, un jour ou l'autre, cette réflexion.
N'oublions pas, enfin, que la question des moyens financiers reste l'ultime régulateur, d'où la déclaration liminaire commune de nos associations respectives.
M. Claude Raynal, membre du conseil d'administration de l'AdCF. - Les instances de l'AdCF étant en pleine recomposition, je m'en tiendrai, en attendant que le débat ait pu être mené au fond en son sein, à un exposé très général. J'en profite pour saluer l'action d'Olivier Bianchi, qui a mené un groupe de réflexion sur la culture grâce auquel j'alimenterai mon propos.
Nous ne disposons pas de chiffres récents sur les politiques culturelles des intercommunalités, en constante évolution et d'une grande variété - l'action de l'AdCF, celle des grandes métropoles, ayant naturellement plus d'ampleur que celle des simples communautés de communes-.
L'AdCF se réjouit que le projet de loi porte l'idée que la culture et le sport doivent être considérés comme des domaines d'action partagée. Il est bon de permettre à chaque institution d'intervenir à son niveau, en faisant confiance aux élus pour assurer la régulation entre les différents échelons.
Nous avons découvert avec surprise le concept de compétence partagée obligatoire, dont je constate que les tenants l'ont ici présenté avec moultes précautions tant il est juridiquement innovant... Au point que l'on voit mal comment il pourrait concrètement fonctionner. Pour nous, chaque collectivité doit être libre d'agir volontairement, tout particulièrement dans ces domaines. C'est aux conférences territoriales de l'action publique (CTAP) qu'il reviendra de travailler à la répartition des rôles.
À faire résonner ce terme d'obligatoire, on risque d'envoyer un mauvais signal aux collectivités, qui pourraient bien être tentées de se désengager, en particulier en période de disette budgétaire, ou au gré de leurs options politiques - ce qui n'est certes pas le but que l'on poursuit. On sait, de surcroît, que ce n'est pas en conférant une compétence obligatoire que l'on suscite une politique vivante. Parce que la culture est, précisément, une matière vivante, il nous semble qu'il faut préserver l'initiative locale.
Autre chose est l'idée d'une délégation de compétence librement consentie, pouvant mener à un guichet unique. Outre que l'on peut, par là, rationnaliser les dépenses de fonctionnement, on éviterait aux associations bien des démarches redondantes, et bien des déconvenues quand leur demande n'est pas évaluée partout à la même aune. Nous y sommes donc ouverts. N'oublions pas, cependant, qu'une collectivité rechignera toujours à mettre ses moyens en commun si elle ne participe pas au pouvoir de décision. C'est pourquoi il nous semble bon de prévoir un comité d'attribution, qui donnera voix au chapitre à tous les contributeurs.
L'idée d'aligner la compétence culturelle des communautés d'agglomération sur celle des communautés urbaines nous semble également intéressante. Définir un intérêt communautaire en cette matière irait dans le bon sens.
Les questions liées au sport sont un peu de même nature. L'article 23 du projet de loi prévoit le transfert obligatoire de compétences - trois sur sept pour le département. Je ne sais si le texte restera en l'état, car on sait combien imposer un transfert peut provoquer de tensions.
L'idée de transférer l'exploitation et l'entretien des équipements et infrastructures destinés à la pratique sportive du département vers la métropole ne devrait pas soulever de problème majeur, d'autant qu'il n'existe que peu d'équipements purement départementaux. En revanche, s'agissant du partage de la compétence sport, nous sommes sur les mêmes positions que pour la culture. Ces termes recouvrent une réalité très large, qui relève tout à la fois du service rendu à la population, de la santé, de l'insertion, mais touche aussi au sport de haut niveau. Selon l'échelon territorial concerné, l'accent porte davantage sur la proximité et l'accès du sport à tous, sur des aspects liés à la santé, ou bien encore sur la politique de la ville et l'insertion... C'est au regard de ce que l'on attend des politiques en faveur du sport que l'on doit réfléchir au niveau de collectivité le mieux adapté.
Le sport de haut niveau touche de près à la ville. Les subventions qui lui sont accordées - une goutte d'eau, d'ailleurs, au regard du volume d'argent brassé - sont liées à la volonté de rayonnement de la ville ou de l'agglomération. C'est sous cet angle qu'il faut envisager les choses. Dès lors que l'on est au clair sur cette responsabilité de la ville ou de l'agglomération, il me semble que l'on pourrait aisément décroiser les financements. À celui qui veut aller plus loin et promouvoir son image de financer.
M. David Constans-Martigny, chargé de mission « Culture, éducation et enseignement supérieur » à l'AMGVF. - Il y a trois semaines, sous l'impulsion de son président, Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole, l'AMGVF a constitué des commissions de réflexion. La commission culture est présidée par David Lisnard, maire de Cannes, et Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, qui, étant aujourd'hui retenus, vous prient de bien vouloir excuser leur absence.
Les positions que vient d'exposer M. Raynal sont sur la même ligne que les nôtres. Notre association s'inscrit dans le droit fil des dispositions de la loi Maptam, en allant au bout de la logique de gouvernance locale qu'elle a créée. Nous envisageons de façon différenciée les trois champs qui nous occupent aujourd'hui.
Le sport est une compétence partagée, et il est heureux qu'elle le reste pour toutes les raisons qu'a évoquées M. Raynal, mais c'est de fait une compétence dont les grandes agglomérations se sont de plus en plus emparées. Les grandes villes ont déjà acté, dans leurs politiques sportives et leurs budgets, ce qui vient d'être évoqué en matière de transfert des équipements sportifs, ou de souci de rayonnement via le sport professionnel. Dès lors que la région sera plus puissante et que les agglomérations entendent mener une action plus déterminée, autour du sport professionnel mais pas seulement, l'effet de levier se fera sentir, car les effets s'étendront bien au-delà de l'agglomération.
En matière d'éducation, le projet de loi ne traite pas spécifiquement de la compétence des villes sur le primaire. Pour plus de cohérence globale dans le secondaire, il ne nous paraît pas incongru que la compétence en matière de collèges puisse revenir aux régions. Le découpage actuel, qui range les enfants de 11 à 14 ans d'un côté et ceux de 15 ans jusqu'à l'âge du baccalauréat de l'autre, ne nous semble pas optimal. Nous sommes très attentifs à l'idée de continuité éducative, qui vaut depuis le primaire, même s'il n'en est pas question dans ce texte. Sur le terrain, les réactions sont partagées. Certaines agglomérations, comme celle de Bordeaux, ont déjà émis le voeu de se voir confier la compétence sur les collèges, tandis que d'autres, comme celle de Brest, ont très clairement fait comprendre qu'elles ne le souhaitaient pas. C'est sans doute une question qui devra se gérer au cas par cas, ce qui nous ramène à la notion, centrale, de gouvernance locale.
En matière culturelle, l'ARF a mis sur la table une proposition très forte, celle de compétence partagée obligatoire, que l'on peut entendre, mais qui ne nous paraît pas pleinement satisfaisante au vu du périmètre de la région, dont le périmètre croissant pourrait aller jusqu'à remettre en cause le pouvoir politique local, voire nous acheminer vers la disparition d'un échelon de proximité auquel tous les sondages montrent que les Français sont très attachés.
Mme Marie-Annick Duchêne. - Merci de ces intéressants exposés. Ce que vous avez exprimé correspond à l'idée que nous nous faisons, en tant qu'élus locaux, des responsabilités d'associations d'élus qui sont les vôtres.
Dans les Yvelines, beaucoup de lycées se plaignent de l'éloignement des conseillers régionaux, que l'on ne voit jamais, à quelques exceptions près, dans les établissements. L'Ile-de-France a remarquablement rempli sa mission pour la construction et la rénovation des lycées, personne ne le remet en cause. Mais en matière de maintenance, l'éloignement complique les choses. Il faut parfois attendre des semaines pour que soit résolu un simple problème d'électricité.
Le département est très proche du citoyen. Qu'il continue de gérer les transports scolaires relève du bon sens. En matière d'action culturelle, j'observe, si je prends l'exemple de la musique, qu'à la différence des conservatoires de région, qui reçoivent tout leur budget de l'État, ceux des départements reçoivent une aide du conseil général...
M. Jean-Léonce Dupont. - Merci pour la qualité de ces interventions. Nous nous trouvons, avec la notion de compétence obligatoire et partagée, face à une véritable innovation conceptuelle. J'avoue que ma réaction est mitigée, car ce débat me semble un peu décalé au regard de la réalité que vivent certains d'entre nous. Alors que pèse l'incertitude sur l'avenir de l'un de nos échelons territoriaux, on ne l'en inscrit pas moins dans ce cadre de la compétence obligatoire partagée. Pour tout vous dire, le discours du Premier ministre, hier, ne m'a pas pleinement éclairé quant à l'orientation qui pourrait être retenue. Je peux me tromper, mais j'ai le sentiment que le Premier ministre raisonne toujours selon un schéma prévoyant la suppression du département. Or, on sait que les conditions ne sont pas réunies pour modifier la Constitution. Moyennant quoi, on ne pousse pas la réflexion sur la trilogie départementale, au vu des difficultés tant de définition que juridiques que cela pose, on explique qu'il faut un mandat plus court que les autres - sans que l'on sache bien pourquoi - et on laisse penser que d'ici à 2020, sagesse et créativité permettront d'aboutir à des solutions innovantes... C'est là, pour moi, un énorme piège, car nous allons vivre, au cours de cette période, un transfert de compétences, un étranglement financier - au reste déjà à l'oeuvre - et la démobilisation, que l'on ressent dès à présent, de nos ressources humaines.
Dans un tel contexte, il devient difficile de se déterminer. Je vous en donne une illustration pour les collèges. Il semblerait que le passif, soit les dépenses financées par emprunt réalisées dans les deux ans à venir, resteront, au moment du transfert, au département, la région ne reprenant que l'actif, c'est-à-dire les bâtiments. Nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que si cette hypothèse se confirmait, les départements n'investiront plus guère dans les collèges. Et le même raisonnement peut valoir dans bien d'autres domaines.
Dans la situation d'étranglement financier qui est la leur, il est clair que les départements, pour faire face à l'inflation des dépenses de solidarité à laquelle ils sont confrontés, devront faire des choix sur l'investissement et le fonctionnement. Si bien que l'on en viendra à raboter, voire à amputer le champ des compétences non obligatoires, c'est-à-dire la culture et le sport.
Ma question est donc la suivante : avez-vous bien conscience, dans le débat qui s'engage, de l'état de certaines collectivités - et je pense tout particulièrement au département ? Je ne suis pas inquiet pour le sport et la culture dans les métropoles, et pense même que le combat d'hier entre département et région est appelé à se déplacer entre région et métropole, mais avez-vous idée du sort que pourraient connaître, dans ce contexte, les politiques départementales dans les territoires ruraux ? Les départements ont mené des politiques très actives, avec ce résultat qu'y compris dans de petits chefs-lieux de canton, on trouve une vie culturelle. J'ai du mal à imaginer qu'une animation aussi dense puisse se développer dans le cadre de régions élargies, où se dessine en filigrane la suppression du département. Rappelons-nous ce que nous avons vécu, entre région et département, en matière d'aide aux collectivités. La grille très précise qui s'appliquait au département s'est diluée dans la politique de pays.
Alors que l'on parle beaucoup de proximité, on ferait bien de s'interroger sur ce qu'est une gestion de proximité. Quand on voit, par exemple, combien pointue est l'organisation des transports scolaires, où interviennent, aux côtés du département, bien des acteurs de terrain, on a du mal à imaginer comment la région, de surcroît dans le cadre nouveau de régions élargies, pourrait s'y substituer.
Mme Maryvonne Blondin. - À titre personnel, je partage beaucoup de ces interrogations, mais je ne suis pas si pessimiste quant à l'avenir des conseils généraux, en particulier dans les départements ruraux.
La question a été évoquée de la continuité entre CM2 et 6e, en faveur de laquelle notre commission plaide depuis fort longtemps, et je m'en réjouis. Le même raisonnement vaut pour la continuité du parcours de soin pour l'enfant, sachant que la protection maternelle et infantile (PMI) relève du département et que le relais est ensuite assuré par la médecine scolaire - au reste bien mal en point.
Les archives sont une compétence partagée entre l'État et le département. Cette compétence obligatoire entraîne, pour certains d'entre eux, des dépenses excessives, qui ne leur laissent guère de marge de manoeuvre. Ce point a-t-il été évoqué par l'ADF dans ses débats ?
La notion de compétence partagée obligatoire me semble problématique. Il est bon que la culture soit une compétence partagée. J'aimerais savoir ce qu'il en est des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) et de leur déclinaison pour la culture. Se sont-elles mises en place, fonctionnent-elles bien ? C'est un lieu de réflexion important pour décider, entre collectivités, des modes et des niveaux d'intervention.
Nous avons eu bien des débats, au sein de notre commission, sur l'impact des services d'intérêt économique général (SIEG) et du « paquet Almunia », qui nous ont amenés à nous interroger sur la nuance entre contribution et subvention, mais surtout sur la nécessaire définition de ce qu'est, pour nous, le service public de la culture, laquelle doit nous aider à clarifier tant la question des compétences que celle des moyens.
Mme Françoise Laborde. - Ces échanges nous seront utiles pour prendre position au cours du débat budgétaire. Lors de la campagne pour les sénatoriales que nous avons menée, avec Claude Raynal, en Haute-Garonne, il a beaucoup été question des conseils généraux. Le débat qui vient d'avoir lieu sur les collèges est intéressant. Je suis à la fois sensible aux arguments de l'ADF sur la continuité entre primaire et collège, sur l'exigence de proximité dans la gestion des transports scolaires, mais j'ai aussi vu, sur le terrain, les problèmes que pouvait poser la disjonction des responsabilités, notamment lorsqu'il s'agit de rénover un site réunissant collège et lycée. Peut-être faudrait-il réserver un traitement spécifique à la question des bâtiments, aux questions numériques, qui ont été évoquées tout à l'heure ?
Ce que nous a dit Jean-Léonce Dupont, qui n'a pas l'habitude de manier la critique sans discernement, me laisse abasourdie. Il serait en effet inimaginable qu'à l'occasion du transfert des collèges, on laisse les départements supporter le passif. Nos débats, auxquels chacun pourra apporter sa pierre, promettent d'être intéressants.
Mme Corinne Bouchoux. - On a bien transféré des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) à des collectivités sans penser aux retraites. Sans faire de procès d'intention, je pense que l'imagination n'a pas de limite. On fait preuve d'un génie consommé, en France, pour transférer des compétences sans les moyens correspondants. C'est pourquoi nous devons rester vigilants.
La distinction entre service public de la culture et industrie culturelle est un vrai sujet, sur lequel il faudra attentivement se pencher. Je vois bien où cela commence, mais je vois aussi où cela peut mal finir...
Je me demande également si nous ne gagnerions pas, par souci de pédagogie, à dresser une cartographie. Pour avoir tenté d'expliquer hier à des hauts fonctionnaires allemands où nous en sommes de notre organisation territoriale, et les avoir entendu s'étonner que notre volonté de simplification se traduise par la création, avec la métropole, d'une catégorie nouvelle de collectivité, puis de trois types de département, je me suis fait la réflexion qu'un tel outil ne nous serait pas inutile, pour visualiser ce que nous sommes en train de construire. Méfions-nous du débat franco-français entre élus, qui risque de devenir illisible, tant à l'étranger que pour le commun des mortels - au risque de pousser le vote d'extrême droite.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pour répondre à cette interrogation soulevée par Mme Blondin et Mme Bouchoux, Mme Bertin pourrait préciser ce que recouvre, pour l'ADF, la notion de service public de la culture.
M. François Bonneau. - Je veux dire tout l'intérêt que soulèvent, pour l'ARF, vos interrogations. Il ne s'agit pas, pour nous, de heurter des certitudes, mais de construire en commun et de défricher des pistes. Reconnaissons que nos concitoyens, aussi éclairés soient-ils, ont de plus en plus de mal à comprendre la chose publique. Il s'agit, avec cette nouvelle étape, d'optimiser les moyens publics, quelle que soit la collectivité qui les met en oeuvre, de rendre lisible l'articulation de l'intervention publique entre nos territoires et d'en faire le meilleur levier possible de développement. C'est par cette approche, loin d'être régionaliste, que l'on évitera les conflits entre collectivités, dont les Français n'ont que faire : c'est à une clarification et à un renforcement de la dimension citoyenne de la vie locale qu'ils nous appellent. Si ceux qui portent, à nos côtés, des responsabilités ont le sentiment qu'on est attentifs à leurs préoccupations et qu'on entend mieux les servir, les choses n'en iront que mieux.
Pour avoir participé à l'élaboration du rapport sur la refondation de l'école, je veux rappeler, dans ce débat sur la continuité éducative, qu'il n'a jamais été question pour nous d'intervenir en matière de pédagogie. Car c'est là une responsabilité de l'État. Ce dont les collectivités territoriales sont responsables, c'est de l'environnement de l'acte éducatif. Et cela est très important. Comme président de la région Centre, j'ai mis en place le système Trans'Europe Centre, pour garantir la gratuité des voyages scolaires à tous les élèves. Ce qu'il nous revient d'assurer, c'est aussi la qualité des structures, d'autant que la pédagogie se fondera, demain, au-delà de la traditionnelle salle de classe, sur des espaces de coproduction et d'appropriation des savoirs appelés à modifier en profondeur nos responsabilités en matière d'aménagement et de maintenance, où le numérique comptera pour beaucoup. On nous attend également sur la restauration, qui touche à des enjeux allant de la prévention de l'obésité à la promotion des circuits courts. Tout cela relève du même métier : à quoi bon demander à deux collectivités de l'exercer sur un même bassin de vie ? Nous avons aussi notre rôle à jouer en matière de citoyenneté. Financer une association dédiée à la prévention des addictions, c'est aussi accompagner l'État, et les parents, dans le geste éducatif.
Dès lors que nous faisons le même métier, employons-nous à l'exercer plus efficacement. Vous avez évoqué, très justement, le problème de la proximité, celle des services, et celle des élus. Il est évident que ce n'est pas depuis un centre éloigné que l'on va envoyer un technicien réparer un vidéoprojecteur. L'accompagnement de l'acte éducatif sera bien évidemment territorialisé. C'est ce que j'ai fait dans ma région, à un niveau infra-départemental. Il faudra, demain, qu'il en soit de même pour les collèges. Il est hors de question de se passer de la proximité, qui fait tout le bénéfice de la décentralisation. Se pose, ensuite, la question de la proximité des élus. Deux élus devront, dans la nouvelle formule, siéger dans les conseils d'administration. On peut imaginer, pour répondre à la diversité des situations, que ce pourrait être, dans certains cas, un élu et un membre du conseil économique et social régional.
La notion de bassin d'éducation, enfin, devra être, demain, un élément moteur pour faire évoluer la carte des formations et des structures. Alors que l'implantation de la population évolue, nous n'avons pas, à l'heure actuelle, la responsabilité de la sectorisation. Il arrive ainsi que l'on nous demande d'agrandir tel lycée de secteur, alors qu'à trente kilomètres, un autre lycée est sous-occupé. Nous avons besoin, y compris dans l'articulation entre collège et lycée, d'une responsabilité qui nous mette en mesure d'agir efficacement.
Je comprends les préoccupations exprimées par M. Jean-Léonce Dupont. Toute incertitude quant aux modalités du transfert entraînerait immanquablement des retards d'investissement. Si transfert il y a, ce doit être de l'ensemble, y compris du passif.
Un mot sur les transports scolaires qui, de fait, se gèrent dans la plus grande proximité. Il est prévu et c'est, à certains égards, une bonne chose, qu'une autorité organisatrice de transports (AOT) unique opère sur un territoire, parce que les transports scolaires sont bien souvent articulés aux transports classiques. Nous n'avons pas été demandeurs, mais nous comprenons la logique du projet, qui n'interdit pas de prendre en compte, par voie de délégation, les organisations locales existantes.
J'en viens, pour finir, au sport. Les Centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) pourraient devenir, demain, des structures régionales. Dans ma région, nous avons entrepris, il y a une dizaine d'années, de reconstruire le CREPS, qui menaçait de disparaître ; nous en avons fait un bel outil de professionnalisation du mouvement sportif, et d'interaction entre l'État et la région. Cela suppose que l'on y mette les moyens, mais je crois que c'est là un domaine où l'on peut bâtir une cohérence régionale.
Mme Catherine Bertin. - Le congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF) qui se tiendra à Pau, la semaine prochaine, madame Blondin, traitera de la question de la médecine scolaire. Vous avez également soulevé la question des archives, compétence obligatoire du département, liée à l'État. La situation est un peu contraignante, et vous avez parfaitement compris les craintes que nous nourrissons. Outre le coût des bâtiments, cette compétence exige désormais un énorme investissement dans le numérique. Avec, de surcroît, la recommandation de la Commission européenne de numériser l'ensemble du patrimoine culturel, cela va devenir un vrai sujet de préoccupation.
Toutes les CTAP ne sont pas mises en place, mais il est clair qu'elles devront s'adapter à la nouvelle carte régionale. Je ne saurais en dire plus pour l'instant mais j'observe que la loi d'orientation sur la création artistique, qui consacre l'un de ses chapitres à la gouvernance culturelle territorialisée, a introduit la formule d'un tour de table pluriacteurs à l'échelon régional, qui, sur le modèle du CCTDC national, rassemblerait, outre les représentants des collectivités et de l'État, ceux des grands métiers de la culture. Nous y étions plutôt favorables, mais il se peut que le projet de loi à venir réinjecte la culture dans les CTAP. Nous en saurons davantage après le CCTDC de novembre.
M. François Bonneau. - Si nous ne sommes pas hostiles à l'existence de telles structures, nous estimons néanmoins qu'il nous faut disposer, dans notre responsabilité de financeurs, d'espaces propres. Je vois mal comment on pourrait aborder ailleurs que dans une CTAP la question de la répartition des responsabilités.
Mme Catherine Bertin. - Un mot sur la distinction entre service public de la culture et industries culturelles. Au niveau communautaire, la culture est considérée comme un service d'intérêt économique général. Il serait donc possible, en nous appuyant sur certains articles du traité, d'obtenir un régime spécial pour la culture, comme nous y sommes parvenus pour les services sociaux, avec les SSIG (services sociaux d'intérêt général). Mais n'oublions pas que tout évolue très vite, et que l'on n'est déjà plus dans la configuration de départ du « paquet Almunia », qui déterminait un volume d'intervention publique sur trois ans au-delà duquel une subvention publique était considérée comme une distorsion à la concurrence. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans un régime de règlements d'exemption, décliné par secteur. En août, la ministre a plaidé, avec toutes les associations de collectivités locales, pour que les politiques culturelles locales obtiennent un tel régime. Cela étant, l'avantage reste limité : le régime d'exception n'exempte que de la notification, mais l'on n'en reste pas moins soumis à l'axiome qui régit les SIEG, et qui met des limites à la subvention publique. Reste que les choses évoluent de semaine en semaine, et qu'il ne faut pas hésiter - État, associations, parlementaires - à multiplier les interventions. La Commission européenne lance régulièrement des consultations publiques. L'ADF apportera sa contribution à celle qui doit se clore dans une semaine, Révision de la stratégie Europe 2020.
L'autre question, en matière européenne, est celle des programmes qui viennent appuyer nos politiques publiques territoriales. À compter de 2014, il n'y en aura plus pour la culture, puisque l'on entre dans le programme dit Europe créative, qui s'adresse essentiellement aux industries culturelles. C'est un fait que nos acteurs locaux ne savent pas manier ce programme.
Comparés à d'autres pays, la France est très interventionniste. Ce que nous regardons comme des politiques locales intangibles est ailleurs confié à des agences privées, comme en Grande-Bretagne, ou bien mis en oeuvre depuis toujours par des acteurs privés dans le cadre du marché. Deux principes doivent à notre sens jouer pour définir le champ du service public : la souveraineté reconnue aux États et l'allocation de moyens publics au service de ces politiques. Tout est question de volonté politique.
M. Christian Manable. - La position de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), qu'a exprimée Claude Raynal, sur le sport professionnel me semble pertinente. Je distinguerais l'investissement du fonctionnement. Les équipements attachés au sport de haut niveau, dont beaucoup deviennent obsolètes, sont très onéreux. Ils appellent l'action conjointe de toutes les collectivités. Loin de moi l'idée de scinder sport de haut niveau et pratique de masse, qui sont complémentaires, l'un servant de locomotive à l'autre, mais il ne me semble pas illégitime que le sport de haut niveau soit financé par des entreprises, des métropoles ou des grandes villes, qui entendent en faire une vitrine. Le sport de masse, en revanche, vecteur de lien social, de vivre ensemble et d'insertion, souvent encadré par des bénévoles qui n'hésitent pas à y aller de leur poche, mérite d'être recentré sur le conseil général. Je n'ai pas hésité, dans mon département, la Somme, à redéployer les crédits consacrés au sport professionnel vers nos quelque 900 clubs amateurs, qui participent à l'animation, à l'éducation et à la prévention, tant dans les villages que dans les quartiers difficiles des villes. Il faut, dans toutes les disciplines sportives, préserver le sport de masse, qui crée du lien social. Et je préfère nettement voir figurer sur les maillots de nos sportifs professionnels le nom de telle marque commerciale plutôt que le logo de la collectivité territoriale !
Mme Sylvie Robert. - Nous sommes tous d'accord, la culture et le sport doivent rester compétence partagée. Mais si l'on veut que la clause de compétence générale continue de s'exercer, alors que l'argent public se raréfie, une clarification est sans doute nécessaire, ce qui suscite, naturellement, certaines tensions. Je puis donc comprendre, même si je suis réservée, que l'ARF, dans ce contexte, craignant que la culture ne devienne une variable d'ajustement, ait émis cette idée controversée d'une compétence partagée obligatoire.
Se pose également le problème des modalités et du périmètre d'intervention des DRAC. Je suis sensible à la différenciation territoriale et ne récuse pas l'approche empirique, mais on peut y perdre, du même coup, une vision harmonisée, intégrée des politiques publiques.
Pour dénouer les tensions que suscite ce besoin de clarification, les CTAP peuvent être des lieux de dialogue. À vous entendre, j'ai le sentiment que nous peinons à trouver le bon cadre de gouvernance partagée. Même si des expérimentations ont eu lieu, la tendance générale a plutôt été à l'empilement des responsabilités. Quant à la dimension européenne, on ne l'a guère prise en compte, alors qu'elle est fondamentale.
La notion de contrat ne mériterait-elle pas d'être réactivée ? Les commissions départementales d'évaluation des transferts de charge pourraient y contribuer. Pourquoi ne pas s'inspirer, pour la culture, des contrats de site ? Pourquoi ne pas envisager l'idée d'un schéma national avec ses déclinaisons territoriales, négociées entre collectivités, appuyées, plutôt que par d'incertaines subventions annuelles, par un engagement contributif de plus long terme ?
M. Raynal a évoqué la notion d'intérêt communautaire. Alors qu'à l'heure actuelle, ce sont les villes-centre qui financent les grands équipements, qui y sont implantés, ne serait-il pas naturel d'en transférer la responsabilité au cadre métropolitain, sous le registre de l'intérêt communautaire, qui suppose que chacun contribue ?
M. Jean-Claude Frécon. - Je reviens aux transports scolaires. J'étais conseiller général lors de leur transfert, en 1984. Je suis, depuis, devenu président de l'Anateep, l'Association nationale pour les transports éducatifs de l'enseignement public, présente dans 70 départements. Je m'interroge, à ce titre, sur ce que deviendraient, dans la formule nouvelle qui est envisagée, les autorités organisatrices de transports (AOT). Aujourd'hui, le département est l'AOT de premier rang, mais dans beaucoup d'entre eux, des associations locales prennent en main l'organisation pratique - on les appelle les AO2. Ce couple fonctionne bien dans la plupart des départements. Si la compétence est transférée aux régions, au motif qu'elle est mieux à même d'organiser l'articulation entre les transports scolaires et les transports en commun avec lesquels ils se combinent souvent, il pourrait être bon de s'inspirer de l'exemple de la région parisienne devenue, avec la création du STIF (Syndicat des transports d'Ile-de-France), AOT unique, tandis que les départements volontaires devenaient des AO2, auxquelles peuvent s'articuler des associations locales, qu'il faudrait alors qualifier d'AO3.
M. François Bonneau. - J'en profite pour saluer le rôle majeur que joue l'Anateep en matière de prévention et d'éducation.
M. Jean-Claude Frécon. - Nous nous efforçons d'éduquer à la citoyenneté dans les transports collectifs, au même titre que nous intervenons en faveur de leur qualité, de leur sécurité et de l'extension de leur gratuité. Cela fait partie de nos missions.
M. Daniel Percheron. - Il faudrait être Fernand Braudel pour faire porter sa voix en ces journées décisives où le débat se tend vers l'avenir du territoire et de ses identités. Les régions, même dans leur configuration actuelle, seront demain un maillon décisif. Ce n'est pas l'entreprise, mais bien le territoire qui est la clé de l'adaptation du pays à la mondialisation. Pour moi, je forme le voeu que département et région assument main dans la main des responsabilités qui évoluent. La césure opérée entre collège et lycée a été une blessure pour l'éducation dans notre pays. À Denain, ville qui a perdu entre 900 et 1 000 emplois, la filière générale compte 30 % d'enfants en difficulté, la filière professionnelle 85 %. À l'heure de l'enseignement de masse, on a orienté bien des élèves sur des quais où les trains ne passeront pas... Parce que les professionnels ont refusé le principe de l'orientation, nous ne corrigeons pas les inégalités sociales dans la machine scolaire, alors que nous sommes parmi les pays qui dépensent le plus en faveur de l'éducation. Il est temps d'en finir avec la querelle historique de l'apprentissage, qui prendra toute sa place dès lors que nous fonctionnerons dans une logique d'ensembliers.
La culture ? Je suis favorable à ce qu'elle comporte un partage. Si la région dépense aujourd'hui beaucoup plus que l'État en faveur de la vie culturelle de la communauté, c'est qu'entre le sommet budgétaire et créatif des années Lang et aujourd'hui, le budget de la culture s'est amenuisé. Mais cet étiage n'est-il pas aussi le fruit de l'action brouillonne et conjuguée des collectivités, qui feraient bien d'apprendre à s'emparer de ce relais de transmission qu'est la télévision locale ? Qu'un concert à l'opéra soit retransmis par France 3, et l'on passe aussitôt de 2 000 abonnés à 400 000 auditeurs. Je l'ai constaté dans ma région. Faute d'un tel relais, une subvention de 100 millions d'euros versée par l'État équivaut à une dépense de quelque 100 euros par siège ! Craignons que certains n'en viennent à trouver cela disproportionné.
En matière de sport, je me vis comme ces évêques du Moyen-Âge qui bâtissaient une cathédrale pour y rassembler leur ville. Aujourd'hui, nous bâtissons des stades pour rassembler, dans la fraternité, notre population. Mais il nous faut obtenir de l'État une définition du modèle économique des sports que nous accompagnons. Nos subventions deviennent dérisoires. Y remédier suppose de remonter au niveau des intercommunalités ce qui relève du sport de haut niveau.
M. Claude Kern. - Le sport professionnel, qui reste indispensable, doit relever de la région. Pour le sport de masse, il faut trancher, dans la répartition des compétences, entre commune et département.
M. Claude Raynal. - La notion d'intérêt communautaire mérite un vrai débat. Tout nous y invite, et la loi Métropoles au premier chef. Transférer les dépenses en équipement de la ville-centre vers les intercommunalités ? Sans doute sont-ce les intercommunalités qui, hors période de baisse des dotations comme celle que nous traversons, disposent des ressources les plus vivaces, mais c'est alors l'ensemble qu'il faut remettre à plat, depuis les budgets communaux jusqu'aux budgets communautaires. Y compris la Dotation globale de fonctionnement (DGF), plus importante aux épicentres pour tenir compte des charges de centralité. Alors que nous entrons dans un pacte fiscal et financier contraignant, il faut retrouver un équilibre dans les choix d'investissement et la distribution des subventions entre intercommunalités, communes, sans négliger les besoins des villes-centre qui font face à une augmentation de population et doivent créer des équipements. Cela est possible. À Toulouse, les choses sont en bonne voie. La ville-centre ne peut continuer à financer seule certains services qui bénéficient à l'ensemble de l'agglomération. Il faudra y venir, en opérant dans la nuance...
Le débat a beaucoup porté sur le département, auquel le Sénat est tout particulièrement attentif. Daniel Percheron a mis en avant des arguments avec le brio qu'on lui connaît. Reconnaissons que les structures départementales et régionales sont à bout de projet. Si bien que l'on se retrouve bien souvent avec des structures centrales, qu'elles soient des sociétés d'économie mixte (SEM) ou prennent une autre forme, disproportionnées. Le regroupement permettrait un redimensionnement. On ne peut à la fois vouloir préserver la dimension humaine et sociale du département et exiger qu'il conserve toutes ses compétences. Au-delà même de la seule question budgétaire, on y perdra. Comme conseiller général, il m'est arrivé de devoir assister simultanément à quatre conseils d'administration de collèges de mon département. Ils ont généralement lieu en même temps, et je ne peux me démultiplier. Ceci pour souligner qu'il faut bien distinguer entre qualité du service et rôle de l'élu. Que les communes aient en charge les crèches et les écoles, la région prenant le relais de la 6e à l'université, a du sens. Il faut avoir une vision ouverte des choses.
Mme Karine Gloanec-Maurin. - Vos réactions sur la notion de compétence partagée obligatoire sont de nature à nourrir la réflexion. Sur quelque 7 milliards de dépenses engagées par les collectivités en faveur de la culture, 1,7 milliard l'est par les départements, 4 à 5 milliards le sont par les villes, et 800 millions par les régions - contre 500 millions en 2008. Cela représentait 3 à 4 % des budgets régionaux en 2010, 2 à 3 % aujourd'hui. Il faut alerter là-dessus autant que sur les autres problèmes des collectivités. Nous avons mené et gagné le combat sur la compétence partagée, mais nous pensons que celle-ci doit désormais s'assortir d'un engagement. L'exemple des archives a été évoqué. Il s'agit certes d'une compétence obligatoire du département, mais les autres collectivités ont également l'obligation de tenir leurs archives.
Le maillage du territoire ? C'est une exigence que nous revendiquons aussi, et c'est bien pourquoi, hors toute tentation hégémonique, nous avons voulu alerter : il faut une obligation d'agir. Et je veux ici rendre hommage à Ivan Renar, à qui l'on doit la création des établissements publics de coopération culturelle. Une action culturelle conjointe pourrait passer par un dispositif de même nature.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il me reste à vous remercier. Vos contributions écrites nous seront également précieuses.
La réunion est levée à 17 heures.