Mardi 8 juillet 2014
- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président -La réunion est ouverte à 14 h 35
Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - La proposition de loi revêt un caractère particulier, par l'étendue des sujets qu'elle entend aborder, de l'accompagnement social au maintien de l'ordre public, de la politique pénale à l'éducation, au carrefour des champs de compétence de nos commissions permanentes. Les débats ont été vifs et passionnés : la question de la prostitution divise au-delà des clivages partisans traditionnels. En cinq mois, notre commission spéciale a mené près de cinquante auditions et effectué deux déplacements. Ses travaux rejoignent ceux de l'Assemblée nationale, de la mission sénatoriale que j'ai conduite avec Chantal Jouanno sur la situation sanitaire des personnes prostituées, et de notre délégation aux droits des femmes.
Trop souvent, le débat est caricaturé, les positions sont manichéennes. Notre commission spéciale a su éviter ces écueils. Nous avons écouté, débattu, et les positions ont parfois évolué. J'espère que nous parviendrons à un texte : au-delà de la pénalisation du client, qui fait débat, nous devrions pouvoir nous rassembler sur bien des points.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Le temps est venu pour notre commission spéciale de prendre position sur la proposition de loi. J'ai tenté de tenir compte de l'ensemble des positions, sans me déjuger sur ce que je crois être juste. Les amendements que je vous proposerai ont été élaborés avec le président Godefroy et portent nos deux signatures. Nous sommes d'accord sur l'essentiel, ou presque.
Quelques constats d'abord, autour desquels nous pouvons nous retrouver. Après un siècle d'un système qui n'avait évité ni la prostitution de rue, ni la propagation des maladies vénériennes, la loi Marthe Richard du 13 avril 1946 a imposé la fermeture des maisons closes. C'est toutefois en 1960, en ratifiant la convention de l'ONU de décembre 1949, que la France est devenue un pays abolitionniste. Cela signifiait alors viser, non l'abolition de la prostitution, mais celle de toute forme de réglementation - inscription sur des registres spéciaux, papiers spéciaux, conditions exceptionnelles de surveillance. La convention lie toutefois déjà prostitution et traite des êtres humains, jugeant l'une comme l'autre « incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».
Depuis 1960, la prostitution a changé de visage, elle a été investie par les réseaux mafieux. La réalité a évolué, et avec elle la conception de l'abolitionnisme. Le 6 décembre 2011, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France, c'est-à-dire l'objectif d'une société sans prostitution. Cette position est partagée par de nombreux pays, ainsi que par les institutions européennes : dans sa résolution du 26 février 2014, le Parlement européen juge que la réduction de la demande doit faire partie de la stratégie de lutte contre la traite des êtres humains, et que cela suppose de faire peser la charge du délit sur ceux qui achètent des services sexuels.
La réalité est diverse et complexe. La plus grande partie des personnes prostituées sont des femmes ; 10 à 15 % sont des hommes ou des personnes transgenre. Nous avons été sensibles aux demandes des personnes transsexuelles ; ce texte-ci n'est pas le véhicule adapté, mais il faut avancer sur la question du changement d'état civil, que nous avions déjà évoquée dans le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Maryvonne Blondin. - Tout à fait.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous avons été choqués d'entendre la présidente de l'association Avec nos ainées évoquer des personnes prostituées de 70, 80, voire 90 ans... La prostitution peut être occasionnelle ou être la principale source de revenus ; elle peut s'exercer dans la rue ou dans des bars à hôtesses et salons de massage. De plus en plus, le contact avec le client se fait sur Internet. Bref, il y a des prostitutions ; nous en avons bien cerné la diversité.
Toutefois, deux traits communs se dégagent. D'abord, l'écrasante majorité des 30 000 personnes prostituées sont d'origine étrangère : 83 %, selon l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) ; 88 % à Toulouse, s'agissant de la prostitution de rue, selon l'association Griselidis. Les principaux pays d'origine sont la Roumanie, le Nigéria et la Chine. L'inversion des chiffres depuis le début des années 1990 traduit la baisse de la prostitution dite traditionnelle et l'influence croissante du proxénétisme et des réseaux de traite. Les données policières sont formelles : la grande majorité des personnes prostituées sont sous l'influence d'un proxénète ou d'un réseau. Le territoire parisien est divisé en secteurs tenus par des réseaux, ce qui rend difficile l'exercice d'une prostitution indépendante. La prostitution s'exerce principalement sous la contrainte.
Deuxième trait commun, les personnes prostituées sont exposées à des facteurs de fragilité spécifiques, à commencer par les risques sanitaires : infections sexuellement transmissibles, maladies respiratoires, troubles musculo-squelettiques, problèmes dermatologiques. Plus du tiers des personnes interrogées par l'Institut de veille sanitaire ont déclaré souffrir d'une maladie chronique. Or l'accès au droit et aux soins leur est difficile. Le dispositif d'accueil spécifique de l'hôpital Ambroise Paré, où les personnes prostituées du bois de Boulogne sont reçues par une médiatrice sociale issue du milieu, est malheureusement une initiative isolée.
Les personnes prostituées sont également exposées quotidiennement aux violences, physiques, verbales ou psychologiques, venant des clients, des proxénètes, des autres personnes prostituées ou des passants. La création en 2003 du délit de racolage a aggravé la situation en entraînant le déplacement de la prostitution vers des lieux plus difficiles d'accès pour la police mais aussi pour les associations. En outre, la dénonciation des violences subies ne fait pas l'objet d'une attention suffisante de la part des forces de police.
La France est loin d'avoir tout mis en oeuvre pour accompagner les personnes prostituées. Certes, la police démantèle une cinquantaine de réseaux chaque année. La loi du 5 août 2013, qui revoit la définition de la traite, s'est accompagnée de la création de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et du lancement du premier plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains. Mais les moyens manquent. Le dispositif de protection des victimes de la traite Ac.Sé n'a pris en charge que 66 personnes en 2012, pour 751 victimes reconnues. L'accompagnement social est lacunaire, faute de coordination entre les acteurs institutionnels et associatifs. En 2014, les pouvoirs publics n'y consacrent que 2,4 millions d'euros. En dépit d'une augmentation de 14 %, cela reste insuffisant pour financer des mesures d'envergure.
Il faut aller au bout de la logique abolitionniste, c'est ce que propose le texte. Il renforce tout d'abord les moyens d'enquête et de poursuite des auteurs. L'article 1er prévoit que les fournisseurs d'accès à internet devront s'efforcer d'empêcher la diffusion de contenus liés à la traite et au proxénétisme. La notification des adresses des sites fautifs en vue de leur blocage a été supprimée à l'Assemblée nationale, à l'instigation du Gouvernement qui étudie la faisabilité d'une telle mesure. Le groupe de travail interministériel sur la cybercriminalité vient de rendre ses conclusions ; il faudra expertiser ses propositions.
L'article 1er bis complète la formation délivrée aux travailleurs sociaux sur la prévention de la prostitution. Nous vous proposerons d'y ajouter l'identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite.
L'article 1er ter accorde aux victimes de traite des dérogations en matière de la procédure pénale : domiciliation au commissariat, identité d'emprunt, mesures de protection et de réinsertion prévues par la commission nationale de protection. Nous vous inviterons à sécuriser le dispositif sur le plan constitutionnel.
L'article 11 simplifie les modalités d'intervention des associations se portant partie civile ; je vous suggèrerai de supprimer la possibilité pour une association, fût-elle reconnue d'utilité publique, d'intervenir sans l'accord de la victime, pour éviter de mettre celle-ci en danger. L'article 12 rend le huis-clos de droit. Nous vous demanderons également, dans un article additionnel, de donner compétence aux inspecteurs du travail pour constater l'infraction de traite des êtres humains, mesure n° 13 du plan national de lutte contre la traite.
Le chapitre II améliore l'accompagnement global des personnes prostituées. L'article 3 crée le parcours de sortie, coordonné par une instance dédiée, qui ouvre notamment droit à une autorisation provisoire de séjour et à des remises fiscales gracieuses. Nous vous proposerons de le remplacer par un projet d'insertion sociale et professionnelle personnalisé. Toutes les associations ayant pour objet l'aide et l'accompagnement des personnes en difficulté souhaitant intervenir dans le projet seront a priori éligibles à l'agrément. L'instance chargée d'en assurer le suivi sera présidée par le préfet et composée de quatre collèges représentant la justice, l'État, les collectivités territoriales et les associations.
Le projet d'insertion sociale et professionnelle sera financé par le fonds créé à l'article 4, abondé par des crédits de l'État et par une partie du produit des biens confisqués aux proxénètes et des amendes prélevées sur les clients. Je vous propose de lui consacrer l'intégralité de ces deux dernières recettes et d'ajouter le produit des biens issus des procédures relatives à la traite des êtres humains.
L'article 6 accorde une autorisation provisoire de séjour aux seules personnes qui sont sorties de la prostitution. Or cette sortie est progressive et prend du temps : je vous propose de supprimer cette condition. Je vous invite à adopter tels quels les articles 8 et 9 qui traitent du logement et de l'hébergement.
Il n'est pas opportun que l'article 14 ter affirme que l'État est seul compétent en matière d'accompagnement sanitaire : il serait regrettable de limiter les capacités d'initiative d'autres acteurs, dont les collectivités territoriales.
Troisième chapitre : la prévention et l'information. Les amendements que je vous propose aux articles 15 et 15 bis A complètent l'information délivrée à l'école sur l'égalité entre femmes et hommes en prévoyant une information par groupes d'âge homogènes dans les collèges et lycées sur les réalités de la prostitution ; le faire dès l'école primaire paraissait inadapté. Il s'agit également d'aborder les enjeux relatifs aux représentations sociales du corps humain.
Le chapitre IV instaure la pénalisation du client, qui va de pair avec l'abrogation du délit de racolage - c'est la clé de l'équilibre du texte. L'article 13 reprend ainsi la proposition de loi de loi d'Esther Benbassa, adoptée à l'unanimité par le Sénat le 28 mars 2013, en supprimant ce délit instauré par la loi du 18 mars 2003. Les statistiques ne montrent pas de lien entre la mise en oeuvre du délit de racolage et les condamnations pour proxénétisme, dont le nombre est resté stable depuis 2004, entre 600 et 800 par an, alors que le nombre de gardes-à-vue pour racolage a été divisé par trois. Les auditions nous ont confirmé que ce délit avait surtout augmenté la stigmatisation et l'insécurisation des personnes prostituées. L'utilisation de la garde-à-vue des personnes prostituées pour lutter contre les réseaux est d'ailleurs un détournement de la législation, explicitement exclu par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence. Enfin, les personnes prostituées traditionnelles collaborent d'elles-mêmes avec la police sans passer par la garde-à-vue. Aussi vous proposerai-je de confirmer l'abrogation du délit de racolage.
L'article 16 contient la mesure la plus débattue : la création d'une contravention de cinquième catégorie sanctionnant le recours à la prostitution, sur le modèle suédois où l'absence de toute disposition pénale visant le racolage va de pair avec la pénalisation des clients. Nous avons entendu au cours de nos auditions des points de vue très divers sur cette disposition à forte valeur symbolique.
La position que nous adopterons reflètera les réponses que nous apportons, selon nos convictions, à des questions de principe : la prostitution choisie peut-elle exister ? La société doit-elle reconnaître aux individus le droit, moyennant paiement, de disposer du corps d'autrui ? Comment répondre au développement massif de la traite à des fins sexuelles sur notre territoire ? Le client, sans lequel il n'y aurait pas de marché, peut-il ignorer la situation des personnes prostituées ?
Les réponses que j'y apporte me conduisent à vous proposer d'adopter l'article 16. Nous aurons l'occasion d'échanger plus avant sur ce sujet. Quelques éléments techniques pourront éclairer nos débats. Le montant de 1 500 euros prévu pour les amendes de cinquième catégorie est un maximum ; dans la pratique, la moyenne des amendes prononcées pour les contraventions de 5ème classe tourne autour de 370 euros, souvent moins quand il s'agit de la première amende. Le bulletin n° 2 du casier judiciaire, qui sert pour l'accès aux emplois publics, ne comportera aucune mention de cette contravention.
Les trois ministres que nous avons entendues nous ont fait part de leurs questionnements, mais toutes considèrent qu'il faut dépasser le statu quo. Pour Christiane Taubira, le client ne peut plus être indéfiniment considéré comme irresponsable et tenu à l'écart de situations qu'il ne peut ignorer. Marisol Touraine a estimé qu'il fallait veiller à ne pas isoler davantage les personnes prostituées, tout en indiquant qu'elle partageait les objectifs du texte et que les mesures d'accompagnement visaient à créer un nouveau lien de confiance entre les personnes prostituées et les autorités publiques, afin de construire des alternatives à la prostitution. Enfin, Najat Vallaud-Belkacem a rappelé que la très grande majorité des personnes prostituées sont d'ores et déjà dans une situation de précarité et de vulnérabilité, qui rend urgente une réponse claire et volontaire.
En conclusion, je vous invite à adopter les modifications que le président Godefroy et moi-même vous proposerons conjointement afin d'améliorer cette proposition de loi et ainsi d'adopter, pour la première fois dans notre pays, un dispositif cohérent à même d'améliorer durablement la situation des personnes prostituées.
M. Christian Cointat. - Depuis la nuit des temps, personne n'a su résoudre ce problème délicat, difficile, douloureux. Pas plus Marthe Richard que les autorités suédoises. Au Luxembourg, la fermeture des bars montants a alimenté la prostitution de rue, que des rondes de police, pourtant musclées, n'arrivent pas à éradiquer.
Je n'ai pas la réponse. Ma position est dictée par trois grands principes. D'abord, ma farouche opposition à toute loi liberticide ; l'on ne règle pas les problèmes de société par la pénalisation. Ensuite, il n'est ni crédible, ni compréhensible d'interdire l'achat quand on autorise la vente : si l'on interdit l'un, il faut interdire l'autre. Pénaliser le client mais considérer la personne prostituée comme une victime, cela ne marche pas. « Volonté de prendre possession d'un corps moyennent finances » ? Dans la plupart des cas, c'est parce que le corps s'est offert moyennant finances qu'il est pris ! Croyez-moi, cela fait soixante ans que je vis dans le quartier de la rue Saint-Denis, je vois ce qui se passe. Enfin, je n'aime guère les lois de bonne conscience. Il faut être réaliste : ce n'est pas parce qu'on interdit la prostitution qu'on va la supprimer. Il y aura des conséquences, qu'il faut examiner plus avant. La Suède a obtenu des résultats, certes, mais les filles encore soumises à la prostitution se trouvent dans des situations autrement plus dramatiques qu'auparavant.
La rapporteure a accompli un travail remarquable, les auditions ont été passionnantes, mais la proposition de loi s'éloigne par trop de mes convictions, et je ne pourrai vraisemblablement pas vous suivre au moment du vote final.
Mme Catherine Génisson. - Je remercie le président et la rapporteure d'avoir conduit nos travaux avec une telle ouverture d'esprit : vous nous avez incités à réfléchir sans chercher à nous influencer.
La France est abolitionniste, mais non sans ambiguïté. Les personnes prostituées ont des droits sociaux et des devoirs fiscaux. Qu'en sera-t-il si la mesure phare de ce texte est adoptée ? La prostitution a changé de visage, nous n'en sommes plus à la rue Saint-Denis : 90 % des personnes prostituées sont des étrangers, des victimes de la traite, des esclaves modernes. Nous avons la responsabilité de proposer des solutions à ce que Robert Badinter qualifiait de « mal social dramatique ».
Tout en respectant les arguments des travailleurs du sexe, qui revendiquent de pouvoir exercer librement leur métier, je n'accède pas à leur raisonnement. J'apprécie les améliorations apportées au texte en matière de prévention et d'accompagnement social : il est indispensable d'accorder des droits pour permettre une réinsertion respectable.
Abrogation du délit de racolage et pénalisation du client sont corrélées, avez-vous dit. Sur ce dernier point, mon approche n'est pas morale mais pragmatique. Or les personnes que nous avons auditionnées, policiers, magistrats, acteurs du milieu associatif ou de la santé, tous ceux qui luttent contre cet esclavage moderne nous ont dit : ne faites pas ça ; la pénalisation du client va disperser les personnes prostituées, les isoler, les fragiliser, les rendre invisibles. Le client qui encourt une amende deviendra plus exigeant, imposera des baisses de tarif et des rapports non protégés.
Le modèle suédois n'a pas que des vertus : si la prostitution visible a diminué, elle s'exerce désormais dans des conditions plus difficiles. Surtout, elle s'exporte. Difficile, en l'état actuel, de transposer le droit suédois en droit français. Je salue la qualité du travail de la rapporteure et les améliorations qu'elle propose d'apporter à cette proposition de loi. Toutefois, si je comprends sa position sur l'article 16, je ne suis pas convaincue.
Mme Esther Benbassa. - À mon tour de remercier le président et la rapporteure pour leur travail et pour la neutralité avec laquelle ils ont présenté leurs conclusions. Ma position n'est dictée par aucun dogmatisme. Comme je l'ai dit à Najat Vallaud-Belkacem, cette loi de répression relève plus du prohibitionnisme que de l'abolitionnisme, et se contente de soigner les symptômes sans traiter les causes du mal. Ma proposition de loi abrogeant le délit de racolage avait été votée...
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - ... à l'unanimité.
Mme Esther Benbassa. - Je regrette que celle-ci conditionne l'abrogation à la pénalisation du client. À Toulouse, un arrêté municipal réprime déjà la prostitution dans la rue : que se passera-t-il si nous ne votons pas la pénalisation du client ? Nous sommes déchirés : voter ou ne pas voter ? Il fallait dissocier les deux questions. Pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), la pénalisation du client, difficile à mettre en oeuvre, n'aura d'incidence que sur la prostitution de rue et favorisera la prostitution indoor, moins accessible aux associations et aux pouvoirs publics. Cela risque également de repousser la prostitution aux frontières, comme à la Jonquera ou dans les eaux territoriales danoises entre la Suède et le Danemark.
Je suis moi aussi opposée à toute loi liberticide, et j'affirme haut et fort que chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son corps. L'État n'a pas à s'immiscer partout, il y a des limites au jacobinisme ! Le paquet-cadeau suédois ? En 2011, 450 hommes avaient été condamnés à une amende, deux pour traite à des fins sexuelles, onze pour proxénétisme...
Hier, Le Monde publiait un reportage effarant. On va précariser encore davantage les personnes prostituées. Or nous ne savons pas si toutes ces femmes sont des victimes. Il faut regarder la réalité en face, ce n'est pas avec 2,4 millions d'euros que l'on va réinsérer ces femmes. Loin de répondre à la demande des associations et des personnes prostituées, ce texte de moralisation vise surtout à nous donner bonne conscience : on pourra dire que nous avons enfin émancipé la femme... Vous nous mettez devant un vrai dilemme. Il n'est pas fair play d'associer ainsi abrogation du racolage et pénalisation du client. Je suis une personne de conviction, je n'admettrai jamais que l'on m'ait tendu ce piège, ce qui ne m'empêche pas d'approuver certains de vos amendements.
M. Jean-Pierre Vial. - Merci à Michelle Meunier et à Jean-Pierre Godefroy pour la qualité de leur travail sur un sujet difficile. On peut rappeler les grands principes, mais que faire ? Face à ces situations dramatiques, il faut rechercher l'efficacité. Je suis élu d'un territoire dont le parc technologique a longtemps fait le succès ; tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Depuis quatre ans, nous sommes confrontés à une véritable invasion. Comment savoir lesquelles de ces femmes sont volontaires et lesquelles sont prises dans des réseaux ? Nous devons protéger l'environnement, les enfants, qui se retrouvent sous les mêmes abribus, les étudiantes, tentées de financer leurs études de la sorte... Que devient mon école de la troisième chance, s'il y en a une quatrième, plus facile ?
J'étais encore hier sur le terrain avec les gendarmes et la police municipale. Assez d'hypocrisie : ce n'est pas ce texte qui fera disparaître le plus vieux métier du monde. Soit on laisse faire, soit on essaye de juguler le phénomène et de protéger les femmes qui sont exploitées par des réseaux. Quant aux autres, qui vivent leur activité de façon sereine, je ne les juge pas. Nous en avons entendu certaines à qui j'aurais confié mes petits-enfants...
Comment regretter d'avoir une marge de manoeuvre limitée, quand on pose certains principes tout en refusant d'en appliquer d'autres ? Pour ma part, je suis partisan du délit de racolage. Les femmes de Vincennes disent elles-mêmes que c'est un moindre mal par rapport à la verbalisation du client - l'on aurait cru entendre des policières municipales... La verbalisation du client est inapplicable. La gendarmerie, la police, le parquet le disent. En pratique, pour qu'il y ait pénalisation, il faut qu'il y ait exhibitionnisme. Si la police et la gendarmerie sont obligées de se cacher pour surprendre le client dans cette situation, je ne vois guère de différence avec ces jeunes femmes dénudées sur les trottoirs ou dans leur camionnette.
Je souhaite que les propositions sur le plan social, qui représentent une avancée, soient mises en oeuvre prudemment. Prenons garde à ne pas insécuriser l'environnement de ces femmes, notamment pour celles venant d'Afrique. Pour organiser plus simplement les choses, je suis pour le maintien du délit de racolage et contre la verbalisation des clients, même si cette position est loin d'être majoritaire.
Mme Cécile Cukierman. - Ce texte, qui nous renvoie à l'intime, est difficile à appréhender. Même s'il en approuve une grande partie, mon groupe, comme les autres, est partagé. Je salue la suppression du délit de racolage, car il implique que la femme a décidé de sa situation alors qu'elle est une victime de la société. Certaines se sont convaincues de leur libre-choix, mais je doute qu'elles en soient exaltées. Je salue votre volonté de lutter contre les réseaux, d'aider les femmes à sortir de la prostitution, de les protéger elles et leurs proches, et de renforcer l'éducation, seule à même d'éradiquer ce fléau.
Les auditions m'ont fait évoluer : les associations ont dit leurs interrogations sur la pénalisation des clients prévue à l'article 16, qui ne me satisfait plus. Il est hypocrite sinon moralisateur de sanctionner les clients si la fiscalisation de la prostitution reste en vigueur. Protègerons-nous réellement plus les personnes prostituées en pénalisant les clients ? Interdire la prostitution aurait été plus clair : cela n'aurait pas été liberticide, puisqu'un tel choix aurait été positif pour la société. La question dérange ? Elle vaut pourtant aussi pour les films pornographiques : les personnes qui y apparaissent sont-elles vraiment volontaires ? En ce domaine comme dans d'autres, la pénalisation ne règlera malheureusement pas le problème.
Mon groupe se retrouve sur la volonté d'améliorer le texte. Cependant, je n'ai pas la certitude que la France se range dans les rangs des pays abolitionnistes
Mme Laurence Cohen. - Ce débat est passionnel, politique et lié à l'intime. Je rends hommage à notre rapporteure et à notre président qui ont mené à bien leur mission en faisant preuve de respect et d'ouverture d'esprit, mais leur tâche était ardue tant la prostitution offre de facettes. Dans la plupart des cas, les personnes se prostituent en raison de difficultés économiques ou sociales Si l'on supprimait les injustices, la prostitution reculerait. Hélas, nous en sommes loin : la pauvreté se répand, la précarité explose et la prostitution organisée par des réseaux est en plein essor, car elle est extrêmement lucrative, comme la vente de drogue ou d'armes.
Notre pays a signé la convention des Nations Unies sur l'abolition de la prostitution en 1960, puis a réaffirmé cette position en décembre 2011, mais nous en sommes encore loin. Certains de nos collègues estiment que ce texte est liberticide : mais est-ce l'être que d'infliger une contravention ? En partant de ce principe, il faudrait supprimer le code de la route !
Mme Esther Benbassa. - Ce n'est pas la même chose !
Mme Laurence Cohen. - Ne pas supprimer le délit de racolage ? Mais la prostitution n'est-elle pas une violence extrême infligée aux femmes ? Sont-elles victimes ou coupables ? Nous devons légiférer pour la majorité. Je me réjouis que le texte renforce la lutte contre le proxénétisme. Nous devons bien abroger le délit de racolage et pénaliser les clients. L'article d'hier dans Le Monde m'a choquée, parce qu'il nous invitait finalement à fermer les yeux pour ne pas ajouter à la misère des personnes qui se prostituent. Si les clients qui ont recours à des rapports tarifés ne sont pas responsabilisés, on en restera à l'image d'Épinal du plus vieux métier du monde.
Sans être idéal, ce texte marque une étape. D'ailleurs, je n'ai pas entendu de proposition alternative. Si l'on attend que les autres pays légifèrent, cet esclavage moderne aura encore de beaux jours devant lui ! Les membres de notre groupe, qui est traversé par des interrogations, voteront pour le texte ou s'abstiendront.
Mme Claudine Lepage. - Je félicite notre rapporteure et notre président pour leur travail. De nombreuses questions restent néanmoins sans réponse. Avant tout, le principe d'égalité entre les femmes et les hommes doit s'appliquer et nous devons protéger les victimes de la prostitution qui, ainsi que le Parlement européen l'a rappelé le 26 février 2014, viole la dignité humaine. En aucun cas elle ne doit être considérée comme un métier : c'est une violence. Nous devons lutter contre le proxénétisme et la traite humaine : je partage les conclusions de notre rapporteure et je me réjouis du débat qui s'engage.
M. Alain Gournac. - Quand j'ai été nommé dans cette commission, j'étais persuadé qu'il fallait sanctionner les clients. Grâce à nos auditions et à votre travail, j'ai beaucoup évolué. Toutes les prostituées, sauf les représentants du Nid, nous ont demandé de ne pas pénaliser les clients pour éviter d'avoir à se cacher dans des endroits dangereux. Hier encore, Médecins du Monde nous a dit : « Les prostituées vous parlent, écoutez-les avant de légiférer ». La brigade de répression du proxénétisme nous a expliqué que la pénalisation des clients serait inapplicable. Même son de cloche du côté de la justice, les magistrats estimant qu'il s'agit d'une fausse bonne idée.
Si je suis tout à fait favorable aux actions pour aider ces personnes à sortir de la prostitution, nous ne devons pas supprimer le délit de racolage : les réseaux en seraient renforcés et la police ne pourrait plus obtenir d'informations des personnes prostituées. Je ne voterai rien qui mette ces femmes en danger : il faut les défendre et en finir avec l'image du plus vieux métier du monde.
Mme Muguette Dini. - Je vous remercie pour le travail accompli. J'ai assisté à des auditions comme j'avais assisté à celles qu'avaient réalisées Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno. Chacune a apporté sa part de vérité sur ce monde inconnu qu'est la prostitution, même lorsque l'une contredisait l'autre. Les femmes prostituées sont, pour une infime minorité d'entre elles, volontaires, mais une très large majorité sont victimes de proxénètes, de conditions économiques défavorables ou encore d'elles-mêmes.
Je voterai en faveur de la pénalisation des clients, qui doivent prendre conscience qu'il n'est pas normal d'acheter un service sexuel : l'échange est par trop inégal et la prostitution n'est pas dans l'ordre des choses.
Je ne crois pas à l'efficacité des sanctions et l'État ne fera pas fortune avec les contraventions qui seront infligées aux clients. Cependant, nous pourrons utiliser l'interdit que le texte va poser pour faire de la prévention et de l'éducation. Réaffirmons que les hommes et les femmes sont égaux et qu'un corps ne s'achète pas comme une marchandise. La prostitution ne sera pas abolie, elle diminuera parce que la loi va raréfier la demande dans notre pays. Ensuite, l'Europe devra prendre le relais. Avec ce texte, nous progressons dans la bonne direction.
Mme Gisèle Printz. - Tout d'abord, félicitations à notre rapporteure et à notre président. Cette loi renforcera la lutte contre les réseaux mafieux. Les revenus de la prostitution ne doivent pas être intégrés au produit intérieur brut (PIB).
Mme Catherine Génisson. - Elle ne l'est pas chez nous !
Mme Gisèle Printz. - Dans d'autres pays, si. Et si la prostitution était un métier, pourquoi ne l'enseignerait-on pas dans les écoles ? Non, il ne faut pas intégrer ce qu'elle rapporte dans le PIB.
Mme Catherine Deroche. - À mon tour de féliciter notre rapporteure et notre président. La prostitution n'est pas un métier, mais une activité, parfois librement consentie par certaines femmes. J'en reste à ma position de départ : dans la mesure où la prostitution est autorisée et où le délit de racolage est supprimé, il serait intellectuellement incohérent de pénaliser le client. En outre, j'ai été sensible aux arguments juridiques de la CNCDH.
M. Michel Bécot. - Je salue ce travail qui m'a fait mieux connaître la prostitution. Le texte luttera efficacement contre le proxénétisme et contre la traite des personnes humaines si des moyens supplémentaires sont dégagés, ce que personne n'a encore fait. Aidons d'abord la police. Or celle-ci nous a demandé de ne pas supprimer le délit de racolage afin de pouvoir remonter les filières. Après toutes ces auditions, je ne suis pas convaincu par l'idée de pénaliser les clients, qui risque de fragiliser encore un peu plus ces femmes qui vont se retrouver dans des situations impossibles.
En revanche, je suis tout à fait favorable à la prévention et à l'accompagnement des personnes qui veulent sortir de la prostitution. Ce texte va faire prendre conscience aux clients que la prostitution n'est pas un acte normal.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. - Il m'est arrivé de travailler avec des prostituées et j'ai dû désigner des affaires au procureur de la République. Nous devons maintenant prendre notre courage à deux mains.
Je félicite notre rapporteure et notre président pour leur travail. Avec ce texte, nous en sommes à un moment crucial : il faut que cesse cette volonté de consommer à tout prix, qu'il s'agisse de biens matériels ou de corps humains. Dans son cours d'économie, ma fille a appris que la demande crée l'offre, d'où l'importance de pénaliser la demande.
Récemment, une personne proche d'un proxénète m'a dit que le milieu était ravi, car les femmes prostituées vont disposer d'un permis de séjour, ce qui aidera les proxénètes à amener de la « chair fraîche », souvent d'autres continents. Cependant, j'ai vu arriver dans des maisons de retraite des femmes âgées qui sortaient de services de psychiatrie et qui y sont devenues prostituées.
Derrière tout cela, il y a des êtres humains. J'en ai assez de voir les femmes montrées du doigt, comme si elles étaient coupables. Il est temps que les hommes se posent à leur tour des questions sur leurs choix. Certaines étudiantes se prostituent pour payer leurs études, mais parfois aussi pour s'offrir des produits de luxe. L'éducation doit mettre un terme à ces désordres qui entraînent souvent des séquelles physiques et morales ineffaçables. C'est en pénalisant les clients que nous modifierons les comportements. Les femmes ne doivent plus être considérées comme un produit de consommation par les hommes. Pour moi, le changement, c'est maintenant.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - J'ai déjà entendu cela quelque part.
Mme Christiane Kammermann. - Moi aussi, j'attends, le changement... Merci pour votre magnifique travail, madame la rapporteure, monsieur le président.
L'interdiction n'aboutira à rien et la prostitution continuera comme avant. Face à une misère sociale considérable, il importe de lutter contre les proxénètes, qui traitent les femmes de façon abominable. Je continue à m'interroger sur la pénalisation du client. J'espère me déterminer avant la fin de nos travaux.
Mme Maryvonne Blondin. - L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont présenté des recommandations sur la pénalisation du client : en réduisant la demande, elle tarira l'offre. Certains estiment que cela ne servira à rien, mais lorsqu'un employeur est contrôlé alors qu'il ne déclare pas son salarié, il est responsable du travail dissimulé et pas son salarié. Il en est de même pour ceux qui vendent du tabac ou de l'alcool aux mineurs de seize ans. Il est de notre devoir d'afficher un interdit et de dire au client qu'il est responsable de son acte. Il s'agit tout de même du corps d'autrui !
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Je travaille sur ce dossier depuis le début de la mission d'information que j'ai conduite avec Chantal Jouanno, c'est-à-dire depuis deux ans. Le débat sur le racolage et la pénalisation du client me semble fausser les données : j'ai déposé un amendement qui supprime la pénalisation des clients car cette sanction serait bien moins efficace que le délit de racolage. En outre, les forces de l'ordre et les magistrats auraient du mal à l'appliquer.
Lorsque le Sénat avait examiné la proposition de loi d'Esther Benbassa, j'avais déjà émis des réserves sur la suppression totale du délit de racolage. La situation va être paradoxale : la prostitution sera licite ainsi que le racolage, mais il y aura interdiction d'accès à quelque chose d'autorisé. Cette mesure risque d'être censurée par le Conseil constitutionnel, car la loi va dire tout et son contraire.
M. Christian Cointat. - Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. - J'ai rencontré deux fois les responsables de la brigade de répression du proxénétisme, les directeurs successifs de l'OCRTEH, des magistrats au tribunal de Paris, l'adjointe au maire de Paris en charge de ces questions et je me demande si nous ne risquons pas de réduire les moyens d'investigation de la police et de la justice en supprimant le délit de racolage.
Les Italiens nous montrent l'exemple en protégeant les personnes prostituées en cas de dénonciation et en leur offrant un accès à la justice, ce qui est au moins aussi efficace que la pénalisation des clients. Le code pénal donne tous les outils nécessaires. Encore faut-il que l'OCRTEH et la brigade de répression du proxénétisme disposent de moyens supplémentaires. C'est bien la politique qui a été suivie à l'égard des repentis en Italie, afin de lutter contre les réseaux mafieux. Il serait bon de nous en inspirer.
Quant à la pénalisation du client, j'ai des doutes sur la transformation du procès-verbal en délit. Cette transformation suppose que les clients soient répertoriés. Est-ce possible sans fichage ?
Laurence Cohen disait qu'il fallait légiférer pour la majorité. Pourtant, le législateur a toujours le souci de prendre en compte les minorités. C'est d'autant plus nécessaire, en l'occurrence, que certaines des personnes auditionnées nous ont déclaré se prostituer volontairement. Quant au problème de mise sur le marché abordé par Marie-Françoise Gaouyer, je crains que la dépénalisation du racolage ne fasse l'affaire des réseaux : ils se moquent que le client soit pénalisé, pourvu que les personnes qu'ils mettent sur le marché leur rapportent tant par jour. Pour toutes ces raisons, j'ai déposé un amendement de suppression.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous débattons, comme l'a dit Christian Cointat, d'un sujet difficile et douloureux. Si nous sommes d'accord pour considérer que la prostitution est une violence faite aux femmes, les mouvements féministes et les associations, y compris la mienne il y a une vingtaine d'années, n'ont pas toutes la même position que celle que je défends.
Lorsque l'on parle de liberté, de laquelle s'agit-il ? Est-ce celle de la personne prostituée ? Je voudrais qu'on me le démontre. J'entends dire que nous avons préparé un texte moralisateur. Il n'a jamais été question de morale dans nos propos. On nous incite au pragmatisme et à l'efficacité. Cette proposition de loi ne règlera pas tout - peut-être lui en demande-t-on trop. Elle représente une étape importante sur le chemin parcouru depuis les années 1960 par la France dans sa position abolitionniste. Qu'en est-il d'ailleurs de l'efficacité des lois contre la fraude fiscale ou la protection de l'environnement ?
Nous aurons en tout cas provoqué un changement de regard sur les personnes prostituées, que l'on ne considérera plus comme des délinquantes mais comme des victimes, sur les proxénètes et les réseaux mafieux, enfin sur les clients, que l'on regardera désormais avec moins d'indulgence.
Certaines personnes anciennement prostituées nous ont dit la honte et le dégoût de soi qu'elles avaient ressentis. Cette proposition de loi fera changer la honte de camp, comme l'ont souhaité certaines associations, et permettra que les personnes prostituées aient des relations plus confiantes avec les autorités policières et judiciaires. Espérons qu'elles reçoivent désormais la protection qu'elles méritent.
La réunion, suspendue à 16 h 35, reprend à 16 h 45
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Avec l'amendement n° 1, les travailleurs sociaux seront également formés à l'identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains.
L'amendement n° 1 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n° 2 supprime la procédure de domiciliation spécifique dont bénéficieraient les prostituées pour les démarches administratives, qui accroît le risque de stigmatisation.
Mme Laurence Cohen. - Pourquoi cet amendement ? Dès lors que la prostitution est une violence, les personnes qui y sont soumises doivent bénéficier de protections, en particulier de celle fournie par cette procédure de domiciliation auprès d'une association ou d'un avocat qui leur permet de se cacher des réseaux.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Le droit commun s'applique déjà à ces personnes. Les mesures auxquelles vous faites allusion sont prévues par l'article 1er ter.
L'amendement n° 2 est adopté ; en conséquence, l'article 1er ter A nouveau est supprimé.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'article 1er ter introduit la possibilité pour les personnes prostituées de témoigner anonymement contre leurs clients, alors que ceux-ci ne sont coupables que d'une contravention. Cette disposition présenterait un risque d'inconstitutionnalité ou de contrariété à la jurisprudence de la CEDH, d'où l'amendement n° 3 qui conserve uniquement la possibilité, pour les victimes de la traite ou du proxénétisme, de déclarer leur adresse au domicile d'un avocat ou d'une association d'aide aux personnes prostituées ainsi que de bénéficier d'une identité d'emprunt et des mesures de protection prévues par la commission nationale des « repentis ».
L'amendement n° 3 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Imposer au gouvernement l'obligation de fournir chaque année des données dans un domaine où la coopération est encore balbutiante risque d'être contreproductif. L'amendement n° 4 supprime cet article. Un amendement à l'article 18 en reprendra les dispositions afin que ces questions puissent être traitées dans le cadre du rapport plus global qui dressera le bilan de l'application de la proposition de loi deux ans après sa promulgation.
L'amendement n° 4 est adopté ; en conséquence, l'article 1er quater est supprimé.
Article additionnel après l'article 1er quater (nouveau)
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Transposant la mesure 13 du plan d'action national contre la traite des êtres humains 2014-2016, l'amendement n° 5 étend le domaine de compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains en général.
MM. Jean-Claude Requier et Michel Bécot. - Cela revient à dire que la prostitution est un travail.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les inspecteurs du travail contrôlent bien le travail au noir qui, par définition, est illégal.
Mme Maryvonne Blondin. - Il s'agit du code du travail.
Mme Esther Benbassa. - Cela veut dire que c'est un métier.
Mme Catherine Deroche. - L'amendement n'est pas limité à la prostitution.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cela concerne par exemple les salons de massage et les bars à hôtesses qui abritent parfois la prostitution.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Nous reprenons la mesure 13 du plan de lutte contre la traite, selon laquelle « il convient de modifier la loi afin d'accorder une compétence explicite aux inspecteurs du travail pour constater par procès-verbal les situations illégales de traite des êtres humains, de soumission à un travail ou à des services forcés, d'esclavage ou de pratiques analogues à l'esclavage, dans la mesure où ils sont déjà compétents pour constater les infractions pénales de conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité ».
L'amendement n° 5 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n° 6 réécrit entièrement l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles, qui définit les missions de l'État auprès des personnes « en danger de prostitution ». Il définit les missions générales d'assistance et de protection de l'État auprès des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains. L'instance chargée de suivre l'accompagnement de ces victimes sera présidée par le préfet et composée de quatre collèges de taille équivalente représentant les services de la justice, de l'État, des collectivités territoriales et des associations.
La seconde partie comporte les dispositions relatives à la sortie de la prostitution. Plutôt que de « parcours de sortie de la prostitution », on parlera d'un « projet d'insertion sociale et professionnelle » ; l'autorité administrative étant une notion trop floue, le préfet autorisera l'entrée dans ce projet et son renouvellement ; l'aide financière prévue sera versée aux personnes ne bénéficiant ni du RSA, ni de l'ATA, l'accès aux dispositifs de droit commun restant la priorité ; au moment du renouvellement du projet d'insertion, il sera tenu compte du respect par la personne de ses engagements et des difficultés rencontrées ; enfin, l'agrément, dont les conditions seront définies par décret, sera ouvert à toutes les associations ayant pour objet l'accompagnement des personnes en difficulté, pourvu qu'elles s'engagent à respecter ces conditions.
L'amendement n° 6 est adopté ; l'amendement n° 34 devient sans objet.
Mme Esther Benbassa. - L'abrogation de l'article 42 de la loi sur la sécurité intérieure, combinée à d'autres mesures prévues par le texte, aboutit à conditionner l'assistance à l'arrêt de la prostitution. Les principes de non-discrimination et d'égal accès aux droits doivent ici prévaloir : l'amendement n° 35 supprime, en conséquence, les alinéas 9 à 11 de l'article 3.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet amendement est satisfait : il n'est plus question, dans l'amendement de réécriture de l'article 3, de conditionner l'entrée dans le projet d'insertion sociale et professionnelle à l'abandon de la prostitution. Je vous proposerai à l'article 6 de supprimer expressément toute condition d'arrêt de la prostitution pour l'autorisation provisoire de séjour.
L'amendement n° 35 est retiré
Article additionnel après l'article 3
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'amendement n° 23 ajoute les personnes engagées dans un projet d'insertion sociale et professionnelle ainsi que les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme à la liste des publics prioritaires pour l'attribution des logements sociaux. Leur statut d'anciennes personnes prostituées ne doit pas être un obstacle à cette attribution.
M. Michel Bécot. - Je crains que ce soit un voeu pieux.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La liste des publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux, déjà très large, inclut ces publics. Mieux vaut veiller à une bonne application de la loi, afin que les personnes prostituées ne soient pas discriminées dans les procédures d'attribution. Evitons la stigmatisation, et la confusion qui rendrait l'article inapplicable. Pourquoi d'ailleurs ne pas étendre la liste à d'autres catégories ? Je demande le retrait de cet amendement.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Pour avoir présidé des commissions d'attribution de logements, je crains que s'il est fait état de la situation de ces personnes, la priorité soit donnée à d'autres.
Mme Catherine Génisson. - Ces personnes ne rentrent pas forcément dans la liste évoquée par notre rapporteure : elles ne sont pas toujours dans des situations de précarité extrême. Il est primordial qu'elles puissent se loger dignement dès lors qu'elles sont engagées dans un projet de réinsertion sociale. Les commissions d'attribution de logement n'ont d'ailleurs pas à faire état publiquement des motifs d'attribution.
L'amendement n° 23 est adopté.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - L'article 4 prévoyant d'affecter au fonds pour la prévention de la prostitution une partie du produit des amendes perçues auprès des clients, les amendements déposés sur cet article seront examinés après les articles 16 et 17, puisqu'il s'agit de mesures de cohérence avec ces articles.
L'article 4 est réservé.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet article subordonne l'octroi d'une autorisation provisoire de séjour de six mois non seulement à l'engagement de la personne prostituée dans le parcours de sortie de la prostitution créé par l'article 3, mais aussi à la cessation de son activité de prostitution. Or les deux ne sont pas forcément simultanés, la seconde s'opérant souvent de manière progressive. L'amendement n° 9 supprime donc cette deuxième condition.
L'amendement n° 9 est adopté ; l'amendement n° 21 devient sans objet.
M. Jean-Pierre Godefroy. - La CNCDH recommande dans son avis du 22 mai 2014 que soit délivrée de plein droit à tout étranger à l'égard duquel des éléments concordants laissent présumer qu'il est victime de traite ou d'exploitation une autorisation provisoire de séjour puis une carte de séjour temporaire avec la mention « vie privée et familiale ». Dans cet esprit, l'amendement n° 25 fait de la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour des victimes de la traite et du proxénétisme une garantie et non plus une faculté laissée à l'appréciation du préfet. Afin que les personnes prostituées, qui vivent dans une complète clandestinité, retrouvent leur liberté ainsi que la possibilité de parler et de participer au démantèlement des réseaux criminels, la protection doit leur être assurée.
M. Michel Bécot. - Ne créera-t-on pas ainsi un appel d'air incitant d'autres personnes à venir se prostituer en France ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Encore faudra-t-il, pour bénéficier de cette protection, s'engager dans un parcours.
M. Michel Bécot. - Comment être sûr qu'elles y resteront ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Sinon, la protection est retirée.
Mme Catherine Génisson. - Nous sommes tous d'accord sur le constat ; au-delà des pétitions de principe, il nous incombe d'apporter à la prostitution des réponses pragmatiques.
M. Christian Cointat. - Je suis d'accord avec cet amendement : à défaut d'un tel permis, ces personnes ne porteront pas plainte. Dès lors qu'elles seront engagées dans le parcours de sortie de la prostitution, il leur sera difficile de tricher : cela leur coûterait cher.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Modifié par l'amendement n° 9, l'article 6 a atteint un équilibre : si l'amendement n° 21 était trop restrictif, celui-ci, et d'autres à sa suite, tombent dans l'excès inverse en instaurant une compétence liée pour le préfet dans la délivrance et le renouvellement du titre, y compris dans le cas de personnes qui dénoncent leur réseau ou témoignent contre lui dans une procédure pénale.
Il est nécessaire, dès lors que nous supprimons la condition de sortie de la prostitution, que le préfet garde un pouvoir d'appréciation pour l'octroi de l'autorisation provisoire de séjour aux personnes engagées dans le projet d'insertion ; et plus encore en matière de procédure pénale, où existe un risque de dénonciations calomnieuses et de faux témoignages. Mon avis est donc défavorable.
Mme Maryvonne Blondin. - Tout en ayant cosigné cet amendement, je m'interroge sur la compétence du préfet.
M. Christian Cointat. - Mon expérience de représentant des Français établis hors de France me fait préférer le présent au conditionnel : les visas qui peuvent être délivrés ne le sont jamais, parce que l'administration ne veut pas prendre de risque. Il vaut mieux signifier la volonté claire du législateur, quitte à déplaire à l'administration.
L'amendement n° 25 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 36 refuse que soient traitées différemment les victimes qui continuent l'activité de prostitution et celles qui l'ont cessée et ont déposé plainte contre les réseaux. Dans son avis du 22 mai 2014, la CNCDH recommande qu'un titre de séjour temporaire soit remis de plein droit et sans condition à tout étranger à l'égard duquel des éléments concordants laissent présumer qu'il est victime de traite ou d'exploitation. La commission rappelait, dans une étude d'octobre 2010, que « subordonner leur délivrance à la cessation d'une activité licite constitue une discrimination, en violation des textes internationaux auxquels la France est partie ».
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Il est contre-productif d'écrire que cette condition n'est pas demandée lorsqu'aucun texte ne l'exige. L'article R. 316-4 du code de l'entrée et du séjour prévoit seulement que la personne ne doit pas avoir renoué de lien avec le proxénète qu'elle dénonce.
L'amendement prévoit ensuite que le titre de séjour soit délivré à la prostituée engagée dans le parcours de sortie sans que le préfet conserve une marge d'appréciation, ce que je désapprouve d'autant plus que nous avons également proposé la suppression de la condition de sortie de la prostitution. Mon avis est défavorable.
Mme Esther Benbassa. - Je suis perplexe : on se priverait d'un moyen d'appréhender les proxénètes.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - La partie de votre amendement relative au début de l'alinéa 5 est satisfaite ; seule reste votre première demande sur la condition de cessation de l'activité de prostitution.
Mme Laurence Cohen. - Cet amendement est intéressant, car certaines personnes prostituées auront besoin de temps pour s'insérer dans un processus de sortie.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Ce point est satisfait par l'amendement n° 26.
M. Christian Cointat. - Soyons prudents : la loi n'interdit pas la poursuite de l'activité de prostitution mais, dès lors que nous le soulignons, nous créons un appel d'air qui fera affluer des prostituées. Comme l'a bien dit la rapporteure, il n'est pas opportun d'attirer l'attention sur l'absence de cet interdit.
L'amendement n ° 36 est retiré.
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'amendement n° 28 relève de six mois à un an la durée de l'autorisation provisoire de séjour délivrée à l'étranger victime de proxénétisme ou de traite des êtres humains engagé dans un projet d'insertion sociale et professionnelle. Même si cette autorisation est renouvelable, six mois semblent courts pour envisager une véritable sortie de la prostitution.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Il serait peu cohérent d'accorder un droit de séjour plus long à la prostituée engagée dans le projet d'insertion qu'à celle qui dénonce des faits criminels à ses risques et périls. Avis défavorable.
Mme Muguette Dini. - Ne peut-on régler le problème en portant les deux à un an ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - C'est d'ordre règlementaire. Nous pouvons interroger le Gouvernement...
M. Christian Cointat. - Nous sommes les législateurs, nous n'avons pas d'avis à demander au Gouvernement. Nous savons que six mois sont insuffisants, même si cette durée est plus acceptable politiquement. Prenons nos responsabilités, passons à un an.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Il y aura un débat en séance avec le Gouvernement.
Mme Muguette Dini. - Je demande un sous-amendement de cohérence.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Nous y penserons, c'est promis
L'amendement n ° 28 est adopté.
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'amendement n° 26 complète le précédent et donne satisfaction à Esther Benbassa sur celui qu'elle a retiré.
L'amendement n° 26 est adopté.
M. Jean-Pierre Godefroy. - La carte de séjour temporaire délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse des infractions de proxénétisme ou de traite des êtres humains sera renouvelée de droit pendant toute la durée de la procédure pénale. L'amendement n° 27 applique le même principe aux personnes engagées dans un projet d'insertion sociale et professionnelle tel qu'il est prévu à l'article 3.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - J'y suis défavorable, selon la même logique que précédemment.
L'amendement n° 27 est adopté ; l'amendement n° 37 devient sans objet.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement de simplification rédactionnelle n° 19 tire les conséquences des modifications introduites à l'article 3 de façon à retenir la définition la plus large possible du champ des associations qui pourront bénéficier de l'allocation de logement temporaire.
L'amendement n° 19 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les violences, agressions sexuelles et viols sont des faits d'une extrême gravité ; l'amendement n° 10 refuse cependant qu'ils soient considérés par principe comme plus graves s'ils concernent une personne qui se prostitue. Le droit commun comprend déjà des dispositions protectrices pour les personnes prostituées en situation de vulnérabilité.
L'amendement n° 10 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Tout en opérant une simplification rédactionnelle, l'amendement n° 11 refuse que les associations d'utilité publique qui interviennent auprès des personnes en danger de prostitution puissent exercer les droits de la partie civile sans l'accord de la victime. Les associations reconnues d'utilité publique pourraient se porter partie civile dans les affaires de réduction en esclavage, d'exploitation d'une personne réduite en esclavage, de traite des êtres humains, de proxénétisme, de recours à la prostitution, de travail forcé et de réduction en servitude, même sans l'accord de la victime. Une telle différence de régime entre les associations déclarées depuis cinq ans, qui ne pourront pas intervenir sans l'accord de la victime, et les associations reconnues d'utilité publique n'est pas fondée. Il est préférable dans tous les cas que la victime donne son accord pour être aidée par une association.
M. Jean-Pierre Godefroy. - On sait que ces personnes sont exposées à des représailles ; une association se portant partie civile sans leur accord leur ferait courir un risque qu'elles ne souhaitent pas assumer.
L'amendement n° 11 est adopté.
Article additionnel après l'article 14
Mme Esther Benbassa. - Il semble indispensable de réformer le repérage et la prise en charge des prostitués mineurs, et d'améliorer la connaissance de ce phénomène inquiétant : c'est le but de l'amendement n° 38. Une étude doit également être menée sur la prostitution des étudiants.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'article 18 prévoit déjà que le sujet de la prostitution des mineurs sera traité dans le rapport qui sera publié deux ans après la promulgation de la loi. En revanche, rien n'existe sur la question de la prostitution des étudiants. Plutôt que d'ajouter une demande de rapport, je vous propose de sous-amender l'amendement de réécriture de l'article 18 que je vous présenterai. Le rapport porterait ainsi sur l'évolution « de la situation, du repérage et de la prise en charge des mineurs victimes de la prostitution et des étudiants contraints de s'y livrer ».
M. Jean-Pierre Vial. - Seul le délit de racolage rend possible de répertorier un tel public.
Mme Laurence Cohen. - Internet aussi.
L'amendement n° 38 est retiré.
Intitulé du chapitre II
L'amendement n° 33 est devenu sans objet.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n° 13 réécrit l'article 14 ter. L'accompagnement sanitaire des personnes prostituées ne saurait relever exclusivement de l'État. Quant aux mesures de prévention qui seront mises en place, le terme risques est préférable à celui de dommages, dont le périmètre est plus difficile à interpréter.
L'amendement n° 13 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Afin de rendre plus lisibles et plus efficaces les dispositions des articles 15 et 15 bis A, l'amendement n° 14 crée un nouvel article dans le code de l'éducation prévoyant une information sur les « réalités de la prostitution » et sur les « enjeux liés aux représentations sociales du corps humain », de manière que soient abordés des sujets plus larges que ceux relatifs à la seule « marchandisation des corps ».
M. Christian Cointat. - Que veut dire exactement « représentation sociale du corps humain » ?
M. Jean-Pierre Michel. - Je suis d'accord avec l'amendement, mais si le texte venait en séance, il conviendrait de préciser que cette information ne doit être dispensée ni par des policiers ni par des gendarmes. Celle qu'ils donnent dans les établissements scolaires sur les substances toxiques est une véritable publicité.
Mme Catherine Génisson. - Pourquoi ne pas exiger simplement une formation particulière pour traiter de ces questions ? Je suis moins pessimiste que Jean-Pierre Michel sur les capacités des forces de l'ordre.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les « enjeux liés aux représentations sociales du corps humain », c'est tout ce qui concourt aux clichés sur les rôles des hommes et des femmes.
M. Christian Cointat. - Est-ce une notion reconnue juridiquement ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Ni plus ni moins que « marchandisation des corps ». Les représentations sont par exemple les publicités, les images médiatiques et tout ce qu'elles véhiculent.
Mme Muguette Dini. - Est-on obligé d'écrire « sociales » ?
Mme Catherine Génisson. - « Sociétales » serait mieux, quoiqu'il me semble préférable à moi aussi de supprimer simplement l'adjectif.
M. Christian Cointat. - Si ce n'est pas un terme juridique, vous aurez des questions en séance.
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'égalité entre les femmes et les hommes est en jeu ici, ainsi que l'image de la femme. Cette formule, plus large que celle de « marchandisation » nous a paru favoriser une formation plus étendue.
M. Gérard Roche. - Voilà encore le langage ésotérique des législateurs, alors qu'il s'agit de s'adresser à des enfants ou à leurs parents. « Marchandisation » est bien plus compréhensible.
Mme Esther Benbassa. - Je serais d'accord, s'il ne s'agissait que de mes enfants, mais vous vous exposez à une nouvelle polémique, après celle sur les ABCD de l'égalité, dans lesquels il n'y avait cependant pas grand-chose. Si l'on parle maintenant aux parents de « marchandisation des corps » et de « réalités de la prostitution », on est perdus.
M. Jean-Pierre Michel. - L'expression « représentations sociales du corps humain » est trop large. Ces représentations constituent des espèces de prototypes ; il y a par exemple une représentation sociale de la mère de famille, astreinte aux tâches domestiques.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous proposons d'écrire : « Une information sur les réalités de la prostitution est dispensée dans les collèges et les lycées par groupes d'âge homogènes. Elle porte également sur les enjeux liés aux représentations sociales du corps humain. »
M. Gérard Roche. - Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.
L'amendement n° 14 est adopté.
Article 15 bis A (nouveau)
L'amendement de conséquence n° 15 est adopté et l'article 15 bis A est supprimé.
Article additionnel après l'article 15 bis A (nouveau)
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les préoccupations exprimées par Hélène Masson-Maret dans son amendement n° 22 me semblent en grande partie satisfaites par le droit existant puisque l'article L. 312-17-1 permet d'ores et déjà d'aborder les questions relatives à la lutte contre les préjugés sexistes, contre les violences faites aux femmes et contre les violences commises au sein du couple. Mon amendement à l'article 15 prévoit une information sur les réalités de la prostitution ainsi que sur les enjeux liés aux représentations sociales du corps humain. Enfin, l'article 15 bis précise le contenu de l'éducation sexuelle à l'école. Je vous proposerai un amendement visant à ce que ces séances d'éducation sexuelle présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes et contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain.
L'amendement n° 22 n'est pas adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n° 16 reformule l'article 15 bis pour bien marquer que l'éducation à la sexualité présente une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes et contribue à l'apprentissage du respect du corps humain.
L'amendement n° 16 est adopté.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Nous en venons à l'amendement n° 20, qui supprime l'article 16. Nous en avons parlé longuement, je ne refais pas le plaidoyer...
Mme Catherine Génisson. - Nous poursuivons tous le même but, il n'y pas les vertueux d'un côté, les méchants de l'autre. Je réfute la comparaison entre l'interdiction de la prostitution et l'interdiction de la consommation de tabac ou d'alcool.
Mme Maryvonne Blondin. - Je parlais de l'efficacité de la loi.
Mme Catherine Génisson. - On ne peut comparer la consommation du corps humain à celle de ces produits !
M. Christian Cointat. - D'autant plus que ce n'est pas le tabac qui demande à être payé.
Mme Catherine Génisson. - La pénalisation du client, un signal fort ? Je crains qu'elle soit surtout contreproductive : on va jeter ces femmes dans la clandestinité, la prostitution continuera de prospérer sur internet ou dans les salons de massage. Ce n'est pas rendre service à ces femmes qui sont des esclaves modernes. Renforçons plutôt la lutte contre la traite, avec des mesures efficaces comme l'octroi d'autorisations de séjour.
Mme Esther Benbassa. - Je suis tout à fait d'accord avec Catherine Génisson. La pénalisation serait contreproductive et préjudiciable. Les riches clients y échapperont sans difficulté, et recevront simplement les call girls à l'hôtel.
M. Michel Bécot. - Bien sûr !
Mme Esther Benbassa. - Notre souci doit être de protéger ces femmes qui vont se retrouver dans la clandestinité, face à des clients rendus plus exigeants, qui leur imposeront des rapports non protégés. Les associations auront plus de mal à leur distribuer des moyens de protection, à leur prodiguer aide et conseils. Ces femmes seront isolées et donc fragilisées. Elles disparaitront de notre vue. Comment dès lors les faire adhérer à des projets de réinsertion ? En Suède, la prostitution de rue aurait disparu ? Elle n'a jamais été bien importante, dans un pays où il neige sept mois par an... Ne précarisons pas davantage ces femmes. Ce n'est pas le client que nous pénaliserions, mais elles !
Mme Laurence Cohen. - Il n'y pas ici le camp des bons et le camp des méchants. Cela dit, pénaliser le client ne se fait nullement au détriment de la prévention. Ne caricaturons pas les choses : la Suède mène un combat important contre les réseaux qui sévissent sur internet. La pénalisation du client est un moyen, même s'il n'est pas le plus efficace...
Mme Catherine Génisson. - On va précariser les plus précaires.
Mme Laurence Cohen. - Il est bon de responsabiliser ceux qui ont recours aux actes sexuels tarifés.
Mme Maryvonne Blondin. - Jamais je n'ai comparé le corps de la femme à l'alcool ou au tabac. J'ai simplement rappelé qu'en cas de travail au noir, c'est l'employeur qui est condamné, et qu'il fallait songer à l'efficacité de la loi.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Pour étayer mon argumentation, j'aurais pu citer l'avis du Conseil du droit pénal du Danemark, qui a renoncé à la pénalisation du client, tout comme le Parlement écossais. La présidente de la CNCDH, plutôt favorable à la pénalisation il y a un an, a changé d'avis. Enfin, dans un arrêt de 2005, la CEDH a estimé que les relations sexuelles entre adultes sont libres et échappent à l'ingérence des pouvoirs publics du moment qu'aucune contrainte n'est exercée.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Ce texte forme un tout. L'article 13 abroge le délit de racolage, l'article 6 aide les personnes prostituées étrangères, on accompagne les associations. On ne peut se désintéresser du client : la contravention est une partie intégrante de cette proposition de loi.
Les amendements identiques nos 20 et 39 sont adoptés.
En conséquence, l'article 16 est supprimé et l'amendement n° 31 devient sans objet.
Article 17
Les amendements identiques de coordination nos 29 et 40 sont adoptés.
En conséquence, l'article 17 est supprimé et l'amendement n° 17 devient sans objet.
Chapitre IV
L'amendement n° 30 est adopté. En conséquence le chapitre IV et son intitulé sont supprimées.
Article 4 (précédemment réservé)
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'article 4 crée un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées qui sera notamment chargé du projet d'insertion sociale et professionnelle. L'amendement n° 7 lui affecte l'ensemble des recettes provenant de la confiscation des biens et produits des proxénètes.
L'amendement n° 7 est adopté.
L'amendement n° 8 est devenu sans objet.
L'amendement n° 24 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n°41 prévoit que les ressources du fonds seront complétées par les confiscations opérées sur les personnes coupables de traite des êtres humains.
M. Jean-Pierre Michel. - Très bien.
L'amendement n° 41 est adopté.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'amendement n° 18 regroupe toutes les demandes de rapport dans un seul article. Je le rectifie pour demander que le rapport traite des étudiants contraints de se livrer à la prostitution, comme l'a demandé Esther Benbassa. Il faut en outre supprimer le 1°, qui renvoyait à la création de l'infraction de recours à la prostitution.
L'amendement n° 18 rectifié est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'amendement n° 32 propose comme intitulé : « proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l'accompagnement des personnes prostituées ».
Mme Muguette Dini. - Très bien.
M. Christian Cointat. - Très bien.
Mme Catherine Deroche. - Très bien.
L'amendement n° 32 est adopté.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi ainsi amendée.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Avec la suppression de l'article 16, le texte qui sort de la commission spéciale est dénaturé. Néanmoins, il contient de réelles avancées sur l'accompagnement des personnes prostituées et la lutte contre les réseaux. Je m'abstiendrai.
Mme Laurence Cohen. - Même argumentation.
M. Jean-Claude Requier. - Je m'abstiens également.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission spéciale est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est levée à 18 h 05