- Mardi 24 juin 2014
- Proposition de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Agence française de développement (AFD) pour la période 2014-2016 - Examen de l'avis
- Audition de M. Ranko Krivokapic, président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et du Parlement du Monténégro
- Exécution de la loi de programmation militaire pour l'année 2013 et pour la période 2014-2019 - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Mardi 24 juin 2014
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président. -La réunion est ouverte à 14 h 45
Proposition de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Agence française de développement (AFD) pour la période 2014-2016 - Examen de l'avis
La commission examine l'avis de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, rapporteurs, sur la proposition de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Agence Française de Développement (AFD) pour la période 2014-2016.
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur. - A l'initiative de notre commission, l'article 1er de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat prévoit que celui-ci - l'Etat - conclut une convention pluriannuelle avec les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France ; cette convention « définit, au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de [leurs] missions ».
Conformément à ce même article, le projet de convention nous a été transmis pour que nous puissions, dans un délai de six semaines, émettre un avis. C'est pourquoi nous avons auditionné la semaine dernière la directrice générale de l'AFD. Il aurait été utile d'entendre également, au nom de l'Etat, la secrétaire d'Etat chargée du développement, mais les contraintes de calendrier n'ont pas permis d'envisager cette possibilité.
Nous voudrions tout d'abord faire un point rapide sur la situation de l'AFD qui a connu d'importantes évolutions ces dernières années.
Créée pendant la Seconde guerre mondiale, l'AFD est un EPIC dont les missions sont définies dans la partie réglementaire du code monétaire et financier : elle contribue, d'une part, à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger, d'autre part, au développement des départements et collectivités d'outre-mer.
L'agence a ainsi une double mission (à l'étranger et outre-mer) mais elle relève en même temps d'une double logique, celle d'une agence de coopération et celle d'un établissement bancaire. Opérateur pivot de la coopération française, bras séculier de notre diplomatie dans les pays du Sud ou « principal canal par lequel transite l'aide programmable bilatérale », pour reprendre la formulation - technocratique... - du projet de loi de programmation que nous venons d'adopter, l'AFD est un acteur singulier et essentiel. Ces différentes facettes expliquent d'ailleurs peut-être la relative incompréhension qui a toujours existé parmi les parlementaires sur son fonctionnement.
L'AFD finance des actions dans plus de 90 pays ou territoires, dispose d'un réseau de 70 agences (outre-mer et dans le monde) et emploie environ 1 740 personnes dont environ 700 sont basées à l'étranger.
Sur le plan financier, les engagements de l'AFD ont progressé de manière spectaculaire ces dernières années : ils s'élevaient à 1,8 milliard d'euros en 2004 et 7,5 milliards en 2013, soit un quadruplement en dix ans. En 2013, l'agence a consacré 80 % de ses engagements à l'étranger et 20 % aux outre-mer.
Cette progression considérable ne provient en fait que du développement de l'octroi de prêts par l'AFD, et singulièrement de prêts non bonifiés. Les subventions et dons sont restés globalement stables autour de 1 milliard d'euros entre 2007 et 2013, ils ont précisément progressé de 7 % en six ans. Tandis que les prêts bonifiés sont passés de 1,4 milliard à 1,9 milliard, soit un accroissement de 35 %, et les prêts non bonifiés sont passés de 0,5 à 3 milliards, soit une hausse de 577 %... Les prêts non bonifiés représentaient ainsi 15 % des engagements de l'AFD en 2007, mais un peu plus de la moitié en 2013 !
Or les prêts, qui plus est quand ils ne sont pas bonifiés, ne peuvent pas bénéficier aux pays pauvres, mais plutôt aux pays émergents. D'ailleurs, on peut noter que, alors que les activités de l'agence à l'étranger faisaient plus que doubler entre 2007 et 2013, l'aide publique au développement française, telle que calculée par l'OCDE, ne passait que de 0,38 % du RNB à 0,41 %.
Finalement, le groupe AFD a atteint une taille financière très significative, puisque le total consolidé de son bilan s'élève à 25,7 milliards d'euros à la fin de 2013, en progression de 10 % par rapport à 2012, cette variation provenant principalement de l'augmentation de l'encours brut de prêts.
En ce qui concerne la répartition géographique de l'activité de l'AFD, l'Afrique subsaharienne en représente 37 %, l'outre-mer 20 % et la Méditerranée 11 %.
Mais si l'on va un peu plus loin dans l'analyse, l'ensemble des seize pays pauvres prioritaires définis par la France ne représentaient que 11 % des autorisations d'engagement de l'AFD à l'étranger en 2013.
La liste des premiers pays d'intervention rassemble surtout des « grands émergents » : ce sont dans l'ordre la Colombie, le Brésil, l'Inde, la Turquie, le Maroc, l'Indonésie, le Sénégal, le Cameroun, le Kenya, le Nigeria et le Gabon. Un seul - le Sénégal - appartient à la liste des PPP. Les dix premiers pays d'intervention, hors Sénégal, représentent 55 % de l'activité de l'agence, sans pour autant appartenir au le champ des pays dits prioritaires.... Comme on le voit sur le graphique suivant, le constat est le même en analysant les statistiques sur deux années (2012 et 2013) : dans ce cas, l'AFD a consacré 12 % de ses financements aux PPP.
Dernier aspect : la répartition sectorielle des activités de l'agence. On peut relever que les secteurs dits traditionnels représentent assez peu en définitive : 4,5 % pour l'agriculture, 6,5 % pour l'environnement et les ressources naturelles, 10 % pour l'eau et l'assainissement ou encore 10 % pour l'éducation et la santé. Dans le même temps, l'agence consacre 44 % de son activité aux infrastructures et au développement urbain et 21 % au secteur productif (soutien aux entreprises).
Une fois ce tableau général dressé, venons-en maintenant au projet de COM qui nous est soumis par le Gouvernement et l'AFD. Il nous a été amplement présenté la semaine dernière, nous ne reviendrons que sur les points saillants.
Tout d'abord, la question générale du calendrier. Ce projet a été négocié à la fin de l'année dernière et au début de cette année ; il fait en conséquence référence au « projet » de loi d'orientation et de programmation tel que déposé par le Gouvernement sur le bureau des assemblées, non à la loi que nous avons adoptée hier.
Il nous semble indispensable de poser comme principe que le COM doit intégrer l'ensemble des modifications apportées par le Parlement - singulièrement par le Sénat... - au texte initialement proposé. Comment envisager que la loi ne s'impose pas à un contrat passé entre l'Etat et son opérateur ?
Cela concerne en premier lieu l'évolution du dispositif français d'évaluation : le COM doit pleinement intégrer la volonté du législateur de regrouper les services de l'AFD, du ministère de l'économie et du ministère des affaires étrangères dans un observatoire indépendant présidé alternativement par un député et un sénateur.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Deuxième point essentiel de nos remarques : le projet ne contient que très peu d'éléments sur les « moyens ».
Le projet de COM fixe d'abord un objectif de « croissance maîtrisée » du volume d'activité qui ne devra augmenter que de 9 % entre 2013 et 2016 pour atteindre 8,5 milliards d'euros, dont 1,6 milliard pour les outre-mer (1,5 en 2013 et 2014). Il faut remettre cet objectif en perspective des années passées où l'activité de l'agence augmentait plutôt de 10 % par an...
Cette cible sera atteinte, selon le projet de COM, grâce à trois vecteurs :
- l'amélioration du résultat qui, après 92 millions d'euros en 2013, devra atteindre 120 millions cette année et 135 millions en 2016 ;
- cette progression devra résulter d'une maîtrise des charges et d'une poursuite de l'amélioration du coefficient d'exploitation. Les charges ne pourront pas progresser au total de plus de 4,6 % entre 2013 et 2016 ;
- enfin, troisième aspect, le renforcement des fonds propres.
Historiquement, le résultat annuel était mis en réserve pour consolider les fonds propres, particulièrement nécessaires à l'agence en tant qu'établissement bancaire. Le modèle économique est en effet basé sur des engagements de prêts à long terme assis sur le résultat pour couvrir les risques. Or depuis 2004, l'Etat a prélevé tout ou partie du résultat de l'AFD : 100 % en 2006-2008 puis une moyenne de 76 % entre 2009 et 2012.
Cette pratique n'était pas durable pour l'agence, au moins pour deux raisons. D'une part, le renforcement des contraintes prudentielles internationales, notamment du fait des nouvelles règles dites de « Bâle III », nécessite une progression des fonds propres. D'autre part, ces mêmes règles interdisent à tout établissement de dépasser une exposition égale à 25 % des fonds propres sur une seule contrepartie, c'est-à-dire en pratique pour l'agence, sur un Etat. De ce fait, l'agence est déjà obligée de limiter ses interventions dans plusieurs pays historiques et importants pour la France, comme le Maroc, la Tunisie ou le Viêt-Nam.
Dans ces circonstances, un arbitrage interministériel a eu lieu le 8 novembre dernier ; il porte sur quatre points :
- une opération d'ordre comptable, pour un montant total de 840 millions d'euros, permettant de transformer en fonds propres une dette longue existante de l'agence envers l'Etat constituée d'emprunts sur trente ans. Le 28 mars dernier, une lettre du ministre de l'économie et des finances à l'AFD a précisé que cette évolution serait réalisée entre 2015 et 2017 mais sans indication des volumes annuels ;
- l'abaissement du dividende versé par l'Etat qui sera limité à 20 %. La lettre du ministre de l'économie précise que le prélèvement de l'Etat s'élèvera encore à 40 % pour le résultat des comptes 2013 et à 20 % pour 2014-2016 ; il serait ensuite réévalué ;
- la maîtrise des charges et l'augmentation du résultat ;
- enfin, « en tant que de besoin », l'annulation de dettes longues de l'agence envers l'Etat pour un montant maximal de 200 millions. Ce quatrième outil n'est pas même mentionné dans la lettre du ministre de mars dernier.
Pour protéger l'agence, qui a besoin de stabilité et de prévisibilité, le COM devrait intégrer précisément les conditions de l'arbitrage interministériel de novembre, à la fois pour l'opération de reclassement comptable, le plafonnement du reversement du dividende à l'Etat et l'éventuelle annulation de dette. Dans la rédaction qui nous est soumise pour avis, il est simplement fait référence à cet arbitrage interministériel, sans autre précision et alors même qu'il n'a pas été rendu public jusque-là... C'est pourtant bien l'objet du contrat d'objectifs et de moyens de fixer précisément les engagements réciproques de ce type.
Troisième point de nos remarques, la répartition géographique des activités de l'AFD.
Nous avons déjà évoqué à l'instant les évolutions très importantes dans l'utilisation des différents outils de l'aide au développement ; or ces évolutions ont un impact sur la répartition géographique des activités de l'AFD puisque les prêts ne peuvent pas être mobilisés, ou très peu, vers les pays pauvres.
Pour autant, nous devons aussi être conscients du fait que ces prêts sont un outil très utile pour la France, notamment en termes d'influence et de diplomatie économique dans les pays émergents, et ont un coût budgétaire relativement faible. Faciliter par un prêt le financement d'un grand projet d'infrastructure en Chine, en Indonésie ou au Brésil doit permettre d'entraîner de l'expertise française et, le cas échéant, des contrats pour des entreprises françaises. De ce point de vue, si l'AFD n'est pas une banque du commerce extérieur, elle est tout de même amenée aujourd'hui à jouer un rôle plus large que celui d'acteur de la politique de développement.
Si le COM reprend les objectifs de la loi d'orientation sur la répartition géographique (85 % de l'effort financier global pour l'Afrique et la Méditerranée ; les deux tiers des subventions pour les pays pauvres prioritaires), il ne s'agit pas d'une évolution puisque les résultats de l'agence pour la période précédente sont en ligne avec ces objectifs.
Surtout, ces objectifs risquent de masquer un engagement limité envers les PPP, comme nous l'avons vu tout à l'heure.
Or il ne nous semble pas que ces différents éléments soient antinomiques : la France peut continuer de s'appuyer sur les prêts dans les pays émergents, mais doit parallèlement « réinvestir » sur les PPP pour éviter l'impression de décalage entre les ambitions et les moyens. Le COM devrait donc inclure un objectif d'effort financier global sur les PPP, ainsi que sur le Sahel qui constitue une zone particulière et qui faisait l'objet d'un indicateur dans le COM précédent. Ces objectifs exprimés par rapport à l'effort financier, et non par rapport aux seules subventions, permettraient d'avoir une meilleure vision des réalités de notre politique.
Conséquence de cette ligne de conduite : si nous voulons afficher un objectif ambitieux vis-à-vis des PPP dans le contexte contraint des finances publiques, il nous semble nécessaire de réévaluer le niveau des contributions françaises aux organismes et fonds multilatéraux. Ceux-ci mènent des actions importantes et ont souvent mis en oeuvre des programmes réussis mais, par exemple dans le domaine de la santé, la France contribue parmi les premiers à un ensemble de fonds dits verticaux relativement dispersés. Ceci relève d'abord du Gouvernement et d'une décision stratégique, non de l'AFD dont la mission est de gérer pour l'Etat une grande part de l'aide bilatérale.
Cela nous amène cependant à notre quatrième point.
Le projet de COM reste très en retrait en ce qui concerne la coordination des bailleurs de fonds. Or elle est essentielle au regard du paysage actuel des acteurs de l'aide, notamment caractérisée par la montée en puissance des organismes multilatéraux, des fonds privés et de certains pays qui étaient auparavant - et parfois, encore - considérés comme des pays en développement (Chine, pays du Golfe...).
Le COM doit donc intégrer des objectifs plus ambitieux de coordination des bailleurs de fonds.
Dernier point de notre avis sur ce COM : les secteurs d'intervention.
Contrairement au COM précédent, ce projet ne contient pas d'objectifs en termes de secteurs d'intervention de l'agence, même si les grands enjeux de la politique de développement et de solidarité internationale sont fixés en introduction.
On peut tout d'abord regretter sur le plan symbolique que, pages 13 et 14 du projet de COM, la lutte contre la pauvreté soit mentionnée en deuxième position après le développement économique, même s'il est évident que le développement économique est primordial pour lutter contre la pauvreté.
Il nous semble en tout cas que le Gouvernement et l'AFD ne doivent pas délaisser les secteurs traditionnels d'intervention, comme l'agriculture ou l'eau, qui continuent de constituer des besoins et des demandes fortes de la part des populations locales. En outre, les modalités de déploiement de nos actions de coopération doivent être attentives à l'exercice des fonctions régaliennes dans les pays partenaires : les efforts de développement sont inefficaces voire inutiles si l'Etat de droit est inexistant ou si l'Etat s'effondre...
En conclusion, le projet de COM qui nous est soumis contient de nombreux objectifs, qui sont d'importance inégale. Il s'appuie sur quatre éléments généraux positifs :
- une croissance maîtrisée du volume d'activité de l'AFD, après une phase de progression très forte ;
- l'amplification de la prise en compte de partenariats différenciés qui soient adaptés aux niveaux de développement des pays partenaires ;
- une priorité marquée et transversale pour le développement durable ;
- l'idée de partenariats, notamment avec les collectivités locales, la société civile ou les entreprises.
Ce projet ne pose donc pas de problèmes particuliers et va plutôt dans le bon sens. Nous vous proposons d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve des différents éléments que nous venons de vous présenter et qui sont précisément mentionnés dans la note que nous vous avons distribuée.
M. Robert Hue. - Je partage les remarques qui viennent d'être formulées par les rapporteurs. Elles sont dans la continuité de ce que nous disons depuis plusieurs années mais qui a parfois du mal à être entendu... Certes, la situation s'est améliorée mais nous avons encore senti la semaine dernière, lors de l'audition de la directrice générale de l'AFD, les grandes réticences sur certains sujets, par l'exemple l'évaluation. L'AFD a une conception très « économiste » de son rôle : la part importante prise par certains secteurs d'intervention comme les infrastructures ou le soutien aux entreprises le montre clairement, alors que ces secteurs sont parfois bien éloignés de ce que souhaitent les populations. Enfin, nous avons aussi dénoncé la volonté de l'Etat de récupérer une part importante de dividende alors que cette vision est évidemment de courte vue.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Les rapporteurs ont diffusé le projet d'avis qui est favorable sous réserve des modifications qu'ils ont indiquées sur cinq points : les conséquences à tirer de l'adoption de la loi ; les moyens ; la répartition géographique ; la coordination avec les autres bailleurs de fonds ; les secteurs d'intervention.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Nous sommes dans la continuité des travaux de la commission depuis des années et dans celle de nos positions durant l'examen du projet de loi d'orientation. A force de taper sur le clou, on finit par l'enfoncer...
La commission adopte à l'unanimité l'avis tel que présenté par les rapporteurs.
Audition de M. Ranko Krivokapic, président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et du Parlement du Monténégro
La commission auditionne M. Ranko Krivokapic, président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et du Parlement du Monténégro.
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons pour cet échange devant notre commission. Vous êtes président du parlement de votre pays, le Monténégro, depuis 2003 et président de l'assemblée parlementaire de l'OSCE depuis juin 2013.
Ces deux fonctions éminentes vous mettent au coeur des deux problématiques que je vous propose d'aborder au cours de notre échange : d'une part, la volonté du Monténégro de rejoindre l'Union européenne et aussi l'OTAN et, d'autre part, le rôle joué par l'OSCE dans la résolution des crises régionales - je pense bien évidemment à la crise ukrainienne.
Depuis 2006, après la séparation par référendum d'avec la Serbie, votre pays est indépendant. Vous avez signé très rapidement un accord d'association et de stabilisation avec l'Union européenne, en 2007. Il est entré en vigueur en 2010, année où vous avez obtenu le statut de candidat.
Vous êtes donc dans le processus de négociation, et celui-ci porte principalement sur les chapitres 23 et 24, qui traitent du pouvoir judiciaire, de la justice et des droits fondamentaux. L'un des enjeux sera pour vous la réforme de l'administration, en particulier sa dépolitisation et sa professionnalisation, la lutte contre la corruption et l'Etat de droit. Comme vous le savez, ces réformes conditionnent pour notre pays, et aussi pour l'Allemagne, l'ouverture de nouveaux chapitres.
Vous vous êtes fixé comme objectif une adhésion en 2020, ce qui suppose une bonne fin des négociations courant 2018. Il s'agit donc de délais très courts.
S'agissant de l'OTAN, vous êtes également dans une perspective d'adhésion, le plan d'action pour l'adhésion, le MAP, étant entré en application depuis 2009. J'observe que votre pays participe aux opérations au Mali et en Centrafrique avec, dans chaque cas, un officier détaché.
Je crois comprendre que votre opinion publique, si elle est très largement favorable à l'adhésion à l'Union européenne, est plus réticente en ce qui concerne l'OTAN. Les tensions avec la Russie interfèrent bien évidemment sur la décision et le vote des pays membres.
Il est vrai que le Monténégro a des relations étroites avec la Russie, non seulement du point de vue économique mais qui s'inscrivent aussi dans une perspective historique, puisque vos soldats ont combattu aux côtés des armées russes dans les guerres d'Illyrie contre les armées napoléoniennes.
Ces liens n'empêchent pas votre politique étrangère de soutenir fermement les positions de l'Union européenne et de l'OTAN dans la crise ukrainienne. Ces positions, qui s'ajoutent à votre condamnation de l'invasion de la Crimée et à votre refus d'accepter dans vos ports des escales de la flotte russe, tendent vos relations avec la Russie qui est, et demeure, votre premier partenaire économique.
Nous serions évidemment très intéressé de connaître vos analyses sur l'évolution de cette crise majeure au moment où le nouveau président ukrainien, M. Porochenko, vient de faire une proposition de cessez-le-feu et où les insurgés envisagent de libérer les observateurs de l'OSCE retenus scandaleusement en otage.
M. Ranko Krivokapic. - Je vous remercie de cette possibilité qui m'est donnée de m'exprimer devant votre Haute Assemblée et je suis d'autant plus heureux d'être aujourd'hui parmi vous que les relations qu'entretiennent nos deux pays sont anciennes. En 2006, le Monténégro a conquis une nouvelle fois son indépendance. Nos relations avec la France, représentée dès le XIXème siècle par son ambassade dans notre ville royale de Cetinje, sont vieilles de plus de cent ans. L'armée du Monténégro était aux côtés de la France durant la première guerre mondiale, notre pays s'étant rangé aux côtés des Alliés en dépit des instances de l'empire Austro-Hongrois, qui nous invitait à choisir la neutralité. Notre armée sera d'ailleurs présente dans le défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées.
Le Monténégro est un pays ami de la France, un petit pays, certes, mais de toute confiance. Nos liens sont tels que notre dernier roi a suivi ses études à Neuilly. Même du temps de Napoléon, nous ne nous sommes jamais rangés du côté russe. La seule fois où nos armées se sont affrontées, aux bouches de Kotor (Boka Kotorska), le général Marmont écrivit à Napoléon que le Monténégro ne pourrait jamais être conquis tant ses guerriers étaient farouches. Les princes de l'empire ottoman, auquel nous avons résisté quatre siècles durant, ne devaient pas penser autrement. Savez-vous où l'on trouve, en dehors d'Istanbul, le plus grand nombre de leurs drapeaux ? Au Monténégro, ce sont tous ceux que nous leur avons pris dans les batailles. Nous sommes un petit peuple guerrier qui n'a jamais accepté le joug ottoman.
Nous avons connu, comme la France, quatre dynasties, dont la première remonte à 1077, quand le pape nous octroya la couronne. Nous sommes, sur le territoire des Balkans, le pays le plus petit, mais aussi le plus pérenne, et nous sommes très fiers de la vieille amitié qui nous lie à la France.
Je suis heureux que vous mesuriez la complexité des relations entre les Balkans et la Russie, qui a longtemps utilisé la religion orthodoxe pour pousser son influence.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Tous les Monténégrins sont-ils orthodoxes ?
M. Ranko Krivokapic. - La plupart, mais il est aussi des catholiques et des musulmans. Mais dans sa partie indépendante, il était de religion orthodoxe.
Le Monténégro, seul territoire entre le Portugal et Istanbul à ne pas faire partie de l'Otan, souhaite voir reçue son adhésion. C'est un manque sur la carte, qui demande à être comblé. Nous avons décliné l'offre que nous faisait la Fédération de Russie d'installer une base navale, qui nous aurait apporté autant de ressources que, pour vous, deux Mistral... C'est beaucoup, pour un petit pays comme le nôtre. Nous souhaitons rester l'allié de confiance que nous sommes déjà en Afghanistan, à Chypre, au Liban, en Somalie... Notre parlement a décidé d'une voix ferme d'envoyer un contingent en Centrafrique, certes modeste, mais qui s'étoffera des troupes revenues d'Afghanistan. Nous sommes un partenaire de confiance et serons reconnaissants au Sénat de l'aide qu'il pourrait nous apporter dans notre candidature à l'Otan. La tradition russe d'influence sur la Yougoslavie appartient pour nous au passé, et nous entendons aller de l'avant.
Concernant notre voeu d'adhésion à l'Union européenne, ce sont bien plutôt les résultats concrets que la rapidité du processus qui nous importent. Il ne nous suffit pas d'être un pays libre, encore voulons-nous être une démocratie en marche. Notre volonté d'adhésion s'inscrit dans le temps, et nous sommes prêts à y consacrer le temps qu'il faudra. Ce que nous souhaitons c'est, lorsque vous estimerez que nous sommes prêts, nous asseoir à la table, à égalité avec les autres membres de l'Union. Peu importe l'horizon temporel, que ce soit 2020 ou 2030. Le plus important pour nous, c'est d'atteindre l'acquis communautaire, qui nous ouvrira l'adhésion. Nous entendons faire prévaloir l'Etat de droit : les plus grands empires, et Rome même, se sont effondrés de son défaut. Nous sommes un petit pays, et entendons porter haut ce principe. Ce n'est certes pas facile, sur un territoire marqué par les conflits. La guerre, dans les Balkans, est toute proche encore, et nous en avons hérité une criminalité en réseau qui s'étend sur toute la région. C'est un problème qui doit se régler à cette échelle. Le Monténégro prend toute sa part dans ce combat, et il attend de vous un regard objectif sur ce qu'il s'efforce d'accomplir.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Soyez sans inquiétude.
M. Ranko Krivokapic. - J'en viens à mes fonctions de président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. Je sais ce que je dois au sénateur Alain Néri et au député Michel Voisin, à l'appui de la délégation française, et ce m'est une responsabilité. Sur la crise ukrainienne, nous avons voulu conjuguer nos efforts avec ceux d'autres organisations, comme le Conseil de l'Europe. Nous avons rencontré, avec Alain Néri, son président et son secrétaire général. Nous sommes également entrés en relation avec le secrétaire général des Nations unies. Et nous avons entrepris de travailler ensemble sur le règlement de la situation en Ukraine. Avec plus de succès, en une occasion, que la diplomatie classique. Après l'annexion de la Crimée, et alors que la Russie se refusait à reconnaître la légitimité du parlement de Kiev, nous avons, grâce à une visite éclair à Kiev et à Moscou, réussi à convaincre la présidente du conseil de la Fédération de Russie, Mme Matvienko et le président de la Douma, M. Narychkine, de nouer le dialogue avec Kiev. Ce fut l'amorce d'une reconnaissance, suivie, le même jour, par la visite du président Poutine. Les deux délégations se sont ainsi rencontrées, et le dialogue s'est engagé. Preuve que la diplomatie parlementaire peut être parfois plus efficace que la diplomatie classique. Nous en sommes très fiers. Nous continuons à travailler au règlement de la crise, et espérons, à Bakou, faire un nouveau pas en avant.
Il est vrai que prévenir de telles crises est au coeur des missions de l'OSCE, mais nous étions mal préparés. Sans doute l'organisation avait-elle un peu dérivé de sa visée originelle, la sécurité et la coopération en Europe. Cette crise nous a rappelé que l'Europe est au coeur de la stabilité internationale. Pour que d'autres crises ne se réveillent pas - je pense à la Géorgie, à l'Arménie - nous avons entrepris de réformer au plus vite notre organisation. L'assemblée parlementaire y travaille.
Pour parvenir à la libération des observateurs de l'OSCE pris en otage, nous nous sommes appuyés sur le délégué russe qui a proposé son intermédiation. Au sein du Parlement, nous essayons d'engager des coopérations des deux côtés. La situation en Ukraine est complexe, les problèmes internes s'y combinent à des instabilités importées. Il est essentiel de travailler à la stabilité de ce grand pays, aux frontières de l'Union européenne, sauf à risquer de voir se propager les secousses.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Pour revenir au vif du sujet, nous allons suivre votre demande d'adhésion à l'Otan, et les péripéties liées au MAP, le plan d'action pour l'adhésion. Chaque fois que vous en aurez besoin, nous essayerons de vous aider.
S'agissant de votre voeu d'adhésion à l'Union européenne, nous vous aiderons aussi, mais il serait utile que vous vous rapprochiez de nos collègues de la commission des affaires européennes, qui sont en relations étroites avec les autorités de Bruxelles. Je crois savoir qu'une mission récente a eu lieu au Monténégro.
Vous avez souligné, à plusieurs reprises, que vous êtes un petit pays : vous êtes un pays, et cela nous suffit. Un pays que nous aimons, avec son histoire. Si vous parvenez à mener la lutte contre la corruption - héritage, ainsi que vous l'avez rappelé, d'une longue période de guerre et d'instabilité - si vous remplissez les critères de l'Union européenne en matière de justice et de droits fondamentaux, et parvenez à réformer votre administration, vous serez sur la bonne voie. Je ne parle pas en donneur de leçons, mais en ami, qui conseille. Nous observerons avec beaucoup d'amitié les progrès que vous ne manquerez pas de faire. Vous pouvez compter sur la France, et sur le Sénat de la République pour faire preuve de compréhension et vous appuyer. Vous savez qu'il ne sert à rien d'entrer dans l'Europe si ces conditions ne sont pas remplies. Je comprends votre impatience : vous ne sauriez rester le seul pays en marge de l'Otan et l'un des rares à ne pouvoir entrer dans l'Union européenne.
M. Ranko Krivokapic. - Je vous remercie de votre soutien. L'entrée dans l'Otan est notre objectif premier ; nous savons qu'accéder à l'Union européenne demandera plus de temps. Le délai, pour nous, ne compte pas ; ce que nous voulons, c'est parvenir à remplir les conditions.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous l'avons bien compris.
M. Ranko Krivokapic. - Je vous remercie pour vos conseils amicaux, que je prends comme tels. Si nous sommes rompus à la guerre, en matière de démocratie et d'Etat de droit, ils ne sont pas superflus. J'espère vous accueillir au Monténégro, car c'est sur place que vous pourrez mesurer nos avancées. Si nous sommes appelés à devenir un membre de la famille, il est bon que nous nous connaissions le mieux possible.
M. Jean-Claude Requier. - Pour avoir autrefois enseigné l'histoire, je sais que votre région recèle des merveilles - les plages de l'Adriatique ou la baie de Kotor... Pensez-vous développer le tourisme dans votre pays ?
M. Ranko Krivokapic. - Nous accueillons de plus en plus de touristes français, deuxième nationalité à visiter le pays. Et je ne compte pas les navires de croisière. La ville de Kotor, d'où je viens, en accueille chaque année près de 400, autant qu'à Dubrovnik. Que les Français nous choisissent ainsi comme destination de voyage est une bonne chose, qui fera connaître la situation au Monténégro. Le tourisme, facteur de modernisation de la société, progresse à une vitesse qui fait de nous un leader en Europe. Le Monténégro abrite le plus grand port de plaisance d'Europe, et nous songeons à coopérer avec Monaco en cette matière.
M. Alain Néri. - Le président Carrère a visé juste en évoquant l'esprit sportif des Monténégrins. Je l'ai mesuré dans mes relations avec le président Ranko Krivokapic, avec lequel je travaille depuis de nombreuses années à l'OSCE. J'ai particulièrement apprécié, depuis qu'il a pris la présidence de l'Assemblée parlementaire, la volonté, la loyauté et la détermination avec lesquelles il a oeuvré en faveur d'un fonctionnement plus démocratique de l'OSCE, réservant une plus grande place aux parlementaires.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Votre action à la tête de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE est, de fait, exemplaire. Je n'y mettrai qu'un petit bémol : le site de l'Assemblée est exclusivement en anglais, alors que le français est langue officielle...
M. Alain Néri. - Je souscris à cette remarque, et j'ajoute que nous avons dû rappeler plus d'une fois à l'ordre tel de nos ambassadeurs qui s'exprimait devant l'Assemblée en anglais. Et la remarque vaut pour d'autres enceintes internationales. Citons, en cette période sportive, le Comité international olympique...
Le président Ranko Krivokapic s'est fortement impliqué pour parvenir à la paix en Ukraine. Ce sera le sujet central de notre session d'été à Bakou, la semaine prochaine. La délégation française entend mettre tout en oeuvre pour aider à renouer le dialogue entre les délégations russe et ukrainienne.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie d'être venu jusqu'à nous. J'ai pris bonne note de votre invitation.
Exécution de la loi de programmation militaire pour l'année 2013 et pour la période 2014-2019 - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'exécution de la loi de programmation militaire pour l'année 2013 et pour la période 2014-2019.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Cette audition, monsieur le ministre, s'inscrit dans le cadre de l'application des dispositions que nous avons votées dans la loi de programmation militaire (LPM), et qui en constituent le chapitre 2, consacré au contrôle parlementaire.
Nous venons d'exercer notre nouveau pouvoir de contrôle sur pièces et sur place dans le cadre d'un contrôle conjoint de nos deux commissions à Bercy sur les prévisions de recettes exceptionnelles. Nous sommes en train d'analyser les documents qui nous ont été remis et nous en rendrons compte prochainement, avec Daniel Reiner et Jacques Gautier devant la commission. Nous n'avons pas eu, pour l'instant, de surprise majeure. Ce contrôle en application de l'article 7 de la LPM a donc constitué une première qui souligne, comme je m'y étais engagé, notre extrême vigilance quant à la bonne exécution de la programmation. Le secrétaire d'Etat au budget, que le groupe auquel j'appartiens a entendu, m'a indiqué que des arbitrages avaient eu lieu. Je veux ici rappeler que les arbitrages au sein de l'exécutif ne lient pas le Parlement, dont le vote reste libre...
Comme l'article 8 de la loi le prévoit, vous nous avez également fait parvenir un bilan semestriel détaillé de l'exécution des quatre premiers mois de l'exécution des crédits de la mission « Défense » de la loi de finances et de la loi de programmation militaire. Nous connaissons cet exercice depuis de nombreuses années et nous avons voulu le pérenniser dans la loi. Le format que nous avions jusqu'ici adopté d'une réunion plénière avec des représentants de tous vos grands subordonnés et des états-majors me paraît toujours une excellente formule.
L'article 11 prévoit qu'à compter de l'exercice 2015, le rapport annuel sur les exportations d'armement - dont vous avez donné les principaux chiffres lundi dernier à Eurosatory - est déposé avant le 1er juin. Nous comprenons les raisons qui conduisaient, cette année, à ne pouvoir respecter cette échéance, mais souhaiterions savoir quand nous pourrons disposer de ce rapport : je rappelle le caractère vital, pour l'équilibre de la LPM, de la bonne fin des hypothèses d'exportations, notamment de nos Rafale.
Enfin, vous nous présentez aujourd'hui, préalablement au débat d'orientation budgétaire, un rapport sur l'exécution de la loi de programmation militaire, prévu à l'article 10 de la LPM.
Nous nous félicitons de ces avancées, au bénéfice de la transparence et du contrôle du Parlement, sur cet enjeu fondamental pour notre pays qu'est la préservation de notre effort de défense. La mise en oeuvre de ces dispositions est suffisamment importante pour que l'engagement du Président de la République, encore récemment réaffirmé, soit respecté.
Comme le montre l'actualité récente, notre extrême vigilance sera nécessaire à toutes les étapes des débats - programmation triennale des finances publiques, débat d'orientation budgétaire, projet de loi de finances initial et lois de finances rectificatives. Je compte bien assurer ce rôle : toute mesure mettant en cause la cohérence d'une programmation conçue au plus juste porterait atteinte à la sécurité nationale. Le rapport qui vient de nous être remis confirme la justesse de l'analyse géostratégique et la permanence des menaces auxquelles notre pays fait face.
Pour ma part, je voudrais vous poser trois questions. La première porte sur la réorganisation de votre ministère, qui fait l'objet du chapitre 8 du rapport. C'est une réforme de grande ampleur, sur l'élaboration de laquelle vous nous avez tenus informés, ce dont je vous remercie chaleureusement. Comment se déroule sa mise en oeuvre ?
Ma deuxième question porte sur un point du communiqué du Conseil de défense du 2 juin dernier qui a précisé que « cette trajectoire pluriannuelle des crédits militaires doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de gestion de nos matériels et projets ». Je vous avoue que je m'interroge sur cette formule qui laisse supposer qu'il y a encore de nouveau chantiers à lancer en matière de gestion. Avec votre collègue des finances vous devez faire des propositions d'ici la fin du mois de juin sur ce sujet. Nous y sommes. Où en est l'état de vos réflexions ?
Enfin, s'agissant des recettes exceptionnelles, nous avons appris, lors de notre contrôle au ministère de l'économie et des finances, que des réflexions sont en cours visant la mise en place d'une société de portage des investissements du ministère de la défense. Pour pallier le retard attendu des recettes de cession de fréquences hertziennes, vous avez, en effet, proposé un mécanisme de « leasing ». Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette proposition, sachant que les services du Budget semblent émettre des réserves, craignant que cette initiative n'aggrave le déficit de l'Etat ?
J'ajoute une dernière question. Les chefs d'entreprise que j'ai rencontrés à Eurosatory m'ont laissé entendre que, depuis six mois, le lancement de toute nouvelle opération semblait gelé. Pouvez-vous me rassurer sur ce point ? Des emplois très qualifiés, essentiels au commerce extérieur de notre pays, sont en jeu.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Vous avez bien voulu rappeler que j'ai mis à la disposition des parlementaires notre rapport interne sur l'entrée en programmation, qui vous informera pleinement. Nous sommes dans l'application stricte de la loi de programmation militaire, qui a renforcé le contrôle parlementaire, en grande partie à l'initiative du Sénat, à laquelle, comme ministre, j'ai souscrit, la jugeant utile. Ayant longtemps été parlementaire, je suis tout particulièrement soucieux de l'information du Parlement. Nous partageons la même volonté quant aux crédits de la défense. Nous devons engager de nouveaux programmes et avons besoin de garanties pour le faire. Et j'ai choisi le juste mot, à Eurosatory, lorsque j'ai dit que je « m'apprêtais » à lancer le programme Scorpion.
L'article 10 de la loi de programmation militaire prévoit que le gouvernement présente chaque année un rapport sur l'exécution de la loi. Nous ne pouvions le faire quatre mois seulement après son adoption, mais il m'a néanmoins paru utile de mettre à votre disposition ce document d'entrée en programmation. Il en sera de même en 2015, et le débat aura lieu, en commission ou en séance, comme vous le jugerez bon. L'article 8 de la loi prévoit, en outre, une présentation semestrielle devant les commissions compétentes de chaque assemblée d'un bilan détaillé des crédits de la mission « Défense ». Tel est aujourd'hui l'objet de notre rencontre.
Le ministère de la défense s'est résolument engagé dans la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire, et de nombreuses réalisations sont d'ores et déjà enclenchées. Il est pleinement mobilisé pour relever le défi financier, capacitaire et industriel que représente la mise en oeuvre de cette loi. La loi de programmation militaire est une loi d'équilibre aux deux sens du terme : c'est une loi de cohérence, mais qui se tient sur un fil, qu'il faut veiller à ne pas rompre.
Les évolutions de la situation internationale justifient pleinement les analyses du Livre blanc. La situation en Ukraine a montré que demeurent ce qu'il appelle « les menaces de la force » et la situation au Mali, en Syrie, en Irak, témoigne, à l'autre extrémité du spectre, de toute l'actualité de ce qu'il identifiait comme les « risques de la faiblesse ». Ce furent là deux thèmes centraux dans la préparation de la loi de programmation militaire, corroborés par les événements.
Depuis le début de l'année, nous avons engagé une profonde évolution de notre dispositif à l'étranger. Nous avons ainsi réduit le nombre des théâtres d'opérations en nous désengageant du Kosovo, d'Afghanistan, en clôturant l'opération Tamour en Jordanie, en allégeant notre présence dans l'opération Atalante. Nous concentrons nos moyens sur la bande sahélo-saharienne et le golfe arabo-persique, en maintenant nos positions à Djibouti - très légèrement réduites seulement - et à Abu Dhabi A partir du 1er janvier 2015, l'opération Licorne, en Côte d'Ivoire laissera place, en accord avec les autorités du pays, aux forces françaises en Côte d'Ivoire, passant ainsi du statut d'opération extérieure à celui de forces de présence.
J'en viens à la mise en oeuvre de la programmation. De nombreuses décisions ont été prises depuis le début de l'année.
S'agissant de la dissuasion, les études préparatoires au lancement du programme du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération se poursuivent. Pour la composante aéroportée, les travaux d'orientation pour l'opération de rénovation à mi-vie de l'ASMPA seront terminés avant la fin de 1'année.
Dans le domaine du renseignement, nous avons notifié à Airbus Defense and Space le contrat de réalisation du segment sol utilisateur du futur système d'observation spatial militaire MUSIS. Un contrat global couvrant les travaux relatifs au système CERES de renseignement électromagnétique a mis en oeuvre. J'ai engagé, en août 2013, l'acquisition de deux drones non armés, positionnés, depuis leur réception en novembre 2013, à Niamey. A la suite du Conseil européen de 2013, qui a acté le principe d'une génération nouvelle de drones de conception européenne, nous préparons la nouvelle génération de drones Male, à l'horizon 2025. Pour la protection des zones maritimes outre-mer, nous avons engagé trois unités navales BM2. En matière de sûreté aérienne, le programme SCCOA (Système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales) se poursuit. Trois radars haute et moyenne altitude (HMA) rénovés ont été livrés en 2013.
Dans le domaine des forces terrestres, le contrat de développement et de production du missile moyenne portée (MMP), qui remplacera le Milan, a été notifié le 3 décembre 2013. Le renouvellement de notre flotte d'hélicoptères de manoeuvre se concrétisera en 2014 par la mise en place d'une première capacité NH90 au 1er régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg. S'agissant des blindés, 84% des VBCI ont été livrés et mis en service. Le parc des VAB aptes aux opérations sera maintenu, grâce à une remise à niveau dite de régénération qui contribuera à assurer la transition avec les véhicules du programme Scorpion. Enfin, les premières livraisons de porteurs polyvalents terrestres ont eu lieu.
S'agissant des forces navales, le remplacement des moyens dédiés à la lutte sous la mer sera poursuivi en 2014 par l'arrivée de la deuxième Frégate multimissions (FREMM) Normandie, la montée en puissance des capacités anti-sous-marines des hélicoptères NH90 et le début des travaux de modernisation à mi-vie de l'ATL2 dont le contrat a été notifié fin 2013. Sur le futur système de guerre des mines navales, nous avons signé, avec les Britanniques, lors du sommet de Brize Norton, le 31 janvier dernier, un Memorandum of Understanding. Lors de ce même sommet, j'ai signé un contrat de développement et de production du missile anti navire léger ANL. Le missile de croisière MdCN, enfin, équipera dès cette année les frégates multimissions.
Pour notre aviation de combat, les travaux de développement et d'intégration d'un nouveau standard Rafale F3-R ont été notifiés à Dassault Aviation, le 30 décembre 2013. Ce nouveau standard repose en particulier sur la prise en compte de l'intégration du missile longue portée Meteor et de la nacelle de désignation laser nouvelle génération PDLNG. J'en profite pour souligner ici combien les manchettes tapageuses de la presse - « Un milliard pour Dassault » a-t-on ainsi pu lire - sont dénuées de sens : il ne s'agit de rien d'autre que d'adapter nos Rafale à un nouveau missile longue portée et d'adopter un standard pour les appareils futurs.
M. Jean-Pierre Chevènement. - M. Dassault vous a-t-il au moins remercié ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Il l'a fait mais ce qui m'est un sujet de satisfaction, c'est d'avoir vu celle des salariés de Dassault et de ses sous-traitants, lors de la signature du contrat.
Dans le domaine du transport aérien, après la livraison des deux premiers exemplaires en 2013, quatre A 400 M supplémentaires seront livrés en 2014, permettant ainsi la mise en service opérationnelle dès cette année, à Orléans, du premier escadron d'A400 M. Le lancement de la réalisation du programme d'avion ravitailleur (MRTT) en 2014 représente, enfin, chacun s'y accorde, un enjeu majeur.
Pour clore ce tour d'horizon des actions conduites dans le domaine de nos capacités, j'indique que j'ai présenté, le 7 février 2014, le Pacte Défense Cyber, qui engage des actions visant à préparer l'avenir en intensifiant l'effort de recherche dans ce domaine, et en renforçant les ressources humaines dédiées à la cyberdéfense.
Nous avons parallèlement engagé, depuis le vote de la loi de programmation, un important travail pour réaliser des économies de fonctionnement afin de redéployer des crédits sur l'équipement. L'adaptation du ministère a très largement commencé. J'ai tout d'abord identifié cinq domaines prioritaires : la gestion des ressources humaines, l'organisation de la chaîne financière, l'organisation des soutiens en bases de défense, le maintien en condition opérationnelle des matériels et les relations internationales.
Chaque domaine fait l'objet d'importants travaux pour mettre en oeuvre les orientations retenues dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire. Ces évolutions auront des effets concrets et mesurables, mais elles se traduisent aussi par des efforts importants pour le personnel dans les unités ainsi restructurées. C'est un point qui retient toute mon attention, dans un ministère qui se réforme sans discontinuer depuis plusieurs années, et dont la capacité d'adaptation doit être saluée.
C'est ainsi que j'ai décidé de confier aux grandes directions que sont la direction des affaires financières (DAF) et la direction des ressources humaines (DRH-MD) une autorité fonctionnelle renforcée sur les politiques dont elles auront la charge.
Dans le domaine des soutiens, j'avais constaté, à l'occasion de mes visites, les lourdeurs de certains processus déployés dans les bases de défense. Sans entreprendre de les remettre en cause, j'ai engagé une importante évolution visant à clarifier l'organisation des soutiens et à améliorer l'administration de proximité. Ainsi, le service du commissariat des armées, expert en matière d'administration générale et de soutien commun exercera, à compter de la rentrée de septembre 2014, une autorité hiérarchique sur les groupements de soutien des bases de défense (GSBdD). Les commandants de base de défense se verront confier une mission plus large de coordination. J'ai reproché aux précédentes réformes de n'avoir pas procédé à des tests, et je n'ai pas manqué, ici, d'en conduire : un échelon de préfiguration impliquant dix-sept bases de défense a été déployé depuis janvier 2014, avant généralisation du nouveau modèle de soutien en septembre. Enfin, j'ai lancé, en fin d'année dernière, un plan d'urgence pour les bases de défense, doté d'une trentaine de millions. Lorsque je me rends dans les unités, j'essaie de voir comment vivent nos soldats, y compris les militaires du rang. Ayant constaté des insuffisances criantes, j'ai décidé d'engager ce plan dans les plus brefs délais, en m'en assurant sur pièces et sur place. J'ai constaté que les choses se déroulaient plutôt bien, avec cependant des variations, selon les unités, ce qui m'a conduit à le compléter par un plan « infrastructures vie », qui permettra de dresser un état des lieux précis de certaines infrastructures - casernement, hébergement, restauration - en très mauvais état dans certaines unités, et de programmer utilement les travaux les plus urgents.
J'ai, par ailleurs, engagé une rénovation du maintien en condition opérationnelle aéronautique, qui avance bien.
Au-delà de ces cinq fonctions prioritaires, j'ai lancé trente et un projets visant à améliorer la gouvernance du ministère, à rationaliser l'administration et à mutualiser les soutiens. Ces chantiers portent sur tous les domaines, des archives à l'action sociale, des opérateurs aux postes permanents à l'étranger, en passant par la formation et l'habillement. C'est la condition du respect de l'équilibre de la loi de programmation militaire.
Et pour répondre à votre question, c'est ainsi, monsieur le président, que j'interprète le communiqué du Conseil de défense.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Cela nous satisfait.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - J'ai demandé au chef d'état-major et à chacune des armées de présenter un projet unificateur pour l'ensemble de nos forces. C'est le plan Cap 2020, que nous sommes allés exposer, au cours du premier trimestre, aux armées. Chaque chef d'état-major a en outre préparé son plan, l'armée de terre, la marine avec le plan Horizon Marine 2025, l'armée de l'air avec le plan Unis pour faire face. Les services, de même, comme le service de santé des armées et le service du commissariat, moins connu mais tout aussi nécessaire, ont défini un projet de service.
Voilà ce qui est en chantier. Nous menons ces chantiers difficiles aussi sereinement que possible, avec détermination, en nous projetant dans la cohérence de l'avenir. Les forums organisés sur Cap 2020 ont été très positifs, et cela me donne confiance pour l'avenir.
J'en viens aux défis financiers qui sont devant nous.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous sommes tout ouïes.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le Conseil de défense a validé la trajectoire financière de la loi de programmation militaire. Il reste deux catégories de recettes exceptionnelles à identifier. L'article 3 de la loi de programmation militaire prévoit qu'en cas de nécessité, 500 millions peuvent être mobilisés.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Disposition que nous devons à un amendement que vous aviez déposé au nom du gouvernement.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Lors du Conseil de défense du 2 juin, le Président de la République, à qui j'ai fait valoir l'annulation de 350 millions sur le projet de loi de finances rectificative, a décidé de mobiliser ces 500 millions. C'est ainsi que 250 millions seront inscrits au collectif au titre des programmes d'investissement d'avenir - le nombre de projets éligibles en 2014 ne permettait pas d'inscrire davantage, sachant que les crédits du programme s'élevaient déjà à 1,5 milliard. Restent donc 250 millions à mobiliser.
Par ailleurs, eu égard au glissement du calendrier prévisionnel de cessions des fréquences de la bande 700 MHz, les recettes attendues sur ce poste ne seront pas au rendez-vous en 2015 et, vraisemblablement, en 2016. Le Conseil de défense a donc été chargé de proposer, avant le 14 juillet, des solutions alternatives crédibles pour ces deux années. Une mission interministérielle a été confiée à une équipe, constituée de Jean-Michel Charpin, inspecteur des finances, de Gérard Kaufmann, membre du contrôle général des armées, et de Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, afin d'étudier tous les moyens de mobiliser des produits de cession de participations publiques, conformément à la loi de programmation militaire. Elle étudie la création d'une société de projet, qui permettrait d'avoir recours au leasing d'un certain nombre de matériels.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Son rapport sera remis aux alentours de la mi-juillet.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - En Conseil de défense.
Fin 2013, nous avions établi, pour les Opex, un socle à marche constante, en tenant compte des décisions de retrait que j'ai tout à l'heure rappelées, pour un montant de 450 millions, à prendre sur notre propre budget. Pour le financement des surcoûts liés à des opérations non programmées, l'article 4 de la loi de programmation prévoit une clause de sauvegarde. Cela me paraît de bonne méthode. Il y aura, de fait, des surcoûts, puisque, lorsque ce budget a été établi, nous n'étions pas entrés en République centrafricaine et avions prévu une diminution plus rapide de notre présence au Mali.
L'un de nos objectifs est aussi de répondre à la réduction d'effectifs prévue par la loi de programmation militaire - un tiers pour l'opérationnel, deux tiers pour les soutiens - sans faire de l'arithmétique aveugle. L'ensemble de la hiérarchie s'est mis au travail pour aboutir. Des restructurations seront annoncées avant l'été, pour prendre effet à la rentrée 2015. Nous faisons en sorte qu'elles soient le moins nombreuses possible. Elles ont ainsi été limitées à quatre l'an dernier.
S'agissant de l'enjeu capacitaire, je l'ai dit, si nous obtenons une clarification sur les 250 millions restant à budgéter et sur l'année 2015, cela sera de nature à faciliter le lancement des nouveaux programmes.
Sur les exportations, enfin, je serai en mesure, à la rentrée, de faire un point sur l'année 2013. Je puis cependant dès à présent indiquer que nous sommes passés de 4,7 milliards en 2012 à 6,9 milliards en 2013, soit une augmentation de 42%. C'est plutôt positif. En 2014, nous irons au-delà, à près de 7 milliards. Les résultats sont là. Nous pénétrons, cela est nouveau, l'Amérique du Sud, ainsi que l'Asie, au-delà de notre présence traditionnelle dans les Emirats.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Un mot des négociations avec le Qatar ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Elles se déroulent dans le meilleur état d'esprit.
M. Daniel Reiner. - Je vous remercie de nous avoir fait parvenir ce rapport très utile, qui retrace fidèlement cette entrée en programmation.
Nous rentrons, avec Jacques Gautier, de Bruxelles, où nous avons incidemment appris que Mme Ashton vient de signer un accord administratif avec les Etats-Unis sur le partage de capacités, de moyens, de services. Cet accord, qualifié de purement administratif, n'a reçu aucune validation politique à ce jour. Certes, la DGA et le ministère des affaires étrangères en sont informés, mais nous nous étonnons d'une telle démarche, alors même que l'on entend retirer le domaine de l'armement de la négociation du futur traité transatlantique. Notre devoir de parlementaires est de demander une validation politique.
A Eurosatory, la semaine dernière, nous avons pu constater que les petites entreprises ont le sentiment d'un gel, non des grands programmes que vous vous « apprêtez » - apprécions la fécondité de l'expression - à signer, mais des petits, dont on retrouve la liste dans votre rapport semestriel sur le sujet. Autant l'on peut comprendre votre circonspection pour les grands programmes, pour le lancement desquels vous avez besoin de garanties de financement, autant pour les petits programmes, cela mérite explication.
Sur les grands programmes comme Scorpion, ou les MRTT, en passe d'être signés, où en sont les discussions avec les industriels ? Où en êtes-vous, sur les MRTT, avec Airbus groupe ? Quels standards seront retenus ? Non que nous souhaitions voir retardée la signature, mais il s'agit tout de même d'éviter de passer, comme cela a déjà été le cas pour les MRTT, sous les fourches caudines des industriels...
Sur les drones tactiques, enfin, va-t-on vers un marché ? Il faudrait l'annoncer clairement.
M. Jacques Gautier. - Je vous remercie de la qualité du document que vous nous avez transmis. Les nouveaux programmes souffrent toujours, on le sait, de leur jeunesse, d'où des dysfonctionnements et une disponibilité limitée. C'est le cas des A400M, dont le taux de disponibilité est très faible, sur lesquels on enregistre des incidents dont on se demande si les pièces de rechange fournies par la DCA et Airbus répondent bien au problème.
La loi de programmation militaire a précisé qu'il faut diminuer la masse salariale pour investir dans les équipements. Nous souscrivons à l'objectif. Nous nous félicitons de vos efforts, tout en marquant quelque inquiétude quant au dépassement de 212 millions, par rapport à ce que prévoyait la loi de finances, en exécution. Cela est imputable aux problèmes rencontrés avec Louvois, mais aussi aux dysfonctionnements de votre schéma d'emplois, et notamment à la gestion du glissement vieillesse-technicité (GVT), qui mériterait d'être mieux géré.
Dernière remarque, enfin. Alors que le gouvernement a su trouver le moyen d'entrer pour 20% au capital d'Alstom, alors que l'opération aurait pu se faire sans intervention de la puissance publique, je ne doute pas qu'il saura trouver les sommes prévues dans la loi de programmation militaire.
Mme Nathalie Goulet. - Excellent !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je précise au ministre à toutes fins utiles que l'examen attentif du rapport que vous nous avez communiqué aurait sans doute évité cette remarque. Je fais mon mea culpa : il a été transmis tardivement aux membres de notre commission.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le document qui émane des services de Mme Ashton n'a, en effet, pas encore été présenté aux Etats. Le choix du moment, en fin de mandature, est ce qui me surprend plus que tout...
Vous évoquez des problèmes de retard à l'exécution. Etant donné l'ampleur des reports de charge, et nos interrogations quant à la validité des ressources exceptionnelles pour 2015 et 2016, il est logique que nous mettions un peu les freins. Cela vaut tant pour les petits programmes que pour les grands. Il s'agit de garantir notre sécurité financière.
M. Daniel Reiner. - Il ne faudrait pas que cela ruine la confiance...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nous avions accéléré les choses, dès l'accord sur la loi de programmation militaire, à la fin de l'automne ; nous avons freiné depuis pour les raisons que vous connaissez et nous attendons à présent confirmation de ce qu'a dit le Conseil de défense.
Nos discussions avec les industriels sur les MRTT sont en cours. Nous sommes vigilants, car douze appareils, ce n'est pas une petite commande. Nous devrions pouvoir lancer cette commande à l'automne.
Pour les drones, nous mettons en concurrence le Watch Keeper et le Patroller. Nos contraintes de calendrier - nous devons être au rendez-vous de 2017 - rendent nécessaire une procédure accélérée.
Nous avons en effet connu, monsieur Gautier, des difficultés sur les premières livraisons à Orléans de l'A400M. Ce sont des machines neuves et extrêmement complexes : il n'y a pas lieu de s'inquiéter de ces quelques problèmes opérationnels, qui devraient trouver leur solution. Nous négocions avec les Britanniques le prochain marché de soutien, et voulons associer le SIAé (service industriel aéronautique).
La masse salariale, qui augmentait, auparavant, en dépit des réductions d'effectif, a décru en 2013. C'est inédit. Nous le devons à une analyse fonctionnelle conduite par secteurs, pour accompagner la déflation d'un repyramidage. Il est vrai qu'il a fallu abonder les crédits, mais cela est essentiellement imputable au problème lié à Louvois. Nous veillerons, pour le GVT, à rester dans les clous et à retenir des hypothèses crédibles.
M. Jean-Louis Carrère, président. - On se demande où sont les responsabilités dans les dysfonctionnements de Louvois...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Les militaires eux-mêmes s'étonnent que la haute hiérarchie n'ait pas été sanctionnée. Mais on est, dans cette affaire, face à une telle dilution des responsabilités... Un chef des missions et moyens est la voie pour y remédier.
M. Dominique de Legge. - Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition. Pour les recettes exceptionnelles, j'ai bien noté que 250 millions vont venir s'ajouter au 1,5 milliard du programme d'investissements d'avenir, mais cela laisse encore un manque de 500 millions. Comment sera-t-il comblé ?
Le projet de loi de finances rectificative pour 2013 a diminué vos moyens de quelque 500 millions. C'est que le ministère de la défense a été sollicité, comme les autres, pour financer la réserve de précaution interministérielle, destinée, notamment, à financer le surcoût des Opex. Il en résulte que le ministère de la défense participera pour 20%, selon la Cour des comptes, au financement de ce surcoût, dont nous avions pourtant compris qu'il devait être assuré ailleurs...
Sur les dépenses de personnel, on enregistre certes un dépassement de 212 millions, mais c'est deux fois moins qu'il y a deux ans. Reste que cela dégradera l'entrée en loi de programmation militaire. Comment envisagez-vous d'y remédier pour 2014 ?
Sur les programmes d'investissements d'avenir, notre commission des finances a entendu Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement. On n'est pas vraiment dans les clous : le programme d'investissements d'avenir n'est pas fait pour financer les programmes existants, mais pour en développer de nouveaux. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Il semble que 400 millions aient été versés, en janvier 2014, au Commissariat à l'énergie atomique, pour des dépenses incombant en réalité à la mission « Défense ». Ce qui aurait donné lieu à une procédure de reconstitution de crédits au profit de votre ministère. Pouvez-vous nous éclairer sur ce jeu d'écritures ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Les ressources exceptionnelles pour 2014 devaient être constituées par le programme d'investissements d'avenir, doté de 1,5 milliard, à quoi s'ajoutaient 200 millions de ressources immobilières et les recettes liées fin du processus de cession du réseau hertzien, le tout pour un montant de 1,8 milliard. Des 500 millions manquants, 250 seront apportés sur le programme d'investissements d'avenir - c'est un maximum, je l'ai dit, si l'on veut respecter les règles qui le régissent et ne pas en faire un simple succédané budgétaire.
M. Dominique de Legge. - C'est un peu la tendance générale...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Aux termes de la loi de programmation militaire, seul ce qui dépend du CNES - 200 millions seront consacrés au développement du système Musis - et du CEA peut être éligible. Le programme d'investissements d'avenir ne peut pas régler à lui seul le problème de retard du calendrier hertzien qui se pose à nous.
S'agissant du personnel, un dépyramidage est indispensable. Mais cela n'est pas simple à opérer. En 2013, nous avons supprimé 350 postes d'officiers, nous en supprimerons 850 en 2014, un millier en 2015. C'est la condition sine qua non pour parvenir à une diminution globale de la masse salariale. Mais il faut veiller à ne pas interrompre le flux de recrutement - difficulté à laquelle se sont heurtés nos collègues espagnols.
M. Gilbert Roger. - Je rejoins les observations de Dominique de Legge, tout en regrettant n'avoir pu prendre connaissance assez tôt de ce rapport d'exécution. Il a été évoqué, au sujet de la déflation, des mesures complémentaires. Pouvez-vous les détailler ?
Les dysfonctionnements de Louvois ont donné lieu à des trop-perçus, à hauteur de 60 millions. Quelque 10 millions ont été récupérés. Votre objectif est-il de faire rentrer les 50 millions manquants, ou estimez-vous que cela est trop difficile ?
Mme Michelle Demessine. - Le rapport d'exécution que vous nous avez transmis indique que les dépenses d'infrastructures accompagnant la montée en puissance des programmes d'armement - 650 millions sur 1 milliard d'investissement immobilier annuel prévus par la loi de programmation militaire - seront fortement aménagées. Quelles opérations seront maintenues, quelles reportées, quelles allégées ?
Le rapport indique également que des moyens ont été réorientés vers la restauration des bâtiments de vie les plus dégradés et le lancement d'un plan restauration collective. Pouvez-vous nous en dire plus et nous indiquer quels sont les montants en jeu ?
Je rebondis sur ce qu'a dit M. Gautier, qui s'insurge de la prise de participation de 20% de l'Etat dans Alstom. Pour en tirer d'autres conclusions. Maîtriser notre indépendance est une exigence, et cela vaut aussi pour nos industries de défense. Or, le rapport Charpin doit identifier des ventes de participation. Vous me répondrez qu'elles ne remettront pas en cause notre indépendance, mais peut-on en être sûrs, dans le monde incertain dans lequel nous vivons ?
M. Jean-Marie Bockel. - Le rapport que vous nous avez transmis a le mérite d'être clair. Je me félicite des progrès que vous avez décrits en matière de vente d'armes.
Quel bilan tirez-vous d'Eurosatory ? Je comprends que les retards d'exécution qu'a évoqués M. Reiner s'expliquent par la priorité donnée à l'opérationnel et aux Opex, mais sur des livraisons comme les hélicoptères de transport, cela peut avoir des effets préjudiciables en chaine, notamment sur la formation. Il faut y être attentif.
Mme Leila Aïchi. - Quel impact le traité transatlantique en cours de négociation peut-il avoir sur notre industrie militaire, et quelles conséquences sur la LPM ?
M. Robert del Picchia. - Où en sont les relations au sein de l'Otan ? Lors d'une mission à Norfolk, nous avons eu le sentiment que le général français était favorable à une avancée vers le fameux pilier Otan-Union européenne. Alors qu'un sommet se prépare pour septembre, quelle position défendra la France ?
Des négociations avec le Qatar, vous avez dit qu'elles se déroulaient dans le meilleur état d'esprit. Est-ce aussi dans le meilleur esprit de l'Etat ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je confirme à Mme Aïchi que les questions touchant à l'armement ne sont pas concernées par le traité transatlantique.
Nous préparons, Monsieur del Picchia, le sommet des 5 et 6 septembre, qui se tiendra à Newport. Nous avons eu des réunions préalables. Je sens poindre une volonté partagée d'assurer notre propre sécurité en Europe. Les Américains et le secrétaire général de l'Otan sont sur la même longueur d'ondes. La question qui se pose est celle de ce que sera notre relation avec les Etats-Unis, qui procèdent à un rééquilibrage vers la zone Asie-Pacifique.
Eurosatory, Monsieur Bockel, a attiré 58 000 visiteurs ; 160 délégations officielles étaient représentées. C'est un grand succès, mais il faut bien comprendre que ce n'est pas sur le champ que cela donne lieu à la signature de contrats. Quoi qu'il en soit, c'est pour moi un moment privilégié, au cours duquel je peux rencontrer nombre de mes homologues.
Les retards d'engagements ne concernent que les programmes nouveaux, ce qui n'a pas, pour l'heure, de conséquences sensibles.
Les trop-perçus liés au programme Louvois, Monsieur Roger, seront récupérés, mais nous y mettrons toute la souplesse possible.
Sur les infrastructures, Madame Demessine, nous avons dressé une liste des insuffisances, dont il ressort que pas moins de 700 opérations sont à conduire d'urgence. La restauration des logements est une priorité : il faudra réaménager les crédits pour faire face à cette nécessité. Nous avons pu régler une partie des problèmes en 2013, mais il reste beaucoup à faire, ainsi que je le constate quand je me rends sur le terrain, où je ne manque pas de visiter les chambres. Ce sont aussi des chantiers qui donnent du travail aux entreprises du secteur : 500 à 800 millions sont concernés.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il me reste à vous remercier.
La réunion est levée à 18h10.