- Lundi 16 juin 2014
- Mardi 17 juin 2014
- Permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de 3 500 habitants - Examen des amendements au texte de la commission
- Moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin - Examen des amendements au texte de la commission
- Renforcer l'efficacité des sanctions pénales - Audition de Mme Christine Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
- Mercredi 18 juin 2014
- Répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies - Examen du rapport et du texte de la commission
- Création de sociétés d'économie mixte à opération unique - Examen des amendements au texte de la commission
- Renforcer l'efficacité des sanctions pénales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Délimitation des régions, élections régionales et départementales et modification du calendrier électoral - Audition de M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et de représentants de l'ARF
- Délimitation des régions, élections régionales et départementales et modification du calendrier électoral - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Lundi 16 juin 2014
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président. -La réunion est ouverte à 14 h 15
Création des polices territoriales et dispositions relatives à leur organisation et leur fonctionnement - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine les amendements sur son texte n° 609 (2013-2014) pour la proposition de loi n° 553 (2012-2013) visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement.
M. Jean-Pierre Michel, président. - Nous examinons les amendements extérieurs sur la proposition de loi visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement.
M. François Pillet. - Une observation sur notre Règlement. Peut-être faudrait-il y apporter certaines modifications. En effet, l'heure limite de dépôt des amendements sur ce texte était fixée à 11 heures aujourd'hui. Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour étudier les 90 amendements déposés !
M. Jean-Pierre Michel, président. - Nous serons d'autant plus vigilants. Commençons par examiner les amendements de notre rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article additionnel après l'article 3
L'amendement de coordination n° 97 est adopté.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Mon amendement n° 93 vise à rétablir l'article 21 dans la rédaction des auteurs de la proposition de loi afin de supprimer la disposition confiant au maire seul la nomination des gardes champêtres en Alsace-Moselle.
L'amendement n° 93 est adopté.
Article 22 A
L'amendement rédactionnel n° 92 est adopté.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 96 encadre l'accès des policiers territoriaux au fichier national des permis de conduire.
L'amendement n° 96 est adopté.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 94 habilite le pouvoir réglementaire à soumettre les assistants temporaires des agents de police territoriale à une obligation de formation qui devrait être courte.
L'amendement n° 94 est adopté.
Article additionnel avant l'article 22
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 95 réécrit le dispositif relatif aux centres de supervision urbaine que j'avais proposé et qui n'avait pas été adopté par la commission : ma nouvelle rédaction se limite à la question de la formation des opérateurs qui y sont affectés.
L'amendement n° 95 est adopté.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 98 assure l'application de la proposition de loi en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, avec les adaptations nécessaires.
L'amendement n° 98 est adopté.
EXAMEN DES AUTRES AMENDEMENTS DU SÉANCE
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 40 du Gouvernement vise à maintenir l'appellation « police municipale ». Il introduit également l'adverbe « éventuellement » pour préciser que la police des campagnes constitue un pan de compétences des agents du futur cadre d'emplois unifié. Ces deux propositions ne me paraissent pas justifiées. Dans son troisième point, l'amendement prévoit qu'un décret en Conseil d'État organisera les formations préalables aux anciennes missions exercées par les gardes champêtres. Cette proposition serait envisageable sous réserve d'un rattachement au code de la sécurité intérieure, dans ses dispositions concernant la formation. Enfin, je suis défavorable à la suppression des alinéas 9 et 10.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 40.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Par coordination, défavorable au n° 10 rectifié ter.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 10 rectifié ter.
M. Vincent Capo-Canellas. - Sans remettre en cause la logique des polices territoriales, je propose dans l'amendement n° 57 que les communes qui le souhaitent conservent ou adoptent la dénomination de « police municipale » à laquelle les populations sont habituées. Et songez au coût de remplacer la sérigraphie sur les véhicules.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Conserver la dénomination ancienne nuirait à la lisibilité de la police territoriale. Des délais peuvent être prévus pour les modifications matérielles. L'avis est défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 57 ainsi qu'au n° 58 de coordination.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le texte en vigueur satisfait déjà l'amendement n° 39. Retrait ou rejet.
La commission demande le retrait de l'amendement n°39, sinon émet un avis défavorable.
Articles additionnels après l'article 1er
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 73.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 84 est d'ordre réglementaire. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 84.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 41 facilite la réorganisation des dispositions du code de la sécurité intérieure régissant les gardes champêtres. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 41.
Article 3 bis
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 11 rectifié bis.
Article 4
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié bis et à l'amendement de coordination n° 59.
Article 5
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 13 rectifié bis.
Article 6
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination nos 14 rectifié bis et 60.
Article 7
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 15 rectifié bis et n° 61.
Article 8
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 16 rectifié bis et n° 62.
Article 9
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 17 rectifié bis.
Article 10
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 18 rectifié bis et n° 63.
Article 11
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 19 rectifié bis.
Article 12
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 20 rectifié bis.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 6 rectifié bis est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié bis ainsi qu'à l'amendement de coordination n° 21 rectifié bis.
Article 13 bis
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 22 rectifié bis, ainsi qu'à l'amendement n° 85, et aux amendements de coordination nos 64 et 65.
Article 13 ter
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 23 rectifié bis et n° 66.
Article 13 quater
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 24 rectifié bis.
Article 13 quinquies
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 25 rectifié bis et n° 67.
Article 13 sexies
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 26 rectifié bis et n° 68.
Article 13 septies
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de coordination n° 27 rectifié bis et n° 69.
Article 14
La commission émet un avis défavorable aux amendements de coordination n° 29 rectifié ter, n° 70 rectifié et n° 74.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 42 du Gouvernement supprime la transmission du rapport de fin de formation établi par le CNFPT au préfet et au procureur de la République préalablement à la délivrance de l'agrément. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 42.
M. Vincent Capo-Canellas. - Pour éviter de bloquer le recrutement et l'entrée en fonction des policiers municipaux, il faudrait limiter le délai laissé pour l'agrément au préfet et au procureur de la République. C'est l'objet de mon amendement n° 56.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 56.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 80 est satisfait par le droit en vigueur. Retrait, sinon avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 80, sinon émet un avis défavorable.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Pour nous prononcer sur l'amendement n° 43 rectifié, nous aurions besoin que le Gouvernement nous donne des garanties supplémentaires. Néanmoins, l'avis est favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 43 rectifié.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 79 prévoit la création d'une doctrine d'emploi de la police locale ayant valeur de référentiel national à la formation. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 79.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 91 est d'ordre réglementaire. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 91.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 44 du Gouvernement a pour objet de ne pas transférer aux présidents d'EPCI les pouvoirs de police spéciale en matière de réglementation des transports urbains. Avis défavorable.
M. François Pillet. - Je ne comprends pas la position du Gouvernement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 44. Elle émet également un avis défavorable aux amendements de coordination nos 31 rectifié bis et 71.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 7 rectifié bis supprime l'interdiction de créer un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) quand il y existe déjà un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD). Les deux conseils sont pourtant redondants. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié ter.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 45 car l'amendement n° 89 de M. Kaltenbach, que nous allons examiner dans un instant, est plus judicieux.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 45.
M. Philippe Kaltenbach. - La sécurité est un sujet suffisamment important pour que le conseil municipal en soit correctement informé : l'amendement n° 89 prévoit que le projet de convention de coordination lui est adressé pour avis.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - J'y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 89.
M. Vincent Capo-Canellas. - Et si le conseil est défavorable ? Le maire peut avoir de bonnes raisons pour signer tout de même la convention, mais il sera alors en porte-à-faux. Autant prévoir un avis conforme du conseil. Tel est le sens de mon amendement n° 32 rectifié bis.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je n'y suis pas favorable. Le pouvoir de police du maire ne peut être délégué.
M. René Vandierendonck. - La convention est seulement une manière de tenir compte de l'environnement local spécifique. Le document contient les moyens matériels et budgétaires mis en oeuvre, il serait donc logique que le conseil délibère. Les pouvoirs du maire n'en sont pas remis en cause pour autant.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je crains des complications juridiques. La mise à disposition de personnel relève bien des pouvoirs de police du maire.
M. Philippe Kaltenbach. - Mon amendement suffit : si le conseil se prononce, le maire sera obligé d'en tenir compte.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 32 rectifié bis, ainsi qu'aux amendements nos 75 et 1, ce dernier étant satisfait.
M. Vincent Capo-Canellas. - Une convention doit être conclue à partir de cinq agents. N'abaissons pas ce seuil à quatre agents. Mon amendement n° 55 supprime cette modification.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Défavorable : le but est précisément de favoriser la conclusion de conventions de coordination.
M. François Pillet. - De toute façon, dès que l'on veut armer des forces de police, on est obligé de passer une convention.
M. René Vandierendonck. - En effet !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 55.
M. Philippe Kaltenbach. - Mon amendement n° 90 tend à introduire, au nom de la transparence, une meilleure information sur la répartition des effectifs des forces de sécurité nationales. Aujourd'hui, les élus locaux n'y voient pas clair. Si le préfet leur indiquait les effectifs par circonscription et les critères d'affectation, toute suspicion de favoritisme serait levée !
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Avis favorable.
M. Jean-Pierre Michel, président. - Dans mon département, le colonel de gendarmerie a annoncé qu'il supprimait des brigades, mais personne n'a reçu la moindre information.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 90.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 86 est d'ordre réglementaire. Défavorable.
M. René Vandierendonck. - Je comprends, néanmoins, pourquoi M. Nègre dépose cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 86.
Article additionnel après l'article 19
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 46 du Gouvernement.
Article 20
La commission émet un avis favorable à l'amendement de suppression n° 47 et un avis défavorable à l'amendement n° 33 rectifié bis.
Article additionnel après l'article 21 (supprimé)
Mme Catherine Troendlé. - Mon amendement n° 2 rectifié est un amendement de repli. Le maintien en l'état de la brigade verte du Haut-Rhin jusqu'en 2019 nous laisserait le temps de reprendre progressivement le personnel dans les EPCI. Je remercie MM. Vandierendonck et Pillet et Mme le rapporteur de leur aide pour parvenir à cette solution.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Avis favorable, vous l'aurez compris.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Défavorable à l'amendement n° 49 du Gouvernement, contraire à notre rédaction.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 49, ainsi qu'aux amendements nos 34 rectifié bis et 76.
Article 22 C
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°82. Elle émet un avis favorable aux amendements nos 5 rectifié bis et 48.
Article 22 D
La commission demande le retrait de l'amendement n° 53, sinon avis défavorable, et émet un avis défavorable aux amendements nos 36 rectifié bis et 77.
Article 22 E
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 37 rectifié bis.
Articles additionnels après l'article 22 E
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 52 du Gouvernement porte sur les centres de supervision urbaine. Nous avons déjà voté contre ces dispositions.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 52.
Elle émet un avis favorable à l'amendement de coordination n° 51 rectifié ainsi qu'au n° 78 rectifié.
Article 22
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 50, 38 rectifié bis et 72.
Article additionnel après l'article 22
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 4 qui traite du régime des armes est à la limite de la proposition de loi. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Michel, président. - La limite est dépassée : c'est un cavalier !
La commission demande le retrait de l'amendement n° 4, sinon émet un avis défavorable.
Articles additionnels après l'article 23
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 54 du Gouvernement est satisfait par un amendement de la commission.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 54, sinon émet un avis défavorable.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je m'étonne que l'amendement n° 87 de M. Nègre n'ait pas été déclaré irrecevable. Défavorable.
M. René Vandierendonck. - C'est un amendement d'appel. Les décrets d'application ne sont pas publiés...
La commission demande le retrait de l'amendement n° 87, sinon émet un avis défavorable.
Intitulé de la proposition de loi
La commission émet un avis défavorable à l'amendement 8 rectifié bis.
La commission adopte les avis suivants :
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
AUTRES AMENDEMENTS DE SÉANCE
La réunion est levée à 14 h 45
Mardi 17 juin 2014
- Présidence de Jean-Pierre Sueur, président -La séance est ouverte à 9 h 30
Permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de 3 500 habitants - Examen des amendements au texte de la commission
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine tout d'abord les amendements sur son texte n° 611 (2013-2014) pour la proposition de loi n° 418 (2013-2014) tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous examinons ce matin les amendements au texte de la commission pour la proposition de loi de M. Jean-Claude Carle, que nous avons adoptée en commission la semaine dernière, autorisant les candidats aux élections municipales à se présenter avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants. Je suppléerai son rapporteur, M. Jean-Patrick Courtois, qui préside en ce moment la séance publique.
Article additionnel avant l'article 1er
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement n° 1 interdirait, pour l'ensemble des élections, le travail de nuançage effectué par le ministère de l'Intérieur. Or celui-ci est utile pour la science politique, comme l'a souligné M. Alain Richard. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En rendant obligatoire la création d'une rubrique « non inscrit ou sans étiquette » pour toutes les élections, l'amendement n° 2 nuirait également à ce travail de nuançage. Notre commission a approuvé cette règle pour les seules élections municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants ; elle n'aurait pas de sens dans les autres élections où les débats sont politisés. Avis défavorable à nouveau.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement n° 5 du Gouvernement est contraire à la position de notre commission, qui a opté pour le seuil de 3 500 habitants lors de sa précédente réunion. Ce choix n'est pas arbitraire : les candidatures présentées dans les communes de moins de 3 500 habitants ne reflètent pas nécessairement le jeu politique national. J'ajoute que ministère de l'Intérieur n'y perdrait pas en efficacité : son travail de « nuançage » s'arrêtait déjà aux communes de 3 500 habitants avant les élections municipales de 2014.
La solution proposée par le Gouvernement n'est pas satisfaisante, car elle fait fi des élus municipaux qui se verraient toujours appliquer une nuance politique contre leur gré dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants. Cela n'est pas sans conséquence lorsque ces élus se présentent de nouveau aux élections dans les organismes locaux : syndicats mixtes, EPCI, associations locales d'élus. Surtout si cette nuance est fausse.
Pour toutes ces raisons, je vous propose un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
M. Jean-Jacques Hyest. - Le ministère veut imposer une nuance politique malgré l'opposition du candidat, et s'abstient de publier toute rectification lorsqu'elle a été demandée... Souriez, vous êtes fichés !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le ministère fait en effet preuve d'une certaine obstination. Tout le monde sait que dans les petites communes, il y a souvent deux listes, qui mêlent chacune des sympathisants de droite et de gauche.
Mme Isabelle Lajoux. - Oui, dans ces communes, les élections opposent des personnes, non des logiques politiques.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Avis défavorable à l'amendement n° 3, pour les mêmes raisons qu'à l'amendement n° 2.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En considérant tous les partis politiques comme des nuances politiques, l'amendement n° 4 sape le « nuançage » : avis défavorable. L'intérêt des nuances est de dégager des tendances de vote par blocs politiques. La prise en compte des multiples partis ou micro-partis rendrait cet effort de synthèse impossible.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
La commission adopte les avis suivants :
Moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine ensuite les amendements sur son texte n° 613 (2013-2014) pour la proposition de loi n° 826 (2012-2013), tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Venons-en aux amendements déposés sur le texte de la commission pour la proposition de loi modernisant diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les amendements de suppression que je vous soumets reprennent ceux que j'avais déposés la semaine dernière, et que la commission a repoussés. Aucun juriste sérieux ne peut voter ces articles en l'état. Je vous propose de ne conserver que les dispositions relatives à la prescription acquisitive en matière cadastrale et aux associations coopératives.
M. André Reichardt. - Je ne voterai pas ces amendements de suppression. Ces articles ne soulèvent pas de problème de droit ; ils ont de plus été validés par la commission d'harmonisation du droit local, composée exclusivement de juristes parmi lesquels les premiers présidents et procureurs généraux des Cours d'appel de Colmar et Metz, excusez du peu. À chacun de prendre ses responsabilités.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La composition de cette commission a été refondue par un décret du 23 janvier 2014. Le ministère souhaite que sa nouvelle formation soit consultée sur ce texte.
M. André Reichardt. - Elle ne saurait l'être, faute d'avoir été pleinement installée ! Nous avons réclamé à plusieurs reprises et attendons toujours de Mme la Garde des Sceaux qu'elle désigne les membres nommés intuitu personae. Il reste que les éminents juristes qui en sont membres ès qualité se sont prononcés à l'unanimité en faveur de ces dispositions.
L'amendement n° 7 est adopté, ainsi que les amendements nos 8, 9, 10, 11, 12 et 13.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Articles additionnels avant l'article 1er
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je n'ai pu examiner l'amendement n° 3 de M. Masson. Bien qu'y étant plutôt défavorable a priori, je m'en remets à la sagesse de notre commission.
M. André Reichardt. - Saluons la constance de M. Masson, qui a déjà déposé cet amendement jadis. La commission d'harmonisation du droit local n'en a pas été saisie ; elle n'a donc pu l'examiner. Je ne me prononcerai pas sur le fond. Il faudrait réaliser une étude précise de ses conséquences in situ.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Même avis sur les amendements nos 1 et 2.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1, ainsi qu'à l'amendement n° 2.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 5 est identique à l'amendement de suppression que nous venons de voter à mon initiative.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.
M. André Reichardt. - L'amendement n° 4 tient compte des propositions faites par la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Le président du conseil régional d'Alsace, M. Philippe Richert, s'est rendu à Bercy il y a quelques mois, accompagné de représentants du cadastre et de géomètres. Mme Catherine Brigand, sous-directrice des missions foncières et de la fiscalité du patrimoine, nous a fait savoir par écrit la rédaction dans laquelle sa direction était favorable à cet article. Le Gouvernement n'ayant pas déposé d'amendement en ce sens, je me suis permis de faire mienne cette rédaction.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable à défaut d'un retrait. Un renvoi en commission eût été utile pour que j'auditionne les représentants des trois conseils généraux, mais M. Reichardt et le groupe UMP s'y sont opposés. Pour l'heure, personne ne m'a indiqué cette possibilité de financement.
M. André Reichardt. - Je ne comprends pas. Cette rédaction est celle de la DGFIP ! Elle dispose que l'établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (EPELFI) « contribue également à la modernisation du support de la documentation cadastrale régie par la loi du 31 mars 1884 applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, dans des conditions déterminées par l'administration chargée du cadastre ». Autrement dit, si cette dernière n'est pas d'accord, elle peut s'y opposer. On ne peut être plus souple ! Allons, mes chers collègues ! Si d'autres raisons s'opposent à ce que l'on vote cet amendement, qu'on me dise lesquelles !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Cet amendement devrait tomber en séance, puisque nous nous sommes prononcés en faveur de la suppression de l'article 4.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'EPELFI relève de la compétence du ministère de la justice. Bercy peut dire ce qu'il veut... Quant aux trois départements, aucun ne m'a dit ses intentions en matière de financement. Nous en sommes là. Je vous rejoins sur le fond : cette solution est bonne. Mais je ne suis pas à même de l'approuver en l'état actuel des choses.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement de suppression n° 6 de Mme Cukierman est identique à celui que nous avons adopté tout à l'heure.
M. Jean-Jacques Hyest. - Son exposé des motifs est intéressant : Mme Cukierman défend le droit local.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Elle défend la négociation. On ne saurait le lui reprocher.
M. André Reichardt. - Elle affirme que « cet article de la proposition de loi ne tient aucunement compte de la négociation collective pratiquée en Alsace » : les bras m'en tombent ! Le 6 janvier 2014, toutes les organisations représentatives des salariés et des employeurs ont signé un accord qui valide le paiement à 150 % des heures de travail les dimanches et jours fériés, et accorde le droit au repos compensateur...Nous ne devons pas parler de la même chose !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.
La commission adopte les avis suivants :
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
AMENDEMENTS DE SÉANCE
La réunion est levée à 10 heures
La séance est ouverte à 18 h 30
Renforcer l'efficacité des sanctions pénales - Audition de Mme Christine Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des sceaux, sur le projet de loi n° 596 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je suis heureux d'accueillir en notre nom à tous Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, venue nous présenter un projet de loi important, qui a donné lieu à un processus préparatoire novateur et de grande qualité, puisque tous les acteurs de la justice se sont retrouvés dans une conférence de consensus.
Les débats sur la loi pénitentiaire nous restent en mémoire. Dans la situation de surpopulation carcérale que nous connaissons, il est d'autres solutions que le statu quo.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je vous remercie de votre accueil et connais l'ardeur au travail de votre commission, qui a, sur ce texte, largement entamé ses travaux. Je vous remercie d'avoir rappelé la méthode que j'ai choisie en rassemblant une conférence de consensus, pour rechercher des positions communes entre des personnes dont les parcours, les engagements, les appartenances partisanes diffèrent. Cette conférence s'est déroulée en deux étapes : un comité d'organisation a d'abord dressé un état des savoirs en matière de prévention de la récidive, puis des auditions publiques se sont déroulées sur deux jours, rassemblant 2 300 personnes. Douze préconisations ont été votées à l'unanimité, sur lesquelles j'ai organisé trois cycles de consultations, avant de passer à la phase interministérielle qui a précédé les arbitrages.
L'Assemblée nationale a apporté, à l'initiative de son rapporteur, quelques modifications à ce texte, sans remettre en cause ses principes directeurs. Quels sont-ils ? Les études, les expérimentations conduites en France et ailleurs, notamment au Canada, depuis plusieurs années, montrent que les peines les plus individualisées sont les plus efficaces. Ces peines tiennent compte de la gravité des faits, de leur retentissement sur la victime, ainsi que de la personnalité et du parcours de l'auteur des faits. Les magistrats doivent disposer de la totalité de leur pouvoir d'appréciation et disposer de tous les éléments qui leur permettront de prendre la décision la plus juste. La peine doit être individualisée à toutes les étapes, depuis le prononcé jusqu'à l'exécution.
Ce texte renforce, dans le même temps, les droits des victimes et des associations qui les accompagnent, et rassemble des dispositions éparses dans le code pénal. La loi pénitentiaire l'a montré : il est essentiel d'assurer la meilleure coordination possible entre les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations.
Ces principes trouvent leur expression dans deux articles principaux. L'article premier prolonge ce que contenait partiellement la loi pénitentiaire en précisant ce que sont les finalités et les fonctions de la peine : sanctionner l'auteur des faits, protéger la société, réparer le préjudice subi par la victime et travailler à la réinsertion de l'auteur des faits. L'article 11, structurant, rappelle les principes sur lesquels repose l'exécution de la peine. Rassemblant des dispositions éparses dans le code de procédure pénale, il renforce les droits des victimes et leur assure tranquillité et sûreté y compris dans la période d'exécution de la peine. L'insertion, la réinsertion, et au-delà même, la désistance - soit l'effort pour sortir de la délinquance - font pleinement partie des fonctions de la peine : c'est ce que ce texte entend rappeler.
Nous introduisons des mécanismes contribuant à l'efficacité de la sanction. Nous généralisons, ainsi, les bureaux d'exécution des peines, pour éviter les latences entre le prononcé et le suivi de l'exécution.
Sachant que le magistrat a besoin, pour prononcer une peine individualisée, de disposer de toutes les informations pertinentes, nous introduisons une césure dans le procès pénal. La juridiction se prononcera, dans un premier temps, sur la culpabilité et les mesures de réparation à l'égard de la victime, et disposera ensuite de temps pour rassembler les éléments relatifs à la personnalité de l'auteur avant le prononcé de la peine.
Les études conduites en Europe et ailleurs montrent que lorsque la peine est exécutée en milieu ouvert, la récidive est beaucoup moins fréquente. Telle est la logique qui préside à la création de la contrainte pénale, applicable aux délits dont la peine maximale encourue est de cinq ans. Connaissant la sévérité de notre code pénal, et l'accumulation possible des circonstances aggravantes, il faudra sans doute y revenir, avec quelques exemples, pour savoir exactement ce que cela représente. Parmi les dispositions complémentaires introduites par l'Assemblée nationale, figure une extension différée de la contrainte pénale à l'ensemble des délits. Ce sera sans doute un point de discussion lors de vos débats.
Nous avons sécurisé ce dispositif de contrainte pénale, en autorisant la présence de l'auteur des faits ou de son avocat lors de la définition des obligations et en veillant que ce soit bien la juridiction qui décide de la durée d'emprisonnement encourue en cas de non-respect de ces obligations. Je sais que votre rapporteur a prévu d'autres dispositions, sur lesquelles je me permettrai d'émettre quelques réserves.
Plusieurs questions sont donc en débat : champ de la contrainte pénale, échelle des peines, mais aussi architecture des peines et exécution, sujet sur lequel j'ai mis en place une commission, présidée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, et actuellement président de chambre à la Cour pénale internationale.
Nous avons également prévu des garanties à l'étape de l'exécution : l'article 15 permet aux forces de sécurité, police et gendarmerie, de contrôler le respect des obligations et interdiction imposées à l'auteur des faits - retenues, visites domiciliaires, inscription des obligations et interdictions au fichier des personnes recherchées.
Je sais que certaines des dispositions introduites par l'Assemblée nationale font ici débat. J'indique d'emblée que celles relatives à la géolocalisation et à l'écoute des personnes sortant de prison nous paraissent disproportionnées : elles doivent rester réservées à la grande délinquance. Mêmes réserves sur les dispositions de l'article 15 ter, qui transmet aux forces de police des compétences qui doivent rester des prérogatives de l'action publique. Connaissant tout l'attachement du Sénat aux garanties de droit, je ne doute pas que ces dispositions soulèvent les mêmes réserves que les nôtres.
Nous voulons couvrir tout le champ pénal, et avons donc mis en place un mécanisme de libération sous contrainte, rendez-vous judiciaire qui se prépare en amont et permet, aux deux tiers d'exécution de la peine, à la commission d'application des peines de prononcer, au vu du projet du condamné, une mesure de libération sous contrainte ou de décider du maintien en détention. C'est un mécanisme qui vise à lutter contre les sorties sèches, dont il est prouvé qu'elles favorisent la récidive.
Tel est l'essentiel des dispositions de ce texte. Outre la méthode qui a été la nôtre en amont, nous avons également d'ores et déjà pris des dispositions pour que cette nouvelle peine qu'est la contrainte pénale s'accompagne d'une prise en charge adaptée. C'est ainsi que nous avons prévu de renforcer le corps des conseillers d'insertion et de probation en recrutant 1 000 fonctionnaires sur trois ans. Nous avons également entrepris de mieux coordonner les interventions des services de l'État, des collectivités territoriales et des associations, et renforcé le rôle de ces dernières en augmentant, dès mon entrée en fonctions, le budget de l'aide aux victimes de 25,8 %, et en ouvrant un bureau d'aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance - une centaine ont été ouverts en 2013, et consolidés. Le texte voté à l'Assemblée nationale inscrit dans la loi l'existence de ces bureaux. Afin de disposer d'éléments statistiques fiables, nous avons conduit une réforme de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui est en passe d'aboutir ; et nous créons, sur le fondement de l'article 7 de la loi pénitentiaire, l'Observatoire de la récidive et de la désistance. L'ONDRP mènera un travail transversal - alimenté et par le ministère de la Justice, qui dispose depuis 1973 d'un système statistique, et par le ministère de l'Intérieur, qui vient de créer le sien en janvier 2014 - et procèdera à l'évaluation, prévue à deux ans, de ce texte.
Ce projet de loi est charpenté par des principes clairs et des mécanismes qui ont fait leur preuve dans d'autres pays. Il fera l'objet d'une évaluation transparente et sera accompagné de moyens. Notre ambition est non seulement de lutter contre la récidive, mais de la prévenir et c'est pourquoi il importait de se pencher sur les facteurs qui la favorisent.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je salue le courage de Christiane Taubira, qui tient son cap en dépit des attaques. Je salue aussi sa méthode, inédite dans le domaine de la justice, qui a fait précéder l'élaboration de ce texte d'un travail scientifique, sociologique, ouvert sur les expériences étrangères et, loin de l'émotion du fait divers, d'une utile confrontation des points de vue qui a su faire émerger le consensus.
Je suis globalement favorable à ce projet de loi et me suis inspiré, dans les amendements que je présenterai, de deux principes. J'ai voulu aller plus loin, tout d'abord vers ce que proposait la conférence de consensus, notamment sur la contrainte pénale, pour en faire, dans certains cas, une peine non adossée à la peine d'emprisonnement. Il s'agit de faire comprendre à l'opinion publique et aux magistrats qu'en matière délictuelle, il existe bien trois sanctions : la prison, la contrainte pénale, l'amende. J'ai voulu me situer, ensuite, dans la continuité de la réforme pénitentiaire de 2009, en y revenant, à l'article 7, et en distinguant, selon une logique qui devrait agréer au Gouvernement, les primo-délinquants des récidivistes.
J'aimerais que vous nous en disiez plus, au cours des débats, madame la ministre, sur l'observatoire de la récidive et de la désistance. Comment envisagez-vous sa mise en place ?
Ce texte s'inscrit dans un double mouvement. Philosophiquement, il rejoint le courant, né après-guerre, de la nouvelle défense sociale, qui a donné lieu à nos lois pénales et de procédure pénale, et les théories plus récentes de resocialisation chères à Paul Ricoeur et à d'autres. La sanction doit punir, mais surtout réinsérer, éviter la récidive, éviter le pourrissement en prison, école du crime. Je pense que sur cette philosophie, nous pouvons nous retrouver nombreux, quelles que soient nos formations politiques.
Un mot, pour finir, de l'article premier. Je ne propose pas de l'amender, mais cela viendra peut-être. Il y est écrit que la peine a pour fonction de sanctionner le condamné, et de favoriser « son amendement », son insertion ou sa réinsertion. J'avoue que ce terme d'amendement, empreint d'une connotation morale, voire religieuse, me laisse sceptique. Mieux vaudrait viser l'insertion ou la réinsertion du condamné « en vue de sa resocialisation ».
Quant aux quatre amendements, techniques, déposés par le Gouvernement, nous les avons examinés attentivement et je leur donnerai un avis favorable.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je veux souligner que ce texte est une loi d'efficacité. Récuser l'impunité - car toute infraction doit donner lieu à sanction - suppose une diversité de peines : prison, contrainte pénale, amende. L'individualisation évite la récidive. Le message est clair, et je m'offusque de voir ce que parfois on lui impute à charge.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je partage votre façon de poser le problème. Dès lors que quelqu'un qui entre en prison doit en sortir, mieux vaut qu'il en sorte le moins mal possible. Comment y parvenir ? Tel est le problème central qui se pose à nous. J'ai peine, cependant, à saisir comment il faut envisager la contrainte pénale telle que vous l'inscrivez dans ce texte. Est-elle, dès lors que c'est le juge de l'application des peines qui en décide, une modalité d'application de la peine, ou bien une peine à part entière, ainsi qu'en juge le rapporteur, que je suis tenté de suivre ? Qu'apporte cette nouvelle modalité de la peine à l'arsenal existant ?
Autre question, qu'entendez-vous, madame la ministre, par « justice restaurative ? » Il est vrai que l'on attend aujourd'hui de la justice qu'elle aide, dans une sorte de psychothérapie collective, les victimes à faire leur deuil, mais je ne crois pas que ce soit là ce que vous visez sous ces termes.
M. Yves Détraigne. - Ce texte opère, au regard de la manière dont a été considérée ces dernières années la question, un changement de philosophie. Il faudra beaucoup de savoir-faire dans sa mise en oeuvre pour que cette réorientation ne passe pas, auprès de la population, pour du laxisme et que les bonnes intentions affichées ne restent pas lettre morte.
Sur un sujet aussi sensible, ne pas accompagner ces dispositions des moyens nécessaires serait courir à l'échec. La surpopulation carcérale est incontestable, peut-être parce que l'on a tendance à prononcer trop facilement des peines privatives de liberté, mais aussi parce que les moyens financiers manquent pour moderniser nos prisons et offrir le nombre de places suffisant. Pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que les services d'insertion et de probation seront suffisamment dotés, et que la peine alternative que vous entendez mettre en place ne laissera pas le condamné livré à lui-même, au risque de donner à l'opinion publique un dangereux sentiment de laxisme ? Vos prédécesseurs se sont cassé les dents sur cette question des moyens. Quelles assurances pouvez-vous nous donner que nous ne passons pas, en changeant ainsi de philosophie, un marché de dupes ?
Mme Virginie Klès. - Je suis une scientifique et crois par dessus tout à l'évaluation par la preuve. Or, nous manquons, en France, d'une culture de l'évaluation. On peut toujours sortir des chiffres d'un chapeau et leur faire dire tout et n'importe quoi. Autre chose est de préparer l'évaluation en amont, avec des critères objectifs. Ce n'est pas au terme de deux années, cependant, que l'on mesurera l'efficacité de cette loi, mais sur le long terme. Les taux de récidive, qui varient selon les instituts dont ils proviennent, sont sujets à contestation. Nous avons besoin de vrais outils comparés d'évaluation, à l'instar de ce que Martin Hirsh avait entrepris d'importer, en s'inspirant d'expériences étrangères, dans l'évaluation du RSA. Où en êtes-vous sur ce point, madame la ministre ?
Mme Cécile Cukierman. - Nous partageons les grandes orientations de ce texte important pour une justice du XXIème siècle. Nous nous félicitons de la suppression des peines plancher, en faveur de l'individualisation de la peine, et de la restitution au juge de son pouvoir d'appréciation. Les conseillers d'insertion et de probation seront des acteurs indispensables à la réussite de ce texte. Vous avez annoncé des créations de postes, et nous espérons que des redéploiements au sein du ministère viendront les compléter. Car ces conseillers seront les chevilles ouvrières de l'insertion. La notion de parcours de peine est importante. Il s'agit d'ouvrir le débat dans l'opinion publique : une peine peut être accomplie en milieu ouvert ou fermé, et ce n'est pas dans ce dernier cas qu'elle est vécue le plus activement. Les conseillers de probation le disent eux-mêmes, il est parfois plus difficile d'effectuer une peine en milieu ouvert, parce qu'elle comporte plus de contraintes qu'en prison, où le condamné reste plus passif, livré à lui-même, quand ce n'est pas pire, au risque d'obérer ses chances de réinsertion. On n'a d'ailleurs pas vu, grâce à la prison, les délits reculer dans notre pays.
Ce texte me laisse cependant trois regrets. Le maintien, tout d'abord, de la rétention et de la surveillance de sûreté, qui va à l'encontre de l'idée de la peine comme parcours et vient rendre difficile la sortie de peine, en mettant en cause le pacte passé entre la justice et le condamné en vue de sa réinsertion. Je regrette, ensuite, que l'Assemblée nationale ait donné au préfet et aux autorités administratives le moyen d'interférer dans les missions du juge, en lui demandant de réincarcérer le condamné en probation, et confié aux instances locales et à la police des prérogatives réservées à l'autorité judiciaire. On a un peu le sentiment d'un mélange des genres. Dernier regret, enfin, la modification de l'intitulé de la loi, qui lui confère un caractère plus sécuritaire. C'est à mon sens une maladresse, qui ne change rien quant au fond mais en dit long sur un état d'esprit... Nous proposerons des amendements sur tous ces points.
M. Christophe-André Frassa. - J'ai le sentiment que dans les dispositions de ce texte, madame la ministre, la sociologie se substitue bien souvent au droit. On se demande ce qu'est pour vous la loi pénitentiaire, votée consensuellement, car votre texte, purement et simplement, la détruit.
M. Henri Tandonnet. - J'adhère au principe d'individualisation de la peine et de restauration du pouvoir d'appréciation des magistrats, mais me pose une question sur la césure prévue dans le procès. Sera-t-elle obligatoire, au risque de réduire le pouvoir d'appréciation du magistrat, qui doit, à mon sens, pouvoir combiner, par souci d'individualisation, les trois modalités de la sanction ? La contrainte pénale le lui interdit-il ? Et si le juge estime que la sanction la mieux adaptée est une faible peine, sans besoin d'une évaluation de la personnalité de l'auteur, aura-t-il les mains libres ?
Ce texte exigera, tant pour l'accompagnement que pour l'évaluation, des moyens. Or, il me semble que le ministère de la Justice se décharge, en matière de suivi et de contrôle, sur les collectivités territoriales et les associations, qui devront apporter des moyens supplémentaires.
Mme Catherine Tasca. - Ce projet de loi a plusieurs vertus. Alors que des années durant, le débat public s'est polarisé sur les crimes, il s'attache à la délinquance, qui peut être un premier faux pas et dont il faut tout faire pour qu'elle ne se transforme pas en apprentissage du crime. Or, on sort plus souvent de prison abîmé qu'amendé. Tel est le constat incontestable dont part votre projet de loi.
Après le prononcé de la peine, il s'agit de se préoccuper de son application. Ce projet ouvre des pistes nouvelles, qui respectent la liberté du juge et permettent, cela est fondamental, d'individualiser la peine. Confortant les avancées de la loi pénitentiaire de 2009, il sort du débat caricatural par lequel on oppose trop souvent souci sécuritaire et laxisme. Car à la différence de M. Frassa, loin de juger que ce texte détruit la loi de 2009, j'estime qu'il en renforce l'esprit, en donnant effectivité aux riches débats de la conférence de consensus.
Le texte tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale n'a pas levé, cependant, toutes les contradictions. Le texte initial du Gouvernement restreignait drastiquement l'accès à un aménagement de peine. L'Assemblée nationale a, heureusement, rétabli un seuil d'un an, en supprimant la distinction entre primo-délinquant et récidiviste. J'aimerais connaître là-dessus, madame la ministre, votre sentiment. Ne s'agit-il pas d'arrêter le processus de la délinquance et de faire barrage à la récidive ? Autant il est logique que la sanction attachée à la récidive soit plus lourde, autant il ne me semble pas cohérent de maintenir la distinction pour l'accès aux aménagements de peine.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - M. Jean-Pierre Michel m'interroge sur l'Observatoire de la récidive et de la désistance. Je lui répondrai, en même temps qu'à Mme Virginie Klès, en indiquant que nous travaillons depuis plusieurs mois sur les statistiques, objet, depuis des années, de contestations, fondées ou infondées, quant à leur crédibilité. Nous avons voulu un dispositif incontestable, qui ne soit entre les mains ni du ministère de l'Intérieur, ni de celui de la Justice, en engageant la réforme de l'ONDRP. Nos ministères doivent être en capacité de produire des données. Je le répète, le ministère de la Justice dispose, depuis 1973, d'un service statistique et j'ai veillé, depuis mon arrivée, que soient mises à disposition certaines statistiques jusqu'à présent très difficiles à obtenir sur l'incarcération, dans un souci de transparence et d'appropriation collective par l'opinion publique. Le ministère de l'Intérieur s'est doté, pour sa part, depuis janvier 2014, d'un outil statistique. L'ONDRP pourra ainsi travailler sur la délinquance, et mener des analyses transversales. Quant à l'Observatoire de la récidive et de la désistance, il relève, je l'ai dit, de la loi pénitentiaire, n'en déplaise à M. Frassa. Et si M. Détraigne a raison de parler de changement de philosophie, c'est un changement entamé avec la loi pénitentiaire : l'incarcération ne doit intervenir qu'en ultime recours et, si elle ne peut être évitée, des aménagements de peine doivent être envisagée dès que possible.
C'est une réalité constatée dans de
nombreux pays, la peine en milieu ouvert
- que l'on appelle d'ailleurs
peine de probation -, qui ne désocialise pas l'auteur des faits, et
le responsabilise en lui imposant une série d'obligations pour
réparer le préjudice subi par la victime, se former, se soumettre
éventuellement à des soins, réduit la récidive.
Dans certains pays scandinaves, après vingt ans de contrainte
pénale, on ferme les établissements pénitentiaires, et
c'est tant mieux.
L'Observatoire de la récidive et de la désistance aura mission de contribuer à l'évaluation qui, ainsi que Mme Virginie Klès a eu raison de le souligner, ne sera pas définitive au terme de deux ans. Mais nous nous fixons ce rendez-vous à deux ans, pour voir ce que cela donne. Nous verrons comment nous avons été capables de lutter contre les sorties sèches, sans nous contenter de gérer des flux carcéraux. Car ce fut là un des défauts de la loi pénitentiaire, qui intervenait sur un système embolisé, après une quantité de textes venus modifier soit le droit pénal soit la procédure pénale. Au point qu'il n'y avait plus aucune logique, ni dans la politique pénale, ni dans la politique carcérale. Avec des mécanismes comme la procédure simplifiée d'aménagement de peine ou le suivi électronique en fin de peine prévus dans la loi pénitentiaire, on a, de fait, géré des flux carcéraux. Nous nous situons dans une autre logique, non de gestion de la population carcérale mais de prévention de la récidive. C'était d'ailleurs l'esprit de la loi pénitentiaire, même s'il en a autrement été fait usage, dans lequel nous nous situons, et la preuve en est que nous avons pris en moins de deux ans les décrets d'application qui lui manquaient encore, et dont certains furent fort difficiles à élaborer.
L'Observatoire pourra étudier les parcours de délinquance et les parcours de désistance, sur lesquels nous avons besoin d'indicateurs fiables. Nous travaillerons sur des cohortes, car nous manquons d'études telles que celle que nous avons lancée sur dix ans avec 500 000 condamnés. Cet observatoire nous sera précieux, et c'est un outil dont les parlementaires, qui y auront des représentants, pourront s'emparer.
Le terme d'amendement ne vous paraît pas, monsieur le rapporteur, assez séculier ? Ce n'est pourtant pas la rédemption... Nous déploierons cette séquence philologique - je sais que le Sénat y est versé - en séance publique.
Nous ne faisons pas plus de sociologie que de droit, monsieur le sénateur Frassa, mais nous pensons qu'il est utile que le droit se nourrisse d'autres disciplines. Nous augmentons les effectifs des conseillers d'insertion et de probation : 400 sont déjà en formation à l'école nationale de l'administration pénitentiaire, et 300 autres le seront dans chacune des deux années à venir. Ce recrutement de 1000 fonctionnaires sur trois ans représente un effort sans précédent. Mais nous ne nous contentons pas de cela, nous travaillons aussi sur les méthodes et les profils de recrutement, dans la conviction que les sciences humaines ont beaucoup à apporter. Sans remplacer le droit, la sociologie, nous l'assumons, inspire nos décisions normatives.
La contrainte pénale, monsieur Collombat, est une peine en tant que telle. Immédiatement exécutoire, elle doit être éminemment adaptée - d'où un point de désaccord avec votre rapporteur, qui veut, pour certains délits, en faire la seule peine susceptible d'être prononcée. Telle n'est pas notre démarche : dans une logique d'individualisation, il s'agit de travailler sur les personnes et les personnalités. La contrainte pénale doit être ajustée. Elle est modulable et elle est évaluée. Elle est une peine, et non un aménagement de peine.
La césure du procès, monsieur Tandonnet, ne sera pas obligatoire. Souvent, par manque d'éléments, le juge décide de renvoyer l'affaire. C'est ce que nous avons voulu éviter, en prévoyant une audience rapide pour le prononcé de culpabilité et les mesures d'indemnisation de la victime, afin de répondre au sentiment d'impunité et à la légitime impatience des victimes, tout en ménageant, à sa suite, la possibilité d'un délai, afin d'ajuster la peine.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'article 8 bis, cependant, précise bien que c'est le juge de l'application des peines qui peut décider, « lorsqu'une condamnation pour un délit de droit commun comportant une peine d'emprisonnement ferme d'un an au plus a été prononcée », de la contrainte pénale. Vous comprendrez donc ma perplexité quant à la nature de cette disposition.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - C'est un point sur lequel votre rapporteur entend revenir.
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais il s'agit bien là d'un aménagement.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - C'est un vrai sujet. Nous avons eu plusieurs mois durant un débat sur ce transfert du prononcé vers le juge de l'application des peines.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je veux dire à M. Collombat qu'il sera pleinement informé sur ce point dès notre réunion en commission de demain.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre rapporteur, madame la ministre, présentera un long amendement faisant de la contrainte pénale, pour un certain nombre d'infractions dûment énumérées, qui ne sont jamais des atteintes aux personnes, la seule peine encourue. Il montre là que la contrainte pénale n'est pas une modalité du sursis avec mise à l'épreuve mais bien une peine en soi, qui a sa spécificité. Et qui éviterait, qui plus est, un surcroît d'engorgement. Y a-t-il vraiment contradiction avec vos positions ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Non pas contradiction, mais nuance. À suivre votre rapporteur, le texte instituerait deux types de contrainte pénale. L'une qui serait prononcée à l'exclusion de toute autre peine, dans certains cas, l'autre que les juges auraient la faculté de choisir. Nous avons eu de nombreux échanges devant la conférence de consensus sur ce sujet, et avons fait un autre choix.
M. Détraigne m'interroge sur les moyens, condition d'efficacité du dispositif. Nous les avons. Nous sommes comptables, madame Cukierman, des évolutions de l'opinion publique. J'ai fait un tour de France, et je suis prête à le refaire après l'adoption de la loi, de même que vous avez contribué, dans les territoires, à expliquer les choses. Les derniers sondages montrent que 63% des Français sont favorables à la contrainte pénale. Il est vrai qu'en cas de drame, dans ces moments difficiles de crispation, l'opinion cède le pas à l'humeur. C'est une réaction saine, qui montre que l'on n'est pas indifférent. Mais il serait irresponsable aux politiques d'en tirer une loi, alors qu'en règle générale, l'opinion publique est rationnelle.
Je crois profondément, monsieur Tandonnet, à l'unité de l'action publique. Quand l'État se défausse sur les collectivités territoriales, il affaiblit cette unité. Ce n'est jamais une bonne opération, à terme. J'entends inscrire ce texte dans la durée. Mon souci est de mieux articuler, d'additionner plutôt que de soustraire. Nous avons engagé un travail interministériel, avec les ministères de la santé, du travail, de la formation professionnelle et de l'emploi, de l'Éducation nationale, aussi, car le taux d'illettrisme dans les prisons atteint 27%. Nous avons également engagé des expérimentations avec sept collectivités territoriales, sur les emplois d'avenir et l'insertion par l'activité. Sur la formation professionnelle, une expérimentation très fructueuse a été conduite avec deux régions, Pays de Loire et Aquitaine, et que la loi Sapin prévoit de généraliser.
On s'échine, depuis deux ans, à m'accuser de laxisme. Je demande que l'on en vienne enfin à donner des exemples, au lieu d'asséner le mot en argument d'autorité. N'y a-t-il pas plus de laxisme à tolérer 98% de sorties sèches ? Et à laisser ainsi prospérer des mécanismes dont on sait parfaitement qu'ils suscitent la récidive ? Je suis venue ici même, devant vous, réparer des oublis de l'ancienne majorité, sans prononcer pour autant une parole la mettant en cause. Le port et le transport d'armes de sixième catégorie, ayant été oubliés lors de l'adoption d'une proposition de loi sur les armes, allaient cesser d'être un délit à compter du 6 septembre 2013. Je vous ai demandé de le rétablir, sans accuser l'ancienne majorité de laxisme ou de travail bâclé.
Vous avez, madame Cukierman, exprimé des regrets.
Mme Cécile Cukierman. - Le débat aura lieu en séance...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Il n'est pas prévu, monsieur Tandonnet, de combiner la contrainte pénale avec une autre peine, comme l'amende. Il s'agit d'une peine, pensée comme telle, et qui a fait ses preuves dans plusieurs pays. On innove, certes, mais pas ex nihilo. La récidive est plus que moitié moins fréquente en cas d'aménagement de peine. En instituant une peine en milieu ouvert, comme l'ont fait bien des pays, on favorise la prévention. Ce qui ne nous empêche pas de tenir nos engagements en matière de création de places de prison - 6 300 sur trois ans -, afin de répondre à l'exigence européenne d'encellulement individuel. Il sera difficile de tenir l'échéance de novembre 2014, mais nous atteindrons, en 2017, 5000 créations nettes - chiffre qui prend en compte les fermetures, comme celle que nous avons dû décider provisoirement à Lure. Certains établissements sont dans un état tel qu'ils présentent des risques pour les détenus et les personnels, et nous font encourir le risque d'une condamnation pour conditions indignes de détention.
Mme Tasca connaît bien le sujet du suivi de l'exécution des peines. La loi pénitentiaire prévoyait un aménagement de peine d'un an pour les récidivistes, et de deux ans pour les primo-délinquants. Le texte initial du Gouvernement abaissait ces seuils, respectivement à six mois et un an. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a proposé un nouveau dispositif, à un an pouvant monter à deux ans en cas de cumul de peines. Nous avons interrogé les juges de l'application des peines : 7 % seulement de peines supérieures à un an sont aménagées, la grande masse des aménagements portant sur les peines de moins d'un an. Ces 7% correspondent globalement à la situation de cumul de peines prévue par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si le juge estime, en son âme et conscience, qu'un aménagement est souhaitable entre un an et deux ans, en l'absence de cumul de peines, pourquoi le lui interdire ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - La question est posée.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Et contient en elle-même sa réponse...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Nous y reviendrons en séance.
Mme Catherine Tasca. - Il n'est, à mon sens, pas justifié de distinguer entre primo-délinquants et récidivistes pour la durée des aménagements de peine.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Ce sujet vaut la peine que l'on s'y arrête, car il donne lieu, en effet, à des réactions déconcertantes. Pour casser les parcours de délinquance, les récidivistes doivent être plus suivis encore que les primo-délinquants, afin d'éviter toute sortie sèche, tout le monde s'y accorde. Le problème, c'est que lorsque l'on tire les conséquences juridiques de ce principe, en permettant aux récidivistes d'accéder aux dispositifs de liberté sous contrainte, on entend fuser les haro, et l'on est accusé de favoriser les récidivistes. C'est pourtant une question d'efficacité. Sans compter que le code pénal, prévoyant des sanctions plus lourdes pour les récidivistes, l'aménagement, qui n'intervient pas avant les deux tiers de la peine, arrive déjà plus tard, pour un même acte, que dans le cas d'un primo-délinquant. On peut comprendre ces réactions, sachant que le système judiciaire et notre idée de la peine sont faits de représentations symboliques, mais l'objectif, sur lequel tout le monde s'accorde, n'est-il pas de prévenir la récidive ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Qu'entendez-vous par « justice restaurative » ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - C'est une démarche que j'introduis sur le fondement de deux expériences, dûment évaluées. J'ai décidé d'anticiper certaines dispositions de la directive d'octobre 2012 relative aux droits des victimes, que nous devrons avoir transposée en novembre 2015. Son article 12, relatif au suivi individualisé des victimes, énonce des normes minimales. Depuis janvier 2014, j'ai lancé une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance. La justice restaurative consiste à organiser, sur la base du volontariat, et en l'absence, j'y insiste, de toute rétribution sous forme d'adoucissement de peine, des rencontres indirectes entre victimes et auteurs. Indirectes, car elles ne réunissent pas l'auteur d'un acte et sa victime, mais auteurs et victimes de mêmes faits. Cette démarche se pratique depuis de nombreuses années au Canada avec des résultats encourageants pour les victimes, qui se sentent mieux reconnues par les auteurs de faits délictueux, et pour les auteurs eux-mêmes, qui réalisent souvent, face à la victime, l'ampleur du dommage. On a même vu l'un d'eux s'engager dans une association et parcourir 3 000 kilomètres pour collecter des fonds au bénéfice de celle-ci.
Il existe aussi des rencontres directes. C'est une expérience conduite au centre de Poissy par une association, l'Inavem, l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, et qui fait l'objet d'un protocole et d'une évaluation aussi rigoureux que possible.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Un mot sur les moyens. Tous les syndicats que nous avons entendus lors de nos auditions - directeurs d'établissements, surveillants, personnels en milieu ouvert - se sont déclarés favorables à la réforme et engagés pour sa réussite. C'est encourageant et assez nouveau.
Mon amendement sur la contrainte pénale ne vient pas de rien. J'ai voulu mettre en oeuvre les recommandations du rapport de M. Dominique Raimbourg, Penser la peine autrement, qui préconise, dans sa proposition n° 36, de faire de la contrainte pénale une peine principale se substituant à l'emprisonnement pour certains délits.
Tous les juristes que nous avons entendus ont jugé qu'en ne distinguant pas le SME et la contrainte pénale, ce texte instaurait la confusion. Votre cabinet m'objecte que le suivi est renforcé, mais ce n'est que littérature, d'autant que les obligations, dans la contrainte pénale, sont identiques ou presque. Robert Badinter nous engageait à aller jusqu'au bout du texte, en prévoyant un triptyque, peine de prison, assortie éventuellement d'un sursis avec mise à l'épreuve, contrainte pénale applicable à certains délits, amende. Il est vrai que cela fait coexister deux types de contrainte pénale, puisque je ne touche pas à votre système prévoyant une application aux délits punis de cinq ans, mais sur les petits délits, cela évitera aux juges, « partagés entre un lâche soulagement et la honte », comme disait Léon Blum après les accords de Munich, de prononcer des peines d'emprisonnement.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Où l'on voit que le rapporteur du Sénat met en oeuvre les préconisations de M. Raimbourg, rapporteur de l'Assemblée nationale sur ce texte...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je veux vous remercier chaleureusement pour vos questions et vos observations, qui raffermissent nos convictions. Il importe que les lois de la République, qui instaurent des règles valables pour tous, se prennent en bonne intelligence.
La réunion est levée à 20 h 15
Mercredi 18 juin 2014
- Présidence de Jean-Pierre Sueur, président -La réunion est ouverte à 9h10
Répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies - Examen du rapport et du texte de la commission
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine tout d'abord le rapport de M. Christian Favier et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 559 (2013-2014), modifiée par l'Assemblée nationale, visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies.
M. Christian Favier, rapporteur. - Notre commission examine, en deuxième lecture, la proposition de loi de notre collègue Mme Evelyne Didier, que le Sénat avait votée à l'unanimité le 17 janvier 2012, et que l'Assemblée nationale a adoptée le 23 mai dernier. Ce texte statue sur la répartition des charges de gestion d'un ouvrage de rétablissement d'une voie de communication coupée à l'occasion de la réalisation d'une infrastructure de transports.
Les principes applicables en la matière ont été définis par une jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'État, selon laquelle les ouvrages d'art de rétablissement de voies interrompues par la construction d'une infrastructure de transport nouvelle sont incorporés à l'infrastructure dont ils relient les deux parties. Il incombe ainsi aux collectivités territoriales d'assurer l'entretien de ces ouvrages. Nombre d'entre elles ignorent pourtant cette obligation. Face aux contraintes que la gestion d'un tel ouvrage fait peser sur leur budget, elles en viennent parfois à réduire, voire à interdire, l'utilisation de leur voirie afin de préserver la sécurité de ses utilisateurs.
Les projets de réalisation d'une infrastructure de transports coupant une voie existante, comme ceux de travaux de rétablissement, sont en outre, la plupart du temps, imposés par l'État à la collectivité territoriale qui ne dispose en la matière d'aucun pouvoir de décision. Pour répondre à cette injustice et aux difficultés rencontrées par nos collectivités, cette proposition de loi pose un nouveau principe général de répartition des responsabilités et des charges entre les collectivités territoriales et les gestionnaires des infrastructures de transport nouvelles : les premières assureraient la remise en état et la gestion des trottoirs, du revêtement routier et des joints qui en assurent la continuité, les seconds prendraient en charge la surveillance, l'entretien et la restauration de la structure de l'ouvrage et de son étanchéité.
La prise en compte des particularités de chaque ouvrage d'art relèverait d'une convention entre les deux parties, sans préjudice de celles déjà signées ; en cas de dénonciation, les conventions antérieures seraient renégociées selon ce nouveau principe général. Pour les situations de litige et en l'absence de convention, les deux parties en contracteraient une dans un délai de trois ans.
Nous avions procédé en première lecture, sur ma proposition, à des améliorations rédactionnelles et à une réorganisation des dispositions de la proposition de loi afin de conforter le cadre protecteur proposé pour les collectivités territoriales.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale a adopté seize amendements rédactionnels ou de précision renforçant et clarifiant ce nouveau principe de répartition des charges. Les députés ont en outre adopté huit amendements du Gouvernement en séance publique. L'un d'entre eux prévoit que la répartition des charges tiendra compte de plusieurs facteurs : volonté du gestionnaire de la voie affectée de supporter seul, pour des motifs de sécurité de son infrastructure, les charges de sa surveillance, de son entretien et de sa réparation ; capacité contributive du gestionnaire de l'infrastructure de transport nouvelle ; capacité contributive de la collectivité dont la voie est affectée, etc... La médiation du préfet serait précédée, en cas de désaccord entre les deux parties lors de la conclusion d'une convention de répartition des charges, d'un avis préalable de la chambre régionale des comptes. Par ailleurs, les collectivités territoriales ayant engagé une action contentieuse avant le 1er juin 2014 trouveront, par la conclusion d'une convention, une solution négociée avec l'État ou l'un de ses établissements publics. Il est enfin prévu d'établir un recensement des ouvrages afin d'en connaître la répartition et l'état général.
Je vous propose d'accepter les modifications adoptées par l'Assemblée nationale. L'entrée en vigueur rapide de cette proposition de loi donnerait aux élus locaux la possibilité de se saisir pleinement des nouvelles dispositions et de mettre fin, pour certaines d'entre elles, à plusieurs années de conflits avec les opérateurs de l'État. Ce sujet peut paraître marginal, mais il est important pour les collectivités locales, en particulier pour les petites communes, qui seront attentives à notre vote.
M. René Vandierendonck. - J'avais salué il y a deux ans le dépôt de cette proposition de loi : elle a fait peu de bruit, alors que des dizaines de millions d'euros sont en jeu pour les collectivités locales. Je félicite le rapporteur pour la pugnacité avec laquelle il a défendu ce texte très important.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie M. Favier. Vous nous proposez donc le principe d'un vote conforme lundi prochain.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Création de sociétés d'économie mixte à opération unique - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine ensuite les amendements sur son texte n° 615 (2013-2014) pour la proposition de loi n° 519 (2013-2014), modifiée par l'Assemblée nationale, permettant la création de sociétés d'économie mixte à opération unique.
M. Jean-Yves Leconte. - Je regrette de ne pas avoir déposé ces amendements plus tôt. La procédure actuelle de recours à une SEM à opération unique n'impose pas la réalisation d'une étude préalable. L'amendement n° 2 comblerait ce manque.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je demande le retrait de cet amendement. Une SEM à opération unique et un partenariat public-privé ont deux outils différents, ce que le Conseil national de l'ordre des architectes n'a pas encore entendu. La collectivité publique, qui aura établi un document de préfiguration, sera le donneur d'ordre ; elle détiendra au moins la minorité de blocage et exercera l'exécutif de la société ; elle attendra de la SEM qu'elle remplisse la mission qu'elle lui aura statutairement assignée.
M. René Vandierendonck. - Notre travail collectif a consolidé en première lecture les garanties juridiques, toutes reprises par l'Assemblée nationale dont nous avons accepté les modifications la semaine dernière. Si nous voulons que ce texte s'applique, nous devons le voter conforme.
M. Jean-Yves Leconte. - Je comprends les contraintes de calendrier : cet amendement aurait dû être présenté plus tôt. Je le défendrai cependant en séance publique : lorsqu'une collectivité a à choisir des outils, il est logique qu'elle commence par réaliser une étude.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Jean-Yves Leconte. - L'opérateur étant à la fois maître d'oeuvre et maître d'ouvrage, l'amendement n° 3 renforce le contrôle de l'intérêt public de l'opération.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'agenda ne nous contraint pas de voter n'importe quoi : je maintiens les objections de fond que j'ai formulées à l'amendement précédent. Les dispositions actuelles prévoient une étude de préfiguration, et la proposition de loi ne contrevient pas à la loi de 1977 sur les architectes, qui s'applique à ces opérations. Il ne s'agit évidemment pas d'évincer les architectes. Même demande de retrait.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 3 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Jean-Yves Leconte. - L'amendement n° 1 précise et complète les critères de performance pour la mise en concurrence des opérateurs.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La proposition de loi s'inscrit dans le cadre juridique existant. Même avis.
L'amendement n° 1 est retiré.
La commission adopte les avis suivants :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article 1er |
||
M. LECONTE |
2 |
demande de retrait, sinon avis défavorable |
M. LECONTE |
3 |
demande de retrait, sinon avis défavorable |
M. LECONTE |
1 |
Retiré |
Renforcer l'efficacité des sanctions pénales - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine enfin le rapport de M. Jean-Pierre Michel et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 596 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales (procédure accélérée).
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, renommé par les députés « projet de loi tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales ».
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'Assemblée nationale a adopté mardi dernier, après l'avoir porté à 51 articles, ce projet de loi qui a été soumis à la procédure accélérée. Ce texte fait suite à la conférence de consensus, qui s'est déroulée de septembre 2012 à février 2013 ; il tient compte des recommandations du Conseil de l'Europe ainsi que d'expériences menées au Québec et en Europe du Nord. Il remet le principe d'individualisation de la peine au coeur de la mission du juge. Dans la continuité de la loi pénitentiaire, il affirme que la sanction pénale doit favoriser la réinsertion du délinquant, afin d'éviter la récidive : c'est une reprise de la doctrine, apparue au lendemain de la seconde guerre mondiale, de la « nouvelle défense sociale ».
Dans ses modalités, c'est un texte prudent, qui ne va pas aussi loin que certains l'auraient souhaité, mais qui, compte tenu de l'état de l'opinion publique sur ces sujets, me paraît équilibré. Je vous proposerai de l'adopter sous réserve de quelques ajustements.
Nous sommes actuellement dans une période d'inflation carcérale. Malgré la diversification des sanctions pénales, la prison reste la peine de référence pour les magistrats. Avec plus de 68 000 personnes détenues au 1er mai 2014, nous avons renoué avec les taux d'incarcération de la fin du XIXe siècle. Nous nous situons, en valeur absolue, dans une position médiane par rapport à nos voisins européens ; mais, tandis qu'en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, le taux d'incarcération diminue, le nombre de détenus en France a augmenté de 8% depuis 2009.
Cela tient principalement à l'augmentation de la durée des peines prononcées, en raison notamment des peines planchers, et à l'augmentation du nombre d'entrées en détention, en particulier pour de courtes peines. Les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure d'accueillir l'ensemble de ces détenus : un quart des prisons françaises présente un taux d'occupation supérieur à 150% et près de 1 200 détenus dorment sur des matelas posés par terre. La surpopulation carcérale a été souvent dénoncée, y compris ici, par exemple par M. Jean-Jacques Hyest...
M. Jean-Jacques Hyest. - C'était avant la loi pénitentiaire.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Elle engendre toujours promiscuité et violences et empêche l'administration pénitentiaire de mettre en oeuvre des projets de réinsertion. Nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo l'ont souligné dans leur rapport de 2012, le bilan de l'application de la loi pénitentiaire est encore décevant. L'obligation d'activité, par exemple, se réduit en moyenne à quatre heures et demie chaque semaine de sport ou en bibliothèque.
Le nombre d'aménagements de peine a beaucoup augmenté, comme le demandait la loi pénitentiaire, mais surtout au bénéfice du placement sous surveillance électronique, qui consiste essentiellement à vérifier que le condamné se trouve à son domicile aux heures fixées par le juge. Les mesures de semi-liberté ou de placement à l'extérieur, plus propices à la réinsertion, sont en revanche peu développées.
Dans ces conditions, les sorties sèches demeurent majoritaires : 80% des détenus sortent sans avoir bénéficié du moindre accompagnement ; cette proportion monte à 84% pour les condamnés à une peine entre six mois et un an et à 98 % pour les condamnés à moins de six mois. Or, il est établi que les sorties sèches augmentent le risque de récidive : la plupart des détenus sortant dans ces conditions retrouvent le milieu de la délinquance. C'est l'une des raisons pour lesquelles certains de nos voisins (Allemagne, Suisse) ont interdit, sauf exception, le recours aux courtes peines d'emprisonnement.
Cette situation a été aggravée par les lois sur la récidive adoptées entre 2005 et 2012. Mon rapport écrit présente l'ensemble des mesures adoptées, dont les peines planchers sont la plus emblématique. Les conditions d'accès aux aménagements de peine ont été durcies, la surveillance à la fin de la peine facilitée, l'excuse de minorité a été écartée ; des tribunaux correctionnels pour mineurs, enfin, ont été instaurés.
Ces lois, qui reposaient sur une logique, que l'on peut comprendre, de gradation de la réponse judiciaire face à l'entêtement dans la délinquance, sont en réalité peu pertinentes, notamment parce que la notion de récidive légale, qui se distingue du concours d'infractions et de la réitération d'infractions, ne correspond pas à ce que les gens entendent habituellement par récidive.
Cette logique de gradation de la réponse pénale n'est pas non plus toujours adaptée aux situations concrètes et aux différentes trajectoires de sortie de la délinquance, qui ne sont pas rectilignes.
Je dirai enfin quelques mots des peines alternatives à la prison.
Comme la Cour des comptes l'a relevé en 2010, les peines exécutées en milieu ouvert sont « quantitativement importantes, mais qualitativement négligées ». Le sursis avec mise à l'épreuve (SME) représente les trois quarts des mesures suivies en milieu ouvert par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) - près de 80 000 SME ont été prononcés en 2011, dont un tiers dans le cadre d'une peine mixte ; 15 000 peines de travail d'intérêt général (TIG) ont été prononcées en 2011. Les peines alternatives, comme les stages ou l'annulation du permis de conduire, sont moins fréquentes.
Dans le cas du SME, les contraintes imposées ne sont pas toujours bien adaptées, les délais d'exécution sont souvent longs, et la prise en charge par le SPIP se résume fréquemment à un simple contrôle du respect des obligations, sans suivi particulier axé sur la réinsertion et la prévention de la récidive.
Nous avons souvent évoqué les difficultés rencontrées pour multiplier les offres de TIG auprès des collectivités locales et des organismes publics. Elles sont notamment imputables à la crise d'identité que traversent les SPIP. Jean-René Lecerf en avait parlé, il y a quelques mois, dans son avis budgétaire ; à l'heure actuelle, les SPIP sont saturés. Chaque conseiller suit en principe l'application d'environ quatre-vingt-dix mesures, mais en réalité ce ratio atteint souvent cent cinquante à deux cents mesures par conseiller, ce qui est incompatible avec un suivi efficace. Par comparaison, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) suit en moyenne vingt-cinq mineurs.
Les SPIP sont confrontés au recentrage de leurs missions sur la prévention de la récidive, qui a laissé de côté le travail social. La loi du 27 mars 2012, à laquelle nous nous étions opposés, leur a retiré une grande partie des enquêtes de personnalité pré-sentencielles. Les SPIP vont également connaître, dans les années à venir, un renouvellement de génération : le Gouvernement a annoncé le recrutement de mille agents supplémentaires d'ici 2017, mais cette augmentation du corps de l'ordre de 25 % ne suffira sans doute pas. Quatre-cents postes ont déjà été ouverts par la loi de finances pour 2014, l'objectif énoncé par Jean-Marc Ayrault lors du dépôt de ce projet de loi étant de parvenir, à terme, à un ratio de 40 mesures par conseiller.
Le texte a été significativement enrichi par l'Assemblée nationale. Le projet de loi initial contient notamment un important volet consacré à l'individualisation des peines, supprimant les peines planchers et rétablissant l'obligation de motivation de toute peine d'emprisonnement ferme non aménagée, y compris pour les récidivistes. La révocation du sursis ne sera plus automatique. Ce projet de loi crée par ailleurs une césure du procès pénal afin de mener une enquête sur la personnalité de l'auteur, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs.
Le projet de loi propose de développer la probation, en s'inspirant d'expériences conduites dans les pays anglo-saxons et des recommandations du Conseil de l'Europe : il crée ainsi une nouvelle peine, la contrainte pénale, susceptible d'être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement maximum lorsque la personnalité de l'auteur justifie un accompagnement socio-éducatif renforcé. Cette peine pourrait être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans et comprendrait des mesures d'assistance, de contrôle et de suivi, ainsi que certaines obligations ou interdictions, comme l'exécution d'un stage, d'un TIG, la réparation du dommage causé à la victime, ou encore une injonction de soins... Sa mise en oeuvre reposerait avant tout sur les juges d'application des peines (JAP) et sur les conseillers d'insertion et de probation. Une réévaluation régulière de la situation de la personne est prévue.
Afin de limiter les sorties sèches, une procédure de libération sous contrainte obligera l'administration pénitentiaire à examiner la situation de toutes les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans lorsqu'elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, en vue de décider, si possible, une mesure de sortie encadrée. À l'inverse, sans que l'on comprenne parfaitement la cohérence d'ensemble, l'article 7 revient sur l'une des mesures essentielles de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en ramenant de deux ans à un an pour les non-récidivistes, et de un an à six mois pour les récidivistes, le seuil d'emprisonnement autorisant un aménagement de peine.
Le projet de loi souligne également la nécessité d'éviter les ruptures de prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert en associant plus étroitement les services publics concernés.
Les droits des victimes tout au long de l'exécution de la peine sont reconnus et les pouvoirs de police et de gendarmerie pour le contrôle du respect des obligations résultant de condamnations sont renforcés.
Si les députés ont peu modifié le projet de loi initial, ils ont procédé à de nombreux ajouts, en s'appuyant sur le travail très important du rapporteur Dominique Raimbourg. Ils ont fixé pour les aménagements de peine un quantum unique d'un an d'emprisonnement, applicable aux non-récidivistes comme aux récidivistes ; ils sont parvenus à un compromis avec le Gouvernement sur le champ de la contrainte pénale, en prévoyant qu'elle s'applique jusqu'en janvier 2017 aux délits punis de cinq ans et, à compter de cette date, à tous les délits ; ils ont enfin autorisé les forces de police et de gendarmerie à recourir à la géolocalisation et à l'interception des communications lorsqu'elles soupçonnent une personne de ne pas respecter les obligations résultant de sa condamnation.
Une trentaine d'articles nouveaux sont venus enrichir le texte : ils contiennent plusieurs dispositions sur les victimes, les bureaux d'aide aux victimes, le recours à la justice restaurative avec l'accord de la victime, une nouvelle procédure d'indemnisation lorsque celle-ci ne s'est pas constituée partie civile, enfin la création d'une sorte de taxe de 10% sur toutes les amendes pénales prononcées afin de financer l'aide aux victimes.
Quant à l'exécution des peines, les députés ont notamment prévu que lorsqu'un condamné n'aura pas pu, ou voulu, bénéficier d'un aménagement de peine, il pourra être soumis par le JAP, pendant la durée des crédits de peine et des réductions de peine supplémentaires, au respect de certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions visant à sa réinsertion.
Les députés ont intégré la proposition de loi d'Hélène Lipietz sur la suspension de la détention provisoire pour motif médical, que le Sénat avait votée à l'unanimité en février dernier, et allégé la procédure de suspension de peine pour raison médicale.
Ils ont également ajouté un volet de prévention de la délinquance pour impliquer davantage les acteurs locaux de terrain, notamment au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Ils ont eu raison : la libération sous contrainte ne peut réussir que si l'ensemble du milieu social collabore. Les associations agréées devront prendre plus de place.
Les députés ont enfin adopté plusieurs articles qui augmentent considérablement les pouvoirs de la police et de la gendarmerie, posant un problème de constitutionnalité. Le ministère de l'intérieur est d'ailleurs opposé à ces ajouts.
Ce projet de loi doit être placé dans la continuité de la loi pénitentiaire : il repose sur l'idée que la sanction est faite pour punir, mais aussi pour réinsérer et éviter la récidive, ce qui est dans l'intérêt de la société. Il défend des principes que notre commission a toujours défendus sous toutes les majorités. Nous sommes tous d'accord sur cette philosophie du droit pénal qui a émergé après 1945 et a fourni des gardes des sceaux tels que François de Menthon ou Pierre-Henri Teitgen et de nombreux magistrats et professeurs de droit. Tous ont réaffirmé leur foi en l'homme malgré les camps de concentration.
Il faudra aussi reprendre des préconisations de la conférence de consensus qui a rassemblé des personnalités très différentes, parfois étonnamment en accord - je me souviens par exemple du maire de Montfermeil.
La contrainte pénale est la mesure phare de ce projet. Sa création, que j'approuve, comblera le retard pris par notre pays en matière de probation. Je suis d'accord avec le compromis consistant à procéder par étapes, en la réservant aux délits punis de cinq ans avant 2017, et en l'élargissant au-delà. Mais le système présente un défaut : la contrainte pénale reste une simple alternative à l'emprisonnement que les juges, je le crains, ne prononceront pas. Il sera plus facile de prononcer une peine de prison avec sursis et mise à l'épreuve. La contrainte pénale supposera que le magistrat du siège et même le substitut aient bien étudié les dossiers avant l'audience...
M. Alain Richard. - En effet !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les avocats pourraient pointer des éléments de personnalité suggérant une telle solution - après tout, qu'ils fassent eux aussi leur travail ! Dans les audiences correctionnelles telles qu'elles sont, notamment en comparution immédiate, je doute fort que cela se passe ainsi. Je crains au contraire que la contrainte pénale soit très peu utilisée.
Pour éviter cela, je vous propose un amendement très limité et très prudent faisant de la contrainte pénale la peine de référence, encourue à titre de peine principale, pour un certain nombre de délits peu graves, excluant les atteintes aux personnes. La conférence de consensus invitait à avancer en ce sens. C'est aussi ce que nous ont suggéré la CNCDH ou Robert Badinter. Il y aurait ainsi deux types de contrainte pénale : une alternative à la prison pour les délits punis de cinq ans, jusqu'à 2017 ; la contrainte comme seule peine encourue pour certains délits. L'idée est d'introduire dans notre droit pénal un triptyque : prison, contrainte pénale et amende, la sanction pécuniaire pouvant toujours être prononcée en plus de la contrainte pénale.
Je propose par ailleurs de faire de la sanction du non-respect de la contrainte pénale un délit autonome puni de deux ans d'emprisonnement, comme pour le travail d'intérêt général (TIG) ; le texte est actuellement à la limite de la constitutionnalité sur ce point. Les obligations liées à la contrainte pénale peuvent être très lourdes et plus contraignantes que quelques mois de prison. Le juge de l'application des peines n'est pas là pour juger ce nouveau délit : il devra saisir le parquet. Cela peut être long ; il pourrait s'agir d'un juge unique, comme le propose mon amendement.
Enfin, je propose plusieurs ajustements pour rééquilibrer les pouvoirs entre la juridiction de jugement et le juge de l'application des peines. Le magistrat qui juge pourra prononcer tout de suite toutes les obligations ou interdictions de la contrainte pénale s'il a des éléments dans le dossier, grâce aux avocats, qui doivent alimenter le dossier avant l'audience. Sinon, c'est le juge d'application des peines qui le fera après une enquête de personnalité ; il ne prononce jamais la sanction, mais le cas échéant modifie son contenu, veille à son exécution et saisit le juge du siège en cas de non-exécution.
Je recommande de revenir au seuil de deux ans d'emprisonnement - un an pour les récidivistes - pour les aménagements de peine, soit le droit de la loi pénitentiaire de 2009. L'abaissement du quantum, incohérent, conduirait à augmenter de 5 000 le nombre de peines non aménageables, ce qui n'est pas très adéquat, compte tenu de la surpopulation carcérale.
Je suggère de supprimer les articles introduits par les députés donnant de nouveaux pouvoirs à la police et à la gendarmerie : géolocalisation et interceptions de communication sur toute personne sortant de détention et soumise à certaines obligations ; transaction pénale ouverte aux officiers de police judiciaire ; alternatives aux poursuites décidées d'office ; communication de documents couverts par le secret de l'enquête et de l'instruction, comme le bulletin n° 1 du casier judiciaire, à des instances administratives - ce qui est contraire à la séparation des pouvoirs. Le ministère de l'intérieur y est défavorable et cela passerait difficilement l'épreuve du Conseil constitutionnel.
Je suis favorable au financement de l'aide aux victimes ; je m'interroge cependant sur la nature juridique de cette majoration de 10% sur toutes les amendes : s'agit-il d'une taxe ou d'une sanction ? En toute hypothèse, je propose un plafond et le Gouvernement prendra en séance publique des engagements sur l'affectation effective de ces sommes à l'aide aux victimes et nous aidera à trouver une rédaction plus conforme au droit.
Je propose trois ajouts : comme le demandent également Mmes Benbassa et Cukierman, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui n'ont prononcé que quelques centaines de condamnations par an, d'ailleurs pas plus sévères que celles que prononcent les tribunaux pour enfants, mais ont compliqué le travail des juridictions ; la suppression de la rétention de sûreté, mais pas de la surveillance de sûreté ; l'intégration du dispositif de la proposition de loi de Jean-René Lecerf, Christiane Demontès et Gilbert Barbier, dont j'avais été le rapporteur, votée à l'unanimité en janvier 2011, sur l'atténuation de peine pour les malades mentaux et le renforcement des obligations de soins.
Cette loi ne servira à rien sans moyens supplémentaires, notamment en personnels de SPIP et en juges de l'application des peines. Le Gouvernement a pris des engagements clairs (1 000 personnels de SPIP sur trois ans) qui devront être respectés. Si la loi pénitentiaire n'est pas appliquée complètement, c'est faute de création des postes annoncés. L'objectif de quarante mesures par conseiller doit être tenu. Il faut aussi travailler davantage avec les associations. Il est nécessaire que les SPIP rénovent leurs méthodes de travail et associent davantage le reste de la société civile.
Enfin, il convient d'améliorer l'évaluation des politiques publiques en matière de sécurité, qui a manqué aux nombreuses lois de ces dix dernières années, faute d'outil statistique efficace aux ministères de la justice et surtout de l'intérieur. La garde des sceaux nous a indiqué hier que le décret prévu à l'article 7 de la loi pénitentiaire devrait être bientôt publié ; l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) sera réformé et un Observatoire de la récidive et de la désistance, où siègeront des parlementaires, sera créé. Espérons que ces initiatives nous donneront des données fiables.
Ces observations et propositions de modifications me conduisent à vous inviter à adopter le projet de loi.
M. Jean-Jacques Hyest. - Nous n'avons pas d'a priori contre un projet qui améliorerait la lutte contre la récidive. Mais il y a déjà un texte très consensuel, la loi pénitentiaire, avec le même objectif, qui interdit de prononcer une peine de prison sans examiner la possibilité d'aménager la peine. Rappelez-vous : le Sénat s'est toujours opposé aux tentatives pour assouplir cette règle. Nous sommes tous conscients que les courtes peines ne servent à rien et ont même un effet négatif.
Comme vous l'avez très bien dit, la contrainte pénale est une alternative à l'emprisonnement : d'après le code pénal, un vol simple correspond à une peine de prison, mais les juges peuvent prononcer une peine alternative ou décider que la peine de prison sera aménagée. Vous avez trouvé un mécanisme intelligent, mais qui ne tiendra pas. Tant que 80% des délits seront jugés rapidement par des tribunaux correctionnels, les aménagements de peine ne progresseront pas. En réalité, l'objectif principal n'est pas de faire progresser la lutte contre la récidive : pour cela, il faudrait des moyens. L'on n'arrive pas à dégager plus de moyens ? Comme toujours en France, on fait une loi ! Cela ne changera rien du tout, en dépit des expériences étrangères que certains invoquent...
Nous mélangeons trop le droit des victimes et le procès pénal, dans lequel il s'agit de punir une atteinte à l'ordre social tel que défini par le peuple, à travers ses représentants. Ce n'est pas un procès de droit privé. Espérons que les aménagements de peine seront plus nombreux grâce à l'attribution de moyens, conformément à la volonté permanente depuis 1945 de presque tous les acteurs politiques - seule une minorité s'y oppose.
J'ai des réserves sur la constitutionnalité de certaines dispositions...
Par ailleurs, je relève un paradoxe : il faudrait donner toute sa place au juge, mais on lui refuserait le droit de condamner à la prison !
M. Pierre-Yves Collombat. - Saluons le travail du rapporteur - je le fais rarement... Il est excellent.
Mme Esther Benbassa. - Comme d'habitude !
M. Pierre-Yves Collombat. - Qu'est-ce que c'est que cette contrainte pénale ? Le rapporteur veut clarifier cette situation. Le juge d'application des peines peut faire en sorte qu'une condamnation ne soit pas exécutée... c'est bizarre. Ne faudrait-il pas trancher entre la modalité du Gouvernement et celle que notre rapporteur propose d'intégrer dans le texte ?
Les explications d'hier données par la ministre sur la justice restaurative m'ont convaincu ; mais relève-t-elle du domaine de la loi ? Qu'est-ce qui empêche de l'organiser ?
Mme Cécile Cukierman. - Nous partageons les grandes lignes de ce rapport de qualité, et notamment sa volonté de maintenir la philosophie qui a prévalu à la rédaction du projet de loi. Nous exprimerons toutefois des différences d'appréciation et notre volonté d'aller plus loin. Comme l'a dit le rapporteur, il faudra être attentif aux moyens, indispensables à la réussite de la réinsertion.
Mme Catherine Tasca. - J'ajoute mes félicitations sur le travail très en profondeur du rapporteur. L'une des grandes qualités du projet de loi réside dans sa préparation par une conférence de consensus que le rapporteur prolonge sans en reprendre tous les termes. Nous évitons ainsi l'opposition caricaturale entre politiques sécuritaire et laxisme. Ce texte sera à cet égard une étape importante. Le rapporteur a mené un nombre considérable d'auditions : aucun acteur ne peut dire qu'il n'a pas été écouté.
Le retour au seuil de deux ans pour les aménagements de peine à l'article 7 est une excellente démarche ; mais nous pouvons aller plus loin. Nous ne devons pas distinguer entre primo-délinquants et récidivistes : ces derniers requérant un traitement spécifique, nous n'avons pas intérêt à faire moins pour eux.
La limitation à 210 heures, soit six semaines, du recours aux TIG est fâcheuse : comment développer en si peu de temps un véritable projet d'insertion ? Je n'ai pas déposé d'amendement, mais il faudra explorer ce sujet.
La justice restaurative, purement volontaire, ne me semble pas non plus relever de la loi. J'avais compris hier qu'elle rendait possible la rencontre entre des groupes de victimes et des groupes de délinquants. Pourriez-vous clarifier ce point ?
Nous soutiendrons avec conviction ce texte qui, avec la même approche que la loi pénitentiaire, apporte un autre regard sur la sanction pénale.
Mme Virginie Klès. - Je remercie le rapporteur pour son immense travail, ainsi que pour avoir ouvert ses auditions. Il s'agit de prendre courageusement en compte des réalités, sans se focaliser sur une opinion publique aisément manipulable sur ces sujets. La loi pénitentiaire avait beaucoup apporté, mais elle a été mal appliquée et malmenée par des évolutions législatives, rendant ce projet nécessaire. Il y a de plus en plus de sorties non accompagnées suivies de récidives. Évitons les procès d'intention, y compris sur les moyens. L'évaluation a priori de la personnalité pourra seule régler la situation. Nous soutiendrons ce texte.
M. Jacques Mézard. - Jean-Pierre Michel, dans son rapport d'une grande qualité intellectuelle, propose un nouvel instrument qui peut mieux faire passer le texte. Je le voterai in fine bien qu'il ne règle pas des problèmes essentiels comme celui des dizaines de milliers de peines non exécutées ou exécutées trop tard...
M. René Vandierendonck. - Eh oui !
M. Jacques Mézard. - En l'absence de moyens pour le suivi, nous pouvons multiplier les textes d'excellente inspiration : j'espère me tromper, mais ils ne seront pas plus efficaces qu'un cautère sur une jambe de bois.
M. Vincent Capo-Canellas. - Le rapporteur a exposé les enjeux franchement. Il nous faut pratiquer le doute méthodique devant cette question de droit pénal où doivent coexister le pragmatique et le symbolique. Nous sommes devant une alternative : ou bien il s'agit de prolonger la loi pénitentiaire, et nous sommes d'accord, ou bien il faut opérer un basculement qui suscite des questions. La prise en compte de la personnalité est nécessaire, mais jusqu'à quel point ? N'est-ce pas subjectif ? Faire de la contrainte pénale une alternative à l'emprisonnement, comme le proposent les députés, n'est-ce pas la sagesse ? Votre proposition d'aller plus loin risque de donner, là où l'insécurité progresse, le sentiment que certains délits prétendument petits seront moins sanctionnés. Comment prendre en compte cette exigence symbolique : que la société sache sanctionner. La voie est étroite : conserver le texte de l'Assemblée ouvrirait plus facilement la voie au consensus ; rendre la contrainte pénale obligatoire dans certains cas ne serait ni facile ni opportun.
Mme Esther Benbassa. - Le rapporteur nous a appris beaucoup de choses. Cette réforme, comme l'a dit Mme Tasca, nous fait sortir du tout sécuritaire et fera avancer la justice sans laxisme. La contrainte pénale responsabilisera les auteurs de délits comme la société qui doit les insérer. Cette vision humaniste est bienvenue contre la barbarie qui commence à dominer les relations sociales. Je crains que le sursis avec mise à l'épreuve prime sur la contrainte pénale qui requiert en outre des moyens. Nous voterons néanmoins ce texte avec beaucoup de conviction. J'espère qu'il sera suivi par d'autres textes.
M. Alain Richard. - Je plaide pour la proposition du rapporteur de faire de la contrainte pénale la peine de référence pour certains délits. La phase d'expérimentation sur laquelle le texte est fondé est trop courte ; prévoir de prendre une décision en 2017 n'est pas très responsable. Il y aura très peu d'indicateurs disponibles. Le rapporteur l'a précisé, il ne s'agirait pas d'atteintes aux personnes. La violence traduit une perte du sens de la norme supérieure, et toute une partie du public de la justice pénale ne serait en effet pas du tout accessible à cette nouvelle peine. Je voterai ce texte quoi qu'il en soit, mais la solution retenue à l'Assemblée nationale est problématique : au 1er janvier 2017, automatiquement, la contrainte pénale deviendra applicable pour tous les délits, même ceux punissables de plus de cinq ans d'emprisonnement, sauf à prendre une nouvelle loi, ce qui semble difficile à une période aussi particulière que le deuxième semestre 2016. Ce n'est pas la bonne solution.
Un débat s'élève par ailleurs sur les moyens...
M. René Vandierendonck. - Eh oui !
M. Alain Richard. - Quand bien même les services en seraient dotés, auraient-ils une capacité d'absorption suffisante pour accueillir les nouveaux fonctionnaires ? Trouvera-t-on seulement des candidats suffisamment formés sur le marché du travail ? Il faut aller lentement. Ces peines ne seront pas massivement prononcées : sortons de l'illusion que nous sommes devant un basculement.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci pour cette précision à propos de 2017 : j'avais compris au contraire qu'une nouvelle loi était nécessaire pour la généralisation.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je vous remercie pour vos encouragements. Au Sénat, nous sommes plus libres qu'à l'Assemblée nationale. Nous pouvons ainsi défendre des convictions en matière pénale que je persiste à penser partagées par presque tous. Elles sont issues, disons, du christianisme social, un mouvement qui a inspiré le droit pénal tel que je l'ai appris des professeurs Stefani, Levasseur et Ancel....
Moi aussi je doute. Y arrivera-t-on ? Je suis d'un
naturel optimiste
- politiquement, il le faut. Je compte sur la bonne
volonté de tous, État, magistrats, pour l'appliquer. J'aimerais
qu'un jour, que je ne connaîtrai sans doute pas, l'on puisse parler de la
fermeture de places de prison, devenues inutiles.
La justice restaurative ne consiste pas en une rencontre entre l'auteur d'une infraction et sa victime, mais entre auteurs d'un certain type d'infractions - par exemple de viol - et des victimes. Sur ce point, la loi est nécessaire parce que la directive d'octobre 2012 oblige à fixer un cadre général.
Je ne suis pas opposé à des amendements sur les TIG : 210 heures au maximum, c'est très peu, trop peu si nous voulons l'intégrer à la contrainte pénale qui pourrait durer cinq ans.
Il est vrai que l'exécution réelle des peines pose un vrai problème. Confiée au parquet, elle est catastrophique à Paris, malgré des progrès depuis 2010, grâce notamment à des postes supplémentaires de greffiers. Elle prend neuf mois en moyenne, sauf mandat de dépôt à l'audience.
L'individualisation des peines est en effet un principe constitutionnel rappelé par la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2007, monsieur Capo-Canellas. Je m'interroge comme Alain Richard : pourquoi 2017 ? Le rapporteur de l'Assemblée nationale m'a dit qu'il ne fallait pas laisser cela sur les bras d'éventuels successeurs. C'est trop court, et le basculement automatique n'est pas une bonne chose. Le juge pourra certes décider dans tous les cas ; mais si l'Assemblée accepte ma proposition de faire de la contrainte pénale la peine de référence pour certains délits, il faut que le basculement passe par une nouvelle loi. Certes, ce sera un peu juste en 2017, mais nous aurons quelques résultats. Cela ne devra pas avoir lieu deux mois avant l'élection présidentielle. J'espère que ce texte annonce d'autres lois en ce sens.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 28 est rédactionnel.
M. Jean-Jacques Hyest. - Honnêtement, je ne comprends pas cet article. Je voterai contre. À quoi sert-il ? Il confond les objectifs et la fonction de la peine, et pour faire bonne figure, il mentionne aussi les victimes...De plus en plus, les lois bavardent. Son contenu aurait dû figurer dans l'exposé des motifs, non dans la loi.
M. Alain Richard. - Il devrait figurer dans la Déclaration des droits de l'homme. Manifestement, il s'agit de normes supra-législatives. Ce texte est un peu immodeste et décalé. Il va pourtant falloir en passer par là, mais c'est de la mauvaise législation.
M. Pierre-Yves Collombat. - Surtout après le colloque du 12 juin organisé par notre commission sur l'écriture de la loi !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La loi pénitentiaire comportait des principes sur l'exécution des peines. Ici, le texte définit le sens de la peine. Certes, le rajout des victimes n'était pas nécessaire, mais cet article est utile. À quoi sert la peine ? À protéger la société, à éviter la récidive, à sanctionner l'auteur de l'infraction et favoriser la réinsertion...dans le respect des droits des victimes.
M. Jean-Jacques Hyest. - Mettre l'objectif et la fonction dans le même article, c'est du galimatias !
L'amendement n° 28 est adopté.
Article 2
L'amendement rédactionnel n° 29 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 6 supprime le second alinéa de l'article 465-1 du code de procédure pénale qui oblige la juridiction de jugement à délivrer un mandat de dépôt à l'audience, lorsqu'une personne vient d'être condamnée pour des faits de violence sexuelle ou de violences volontaires en état de récidive légale. Dès lors que les peines prononcées deviennent plus strictes, il devient inutile de durcir les conditions d'exécution.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Retrait sinon avis défavorable. Cet amendement n'est pas nécessaire, dès lors que l'article 3 du projet de loi rétablit l'obligation de motivation des peines d'emprisonnement, y compris celles relatives à des faits commis en état de récidive légale.
L'amendement n° 6 est retiré.
Article 3 bis
L'amendement rédactionnel n° 30 est adopté.
Article 4
Les amendements rédactionnels nos 31et 32 sont adoptés.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 56 du Gouvernement prévoit que le procureur de la République peut saisir la juridiction de jugement lorsqu'elle n'a pas statué sur la révocation du sursis, parce qu'elle ignorait l'existence d'une première condamnation.
L'amendement n° 56 est adopté.
Article 6 bis
L'amendement de précision n° 33 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 57 du Gouvernement précise les modalités de révocation d'un sursis avec mise à l'épreuve, clarification demandée par les praticiens à la suite d'une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question.
L'amendement n° 57 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. -
L'article 7 abaisse le seuil ouvrant droit à un aménagement de peine. L'amendement n°34 propose d'en rester au droit actuel, issu de la loi pénitentiaire.
M. Jean-Jacques Hyest. - Excellent amendement !
L'amendement n° 34 est adopté.
Mme Catherine Tasca. - Mon amendement n° 5 s'inscrit dans la même ligne mais franchit un pas supplémentaire. Les différences entre les régimes applicables aux condamnés récidivistes et aux primo-condamnés ont été diminuées. En cohérence avec l'objet du texte qui vise à favoriser les aménagements de peines, l'amendement aligne, en la matière, le régime applicable aux personnes condamnées en état de récidive légale sur celui applicable aux primo-condamnés pour les condamnations inférieures ou égales à deux ans d'emprisonnement.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable. Je souhaite que nous en restions au droit issu de la loi pénitentiaire.
Mme Virginie Klès. - Il faut aligner les régimes d'aménagement des peines. Dans tous les cas, les récidivistes encourent des peines supérieures.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je soutiens la position du rapporteur. Il importe de ne pas aligner les régimes des personnes condamnées en état de récidive légale et des primo-délinquants.
M. Alain Richard. - Cet amendement n'est pas conforme à l'esprit du texte qui vise à prévenir la récidive. Les aménagements de peine doivent être plus largement réservés à ceux qui ne sont pas en état de récidive, justement pour leur éviter la récidive.
Mme Catherine Tasca. - Notre amendement n'est pas contraire à l'esprit du texte car le quantum de peine encouru par les récidivistes est supérieur. Il ne fixe d'ailleurs aucune obligation mais donne une possibilité supplémentaire au juge. Nous le redéposerons en séance.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En toutes hypothèses, cet amendement n'est pas compatible avec l'amendement n° 34 de notre rapporteur, que nous venons d'adopter.
L'amendement n° 5 tombe.
Article additionnel après l'article 7
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 8 revient à la situation antérieure à 2002 et limite la comparution immédiate aux délits pour lesquels la peine encourue est inférieure à sept ans d'emprisonnement.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je partage les réticences de Mme Benbassa sur l'utilisation de la procédure de comparution immédiate, qui aboutit dans 70 % des cas au prononcé d'une peine de prison. Mais cet amendement semble inopportun, en interdisant de juger sur le champ, par exemple, un auteur d'agression sexuelle sur mineur, un vol avec violences graves ou des violences conjugales habituelles graves. Le risque est de laisser la personne en détention provisoire pendant plusieurs mois. L'article 4 du projet de loi introduit une possibilité d'ajournement de la peine pour investigations sur la personnalité, qui sera particulièrement utile dans le cas des comparutions immédiates. Avis défavorable.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 9 aligne les conditions d'incarcération des personnes condamnées en comparution immédiate sur le droit commun : un mandat de dépôt, hors récidive, ne pourra être délivré que pour les peines d'au moins un an de prison.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Retrait sinon avis défavorable. En l'état du droit, le placement en détention ne constitue qu'une simple faculté que la juridiction doit spécialement motiver. En outre, l'article 3 renforce l'obligation de motivation des peines d'emprisonnement sans sursis et l'article 5 abroge les peines planchers : les cas visés par l'amendement devraient donc être rares. Laissons les juges apprécier librement l'utilité d'un maintien ou d'un placement en détention.
L'amendement n° 9 n'est pas adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 10, conforme à la jurisprudence, inscrit dans le code de procédure pénale que la période de sûreté débute, comme la durée de la peine elle-même, dès le placement en détention provisoire.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable. Selon une pratique judiciaire et une jurisprudence constantes, la durée de la détention provisoire est toujours déduite de la durée de la période de sûreté. Les arrêts rendus le 24 février 2014 par la cour d'appel de Lyon ne remettent pas en cause cette solution. Ils posent en revanche d'autres difficultés juridiques, notamment celles de la détermination du point de départ de la période de sûreté en cas d'exécution successives de plusieurs condamnations définitives. Ces difficultés ne sont pas résolues par le présent amendement. La Cour de cassation devrait très prochainement statuer. Attendons sa décision.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre argumentation démontre la pertinence de la question soulevée par l'amendement de Mme Benbassa.
L'amendement n° 10 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 35 supprime l'alinéa 2, introduit par les députés en première lecture, et revient au droit en vigueur, issu de la loi pénitentiaire.
L'amendement n° 35 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 58 du Gouvernement, technique, rend plus explicites les conditions de convocation par le juge d'application des peines (JAP) des personnes à l'encontre desquelles doivent être mise à exécution des peines prononcées plus de trois ans auparavant. Cette convocation ne concerne que les personnes qui ne sont pas déjà incarcérées ou celles qui exécutent une peine aménagée. En outre, l'amendement précise clairement que ces dispositions pourront être écartées en cas de risque de fuite ou de danger pour les biens et les personnes. Avis favorable.
L'amendement n° 58 est adopté.
Article additionnel après l'article 7 quater
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 36 introduit dans le projet de loi le dispositif de la proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, que le Sénat avait adoptée à l'unanimité le 25 janvier 2011, et qui faisait suite aux travaux de la mission d'information, commune à la commission des lois et à la commission des affaires sociales, sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, composée de Mme Christiane Demontès, de MM. Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et de votre serviteur.
Je constate que les députés ont également repris la proposition de loi, déposée par Mme Hélène Lipietz, que nous avons adoptée le 13 février dernier relative à la situation des personnes gravement malades en détention provisoire. Avec cet amendement figureront dans ce texte deux propositions de loi sénatoriales adoptées à l'unanimité, jusqu'alors restées sans suite, ce que nous pouvons saluer !
L'amendement n° 36 est adopté et devient l'article 7 quinquies A.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Aux termes de l'amendement n° 37 rectifié, la juridiction de jugement pourra imposer à la personne condamnée à la contrainte pénale l'ensemble des mesures prévues à l'article 132-45 du code pénal. Après évaluation de la personnalité de l'auteur, le JAP pourra ensuite, s'il l'estime nécessaire, modifier ou compléter ces mesures.
L'amendement n° 37 rectifié est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n°38 est rédactionnel, et fait figurer, dans un souci de logique et de lisibilité, l'ensemble des dispositions relatives à la juridiction de jugement avant celles relatives aux missions du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et du JAP.
L'amendement n° 38 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 11 propose d'appliquer la contrainte pénale à titre de peine alternative à tous les délits, dès l'entrée en vigueur de la loi, sans attendre le 1er janvier 2017.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable. Le Gouvernement prévoit une montée en charge progressive du dispositif ; de plus, je vous proposerai un amendement qui conduira au prononcé d'un certain nombre de contraintes pénales très rapidement.
L'amendement n° 11 est retiré.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 39 supprime l'article 8 bis qui autorise le JAP à transformer une courte de peine de prison ferme en une peine de contrainte pénale. Tel n'est pas son rôle. La contrainte pénale n'est pas une modalité d'aménagement de la peine.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il s'agit de savoir si la contrainte pénale constitue une peine à part entière ou non.
L'amendement n° 39 est adopté.
En conséquence, l'article 8 bis est supprimé.
Article additionnel après l'article 8 bis
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 40 fait de la contrainte pénale une peine autonome, encourue à titre de peine principale pour une série de délits précisément identifiés pour lesquels, de ce fait, la peine d'emprisonnement ne serait plus encourue : le vol simple et le recel de vol simple ; la filouterie ; les destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes commises sans circonstance aggravante ; le délit de fuite, sauf si ce délit accompagne un homicide involontaire ou des blessures involontaires ; le délit d'usage de stupéfiants ; le délit d'occupation des halls d'immeubles ; les délits prévus par le code de la route (à l'exclusion des délits d'homicide involontaire et de blessures involontaires réprimés par le code pénal et des faits commis dans des circonstances exposant autrui à un risque de mort ou de blessures graves).
Cette liste, qui prend appui sur celle des infractions susceptibles d'être jugées par ordonnance pénale, exclut les délits d'atteintes aux personnes, tout comme les atteintes aux biens commises avec violence, ainsi que les délits commis pour un motif discriminatoire. Elle représente environ 220 000 condamnations en 2012, soit près du tiers de l'ensemble des condamnations prononcées par les juridictions pénales. M. Dominique Raimbourg, dans son rapport d'information, intitulé Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale, avait préconisé une telle solution mais le Gouvernement l'a considérée comme trop réductrice. Cette voie paraît toutefois la seule à même de faire de la contrainte pénale une nouvelle peine de référence en matière correctionnelle. Une évaluation sera réalisée dans quelques années. En outre, cet amendement tire les conséquences des modifications proposées sur la procédure pénale. En effet, la contrainte pénale ne doit pas être conçue comme une peine plus douce que la peine d'emprisonnement mais comme un mode de sanction plus adapté au traitement de certaines formes de délinquance. C'est pourquoi la garde à vue sera possible pour les délits punis à titre principal d'une peine de contrainte pénale. De même, la comparution immédiate pourra être mise en oeuvre en cas de flagrant délit. Si cela est nécessaire, la personne pourra être placée sous contrôle judiciaire en attendant l'audience de jugement. En revanche, la détention provisoire sera exclue, dès lors que l'infraction n'est pas sanctionnée par une peine d'emprisonnement.
Mme Catherine Tasca. - Je soutiens cet amendement. Sa portée est limitée à certains délits énumérés, en excluant les atteintes aux personnes. Il précise la place de la contrainte pénale dans l'arsenal des sanctions.
M. François Zocchetto. - Je suis hostile à cet amendement, qui limite le pouvoir d'appréciation des juges. La contrainte pénale n'est pas en soi une mauvaise idée mais elle doit simplement enrichir l'arsenal des peines à la disposition des juges.
M. Vincent Capo-Canellas. - Il faut trouver une solution pour faire face à la date butoir du 1er janvier 2017.
Mme Virginie Klès. - Il appartient à la loi de définir les peines encourues pour certains délits. Il n'y a pas d'entorse à la liberté d'appréciation des juges. Je voterai cet amendement.
M. Jean-Jacques Hyest. - La contrainte pénale est-elle une peine à part entière ou une modalité d'aménagement de la peine ? La rédaction est ambiguë. Le vol simple ne serait plus passible de prison ? Non que je sois favorable à la prison pour tous les vols simples... De même, en supprimant la prison pour l'usage de stupéfiants, on dépénalise en douce ! Je ne voterai pas cet amendement.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je voterai cet amendement de clarification. Il ne s'agit pas de supprimer la prison, mais de privilégier la contrainte pénale pour les primo-délinquants ! Dès lors que l'on s'accorde à reconnaître que les courtes peines de prison favorisent la récidive, il faut agir. Cet amendement fait un effort de clarification. Il prévoit un bilan. Il faut savoir ce que l'on veut ! Mais il est courant de dire une chose dans l'opposition et de faire le contraire au Gouvernement...
M. André Reichardt. - Je m'interroge : cet amendement va relativement loin. Le texte prévoyait une phase d'expérimentation, qui pouvait permettre d'expliquer la contrainte pénale et la justifier. Il faut faire attention à l'image que cet amendement donne à l'opinion publique. Les élections européennes ont montré que l'on ne pouvait faire abstraction de l'opinion. Expérimentons d'abord, et donnons-nous les moyens d'expliquer ensuite notre action sur un sujet particulièrement sensible.
M. Philippe Bas. - Je voterai contre cet amendement, qui me paraît contraire au principe même de la contrainte pénale. Celle-ci constitue une peine prononcée non pas en fonction des délits, mais en fonction de la personnalité de l'auteur, de sa situation, de la pertinence ou non d'un suivi socio-éducatif. Elle s'inscrit en continuité avec les peines alternatives déjà prévues dans le code pénal. Celles-ci n'ont jamais supprimé la possibilité d'emprisonnement. Cet amendement interdit de prononcer une peine d'emprisonnement dans certains cas : c'est inacceptable. Il est vrai que je comprends les embarras du rapporteur face à l'imprécision de la définition de la contrainte pénale dans le texte. Cette peine doit coexister avec les autres peines sans les remplacer.
M. Yves Détraigne. - Ce texte ne sera pas facilement accepté par l'opinion qui tient un raisonnement simple : en cas de délit, il faut mettre le coupable à l'ombre ! Cet amendement, en supprimant la peine de prison pour un certain nombre de délits, accrédite au contraire l'idée d'un laxisme d'État !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La contrainte pénale doit constituer une peine en soi, non une peine alternative à la prison. Bien des délits ne sont déjà pas passibles de prison, comme la plupart des délits de presse ou l'entrave à l'action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ! De plus, lorsque le juge estimera que la contrainte pénale n'est pas une peine appropriée, il pourra toujours prononcer une peine alternative.
L'amendement n° 40 est adopté et devient l'article 8 ter.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les députés ont renforcé le caractère contradictoire de la procédure de détermination du contenu de la contrainte pénale par le JAP. L'amendement n° 41 rectifié simplifie la procédure en prévoyant que le JAP statuera, après avoir entendu le condamné et son avocat, par ordonnance motivée prise après réquisitions écrites du ministère public ; il autorisera alors le JAP à modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions fixées par la juridiction de jugement si l'évaluation de la personnalité du condamné le justifie ; enfin, la décision du JAP devra intervenir au plus tard dans les quatre mois qui suivent le jugement de condamnation.
L'amendement n° 41 rectifié est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les personnes que j'ai auditionnées ont unanimement souligné le caractère très complexe et peu lisible pour le condamné du dispositif prévu pour sanctionner la méconnaissance délibérée, par le condamné, des obligations résultant de la contrainte pénale. L'amendement n° 42 rectifié simplifie le dispositif et crée, en ce cas, un délit autonome, puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Le tribunal correctionnel statuant à juge unique sera compétent.
L'amendement n° 42 rectifié est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 43 simplifie la procédure selon laquelle le JAP modifie les obligations imposées au condamné au titre d'une contrainte pénale, en prévoyant qu'il statuera par ordonnance motivée, après avoir entendu le condamné et son avocat, plutôt qu'à l'issue d'un débat contradictoire en bonne et due forme, dont l'organisation est source de délais supplémentaires.
L'amendement n° 43 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'article 9 envisage la mise en oeuvre de la peine de probation après évaluation et propositions de mesures par le service pénitentiaire d'insertion et de probation. Il manque manifestement une étape dans la procédure actuelle. En effet, pour formuler ses propositions, le SPIP doit avoir prévu les modalités de mise en oeuvre des mesures d'aide et d'accompagnement social. L'amendement n° 12 prévoit que l'évaluation de la personne condamnée est réalisée par le SPIP avec le concours des associations, comme les associations d'insertion, des organismes compétents et des partenaires institutionnels, comme Pôle emploi, ou les hôpitaux.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable. Cette précision ne paraît pas relever du niveau de la loi. Mais ayons ce débat en séance publique pour que le Gouvernement précise les conditions de consultation des associations.
L'amendement n° 12 n' est pas adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'article 11 entend éviter l'emprisonnement des femmes enceintes. La rédaction de l'Assemblée nationale est toutefois trop systématique. L'amendement n° 44 replace ces dispositions dans un article additionnel.
L'amendement n° 44 est adopté.
Article additionnel après l'article 11
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Il est certes préférable pour une femme de porter et d'élever son enfant en dehors de tout lieu d'incarcération. Cette règle ne doit toutefois pas être absolue, afin d'éviter que les milieux de la criminalité organisée n'utilisent des femmes enceintes. L'amendement n° 45 introduit dans le code de procédure pénale un article 708-1 qui autorise le procureur de la République ou le juge de l'application des peines à rechercher les solutions évitant l'incarcération.
L'amendement n° 45 est adopté et devient l'article 11 bis AA.
Article additionnel après l'article 11 ter (nouveau)
Mme Esther Benbassa. - Le juge de l'application des peines est déjà autorisé à convertir une peine de travail d'intérêt général en peine de jours-amende. L'amendement n° 13 l'autorise à faire la conversion dans l'autre sens. Cette souplesse est utile, en cas d'insolvabilité du condamné par exemple.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n° 13 est adopté et devient l'article 11 quater.
Mme Esther Benbassa. - L'accès aux droits est essentiel pour toute personne placées sous main de justice, condamnée ou prévenue. Pour assurer le respect de ce principe, les conventions conclues entre l'administration pénitentiaire et ses partenaires doivent avoir pour objectif de définir les modalités d'intervention de ces derniers.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable. Les prévenus ne sont pas des délinquants : ils n'ont pas été condamnés. Il n'y a pas lieu d'organiser leur réinsertion.
L'amendement n° 14 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 12 bis
Mme Esther Benbassa. - La création d'un service public d'insertion des personnes majeures placées sous main de justice (PPSMJ) mettrait fin à l'insuffisante coordination et au cloisonnement des services pénitentiaires et des services sociaux. C'est l'objet de l'amendement n° 15.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'article 12 du projet de loi prévoit déjà la passation de conventions entre l'administration pénitentiaire et l'ensemble des acteurs publics. Cet amendement soulève par ailleurs la question de sa recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution...
L'amendement n° 15 est retiré.
Mme Esther Benbassa. - Le service pénitentiaire d'insertion et de probation n'est pas défini par la loi. Or son rôle de coordination et sa mission d'insertion des personnes placées sous main de justice sont essentiels. Il convient de l'élever au niveau législatif : c'est l'objet de l'amendement n° 16.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Cela relève de la partie réglementaire du code de procédure pénale : avis défavorable.
L'amendement n° 16 n'est pas adopté.
Division additionnelle après l'article 14
Mme Esther Benbassa. - Le travail et la formation professionnelle sont des éléments essentiels à l'insertion ou à la réinsertion de personnes placées sous main de justice, détenues ou non. Le droit du travail devrait être appliqué en détention. C'est pourquoi l'acte d'engagement doit faire figurer, comme dans le contrat de travail : la désignation du poste de travail, la durée de travail et les horaires applicables, les conditions particulières de travail justifiées par la détention, le montant de la rémunération et de ses différentes composantes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n° 17 est adopté et devient l'article 14 bis.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 46 précise les droits applicables à la mesure de retenue prévue à l'article 141-4 du code de procédure pénale pour les personnes placées sous contrôle judiciaire ; et de manière analogue à l'article 709-1 nouveau pour les personnes condamnées. Cette rédaction s'inspire de la celle de l'article 709-1 adoptée par l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 46 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 47 supprime l'article 709-2 nouveau du code de procédure pénale voté par les députés, qui autorise les services de police et les unités de gendarmerie, sur instruction du juge de l'application des peines, à procéder à des interceptions, enregistrements et transcriptions de correspondances et à géolocaliser une personne condamnée sortant de détention lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle n'a pas respecté une interdiction qui lui a été faite. Nous avons déjà évoqué ce point.
M. Jean-Jacques Hyest. - Cet article est une bizarrerie. Il ne s'agit ni d'interceptions de sécurité judiciaire, ni d'interceptions administratives. Elles ne sont donc contrôlées ni par un juge, ni par une commission administrative...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - C'est pourquoi je propose leur suppression. La rédaction de ces dispositions méconnaît en outre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est certain. Elles seraient également censurées par le Conseil constitutionnel.
L'amendement n° 47 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - L'article 15 étend les possibilités de rétention à toutes les violations d'obligations. L'amendement n° 18 supprime ces dispositions disproportionnés et inutiles.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'adoption de l'amendement n° 47 prive partiellement d'objet l'amendement no 18 et satisfait entièrement les nos 3 et 19.
L'amendement n° 18 n'est pas adopté.
Les amendements nos 3 et 19, identiques, deviennent sans objet.
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 20 précise que la personne retenue dans le cadre de la procédure applicable aux personnes condamnées a le droit d'être assistée d'un interprète.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'adoption de l'amendement n° 46 l'a privé d'objet, ainsi que les nos 21 et 22.
Les amendements nos 20, 21 et 22 deviennent sans objet.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'article 15 bis autorise, d'une part, les agents de police judiciaire à mettre en oeuvre des mesures alternatives aux poursuites sous la responsabilité d'un officier de police judiciaire et, d'autre part, les officiers de police judiciaire, le médiateur ou le délégué du procureur à mettre ces mesures en oeuvre de leur propre initiative, dans certaines conditions. Cet article méconnaît le principe selon lequel l'action publique est exercée par le ministère public. Sa compatibilité avec le principe de séparation des pouvoirs est incertaine. Il découle en effet de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire est placée « sous la direction et sous le contrôle » de l'autorité judiciaire. Les amendements identiques nos 48 et 23 suppriment une telle délégation de pouvoir.
M. Philippe Bas. - C'est la sagesse.
Les amendements identiques nos 48 et 23 sont adoptés et l'article 15 bis est supprimé.
M.
Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les
missions de la police judiciaire
- rendre compte des infractions
à la loi pénale à l'autorité judiciaire et à
se conformer à ses directives - s'opposent à ce qu'il lui
soit octroyé un pouvoir de transaction pénale. Les amendements
identiques nos 49 et 24 suppriment cet article introduit par les
députés.
Les amendements identiques nos 49 et 24 sont adoptés et l'article 15 ter est supprimé.
Mme Catherine Tasca. - L'amendement n° 4, identique au n° 50 du rapporteur, est défendu. C'est la preuve de notre convergence de pensée.
Mme Esther Benbassa. - Belle communion d'esprits !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'Assemblée nationale avait prévu la possibilité de transmettre aux conseils de prévention de la délinquance toute une série d'informations, comme le bulletin n° 1 du casier judiciaire. Ce n'est pas possible.
Les amendements identiques nos 50 et 4 sont adoptés.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 51 autorise les parlementaires à siéger aux CLSPD et aux CISPD. C'est intéressant quand ils n'ont pas d'autre mandat local, ce qui sera bientôt le cas. J'ai d'ailleurs regretté que la dernière loi les ayant modifiés n'ait pas rendu les parlementaires membres de ces comités.
M. François Grosdidier. - Cette disposition part d'une bonne intention : celle d'atténuer les effets négatifs de la loi interdisant le cumul des mandats, qui privera les élus d'expérience locale, pourtant indispensable au Parlement, surtout au Sénat. Elle n'est toutefois pas réaliste. Maire d'une commune dans laquelle la sécurité est une préoccupation quotidienne, je dispose de toutes les instances possibles. Mon département compte une trentaine de CLSPD ; chacune de leur réunion est une grand-messe de la délinquance. Ce type de réunion se multiplie dans tous les domaines ; nous aurons bientôt les grands-messes de l'habitat... Sans compter que ces sujets techniques sont le plus souvent suivis par les adjoints au maire, en charge de tel ou tel secteur. Bref, les contraintes d'agenda ne cessent de se multiplier. Certes, l'amendement dispose simplement que les parlementaires « peuvent demander à être informés » de la tenue de ces réunions. Mais je sais trop bien comment les choses se passent. Nous allons multiplier les chaises vides, ce qui nuira à la crédibilité du Parlement. Les intentions sont bonnes, mais les effets seraient désastreux.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Mon amendement va dans votre sens : le texte initial rendait l'information des parlementaires obligatoire ; je propose que ce soit une faculté.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'Assemblée nationale a voté avec enthousiasme la fin du cumul des mandats et commence à se rendre compte des problèmes que cela pose. Ce retour du refoulé m'amuse ! C'est un cas intéressant de psychopathologie de la vie politique.
L'amendement n° 51 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 59 du Gouvernement dispose que l'aménagement de peine prévu à cet article ne peut avoir lieu qu'avec l'accord exprès du condamné, afin de renforcer la conformité de la mesure de libération sous contrainte avec les exigences constitutionnelles.
L'amendement n° 59 est adopté.
Article additionnel après l'article 17
Mme Esther Benbassa. - Le placement à l'extérieur ne figurant pas dans la liste des mesures pouvant être probatoires à la libération conditionnelle, la loi du 10 août 2011 n'y donne plus accès pour les personnes condamnées aux peines les plus longues. Ajoutons le placement à l'extérieur au quatrième paragraphe de l'article 730-2 du code de procédure pénale : c'est l'objet de l'amendement n° 25.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je demanderai l'avis du Gouvernement si cet amendement est déposé pour la séance publique, mais pour l'heure, je suis défavorable à cet amendement.
L'amendement n° 25 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 18 ter
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 52 supprime les mesures de rétention de sûreté ab initio mais conserve celles de surveillance de sûreté.
M. Jean-Jacques Hyest. - Personne n'a jamais dit que la rétention de sûreté avait vocation à concerner de nombreux condamnés. Elle vise certains criminels récidivistes, comme Marc Dutroux. Tous les pays ont un système d'enfermement à vie ou presque. Vous ne voulez plus de la rétention de sûreté ? Soit, mais dans certains cas, elle est utile. Vous conservez d'ailleurs la surveillance de sûreté, preuve que votre position est purement idéologique.
Il n'y a plus d'hôpitaux psychiatriques fermés. Résultat : plus les gens sont fous, plus on les emprisonne. On crée ensuite des mythes pour effrayer les gens. Il faut seulement savoir de quoi l'on parle : la rétention de sûreté concerne des gens extrêmement dangereux pour eux-mêmes et pour la société. Au surplus, elle a été validée par le Conseil constitutionnel - même si l'on ignore toujours si c'est une peine ou non, le Conseil ayant estimé que ce n'en était pas une bien qu'elle ne doive pas être rétroactive.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est une mesure de police.
M. Jean-Jacques Hyest. - Ne rouvrons pas le débat, tenons-nous en au texte tel qu'il est écrit.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Plus personne ne se trouve en rétention de sûreté. Quant à la surveillance de sûreté, elle concerne 27 personnes, qu'il faut continuer à suivre.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est bien la preuve de l'utilité de la rétention de sûreté !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - De la surveillance, pas de la rétention.
L'amendement n° 52 est adopté et devient l'article 18 quater A.
Mme Éliane Assassi. - L'amendement n° 2, identique au n° 26, abroge la rétention et la surveillance de sûreté. Nous reprenons ainsi la conclusion n° 10 de la conférence de consensus.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ces amendements sont incompatibles avec le n° 52 que nous venons de voter : avis défavorable.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n° 26.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La sur-amende créée par cet article 18 quater doit alimenter un fonds d'aide aux victimes. L'amendement n° 53 lui applique un plafond de 1 000 euros pour les personnes physiques et de 5 000 euros pour les personnes morales afin de limiter les risques de contestation de ce dispositif innovant sur le fondement du principe de proportionnalité. L'amendement exclut en outre du champ de ces dispositions les infractions donnant lieu à une majoration de 50% et prévoit que cette sur-amende bénéficiera également, s'il y a lieu, de la diminution prévue par l'article 707-3 du code de procédure pénale en cas de paiement volontaire. Ce n'est pas merveilleux, mais c'est mieux que le texte qui nous est soumis. Le Gouvernement a promis de réfléchir sur ce point.
M. Philippe Kaltenbach. - Je suis très favorable au principe de cette sur-amende. J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi dans ce sens. Les associations d'aide aux victimes manquent de moyens et souffrent du désengagement des collectivités locales. Nous connaissons en outre la situation du budget de l'État. Ce système de sur-amende existe dans d'autres pays, au Québec par exemple. Le problème réside dans le calibrage du dispositif : les associations doivent recevoir des moyens suffisants pour étendre leur action sur tout le territoire. Attention à ne pas bâtir une usine à gaz pour quelques centaines de milliers d'euros ; l'objectif doit être d'en rassembler 6, 7 ou 8 millions. J'ai posé des questions écrites au Gouvernement sur le rendement des amendes : elles sont restées sans réponse. Nous aurions besoin de l'expertise de Bercy sur ce point.
M. Alain Richard. - Le budget, c'est un tout. Multiplier les niches parafiscales pour financer une mission de l'État revient à s'exposer au risque que la dépense ne corresponde jamais à la ressource, et à la contrainte de réajuster les choses chaque année. Le Gouvernement et le Parlement gagneraient à dialoguer davantage pour que les missions de l'État soient financées par le budget de l'État. Procéder comme cela, ce n'est pas de bonne méthode.
M. François Zocchetto. - Certes, mais financer l'aide aux victimes est une nécessité. Comme Philippe Kaltenbach, j'ai déposé une proposition de loi qui va dans ce sens, et me réjouis que cette proposition figure dans le texte qui nous est soumis.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le texte tel qu'il est rédigé est peut-être inconstitutionnel. Le Gouvernement doit s'exprimer sur la nature de cette recette : taxe ? Sur-amende ? Je vous demande par conséquent d'adopter cet amendement. Ensuite, nous verrons.
L'amendement n° 53 est adopté.
Article additionnel après l'article 19 A
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les amendements identiques nos 54, 1 et 7 suppriment les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Les amendements identiques nos 54, 1 et 7 sont adoptés et deviennent l'article 19 B.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - « Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines » était le titre initial. Les députés l'ont renommé « projet de loi tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales ». Mon amendement n° 55 propose d'inverser les termes du titre initial, et de le nommer ainsi : « projet de loi relatif à l'individualisation des peines et à la prévention de la récidive ».
M. René Garrec. - Très bien.
Mme Esther Benbassa. - Mon amendement n° 27 est identique.
Les amendements identiques nos 55 et 27 sont adoptés et l'intitulé du projet de loi ainsi rédigé.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie. Les points de vue convergent largement sur ce texte. Seuls trois points ont donné lieu à des divergences ; gageons que les derniers obstacles au consensus seront levés au cours des débats.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La séance est levée à 12 h 30
La séance est ouverte à 14 h 40.
Délimitation des régions, élections régionales et départementales et modification du calendrier électoral - Audition de M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et de représentants de l'ARF
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et de représentants de l'ARF, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat. - Je remercie les présidents de région et M. Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF), et tous ceux qui ont répondu à notre invitation à cette commission élargie. Ce matin, en conseil des ministres, le Gouvernement a adopté deux textes, dont nous examinerons le premier en juillet. Nous avons souhaité entendre rapidement les présidents de région et organiser une discussion avec les sénateurs. Vous avez en tête les états généraux de la démocratie territoriale, qui ont rassemblé des centaines et des centaines d'élus. Nous souhaitons que leur esprit plane sur nos débats et que chacun puisse s'exprimer sur la réforme en cours. Cet échange nous avait été demandé, nous l'avons organisé dans ce cadre particulier.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes très honorés que M. le président du Sénat participe à cette réunion. Jean-Pierre Bel l'a rappelé, les états généraux de la démocratie territoriale ont beaucoup marqué. Ils ont favorisé un travail approfondi sur la loi qui a modernisé le statut des métropoles. Elle a été votée au Sénat par une majorité plurielle, illustrant sa capacité d'opérer des convergences pour les collectivités locales.
La commission des lois a choisi d'organiser une réunion publique ouverte à tous les sénateurs. Je vous remercie, chers collègues, d'être venus nombreux. Jamais nous n'avions reçu autant de présidents de région. C'est un honneur pour le Sénat. Je souhaite la bienvenue à Alain Rousset, président de la région Aquitaine et président de l'ARF. Je salue également Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, René Souchon, président de la région Auvergne, Laurent Beauvais, président de la région Basse-Normandie, Marie-Guite Dufay, présidente de la région Franche-Comté, Philippe Richert, président de la région Alsace, Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire, François Patriat, président de la région Bourgogne, Jean-Marie Beffara, vice-président de la région Centre, Gérard Vandenbroucke, vice-président de la région Limousin.
Nous sommes nombreux à penser que la France gagnera à avoir des régions encore plus fortes. C'est une question de compétences, de finances et de moyens plus que de périmètre. Nous serons heureux d'entendre les présidents des régions de France nous dire comment leurs territoires sont la force et la vitalité de notre pays.
M. Alain Rousset, président de l'ARF. - En mettant les régions en avant, ce texte s'inscrit dans une démarche que l'ARF appelle de ses voeux depuis longtemps. L'état des lieux européen montre l'efficacité de notre action publique en termes de développement économique et d'emploi, qui sont le coeur de métiers des régions. Dès avant la Révolution, l'histoire de France s'est faite contre les régions - à l'époque, on disait les provinces. Un modèle de décentralisation à la française se met en place, qui spécialise les compétences. Les régions s'y inscrivent. Comment ne pas voir que dans notre monde complexe et mondialisé, on ne gère pas les transports urbains, la solidarité ou l'allongement de la durée de vie comme on développe des entreprises ? Les régions françaises investissent 400 millions d'euros par an dans l'innovation de leurs petites et moyennes entreprises (PME), sur un peu plus de 2 milliards d'euros consacrés au développement économique en général. Les Länder allemands investissent 9 milliards d'euros. Les aides de l'État se limitent au Fonds unique interministériel (FUI) et aux pôles de compétitivité, soit 400 millions d'euros, car le crédit d'impôt recherche n'est pas une aide à l'innovation et la Banque publique d'invetissement (BPI) octroie des prêts. Nos PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont en concurrence avec les entreprises allemandes. La France compte 1 000 ETI indépendantes pour 15 000 en Allemagne. Pour compléter la comparaison, les dépenses publiques globales des régions françaises s'élèvent à 395 euros par habitant pour une moyenne européenne de 3 000 à 5 000 euros. À iso-compétences, le rapport est de 1 à 5. Ce que disait Jean-Pierre Sueur est parfaitement justifié : ce qui est en jeu, c'est la puissance des régions et non leur taille.
Hier, dans une réunion des présidents des conseils régionaux, Martin Malvy nous disait que les financements croisés sur un même dossier coûtent 800 euros en termes d'ingénierie publique. Nous nous trouvons dans un système de dilution des responsabilités et d'exacerbation du coût de l'action publique, alors même que l'État peine à faire évoluer ses politiques régaliennes. Pour peu qu'elle soit claire, la décentralisation est un acte de réforme responsabilisant qui économise l'action publique en la rendant plus efficace. Chaque fois qu'une compétence a été transférée à une collectivité locale, elle a été parfaitement gérée. C'est vrai pour les lycées, les collèges ou bien les trains express régionaux (TER), désormais rénovés. Rien n'aurait été possible sans le modèle économique qui a été le nôtre jusque dans les années 2000. Pour les lycées, les régions dépensent six fois plus que l'État le faisait à l'époque. Grâce à elles, la France se classe au troisième rang des pays européens pour le développement numérique des lycées - elle est septième pour les collèges. C'est dire qu'il faut réhabiliter l'efficacité de notre modèle par rapport à son coût.
Autre exemple, le service public de l'emploi est émietté. Dans des régions comme la Bretagne ou l'Aquitaine, plus de 170 organismes concourent à la réinsertion des chômeurs. À périmètre constant, en Allemagne, le service public de l'emploi représente 150 conseillers pour 10 000 chômeurs, contre 130 en Grande-Bretagne et... 71 en France. Une réforme et des progrès sont possibles.
Les régions ne souhaitent pas élargir le champ de leurs compétences au-delà de leur coeur de métier, pourvu qu'elles puissent exercer complètement ces compétences en accompagnant les entreprises. L'enjeu de l'acte de décentralisation que nous appelons de nos voeux est une répartition claire des compétences entre l'État et les régions. En matière d'innovation, par exemple, l'État intervient sur des appels d'offres, sur le FUI, par la BPI... La France ne peut plus se payer à la fois la déconcentration et la décentralisation. Elle doit choisir. Le mélange des deux induit un nomadisme des chômeurs et des chefs d'entreprises qui coûte cher et nuit à la rapidité de la décision publique.
Le découpage des régions a déjà donné lieu à plusieurs propositions de cartes, celles de Pierre Mauroy, d'Édouard Balladur, de Jean-Pierre Raffarin et d'Yves Krattinger. Selon les géographes, la solution optimale serait de passer entre les départements ou d'opérer un découpage intra-régional plutôt que de fusionner les régions. Le président de la République a privilégié la simplicité. À deux exceptions près, les flux se réalisent d'ailleurs d'abord au sein des régions.
La région est devenue la collectivité la plus dépendante des dotations de l'État. Le modèle des TER ne peut plus être accompagné : la région subventionne les gares et paye en plus les droits d'usage - une double peine ! Un tel système n'est plus acceptable. La disparition des conseils généraux renforcera le rôle des régions et des intercommunalités sur les territoires fragiles. Elles devront assumer une histoire française en général plus favorable aux territoires riches, laissant de côté un certain nombre de territoires ruraux. Nous plaidons pour le renforcement de l'intercommunalité. Nous plaidons même pour la revivification des pays, avec un vrai pouvoir exécutif. L'émiettement est trop coûteux.
Les métropoles doivent faire l'objet de toute notre attention. L'industrie française est à 60 % hors du territoire métropolitain. Il faut rester prudent sur une exception métropolitaine en matière de compétences économiques afin d'éviter que les métropoles n'en viennent à monopoliser la richesse et l'emploi. Un tel déséquilibre favoriserait la désertification des territoires ruraux et pénaliserait les entreprises qui gagnent à se développer sur des territoires à la fois urbains et ruraux, comme elles l'ont fait en Vendée ou à Lacq.
Un certain nombre de compétences seront
transférées du département à la région
- les collèges, les routes et les transports interurbains. Si
ce transfert est l'occasion pour Bercy de supprimer les deux milliards d'euros
alloués par les départements aux PME, ce sera un manque à
gagner considérable pour l'innovation et l'emploi. Cela vaut pour le
tourisme, les technologies de l'information et de la communication (TIC), la
transition énergétique.
Les régions tiennent aux compétences qui font leur coeur de métier - formation, emploi, développement industriel et recherche. Elles sont aussi sensibles à l'équilibre des territoires et à l'action contractuelle que nous pouvons mener dans des territoires qui n'auraient pas la puissance fiscale des métropoles.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Sénat est saisi du premier texte, même si les deux textes adoptés en conseil des ministres ce matin forment un ensemble.
M. Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France. - L'enjeu n'est pas la taille, mais les compétences et la puissance, partant les moyens. Dans ma région, pourtant lourde à gérer, seulement 8 euros sur 100 de dépenses sont imputables à ma politique financière, tout le reste vient de l'État. Or, celui-ci se retire massivement, avec ce plan d'économies budgétaires mortel de 10 à 11 milliards d'euros sur les collectivités. Comme Anne Hidalgo, je commence la discussion budgétaire 2015 avec 400 millions d'euros en moins, soit 10 % de mon budget que je ne retrouverai pas.
Le pays basque espagnol dispose d'un budget huit fois supérieur au nôtre, sans que le poids de cette région en Espagne soit comparable à celui de l'Ile-de-France dans notre pays. Nous sommes loin de nos concurrents internationaux, en termes de puissance. En région Ile-de-France, les transports font le coeur de notre métier. Nous y consacrons la moitié du budget, soit 2,5 milliards d'euros. À cela s'ajoute le projet monstrueux du Grand Paris ; en 2020, la région prendra le relais pour payer l'exploitation et le fonctionnement. On oublie trop souvent que 70 % des voyageurs français circulent en Ile-de-France. La SNCF s'adapte à cette situation avec les dysfonctionnements que nous connaissons.
Je ne suis pas de ceux qui contestent le premier texte sur le découpage des régions. La région Ile-de-France compte 12,5 millions d'habitants et représente 31 % du PNB. Élargir la région au grand bassin parisien, c'est-à-dire à la moitié de la population française, n'aurait pas de sens. Nous perdrions le patriotisme régional qui existe bel et bien grâce au travail des élus.
La question centrale reste pour nous celle du département et de la métropole. Je crois qu'il est possible d'intégrer les départements dans la région, en créant une assemblée régionale unique, reposant sur des listes comportant des représentants des départements, et une commission permanente spécifique en charge des questions départementales. Aucune modification constitutionnelle n'est requise. En simplifiant la carte, on laisserait vivre les départements qui représentent une proximité quand la région incarne la stratégie - celle des grands équipements, par exemple. Nous devons combiner les deux. Manuel Valls a qualifié ma proposition d'intéressante, mais peut-être pas majoritaire. Nous devrions la faire avancer.
Ma région compte huit départements, cinq de gauche, trois de droite. Je ne demande pas la disparition de telle ou telle sensibilité, même si certains ont raison de s'en inquiéter. Nous devons trouver une représentation équitable des intérêts départementaux. On ne supprimerait pas les départements, on les « dévitaliserait »...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Un mot malheureux...
M. Jean-Paul Huchon. - La région n'est pas forcément apte à prendre en charge les compétences sociales du département. Je suis également très préoccupé par la suppression de la clause de compétence générale. Lors des votes de l'ARF, j'étais contre. Je me suis rallié à la majorité par souci de simplification et d'économie. Cependant, je ne vois pas comment un préfet pourrait, en vertu de la suppression de la clause de compétence générale, interdire à la région de venir en aide à une association des personnes handicapées ou d'autistes. Ce serait laisser l'État rétablir sa tutelle sur les régions. Nous nous battrons contre cette tentation.
M. René Souchon, président de la région Auvergne. - Je suis président de la région Auvergne, une petite région - 1 350 000 habitants - qu'on va marier avec une très grande qui fait 6,3 millions d'habitants de la région Rhône-Alpes. L'annexe du projet de loi plafonne à 150 élus l'effectif de plusieurs régions nouvelles dont Auvergne-Rhône-Alpes. Ce plafonnement écrase la plus petite région, d'autant que la représentation est entièrement basée sur le nombre d'habitants. L'Auvergne se retrouverait avec 26 élus contre 47 actuellement ; le Cantal, qui est le plus petit département, n'aurait plus qu'un ou deux élus. Selon la loi, deux représentants du conseil régional doivent siéger au conseil d'administration des lycées. Dans le nouveau système de représentation, ce sera tout à fait impossible.
La région est le lieu où s'élabore la stratégie à moyen et à long terme. C'est aussi un lieu de gestion de la proximité. Si les élus n'ont plus de présence locale, on court à la catastrophe. Le plafonnement de la représentation est un très mauvais signe, surtout dans un espace à faible densité de population. Le texte a été modifié depuis hier. Selon les nouvelles dispositions, la métropole de Lyon aura plus de conseillers régionaux que toute la région Auvergne. C'est l'article 6 du texte.
M. Laurent Beauvais, président de la région Basse-Normandie. - Le périmètre n'a pas de sens sans une réflexion sur les compétences ; la compétence économique doit d'ailleurs être largement précisée. Pour faire évoluer la représentation des territoires ruraux, il serait nécessaire de revoir certaines notions -on parle de chef-lieu et non de capitale- en les intégrant dans une réflexion sur la politique d'aménagement du territoire. Cette politique n'étant plus nationale, la problématique relèvera des régions.
La notion de chef-lieu pourrait être modernisée, rapprochée de la métropole, désormais dotée de compétences et de pouvoirs importants. On n'est plus au temps où le chef-lieu rayonnait sur un territoire que l'on pouvait parcourir en une journée. Il faudra définir les fonctions de direction des nouvelles régions qui devront être organisées au regard des métropoles.
Mme Marie-Guite Dufay, présidente de la région Franche-Comté. - Le rapprochement des régions fait partie d'une vaste réforme qui renforce les intercommunalités et peut conduire à la disparition du département. Ce projet moderne allégera l'administration territoriale en la rendant plus efficace, et relancera la dynamique de l'économie. J'y suis favorable à 100 %. La France bouge dans le bon sens.
La réforme doit trouver les conditions de sa réussite. Il ne serait pas bon d'aller vers une agrégation mécanique des conseillers en fonction de la population, ainsi entre la Bourgogne et la Franche-Comté. Il nous faut trouver un critère de pondération pour rendre possible une communauté de destin et favoriser l'adhésion de la population.
Nous préparons la France de demain ; le chef-lieu est une notion d'hier, qui ne correspond pas aux actuelles politiques en réseau. La question de la capitale est très sensible ; faut-il fixer celle-ci par décret ? L'assemblée régionale ne siègera pas forcément au chef-lieu. Ne figeons pas les choses : l'organisation de demain peut être multipolaire. Je vous souhaite d'excellents travaux ; merci d'avance de votre sagesse, qui contrastera avec les passions qui s'expriment dans les territoires.
M. Philippe Richert, président de la région Alsace. - Comme les présidents de l'Association des régions de France et de la région Île-de-France, je pense que la taille n'est pas la vraie question. Seul président de région de l'opposition ici, je ne me permettrais pas de le dire s'ils ne m'avaient pas précédé : ce qui compte, c'est d'avoir les ressources qui correspondent aux compétences. Ils ont eu l'honnêteté de reconnaître que les régions allaient être ponctionnées. Que n'avais-je pas entendu lorsque j'avais parlé de la stabilisation des ressources que l'État reverse...
Profondément régionaliste, je crois que l'avenir est dans la décentralisation, qui passe par le renforcement des régions, au-delà des compétences des départements : il faudrait par exemple leur transférer celle de l'emploi, comme l'a dit Alain Rousset, sinon, cela ne mènerait pas à grand-chose. C'est pour cela que nous avons essayé d'expérimenter le Conseil d'Alsace en fusionnant les conseils généraux et le conseil régional, par un référendum où 58 % des votants avaient voté oui, mais qui a échoué pour n'avoir pas réuni 25 % des inscrits. Nous avions sollicité le Sénat, mais l'amendement cosigné par François Patriat, Jean-Vincent Placé, Catherine Troendlé et André Reichardt a été torpillé en commission. Quelqu'un a dit qu'il serait temps que l'Alsace se souvienne qu'elle fait partie de la République... C'est dommage, car nous expérimenterions maintenant cette solution.
Si nous pouvons trouver une solution pour faire le Conseil d'Alsace quand même, ce ne serait pas plus mal. Mais l'idée d'une réunion avec la Lorraine ne nous fait pas peur. Nous avons besoin de clarté. Or elle s'éloigne au lieu de se rapprocher. Sans doute la sagesse du Sénat y remédiera-t-elle. En sortant d'ici, le texte donnera des pistes. Une réunion entre l'Alsace et la Lorraine aurait beaucoup de sens : un peu plus de 4 millions d'habitants, un PIB global de 110 milliards d'euros. Il faut d'abord définir le projet. Pour l'instant, le texte ne parle que de découpage et de mode d'élection. C'est un peu court. Nous aurions besoin de précisions pour nous prononcer.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le cours de l'histoire tient parfois à un amendement.
M. André Reichardt. - ...et à une personne !
M. Jean-Marie Beffara, vice-président de la région Centre. - La région Centre est au coeur d'une proposition de carte qui fait débat. Dans une période où l'on s'interroge sur l'identité des futures régions, la nôtre est un exemple édifiant et rassurant. Composée de façon hétéroclite, allant des franges franciliennes au Berry en passant par le Val de Loire, elle a su créer un sentiment d'appartenance à travers des politiques. Nous ne sommes pas et ne serons jamais l'objet régional non identifié dont parle Le Figaro. Nous formons la sixième région industrielle, la première région céréalière ; j'en revendique la fierté.
Il faut aussi parler du Val de Loire, classé au patrimoine mondial de l'Unesco : c'est autour de la Loire que nous voulons construire notre avenir, en nous tournant vers les Pays de la Loire, avec qui nous avons engagé de nombreuses coopérations. C'est vrai en matière de tourisme - la Loire à vélo fait du Centre la première destination du tourisme à vélo en Europe ; cela vaut aussi pour la recherche avec le cancéropôle Grand Ouest, pour le parc naturel interrégional Loire-Anjou-Touraine ; cela se vérifie encore avec les vins de Loire, qui ne déméritent pas. Voilà une alternative crédible et dynamique à la proposition du Gouvernement. Jacques Auxiette tiendra peut-être des propos différents : certains élus de sa région semblent privilégier la façade maritime plutôt que l'axe ligérien. Quel que soit leur choix, la région Centre veut tourner son avenir vers l'Ouest. Nous ne croyons pas à l'immobilisme.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Non au Poitou-Charentes ?
M. Jean-Marie Beffara. - Le Poitou-Charentes est à l'Ouest.
Mme Patricia Bordas. - Donc non au Limousin !
M. Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire. - Des deux projets de loi, le deuxième est le plus important. Mais le premier doit être débattu dans l'urgence.
Je siège au conseil régional des Pays de la Loire depuis 1977 - c'est la silver economy ! J'ai rencontré récemment Philippe Camous, ancien collaborateur d'Olivier Guichard qui a installé le conseil régional le 5 janvier 1974. Le sentiment d'appartenance à un territoire qui s'est forgé depuis quatre décennies est une réalité pour tous les territoires français. J'ai été pour le moins étonné de la déclaration du président de la République du 14 janvier dernier, annonçant la division par deux du nombre des régions. Depuis, avec le conseil régional, le conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) et les autres acteurs, nous avons essayé de rationaliser, pour que le Parlement et, en particulier, le Sénat puissent proposer une carte plus efficace, plus capable, plus pertinente, notamment en termes de développement économique. Cette démarche ne doit pas être franco-française, mais se placer dans une dynamique européenne. Votre responsabilité est grande : elle déterminera pour de longues années les conditions dans lesquelles la France - et en particulier l'Ouest - sera partie prenante de la compétition mondiale et européenne.
Les Pays de la Loire comptent 3,6 millions d'habitants (4,5 millions dans quelques décennies selon l'Insee), et constitue la troisième région industrielle de France. J'ai réuni le 13 mai et le 5 juin derniers des assemblées élargies à tous les acteurs, diffusées sur internet, avec un comité de suivi, toutes tendances politiques confondues et tous niveaux de collectivités représentés. Il faut en effet fixer un cadre dans lequel la démocratie puisse fonctionner. Les conclusions en sont : pas de démantèlement de la région - nous avions le privilège d'être dépecés dans toutes les cartes publiées ; analyse rationnelle, même si au-delà, d'autres éléments peuvent intervenir ; s'il doit y avoir fusion, nous voulons unanimement qu'elle ait lieu avec la Bretagne ; la stratégie de la Datar, portée par mon prédécesseur Olivier Guichard, avait ouvert l'hypothèse de trois régions Grand-Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes), qui vient sans doute complexifier le dispositif.
Bien évidemment, nous avons des coopérations avec le Centre. Cependant, les coopérations interrégionales, insuffisantes de mon point de vue, n'imposent pas de fusion. Nous créons avec la Bretagne une fédération des sept universités, tous nos pôles de compétitivité sont interrégionaux avec la Bretagne...
M. Jean-Pierre Raffarin. - Et un aéroport !
M. Jacques Auxiette. - Aussi. Et des liaisons ferroviaires, avec Le Mans-Rennes. L'Ouest a suscité des difficultés. Je respecte les manifestations culturelles et les langues régionales, mais la République ne doit pas s'organiser autour des seules identités.
M. Gérard Vandenbroucke, vice-président de la région Limousin. - Nous sommes d'accord avec ce qui a été dit sur l'exposé des motifs. Il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur les moyens. Certes, les TER ont été modernisés, mais à quel prix ? Les transferts de financements doivent accompagner ceux de compétences.
La délimitation des régions doit obéir à une histoire, à des réalités économiques, et, surtout, à un projet commun attestant des ambitions. Le Limousin est la plus petite et la moins peuplée des régions de la France continentale, ce qui lui vaut peut-être son identité très forte. Le projet du Gouvernement en ferait la plus grande des régions, la quatrième ou cinquième la plus peuplée, mais sa représentation serait divisée par deux. La carte proposée est invraisemblable et peu acceptable. Cette région irait du nord de Dreux au sud de Souillac. Si, de Dunkerque à Perpignan, la France fait mille kilomètres de long, cette région en ferait cinq-cents : c'est excessif ! Ni l'économie, ni l'identité culturelle, ni l'histoire ne le justifient ni permettraient un projet cohérent pour les années qui viennent. Ce n'est pas parce que nous sommes petits que nous ne voulons pas coopérer, au contraire. Nous le faisons avec la politique de massifs avec l'Auvergne, avec Poitou-Charentes, avec Midi Pyrénées pour le cancéropôle. La fusion des régions - même si le mot nous dérange - ne peut aller que vers l'Ouest.
Mme Jacqueline Gourault. - À l'ouest, rien de nouveau !
M. Gérard Vandenbroucke. - L'histoire, la géographie, l'économie nous y portent. Le Ceser nous a rendu hier un pré-rapport qui va dans le même sens. Notre tropisme est d'aller vers Poitou-Charentes et éventuellement vers l'Aquitaine si l'un veut se rapprocher de l'autre - c'est d'ailleurs ce qui nous avait été proposé en premier. Il ne doit pas y avoir d'agrégation mécanique, mais pas non plus de sous-représentation. Or les propositions qui sont faites supposent une telle sous-représentation que je ne vois pas comment nous pourrions répondre aux sollicitations qui nous donnent déjà bien de la peine. Ce n'est pas parce que nous sommes petits que nous manquons d'ambition ; bien au contraire.
M. François Patriat, président de la région Bourgogne. - Pour nous, la carte n'est pas un problème. Nous vivons un moment grave. Le problème n'est pas de savoir si nous voulons ou si nous pouvons : nous devons avancer. La France doit-elle faire ses réformes comme d'autres pays l'ont fait ? Oui. Nos collectivités sont-elles lisibles ? Non. Efficaces ? Pas toujours. Coûteuses ? Sans doute. Il ne s'agit pas de défendre telle ou telle féodalité mais l'intérêt bien compris des habitants. La question n'est pas de savoir si nous faisons bien notre travail : nous le faisons dans la complexité, comme celle, insoutenable, que je vis entre la stratégie de cohérence régionale en aménagement numérique (Scoran) et les Schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (Sdtant), entre celui qui ferait la stratégie du très haut débit et celui qui la réaliserait... Tout cela n'a pas de sens.
Les murmures que j'ai entendus lorsque Philippe Richert s'est exprimé ne me dérangent pas : ce sujet est transpolitique. L'expérimentation prévue en Alsace aurait pu bien nous servir ; je regrette qu'elle n'ait pas eu lieu. Nous sommes collectivement responsables de cette situation ; ce n'est pas la faute de tel ou tel gouvernement. Avec Claude Belot, Yves Krattinger et d'autres, nous avons passé ici huit mois à discuter de la pertinence de chacun de nos échelons. Qu'avons-nous décidé ? Rien. Si nous ne devons rien toucher, disons-le : tout fonctionne, continuons comme cela. Si nous pensons qu'il faut changer, alors avançons. Collectivement, nous avons tous, sans exception, voulu rester sur notre pré carré. Personne n'a proposé de solution, sinon des aggiornamentos. Je passais pour provocateur dans la commission lorsque j'apportais mon soutien à telle ou telle proposition de la commission Balladur. Ce Gouvernement a un mérite, celui de vouloir avancer.
La Bourgogne et la Franche-Comté n'avaient que moins de trois millions d'habitants à elles deux, des budgets de 500 et 800 millions d'euros, mais deux petits aéroports, deux CHU, etc. Comment exister entre l'Île-de-France et Rhône-Alpes sans voir la tentation pour l'Yonne, la Saône-et-Loire, le Jura de partir ? Aussi le choix a-t-il été plutôt simple pour nous. Je mesure pourtant les difficultés : rapprocher nos exécutifs, nos budgets, nos services demandera du temps. Si j'ai un souhait, c'est que nous ayons celui de réussir la réforme. Car c'est bien là l'enjeu.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie les dix membres d'exécutifs de conseils régionaux pour le panorama précieux qu'ils nous ont offert.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Derrière ce projet de loi, il y a l'intention de réduire le nombre de régions, de ne pas les découper par départements, ce dont je n'ai pas trop entendu parler dans les interventions.
M. Yves Rome. - Cela va venir !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Si le Sénat veut avancer, il ne doit pas s'engager dans une multitude de modifications au découpage présenté : dans ce cas, nous aurons vite fait le tour ; la séance plénière présentera l'agrément d'une visite des régions, mais sera inefficace. Les compétences ont certes leur importance. Mais les uns et les autres ont leur petite idée sur la question : cela n'handicape pas la réflexion sur les limites territoriales.
Je ne suis pas en mesure, après ce demi-tour de table, de dégager un découpage merveilleusement performant devant succéder à celui du Gouvernement. Il y a encore du travail pour approcher une solution.
M. Rachel Mazuir. - J'ai entendu beaucoup de comparaisons avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne, où la pauvreté se développe, puisque ce pays compte 16 % de pauvres contre moins de 13 % chez nous. François Patriat considère que nous allons résoudre ces problèmes en réduisant le nombre de régions, en leur attribuant des compétences. J'ai demandé à Martin Malvy et Alain Lambert quelles étaient les économies envisageables : ils n'ont pas répondu.
Ce que je sais, c'est que les collèges vont coûter 22 millions d'euros de plus à la région, mais les transferts des routes, des transports scolaires, gratuits dans l'Ain ? Les autres départements seront-ils alignés ? Il faudra bien répondre à ces questions. Reste l'éloignement. René Souchon l'a bien expliqué : en Rhône-Alpes, les conseillers régionaux sont invisibles et demain, il y en aura sept de moins pour quatre départements de plus !
M. Bruno Sido. - Selon François Patriat, aucun gouvernement n'a bougé. La majorité précédente avait créé le conseiller territorial, que vous vous êtes empressés de supprimer. Monsieur Huchon, vous voulez absolument les routes : mais savez-vous de quoi vous parlez ?
M. Jean-Paul Huchon. - Si vous prétendez le contraire, nous aurons du mal à dialoguer.
M. Bruno Sido. - S'occuper des transports avec RFF et la SNCF, c'est autre chose que faire les routes en régie, comme font les départements. Alain Rousset a raison : ce n'est pas la taille des régions qui compte, c'est leur puissance. Dans ce cas, donnons toutes les compétences aux départements et supprimons les régions !
M. Yves Rome. - François Patriat n'a pas le monopole de la légitimité : ici, chacun, loin de défendre son propre sort, défend son territoire. En tout cas, c'est ce que je fais. Prenons garde à ce que les syndicats mixtes ouverts soient préservés pour que l'ambition du très haut débit puisse se concrétiser : aucune collectivité n'y parviendra seule. Il faut des financements européens, nationaux, régionaux, départementaux et de l'échelon communal ou intercommunal.
Cette réforme faite dans la précipitation suscite des doutes même chez les présidents de région. Il aurait fallu la commencer non par les compétences, mais par la fiscalité. Vous allez bientôt connaître ce que les départements ont connu lors des précédentes lois de décentralisation, avec la non-compensation des compétences transférées. Les difficultés de l'Ouest ne sont rien à côté de celles du mariage par exclusion entre Picardie et Champagne-Ardennes. Il faudra près de cinq heures pour aller de Beauvais à Reims, en passant par Paris. Ce n'est pas un progrès, mais une régression. Nos régions ont été sacrifiées à cause de la peur que les dernières élections européennes ont suscitée. Je plaiderai pour que la Picardie soit rapprochée de Nord-Pas-de-Calais, ce qui tombe sous le sens. À défaut, la région Normandie pourrait être choisie. Sinon, je demanderai le détachement de l'Oise soit vers la Normandie, soit vers l'Île-de-France, puisque la moitié de sa population vient travailler à Paris.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Tous les sénateurs sans exception partagent un morceau d'intelligence et sont attachés à leur région, leur territoire et leur commune.
M. Francis Delattre. - En Île-de-France, il y a les riches et les pauvres, que je représente. La proposition de Jean-Paul Huchon mérite d'être regardée de très près : la grande couronne risque de pâtir du chantier de la métropole qui construira un ensemble de 6,5 millions d'habitants consistant et riche ; il est stupide qu'une collectivité s'occupe du transport et une autre du logement. Votre système me semble intelligent : c'est un pas vers le fameux conseiller territorial et il nous permettra de travailler de façon harmonieuse. Sinon, il y aura une trop grande différence entre le Grand Paris et la grande couronne.
Il faudrait travailler sur la neutralité des décisions de l'État concernant le développement économique. Nous venons de voter la non déductibilité fiscale des emprunts faits par les entreprises, qui rapportent 4 milliards d'euros à l'État, et vous nous dites, monsieur le président, que vous avez fait un effort important avec l'investissement de 400 millions d'euros dans les PME... Il faut harmoniser tout cela.
M. François Grosdidier. - Quelle occasion manquée ! Comme sur la fiscalité et la compétitivité, le Gouvernement a commencé par démolir ce qui avait été fait, pour y revenir..., mais d'une mauvaise façon. Je suis heureux d'entendre les présidents de région nous expliquer, à rebours du Gouvernement, que l'important est la compétence et non le périmètre, et défendre la spécialisation, alors que la majorité a rétabli la clause de compétence générale. Mosellan, je suis voisin de la Sarre, Land de moins d'un million d'habitants, soit moins que la Moselle, qui concentre les compétences et le budget du département, de la région et d'une partie de l'État : sans être le Land le plus riche, il a une puissance de frappe considérable. C'est le modèle vers lequel il fallait tendre. Plutôt que de démolir le conseiller territorial parce que le mode de scrutin nous divisait, il aurait fallu en adopter un autre, mixte peut-être, ou circonscrire à ce sujet le débat droite-gauche ; en tout cas, il fallait stabiliser le périmètre des collectivités au lieu d'entrer dans ce débat. Ne parlons pas de l'Alsace-Lorraine, qui sont liées non par une communauté de destin choisie, mais par un diktat du IIème Reich victorieux.
Entre Rennes et Nantes, outre l'histoire, il n'y a pas quarante kilomètres de rupture entre les deux aires urbaines, soit à peine plus entre Metz et Nancy et moins qu'entre Metz et Strasbourg. Jamais carte de France n'a été dessinée de manière aussi capricieuse, alors qu'elle nous engage pour des décennies. Cela mérite un examen, en profondeur, des amendements. Le Sénat fournira peut-être la réflexion que le Gouvernement n'a pas faite. Certains ont défendu à droite la double compétence dans le sport, la culture ou le tourisme ; il fallait aller plus loin dans la spécialisation. C'est dans cette voie que le Sénat devrait s'engager, plutôt que d'adapter tel quel le travail bâclé qui nous est présenté.
Mme Nicole Bonnefoy. - Conseillère générale d'un canton rural de Charente et ancienne conseillère régionale, je ne suis pas opposée au redécoupage des régions s'il en faut de plus fortes, mêmes si je pense comme mes collègues que c'est moins un problème de périmètre que de compétences et de moyens. Mais s'il doit avoir lieu, autant qu'il soit cohérent et réponde aux attentes des administrés. Le périmètre de la région proposée par le Gouvernement groupant Centre, Limousin et Poitou-Charentes est à cet égard loin du compte : il faudrait des liens forts, l'habitude de travailler ensemble, des réseaux de transport, le partage d'un socle historique, économique, géographique, culturel... Poitou-Charentes est traversé par la ligne à grande vitesse atlantique qui nous mettra à 30 minutes de Bordeaux. Il est impensable de couper ces liens naturels pour se tourner vers une région difforme, qualifiée d'objet régional non identifié, sans véritable métropole. Nombre d'élus, d'acteurs économiques, associatifs, judiciaires ont exprimé cette convergence vers l'Aquitaine, qui est partagée par 80 % de la population charentaise si l'on en croit un récent sondage. S'il faut que les nouvelles régions construisent un sentiment d'appartenance à un territoire, cela ne sera pas possible pour celle qui est proposée. Que penserait le président de la région Aquitaine d'une région regroupant Aquitaine et Poitou-Charentes ?
Mme Bernadette Bourzai. - ... et Limousin !
Mme Nicole Bonnefoy. - Et Limousin, puisque cette région aimerait également se rapprocher de vous.
M. René Vandierendonck. - Si le Sénat a pu apporter des idées dans le premier texte que nous avons adopté il y a peu, c'est qu'il a dépassé les clivages partisans, renouant avec l'article 24 de la Constitution.
Le calendrier est serré mais que n'aurait-on pas entendu si le Gouvernement n'avait proposé une carte ! Nous devons retrouver l'esprit du texte sur les métropoles, une coproduction au service de la démocratie locale, en abandonnant les clivages partisans. Le rapport de M. Balladur s'intitulait déjà Il est temps de décider. Ce mot d'ordre figurait ensuite dans le rapport de MM. Krattinger et Raffarin au nom de la mission commune d'information du Sénat sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République. Il est toujours de mise.
M. Pierre Jarlier. - La question n'est pas la taille des régions, mais leurs compétences, leurs moyens, leurs projets collectifs. Les grandes régions aggraveront le clivage entre zones riches et pauvres, zones urbaines et rurales. La question de l'aménagement du territoire et de la solidarité n'est pas traitée. De plus, quelle sera la représentation des territoires ruraux au sein du conseil de la grande région ? Seront-ils entendus ? Il faut une représentation équitable. Par exemple, le Cantal ne disposera plus que de trois représentants, contre cinq actuellement.
M. Alain Bertrand. - L'essentiel n'est pas de décider vite, mais de décider bien ! Les remarques de M. Jarlier sont pertinentes : Quid de l'hyper-ruralité ? Que deviendront ces territoires fragiles dans ces grandes régions ? La carte ne convient pas à tous les présidents de région. Comparer le Pays basque espagnol à une région n'est pas un bon argument. Le Sud de la France comportera quatre à cinq régions, le Nord huit à neuf. Certes, il faut atteindre une taille critique, mais la cote est mal taillée. Il faudra la parfaire.
Le groupe RDSE a déposé une proposition de loi pour assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux en prévoyant une représentation minimale de trois conseillers. Or, avec ce nouveau découpage, la Lozère n'aura plus qu'un seul représentant. C'est inacceptable.
M. François Fortassin. - La réforme de François Mitterrand et Gaston Defferre sur la décentralisation a été comprise car elle était simple et rapprochait le citoyen de l'élu. Ici, je cherche vainement une ligne directrice. Il ne faut pas réformer pour le plaisir de réformer ; mieux aurait valu identifier ce qui ne marche pas. J'ai le sentiment d'une précipitation, mais je fais confiance à l'intelligence des hommes pour s'adapter. Il y a 40 ans, tous les spécialistes prédisaient la mort lente des campagnes françaises. C'est le contraire qui s'est produit ! Nous trouverons des parades. Si notre pays s'est forgé, c'est grâce à l'action des élus locaux. Encore faut-ils qu'ils aient le sentiment qu'on pense à eux !
M. Alain Rousset, président de l'ARF. - Le point fondamental, c'est la puissance ; nous sommes réservés, pour ne pas dire plus, sur la taille. Le soutien aux entreprises, l'accompagnement de l'innovation et des transferts de technologie, la solidarité, supposent une forme de proximité. Il faut éviter de désincarner nos politiques. Le Président de la République et le Premier ministre en ont tenu compte en passant de 11 régions à 14.
Il appartient au législateur, s'il le souhaite, de modifier la carte proposée. Je regrette à titre personnel que le découpage ne soit pas plus fin : quatre ou cinq départements posent problème...n'est-ce pas, Madame Bonnefoy ?
Les régions n'oublieront pas les territoires ruraux, à l'égard desquels une politique contractuelle doit être mise en oeuvre à l'échelle des pays. Nul ne sera laissé de côté. Pour un territoire, ce qui importe, c'est le développement agricole ou économique, plus que le nombre de ronds-points...
Nous ne réinventons pas la roue mais nous nous inspirons des expériences européennes qui fonctionnent mieux que nous. Si les régions n'avaient pas été là pour faciliter les déplacements, développer les langues, régler la question du logement des jeunes ou rénover les lycées, rien n'aurait été fait ! La modernisation des lycées professionnels, dans toutes les régions, est spectaculaire. Chaque délégation de compétence spécialisée a été couronnée de succès. En revanche, lorsque les compétences sont émiettées, elles sont moins bien exercées et leur coût est multiplié par huit. L'ARF souhaite la suppression des doublons de compétences avec l'État. Or la seconde loi, sur ce point, est muette. En outre, les régions françaises consacrent 400 millions d'euros à l'innovation lorsque les Länder allemands dépensent 9 milliards d'euros ! Il sera vital, pour l'emploi et l'économie, lors de l'examen du second texte transférant les compétences économiques des départements aux régions, de transférer à ces dernières les 2 milliards d'euros que dépensent les départements en faveur du développement économique.
Essayons, comme l'a dit M. Vandierendonck, avec lequel nous avons beaucoup travaillé, de regarder l'avenir en nous inspirant des exemples européens. La France n'est pas nécessairement la patrie du conservatisme !
M. Laurent Beauvais. - La référence au seuil minimal d'un conseiller régional par département relève de la problématique de la ruralité.
La question du chef-lieu - terme un peu désuet - est un problème d'aménagement du territoire, qui doit être traité en liaison avec celle des métropoles et de leurs compétences.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pas moins de soixante-six sénateurs ont assisté à cette audition. Une telle participation n'est pas coutumière ; elle témoigne de notre intérêt pour la question et de notre souhait de travailler très étroitement avec vous.
Délimitation des régions, élections régionales et départementales et modification du calendrier électoral - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
La commission procède ensuite à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat. - J'accueille M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur. Une telle audition, quelques heures à peine après l'adoption du texte en Conseil des ministres, n'est pas habituelle. Nous avons souhaité rencontrer les présidents de région, puis le ministre de l'intérieur.
Il ne s'agit pas de recommencer les états généraux de la démocratie territoriale, mais de s'inspirer de leur esprit, en donnant la parole à tous ceux qui sont concernés.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Merci pour votre accueil. Je suis heureux d'être parmi vous, quelques heures après la présentation du texte en Conseil des ministres. Je connais l'importance pour vous que revêt l'organisation territoriale de la République, pour laquelle la Constitution vous octroie une légitimité particulière. Je salue Madame Escoffier qui a travaillé sur ce sujet avec ouverture d'esprit et professionnalisme jusqu'à il y a peu. Je salue tous les sénateurs qui exercent des responsabilités locales et qui connaissent parfaitement le sujet.
Le Gouvernement a choisi la procédure accélérée, car il ne faut pas laisser s'enliser les réformes qui ont été lancées. Mais l'urgence ne veut pas dire que le débat sera escamoté ; il y aura donc deux lectures avant la réunion d'une éventuelle CMP. Chacun pourra exprimer son point de vue, et ma porte restera ouverte à tous les parlementaires.
La première préoccupation du Gouvernement est la cohérence. Nous souhaitons réformer l'organisation territoriale de notre pays pour lui permettre de surmonter les difficultés économiques et renforcer les territoires pour qu'ils pèsent dans une compétition de plus en plus rude. Nous voulons des intercommunalités fortes, indispensables dans un pays qui compte 36 000 communes, notamment dans les territoires ruraux. L'enchevêtrement des compétences doit être clarifié : ce sera l'objet du projet de loi que présenteront Marylise Lebranchu et André Vallini. Il n'y a pas de démocratie locale sans lisibilité de l'organisation.
Nos régions doivent être plus fortes, dans une Europe où la taille moyenne des régions est très supérieure à la nôtre, à l'image des Länder allemands. La taille était déjà conçue comme un facteur d'efficacité par ceux qui ont créé les établissements publics régionaux il y a 50 ans.
Enfin, il faut moderniser l'administration déconcentrée de l'État. Après des années de rabot, notre administration territoriale doit être forte et puissante, constituer un interlocuteur des collectivités territoriales, en leur fournissant des services d'ingénierie. Il faut renforcer l'interministérialité et les pouvoirs des préfets, clarifier les missions de l'État, en évitant les doublons, avec une charte de la déconcentration, laisser de la souplesse dans l'organisation des services, développer la fongibilité des budgets, sans remettre en cause, pour autant, les garanties données aux fonctionnaires. Le Président de la République l'a affirmé lors de ses voeux, le Premier ministre l'a dit lors de sa déclaration de politique générale, la mise en oeuvre de ce projet est indispensable au redressement de nos territoires. Il y a urgence.
Beaucoup s'interrogent. Je sais que certains, même si je ne connais pas les pensées de chacun d'entre vous - ce qui serait suspect compte tenu de mes fonctions - considèrent qu'il est urgent d'attendre. En 2009, M. Balladur avait intitulé son rapport Il est temps de décider. Pourtant, cinq ans après, rien n'a changé... Depuis, MM. Raffarin et Krattinger ont, dans une réflexion sur l'avenir de l'organisation territoriale de notre République, proposé de réduire entre huit et dix le nombre de nos régions. N'attendons pas davantage ; prenons le risque d'essayer. Nos propositions ne sont pas intangibles. Le débat aura lieu, nous tiendrons compte de tous les avis pour améliorer le texte. Le Gouvernement a pris le risque de proposer une carte. Il est animé d'une volonté d'écoute, et souhaite aboutir.
Depuis des années, les présidents de région accomplissent un travail admirable pour accompagner les filières d'excellence, améliorer la relation entre les centres de recherche et l'industrie, investir dans les transports de demain et les énergies renouvelables. Grâce à ces initiatives, ils soutiennent notre croissance. Le regroupement des régions permettra de mutualiser les moyens pour dégager encore des marges de manoeuvre. Il s'agit d'atteindre la taille critique à l'heure de la révolution numérique et de la grande vitesse. La préoccupation de la taille a toujours animé ceux qui ont pris le risque de la réforme. Le général de Gaulle, qui a créé les établissements publics régionaux, expliquait dans les Mémoires d'espoir que la taille des collectivités territoriales n'avait pas changé depuis l'Ancien Régime et qu'elles se révélaient trop petites pour l'âge moderne où l'économie domine tout avec ses exigences d'aménagement et de planification. Il évoquait le télégraphe ou l'automobile qui ont rapetissé le département et rendu nécessaire la création des régions.
L'article 1er propose une nouvelle carte des régions : quinze régions sont regroupées en six ; huit autres régions restent en l'état car elles disposent déjà de la taille critique. Avec ce découpage qui privilégie la taille et les enjeux économiques, nos régions s'inscrivent dans la moyenne européenne. Les nouvelles régions auront une population, en moyenne, de 4,3 millions d'habitants, contre 2,6 aujourd'hui, 5,3 millions pour les Länder allemands ou 4,1 millions pour les régions italiennes. Nous réduirons aussi les disparités territoriales, ramenées de un à trois, contre un à neuf aujourd'hui. Nulle carte n'aurait fait l'unanimité, vu l'histoire ou les espérances, parfois politiques... Il fallait prendre le risque de soumettre une carte au débat. Elle sera susceptible d'améliorations. Derrière la carte surgissent des questions d'histoire et d'identité, des attachements, des coopérations. La modification des frontières suscite naturellement des craintes et des interrogations. M. Richert a indiqué que l'Alsace, que Jean-Marie Mayeur qualifiait de région histoire, était prête à s'ouvrir car elle sait qu'il n'y a pas d'antinomie entre ses racines, son histoire et son avenir. Ce texte rend possible ce dépassement. Le Gouvernement a posé des principes : la modification de la carte ne devra pas aboutir à augmenter le nombre de régions, ce qui serait la mort de la réforme. Il n'est pas souhaitable non plus de détacher certains départements de leurs régions d'origine.
L'article 2 prévoit les modalités de désignation du chef-lieu des nouvelles régions, prérogative d'ordre réglementaire. Trois mois après la publication du texte, le débat s'ouvrira dans les territoires. S'il aboutit à un choix consensuel, nous l'entérinerons. Sinon, nous soumettrons une proposition à l'approbation du conseil régional. Nous limitons le nombre de conseillers régionaux à 150 par région, soit une baisse seulement de 9 % du nombre total de conseillers régionaux. Chaque section départementale aura des représentants au conseil régional. Le débat parlementaire sera l'occasion d'apaiser les craintes de décrochage ou de relégation de certains territoires ruraux.
L'article 12 modifie le calendrier électoral. Nous reportons à décembre 2015 les élections régionales et départementales, afin de laisser le temps aux citoyens de s'approprier la réforme. Ce texte fixe la fin du mandat des conseillers départementaux en 2020. Il précise aussi les modalités de remplacement des conseillers élus dans le cadre du scrutin binominal, afin de remplacer un élu empêché sans obliger le binôme à démissionner, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 16 mai 2013. Enfin, les conseillers généraux de la métropole lyonnaise, qui se substituera au département du Rhône sur son périmètre, verront leurs fonctions cesser au 31 décembre 2014.
La IIIème République a
instauré la liberté des communes, pour conforter la
démocratie dans les campagnes. Les personnalités issues de la
Résistance ont cherché à renforcer l'aménagement du
territoire pour donner à chacun sa chance. La décentralisation,
voulue par Gaston Defferre et François Mitterrand, a renforcé le
pouvoir des élus locaux. Aujourd'hui, notre pays traverse une crise
profonde. Pour la surmonter, il faut renforcer l'investissement dans des
filières économiques d'excellence. Il est toujours plus difficile
de réformer en période de crise car les fruits à
redistribuer sont moins nombreux. Mirabeau, alors que l'on envisageait de
créer des départements de même superficie, déclarait
en novembre 1789 : « Je sais bien qu'on ne couperait ni des
maisons ni des clochers ; mais on trancherait
- il ne savait pas
ce qui l'attendait - ce qui est plus inséparable, on
trancherait tous les liens que resserrent les moeurs, les habitudes, les
productions et le langage. » Les débats sur
l'identité se posaient déjà dans les mêmes
termes ! L'histoire nous invite ainsi à relativiser, pour surmonter
les divisions et trouver un compromis. Je suis convaincu que c'est possible au
Sénat : vous pouvez compter sur ma totale disponibilité pour
y contribuer.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour votre présentation très pédagogique. Je salue votre calme impressionnant que vous ne perdez jamais.
Je précise que Mirabeau n'est pas mort guillotiné, mais dans son lit.
M. René Vandierendonck. - À l'âge de 42 ans.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Notre examen est encadré par la carte qui nous a été proposée. Des principes ont été fixés comme garde-fous à un redécoupage infini. Certaines pistes de rapprochements sont intéressantes ; certains attendent un règlement, peu probable, de problèmes anciens, sinon insolubles... Nous veillerons à laisser les départements au sein des régions où ils se situent. La réussite est question de volonté. Le voulons-nous ? Il est facile de trouver des motifs de discorde, mais si nous nous rassemblons, nous franchirons un cap important. Au Sénat de choisir.
Nous débattrons ensuite des compétences. Certains auraient souhaité en débattre avant, mais il ne faut pas repousser les difficultés.
M. Bruno Sido. - Nous venons d'entendre plusieurs présidents de conseils régionaux. Comment avaient-ils été choisis ? Il en manquait certains, comme le président de la Champagne-Ardenne ou celui de la Lorraine...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous nous sommes adressés à l'ARF ; nous n'interférons pas dans le fonctionnement de cette association qui a elle-même choisi sa délégation.
M. Bruno Sido. - Peu importe, car je ne veux pas parler boutique. Cette audition m'a fait froid dans le dos. Ces messieurs n'avaient à la bouche que le mot « puissance ». Voici le retour des nouveaux féodaux dont les rois de France ont eu toutes les peines du monde à se défaire ! Comme l'appétit vient en mangeant, ils n'auront jamais assez de compétences et, bientôt, ils réclameront le droit de réglementer, puis de légiférer !
Je comprends votre réticence à découper les régions et séparer des départements. Mais l'ancien découpage n'étant pas toujours pertinent, l'association de deux régions au périmètre non pertinent ne sera pas non plus judicieuse ! Pour modifier le périmètre d'une région, grâce à M. Charasse, un référendum local est nécessaire. Le président du conseil régional d'Alsace en sait quelque chose... Pourquoi le Gouvernement ne déposerait-il pas un amendement autorisant un département à changer de région sans référendum ? Bien des réticences tomberaient.
La loi du 17 mai 2013 crée des binômes pour l'élection des conseillers départementaux. Mais pensez-vous que beaucoup de femmes seront candidates pour n'exercer qu'un seul mandat, avant la suppression des départements en 2020 ?
M. Alain Néri. - Oui ! La nature a horreur du vide !
M. Bruno Sido. - Ne serait-il pas opportun de conserver l'ancien mode de scrutin ? Je déposerai un amendement en ce sens. Le Premier ministre reconnaît lui-même que le travail a été mal fait.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'ai entendu cette suggestion exprimée sur différents bancs. « Que ceux qui ont des oreilles entendent »...
M. Alain Richard. - Le tableau du nombre des conseillers régionaux annexé au projet de loi crée une grande disparité de représentation des conseillers selon les régions. Le système actuel, né en 1986, fait progresser le nombre des conseillers régionaux moins vite que la démographie. Avec les fusions de régions, la représentation géographique sera très disparate, entraînant un risque de rupture d'égalité. Le même constat vaudra pour les conseillers généraux. Envisagez-vous une période de transition, pendant un mandat, afin de remédier à cette situation ?
Que se passera-t-il en mars 2020 ? Le mandat des conseillers départementaux, élus en décembre 2015, expirera alors, tout comme celui des conseillers municipaux, élus en mars 2014, et celui des conseillers régionaux, élus en décembre 2015. Mais, à défaut de mesures explicites de suppression, fort peu probables, le département existera toujours. Ne faut-il pas que le législateur prenne des mesures pour assurer la continuité d'une institution qui existera encore en mars 2020 ?
Selon la DGCL, le processus administratif et financier de fusion des régions peut être achevé à temps si le texte entre en vigueur le 1er janvier 2016. Comment être sûr que le dispositif législatif répond à toutes les questions posées par la fusion des régions ? Le processus sera-t-il achevé avant le 31 décembre 2015 ?
M. François Grosdidier. - Votre propos a été à la fois très ouvert mais aussi désobligeant lorsque vous dites que certains sénateurs considèrent qu'il est urgent d'attendre. Ce n'est le cas d'aucun d'entre nous ! Vous avez cité le rapport Balladur, mais omis la réforme territoriale qui créait le conseiller territorial et rapprochait départements et régions. Votre majorité l'a supprimée. Après avoir rétabli la clause de compétence générale, vous évoquez désormais la nécessité d'une spécialisation ! Après avoir supprimé le conseiller territorial et rétabli les effectifs des conseils généraux et régionaux, vous souhaitez réduire le nombre d'élus, à tel point que certains départements n'auront qu'un seul représentant ! Pourquoi n'avez-vous pas soutenu notre réforme ? Le désaccord sur le mode de scrutin ? Il suffisait de le changer ! La clause de compétence ? Nous avions concédé le maintien de la double compétence dans le tourisme, la culture ou le sport. Il est dommage que vous n'ayez pas complété notre réforme, dans la continuité des grandes réformes territoriales. Vous avez préféré la rupture. Ce bouleversement crée l'incertitude.
Les présidents de région eux-mêmes nous ont expliqué que la force des régions ne dépend pas de leur taille mais de leurs compétences et de leurs moyens. Alors que la Moselle compte plus d'un million d'habitants, la Sarre voisine, moins peuplée, concentre des compétences relevant du département et de l'État et l'efficacité de son action est très supérieure à la nôtre. Créer de grandes régions sur le modèle des Länder relève d'une vision technocratique. La France est deux fois plus étendue, mais moins peuplée que l'Allemagne. Les régions, ce sont des populations mais aussi des territoires. Le risque est grand d'éloigner les citoyens des centres de décision, mouvement en rupture avec la logique de la décentralisation. Les maires ont les mains liées. Les conseillers généraux seront déracinés. Un représentant par département au conseil régional sera-t-il suffisant ? Le pouvoir glisse vers la technostructure, y compris régionale. Quel mauvais signal au moment où les populismes et l'abstention progressent ! Le Gouvernement sera-t-il réceptif aux amendements visant à diminuer la taille des régions ? Même sous l'Ancien Régime, les régions n'auraient pas été redéfinies en un après-midi en vertu d'un caprice de cour ! Pourquoi, en outre, ériger en tabou absolu la séparation d'un département avec sa région d'origine ?
M. François-Noël Buffet. - Les présidents de région mettent davantage l'accent sur la puissance économique que sur la taille. J'aurais aimé qu'ils parlent davantage d'aménagement du territoire. Pourquoi ne pas remettre en cause les périmètres des régions pour être en adéquation avec les bassins de vie ? Je partage la philosophie gaulliste. Nous avons l'occasion de franchir une étape, les deux lectures dans chaque chambre nous laissent du temps pour débattre.
Quand se terminera le mandat des conseillers généraux lyonnais élus sur le territoire de la communauté urbaine devenue métropole ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Le 31 décembre 2014.
M. Alain Néri. - Comme sénateur du Puy-de-Dôme, je me réjouis du rapprochement de l'Auvergne et de Rhône-Alpes : les deux régions ont le même bassin de développement. Depuis longtemps, la Haute-Loire est tournée vers Saint-Etienne et Lyon, le Puy-de-Dôme aussi ; reste le Cantal. Néanmoins, la représentation de ces départements serait amoindrie. Ainsi, le Puy-de-Dôme compte vingt-deux conseillers régionaux ; selon la grille qui nous a été fournie, ils seraient réduits à quatorze, et encore, car la région Auvergne-Rhône-Alpes aurait alors 176 élus et nous sommes limités à 150. Cela va contre l'égalité de traitement entre les régions auquel je suis très attaché.
Concernant le découpage des régions, je souhaiterais rappeler à ceux qui nous donnent des leçons aujourd'hui le charcutage auquel se sont livrés les ministres du gouvernement précédent, en créant des circonscriptions sans réalité géographique, ni territoriale. Évitons d'aller comme eux au-delà du raisonnable. Je suis favorable à une représentation déterminée en fonction du nombre d'habitants, en s'inspirant de la règle fixée pour les députés, en fixant un plancher et un plafond. On éviterait ainsi que les départements très peuplés n'écrasent les autres. On éviterait également aux départements les plus petits de se retrouver avec trois élus différents pour une même circonscription - un député, un sénateur et un conseiller régional. Il est difficile de faire cohabiter deux ou trois caïmans dans le même marigot !
La question fondamentale reste celle de l'autonomie du financement des régions qui garantit leur liberté. La loi Maurois du 2 mars 1982 était relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Pour avoir des droits et des libertés, il faut avoir des moyens financiers.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nous avons travaillé naguère sur le Grand Paris au sein d'une commission spéciale. Le projet concernait une zone de 130 kilomètres autour de Paris. À l'époque, nous avions reçu des élus de Haute-Normandie, dont MM. Rufenacht et Fabius. Nous avions envisagé des actions communes entre la Haute-Normandie et le Grand Paris.
Le Gouvernement veut créer des régions puissantes en phase avec l'Europe : Auvergne-Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Lorraine-Alsace... Cependant, il est nécessaire qu'une de nos régions au moins soit de taille mondiale. L'Ile-de-France est la mieux placée, avec 27 % du PIB français. Peut-elle rester sans façade maritime ? La croissance économique mondiale -en Chine ou ailleurs - repose sur de grandes régions. J'ai déjeuné avec l'ambassadeur de l'Inde et le président de Tata. Ils m'ont salué d'un « The great Paris is the gate of Europe ! ». Il faut y réfléchir...
M. Jacques Mézard. - Je remercie le ministre pour sa merveilleuse présentation du projet. Il a cité de Gaulle, Mirabeau. Je vous invite à relire les discours du président Monnerville sur les dérives à venir du régime présidentiel, car ce projet de loi peut s'apparenter à un oukase présidentiel. Le rapporteur a parlé d'une approche provoquée. Je considère en fait qu'elle est provocatrice, en qualifiant de conservateurs ceux qui ne sont pas d'accord. Nous avons voté la loi métropole, nous avons voté contre le rétablissement de la clause de compétence générale à tous les étages : rien de conservateur à cela ! Nous voulons seulement de la lisibilité et de la cohérence là où le texte n'est que contradiction. Vous voulez de grandes régions : soit, mais pourquoi certaines ont-elles bougé et d'autres non ? Le rapporteur doit avoir une opinion sur la question... Ce qui choque, c'est que vous éloignez certains territoires des centres de décision et vous voulez dans le même temps supprimer les pôles intermédiaires... encore que M. Rousset veuille remettre en vogue le « pays », simplification évidente pour tout le monde.
Vous allez détruire la vie d'un certain nombre de territoires ruraux qui seront très éloignés du pôle régional et n'auront pas de véritable représentation. Dans le même temps, vous annoncez vouloir renforcer le pouvoir des préfets. Où est la cohérence ?
L'utilisation de la procédure accélérée est également contestable. Le texte a été adopté en conseil des ministres, ce matin. La célérité n'est pas le meilleur moyen pour trouver le consensus que nos concitoyens réclament. Depuis un an, nous sommes habitués aux textes sur les institutions, qu'il s'agisse du non-cumul ou du binôme. Nous attendons toujours les compromis et le consensus. Pour avancer, il faut admettre que certaines choses sont inacceptables dans ce texte. Nous sommes tous conscients de la nécessité de créer des compétences spécialisées. À l'Élysée, je n'ai pas eu l'impression que ce texte avait pour objectif de faire des économies. Aurait-il un objectif de simplification ? L'on ne s'en donne pas les moyens. Ce projet n'est pas un texte d'aménagement du territoire, c'est pourtant la vraie question.
M. Yves Détraigne. - Nous nous accordons tous à dire que la carte idéale n'existe pas. Il faut néanmoins trancher. Peut-on faire une réforme durable sans tenir compte des réalités économiques et territoriales vécues par les populations dans les départements ? La question se pose dans les nouvelles régions où les départements sont des territoires identitaires, des territoires d'appartenance favorisant la cohésion des populations. Ne risque-t-on pas de creuser la coupure entre la population et une région dans laquelle elle ne se reconnaît pas ? Ce serait une menace pour la cohésion du territoire, en particulier dans les cas où le redécoupage s'est fait par défaut.
M. Christian Favier. - Quel paradoxe ! Nous sortons d'une consultation électorale dont les résultats ont indiqué la crise politique profonde que traverse notre pays. La réponse à cette crise serait de renforcer la proximité entre les élus et la population. Or nous prenons le risque de créer une nouvelle coupure en réduisant le nombre des élus au niveau des régions auxquelles nous transférons les compétences des départements. L'Île-de-France qui gère 500 lycées récupèrera ainsi 800 collèges, soit 1 300 établissements pour 150 élus au lieu de 200. Chaque élu régional devrait siéger dans neuf établissements secondaires. Les conseillers régionaux ont déjà beaucoup de mal à siéger dans les lycées. La réforme renforcera la coupure entre le monde politique, la communauté éducative, les parents d'élèves et les élèves. Au lieu de rapprocher les citoyens des lieux de décision, elle les en éloigne, laissant libre champ à la démagogie. Évitons la précipitation. Le sujet mérite un grand débat public. La population doit pouvoir s'exprimer. Je suis favorable à une consultation des citoyens, par voie référendaire.
M. René-Paul Savary. - Vos arguments ont failli me convaincre, monsieur le Ministre. J'ai cependant entendu que le but de la réforme était de « redresser les territoires ». Elle pourrait éventuellement redresser les finances publiques, certainement pas les territoires. Le double financement de l'innovation et du développement par les départements et d'autres collectivités locales favorisait une émulation propice au dynamisme économique du territoire.
Dans des régions à taille humaine, le chef-lieu est moteur ; il sera wagon dans des régions de taille inhumaine. Les intercommunalités commencent à peine à fonctionner. Certaines ne sont pas même encore totalement constituées depuis la dernière réforme qui les a fait passer à 5 000 habitants. Elles vont s'épuiser dans les territoires ruraux à passer à 20 000 habitants, et ne seront pas aptes à reprendre les compétences des départements. La réforme porte atteinte à la démocratie locale, mais également à la démocratie départementale et régionale. On passe tranquillement d'une République décentralisée à un État fédéral, pour ne pas dire féodal.
M. Rachel Mazuir. - Loin d'être une assemblée ringarde, le Sénat est ouvert à la réforme, comme en témoigne le rapport de nos collègues Krattinger et Raffarin. Les départements sont également présentés parfois comme ringards. Pourtant, la plus vieille collectivité territoriale de France est parfaitement huilée et fonctionne bien. Les départements ont absorbé sans difficulté les transferts de l'État dans tous les domaines.
L'ère de demain est aux métropoles. Je ne suis pas convaincu, en revanche, que les régions soient l'avenir. Elles ont passé leur tour dans une Europe à 28. Nos concitoyens sont inquiets. Je crains qu'une réforme territoriale faite en direction des élus ajoute à leur inquiétude. Nos 250 000 employés la partagent ; les sapeurs-pompiers ne savent pas ce qu'ils vont devenir, malgré leur puissance de feu...
Martin Malvy mentionnait hier l'exemple de cinq inspecteurs généraux qui ont été stupéfaits de découvrir le fonctionnement des intercommunalités et des collectivités territoriales. Peut-être n'avaient-ils jamais franchi le périphérique ? La réforme donne le sentiment que l'urbain et le citadin décident pour la ruralité. C'est une perception qui passe mal. Les maires ruraux craignent également que les intercommunalités fassent disparaître les communes. La réforme doit être au service des citoyens. La puissance et l'économie ne font pas tout. Il faut inverser la donne et mettre l'économie au service des citoyens.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous reconnaissons là votre humanisme.
M. Alain Bertrand. - Un mauvais découpage peut aboutir à un affaiblissement économique. Sur la carte, figurent quatorze régions en métropole, dont la Corse. Pourquoi pas douze ou quinze ? Un critère a été de trouver un équilibre économique pour favoriser l'emploi, la jeunesse etc. Le mariage du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées est contre-nature d'un point de vue géographique, historique et culturel. Les deux régions sont aussi puissantes l'une que l'autre en termes économiques et démographiques. Rien ne justifie de les associer. D'autres associations sont contestables, dans le nord de la France avec la Picardie et la Champagne-Ardenne. Le déséquilibre entre le Nord (7,5 régions) et le Sud (4,5 régions) doit être rectifié.
Je suis favorable à la réforme des régions et à la suppression des départements, car leurs assemblées, désuètes et passéistes, sont incapables de porter secours à l'hyper-ruralité, qui représente 3,5 millions d'habitants et 25 % du territoire.
J'aurais souhaité que les grandes intercommunalités succèdent aux départements ; hélas, je ne l'ai pas encore entendu. Bientôt, les associations des maires, des présidents de département ou de région commanderont dans ce pays ! Les citoyens veulent de la proximité ? Les conseils généraux leur répondent qu'ils l'incarnent. Il n'y a pourtant pas un département hyper-rural dans lequel de grandes communautés de communes n'y parviendraient mieux. Que n'en faites-vous l'annonce ! Pour le reste, modifiez votre carte pour ce qu'elle a de mauvais ; ces changements à la marge ne remettraient en rien cette réforme en cause.
M. Alain Fouché. - J'ai été président de conseil général ; je sais comment les choses fonctionnent. J'ai été choqué d'entendre les présidents de région affirmer qu'ils seront plus efficaces sur le développement économique grâce à des crédits nouveaux. Le développement économique est efficace dans beaucoup de départements grâce à des élus forts et aux entrepreneurs. La Vendée a réussi sans l'appui de la région ; la Vienne a réussi le Futuroscope avec un peu de soutien de l'État et sans l'aide de la région.
J'ai des doutes sur certaines économies : les hôtels de région resteront là où ils sont, et les personnels y demeureront. En revanche, les petits territoires risquent d'être sous-représentés, et donc très peu écoutés.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je ne considère pas qu'il y a, d'un côté, les bons modernistes et, de l'autre, les mauvais conservateurs, particulièrement représentés dans cette assemblée. J'ai entendu une pluralité de points de vue, qui dépassent les clivages entre groupes. Je ne porte pas de jugement de valeur : toutes les interrogations exprimées, nous les avons eues nous-mêmes. Je demande aux sénateurs de considérer que le Gouvernement n'a pas la volonté saugrenue de diminuer la proximité, d'accroître la crise politique, d'éloigner les services publics. Abordons le débat en confiance et jugeons les mesures pour ce qu'elles sont.
Il est certes possible d'adopter une approche partisane : certains ont fait de bonnes réformes, celles de leurs successeurs sont nécessairement mauvaises. Je vous épargnerai les déclarations des actuels responsables de l'opposition sur la suppression des départements et des régions : ils n'auraient plus aucune raison de ne pas voter ce texte. Je vous les communiquerai, monsieur Grosdidier.
M. François Grosdidier. - Je les connais ! Ils ne sont plus en fonction.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Certains le sont encore et prétendent en occuper de plus importantes encore. Ne nourrissons pas des polémiques sans fin.
Raisonnons, non pas en considérant qu'une plus grande collectivité diminue nécessairement la proximité, mais en regardant le paysage actuel : combien de collectivités, combien d'élus avons-nous ? Avec ce nombre, ne peut-on pas réfléchir collectivement pour augmenter la proximité en réfléchissant à la répartition des compétences ? La France compte 36 000 communes, soit la moitié des communes de l'Union européenne, des intercommunalités, des pays avec des conseils de développement et des syndicats mixtes...
M. Alain Fouché. - Leurs membres sont bénévoles.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Pas les conseillers généraux et régionaux, pas les membres des collectivités locales participant à leur exécutif... Si l'on considère leur nombre - et je propose de nous fier aux statistiques - nous ne sommes dépourvus ni d'élus et d'institutions pour faire vivre la proximité. Nous sommes parmi ceux qui ont le plus de strates, et il y aurait un péril pour la démocratie par manque de proximité si nous créons des régions plus en situation d'investir ? Je ne dis pas que cette question ne se pose pas ; je dis qu'on peut la régler. Certes, le fait que la Lozère ou le Cantal n'aient qu'un seul conseiller régional dans une grande région pose un problème ; mais celui-ci existait déjà avant : il résulte de l'organisation des collectivités territoriales. Si nous voulons profiter de cette réforme pour mieux organiser ces dernières et l'administration déconcentrée de l'État pour mieux traiter ces questions, nous le pourrons.
Quant aux économies engendrées par la réforme et aux bénéfices qu'elle apportera à l'économie française...
M. Yves Rome. - C'est le contraire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non. Soyons rigoureux. Dire que la réforme dégagera des centaines de milliards d'euros d'économies est faux ; dire qu'elle ne provoquera aucune économie l'est aussi. Elle le fera par la mutualisation des fonctions de back office, ressources humaines, direction financière, ateliers divers, politiques d'achat...
M. Yves Rome. - Nous l'avons déjà fait.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non, puisque ces régions n'existent pas. Si nous fusionnons des régions, qu'elles récupèrent l'investissement dans les collèges, la masse d'achat sera plus importante que pour les seuls lycées, ce qui engendre mécaniquement des économies. Cela se fait déjà et ça marche ? Dans ce cas, en amplifiant ce phénomène avec des collectivités plus importantes, cela marchera encore mieux. Dans un contexte où il faut faire 50 milliards d'euros d'économies, il ne serait pas absurde de poursuivre cet objectif. Quant à l'économie, je suis absolument convaincu que tout ce que nous gagnons sur le fonctionnement et transférons sur l'investissement est bon pour la croissance. Des régions d'une masse critique peuvent accompagner des filières d'excellence et des investissements d'infrastructure pertinents. Mais il est évident que ce n'est pas le rassemblement des régions qui fera à lui seul la sortie de crise.
Détacher certains départements nous a semblé compliqué à mener de front avec un débat sur les rassemblements de régions qui promet déjà d'être long. En revanche, nous pourrions revoir après 2016 les modalités des référendums locaux, voire envisager leur suppression, pour faciliter dans la dynamique de cette loi des regroupements ultérieurs de collectivités.
Sur le tableau des effectifs par région, nous avons choisi d'ajouter le nombre des conseillers régionaux existants, de procéder à un plafonnement pour éviter que la loi conduise à avoir autant, voire plus, d'élus, et à appliquer le scrutin actuel à des effectifs diminués. Y a-t-il d'autres solutions ? Incontestablement. Peuvent-elles être envisagées par amendement ? Bien entendu. Le Gouvernement peut-il leur donner un avis favorable ? Cela dépendra de leur contenu.
Nous n'avons aucune chance de régler le mode de désignation des conseillers départementaux au-delà de 2020 sans la dynamique de transformation qu'amorce cette réforme. Votre proposition de conseillers départementaux élus au second degré comme représentants des intercommunalités est l'une des pistes possibles. Nous voyons bien qu'il y a la possibilité de concilier proximité et modernité. Le contenu du code général des collectivités territoriales (CGCT) nous permettra de fusionner au moment prévu ; mais il nous faudra une méticulosité opérationnelle qui nous mobilisera beaucoup. Nous en débattrons.
M. Savary s'est inquiété des risques d'un État fédéral. Comme vous le savez, le fédéralisme est une organisation spécifique, qui ne laisse à l'État que des compétences résiduelles en matière de défense et de diplomatie ; nous en sommes très loin. Il n'est pas question de s'orienter vers cela. Au contraire, nous profiterons de cette réforme pour conforter l'échelon départemental notamment de l'État déconcentré.
M. René Vandierendonck. - Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Le Grand Paris est une idée de la précédente majorité qui m'a toujours personnellement intéressé. Les grandes infrastructures portuaires de la Normandie gagneraient à ce que leur hinterland soit institutionnellement organisé. Mais la région mondiale et la région européenne auxquelles vous aspirez auraient des effets collatéraux en termes d'aménagement du territoire en contradiction avec les aspirations de bien des sénateurs... L'autonomie financière, qui concerne le second projet de loi et qui sera présenté par la ministre de décentralisation, Marylise Lebranchu, se traduit par des dépenses publiques significatives.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie M. le ministre pour cet échange positif.
La réunion est levée à 18 h 35