Mercredi 4 juin 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président -La réunion est ouverte à 15 h 05.
Travail - Détachement des travailleurs : communication de M. Éric Bocquet
M. Simon Sutour, président. - Nous allons entendre notre collègue Éric Bocquet qui va nous présenter une communication sur le détachement des travailleurs.
Je rappelle qu'Éric Bocquet suit cette importante question au sein de notre commission. Son rapport d'information d'avril 2013 avait mis en évidence l'existence de pratiques tout à fait inacceptables. Son analyse soulignait que l'absence de dispositions concrètes en matière de contrôles dans la directive de 1996 expliquait très largement l'explosion des fraudes. Sur sa proposition, le Sénat a adopté une proposition de résolution en octobre 2013. Plus récemment, nous avons voté en séance publique une proposition de loi qui renforce les moyens disponibles pour combattre plus efficacement les fraudes.
Le 10 avril dernier, Éric Bocquet nous a présenté ici-même un rapport d'information sur le dumping social dans les transports européens qui était accompagné d'une proposition de résolution, devenue résolution du Sénat le 15 mai dernier. Ce rapport nous a édifiés à nouveau sur certaines pratiques qui portent ouvertement atteinte aux droits des salariés.
Des négociations difficiles ont par ailleurs eu lieu pour parvenir à un accord sur la directive dite d'exécution sur le détachement des travailleurs. Ce texte est très important puisqu'il doit en particulier définir les modalités des contrôles sur les procédures de détachement. Un accord a finalement pu être dégagé au sein du Conseil et avec le Parlement européen.
La communication d'Éric Bocquet présente donc un grand intérêt puisque notre collègue va nous exposer le contenu de cet accord et en évaluer la portée pour les droits des travailleurs détachés.
M. Éric Bocquet. - Lorsque je vous ai présenté l'an dernier le projet de directive d'exécution de la Commission européenne destinée à prévenir les risques de fraude au détachement des travailleurs, j'avais exprimé mes réserves sur le contenu du dispositif, qui ne me semblait pas répondre totalement aux préoccupations des travailleurs mais aussi des entreprises confrontées à des problèmes de concurrence déloyale. Compte tenu des rapports de force au sein du Conseil, partagé entre les tenants d'un dispositif a minima - en premier lieu le Royaume-Uni et les pays entrés au sein de l'Union européenne en 2004 - et, inversement, les pays enclins à un renforcement des contrôles en amont conduits par la France, je vous avais également fait part de mes doutes quant à une adoption rapide du texte. Chacun de ces groupes d'États disposait en effet d'une minorité de blocage. Ce scepticisme a été largement partagé au sein de notre Assemblée, puisque la résolution de notre commission sur le sujet a été adoptée à l'unanimité en séance publique le 16 octobre 2013.
De longues négociations ont permis aux États de parvenir à un compromis le 9 décembre dernier. Le ralliement de la Pologne à ce compromis a permis de dépasser les dissensions. Le Royaume-Uni, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, Malte, la République tchèque et la Slovaquie ont cependant voté contre. Un accord a ensuite pu être trouvé avec le Parlement européen le 27 février en trilogue. Le texte définitif a été adopté le 16 avril par le Parlement européen et le 7 mai au COREPER I.
Abordons en premier lieu les deux principales difficultés rencontrées au cours de ces négociations. Les articles 9 et 12 ont longtemps constitué la pierre d'achoppement entre les États.
La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait une codification de la jurisprudence communautaire en matière de contrôle. Une liste précise de mesures pouvant être imposées par l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère qui détache des salariés sur son territoire était ainsi déterminée. Une société peut ainsi être tenue de déclarer un détachement, au plus tard au début de la prestation. Elle est obligée de conserver et de fournir pendant toute la durée du détachement le contrat de travail, les fiches de paie, les relevés d'heures ou les preuves du paiement des salaires. Elle est enfin amenée à désigner un correspondant chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux du pays d'accueil. Aucune autre disposition ne pouvait être imposée à une entreprise qui détache, l'impact de ces mesures devant être analysé par la Commission européenne trois ans après leur entrée en vigueur. Un certain nombre d'États membres à l'instar de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande ou des Pays-Bas militaient quant à eux pour une liste ouverte de contrôles. La résolution du Sénat appuyait cette demande. Il convient d'être en effet le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes.
La rédaction définitive de l'article 9 répond en large partie à cette demande. Le principe d'une liste ouverte est reconnu. Je relève, en outre, que si la Commission doit être informée de toute nouvelle mesure, il ne s'agit pas pour autant de l'introduction d'un dispositif de préautorisation, comme en témoigne un considérant et surtout l'amendement au texte présenté par le Parlement européen. Celui-ci insiste pour que les mesures de contrôles soient « communiquées » et non « notifiées » à la Commission.
L'article 12 du projet de directive instituait, quant à lui, un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre, limité au sous-traitant direct. Il s'agissait de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction principalement concerné par le phénomène de sous-traitance. La France et ses partenaires souhaitaient une extension du mécanisme de responsabilité solidaire pour le donneur d'ordre à tous les secteurs d'activité mais aussi à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. La rédaction finale reste moins ambitieuse. Le mécanisme de responsabilité solidaire est limité au secteur de la construction. Le contractant dont l'employeur est un sous-traitant direct peut être tenu responsable par le travailleur détaché pour les questions relatives au salaire et au versement de cotisations sociales. Toute la chaîne de sous-traitance n'est donc pas visée par le nouveau dispositif. En l'espèce, dans le cas de l'EPR de Flamanville, Bouygues pourrait n'être responsable que du premier échelon de la chaîne et ne pas se sentir concernée par le sort des travailleurs polonais, placés eux au quatrième échelon. À défaut d'un tel mécanisme, l'État peut mettre en place d'autres mesures d'exécution entraînant des sanctions effectives et proportionnées. Si la directive d'exécution laisse la possibilité à un État membre d'étendre ce dispositif à d'autres secteurs, une telle liberté ne concourt pas à une harmonisation des contrôles et occulte de fait l'augmentation du recours au détachement dans des secteurs tels que l'agriculture, les transports ou l'événementiel. La question de la taille des chaînes de sous-traitance n'est pas non plus abordée, une limitation de celle-ci à trois échelons, comme cela a pu être mis en place en Allemagne et en Espagne, permettrait pourtant de juguler les risques de fraude. La résolution du Sénat insistait d'ailleurs sur ce point.
Venons-en maintenant aux demandes de notre Assemblée telles qu'exprimées dans la proposition de résolution.
Je relève que les États comme le Parlement européen ont partagé notre point de vue en ce qui concerne la défense au niveau judiciaire des intérêts des travailleurs détachés. L'article 11 de la directive d'exécution offre en effet aux syndicats professionnels, aux syndicats de salariés et aux associations la possibilité de se constituer partie civile dans certaines affaires, pour le compte ou à l'appui du travailleur détaché, avec son accord préalable. Compte tenu des pressions que peuvent subir certains travailleurs, cette faculté est indispensable. Il s'agira à la fois de défendre la situation des travailleurs détachés, dont la situation est parfois proche de l'esclavage moderne - je pense notamment aux travailleurs agricoles roumains en Calabre, recrutés via des agences d'intérim puis détachés - mais aussi de garantir les intérêts de certains corps de métier fragilisés par cette concurrence déloyale.
Nous avions également exprimé nos réserves sur le délai de transmission de documents d'un État membre à l'autre dans le cadre de la coopération administrative. Le projet de la Commission européenne obligeait les États à répondre dans les deux semaines qui suivent la réception d'une demande d'information d'un de leurs partenaires. Nous avions estimé que ce délai de 15 jours était irréaliste car trop court. La résolution du Sénat insistait pour le porter à un mois. L'article 6 a finalement porté ce délai à 25 jours ce qui semble satisfaisant. Une procédure d'urgence est prévue obligeant à un échange d'informations sur deux jours.
La mise en place de cette coopération vient compléter l'article 4 du dispositif. Celui-ci prévoit que les autorités de contrôle des États membres relèvent un certain nombre d'éléments en vue d'apprécier si l'entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée : lieu d'établissement du siège, lieu de recrutement, lieu d'exercice de l'activité, nombre de contrats exécutés ou montant du chiffre d'affaire réalisé dans l'État d'établissement notamment. Il s'agit de définir un faisceau d'indices pour déterminer la réalité du détachement et vérifier que l'entreprise ne soit pas une simple boîte aux lettres ou une coquille vide. Le format retenu est celui d'une liste non exhaustive d'éléments de qualification. Ce qui a suscité un certain nombre de réserves de la part des « nouveaux États membres » et du Royaume-Uni. Une liste fermée aurait permis, à leurs yeux, d'alléger les charges administratives portant sur les entreprises concernées. La France et ses alliés au sein du Conseil ont souligné la nécessité de mettre en place, comme dans le cadre de l'article 9, une liste ouverte. Il s'agit une nouvelle fois de prévenir les risques de fraude et de s'adapter à l'ingénierie sociale en la matière.
Le Parlement européen a par ailleurs obtenu au sein de cet article la référence à la Convention de Rome, transposée en 2008 dans la législation européenne. Nous l'avons vu il y a quelques semaines lors de l'examen de la situation sociale dans les transports européens, ce dispositif est d'une importance capitale pour déterminer le droit applicable aux travailleurs exerçant leur activité en dehors de leur pays de résidence ou de celui d'établissement de leur entreprise. Le règlement dit Rome I établit qu'un salarié ne peut être privé du bénéfice des dispositions obligatoires que lui accorde l'État membre dans lequel ou à partir duquel il accomplit habituellement son travail. Aux termes du 11ème considérant et de l'article 4 de la directive d'exécution, Rome I s'applique si le détachement ne peut être totalement caractérisé. Le raisonnement est simple : c'est dans l'État au sein duquel il opère que le travailleur exerce sa fonction économique et sociale que l'environnement professionnel et politique influence l'activité de travail. Dès lors, le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays s'impose.
Le 33ème considérant de la directive d'exécution insiste, quant à lui, sur la nécessité de promouvoir une approche plus intégrée en matière d'inspections du travail. Le texte invite ainsi à définir des normes communes dans l'optique de la mise en place de méthodes, de pratiques et de standards minimaux comparables à l'échelle de l'Union.
Je constate que cette invitation à mieux coordonner les travaux des inspections du travail ne constitue pas un voeu pieux puisque notre commission a été saisie le 18 avril dernier, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de décision visant à créer une plateforme européenne destinée à améliorer la coopération à l'échelle de l'Union européenne pour prévenir et lutter plus efficacement contre le travail non déclaré. Il s'agit du texte E 9313. La Commission européenne estime, en effet, que ce phénomène affecte les conditions de travail, instaure une concurrence déloyale et grève les finances publiques. Elle juge que cette question n'est examinée à l'échelle de l'Union que de manière sporadique, sans aucune coordination, au niveau de groupes de travail et de comités. Il convient de rappeler qu'en 2013 plus d'un Européen sur dix reconnaissait avoir acquis des biens ou sollicité des services en ayant recours au travail non déclaré au cours de l'année précédente et 4 % d'entre eux admettaient avoir effectué un travail non déclaré.
La Commission européenne propose en conséquence une initiative plus ambitieuse consistant à réunir les différents organes nationaux qui interviennent dans la lutte contre le travail non déclaré au sein d'une plateforme. Les inspections du travail et des impôts, les organismes de sécurité sociale, les offices de contrôle des migrations et les partenaires sociaux seraient notamment associés à ce dispositif.
Cette plateforme permettrait ainsi :
- d'abord de constituer un espace facilitant le partage de l'information et des bonnes pratiques entre les experts alors que les contacts demeurent encore limités ;
- ensuite d'étudier les moyens à mettre en oeuvre afin de résoudre des problèmes communs, à l'image du faux travail indépendant et du travail non déclaré dans les chaînes de sous-traitance ;
- puis d'aborder des aspects transnationaux, via l'amélioration des échanges de données entre les administrations nationales ;
- mais aussi de renforcer la coopération opérationnelle, en développant notamment des sessions communes de formation, d'échange de personnel ou d'inspections ;
- et enfin d'élaborer des principes communs et des lignes directrices en matière d'inspection pour lutter contre le travail non déclaré.
Cette initiative rejoint les préoccupations exprimées par le Parlement européen dans sa résolution du 14 janvier 2014 qui invitait à une amélioration de la coopération et à un renforcement des services d'inspection du travail pour lutter contre le travail non déclaré.
Il me semble que ce texte vient judicieusement compléter la directive d'exécution sur le détachement des travailleurs en dressant les contours d'une coopération entre États enfin adaptée aux enjeux de la fraude au détachement. Je vous propose dans ces conditions que notre commission lève la réserve d'examen parlementaire sur ce dispositif.
Compte tenu de ces éléments et même si la directive d'exécution manque un peu d'ambition, notamment en ce qui concerne l'article 12, nous pouvons nous estimer globalement satisfaits du texte finalement adopté. Il répond en large partie à nos préoccupations et peut même paraître inespéré, au regard des dissensions qui ont divisé le Conseil pendant plus d'un an et demi. Sans remettre en cause le principe du détachement qui profite, il faut le rappeler à 300 000 travailleurs français chaque année, la directive d'exécution devrait, je l'espère, éviter à des marchands de main d'oeuvre mobile et « low cost » de prospérer. Même si, bien évidemment, la question des cotisations sociales versées au pays d'envoi, n'est pas abordée. Ce que je regrette. Mais il s'agit là d'un autre débat.
M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie, cher collègue, d'avoir décortiqué ce nouveau dispositif pour nous présenter les nouveautés qu'il comporte en vue de lutter plus efficacement contre la fraude. Force est de constater que l'on avance petit à petit, même si le rythme peut être à raison considéré comme trop lent. Je rappelle que notre commission est grandement impliquée dans ce dossier depuis plus de trois ans et l'adoption d'un avis motivé sur le règlement dit Monti II, qui concernait plus spécifiquement le droit de grève des travailleurs détachés. J'insiste sur cette prise de position au titre de la subsidiarité, car elle avait permis avec le concours d'autres parlements nationaux d'adresser un « carton jaune » à la Commission européenne l'invitant à revoir le dispositif qu'elle présentait. Tant est si bien que la Commission a fini par retirer son projet de texte...
Un mot sur la levée de la réserve d'examen parlementaire sur le texte E 9313 que vous appelez de vos voeux dans votre communication. Si notre commission lève sa réserve, cela permettra au gouvernement de prendre position au Conseil sur le texte. Je précise que je peux être appelé à donner mon accord à la levée de la réserve d'examen parlementaire lorsque je suis saisi par le Gouvernement de demandes en urgence. Il s'agit la plupart du temps de textes mineurs. Mais je m'étais opposé par le passé à une levée de cette réserve d'examen, sous le précédent quinquennat. Elle concernait un projet d'accord avec les États-Unis visant les « PNR », ces données personnelles des passagers de vols aériens, transmises par les compagnies aériennes aux autorités américaines. Le gouvernement de l'époque avait pris acte de notre refus et s'était abstenu au Conseil. Chaque fois que possible, je soumets la question de la levée de la réserve d'examen parlementaire à la délibération de notre commission.
M. Yannick Botrel. - Je félicite le rapporteur pour sa présentation de la directive d'exécution. La directive de 1996 sur le détachement est à la fois une idée originale et généreuse puisqu'elle permet de travailler au sein d'autres États membres. On voit bien cependant que cette idée intéressante a, depuis, été dévoyée. Il ne s'agit pas pour autant de tomber aujourd'hui dans le travers consistant à stigmatiser les travailleurs étrangers mais plutôt d'assurer une plus grande justice sociale.
Nous avons tous été interpellés dans nos départements sur cette question. J'ai ainsi assisté avec d'autres parlementaires à une réunion de la CAPEB qui réunit les entreprises du bâtiment qui ont insisté sur les dérives constatées. La Chambre des métiers des Côtes d'Armor nous a indiqué de son côté que ce phénomène était de moins en moins marginal, y compris à l'Ouest de la France, qui n'est pas pourtant une zone transfrontalière et semblait moins exposée. Les syndicats nous ont également alertés sur les fraudes.
Je le répète, le principe même du dispositif n'est pas négatif. Il a ainsi permis à des abattoirs de recruter des personnels en Bretagne alors qu'ils étaient confrontés à un manque de main d'oeuvre. Reste que la fraude et la concurrence déloyale qu'elle génère même si elle demeure pour l'heure d'une ampleur limitée ont un effet dévastateur au sein de l'opinion publique.
Je suis bien sûr satisfait des avancées décrites par le rapporteur dans sa communication. Je m'interroge néanmoins sur les moyens d'appliquer ce nouveau dispositif. Certains États manquent réellement de moyens et parfois de volonté pour mettre en oeuvre des contrôles efficaces. Les difficultés économiques qu'ils traversent font que le détachement même mal encadré constitue également une réponse au problème de l'emploi.
M. Richard Yung. - Je remercie notre collègue. Je me réjouis tout d'abord de voir que l'Europe sociale enregistre enfin une avancée. Cela fait trente ans que nous attendons qu'elle s'incarne ! L'accord obtenu me semble plutôt bon.
Reste le vrai problème, celui des contrôles. On bute sur l'effectivité de ceux-ci, y compris dans les pays qui semblent les plus avancés en la matière. Comment faire en France pour suivre ainsi les 300 000 travailleurs détachés déclarés ou non qui opèrent sur notre territoire. Il faudrait quasiment une armée !
Mme Catherine Tasca. - Je rebondis sur ce que vient de dire Richard Yung sur l'efficacité des contrôles. Il semble par ailleurs exister aujourd'hui un véritable « business » autour des travailleurs détachés, avec la mise en place de filières permettant de recruter partout dans le monde ce type de salariés. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ?
M. Éric Bocquet. - Je partage les observations de mes collègues. Nous avons en effet été sollicités dans nos départements sur cette question. J'ai moi-même rencontré plusieurs entreprises du bâtiment mais aussi du secteur des transports, confrontées à des problèmes de concurrence déloyale et menacées de disparaître.
Avec ce texte, quelque chose vient néanmoins de s'enclencher en faveur d'un meilleur encadrement du dispositif. Même si la question des contrôles reste entière. Le premier président de la Cour des comptes indiquait hier lors d'une réunion de la commission des finances que certains organes de l'État n'étaient plus en mesure financièrement d'accomplir leurs missions de contrôle, notamment en matière sanitaire. Nous sommes en droit de nous interroger sur le renforcement du rôle de l'inspection du travail dans la lutte contre la fraude au détachement. Il s'agit désormais d'avoir une véritable volonté politique en vue de mettre en oeuvre la directive d'exécution qui vient d'être adoptée. Il faut notamment s'adapter aux nouvelles filières et aux nouvelles technologies. Je pense notamment aux plateformes électroniques de cabotage. Pour répondre à la question de Mme Tasca, il existe à titre d'exemple une société espagnole, Terra Fecundis, qui recrute des employés agricoles en Amérique latine et les fait travailler en Europe, à des conditions défiant toute concurrence, notamment en France. Le chiffre d'affaires de cette société était estimé à 24 millions d'euros en 2011.
M. Simon Sutour, président. - Ils travaillent effectivement dans le Sud de la France. On évalue leur nombre entre 2 000 et 3 000.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de lever la réserve d'examen parlementaire sur le texte E 9313.
Économie, finances et fiscalité - Proposition de directive relative au secret des affaires : proposition de résolution européenne de Mme Sophie Joissains
M. Simon Sutour, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant une communication de Sophie Joissains sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires. Cette communication fait l'objet d'une proposition de résolution européenne qui vous a été adressée et que nous examinerons dans un second temps.
À travers cette notion de « secrets d'affaires », on vise des questions majeures pour la vie des entreprises. Sont en effet en cause des informations commerciales confidentielles, des procédés ou des savoir-faire. Il est donc essentiel pour les entreprises qu'ils soient protégés.
Or - on peut d'ailleurs s'en étonner - ces « secrets d'affaires » ne font généralement pas l'objet d'une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle, y compris en France ! Les atteintes ne sont pourtant pas rares. Une réglementation européenne dans ce domaine peut donc être utile. C'est à la demande de Jean Bizet que nous examinons cette proposition de directive. Avec Richard Yung, il suit les questions de propriété intellectuelle au sein de notre commission.
Les discussions sur ce texte ont progressé rapidement au sein du Conseil. Une orientation générale a été dégagée au Conseil Compétitivité du 26 mai. C'est tout récent. Mais la procédure va se poursuivre. Le nouveau Parlement européen devra se prononcer. Un nouveau commissaire au Marché intérieur sera en charge de ce dossier. C'est pourquoi il peut être utile que nous formalisions notre position en vue des prochaines échéances.
Je donne la parole à notre collègue.
Mlle Sophie Joissains. - Le 28 novembre dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, dits « secrets d'affaires », contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites. Cette démarche s'inscrit dans le contexte de la stratégie Europe 2020 et plus spécifiquement celui de la mise en place d'un marché unique de la propriété intellectuelle. Elle se fonde sur l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui traite du rapprochement des législations relatives au fonctionnement du marché intérieur.
1. L'objet du texte
Les secrets d'affaires, également dénommés informations commerciales confidentielles ou renseignements non divulgués, protègent divers savoir-faire, des procédés ou recettes de fabrication particuliers qui offrent à leur détenteur, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'un laboratoire, d'une université ou d'un inventeur ou créateur individuel, un avantage compétitif sur ses concurrents. Le cas le plus fréquemment cité de secret d'affaires est la recette du Coca-Cola.
Ces secrets d'affaires ne peuvent généralement pas faire l'objet d'une protection au titre des droits de propriété intellectuelle (marques, brevets, modèles, dessins), qui, eux, font l'objet d'une publication, et leur détenteur n'a donc pas de droits exclusifs sur les informations concernées qui relèvent davantage de la confidentialité. Il paraît toutefois légitime de les protéger compte tenu de l'importance de leur valeur économique1(*), notamment pour les PME et les start-up, qui, de surcroît, ne disposent généralement pas des ressources humaines ni financières suffisantes pour faire respecter leurs droits2(*), et d'imposer des restrictions à leur utilisation, en particulier lorsqu'ils ont été obtenus de manière malhonnête et contre la volonté de leur détenteur. L'atteinte portée aux secrets d'affaires s'assimile en définitive à une concurrence déloyale.
Or, sur la base d'une évaluation réalisée entre janvier 2012 et mai 2013, grâce à deux études extérieures et une consultation publique, la Commission a constaté que :
- 20 % des entreprises avaient subi au moins une tentative d'appropriation illicite de secrets d'affaires au cours des dernières années, avec une tendance haussière, en particulier dans les secteurs de la chimie, de la pharmacie et de l'automobile. Les principaux responsables de ces détournements seraient les concurrents, pour la moitié des cas, suivis des anciens employés et des clients ;
- les lois en vigueur dans les États membres varient fortement en matière de protection offerte contre l'appropriation illicite de secrets d'affaires. Généralement, ceux-ci ne sont ni définis ni protégés et s'inscrivent dans le droit commun de la responsabilité civile. L'un des seuls États membres à avoir défini cette notion dans le droit national est la Suède, qui lui a consacré un dispositif spécifique dès 1990.
La loi française est également dépourvue de dispositions spécifiques relatives à la protection des secrets d'affaires, mais certains textes permettent de sanctionner l'accès frauduleux à des secrets. C'est le cas de l'article 1382 du code civil qui constitue le fondement du droit commun de la responsabilité civile. En janvier 2012, l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi présentée par notre ancien collègue député Bernard Carayon visant à la création d'un nouveau délit sanctionnant la violation du secret d'affaires, alors que le texte soumis à notre examen porte délibérément sur le seul droit civil. Néanmoins, la procédure prévue était sans doute trop lourde et contraignante, notamment pour les PME. Notons que l'article L. 1227-1 du code du travail, reproduit à l'article L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle, seule disposition pénale française en la matière, vise le vol de secrets de fabrique par des collaborateurs d'une entreprise3(*).
À cet égard, je souhaiterais porter à la connaissance de la commission deux éléments sur lesquels plusieurs personnes que j'ai auditionnées ont insisté :
- d'une part, les difficultés à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dans notre pays tiendraient moins à l'insuffisance des textes qu'au manque de moyen de la justice, en particulier de la 3e chambre du tribunal de grande instance de Paris, seule compétente pour les litiges de brevets d'invention depuis un décret d'octobre 2009, à l'insuffisante spécialisation des magistrats et à la mobilité trop rapide de ces derniers ;
- d'autre part, les cas d'espionnage industriel et leurs conséquences seraient sous-estimés en France. D'aucuns ont pu regretter l'absence de dispositions pénales dans le texte de la Commission. Néanmoins, il convient de constater que la pénalisation de la captation des secrets d'affaires est quasiment inexistante en Europe. Du reste, les États membres conservent la faculté d'instituer un délit spécifique qui viendrait compléter l'harmonisation de la procédure civile réalisée par la proposition de directive. À ce titre, il m'a été indiqué que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, notre collègue Jean-Jacques Urvoas, avait constitué un groupe de travail visant à réfléchir aux modalités de renforcement de la protection des secrets d'affaires, incluant un volet pénal.
2. Les principales dispositions du texte de la Commission
La proposition de directive établit des règles de protection des secrets d'affaires contre l'obtention, la divulgation et l'utilisation illicites.
Elle donne une définition commune du secret d'affaires, qui reprend la définition retenue par l'article 39 de l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit ADPIC. Un secret d'affaires se définit par trois éléments : les informations doivent être confidentielles ; elles ont une valeur commerciale en raison de ce caractère confidentiel ; le détenteur du secret d'affaires a pris des dispositions raisonnables pour préserver sa confidentialité.
Le texte de la Commission définit également les circonstances dans lesquelles l'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est illicite. La notion centrale à retenir est celle de l'absence du consentement du détenteur du secret d'affaires. Inversement, les conditions d'obtention, d'utilisation et de divulgation licites d'un secret d'affaires sont également précisées.
Par ailleurs, les États membres doivent prévoir des mesures, procédures et réparations en matière civile pour se protéger contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites de secrets d'affaires. En revanche, on l'a vu, aucune disposition pénale n'est prévue.
Le texte propose également des dispositions visant à protéger le caractère confidentiel des secrets d'affaires qui pourraient être divulgués au cours des procédures judiciaires, telles que la restriction de l'accès aux pièces du dossier et aux audiences, ainsi qu'une obligation de confidentialité pour les participants à la procédure ou encore la rédaction de versions confidentielles des décisions judiciaires.
La proposition de directive comporte aussi un certain nombre de mesures provisoires et conservatoires telles que des ordonnances judiciaires visant la cessation ou l'interdiction provisoire de l'utilisation ou de la divulgation du secret d'affaires, ainsi que l'interdiction de produire, d'offrir, de mettre sur le marché, d'utiliser, d'exporter, d'importer ou de stocker des produits en infraction. Ces mesures peuvent aussi prendre la forme de saisie ou de remise des produits présumés en infraction de façon à empêcher leur introduction ou leur circulation dans le marché.
Les États membres doivent veiller à ce que le détenteur d'un secret d'affaires puisse obtenir par une décision judiciaire le versement par le contrevenant de dommages et intérêts correspondant au préjudice réellement subi du fait de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation illicites de son secret.
Enfin, le texte proposé prévoit l'application de sanctions, des astreintes par exemple, à l'encontre des parties, de leurs représentants légaux ou de toute autre personne qui ne se conforme pas aux mesures arrêtées.
3. Où en est la négociation ?
La négociation du texte au Conseil a débuté en janvier 2014 au sein du groupe de travail sur la propriété intellectuelle. Après six réunions, un texte de compromis recueillant l'accord d'une large majorité d'États membres, dont la France, a pu être établi par la Présidence grecque.
Le 14 mai dernier, le COREPER a approuvé ce texte de compromis. Comme nous l'a indiqué notre Représentation permanente à Bruxelles au cours d'une visioconférence, le Conseil Compétitivité du 26 mai a confirmé à l'unanimité l'accord sur l'orientation générale que propose ce texte. Il a invité la Présidence à entamer les négociations avec le Parlement européen4(*) sur la base de cette orientation générale en vue de parvenir à un accord en première lecture.
4. Les difficultés soulevées par la proposition de directive
Les professionnels que j'ai auditionnés ont tous exprimé leur satisfaction de disposer de ce texte. De même, notre pays soutient ses grandes orientations, en particulier l'objectif visé d'harmonisation de la définition des secrets d'affaires.
En revanche, il a cherché, au cours des négociations, à parvenir à un équilibre entre la nécessaire protection des secrets d'affaires et le respect des principes fondamentaux de la procédure civile. En effet, l'article 8 du texte, relatif à la protection du caractère confidentiel des secrets d'affaires au cours des procédures judiciaires, comporte des dispositions susceptibles de remette en cause la portée de ces principes. À ce titre, il a été le plus débattu au Conseil.
Le groupe de travail du Conseil a essentiellement abordé trois domaines :
1°) Les définitions juridiques : la définition des secrets d'affaires qui figure dans le texte de la Commission et qui est reprise de l'article 39 de l'ADPIC est conservée. La notion de « valeur commerciale » mentionnée dans cette définition a été précisée dans un considérant à la demande de la France en indiquant qu'il s'agit de la valeur « effective ou potentielle ».
Les causes d'exclusion et d'exonération ont été précisées pour les rapprocher du droit commun de la responsabilité civile telles que l'absence de faute ou le respect d'un intérêt supérieur.
La définition des comportements illicites a également été reformulée. Désormais, l'obtention d'un secret d'affaires doit être considérée comme licite dès lors qu'elle résulte d'une création ou découverte indépendante, d'un exercice de rétro-ingénierie dans les limites, le cas échéant, des stipulations contractuelles convenues avec le détenteur du secret d'affaires concerné, ou de toute autre pratique conforme, au regard des circonstances, aux usages commerciaux honnêtes. De même, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires doit être considérée comme licite dès lors qu'elle est requise, sinon permise par le droit national ou le droit de l'Union européenne. Par ailleurs, ne pourra être tenue civilement responsable toute personne qui obtient, utilise ou diffuse un secret d'affaires soit dans le cadre légal de la liberté d'information ou d'expression, soit pour les besoins de dénoncer une faute, malversation ou activité illégale de la personne se prévalant dudit secret, soit dans les limites de sa mission de représentation et d'information des salariés ;
2°) Deuxième sujet abordé : le souci de ne pas créer un régime ad hoc de responsabilité. En l'espèce, la France pourra continuer d'appliquer les dispositions existantes du droit de la responsabilité, par exemple l'article 1382 du code civil.
De même, les États membres se sont mis d'accord pour éviter que le dispositif proposé ne conduise à une régression de la protection accordée actuellement au niveau national. Au terme des négociations au Conseil, les États membres ont ainsi obtenu la possibilité d'adopter des mesures plus favorables aux détenteurs de secrets d'affaires, en dehors de celles relatives aux cas d'exclusion ou d'exonération de responsabilité, aux aménagements du contradictoire et aux conditions d'application des mesures préventives et correctives. Cette possibilité était déjà prévue par la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Le texte assure donc une harmonisation minimale ;
3°) Troisième sujet abordé, le plus important : la préservation du principe du contradictoire et des règles de la procédure civile face aux règles envisagées de protection de la divulgation des secrets d'affaires devant les juridictions.
Le texte de compromis précise désormais de façon explicite qu'il ne porte que sur la procédure civile et non sur la procédure pénale, celle-ci demeurant de la compétence exclusive des États membres.
De même, un meilleur équilibre entre protection de la confidentialité et respect du principe du contradictoire a pu être trouvé.
Je rappelle que l'article 8 prévoit deux dispositifs pour les procédures judiciaires ayant pour objet l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicite d'un secret d'affaires : une obligation de confidentialité d'une part, et diverses mesures destinées à assurer la protection des secrets d'affaires d'autre part.
Sur le premier point, le texte initial prévoit que tous les acteurs de la procédure, les parties et leurs représentants, les témoins, les experts et les personnels judiciaires, sont astreints à une obligation de confidentialité quant aux secrets d'affaires ou présumés tels dont ils auront pu prendre connaissance à l'occasion de cette procédure. Une telle obligation de confidentialité n'existe dans aucune autre procédure devant une juridiction civile française5(*). Elle a soulevé plusieurs questions de fond de la part de très nombreux États membres : comment respecter le principe de la publicité des débats si ceux-ci sont menés à huis clos ? Comment vérifier le respect du secret et sanctionner sa violation ? Comment cette obligation de confidentialité s'articulerait-elle avec les règles existantes du secret professionnel ? Le texte de compromis prévoit que cette obligation de confidentialité ne portera que sur les secrets d'affaires ou secrets d'affaires présumés que le juge aura spécialement identifié comme confidentiels, sur demande dûment motivée de l'une des parties.
Sur le second point, le texte initial prévoit que le tribunal pourrait prendre les mesures nécessaires à la préservation de la confidentialité de tout secret d'affaires ou prétendu secret d'affaires. Ainsi, le tribunal devrait notamment pouvoir restreindre à un nombre limité de personnes tant l'accès en tout ou partie à un document produit par une partie ou un tiers contenant un secret d'affaires qu'aux audiences lorsque des secrets d'affaires sont susceptibles d'y être révélés. En outre, il pourrait décider de mettre à disposition une version non confidentielle de toute décision judiciaire dans laquelle les passages contenant des secrets d'affaires ont été supprimés.
On le voit, ces dispositions porteraient atteinte aux principes fondamentaux du contradictoire, de la publicité des débats et de la publicité des décisions judiciaires en matière contentieuse. L'ensemble des pièces produites ne seraient plus communiquées à toutes les parties, mais seulement à leurs représentants, ce qui pourrait affecter les relations entre les avocats et leurs clients. En outre, une telle procédure aurait pour conséquence de rendre obligatoire le ministère d'avocat, alors que ce n'est pas systématique actuellement - le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant le tribunal de commerce par exemple.
Ces obstacles de principe se retrouvent pour les mesures restreignant l'accès à l'audience, dont les parties elles-mêmes pourraient se trouver exclues, ce qui porterait atteinte à l'exercice des droits de la défense, ainsi que pour celles restreignant la publicité du jugement, qui limiteraient de façon disproportionnée l'exercice des voies de recours.
Le texte de compromis lève une grande partie de ces incertitudes et difficultés. Il précise que le juge peut toujours restreindre l'accès aux documents susceptibles de contenir des secrets d'affaires et aux audiences au cours desquelles de tels secrets pourraient être divulgués, « pour autant qu'au moins une personne de chaque partie, son avocat ou représentant dans la procédure et les intervenants des tribunaux aient pleinement accès à ces audiences, rapports ou transcriptions ». De même, les parties au litige doivent pouvoir bénéficier d'une version complète de la décision rendue, une version confidentielle pouvant être prévue, mais uniquement à l'égard des tiers.
Au total, le compromis de la Présidence grecque sur la protection des secrets d'affaires donne satisfaction à une large majorité d'États membres, dont la France.
Cependant, la procédure d'adoption de ce texte est loin d'être achevée. Les négociations au Conseil ont certes rapidement abouti à un compromis, mais devraient se poursuivre au sein de ses groupes de travail. En outre, elles devraient connaître une « pause » liée au renouvellement du Parlement européen et de ses organes et à la désignation d'un rapporteur qui cherchera sans doute à s'entretenir avec le nouveau commissaire européen en charge du Marché intérieur. Il n'est donc pas certain que le texte soit définitivement adopté sous Présidence italienne, d'ici la fin de l'année.
C'est pourquoi il me semble utile d'affirmer une position qui vienne conforter ces orientations dans la perspective des débats à venir devant le Parlement européen. Aussi, je vous suggère d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été préalablement distribuée.
M. André Gattolin. - Mon point de vue est sensiblement différent de celui de notre rapporteur. Je m'interroge en effet sur l'opportunité de légiférer sur la protection des secrets d'affaires. La Commission européenne a conduit une enquête publique dont il ressort que 75 % des citoyens européens considèrent qu'il n'y a pas d'urgence à adopter un texte sur ce sujet, alors que 75 % des entreprises disent l'inverse. Pourquoi un tel texte ? Je note également que la définition retenue des secrets d'affaires, qui est celle de l'accord ADPIC, est tautologique et particulièrement floue, alors que les mesures de protection des secrets d'affaires sont, quant à elles, extrêmement précises. Je considère que la Commission a retenu une approche particulièrement déséquilibrée et que son texte risque de constituer un obstacle pour l'activité des « lanceurs d'alerte ». Avec un tel texte, nous n'aurions sans doute pas eu d'« affaire Servier ». Par ailleurs, le texte de la Commission repose sur une vision économique de l'innovation qui me paraît archaïque. Au total, ce texte ne me paraît pas prioritaire et je voterai contre la proposition de résolution européenne qui nous est soumise car mon groupe est hostile au principe même de cette proposition de directive.
M. Éric Bocquet. - L'absence de définition précise des secrets d'affaires est assurément problématique. Je me demande si, avec le texte de la Commission, les listings de la banque HSBC auraient pu être divulgués ou si le flou de la définition n'aurait pas servi à étouffer cette affaire. Je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale oblige un agent public français à signaler au procureur de la République un délit dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
M. Richard Yung. - La protection des secrets d'affaires a précisément pour objectif de compléter la défense des droits de propriété intellectuelle. En effet, ceux-ci ont été institués pour rendre publiques les innovations, à l'exemple du brevet. Mais il existe des informations qui par nature doivent rester confidentielles : ce sont des secrets d'affaires dont la notion est toutefois, en général, peu utilisée en matière industrielle. La protection des secrets d'affaires existe surtout pour les informations commerciales et financières. Cette notion revêt un caractère marketing indéniable, par exemple dans le cas de la recette du Coca-Cola qui, en réalité, est assez peu mystérieuse.
Mlle Sophie Joissains. - Il est exact que la dénomination même de « secrets d'affaires » peut être trompeuse car elle suscite des inquiétudes sur ce que ces secrets recouvrent, mais il me semble que ces inquiétudes ne sont pas nécessairement fondées. Je rappelle, comme l'a indiqué le représentant du ministère du redressement productif, que de nombreuses PME françaises voient leurs secrets d'affaires trop souvent pillés par de grandes sociétés, en particulier étrangères. Le texte qui nous est proposé poursuit un objectif d'harmonisation qui est souhaitable, même si ses effets se feront sentir sans doute moins en France que dans d'autres États membres. La proposition de directive ne contient pas de dispositions portant atteinte à l'activité des « lanceurs d'alerte ».
M. André Gattolin. - Il est vrai que le concept de « lanceurs d'alerte » est difficile à définir, mais je ne peux m'empêcher de penser que ce texte comporte des risques quant à leur rôle dans la société.
M. Simon Sutour, président. - Il me paraît possible de partager les propos de notre collègue André Gattolin qui ne sont cependant pas nécessairement incompatibles avec la proposition de résolution qui nous est soumise par Sophie Joissains.
Je soumets cette proposition de résolution au vote de la commission.
*
À l'issue de ce débat, la commission a adopté, par sept voix pour, une voix contre et trois abstentions, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
La réunion est levée à 16 h 10.
* 1 Selon les chiffres de la Commission, 56 % des entreprises interrogées ont indiqué que les détournements ou tentatives de détournement de secrets d'affaires ont eu pour conséquence une perte de chiffre d'affaires, pour 44 % d'entre elles, des frais d'enquête internes, et pour 35 % des dépenses de protection.
* 2 Selon ces mêmes chiffres, sur 140 entreprises qui ont fait état de détournements ou de tentatives de détournement, seules 57, soit 40,7 %, ont eu recours à des tribunaux. Parmi les raisons ayant motivé le non engagement de poursuites, figurent les difficultés à recueillir des preuves (pour 43 %), l'impact sur la réputation (30 %) et les frais de justice (30 %).
* 3 Peine d'emprisonnement de deux ans et amende de 30 000 euros.
* 4 Notre compatriote Marielle Gallo avait été désignée rapporteure de cette proposition de directive en janvier dernier au nom de la commission des affaires juridiques, mais, sachant qu'elle ne siégerait plus dans le Parlement européen issu des élections du 25 mai 2014, elle n'a pas entamé son examen du texte.
* 5 Il existe néanmoins une obligation de confidentialité devant l'Autorité de la concurrence pénalement sanctionnée à l'article L. 463-6 du code de commerce (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende).