- Mercredi 14 mai 2014
- Audition de Mme Selma Mahfouz, commissaire général adjointe, Mme Claire Bernard et M. Antoine Naboulet, chargés de mission, au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP)
- Audition de Mme Anne Bucher, directeur des réformes structurelles et de la compétitivité, de MM. Nicolas Philiponnet, bureau géographique, France, et de Guillaume Roty, analyste économique europe 2020 et gouvernance économique, à la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne
- Audition de Mme Mireille Elbaum, présidente du Haut conseil du financement de la protection sociale
Mercredi 14 mai 2014
- Présidence de M. Charles Guené, président -La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de Mme Selma Mahfouz, commissaire général adjointe, Mme Claire Bernard et M. Antoine Naboulet, chargés de mission, au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP)
M. Charles Guené, président. - Nous poursuivons cet après-midi les auditions de notre mission consacrées à la relation entre la politique des allègements de cotisations et la politique de compétitivité, la seconde partie de l'après-midi étant consacrée à l'impact des allègements sur les finances publiques et le financement de la protection sociale.
Nous accueillons Mme Selma Mahfouz, commissaire général adjointe à la stratégie et à la prospective, que je remercie pour sa présence devant notre mission commune d'information.
Une des dernières évolutions de notre politique d'allègements de cotisations est la prise en compte, récente, des questions de compétitivité, avec, notamment, le Crédit d'impôt compétitivité emploi.
Nous vous avons sollicitée pour mieux comprendre l'articulation des politiques d'emploi et de compétitivité et les instruments que le commissariat général à la stratégie et à la prospective met en oeuvre dans ce cadre.
Madame Mahfouz, vous avez la parole.
Mme Selma Mahfouz, commissaire général adjointe à la stratégie et à la prospective. - Je présenterai tout d'abord les principes de ce nouveau dispositif. Le Cice a été créé par la loi de finances rectificative pour 2012. Ce dispositif est entré en vigueur le 1er janvier 2013 et s'adresse aux entreprises employant des salariés et imposables à l'IS ou à l'IR. Il se calcule à partir de l'ensemble de la masse salariale des salariés dont les rémunérations brutes n'excèdent pas 2,5 fois le montant annuel du Smic et s'élève à 4 % de la masse de ces salaires inférieurs à 2,5 Smic pour ce qui concerne les rémunérations versées en 2013, puis à 6 % à partir de 2014. Les entreprises imputent le crédit d'impôt au titre des salaires versés une année donnée sur le solde d'impôt qu'elles déclarent l'année suivante. Par ailleurs, un dispositif de préfinancement permet de bénéficier d'un effet « de trésorerie » dès l'année de versement des salaires.
En outre, et c'est là une innovation prévue par cette loi de finances rectificative pour 2012, la loi de finances instaure un comité de suivi ad hoc. Placée auprès du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, cette instance, composée pour moitié des partenaires sociaux et pour moitié de représentants des administrations compétentes, est en effet chargée de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l'évaluation du Cice. Il établit un rapport public exposant l'état des évaluations réalisées.
Son premier rapport, rendu public en octobre 2013, a présenté une série de questions suscitées par la mise en oeuvre du Cice, à savoir les entreprises bénéficiaires, ses effets sur leur comportement, ainsi que son impact au niveau macro-économique. Ce rapport distingue également le suivi, de l'évaluation micro-économique et de l'analyse macro-économique du Cice et en présente les premiers éléments de suivi.
Comment s'articule le Cice avec les allégements de cotisations sociales ? Le Cice emprunte aux allégements tout en étant un crédit d'impôt. Les deux instruments poursuivent des objectifs distincts. Les allègements agissent sur le coût du travail des bas salaires. Le Cice a pour objet l'amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement. Son assiette est la masse salariale brute et il concerne les salaires plafonnés à 2,5 fois le Smic, sans présenter de dégressivité avec, potentiellement, un effet de seuil. Son effet sur la trésorerie est différé de 1 à 4 ans. Il vise le soutien de l'emploi peu ou moyennement qualifié et représente pour les finances publiques un coût de vingt milliards par an. Les principaux secteurs directement concernés par sa mise en oeuvre sont enfin mixtes : les services, le BTP, les transports, mais aussi l'industrie.
La distribution des salaires nets annuels selon le secteur d'activité en 2010 permet de préciser le ciblage du Cice. En effet, dans les services mixtes qui comprennent les services financiers, le salaire médian est environ de 27 000 euros nets par an, avec près de 10 % des salaires qui sont en deçà de 15 000 euros nets annuels. En revanche, dans la plupart des secteurs - hors services mixtes - près de la moitié des salaires sont inférieurs à 1,6 Smic, avec une tendance baissière constatée pour les services aux particuliers. Enfin, près de 75 % des salaires versés dans l'industrie sont inférieurs à 2,5 Smic.
Comment se répartissent les gains du Cice entre entreprises en fonction de leur chiffre d'affaires réalisé à l'export? Les entreprises exportatrices recevront 62 % du Cice. Mais le gain indirect pour les entreprises exportatrices, via leurs fournisseurs, qui bénéficient du Cice n'a pas fait, pour l'heure, d'évaluation.
La mise en oeuvre du Cice a conduit également à s'interroger sur l'origine du différentiel de compétitivité de la France, notamment par rapport à l'Allemagne. Le différentiel de compétitivité-coût se joue-t-il dans l'industrie ou dans les services ? L'évaluation conduite par l'Insee, d'après l'enquête européenne Ecmo pour les coûts salariaux et eurostat pour les prix, des coûts horaires de la main d'oeuvre fournit, pour l'année 2013, des informations intéressantes : alors que ces coûts sont plus élevés pour l'ensemble de l'économie en France qu'en Allemagne et que pour la zone euro, ils sont relativement similaires pour l'industrie manufacturière. Cependant, on observe une différence défavorable à la France pour le transport et l'entreposage, et davantage encore pour les services administratifs et de soutien aux entreprises.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Comment expliquez-vous les surcoûts constatés dans les services destinés aux entreprises ?
M. Charles Guené, président. - Les données que vous venez de nous exposer invitent à ne pas se focaliser sur les exonérations directes destinées aux emplois de la seule industrie manufacturière, puisque cette dernière a recours à d'autres services qui en alourdissent les coûts et en obèrent la compétitivité. Une telle réalité justifie bel et bien le dispositif du Cice dont la cible ne se limite pas au seul secteur manufacturier !
Mme Selma Mahfouz. - Il peut y avoir un problème de compétitivité d'un secteur exposé qui vient d'un secteur abrité peu productif. Par exemple, l'immobilier pèse sur les coûts des entreprises. Un autre canal peut être un effet de contagion des salaires.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Mais qu'entend-on par les dépenses générées au titre de l'immobilier d'entreprise ? Peut-on être plus concret ?
Mme Selma Mahfouz. - Le prix du foncier est en effet un facteur important. Mais également, les services immobiliers ainsi que les consommations intermédiaires des entreprises.
Nous disposons également d'informations quant à la part de la masse salariale que représente le Cice en fonction de la localisation des entreprises. En Ile-de-France, 46 % de la masse salariale entre dans l'assiette du Cice, alors que dans toutes les autres régions au moins 69 % de la masse salariale est concernée pour atteindre jusqu'à 81 % en Limousin.
S'agissant de l'appropriation du Cice par les entreprises, en décembre 2013, 85 % des établissements mensualisés et 77 % des établissements trimestrialisés avaient déclaré une assiette Cice sur le bordereau récapitulatif des cotisations envoyé à l'Urssaf, soit près de 80 % en agrégé. Ce taux de couverture varie en fonction de la taille des entreprises. Il s'élève à 96 % pour les entreprises entre 2000 et 4999 salariés contre 75 % pour les entreprises de moins de 10 salariés. Cette déclaration d'assiette ne conditionne pas le versement du Cice, seule la déclaration fiscale importe.
M. Charles Guené, président. - Les entreprises ont-elles la possibilité de déclarer le Cice a posteriori, si elles ont envie de le faire, à l'instar du délai de reprise de l'impôt sur les sociétés, soit pendant trois ans ?
Mme Selma Mahfouz. - La DGFIP devrait être davantage en mesure de répondre à cette question. Initialement instauré afin de permettre aux PME en difficulté de bénéficier d'un effet de trésorerie dès 2013, le préfinancement du Cice incite à sa mise en oeuvre par les entreprises. Son principe est simple : l'entreprise vend à une banque sa créance d'impôt « en germe » sur le Trésor public, sur la base du montant estimé du Cice dont elle bénéficiera. Depuis son lancement en mars 2013, BPI France en est l'opérateur quasi-exclusif. Le premier bilan de ce dispositif, pour l'année 2013, est prometteur : ce sont ainsi près de 800 millions d'euros de préfinancement qui ont été accordés par BPI au profit de 11 600 entreprises. Ce dispositif a été renouvelé en 2014 : il a déjà concerné, pour le premier trimestre, 3 000 bénéficiaires et BPI s'est fixé un objectif pour cette année de 1,2 milliard d'euros, avec toutefois une incertitude s'agissant de la mobilisation des banques commerciales.
L'appropriation du Cice par les entreprises conduit à s'interroger également sur sa prise en compte dans les décisions managériales : le Cice, par sa nature fiscale et sa désynchronisation par rapport au paiement des salaires, est-il assimilé à une baisse du coût du travail ? Car il est vrai que l'affectation du Cice se pose en termes différents pour les entreprises selon leur taille et leur structuration : si, dans les grandes entreprises et les groupes, le montant du Cice a été probablement anticipé, en cas d'intégration fiscale entre filiales, sa réaffectation à ces dernières dépend du régime fiscal retenu ; l'affectation du crédit d'impôt à des finalités précises supposant une prise en compte dans les procédures existantes de comptabilité analytique. On constate par ailleurs une moindre anticipation, un moindre formalisme des procédures comptables ainsi qu'une plus grande proximité entre centres décisionnels et services opérationnels dans les entreprises de plus petite taille. Ces dernières devraient ainsi bénéficier d'un lien plus direct entre le Cice et les décisions d'emploi ou d'investissement.
L'affectation du Cice en 2014 est ainsi conditionnée par les perspectives conjoncturelles des entreprises, leurs contraintes économiques immédiates ou les priorités stratégiques.
L'Insee a ajouté un module de questions sur le Cice à l'enquête conjoncture auprès des entreprises de l'industrie et des services. Ces questions sont posées chaque trimestre. Elles portent sur le montant du Cice et son utilisation. La première vague a eu lieu en janvier 2014.
Pour cette première vague le taux de réponses aux questions sur le Cice était relativement faible et ce pour trois raisons : la nouveauté des questions, le fait qu'au mois de janvier les entreprises avaient alors encore peu de visibilité sur le Cice et leur complexité. L'Insee réfléchit à reformuler les questions pour les enquêtes des troisième et quatrième trimestres.
Au mois de janvier 2014, les entreprises étaient plus nombreuses à déclarer que le Cice sera utilisé pour financer des investissements que pour créer ou préserver des emplois. Ces résultats sont plus au moins marqués selon les secteurs. Les réponses semblent ainsi très liées à la situation conjoncturelle des entreprises. Celles qui ont une vision positive de la situation conjoncturelle prévoient un usage du Cice plus fortement orienté vers l'emploi ; celles prévoyant d'investir en 2014 déclarent plus fréquemment qu'il sera mobilisé pour l'investissement, tandis que celles faisant état d'une dégradation sur leur position compétitive dans l'UE privilégient une affectation pour baisser leurs prix.
Nombreuses sont également les questions recensées par le comité de suivi : tout d'abord, quelles entreprises bénéficient-elles du Cice? Quels sont les effets sur l'allocation des gains générés entre l'emploi, les investissements, les prix, les marges et les salaires? Quels sont encore les effets sur les relations sociales dans l'entreprise ou sur les relations inter-entreprises, les éventuels effets secondaires ainsi que les interactions avec des dispositifs de réduction des cotisations sociales ? Quels sont encore les effets macro-économiques du Cice sur la croissance et l'emploi, la compétitivité, la profitabilité, ainsi que le pouvoir d'achat ?
L'évaluation du Cice mobilise trois types d'instruments. Un premier suivi est assuré, via les données descriptives sur les évolutions globales du coût du travail, de l'emploi, des salaires et de l'investissement, ainsi que des enquêtes de conjoncture et sur la mise en oeuvre du dispositif connexe de préfinancement. D'autre part, une évaluation micro-économique ex ante sera réalisée par des organismes de recherche qui devraient être sélectionnés par appel d'offres, cette évaluation devant être complétée par des travaux qualitatifs. A cette évaluation devrait enfin s'ajouter un bouclage macro-économique ex-post, permettant de prendre en compte les effets globaux et indirects. Le calendrier de ces travaux d'évaluation s'étale jusqu'à 2017, date de la restitution du bouclage macro-économique.
Au-delà du Cice, des problématiques d'évaluation englobant les allègements doivent également être envisagées : leur efficacité sur l'emploi et la compétitivité par rapport aux objectifs affichés par les politiques publiques, le ciblage et l'identification des éventuels effets d'aubaine ou des effets indésirables, l'impact sur la formation des salaires, les effets de seuil, les effets combinés des politiques, l'articulation entre allégements et crédits d'impôt. Certes, il reste la question générale du contrefactuel, l'évolution économique en l'absence d'un tel dispositif.
M. Charles Guené, président. - Je vous remercie pour la clarté de votre exposé.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Je vous en remercie également. J'aurai plusieurs questions : d'une part, quelles sont les perspectives attendues en matière de création d'emplois ? Lors de son lancement en 2013, le Cice avait été dénoncé par certains comme facilitant une forme de « racket » ; certaines entreprises en profitant pour imposer de fortes réductions de prix à leurs fournisseurs. Est-ce que la baisse générale des prix peut-être consécutive à la mise en oeuvre du Cice ? S'agissant de la qualification des effets secondaires de ce dispositif, celui-ci peut-il également améliorer la compétitivité des entreprises et les amener à réduire leurs coûts ? Le Cice a-t-il encore un effet direct et indirect sur l'emploi en France ? Enfin, pensez-vous que la France soit un paradis fiscal pour la recherche ?
Mme Selma Mahfouz. - Le Cice est un crédit d'impôt sur les sociétés assis sur la masse salariale. A ce titre, on peut observer trois types de réactions : une baisse du coût du travail et une stimulation de l'emploi, l'amélioration de la profitabilité de l'investissement ainsi que la diminution des coûts se traduisant par une baisse des prix ou le rétablissement des marges des entreprises. Mais le partage de ces impacts dépend, en théorie, de la situation des entreprises qui relève du cas par cas. A ce titre, le bouclage macro-économique, conduit ex post, devrait permettre d'évaluer ses incidences sur l'emploi et le pouvoir d'achat, puisque le Cice peut permettre d'augmenter les salaires.
La question des relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants s'est posée très vite, dès mars 2013. La répercussion par le donneur d'ordre du coût généré par le Cice, imposée au sous-traitant, enfreint le code de commerce et a fait l'objet d'une surveillance étroite par le médiateur des relations inter-entreprises et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Depuis lors, aucun nouveau cas n'a été recensé.
M. Charles Guené, président. - Mais le but de ce dispositif n'était-il pas d'améliorer la compétitivité des entreprises ?
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - La baisse des prix incombe, en définitive, au donneur d'ordre. Cependant, les rapports de force dans ces relations inter-entreprises sont bien souvent difficiles.
Mme Selma Mahfouz. - Nous ne disposons pas encore de retombées quant aux conséquences du Cice sur l'évolution des cotisations sociales. Ni d'ailleurs, sur les conséquences de l'application du crédit impôt recherche !
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Lors de notre audition des responsables de la BPI, il nous a semblé que le dispositif de préfinancement devrait mettre du temps avant d'être compris. D'ailleurs, avant cette audition, nous avions rencontré des jeunes chefs d'entreprises rendus méfiants par l'instabilité des dispositifs ; leurs réticences étant d'ailleurs encouragées, dans une certaine mesure, par leurs comptables. Le Cice avait pour objectif de stimuler l'économie et l'investissement, mais peut-on vraiment constater que cette dynamique a été impulsée ? Il est en outre prévu que les représentants du personnel soient consultés quant à la mise en oeuvre du Cice : avez-vous des informations sur la mise en oeuvre effective d'une telle consultation ?
Mme Selma Mahfouz. - Je suis d'accord avec vous. Il importe de suivre dans la durée la mise en oeuvre du mécanisme de préfinancement destiné aux entreprises connaissant des problèmes de trésorerie.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Disposons-nous des indications sur l'évolution des entreprises du secteur privé sur cette question ?
Mme Selma Mahfouz. - Nous anticipons une montée en puissance de ce mécanisme de préfinancement, mais sans disposer d'informations fiables en la matière.
M. Antoine Naboulet, chargé de mission au Commissariat général à la stratégie et à la prospective. - Nous souhaitons auditionner prochainement les banques commerciales sur leur appropriation du Cice.
M. Charles Guené, président. - Le versement anticipé fait-il l'objet de conditions particulières ?
M. Antoine Naboulet. - Les créances sont, pour ainsi dire, en germe, puisque le montant estimé du crédit d'impôt doit être estimé d'une année sur l'autre. Nous constatons cependant une grande incertitude du côté des banques sur celui-ci.
M. Charles Guené, président. - Les besoins en termes d'investissement et de trésorerie sont-ils pris en compte ?
Mme Selma Mahfouz. - S'agissant de la consultation des représentants du personnel telle qu'en dispose l'article 66 de la loi de finance rectificative pour 2012 qui instaure le Cice, elle porte sur l'utilisation du crédit d'impôt qui doit être en conformité avec la loi et ne pas contribuer au financement de la hausse de rémunération des dirigeants. Le suivi de cette consultation devrait d'ailleurs faire l'objet d'une étude dont la DARES est le maître d'oeuvre.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - L'obligation d'information et de consultation du comité d'entreprise, ou à défaut des délégués du personnel, sur le Cice et son affectation sera-t-elle effective au 1er juillet 2014 ?
M. Antoine Naboulet. - C'est en effet une date butoir. Mais l'organisation de cette concertation implique qu'on s'y attèle !
M. Charles Guené, président. - Une consultation sur l'usage passé peut-elle avoir un sens ?
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Les représentants du personnel peuvent toujours émettre un vote d'alerte ! A-t-on prévu les conséquences d'un vote défavorable de ces représentants surtout dans les entreprises de taille modeste ?
M. Antoine Naboulet. - Certaines monographies nous fournissent des indications sur ce point, mais nous ne disposons pas pour l'heure d'un recensement pertinent en la matière.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - C'est bien la question des outils nécessaires au suivi de ce dispositif qui se pose !
Mme Selma Mahfouz. - Avant d'envisager le lancement d'enquête de grande ampleur, il convient de conduire un premier travail exploratoire susceptible de préciser les questions que suscitent, dans la durée, l'application de l'ensemble du Cice. Le comité de suivi, d'ailleurs, travaille en partenariat avec les partenaires sociaux qui peuvent lui faire remonter les informations depuis les entreprises.
M. Charles Guené, président. - Pour assurer une telle démarche, il faut cependant posséder une certaine expérience en la matière !
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Ce dispositif constitue manifestement une avancée dans la transparence.
Mme Selma Mahfouz. - En effet, les représentants du personnel devraient obtenir davantage d'informations et être plus informés quant aux données stratégiques de leur entreprise.
Audition de Mme Anne Bucher, directeur des réformes structurelles et de la compétitivité, de MM. Nicolas Philiponnet, bureau géographique, France, et de Guillaume Roty, analyste économique europe 2020 et gouvernance économique, à la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne
M. Charles Guené, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Anne Bucher et à MM. Nicolas Philiponnet et Guillaume Roty de la Direction générale des Affaires économiques et financières de la Commission européenne. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à venir vous exprimer sur les effets emploi et compétitivité de la politique française d'allègements de cotisations, dans une perspective comparative avec nos principaux partenaires européens, en particulier l'Allemagne, dont les choix ont été très différents.
Vous nous livrerez votre appréciation sur les instruments à privilégier, le ciblage à retenir et le mode de financement à privilégier pour cette politique. Je vous laisse la parole sans plus attendre.
Mme Anne Bucher, directeur des réformes structurelles et de la compétitivité- Nous vous remercions d'avoir invité la Commission européenne à participer à cet échange de vues car c'est un privilège pour nous de participer à un débat national sur des politiques nationales. Dans le cadre de la préparation de cette audition, un certain nombre de questions nous ont été posées et je tenterai d'y répondre dans notre introduction.
Trois points nous paraissent importants. Le premier concerne l'érosion de la compétitivité de l'économie française et son lien avec le coût du travail. Le second porte, dans ce contexte, sur l'évolution des cotisations sociales et son impact. Le troisième point est relatif au paramétrage d'une politique qui vise l'exonération des cotisations sociales.
S'agissant de l'érosion de la compétitivité de l'économie française, qui nous occupe depuis trois ans dans le cadre de la surveillance macro-économique où nous avons constaté que la détérioration de la balance courante française était un signe de détérioration macro-économique, celle-ci s'avère préoccupante du fait de sa continuité pendant plus de dix ans. Le déficit de la France, quelque peu atypique dans la zone euro, reflète une érosion de la performance des exportations et une diminution des parts de marché de la France qui est supérieure à celle enregistrée dans la zone euro. Les facteurs cycliques jouent un rôle mineur dans cette détérioration : la question de la performance des exportations françaises doit ainsi être posée.
Certes, la Commission européenne n'est pas véritablement inquiète quant aux implications de la détérioration de la balance courante française sur le niveau d'endettement externe de la France, qui demeure très modéré. En revanche, alors qu'un certain nombre de pays de la zone euro ont connu une détérioration de leur compétitivité et réussi à corriger cette tendance ces dernières années, la France ne présente que très peu de signes de correction depuis la dernière crise économique. On s'oriente ainsi vers une position encore plus détériorée de la France, au sein de la zone euro, dans l'avenir.
Dans notre diagnostic sur la compétitivité, nous abordons la question de la compétitivité-coût et de la compétitivité hors-coût qui reste, à en juger par le débat national en France, dominante. Mais, au sein d'une Union monétaire où les fondamentaux de la compétitivité de l'ensemble des membres ne doivent pas diverger, la compétitivité-coût demeure importante. L'évolution des coûts salariaux unitaires doit ainsi suivre une tendance commune et les gouvernements devraient veiller à ce que les salaires croissent au même rythme que celui de la productivité.
Historiquement, cet adage ne s'est pas vérifié dans la zone euro. L'Allemagne a en effet pratiqué une politique de modération salariale, tandis qu'un certain nombre de pays de la zone euro, dont la France, l'Espagne, l'Italie ou la Grèce, a laissé dériver la croissance des salaires au-delà des gains de productivité. Certains pays ont ainsi corrigé cette tendance sur l'évolution des salaires et, en France, nous ne disposons pas de signe avant-coureur de cette correction.
Lorsqu'on évalue l'impact de l'évolution des coûts salariaux sur les performances à l'exportation, émerge une spécificité française : l'industrie française a enregistré une hausse importante des coûts salariaux unitaires, mais elle n'a pas répercuté ces coûts sur les prix à l'exportation. Lorsqu'on regarde les indices de compétitivité relatifs, comme le taux de change effectif réel, on constate que la France a perdu en compétitivité sur les aspects coûts, de façon importante par rapport à l'Allemagne, mais lorsqu'on utilise ces indices de prix relatifs au regard des prix à l'exportation, on constate que la France et l'Allemagne demeurent sur un même niveau. En pratique, cette tendance s'explique par la compression des marges des entreprises pour rester présentes sur les marchés internationaux et à l'intérieur de la zone euro. L'évolution de l'indicateur du partage entre les salaires et les profits de la valeur ajoutée illustre cette tendance : cet indicateur, de l'ordre de 30 % pour la France, est l'un des plus bas de l'Union européenne, tandis que pour l'Allemagne, il avoisine les 40 %.
Par ailleurs, la part des profits dans la valeur ajoutée a baissé depuis 2006. Donc les conséquences de l'augmentation des salaires sur la capacité des entreprises à investir et à innover, par rapport à des entreprises similaires à l'étranger, vont vers une détérioration du positionnement des entreprises françaises. Ces observations sur le coût du travail présentent ainsi des incidences sur la compétitivité hors-coûts.
Quel est le lien de cette détérioration avec la question des prélèvements sociaux sur le travail ? Dans ce domaine également, force est de constater un certain nombre de spécificités françaises. La première, c'est que le niveau de cotisations sociales acquittées par les employeurs est très élevé en France, troisième en Europe après l'Italie et la Belgique, et représente près de 20 % de la masse salariale. Ce point reflète non seulement le poids élevé de la fiscalité, mais également un partage des cotisations sociales entre employeurs et employés différents des autres pays où la part égale tend plutôt à être la règle. Deuxième spécificité française : la progressivité en fonction du salaire des cotisations sociales qui résulte en partie des politiques d'exonération des bas salaires se traduisant par l'augmentation soutenue des cotisations du Smic jusqu'à 1,6 Smic, tout en présentant d'autres effets de seuil par la suite. Cette réalité contraste avec la tendance constatée dans les autres Etats de l'Union avec soit une augmentation constante ou une dégressivité, comme en Allemagne où, en vertu d'un modèle social différent, les cotisations sociales sont plafonnées et certaines prestations sociales sont assurées par des organismes privés proposés aux salariés.
De tels choix ne sont pas innocents dans une perspective internationale. Lorsqu'on compare la structure des coûts salariaux entre les entreprises françaises et allemandes, ceux-ci sont relativement similaires pour les bas salaires. Mais pour les salaires plus élevés, l'employeur français va être soumis à une plus grande imposition : pour un salaire d'1,5 Smic, l'employeur français va devoir acquitter 25 000 euros de charges annuelles, tandis que l'entrepreneur allemand en paiera 10 000 ! Une telle obligation n'est pas neutre sur les structures de coûts ou sur les marges que l'on espère dégager à l'exportation lorsqu'on est en concurrence sur des produits et des marchés similaires.
Cette progressivité des cotisations sociales résulte certes d'une démarche qui se veut favorable à l'emploi, mais dans une perspective européenne, le salaire minimum français est relativement élevé. Pour enrayer ce phénomène, la baisse des cotisations sociales a été choisie pour abaisser le coût pour les entreprises, avec comme contrepartie la progressivité qui tend à encourager la substitution du travail qualifié par le travail non qualifié, voire à conduire à la création de trappes à bas salaires. D'ailleurs, lorsqu'on compare les salaires entre la France et l'Allemagne, on constate que la France possède un plus grand nombre de salariés rémunérés autour du Smic qu'Outre-Rhin où les salaires minima sont plus bas et fixés par les conventions collectives.
Dans une logique dynamique de renforcement du tissu productif, les exonérations de cotisations sociales encouragent-elles l'investissement et le recours au travail qualifié qui sont généralement complémentaires l'un de l'autre, tandis que le travail non qualifié et le capital s'avèrent substituables ?
S'agissant du troisième point relatif à la méthode retenue pour mesurer les effets des exonérations de cotisations sociales, il nous est difficile de vous apporter des éléments de comparaison, du fait de l'utilisation continue de cette mesure depuis plusieurs décennies en France. Certes certains ciblages peuvent être constatés ailleurs, soit sur des nouveaux postes ou sur des catégories plus précises, comme aux Pays-Bas où les évaluations soulignent les effets d'aubaine suscités par les exemptions de cotisations sociales. Les Allemands ont également suivi cette démarche, à hauteur de 10 milliards d'euros, mais en augmentant concomitamment la TVA destinée à en compenser partiellement les effets. Mais celle-ci n'a pas fait l'objet d'une évaluation puisque les exonérations ont été très vite stoppées du fait de la politique d'assainissement budgétaire mise en oeuvre Outre-Rhin. L'utilisation des exonérations, comme en Belgique, est ainsi ponctuelle et extrêmement ciblée, à l'inverse de la France. D'ailleurs, lors des réunions conjointes avec les différents ministères des finances des Etats membres, où sont abordées les questions de coût du travail et de fiscalité, l'argument selon lequel les outils fiscaux s'avèrent bien moins adaptés qu'une politique active du marché du travail est récurrent parmi les responsables ministériels présents.
Je ne dispose pas ainsi d'éléments comparatifs sur ces questions. La Commission européenne qui se penche sur le renforcement de la compétitivité française et le positionnement des entreprises, préconise que les mesures d'exemption de cotisations sociales soient prises au sens large plutôt qu'être ciblées sur les bas salaires qui ont certes des effets sur l'emploi mais n'influent, au final, guère sur la compétitivité. Les dispositifs récemment adoptés, comme le Cice ou d'autres mesures actuellement en cours d'adoption dans le cadre du pacte de responsabilité, marquent un changement par rapport à ce qui prévalait jusqu'alors : le ciblage des bas salaires est moins précis. Mais la Commission européenne considère que le Cice est encore davantage une mesure destinée à favoriser l'emploi qu'à renforcer la compétitivité, en réduisant le taux moyen de cotisations sociales de 1,4 point et en ciblant les salaires autour du niveau du Smic.
Certes, une telle mesure prend pour fondement la logique de l'élasticité de l'offre de travail vis-à-vis des emplois les moins qualifiés, mais il importe de garder à l'esprit le cadrage macro-économique pour en évaluer les conséquences. D'une part, lorsqu'on évalue à l'aune de nos modèles macro-économiques le Cice, on constate que le ciblage des bas salaires présente des effets positifs sur l'emploi mais peu sur la compétitivité externe, puisque la réduction du coût du travail n'influe pas sur le niveau des prix à l'exportation de manière probante. D'autre part, le financement de cette mesure pose problème, puisque la réduction des cotisations sociales s'inscrit dans une politique d'assainissement budgétaire impliquant la réduction d'autres postes de dépense, comme celle de l'investissement public présentant, à terme, des effets récessifs susceptibles d'en enrayer les effets positifs. La réduction concomitante des cotisations et des prestations sociales entraîne un effet négatif, la première année, puisque les dépenses publiques sont réduites, mais cet effet est temporaire puisque s'amorce une dynamique de compétitivité. De ce fait, nous considérons que le débat sur les exonérations de cotisations sociales doit prendre en compte les modalités de financement de cette mesure et ainsi s'interroger sur la protection sociale et son éventuelle réforme.
M. Charles Guené, président. - Estimez-vous que les mesures actuellement prises, en matière de réduction de charges, sont suffisantes, et avez-vous des informations quant à leur financement, ou faut-il plutôt privilégier la réduction globale des dépenses comme politique économique ? D'ailleurs, que pensez-vous des mesures de réduction de la dépense publique récemment prises par le Gouvernement ?
Mme Anne Bucher. - Nous ne disposons pas de la totalité du plan d'économies annoncé par le Gouvernement. Sur les questions de finances publiques, je passerai la parole à M. Nicolas Philiponnet qui sera plus à même de vous répondre.
M. Nicolas Philiponnet. - Les modèles que nous utilisons ne nous permettent pas d'envisager l'ensemble des conséquences de l'application du Cice. Pour autant, l'engagement général de réduction des dépenses du pacte de stabilité d'ici 2017 devrait financer ce dispositif. Pour le moment, nous ne pouvons que forger des hypothèses.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - La question du bouclage macroéconomique, qui obéit à une diversité de paramètres et qui, de ce fait, autorise des interprétations divergentes, est en effet récurrente, comme nous avons pu le constater pendant nos auditions. Il est vrai que le bouclage permet de démontrer une certaine efficacité des mesures d'exonérations mis en oeuvre à partir de 1993 jusqu'aux lois Aubry sur la création d'emplois du fait du couplage de ces mesures avec le déficit. Une difficulté désormais se pose avec la concomitance de mesures similaires dans un contexte de réduction des déficits. Ce que vous proposez, c'est de maintenir des exonérations en poursuivant une réduction drastique des dépenses difficilement supportable pour la population.
M. Nicolas Philiponnet. - Juste un point sur la méthodologie de ces évaluations. Il faut ainsi distinguer entre les évaluations conduites ex ante et celles conduites ex post. Ainsi, celles conduites, notamment par la DARES pour les dispositifs mis en oeuvre en 1993 procèdent par des comparaisons ex post d'entreprises qui sont toutes dans le même contexte économique. Ainsi, les effets potentiellement expansionnistes de ce genre de mesures ne sont pas capturés, pas plus que les modalités de financement de ces mesures. Notre direction, quant à elle, conduit plutôt une évaluation ex ante, à l'aune de modèles macroéconomiques, qui nous permet ainsi d'inclure les modalités de financement des mesures d'exonérations, du fait de l'absence de groupes témoins susceptibles de subir, dans la même économie, le poids de ces mesures.
Mme Anne Bucher. - Toute contrainte budgétaire, qui vise à réduire la dépense publique, présente un effet récessif lorsqu'on met en oeuvre des mesures d'exonération.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - On annule ainsi l'effet qu'on a provoqué par des exonérations.
Mme Anne Bucher. - On peut d'ailleurs amplifier l'effet récessif lorsqu'on agit sur l'investissement. Cet effet récessif peut en revanche s'avérer transitoire lorsqu'on réduit les transferts et que les effets positifs de la mesure d'exonération dominent et permettent, en définitive, d'amorcer un cercle vertueux à partir de l'abaissement du coût du travail profitant à la compétitivité des entreprises via un effet prix et une amélioration des exportations.
M. Charles Guené, président. - Selon vous, il vaudrait donc mieux diminuer la dépense sociale plutôt que la dépense d'investissement public ?
Mme Anne Bucher. - En effet, dans un dispositif de ce type et il vaut mieux réfléchir à une réforme de la protection sociale que de rechercher des ressources budgétaires.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Dans le raisonnement, il faut inclure d'autres régulations qui expliquent les problèmes dans lesquels on se trouve. Par ailleurs, y-a-t-il un impact différent des prélèvements entre impôts et cotisations pour le financement de la protection sociale ? En outre, comment améliorer la compétitivité de la France dans un contexte où l'ensemble de ses partenaires suit la même politique ? Quelles mesures de restauration de la compétitivité préconisez-vous : celles-ci ont-elles un effet sur l'emploi à court ou moyen terme ? Car entre la mise en oeuvre d'une mesure et ses effets favorables, il y a nécessairement une période d'incertitude que l'on ne retrouve sans doute pas dans les modèles macroéconomiques mais qui affecte la réalité économique que vivent les personnes.
Mme Anne Bucher. - Avant de répondre à vos questions, je souhaite revenir sur l'évaluation des effets et ses ordres de grandeur. Les effets globaux sont fortement diminués. Ainsi, lorsqu'on regarde les effets des mesures prises dans la décennie 1990-1993, on a une première estimation de l'ordre de 300 à 400 000 emplois. Mais inclure ces données dans un modèle plus complet, impliquant d'autres variables comme les possibilités d'augmentation salariale ultérieure, les répercussions sur les prix, et les effets nets, conduit à revoir cette estimation liminaire. Le chiffre avancé est plutôt de l'ordre de 70 000 créations d'emplois ! Cette démarche est standard puisque les effets nets d'une mesure donnée s'affaiblissent lorsqu'on évalue cette dernière au-delà de son secteur et dans un cadre économique global. Cette réalité doit ainsi être intégrée dans la délibération politique.
S'agissant de la diversité des instruments de diminution des coûts, il va de soi qu'une diminution des cotisations sociales acquittées par l'employeur induit un effet direct sur le coût du travail. Mais d'autres alternatives existent : ainsi l'Italie propose des réductions des cotisations sociales acquittées par les salariés couplées à une réduction de l'impôt sur le revenu. Les effets de telles mesures dépendent de la répercussion de cette baisse des cotisations salariées sur les demandes de salaires et sur le pouvoir d'achat des salariés et ses conséquences en matière de consommation.
Le choix d'asseoir le Cice sur l'impôt sur les sociétés nous semble obéir à une logique compréhensible. En l'absence de surplus budgétaire et dans le contexte d'un alourdissement de la fiscalité qui a entraîné une baisse des marges des entreprises depuis 2006, des dispositifs comme le Cice visent à rendre aux entreprises une partie de la surcharge fiscale imposée pendant la crise et d'utiliser l'impôt sur le revenu pour des entreprises qui connaissent des problèmes de rentabilité.
M. Charles Guené, président. - Nous avons donc, à vous entendre, un double handicap : un manque de compétitivité coût et hors-coût. La France n'a-t-elle donc pas d'atouts en matière de compétitivité ? Faire reposer toute la protection sociale sur les salaires directs n'est-il pas également problématique ? Enfin, un troisième problème se pose quant au financement des mesures d'exonération mises en oeuvre. Vous êtes assez critique dans votre approche, sans pour autant nous donner la martingale !
Mme Anne Bucher. - Pour nuancer la critique de l'évolution de la France, notre direction ne nourrit pas les mêmes inquiétudes que pour l'Italie, dont le niveau de la dette est très élevé et la situation macroéconomique est très différente. Sur les aspects justement macroéconomiques de la compétitivité et du coût du travail, la France n'est pas dans une situation dramatique : elle est en concurrence essentiellement avec l'Allemagne, d'où un problème de compétitivité hors-coûts puisque les entreprises françaises se positionnent sur des segments de produits comparables à ceux proposés par leurs concurrentes allemandes. Ainsi, lorsqu'on compare ces secteurs, la position des entreprises françaises dans les secteurs à haute technologie n'est pas mauvaise. En outre, lorsqu'on mesure la qualité des produits, les exportations françaises sur la zone euro ont un niveau très élevé et ce, de manière continue, même depuis la crise. En effet, les entreprises ont ainsi réduit leurs marges pour continuer à vendre des produits d'un certain niveau qualitatif. Une telle situation contraste avec la situation de l'Italie, qui est moins spécialisée dans les produits à haute technologie et qui a davantage souffert de la concurrence des nouveaux Etats membres depuis l'élargissement aux Peco.
Sur la politique à conduire, je ne peux en effet vous donner de réponse. En revanche, s'agissant de notre analyse au niveau communautaire, il nous paraît important que la croissance des salaires suive celle de la productivité. Il faut ainsi s'interroger sur la déviance constatée depuis ces dernières années en France, qui est d'ailleurs loin d'être le pays où cette tendance a été la plus grave. Le dispositif général de formation des salaires est ici nodal : le Smic est une spécificité française et son rôle comme valeur de référence pour un certain nombre de paramètres de cotisations sociales est manifeste. Se focaliser sur les salaires pour lutter contre le chômage des personnes faiblement qualifiées a surtout profité aux entreprises du secteur abrité et non dans le secteur concurrentiel où ces dernières emploient des personnes les plus qualifiées. Donc un tel ciblage n'a pas résolu le problème de la compétitivité.
La question du financement renvoie également à celle des choix budgétaires opérés par le Gouvernement qui est confronté à la réduction de la dépense publique et à la recherche des gains d'efficacité de la dépense publique susceptibles d'être obtenus dans des secteurs comme le financement de la santé.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Quel est l'impact du salaire minimum qui va être appliqué en Allemagne ? Celui-ci va-t-il rapprocher le coût du travail Outre-Rhin du coût du travail en France ? Est-ce une preuve que l'Europe conduit également vers une certaine forme de convergence ?
Mme Anne Bucher. - Nous avons en effet relevé ce point. Dans la surveillance que nous faisons des déséquilibres macroéconomiques des Etats membres, l'excédent de la balance courante allemande traduit également une forme de déséquilibre. Lorsque nous avons souligné l'importance que la France conduise des réformes visant l'amélioration de la compétitivité à la fois coût et hors-coûts, nous avons en même temps indiqué qu'il était nécessaire que l'Allemagne entreprenne les réformes nécessaires à la réduction de son excédent de la balance courante, de l'ordre de 8 % du PIB, qui indique que l'épargne nationale est supérieure à l'investissement, soit un excès d'épargne et un déficit d'investissement. Il nous paraît ainsi essentiel que l'Allemagne stimule sa consommation interne. L'introduction de ce nouveau salaire minimum devrait y contribuer. D'ailleurs, nous pensons que si la réforme Hartz du marché du travail a permis à des personnes jusqu'alors exclues du marché du travail de travailler pour un salaire très faible de 450 euros par mois, elle ne permet pas de résoudre les problèmes que pose à long terme à l'Allemagne le vieillissement de sa population qui fournit l'un des facteurs explicatifs du haut niveau d'épargne.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Par quel mécanisme ce genre de mesures implique-t-il un haut niveau d'épargne ?
Mme Anne Bucher. - Parce que les hauts revenus épargnent plus et les personnes qui ne disposent que de 450 euros par mois sont extrêmement contraintes dans leurs dépenses et ne peuvent s'engager dans des dépenses d'investissement. Le maintien, par l'Allemagne, d'une modération salariale à travers de tels dispositifs n'a favorisé ni l'augmentation de la participation de la population active d'une manière dynamique, ni la demande interne.
Outre les ménages qui n'investissent pas, le Gouvernement dispose de plus de marges budgétaires qu'il n'en utilise. Il procède à une réduction de la dette supérieure, en niveau, à ses engagements européens. Un déficit important de l'investissement public, comme dans les infrastructures énergétiques notamment, est constaté. La Commission a ainsi recommandé que l'Allemagne déréglemente certains services, comme celui de la construction qui est moins ouvert qu'en France à la concurrence internationale et, d'une manière plus globale, émis un certain nombre de recommandations destinées à stimuler l'investissement en Allemagne.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Pourquoi les services en Allemagne sont-ils moins chers ?
Mme Anne Bucher. - Je ne pense pas qu'ils soient moins chers !
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - C'est pourtant ce qui nous été dit ! Une des raisons de la compétitivité de l'Allemagne selon certains de nos interlocuteurs provient, outre de l'équilibre entre qualifiés et non qualifiés en termes de cotisations, du moindre coût des services aux entreprises que ceux pratiqués en France.
Mme Anne Bucher. - S'agissant du coût salarial en Europe, deux éléments doivent être distingués : la progression des salaires en fonction de celle de la productivité et l'évolution des salaires entre le secteur abrité et le secteur exposé. En Allemagne, la politique conduite, via des conventions collectives, accorde des augmentations de salaires corrélées à celles de la productivité dans le secteur manufacturier, tandis que dans les services, où la productivité est plus faible et les personnels moins syndiqués, les salaires sont beaucoup plus bas. Alors que dans les autres pays, on constate un phénomène inverse. Ainsi en Espagne, la dérive des salaires a été tirée par la bulle immobilière et par les salaires du secteur des services et de la construction. En Grèce également, l'effet de l'augmentation des salaires du secteur public a été prégnant. Et de telles augmentations dans le secteur abrité se transfèrent, via les mécanismes de formation des salaires, au secteur exposé à la concurrence et pénalisent les entreprises. Cette spécificité allemande explique pourquoi l'augmentation des salaires ne s'est pas propagée à l'ensemble de l'économie et occasionné une érosion de la compétitivité.
M. Charles Guené, président. - Nous avons eu un tableau nous indiquant que les coûts directs de main-d'oeuvre, dans l'industrie en France et en Allemagne, étaient sensiblement équivalents mais qu'ils étaient plus chers en France dans les services, ce qui renchérissaient le coût global à l'exportation.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. Cette tendance est également imputable à l'effondrement du secteur industriel en France et à la préférence accordée, pendant toute une période, au développement des services. Une telle dynamique n'a pas manqué de se traduire en termes salariaux.
Mme Hélène Bucher. - Lorsqu'on remonte aux années 80, un certain nombre de grandes entreprises à capitaux publics, dans les services, jouait un rôle de premier plan dans les négociations salariales, tandis qu'en Allemagne, le secteur leader dans les négociations salariales reste celui de la métallurgie.
M. Nicolas Philiponnet. - Une remarque sur la convergence du coût du travail entre la France et l'Allemagne qui ne serait qu'une question de temps pour que s'efface le différentiel de compétitivité entre les deux pays. Le problème de compétitivité hors-coût demeure : l'Allemagne a certes bénéficié des modérations salariales pendant les années 2000 pour améliorer sa compétitivité hors-coûts et l'excédent de la balance courante de ces dernières années s'est effectué en dépit d'un coût du travail en augmentation. L'effet est donc beaucoup moins immédiat.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Un point demeure occulté lorsqu'on parle de l'Allemagne, c'est celui de sa relation avec les pays d'Europe centrale et orientale. La France ne dispose pas de ces Etats pour consolider son expansion économique.
Mme Anne Bucher. - Le gros succès de l'Allemagne, concomitant d'ailleurs avec l'introduction de l'euro, réside dans l'optimisation de sa chaîne de valeur avec les pays de l'Est.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Le coût du travail de la main d'oeuvre de ces pays rend l'Allemagne forcément plus compétitive !
Mme Anne Bucher. - Les Peco représentaient également une opportunité pour les économies de l'ensemble des Etats membres ! Ils ont certes permis à l'Allemagne de se spécialiser dans des secteurs à haute valeur ajoutée et de maintenir sa compétitivité à l'extérieur.
M. Charles Guené, président. - Nos industriels avaient également la faculté de travailler avec les Peco, comme avec l'Afrique du Nord.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Certes, mais ce n'est pas la même chose puisqu'en Afrique du Nord, la main d'oeuvre n'est pas aussi qualifiée que dans les Peco ! On évacue, à mon sens, un peu trop vite cette opportunité qui constitue un facteur d'explication.
M. Nicolas Philiponnet. - Les études qui portent sur le modèle industriel des entreprises françaises et allemandes insistent sur la différence de relations avec les pays à main d'oeuvre à bas coût. En Allemagne, ces pays ont servi à externaliser un certain nombre d'opérations en maintenant l'activité à haute valeur ajoutée sur le territoire national, tandis qu'en France, les entreprises ont privilégié la délocalisation de l'ensemble de la chaîne de valeurs dans un autre pays.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Ce n'était pas une politique ! Comme j'ai pu le constater dans le secteur textile, ces délocalisations relevaient d'une stratégie d'entreprise !
Mme Anne Bucher. - Fondamentalement, l'exportateur français est différent de l'exportateur allemand. Car, en Allemagne, le tissu industriel est composé de moyennes entreprises et de grandes entreprises tournées vers l'exportation tandis qu'en France, la base des exportations est assurée par quelques grandes entreprises et les petites entreprises ne disposent pas de la taille critique pour bénéficier des opportunités sur les marchés extérieurs. C'est à ce stade que la question de la compétitivité hors-coûts prend tout son sens, puisqu'il s'agit de renforcer les petites entreprises et de les aider à se tourner vers l'exportation.
M. Charles Guené, président. - Il faut reconnaître que les industriels allemands peuvent plus en termes de stratégie nationale, ce que ne font pas leurs homologues français.
Mme Anne Bucher. - Au bout du compte, l'Allemagne est plus ouverte que la France ; elle importe plus que la France en valeur ajoutée, du fait du fractionnement de la chaîne de production Outre-Rhin. A cet égard, comme l'on regarde les données commerciales sur une base valeur ajoutée, les pays comme la France, mais aussi l'Italie ou l'Espagne, apparaissent comme beaucoup plus fermés.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Mais il me semble que cette présence des Peco a un impact tout à fait singulier et il faudrait davantage le prendre en compte !
M. Charles Guené, président. - L'histoire doit également être prise en compte pour comprendre les différences entre les productivités française et allemande.
M. Jean-Pierre Caffet. - L'exemple de l'Allemagne est particulièrement intéressant. Pendant ces dix dernières années, la politique salariale mise en oeuvre Outre-Rhin s'est caractérisée par une très grande modération à contre-courant des autres pays dont les coûts salariaux par unité produite ont augmenté. Cette évolution atypique de l'Allemagne par rapport aux autres pays membres de l'Union européenne, dont la France où les coûts salariaux ont rejoint le niveau allemand. Mais cette modération salariale ne saurait, à elle seule, expliquer ni la compétitivité ni les performances de l'économie allemande. D'autres facteurs doivent être pris en compte, comme la réforme du marché du travail et notamment celle conduite par le ministre Hartz. Lequel de ces facteurs explique la bonne compétitivité de l'économie allemande ?
M. Charles Guené, président. - La réforme du marché du travail est-il un facteur d'amélioration de la compétitivité hors-coûts ?
Mme Hélène Bucher. - La modération salariale représente certainement l'une des spécificités allemandes par rapport aux autres pays de la zone euro. Plusieurs facteurs ont contribué à cette modération salariale : la réforme Hartz, qui a profondément modifié l'indemnisation du chômage et amené sur le marché du travail des personnes qui ne s'y trouvaient pas, couplée avec le mécanisme des emplois dans les secteurs abrités, a créé une main-d'oeuvre moins onéreuse dans les services qui n'existait pas jusqu'alors. La réforme des conventions collectives, et des négociations s'y faisant jour, constitue l'autre aspect de cette évolution, qui a permis l'insertion de clauses de « opt-out » dans les conventions collectives destinées aux entreprises du secteur manufacturier confronté à la compétition internationale. La réduction du taux de couverture des conventions collectives, consécutive à la réduction du taux de syndicalisation, a aussi accompagné ce phénomène. D'après les experts allemands, l'évolution des négociations collectives a joué un rôle important dans la fixation des salaires dans le secteur manufacturier et y a induit un effet d'alignement des salaires sur la productivité.
En matière de flexibilité du marché du travail, cette question du « opt-out » est secondaire. C'est surtout l'arrivée de très bas salaires sur le marché du travail qui constitue l'élément important de cette flexibilité. Certes, l'immigration, qui s'est accrue ces dernières années, a joué un rôle important de flexibilisation comme dans le secteur des abattoirs et la main d'oeuvre rémunérée à 3,50 euros ; cette situation étant spécifique puisque inhérente à un secteur d'activité n'ayant pas de salaire minimum.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - La démographie est aussi importante : le nombre de personnes arrivant chaque année sur le marché du travail est lui aussi déficitaire. 150 000 personnes arrivent en moins sur le marché du travail en Allemagne, tandis que la situation, en France, est exactement à l'opposé !
Mme Anne Bucher. - Il y a manifestement un déficit de l'offre de travail en Allemagne. Les perspectives à moyen terme de ce pays dépendent de la politique migratoire à venir ainsi que d'une politique d'investissement soutenue sans laquelle il est impossible de renforcer la croissance de long terme.
M. Jean-Pierre Caffet. - Avez-vous une estimation de la croissance potentielle française à l'heure actuelle ?
M. Nicolas Philiponnet. - Selon nos sources, la croissance française oscille entre 1 et 1,1 % entre 2013 et 2015, avec une augmentation potentielle à 1,5 % d'ici cinq ans. Notre estimation est très en-deçà de ce qu'obtient le Gouvernement français avec sa méthodologie qui se place à une croissance potentielle à 1,7 %.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Avons-nous des projections quant à l'impact de la démographie en Allemagne sur sa compétitivité ?
Mme Anne Bucher. - A priori non. Nous intégrons cette donnée dans notre calcul de croissance potentielle qui inclut les projections en termes de force de travail disponible et de participation sur le marché du travail, ainsi que d'un niveau de taux de chômage sur le long terme. Mais l'impact, à proprement parler, du vieillissement m'est inconnu. Des efforts financiers sont actuellement consacrés à la politique de la petite enfance en Allemagne et à la promotion de la participation des femmes au marché du travail.
M. Charles Guené, président. - Je vous remercie pour votre exposé et la grande qualité de vos réponses.
Audition de Mme Mireille Elbaum, présidente du Haut conseil du financement de la protection sociale
M. Charles Guené, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Le Haut conseil du financement de la protection sociale, placé auprès du Premier ministre, est un lieu de débat et de proposition où sont présents les partenaires sociaux. Il a présenté plusieurs rapports sur les perspectives de financement de la protection sociale.
Les allègements de cotisations sociales et les mécanismes de compensation qui en résultent posent, de fait, la question de l'évolution du mode de financement de la protection sociale. Comment le Haut conseil envisage-t-il ces évolutions en fonction des risques à couvrir et des stratégies possibles ?
Mme Mireille Elbaum. - Le Haut conseil a en effet travaillé sur les logiques de financement de la protection sociale et s'est confronté à la question qui vous occupe en trois occasions. En dressant l'état des lieux qui nous avait été commandé, à l'automne 2012, au moment de notre installation, nous avons été conduits à analyser les exonérations de cotisations, leur progressivité, et la façon dont a évolué la compensation, qui ne se fait plus depuis 2011, annuellement et à l'euro près, mais par l'affectation définitive d'impôts et taxes. Ce qui a pu un temps conduire à se demander si la dynamique de ces impositions affectées suivrait celle des risques à couvrir. On s'en est inquiété pour la branche famille sans qu'apparaisse, in fine, de problème majeur.
Plutôt que de compensation d'exonération, il est devenu plus juste de parler d'un barème progressif des exonérations employeur dont le financement est assuré par des impôts et taxes affectés au régime de sécurité sociale, tant dans son versant universel, avec la branche famille et les prestations en nature de l'assurance maladie, que dans son versant contributif, puisque la branche vieillesse est elle aussi compensée - étant entendu que les régimes complémentaires et l'assurance chômage restent exclusivement financés par les cotisations.
Les exonérations dites Fillon ayant fait l'objet de diverses évaluations, notamment par la Dares et la direction générale du Trésor, nous nous sommes contentés d'insister sur la disparité de leurs conclusions : les effets sur l'emploi qu'elles retiennent s'étagent sur une large fourchette et devraient plutôt se situer autour de 500 000 à 600 000 que d'un million, chiffre qui représente le haut de la fourchette.
Nous avons ensuite, en juin 2013, rendu un rapport d'étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale. Nous raisonnions, à montant de financement constant, sur l'adéquation optimale des ressources des différents régimes eu égard à la philosophie dont ils procèdent et à la nature des risques qu'ils couvrent. Nous y examinions également des problèmes plus spécifiques, parmi lesquels la question de la fiscalité du capital et de la fiscalité environnementale - qui n'est pas ce qui vous occupe aujourd'hui - mais aussi ce que l'on appelle les niches sociales, dans un raccourci de langage qui n'est pas pleinement justifié puisqu'il recouvre à la fois des exonérations et des exemptions ou des abattements d'assiette...
Si certains partenaires sociaux ont pu nous reprocher d'avoir retenu une hypothèse de travail à financement constant et sans allègements supplémentaires, nous n'en avons pas moins été conduits à constater que la sédimentation des affectations successives avait quelque peu brouillé la lisibilité du système. Ne serait-il pas bon, afin de clarifier les choses en distinguant selon la nature des risques, de réserver les cotisations aux risques les plus contributifs par nature, comme le risque vieillesse, et de concentrer les impôts et taxes affectés sur les risques par nature universels et généraux, que couvrent les prestations maladie ou celles de la branche famille ? Etant bien entendu qu'il ne s'agit nullement de faire la distinction entre assurance et solidarité, principe que nous rejetons a priori puisque les assurances sociales sont, par nature, solidaires. Mais il n'en existe pas moins un lien entre affiliation professionnelle et remplacement des revenus d'activité - ce que nous appelions contributivité, mais non point au sens assuranciel. Et c'est pourquoi nous envisagions différents scénarios pour montrer qu'il y avait matière à clarification. Au demeurant, si le régime vieillesse s'est vu affecter des impôts et taxes, c'est bien pour compenser des exonérations. Ne serait-il pas logique, cependant, de clarifier un peu leur distribution et de faire en sorte, par exemple, que les taxes comportementales aillent plutôt au financement de l'assurance maladie ?
Nous avons, parallèlement, raisonné sur les niches fiscales qui, bien que regroupées, par souci de lisibilité, dans une annexe unique au projet de loi de financement de la sécurité sociale, méritent d'être différenciées selon qu'il s'agit d'exonérations de cotisations pour des motifs liés à l'emploi et à l'insertion ou d'exemptions et d'abattements d'assiette poursuivant d'autres objectifs, de nature sociale - et le fait est que nombre d'entre eux visent à favoriser les politiques sociales d'entreprise comme la participation et l'intéressement, la prévoyance d'entreprise... Ce qui n'est pas sans poser un problème d'égalité dans la mesure où les grandes entreprises, qui ont les épaules assez larges pour développer de telles politiques, bénéficient du même coup davantage de ce type d'abattements.
Les exonérations proprement dites, qui visent l'emploi et l'insertion, appellent une approche différente. On peut les classer en trois catégories. Celles qui visent l'emploi en général appellent une évaluation quant à leur effet sur l'emploi global. En revanche, celles qui visent des publics particuliers, comme les chômeurs de longue durée via des contrats aidés, ne doivent pas être évaluées à la seule aune de l'emploi créé puisqu'elles tendent avant tout, par un mécanisme de discrimination positive, à changer l'ordre de la file d'attente en rendant un avantage différentiel à des publics désavantagés sur le marché du travail. Viennent enfin les exonérations sectorielles, dont la logique, et c'est là où le bât blesse, est à cheval entre les deux. Il s'agit à la fois de créer des emplois et d'avantager certains secteurs d'activité.
Voilà donc, au total, un paysage complexe, qui, outre qu'il n'est pas toujours très lisible pour les acteurs, conduit à se poser la question de l'articulation entre ses composantes. Comment les exonérations générales progressives doivent-elles s'articuler, par exemple, avec les exonérations en faveur des DOM ? Et la création, intervenue depuis, du crédit d'impôt compétitivité-emploi ( Cice), relance cette question de l'articulation, j'y reviendrai. Ajoutons que c'est un paysage mouvant, fait de créations, de modifications, de suppressions. Voyez les exonérations sur les bas salaires : si les évaluations témoignent incontestablement qu'elles ont un effet sur l'emploi, on peut se demander si l'instabilité des dispositifs n'entraîne pas une déperdition.
Notre troisième rapport, enfin, remis en mars 2014, est un point d'étape préalable au pacte de responsabilité, dans la poursuite de nos travaux sur le financement de la protection sociale. Nous nous y posons donc la question des effets potentiels, en fonction de leur ciblage, d'allègements complémentaires. Nous ne disposions, pour traiter ce très vaste sujet, que de deux mois de travail, et avons donc procédé par une série de sept éclairages, dont trois peuvent vous intéresser. Nous avons tout d'abord dressé un nouvel état des lieux, en mettant l'accent sur la question de la compétitivité de l'économie française, de l'influence potentielle du coût du travail, et en marquant les évolutions intervenues dans le financement de la protection sociale. Avec la création du Cice, instrument fiscal s'ajoutant aux exonérations, nous avons été conduits à engager une réflexion à la fois réglementaire, comptable et financière, en vue d'une éventuelle unification entre ce dispositif et les allègements de cotisations sur les salaires.
Il nous est également apparu utile de faire la lumière sur les conclusions des modèles macroéconomiques quant aux effets sur la compétitivité des allègements de cotisations ciblés. Nous avons ainsi mobilisé trois outils, le modèle du Trésor, celui de l'OFCE et celui, sectoriel, de l'équipe Erasme, qui décompose l'analyse par secteurs fins d'activité. Sachant que les deux points de cotisations sociales qui restent uniformes au niveau du Smic représentent 10 milliards, nous avons testé, sur le fondement de ces trois modèles, différentes formes, plus ou moins progressives, d'exonération possibles - uniforme, ciblée sur les salaires moyens et modestes ou sur les seuls bas salaires - associées à plusieurs formes de financement potentiels.
Vous savez que le Gouvernement a finalement renoncé à un rapprochement du Cice et des allègements de cotisations sociales, piste à laquelle les partenaires sociaux n'étaient guère favorables. Nous avions, pour notre part, souligné que les champs d'application des deux dispositifs ne se recouvraient pas - les entreprises à but non lucratif, par exemple, bénéficient d'allègements mais pas du Cice, et inversement pour certaines entreprises publiques et parapubliques. A quoi s'ajoute le fait que pour un même montant, le résultat brut et net n'est pas le même dans l'un et l'autre cas, puisque le Cice est un allègement net de l'impôt sur les bénéfices à acquitter par l'entreprise, tandis que l'exonération vient en déduction des charges de celle-ci. Si bien que pour obtenir des montants équivalents, il faut calculer en termes de retour d'impôt sur les sociétés. Enfin, les exonérations s'appliquent sans délai, au contraire du crédit d'impôt, le décalage pouvant aller, dans le cas du Cice, jusqu'à n+4. En cas de fusion, il aurait fallu réduire ce décalage, au risque d'une année blanche pour les comptes publics. Le problème majeur, surtout, est qu'il ne reste, au niveau du Smic, que deux points de cotisation, bien loin des quatre à six points du Cice. Il aurait donc fallu envisager d'autres techniques, soit en faisant entrer, chose inédite, les régimes à gestion paritaire comme l'Unedic et les régimes complémentaires de retraites dans le système des exonérations, soit en envisageant un mode de gestion plus globalisé par l'Acoss, ce qui supposait bien des aménagements dans ses méthodes de régulation. Le problème de la chronologie restant le plus délicat, puisque le droit à crédit d'impôt que crée le dispositif du Cice peut s'étendre, via un mécanisme d'imputation sur les bénéfices, jusque sur quatre ans.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Merci de cet intéressant exposé. Il n'y a plus à proprement parler compensation, avez-vous dit, mais affectation définitive d'impôts et taxes. Pouvez-vous préciser lesquels ?
Mme Mireille Elbaum. - Ils sont très divers. Depuis les taxes sur les conventions d'assurance ou sur l'industrie pharmaceutique, les droits sur les tabacs et alcools, jusqu'à des fractions de TVA - d'abord ciblées sur les producteurs d'alcool ou de tabac puis devenues fractions de TVA générale.
Dès lors que l'assiette est large et générale, il n'y a pas de problème de dynamisme.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - C'est ce dont je m'inquiétais.
Mme Mireille Elbaum. - En revanche, il est vrai qu'il peut y avoir quelque paradoxe dans l'affectation des taxes comportementales. On ne peut pas vouloir, à la fois, qu'elles infléchissent les comportements et que leur assiette soit dynamique... C'est ce qu'on nous a objecté lorsque nous avons proposé de regrouper les taxes et impôts sur l'assurance maladie, car même si ses dépenses s'infléchissent, les besoins sont appelés à croître avec le vieillissement de la population.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Que des impôts et taxes affectés viennent prendre le relai de la compensation ne témoigne-t-il pas d'un changement subreptice du mode de financement de la protection sociale ?
Mme Mireille Elbaum. - La question de fond est ailleurs. Je vous renvoie au discours récent du Premier ministre. Plutôt que parler d'allègements de cotisations, ne faut-il pas considérer que l'on en vient, aujourd'hui, à un barème de cotisations devenu de fait progressif ? On est au milieu du gué, si bien que les deux lectures restent possibles : soit on considère que l'on est dans un système d'allègements compensés par de l'impôt, soit que l'on est entré dans un barème progressif de cotisations, et que le financement de la protection sociale est assuré à la fois par les cotisations et par l'impôt.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Quid, du même coup, de la gouvernance paritaire ?
Mme Mireille Elbaum. - La question de l'architecture financière et de la gouvernance du système mérite, en effet, d'être approfondie. La gouvernance est paritaire, mais les prélèvements obligatoires liés à l'assurance sociale sont inclus dans la dépense publique au sens européen, sur laquelle c'est le Gouvernement, via le programme de stabilité, qui doit rendre des comptes. C'est un paradoxe. D'un autre côté, il parait difficile de dire que les partenaires sociaux ont voix au chapitre quand il s'agit de cotisations mais pas quand il s'agit d'impôts et taxes. Dans nos démocraties, les partenaires sociaux sont associés à la réflexion sur les politiques sociales.
M. Charles Guené, président. - Que la ressource soit déconnectée de la masse salariale ne vous paraît pas, si je comprends bien, un problème majeur ?
Mme Mireille Elbaum. - La question a pu se poser un temps, lorsque de petits impôts ad hoc, sur le dynamisme desquels on pouvait s'interroger, ont été affectés à la branche famille. Mais dès lors qu'on en vient à des impôts généraux comme la CSG ou la TVA, la question du dynamisme ne se pose plus.
M. Charles Guené, président. - Cela ne remet pas en cause, pour vous, le système paritaire ?
Mme Mireille Elbaum. - C'est une question qu'il ne me revient pas de trancher. Elle relève du politique.
M. Charles Guené, président. - Mais elle n'agit pas, pour vous, sur l'économie du système ?
Mme Mireille Elbaum. - La répartition des responsabilités se fait autrement dans d'autres pays, comme en Belgique ou dans les pays scandinaves, où le dialogue a lieu au niveau des enjeux macroéconomiques. Dans le système français, on n'a associé les partenaires sociaux à la gestion que pour autant qu'il y avait des cotisations ; on peut se demander s'il est toujours fondé de s'en tenir à ce seul schéma. Pour moi, il n'y a pas d'automatisme en la matière, c'est une question de choix politique. Cela dit, les partenaires sociaux considèrent que l'on ne doit pas perdre de vue que les cotisations sont en partie du salaire différé, notamment dans le cadre du système de retraite. Mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la même question. La solidarité, dans notre système, passe à la fois par des mécanismes horizontaux de salaire différé dans le temps et par des mécanismes de redistribution instantanée.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Y a-t-il consensus, sur ces questions, au sein du Haut conseil, sachant qu'il réunit toutes les sensibilités ?
Mme Mireille Elbaum. - Nous n'avons pas abordé la question de la gouvernance comme telle. Même si nous avons, dans notre état des lieux, souligné quelques paradoxes. Dans le cas de l'assurance chômage, quand les partenaires sociaux prennent une décision d'extension ou de réduction de la durée de cotisation, cela a des répercussions en chaîne. Sur le RSA, par exemple, donc les départements.
Le Haut conseil, cela dit, n'a pas recherché une expression par voie de consensus ; le sujet, ainsi que vous le soulignez, est trop identitaire, il touche à la conception qu'a chacun de la protection sociale : il n'emporte pas consensus. Nous avons préféré procéder à des analyses générales, dérouler des scénarios, soulever les contradictions nées de la sédimentation de politiques successives. Nous nous contentons de présenter des scénarios potentiellement contrastés, qui présentent des avantages et des inconvénients. On peut certes nous reprocher de n'être pas très conclusifs, mais le dialogue entre les partenaires sociaux est à ce prix. Sur la question des allègements, il n'y a pas de consensus possible, mais tous ont accepté que l'on modélise plusieurs scénarios, étant entendu qu'en fin de rapport, une place est réservée à l'expression des positions de chacun. Il s'agit d'apporter des éclairages aux décideurs et de retracer les positions des partenaires sociaux.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Si je comprends bien, le Haut conseil est chargé de mettre à disposition des outils partagés pour une analyse du financement de la protection sociale qui en a jusqu'à présent manqué...
Mme Mireille Elbaum. - Nous avons beaucoup progressé sur la mise à disposition des données statistiques. Avec la modélisation économique, nous avons franchi un pas supplémentaire en allant chercher des outils qui restaient cantonnés dans la sphère du ministère de l'économie et des finances. Y compris en montrant que le meilleur outil du monde ne peut donner que ce qu'il a : il reste fondé sur des hypothèses qui influent sur le résultat. En revanche, voyant que les positions qui s'exprimaient quant à la différence entre assurance et solidarité ne collaient pas avec les comparaisons internationales et les résultats de la recherche, nous avons voulu aller un peu plus loin en organisant un séminaire avec les acteurs sociaux pour leur donner des éléments sur des travaux récents qu'ils ne connaissent pas toujours.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - J'avais prévu de vous demander votre sentiment sur l'idée ancienne d'une intégration des allègements dans le barème des cotisations, et s'il fallait, à votre sens, les flécher sur un risque : vous avez répondu dans votre propos liminaire, de même que sur la fonction redistributive que pourrait assurer la progressivité.
Vous avez évoqué la question du ciblage qui est, pour nous, une question clé. Je ne pense pas tant au ciblage sur les bas salaires qu'au ciblage sectoriel : on sait que dans un certain nombre de cas, l'argent ne va pas aux objectifs.
Pouvez-vous, enfin, nous en dire plus sur les trois modèles macroéconomiques à partir desquels vous avez travaillé ?
Mme Mireille Elbaum. - Encore une fois, le Haut conseil n'est pas mandaté pour trancher. Il n'est pas une enceinte de négociation. Sur la question du passage au barème, nous nous sommes bornés à un constat : il y a eu des évolutions mais nous sommes au milieu du gué. Ce que nous pouvons faire, c'est donner un éclairage technique sur les évolutions à venir selon que l'on considère ou non que l'on passe au barème.
Pour ce qui concerne la fonction redistributive, nous avons fait un important travail sur l'ensemble du système de protection sociale. Dans les comptes de la protection sociale, on trouve des prestations en nature et des prélèvements. Ce sont avant tout les prestations qui jouent un rôle redistributif, en particulier quand elles sont forfaitaires, comme les allocations familiales ou les remboursements maladie. Du côté des prélèvements, qui financent la protection sociale, nous avons pointé un paradoxe : il y a plus de progressivité dans les cotisations employeur, du fait des allègements, que dans les prélèvements supportés par les salariés, qui comptent aussi la CSG, très légèrement progressive. Il est au demeurant logique, dans un système de redistribution, que celle-ci soit assurée par des prestations dont le financement est assis sur un spectre de prélèvement assez large et général. Nous avons cependant recherché s'il existait des moyens d'accroître la progressivité des prélèvements à la charge des assurés. L'idée qui vient naturellement à l'esprit est de rendre la CSG progressive, mais la jurisprudence constitutionnelle rend la chose peu praticable, au point que dans la dernière version du pacte de responsabilité, le Gouvernement se propose plutôt de passer par les cotisations sociales. Il est vrai que la CSG se classant sous le registre des impositions de toutes natures, elle eût été la voie la plus logique vers la progressivité, mais la jurisprudence constitutionnelle imposant que soient prises en compte les ressources du ménage, cela supposait que l'entreprise, qui précompte la CSG, soit informée de la situation financière des ménages, avec toutes les difficultés que cela soulève.
J'en viens à la question du ciblage. Si l'on cherche un effet sur l'emploi, il est clair que les allègements sur les bas salaires ont un effet plus important. Au regard d'un scénario d'allègements uniformes, la fourchette, dans un scénario concentré sur les bas salaires, est de 30 000 à 80 000 emplois supplémentaires - la modélisation du Trésor donnant un différentiel plus important que le modèle Némesis de l'équipe Erasme. Mais, dans le même temps, on constate que les allègements généraux sur les bas salaires bénéficient davantage à certains secteurs, comme l'hôtellerie, les moins exposés à la concurrence internationale. Si l'on vise un effet compétitivité, au bénéfice du secteur industriel, plus exposé, en vue d'une répercussion sur les prix, l'exportation, les parts de marché, et in fine l'emploi, alors, cela suppose des exonérations moins concentrées sur les bas salaires, qui profitent davantage à l'industrie mais créent, pour la même somme, moins d'emplois directs. Il y a débat, le problème tenant au fait qu'on se sert d'un même outil pour servir deux objectifs qui ne sont que partiellement convergents.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - C'est le paradoxe.
Mme Mireille Elbaum. - L'Acoss a produit un tableau des effets à attendre, par taille d'entreprise et par secteur, selon les différents scénarios que j'ai mentionnés. Aux pouvoirs publics de décider des objectifs prioritaires.
Mme Michelle Demessine, rapporteure. - Il me reste à vous remercier de ces éclairages.
La réunion est levée à 18 h 40.