Mercredi 19 février 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président,
et de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Politique étrangère et de défense - Audition de M. Arnaud Danjean, président de la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement européen

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Vous présidez la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen. À ce titre, vous êtes en relation étroite avec les institutions européennes mais aussi avec vos collègues parlementaires des autres pays membres. Vous jouissez donc d'une position importante d'observateur, capable d'influence sur la détermination de la politique européenne de sécurité et de défense.

Nous souhaitons, avec nos éminents collègues de la commission des affaires européennes ici présents, connaître votre appréciation sur les résultats du Conseil européen de décembre dernier, consacré en grande partie à ces questions, et notamment sur ses conclusions en matière d'opérations, de capacités et d'industries de défense. Comment ces conclusions ont-elles été reçues au sein du Parlement européen ? Je participais hier au colloque qui s'est tenu à Paris sur les industries de défense européennes, et ne me suis pas privé de dire à d'éminents élus européens que c'était bien d'applaudir la France lorsqu'elle s'engage dans une opération de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme, mais que ce serait mieux de venir l'appuyer plutôt que de se faufiler derrière elle pour faire du commerce... L'esprit européen ne souffle pas pareillement en tout lieu.

La position de nos partenaires européens est souvent peu comprise et parfois critiquée s'agissant de la nature et du niveau du soutien apporté aux opérations extérieures conduites par la France au Mali et en R.C.A. Nous aurons l'occasion d'en parler en séance publique la semaine prochaine et d'adresser un message à la France et à l'opinion européenne. Nous avons l'impression que les gouvernements, et plus encore peut-être les opinions publiques, sont très réticents à accepter un engagement de soldats sur le terrain. Nous percevons néanmoins depuis quelques semaines une évolution, avec la constitution d'une force européenne pour la R.C.A. On nous dit qu'un millier d'hommes seront envoyés sur le terrain, mais on a encore un peu de mal à percevoir de quelle manière et à quel délai. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Comment impliquer davantage nos partenaires et les convaincre de participer de façon plus concrète ?

M. Simon Sutour, président. - Je voudrais à mon tour souhaiter la bienvenue à Arnaud Danjean, et suis heureux que cette audition soit l'occasion de poursuivre l'action commune de nos deux commissions, qui ont entendu ensemble, il y a quelques semaines, M. Vénizélos, venu nous présenter les priorités de la présidence grecque. Je devrai malheureusement quitter cette réunion avant son terme, car le président du Sénat m'a demandé d'être avec lui pour recevoir Catherine Lalumière et Georges Garot au titre des Maisons de l'Europe. Je m'en tiendrai donc au seul sujet de la coopération entre les parlements pour le suivi des questions de défense. Une conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) s'est mise en place, non sans mal. Pour le Parlement européen, cette conférence est-elle utile, répond-elle au besoin d'un dialogue entre les parlements en matière de politique étrangère et de défense ? La coopération interparlementaire sur ces sujets est-elle suffisante ?

M. Arnaud Danjean. - Je vous remercie de votre invitation, qui témoigne de votre intérêt pour les travaux du Parlement européen. Sur la question de la Défense, cependant, qui reste presque exclusivement intergouvernementale, ces travaux demeurent, il faut en être conscient, modestes.

Le Parlement européen n'en est pas moins en position d'influer sur certains aspects de la PESC, trop souvent négligés par les parlements nationaux, comme les missions civiles de la PSDC - la grande majorité des missions européennes - financées par le budget de la PESC, voté par le Parlement européen. Cela nous donne une légitimité. Pour autant, je suis lucide, et respectueux des souverainetés : ce sont les parlements nationaux qui votent les budgets de la Défense, qui reste un domaine régalien.

Le compromis passé, non sans mal, avec la conférence interparlementaire, procède d'une double logique : trouver un nouvel espace de dialogue après la disparition de l'UEO et mettre en oeuvre les dispositions du traité de Lisbonne. Avec des quotas de représentation qui ménagent tout le monde, des réunions semestrielles dans les pays de la présidence tournante, où s'exprime la Haute représentante pour la PESC, cette configuration est satisfaisante. Mais il serait bon, à mon sens, de mettre davantage de substance dans notre agenda, en le rapprochant de l'actualité. Nous passons trop de temps sur des questions procédurales qui n'intéressent guère l'opinion publique, et peinons parfois à nous détacher des priorités affichées par les pays hôtes. C'est ainsi que les Lituaniens, lors de la conférence de Vilnius, avaient mis à l'ordre du jour la question de la sécurité énergétique et des relations avec la Russie, alors qu'il en était de plus brûlantes, comme la Syrie. Lors de la prochaine conférence, en Grèce, il serait important que l'on traite des opérations en Afrique. L'UEO a pu être critiquée, notamment pour son manque de représentativité, mais ses rapports étaient, à mon sens, excellents. Nous ferions bien, à l'avenir, de nous inspirer de ses méthodes.

J'en viens au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de décembre dernier. La sous-commission que je préside en a débattu en amont, et a publié un rapport. Après le sommet, nous avons conduit des auditions avec la Commission européenne, l'Agence européenne de défense, le comité militaire, Mme Ashton, M. Vénizelos. Je m'exprimerai cependant à titre personnel. Le Parlement est plutôt déçu des résultats du sommet. De telles réunions, qui n'ont lieu que tous les cinq ans, on attend davantage. Or, ces sommets manquent souvent d'une dimension politique qui nous ferait progresser sur des questions qui se posent à chaque crise internationale comme celle des capacités opérationnelles ou du financement.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Auxquelles il serait bon de sensibiliser les opinions publiques.

M. Arnaud Danjean. - C'est pourquoi il est utile que les chefs d'Etat et de gouvernement s'approprient véritablement ces questions. Or, les résultats restent souvent virtuels. On a ainsi abouti à une feuille de route, avec une clause de revoyure à juin 2015 ; on a donné mandat à l'Agence européenne de défense, qui peut faire progresser nos politiques de défense, mais sur des questions très techniques, comme la certification ou la normalisation, importantes pour les industriels, mais peu parlantes pour l'opinion publique, que l'on peine du même coup à faire évoluer sur les opérations au Mali ou en Centrafrique. Et sur certains dossiers, comme celui des drones, on a pris bien du retard : alors que les industriels ont fini par se mettre d'accord, nous ne sommes pas prêts à démarrer un programme. Même chose pour les communications satellitaires. Autant de questions qui ne s'adressent qu'à la petite communauté des experts de défense. Il nous manque ce que les anglo-saxons appelle un « narrative », un propos qui soit parlant pour l'opinion publique.

J'ajoute que sur des points importants, nous n'avons pas obtenu réponse. Je pense au financement des opérations par le mécanisme Athéna. L'opiniâtreté dont a fait preuve le Président de la République nous permettra peut-être d'avancer sur le financement commun, même si certaines maladresses, sur lesquelles je reviendrai, n'ont pas fait progresser notre cause.

Autre question, celle des exemptions fiscales sur les achats communs, possibles dans le cadre de l'OTAN mais pas dans celui de l'Europe, ce qui pèse lourdement sur nos choix capacitaires. Certains Etats membres favorisent ainsi l'achat sur étagères américain.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Mais nous avons aussi besoin de recettes fiscales...

M. Arnaud Danjean. - C'est l'argument qu'oppose Mme Merkel... Cette question a une incidence fondamentale non seulement sur nos capacités, mais du même coup, sur nos industries, et pourtant, on n'avance pas.

Sur la question du financement commun, le Président de la République a choisi un angle particulier, celui des opérations en République centrafricaine (R.C.A.) - ce qui pouvait se comprendre dans le contexte du mois de décembre - mais en retenant une présentation un peu surprenante des besoins. Ce n'est pas parce qu'on mettra trois soldats polonais dans l'opération qu'elle deviendra une opération européenne. La procédure retenue par le mécanisme Athéna est très lourde, et n'intègre cependant pas les coûts de transport stratégique, mais seulement les coûts communs. Et le choix de cet angle, celui de la R.C.A., a braqué certains collègues, qui peinent à y voir autre chose qu'un enjeu traditionnel franco-africain.

Au lieu d'arguer que puisque les Français s'engagent sur le terrain, les autres devraient prendre en charge une partie des coûts, il conviendrait, à mon sens, d'envisager le financement commun comme une façon d'aider les petits pays qui voudraient participer mais ne le peuvent pas. Voyez le Portugal, qui participerait volontiers à certaines opérations en Afrique, mais ne peut, pour des raisons financières, déployer de troupes à l'extérieur. C'est cela qu'il faut mettre en avant : le financement commun inciterait certains pays à participer.

La PSDC est jeune, elle mérite l'indulgence. Lancée en 1999, elle marque le pas, paradoxalement, depuis le traité de Lisbonne qui pourtant la consacre et lui donne, institutionnellement, les moyens de mieux fonctionner : coopérations renforcées, à quoi s'ajoute une possibilité de coopération structurée permanente, service d'action extérieure qui se met en place... Mais nous n'utilisons pas les outils de cette politique commune parce qu'elle dépend des Etats membres dont certains restent très réticents. Certes, les lignes bougent un peu, en Pologne, en Allemagne, mais on reste loin du compte.

Après avoir beaucoup avancé en dix ans, on marque le pas. Libye, Mali, R.C.A., autant d'occasions manquées. L'hostilité des Britanniques, qui jouent l'obstruction, n'a fait que croître, pour des raisons de politique intérieure. James Cameron a manqué de ce pragmatisme que l'on reconnaît pourtant aux Anglais. Clamer, comme il l'a fait, qu'il ne rentrerait pas à Londres en ayant contribué à une armée européenne, c'était adopter une posture digne des tabloïds. Cela est choquant.

Bien des pays, ensuite, ont d'autres priorités, économiques et financières. Et les opinions publiques ne sont guère sensibilisées à la menace, qui leur paraît lointaine, ou considèrent que le parapluie américain est si solide qu'il suffit à la conjurer. Cet état d'esprit s'est renforcé, alors même que trois facteurs plaident pour une action commune : les contraintes budgétaires, l'aggravation des menaces dans notre environnement proche, avec la multiplication des crises en Afrique, et les évolutions de la stratégie de défense américaine, qui, sans aller jusqu'à parler de désengagement...

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - ... opère un glissement, disons.

M. Arnaud Danjean. - C'est la première fois que les Américains disent à l'Europe : que vous fassiez vite et mieux ne nous dérange pas et même, nous profitera. Ils ne veulent plus s'impliquer, on l'a vu avec les crises récentes en Afrique, avec la même intensité. Les Britanniques n'ont pas pris la pleine mesure de cette nouvelle donne. Ils continuent se voir toujours et partout comme le partenaire privilégié. Pourtant, en Afrique, les Américains considèrent que leur partenaire privilégié, c'est la France. Et la crise syrienne a bien montré les difficultés qui traversent le couple américano-britannique.

Nous ne tirons pas toutes les conséquences de ces facteurs stratégiques. Le dernier sommet a dressé un constat lucide, mais sans le pousser au bout. Le travail de conviction sera lent et difficile. Il est néanmoins des avancées positives - comme l'évolution de la doctrine polonaise, qui devra cependant se traduire dans les faits. Nous verrons si le vaste programme de modernisation des forces armées polonaises profite aussi à l'Europe, et pas seulement aux industries américaines. En Allemagne, le discours des ministres de la défense et des affaires étrangères est encourageant, on l'a vu à la conférence de la sécurité de Munich, et la chancelière a endossé pour partie ce qui fut dit sur le Mali - brigade franco-allemande, contribution allemande accrue. Cela dénote-t-il une évolution de fond ? On peut penser que c'est le cas, mais je mets en garde contre l'excès d'optimisme, car les contraintes constitutionnelles demeurent.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Qui n'aident guère à la réactivité de l'Allemagne.

M. Arnaud Danjean. - La France reste le seul pays dont le processus décisionnel soit si réactif. Même les Britanniques doivent organiser une consultation du Parlement. C'est d'ailleurs ce qu'ils ont mis en avant pour ralentir les travaux préparatoires relatifs à une opération européenne en R.C.A.

Comment avancer néanmoins, en dépit de ce constat en demi-teinte ? Sur le plan institutionnel, je l'ai dit, nous disposons des outils. Mais le choix des hommes comptera beaucoup. Le renouvellement à venir dans les instances européennes sera un indicateur : on verra si la collectivité européenne veut progresser. C'est un rendez-vous au moins aussi important que le sommet de décembre dernier.

La France peste beaucoup contre le manque d'ambition de la politique européenne de défense, mais lors du renouvellement de 2009-2010, elle n'a pas fait grand chose. Le Ashton bashing est une posture facile. Je suis le premier à interpeller Mme Ashton quand je l'estime nécessaire, et il est vrai que je suis souvent déçu, mais je n'oublie pas que ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement qui l'ont mise en place.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Et pas par hasard...

M. Arnaud Danjean. - Sur les questions opérationnelles, c'est l'autocensure qui prévaut. Je l'ai constaté sur la question libyenne, tant de la part des cellules opérationnelles que de Mme Ashton : à quoi bon travailler sur des options qui seront repoussées ? Tel est le raisonnement qui prévaut.

M. Jeanny Lorgeoux. - Autant dire que Mme Ashton remplit parfaitement son mandat...britannique.

M. Arnaud Danjean. - Les blocages étaient moins forts avec Javier Solana, qui avait ses réseaux, mais aussi parce qu'on recherchait moins ce que l'on appelle à Bruxelles l'inclusivité, avec cette idée qu'il faut s'efforcer à tout prix de tout faire à vingt-huit. Je rejoins les conclusions de votre excellent rapport, à l'intitulé provocateur, Pour en finir avec l'Europe de la défense - Vers une défense européenne : flexibilité, souplesse sont les maîtres mots pour guider notre action. Comme on l'a fait pour la politique monétaire et d'autres politiques, nous devons pouvoir engager des coopérations renforcées et, pour rassurer ceux qui craindraient d'être laissés au bord du chemin, envisager des coalitions à géométrie variable, selon le thème et le lieu. Certains pays, sur l'Afrique, pourraient choisir l'opt out. Sur la cybersécurité, ce ne sont pas toujours les grands pays qui font le plus. Les Estoniens, à ce titre, pourraient avoir toute leur place sur ces questions.

Sans une telle flexibilité, nous ne progresserons pas, au risque de la démotivation. J'attire l'attention sur le fait que le moral de ceux qui travaillent dans les cellules de conduite d'opération est bien bas ; les occasions manquées pèsent, et l'on peine à recruter les bons éléments. J'ai vu des commandants d'opérations partis pleins d'enthousiasme revenir déçu par un fonctionnement bureaucratique et l'attitude de certains États membres qui ne jouent pas le jeu et ne valorisent guère, dans les parcours professionnels, de telles affectations.

La France est réticente à engager ses gendarmes dans les missions civiles, au motif que l'on a besoin d'eux en France. Soit, mais il ne s'agit pas d'envoyer des effectifs en masse. En Géorgie, une demi-douzaine de bons professionnels peut faire la différence. Or, sur un effectif de 250 personnes, il n'y a pas un seul Français.

Sur le plan industriel, deux visions coexistent, qu'il n'est pas simple de concilier. La vision allemande, qui voit dans l'industrie de défense une industrie comme les autres, et jugeant que c'est au marché de réguler, milite pour un interventionnisme a minima, et la vision française, plus volontaire, mais parfois trop prompte à entrer dans le détail du mécano industriel.

Les industriels disent qu'ils sauront s'organiser, mais encore faut-il que les programmes soient lancés. De fait, sur les drones, Airbus, Finmecanica et Dassault ont fini par formuler une proposition commune.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - On les a un peu aidés...

M. Arnaud Danjean. - Un coup de pouce ne fait jamais de mal, mais ce qui manque, c'est la définition de programmes européens. Pas besoin de les lancer à vingt-huit. Les exemples passés montrent que l'on peut avancer autrement.

Les échéances à venir sont importantes, avec le renouvellement des postes européens mais aussi à l'Otan, qui tiendra son sommet en septembre au pays de Galles. Si par une mauvaise conjonction, on se retrouve avec un Haut-représentant médiocre et un représentant à l'Otan auquel manquerait la fibre européenne, ç'en sera fini de l'Europe de la défense. Pour que la coopération soit efficace entre ces instances, il faut qu'elles travaillent en bonne intelligence. Si l'on s'en tient à une vision civile de l'Europe de la défense, qui est celle des Britanniques, on tuera toute ambition. Or, il est indispensable que l'Europe reste ambitieuse en matière de défense.

On peut craindre que notre insistance sur la R.C.A. ne froisse les bonnes dispositions qui se manifestaient après l'intervention au Mali. La nature des opérations y est si différente que quand nos partenaires percevaient au Mali un véritable enjeu - la menace d'un vaste réseau terroriste aux portes de l'Europe - ils ne voient, dans Sangaris, qu'une opération d'interposition, plus difficile à faire endosser par l'Europe : l'est du Congo, le Sud Soudan, le nord du Nigeria, la Somalie vivent des drames humanitaires qui méritent tout autant la compassion, sans que l'Europe intervienne pour autant de façon si directe... Si bien que notre insistance à vouloir européaniser l'opération, même si nos raisons sont valides, pourrait finir par aller à l'encontre de nos intérêts. Cela étant, le mouvement s'embraye. Il est question d'une génération de forces beaucoup plus ambitieuse qu'au départ. Nous partions sur la base de 500 hommes dont la moitié fournis par la France, on montera, peut-être, à 8 000 hommes, avec une large composante française dans le commandement. Les engagements pris à Bruxelles, cependant, ne sont pas encore consolidés. Certains États membres doivent engager un processus parlementaire. En Belgique, le ministre de la Défense est très allant, mais sa coalition l'est beaucoup moins, mêmes tiraillements en Suède. Quant à faire appel à des pays tiers, comme la Géorgie, ce n'est guère dans les clous de la PSDC. Pourtant, l'opération en R.C.A., comme en Bosnie-Herzégovine, dépendra beaucoup des contributions des États tiers. Ce n'est pas très satisfaisant, alors que les grands États européens rechignent à s'impliquer. Les Britanniques font de l'obstruction, les Allemands n'envisagent de participer que pour la logistique. Nous sommes loin du compte.

Nous amènerons progressivement les Européens à s'intéresser au Sahel, mais pour le reste de l'Afrique, je reste perplexe. Veillons à ne pas froisser nos partenaires en leur reprochant de ne pas s'engager. N'oublions pas que les Néerlandais mettent 400 hommes et des hélicoptères de combat au service l'ONU, à laquelle nous entendons passer le relai. N'oublions pas non plus que beaucoup d'États membres sont encore présents en Afghanistan.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous n'avons pas la même vision sur l'opération en R.C.A. Si je partage vos craintes, j'estime qu'une grande démocratie comme la France ne pouvait pas rester sourde à l'appel au secours qui lui a été lancé. Certes, l'opération au Mali était plus facile à faire avaliser, mais qu'aurait-on dit si la France n'était pas intervenue en R.C.A. alors que l'on déplorait mille morts dans les 48 heures précédentes ? Cependant, ce n'est pas aux militaires français de jouer le rôle de force d'interposition. Il faut obtenir de l'ONU une substitution rapide, dès septembre 2014. Et c'est une gageure. La pénétrante ouest-est en Centrafrique n'est pas complètement sécurisée. Or, on ne peut pas se permettre de déficience dans le ravitaillement. C'est pourquoi nous souhaitons que le contingent européen soit mobilisé, étant entendu qu'il faudra être vigilant à la manière dont il sera utilisé sur le terrain, pour ne pas casser la mécanique positive qui est en marche sur ces questions.

Pour l'Europe de la défense, nous avons, en matière industrielle, des modèles de partage et de mutualisation des capacités - pour le transport aérien tactique, par exemple. Aussi quand on voit que sept programmes de frégates, que dix-sept programmes de blindés existent dans les pays européens, on se dit qu'on marche sur la tête. Pour l'Agence européenne de défense, une mutualisation sur ces seuls aspects représenterait, sur dix ans, 1,8 milliard d'économies sur le spatial militaire, 5,5 milliards sur les véhicules blindés, 2,3 milliards sur les frégates. Il y a matière à agir. Si l'on en reste au « chacun pour soi », on n'avancera pas.

Le modèle gaulliste de la prise de décision a ses vertus, il assure une vraie réactivité, avec un contrôle du Parlement ex post. Mais il n'admet, du même coup, aucun partage de souveraineté. Or, sans partage de la décision au niveau européen, il n'y aura pas d'Europe de la défense, laquelle préfigure, à mon sens, ce que pourrait être une Europe politique.

Mme Josette Durrieu. - Le constat ne peut être que sombre. Il est invraisemblable qu'on ait supprimé l'UEO, où les parlementaires nationaux se rencontraient.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Mais on considérait que l'on n'avait pas le temps de siéger ici et là-bas...

Mme Josette Durrieu. - Ou que l'on était de trop dans le débat...Je vous remercie d'avoir rappelé l'excellence des rapports de l'UEO. J'étais à Chypre lorsqu'a été mise en place la commission interparlementaire qu'on lui a substituée. La façon dont tout cela a été défini et verrouillé à Varsovie est proprement scandaleuse.

M. Alain Gournac. - Je confirme, j'y étais !

Mme Josette Durrieu. - Pas d'ordre du jour, pas de continuité entre les sessions, pas de conclusions ; des comptes-rendus édulcorés ; pas de recommandations au conseil des ministres ; sans parler du discours lénifiant de Mme Ashton. Les parlementaires que nous sommes ne devraient pas l'accepter, car si la politique ne reprend pas ses droits, nous allons dans le mur.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Tout cela ne se télescope-t-il pas avec l'objectif de restaurer les pouvoirs du Parlement européen ?

Mme Josette Durrieu. - Le débat sur les problèmes de sécurité y a-t-il lieu ? La menace en Afrique est réelle, on ne peut pas la passer par pertes et profits. C'est une région stratégique pour le XXIème siècle.

Vous nous dites que les Américains se désintéressent pour la première fois de la Défense en Europe. Ce n'est pas neuf. Au Pentagone, il y a belle lurette que l'on considère que l'Europe est une affaire européenne. Et l'Ukraine, où l'on déplore encore vingt-cinq morts cette nuit, c'est l'affaire de qui ?

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Pour vous ?

Mme Josette Durrieu. - De l'Europe. Mais certains pays ne veulent entendre parler que de l'Otan. Les pays baltes notamment.

L'Europe de la Défense se fera dans des projets, liés à des événements. Vous avez parlé de lucidité ? La politique doit reprendre ses droits. N'attendez rien de structures que l'on vous impose. A nous de faire valoir notre vision politique des choses. La technique suit toujours ; or, on en parle trop, y compris dans notre commission.

M. Michel Boutant. - Ne craignez-vous pas qu'à donner le choix aux États membres, en cas d'opération extérieure, d'envoyer des troupes et du matériel ou de financer, on ne fabrique des pays mercenaires, fournissant les troupes, qui seront financés par d'autres, à l'image de ce qu'il est advenu de la conscription par tirage au sort au XIXème siècle, où ceux qui en avaient les moyens rachetaient leur billet aux malheureux qui avaient tiré un bon numéro ?

M. André Vallini. - Vous avez cité le rapport qu'avec Daniel Reiner, Xavier Pintat et Jacques Gautier nous avons publié. Vous auriez pu le signer avec nous, tant ce que vous avez dit rejoint nos préoccupations. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Pivotement des Etats-Unis vers la zone Asie-Pacifique, apparition de menaces nouvelles sont autant d'éléments qui militent en faveur d'une Europe de la défense. Or, on n'avance pas ; le sommet de décembre fut, pour nous aussi, une grande déception. Les chefs d'État sont en retard sur leurs peuples. Il en va de même que sur les questions locales, où les citoyens se révèlent en avance sur les élus - je pense à l'intercommunalité, aux fusions de communes... Pourquoi ne pas saisir l'occasion des élections européennes pour monter un projet transpartisan ? L'UMPS ? Oui, pour l'Europe de la défense. Avec l'Italie, l'Espagne, la Pologne, qui témoignent d'une volonté plus forte qu'ailleurs, nous pourrions réunir des députés de droite et de gauche prêts à prendre l'opinion à témoin. Les citoyens n'ignorent pas les contraintes budgétaires. Ils sont prêts à comprendre qu'une mise en commun coûterait moins cher et nous rendrait des marges de manoeuvre.

M. Arnaud Danjean. - La conférence interparlementaire de Chypre ne fut pas très heureuse, en effet. Celle de Vilnius était plus intéressante et plus structurée, même si ses conclusions sont restées décevantes. Le discours qui nous a été servi à Chypre est révélateur de l'intériorisation, par un certain nombre de dirigeants, dont Mme Ashton, de l'idée que l'Union européenne n'est là que pour le soft, l'humanitaire, le développement.

Nous sommes peu nombreux, au Parlement européen, à nous intéresser aux questions de défense. Dans ma sous-commission, je peux compter sur une douzaine de membres très solides. S'il en est de même dans les parlements nationaux, c'est un noyau dur sur lequel on peut s'appuyer.

Ce n'est pas d'hier que les États-Unis se détournent de l'Europe, dites-vous ? Je me souviens pourtant que l'administration Clinton torpillait systématiquement nos efforts. Hubert Vedrine, parlant de « l'hyperpuissance américaine » ne disait pas autre chose. Les Américains voulaient alors que tout se passe sous l'étendard de l'Otan. Et Mme Allbright avait eu des mots très durs pour fustiger l'initiative de Saint-Malo.

Il est vrai cependant qu'au sein de l'administration américaine, au Pentagone, au Département d'État, on trouve des gens convaincus depuis longtemps. Mais les positions de Robert Gates qui, en 2011, déclarait que l'Europe devait mieux se prendre en charge, étaient loin d'être alors communes aux dirigeants américains. Il y a aujourd'hui une inflexion nouvelle, saisissons l'opportunité.

Il est vrai que les pays d'Europe centrale et orientale demeurent atlantistes. Mais la Pologne, qui donne le la dans la région, a amorcé un virage européen - fût-ce par déception à l'encontre de la politique d'Obama.

Mme Josette Durrieu. - On n'a guère senti d'élan à Chypre.

M. Arnaud Danjean. - Voyez cependant les positions sur la R.C.A. Si les Lituaniens sont réticents, les Estoniens souhaitent participer. Encore une fois, c'est la Pologne qui donne le la. Le polonais Sikorski serait candidat à l'Otan ; d'ADN purement atlantiste, il n'en a pas moins compris qu'il a besoin d'avoir la carte européenne dans sa manche. Il y a peut-être là un peu d'opportunisme, mais c'est tout de même un signe que la réflexion avance. Y compris outre-Rhin, où le lien avec l'Otan a pourtant toujours été primordial. M. de Maizières, ministre de la Défense en son temps, ne voulait pas entendre parler d'Europe de la Défense. Avec la coalition, la donne politique a changé, même si la haute hiérarchie militaire reste atlantiste.

Sur l'Ukraine, je ne vais pas reprendre le mot qu'avait eu en 1981 Claude Cheysson évoquant la situation en Pologne, mais enfin, il faut reconnaître que l'Europe est divisée.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - L'Ukraine aussi est divisée...

M. Arnaud Danjean. - C'est une erreur, à mon sens, que de n'avoir aucune considération pour ce qui se passe dans les pays du partenariat oriental. Nous avons tout délégué à nos partenaires de l'est de l'Europe. Notre seule préoccupation quand passe un texte sur l'Ukraine, c'est de vérifier qu'on n'y a pas mis le terme d'« intégration ».

M. Jeanny Lorgeoux. - C'est la flexibilité décentralisée, en somme...

M. Arnaud Danjean. - Loin de moi l'idée qu'il faudrait promettre l'adhésion, mais j'estime que l'on s'intéresse un peu tard à ces pays. Les représentants de l'est, et beaucoup de nos collègues d'Europe centrale sont allés beaucoup trop loin, jusqu'à pousser vers l'adhésion. C'est irresponsable.

Ce qui se passe en Ukraine, c'est moins une lutte entre les pro et les anti européens que le rejet d'un régime corrompu, ploutocratique. D'anciens dirigeants de l'Ukraine, comme les présidents Kouchma ou Kravtchouk, que l'on ne peut soupçonner de sympathies pro-européennes, appellent au retour à la Constitution de 2004. Là est le vrai problème, ne nous y trompons pas : l'Ukraine régresse tant économiquement qu'au plan géopolitique, parce qu'elle se sent contrainte dans sa relation avec la Russie. L'Europe doit pouvoir l'aider. Lors de la conférence de Munich, j'ai assisté aux discussions. Le régime est obtus et sourd. Le président Ianoukovitch joue le pourrissement. Il existe pourtant une voie de sortie, la révision constitutionnelle. Les leaders de l'opposition, Iatseniouk et Klitschko, sont des personnalités pondérées, c'est d'ailleurs ce que la rue leur reproche. Si Ianoukovitch joue la seule carte de la répression, cela se passera mal.

La question n'est pas non plus de la fracture entre russophones et non-russophones. Il y a des manifestations anti régime, y compris à l'est.

Que peut faire l'Europe ? Elle doit sortir du piège qui consiste à proposer l'association. Là n'est pas le sujet de fond. L'Ukraine a besoin d'une réforme, et d'être accompagnée, si cela peut aider. Si je suis sévère à l'égard de M. Füle, le commissaire à l'élargissement, c'est qu'il gère beaucoup trop bureaucratiquement ce qui est un vrai sujet de politique étrangère. Au reste, je ne suis pas sûr que l'élargissement et les politiques de voisinage, dossiers éminemment politiques, doivent être confiés à un commissariat, au risque de le voir se focaliser sur les seuls aspects mécaniques.

Croire que l'on peut traiter en tête à tête avec l'Ukraine, en proposant des médiations européennes, c'est faire bon marché du voisin russe, qui pèse de tout son poids financier et sécuritaire. Le SBU, service de sécurité ukrainien, est une annexe du KGB, qui tire les ficelles d'une grande partie de la classe dirigeante ukrainienne.

Il faut savoir alterner la carotte et le bâton. Nous avons été trop mous vis à vis du régime. L'Union européenne, ce n'est pas seulement Bruxelles, c'est nous tous. Les diplomaties britannique, allemande, et française doivent travailler de concert. Or, pour un nombre croissant de pays de notre étranger proche, la capitale qui compte, c'est Berlin.

M. Alain Gournac. - On l'a vu pas plus tard qu'hier.

M. Arnaud Danjean. - Il serait grave que Paris disparaisse du jeu.

C'est à travers l'Agence européenne de défense que se feront les choses concrètes. Mais en France, nous en avons une vision très ambitieuse et la voyons, à terme, comme une super DGA, ce dont nos partenaires européens ne veulent pas entendre parler. L'Agence n'est pas un organe prescripteur, mais facilitateur. Elle est, au reste, limitée par son mandat, sa composition et son budget, gelé à 30 millions.

Il est vrai, monsieur Boutant, qu'il serait malsain de répartir la tâche entre pays engageant des troupes et pays financeurs, au risque d'encourager de grands pays comme le Royaume uni ou l'Allemagne à se désengager du terrain. L'idée est plutôt d'amener davantage de pays à participer concrètement, matériellement, humainement.

Oui, Monsieur Vallini, les citoyens sont en avance sur les politiques. Dans les enquêtes de l'Eurobaromètre, diplomatie et défense arrivent toujours en tête des domaines dans lesquels ils estiment que l'Europe devrait faire plus et mieux. Lors des interventions de terrain que je m'emploie à organiser comme président de la sous-commission Défense et Sécurité, j'ai pu constater combien les participants sont intéressés.

Au Parlement européen, je travaille fort bien avec mes collègues des autres groupes. Une réunion organisée à l'Assemblée nationale avec ma collègue socialiste grecque a fait apparaître d'évidentes convergences. Ceux qui, comme Mme Le Pen, tiennent à Bruxelles des positions extrémistes, excluant toute intervention européenne en R.C.A. au motif que des pays qui ne représentent rien pourraient la parasiter sont à côté de la plaque. Les citoyens n'adhèrent pas à ce genre de propos, qui fleurissent, hélas ! en période électorale, où la démagogie l'emporte sur la pédagogie.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Européen très convaincu, je n'en crains pas moins que le vieux rêve européen ne disparaisse si l'on ne procède pas à une réforme complète des institutions. Sans projet européen à long terme, il est vain de débattre d'économie ou de défense européenne. Il faut faire l'Europe avec ceux qui ont envie d'Europe. On peut s'organiser en plusieurs cercles. Ceux qui croient à un pouvoir intégré fédéral devraient pouvoir travailler de concert, et chercher à rapprocher ceux qui ont une vision moins politique de l'Europe. Le problème, c'est que l'on ne peut avancer sur les questions de Défense sans le Royaume uni. Il faudrait parvenir à sortir ces questions du cercle de l'Europe des puissances, tout en sachant que le risque est d'y perdre en efficacité.

M. Jeanny Lorgeoux. - Comment vos collègues européens peuvent-ils penser que la R.C.A. n'est pas un enjeu stratégique alors qu'elle est jouxtée à l'est par le Sud Soudan, nation qui se construit avec son pétrole ; au nord par le Darfour, la route vers N'Djamena ; à l'ouest, par la route commerciale vers le Cameroun ; et au sud - où dans la zone tenue par la LRA (Armée de résistance du Seigneur), la position américaine, qui défend ses intérêts sur l'or et le diamant, est très ambiguë - au-delà de l'Ouellé et de l'Oubangui, par la zone de l'Ituri, où la rébellion est constante, alimentée à la fois par l'Ouganda et le Rwanda ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Le Parlement européen n'aurait-il pas intérêt à s'investir davantage dans l'assemblée parlementaire de l'Otan ?

Quelles sont les conséquences du désengagement français de la KFOR et d'Eulex au Kosovo ?

M. Arnaud Danjean. - Les difficultés actuelles avec le Royaume Uni sont moins structurelles que conjoncturelles, du fait de leur agenda de politique intérieure. Mais s'ils voient que les choses avancent sans eux, ils voudront en être. S'ils cherchaient à tuer le projet, ils se feraient taper sur les doigts par leurs alliés Américains. À nous de leur faire des propositions qui aient une valeur ajoutée et répondent à leurs intérêts. Voyez ce qui s'est passé avec la mission Atalanta : au bout du compte, le QG est localisé en Angleterre, et on y trouve des amiraux britanniques à tous les étages.

Tout le monde reconnaît, en Europe, que la R.C.A. est un pays important, mais beaucoup estiment qu'un déploiement militaire ne fait pas partie des priorités. Pour les Britanniques, la priorité doit aller au Kenya, au Sud Soudan ; c'est l'est et la corne de l'Afrique qu'ils ont en ligne de mire ; pour d'autres, les opérations d'interposition relèvent de l'ONU et non de l'Union européenne.

Il est vrai que pour cette mandature de l'assemblée parlementaire de l'Otan, il y a eu un raté. Les quelques postes réservés à l'Union européenne ont été préemptés par les Britanniques et les Polonais, alors très antieuropéens. J'avoue, à mon grand dam, que lorsque j'ai pris la présidence de la sous-commission Défense et Sécurité, nous pensions que cela allait de pair avec une représentation à l'Otan, ce qui n'est pas le cas.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Et certaines formations politiques sont fort bien représentées, alors même qu'elles sont minoritaires dans leur pays d'origine...

M. Arnaud Danjean. - Le désengagement au Kosovo ? Le fait est que la mission Eulex est beaucoup trop importante. Pour avoir été en Bosnie pendant et après la guerre, j'ai vu combien le fonctionnement des services du Haut représentant est vite devenu bureaucratique. J'ai plaidé pour qu'il en soit autrement au Kosovo. Mieux vaut de petites structures réactives. On aura beau envoyer 2000 hommes sous mandat exécutif, si les Kosovars ne veulent pas collaborer, ils ne le feront pas. Et un gendarme roumain envoyé pour un mandat de six mois ne mettra pas sa vie en danger pour démanteler un trafic de drogue.

Je suis partisan de réduire la voilure d'Eulex et de la KFOR. Le seul problème militaire qui demeure, c'est celui du nord. La France a joué son travail quinze ans durant ; elle a quitté la mission il y a près de six ans, l'Espagne aussi. A d'autres de prendre le relai. Le problème, au Kosovo comme en Bosnie, n'est pas militaire. Parler de résurgence du conflit, c'est jouer à l'apprenti sorcier. La diplomatie européenne a rencontré des succès en Serbie et au Kosovo. Elle a plutôt bien traité le dossier. Ce ne sera pas dès demain Embrassons-nous, Folleville ! Mais je me réjouis qu'il y ait eu délégation de souveraineté des diplomaties nationales.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Il me reste à vous remercier.

La réunion est levée à 11 h 05.

Jeudi 20 février 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Politique de voisinage - Ukraine

M. Simon Sutour, président. - La situation se dégrade rapidement en Ukraine, où nous devions nous rendre de nouveau avec Gérard César : 25 morts depuis hier, des blessés par centaines...

M. Aymeri de Montesquiou. - 28 morts !

M. Simon Sutour, président. - Le président Yanoukovitch a proposé une trêve, mais son message ne passe plus auprès des manifestants. Le pouvoir aurait même perdu l'autorité sur l'ouest du pays, où des policiers auraient rendu leur uniforme. M. Fabius et ses homologues allemand et polonais sont sur place pour essayer de contribuer à une sortie de crise. Je vous propose d'apporter notre soutien à cette initiative en adoptant les conclusions suivantes :

« La commission des affaires européennes du Sénat exprime sa très vive
préoccupation devant les violences meurtrières en Ukraine et sa solidarité avec le
peuple ukrainien, qui fait partie intégrante de la famille européenne.

« Elle estime que seule une solution s'appuyant sur l'ensemble des composantes politiques ukrainiennes peut permettre le retour à la paix civile et à la démocratie. Elle soutient la démarche engagée par les ministres des affaires étrangères de France, d'Allemagne et de Pologne.

« Enfin, la commission des affaires européennes du Sénat rappelle sa demande que l'Union européenne développe un dialogue constructif avec la Russie, estimant qu'un rapprochement pourrait contribuer à réduire les tensions. »

M. Aymeri de Montesquiou. - Je suggère que nous écrivions, au deuxième paragraphe, « les ministres des affaires étrangères d'Allemagne, de Pologne et de France », mais c'est un détail. L'Ukraine va jusqu'à Sébastopol : est-ce encore l'Europe ?

M. Simon Sutour, président. - Oui.

M. Aymeri de Montesquiou. - Moscou en fait aussi partie, alors ! L'Union européenne a été très maladroite en ne cessant pas d'assimiler la Russie à l'ancienne URSS. Kiev est le berceau de la Russie : il n'est pas sans danger d'écrire que l'Ukraine fait partie intégrante de la famille européenne. Sans dialogue avec la Russie, nous ne parviendrons pas à résoudre cette crise. Riourik, le fondateur de la Russie, était scandinave et il était parti de Kiev. L'identité de l'Ukraine est complexe.

M. Simon Sutour, président. - Il peut y avoir contradiction ou équilibre...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Auditionné par notre commission et par la commission des affaires étrangères, le président de la sous-commission Défense du Parlement européen, Arnaud Danjean, nous a rappelé que le gouvernement français recommande de ne jamais parler d'intégration de l'Ukraine dans l'Union européenne. Ce n'est en effet pas le moment. Pourquoi ne pas remplacer les mots « famille européenne » par « espace européen » ? Il s'agirait ainsi d'un constat géographique.

M. Aymeri de Montesquiou. - La sagesse parle par votre voix...

M. Richard Yung. - Peut-être devrions-nous préciser la phrase : « Elle soutient la démarche engagée par les ministres des affaires étrangères de France, d'Allemagne et de Pologne. » M. Fabius a déclaré qu'il voulait que la paix soit rétablie, mais il a aussi parlé de sanctions.

M. André Gattolin. - En effet, M. Fabius est allé assez loin dans ses déclarations, en évoquant des sanctions contre les dirigeants. La dernière phrase sous-entend que nous n'avons pas de dialogue constructif avec la Russie. Il faut préciser qu'il s'agit d'un dialogue sur cette question précise du voisinage oriental.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Plus généralement, nous devrions regretter que depuis la chute du mur de Berlin et l'implosion de l'URSS nous ne soyons pas parvenus à créer un espace de stabilité, de paix et de concorde entre l'Europe et la Russie. Faute de cela, nous allons vers l'affrontement.

M. Simon Sutour, président. - Je vous propose d'écrire à la fin du second alinéa « y compris d'éventuelles sanctions ».

M. Richard Yung. - Réclamons l'organisation d'élections, aussi.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Les sanctions sont le seul moyen de débloquer la situation. J'étais la semaine dernière en Ukraine : les dirigeants de l'opposition les réclament, car le parti au pouvoir est corrompu.

M. Aymeri de Montesquiou. - Lorsque l'actuelle opposition était au pouvoir, elle était aussi accusée de corruption. Évitons le moralisme. Ce qui est dramatique, c'est ce chiffre de 28 morts - dont 7 ou 8 policiers, ce qui prouve qu'il y a des tirs dans les deux camps.

M. Richard Yung. - L'Europe doit demander l'organisation d'élections à bref délai.

M. Aymeri de Montesquiou. - Les dirigeants actuels se comportent mal, mais ils ont été élus.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Les démocraties ne doivent-elles pas respecter les calendriers électoraux ?

Mme Colette Mélot. - Il ne faut pas rentrer dans les détails : il s'agit pour nous de rappeler des principes essentiels.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'opposition, sauf Mme Timoshenko, demande en priorité le retour à la Constitution de 2004, que l'actuel président a illégalement amendée pour rendre le régime présidentiel.

M. Simon Sutour, président. - Nous ne devons pas nous faire les porte-paroles de la majorité ou de l'opposition. La force de notre communiqué tiendra à son vote à l'unanimité. Je crois que nous pouvons soutenir la démarche européenne s'agissant d'éventuelles sanctions. Mais nous pouvons aussi développer un meilleur dialogue avec la Russie, dont les dirigeants peuvent changer. Je me suis rendu dans ce pays avec Jean Bizet, j'y ai rencontré, entre autres, le président de la commission des affaires étrangères du Sénat russe, je l'ai reçu en France...

M. Aymeri de Montesquiou. - Il est même venu dans le Gers !

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je propose que dans le troisième paragraphe nous ajoutions à la première phrase, après le mot Sénat, les mots : « , qui regrette les divergences croissantes qui se développent entre l'Europe et la Russie, ».

M. André Gattolin. - Cela me va mieux.

M. Simon Sutour, président. - C'est d'accord. Ce texte fera l'objet d'un communiqué de presse. Je l'enverrai par courrier à l'ambassadeur d'Ukraine, ainsi qu'au ministre des affaires étrangères, après en avoir informé le président du Sénat, naturellement.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Ne pouvons-nous pas y ajouter un appel à l'organisation rapide d'élections ? Cela devrait faire consensus entre nous...

M. Gérard César. - Nous n'avons pas à nous immiscer trop avant dans les affaires intérieures de l'Ukraine.

M. Aymeri de Montesquiou. - Il y a d'autres pays où le président est minoritaire...

M. Simon Sutour, président. - Le texte demande un « retour à la paix civile et à la démocratie » : c'est assez clair.

M. Gérard César. - Lorsque nous sommes allés à Kiev, le Premier ministre a été démis de ses fonctions le jour même où nous étions au Parlement !

M. Simon Sutour, président. - Et M. Azarov, qui l'avait remplacé, a été démis tout récemment...

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :

Conclusions

La commission des affaires européennes du Sénat exprime sa très vive préoccupation devant les violences meurtrières en Ukraine et sa solidarité avec le peuple ukrainien, qui fait partie intégrante de l'espace européen.

Elle estime que seule une solution s'appuyant sur l'ensemble des composantes politiques ukrainiennes peut permettre le retour à la paix civile et à la démocratie. Elle soutient la démarche engagée par les ministres des affaires étrangères d'Allemagne, de Pologne et de France, y compris en ce qui concerne d'éventuelles sanctions.

Enfin, la commission des affaires européennes du Sénat, qui regrette les divergences croissantes entre l'Union européenne et la Russie, rappelle sa demande que l'Union européenne développe un dialogue constructif avec la Russie, estimant qu'un rapprochement pourrait contribuer à réduire les tensions.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je poserai une question d'actualité sur la situation en Ukraine. Comme M. Fabius ne sera pas présent, le Premier ministre y répondra.

M. Simon Sutour, président. - Vous pourrez faire état de notre prise de position.

Nomination de rapporteurs

M. Simon Sutour, président. - Nous avons été saisi des textes du paquet « Air pur ». André Gattolin a fait connaître son intérêt pour en être rapporteur. Eric Bocquet souhaite quant à lui étudier certaines pratiques sociales et fiscales du Luxembourg dans le prolongement de ses travaux précédents.

Il en est ainsi décidé.

Economie, finances et fiscalité - Faillites bancaires- Proposition de résolution de M. Richard Yung

M. Simon Sutour, président. - La mise en place d'un système européen de règlement des faillites bancaires est une étape essentielle du processus d'union bancaire. Je suis heureux que la commission des finances se soit organisée pour pouvoir se prononcer rapidement sur ce texte.

M. Aymeri de Montesquiou. - Le droit des faillites, en dehors des problèmes bancaires, est-il le même dans les différents pays de l'Union européenne ?

M. Richard Yung, rapporteur. - Non.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je connaissais la réponse... Cela pose un problème quand on veut unifier les règles pour les banques.

M. Richard Yung. - Nous avons déjà traité de l'union bancaire et de la mise en place de la supervision. Ce sujet compliqué fait encore l'objet de négociations. Nous en venons aujourd'hui au volet concernant la résolution dont la commission des finances débattra la semaine prochaine sur le rapport de François Marc.

La supervision incombe à la BCE, et concerne 18 États membres. Dirigée par Mme Nouy, une Française, l'autorité de supervision lance actuellement l'analyse des bilans des quelque 6 000 banques d'Europe. Les résultats seront connus en novembre. Bien que le public s'y intéresse peu, la supervision européenne marque un progrès considérable de la construction européenne et vers le fédéralisme.

Reste à mettre en place ce qu'on appelle la résolution : comment faire lorsqu'une banque fait faillite ? En France, de telles situations, encadrées par le droit de la faillite, se caractérisaient par le syndrome du vendredi 15 heures, le président de la banque annonçant par téléphone au gouverneur de la Banque de France que son établissement ne pouvait plus faire face aux paiements...

La résolution comporte deux parties : un mécanisme réglementaire et, à la demande de l'Allemagne, un accord intergouvernemental traitant des aspects financiers, que le parlement national devrait ratifier. Le mécanisme comporte des règles de prévention et d'intervention précoce. L'autorité européenne et les autorités nationales reçoivent des pouvoirs extraordinaires, pour pouvoir réagir à chaud : ils peuvent démettre les dirigeants, suspendre le conseil d'administration, vendre tout ou partie des actifs de la banque.

Comment le renflouement est-il organisé ? Jusqu'alors, on faisait appel essentiellement au contribuable. Ces textes organisent précisément l'ordre d'appel des fonds : actionnaires, d'abord, puis créanciers juniors, seniors, et éventuellement la part des dépôts supérieurs à 100 000 euros. Si cela ne suffit pas, le fonds de résolution intervient, qui sera alimenté par les banques. De même que le fonds français doit passer de 3 milliards d'euros à 10 milliards d'euros en dix ans, le fonds européen atteindra 50 ou 60 milliards d'euros. Ce n'est qu'en dernier recours qu'il sera fait appel aux États. Voilà une réponse adéquate à la crise de 2008.

Un conseil de résolution regroupera les autorités nationales des dix-huit pays de la zone euro concernés, des experts et des observateurs de la BCE et la Commission européenne. C'est la BCE qui déclenche la résolution. Le conseil de résolution décide des actions à prendre et du calendrier à suivre, sauf si la Commission s'y oppose et renvoie la décision au Conseil Ecofin : c'est une manière de remettre la Commission dans le dispositif.

M. Aymeri de Montesquiou. - Pourquoi ?

M. Richard Yung. - Deux tendances s'affrontaient : fédéralisme ou accord intergouvernemental. En cas de désaccord, le dossier passe au conseil Ecofin. S'il faut notamment engager plus de 20 % du fonds, un vote des États est obligatoire.

Le fonds européen devrait atteindre en dix ans 60 milliards d'euros par mutualisation progressive des compartiments nationaux : chaque année, ceux-ci lui transfèrent 10 % de leur montant. Ces sommes importantes seraient gérées, sur la base d'un acte délégué de la Commission, par le conseil de résolution. Le mécanisme européen de stabilité (MES) aurait pu constituer un filet de sécurité, si les Allemands ne refusaient pour l'instant qu'il recapitalise directement les banques. En l'absence d'accord, nous proposons de donner au fonds de résolution une capacité d'emprunt garantie par les États.

Le fonds de résolution se constituera sur des bases nationales en prenant en considération les capitaux disponibles dans chaque banque pour le renflouement. Paradoxalement, celles qui auront une plus grande capacité de renflouement paieront plus. Aussi proposons-nous de retenir en complément la notion de risque, plus pertinente. Sinon, on aboutirait à des distorsions où la France contribuerait pour environ 15 milliards d'euros, juste devant l'Allemagne.

M. Aymeri de Montesquiou. - Les banques françaises sont plus importantes.

M. Richard Yung. - Mais la prise de risque n'est pas toujours le reflet de la taille. Je propose également d'accélérer la mutualisation du fonds de résolution en retenant, au lieu de l'horizon trop lointain de 10 ans, un délai de 5 ans. Il s'agirait d'accroître le rythme de mutualisation, pas le volume des paiements annuels.

M. Simon Sutour, président. - Je remercie Richard Yung pour son exposé.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Les deux vagues de stress-tests auxquelles nous avons assisté visaient surtout à rassurer les marchés. L'autorité européenne devra agir plus rigoureusement. Il faudra, pour éviter une nouvelle crise de confiance, ajuster la durée des tests sur la montée en puissance des fonds, et s'assurer de la fiabilité des tests. Le calendrier de ce dossier est-il calé sur celui de la séparation des activités bancaires ? Le règlement en préparation semble plus exigeant que la législation française. Où le Parlement européen en est-il sur ces questions ? Jusqu'à présent, il semblait plus allant que la Commission sur la séparation bancaire.

M. Aymeri de Montesquiou. - En cas de faillite, les premiers à faire contribuer sont à mon sens les actionnaires.

M. Richard Yung. - La proposition de résolution le dit explicitement.

M. Aymeri de Montesquiou. - Elle dit aussi que les créanciers juniors devraient contribuer davantage que les seniors. On pourrait soutenir l'inverse. En outre, emprunter a un coût : cela pourrait revenir à stériliser le fonds au bout de quelques années.

M. Jean Bizet. - Le mécanisme de résolution unique épuisé, il faudra se tourner vers les marchés obligataires, ce qui correspondrait à une situation de quasi-bail-out. Quelle est la position du tribunal constitutionnel de Karlsruhe sur ce point précis ?

M. Richard Yung. - La méthodologie des stress-tests est en effet en cours de discussion. Elle serait commune à tous les pays et à toutes les banques. Les règles de provisionnement des actifs immobiliers, par exemple, seraient harmonisées. Les équipes, à la composition multinationale, n'auront pas de complaisance. Cette méthode a servi au contrôle des banques espagnoles il y a six mois. L'idée est d'agir vite. Les tests seront bouclés d'ici octobre, voire plus rapidement afin de limiter les commentaires qui pourraient fleurir dans la presse au fur et à mesure.

Le fonds européen de résolution n'existe pas encore. Il n'y a pour l'heure que des fonds nationaux. Autrement dit, nous sommes à nu. Le fonds européen montera progressivement en puissance à partir de mars 2016.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Et si un problème survenait entre-temps ?

M. Richard Yung. - Les fonds nationaux devraient y faire face. L'hypothèse qu'ils se prêtent entre eux, si elle a été évoquée, n'est pas encore formalisée. L'instrument de recapitalisation directe des banques est dans ce contexte indispensable.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous dansons sur un volcan.

M. Richard Yung. - La séparation des activités bancaires n'entre pas véritablement dans le champ de cette proposition de résolution. L'Allemagne, le Royaume-Uni et la France ont leur propre législation. Le projet de règlement de Michel Barnier nous a laissés hésitants. Il arrive bien tard, et prête le flanc à un certain nombre de critiques techniques. De plus, il s'adresse surtout aux plus grandes banques et exclut les Anglais.

M. Pierre Bernard-Reymond. - C'est un bon début...

M. Simon Sutour, président. - Nous en reparlerons la semaine prochaine.

M. Richard Yung. - Le Parlement, très critique, est entré en résistance. L'accord intergouvernemental ne lui a pas plu, parce qu'il y a vu une négation du contrôle démocratique. La négociation est difficile. Soyons raisonnables : nous ne reviendrons pas sur l'accord intergouvernemental, car les chefs d'État et de gouvernement se sont déjà mis d'accord. Le compromis pourra porter sur les points suivants : passage de dix à cinq ans, simplification de la gouvernance, nouvelles règles de répartition des contributions entre les banques des différents Etats membres. L'Allemagne n'est guère enthousiaste, puisqu'elle freine le mécanisme européen de stabilité.

M. Jean Bizet. - Que donnerait une comparaison entre la position européenne sur la séparation des activités bancaires et le dispositif Volcker adopté aux États-Unis ? Nos économies sont très différentes. Nous risquons en Europe de restreindre l'accès au crédit des entreprises, tandis que les entreprises américaines continueront à se financer sur le marché obligataire.

M. Richard Yung. - Vous pointez du doigt une différence structurelle. Le fait que les entreprises américaines se financent sur les marchés et les entreprises européennes auprès des banques n'est pas un phénomène récent.

M. Jean Bizet. - Certes, mais nos exigences de sécurité nous pénalisent.

M. Richard Yung. - Oui, il faudra y faire attention, et piloter ces évolutions avec doigté. Nous y appelons justement dans notre proposition.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit et d'entreprises d'investissement COM (2012) 280, 

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux systèmes de garantie des dépôts COM (2010) 368,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un fonds de résolution bancaire unique COM (2013) 520,

Vu le règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu le règlement (UE) n° 1022/2013 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne son interaction avec le règlement du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu la communication du 30 juillet 2013 de la Commission concernant l'application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d'aides d'État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (2013/C 216/01),

Vu les procédures relatives à la fourniture de liquidité d'urgence publiées par la Banque centrale européenne le 17 octobre 2013,

Vu les conclusions des Conseils européens des 13 et 14 décembre 2012, des 27 et 28 juin 2013 et des 24 et 25 octobre 2013 ainsi que les conclusions du Conseil ECOFIN du 15 novembre et du 18 décembre 2013,

Réaffirme son soutien au processus de mise en place d'une union bancaire, conformément à sa résolution n° 32 en date du 20 novembre 2012 ;

Sur la revue de la qualité des actifs bancaires

Attire l'attention sur les enjeux de la revue de la qualité des actifs bancaires menée par la Banque centrale européenne et des tests de résistance conduits par l'Autorité bancaire européenne ;

Souligne que cet exercice doit être mené avec la même rigueur et de façon homogène sur l'ensemble des établissements de l'Union bancaire tout en tenant compte des spécificités des différentes structures et activités ;

Sur le Mécanisme européen de stabilité

Rappelle que l'instrument de recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité doit être opérationnel dès la mise en oeuvre effective du Mécanisme de surveillance unique, soit au terme de la publication par la Banque centrale européenne de l'évaluation de la qualité des actifs ;

Appelle en conséquence à la finalisation de l'accord sur la recapitalisation directe des établissements de crédit par le Mécanisme européen de stabilité conformément aux conclusions du Conseil européen ;

Soutient les grandes lignes de l'accord du Conseil de l'Union européenne du 18 décembre 2013 et souhaite que soit mis en place, avant la fin de la législature du Parlement européen, un mécanisme de résolution unique crédible et opérationnel dans le cadre de l'Union bancaire ;

Sur la stabilité et l'intégration des marchés financiers européens

Se félicite de la prochaine adoption des directives relatives, d'une part, au cadre de redressement et de résolution des défaillances des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, et d'autre part, aux systèmes de garantie des dépôts, éléments indispensables à la stabilisation de l'ensemble du système bancaire européen ;

Rappelle que les infrastructures de marché sont des rouages essentiels du fonctionnement des marchés financiers et souhaite, qu'à ce titre, une réflexion soit engagée sur un cadre harmonisé et un mécanisme européen de supervision, de redressement et de résolution de ces infrastructures ;

Sur le renflouement interne

Note que le principe de renflouement interne est un élément majeur du cadre de redressement et de résolution proposé et qu'il doit permettre de limiter au maximum les éventuels recours à des fonds publics ;

Appelle, afin de préserver le bon fonctionnement du marché unique des services financiers, à la plus grande vigilance sur les éventuelles divergences d'application du principe de renflouement interne entre les États participants à l'Union bancaire et les États non participants ;

Relève que le principe de renflouement interne pourrait avoir des incidences sur la stabilité du système financier et sa capacité à financer l'économie ;

Souhaite que le bilan qui doit être établi par la Commission sur l'application du Mécanisme de résolution unique intègre une analyse détaillée des conséquences de l'adoption du principe de renflouement interne dans le droit communautaire ;

Demande que ce bilan détaillé soit présenté pour la première fois un an après l'entrée en vigueur du renflouement interne puis tous les deux ans et soit transmis aux Parlements nationaux ;

Sur le mécanisme de résolution unique

Considère que la crédibilité du Mécanisme de résolution unique repose notamment sur des processus de décision rapides et efficaces, un filet de sécurité financier et l'accès à une liquidité d'urgence ;

Estime que la gouvernance ne doit pas être source de complexité et devra, à terme, être simplifiée ; considère toutefois qu'elle est de nature à assurer un équilibre entre décisions techniques et politiques, du ressort national ou européen, jusqu'à la mutualisation complète du financement de la résolution ;

Souhaite néanmoins, afin de permettre des décisions rapides et opérationnelles, que soient proposés un renforcement des pouvoirs de décision du comité exécutif du Conseil de résolution ainsi qu'une procédure d'urgence ;

Juge qu'un filet de sécurité financier doit être mis en place dans les meilleurs délais et, qu'à défaut de révision du traité du Mécanisme européen de stabilité, une capacité d'emprunt propre du Fonds de résolution unique doit être la solution privilégiée ;

Souligne que l'accès à une liquidité d'urgence fait partie intégrante d'un dispositif de résolution ; encourage en conséquence les États participants et l'Eurosystème à renforcer la transparence du processus de fourniture de liquidité par les banques centrales et sa conformité aux objectifs de l'Union bancaire ;

Sur le Fonds de résolution unique

Considère que les règles de contribution au Fonds de résolution unique ne doivent pas créer de distorsion entre les systèmes bancaires nationaux tant au sein de l'Union bancaire que vis-à-vis des États ne participant pas à l'Union bancaire ;

Souhaite que le calcul des contributions intègre une estimation des risques des établissements de crédit qui pourrait être fondée sur les actifs bancaires pondérés par les risques tels qu'ils auront été revus par la Banque centrale européenne ;

Est d'avis que les modalités de calcul des contributions ainsi que les principes d'administration et d'investissement du Fonds de résolution constituent des aspects essentiels du mécanisme de résolution unique et ne doivent pas relever d'actes délégués ;

Souhaite qu'un rapport annuel du Conseil de résolution unique comprenant les comptes définitifs, un rapport sur les activités de résolution ainsi qu'un rapport de gestion du Fonds de résolution soit transmis au Conseil, au Parlement européen et aux Parlements nationaux ;

Constate que le recours à un accord intergouvernemental soustrait une partie du Mécanisme de résolution unique à la procédure législative ordinaire de l'article 114 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne ;

Insiste en conséquence sur la nécessité d'en limiter strictement le champ aux conditions des transferts et de la mutualisation des contributions au fonds de résolution unique ;

Considère que, dès lors que la revue des établissements de crédit menée par la Banque centrale européenne aura établi une évaluation impartiale des situations bancaires et en particulier de l'héritage des situations antérieures, la période de mutualisation des compartiments nationaux du Fonds de résolution unique pourrait être réduite à 5 ans ;

Juge en revanche que, au regard des contraintes prudentielles pesant sur les établissements de crédit, la durée de 10 ans de constitution du Fonds de résolution ne doit pas être réduite ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

Politique de coopération - Arctique - Adhésion et participation aux programmes européens de l'Islande et de la Norvège - Communication de M. André Gattolin

M. André Gattolin. - Je vous propose aujourd'hui de nous intéresser à la situation au nord de l'Europe, chose que nous faisons rarement. En effet, si le suivi de la politique de voisinage et l'actualité (les printemps arabes, la situation en Ukraine...) nous invitent à réfléchir régulièrement à la situation aux frontières est et sud de l'Union européenne, je voudrais partager avec vous les enseignements que j'ai retiré de mon déplacement en Norvège et en Islande en décembre dernier.

Comme vous le savez, j'ai été désigné par notre commission pour travailler sur la stratégie de l'Union européenne pour la zone arctique. Cette région est en plein transformation et au coeur d'enjeux mondiaux. Elle fait l'objet de spéculations et de fantasmes en tous genres. Je voudrais vous en présenter rapidement les grandes lignes.

Au centre des évolutions de l'Arctique, on trouve le réchauffement climatique. Il affecte deux fois plus les pôles que nos régions tempérées : quand on estime que la température va monter de 2 degrés dans nos latitudes, la hausse serait de 4 à 5 degrés aux pôles. Et, fait important, les conséquences de ce réchauffement sont mondiales. À titre d'exemple, la Commission européenne estime que la fonte des glaciers et de l'inlandsis du Groenland est responsable pour 40 % du relèvement mondial du niveau des mers entre 2003 et 2008. 40 % ! Autrement dit, nous sommes tous impactés par le réchauffement climatique en Arctique.

Et ce d'autant que le réchauffement laisse présager des possibilités économiques nouvelles, notamment au Groenland. La fonte des glaces permettrait en effet d'accéder aux ressources du sous-sol groenlandais, que ce soit sur terre ou en mer. Les estimations de ces richesses sont encore floues, mais elles font l'objet de nombreuses spéculations et suscitent de nombreuses inquiétudes quant aux possibles conséquences environnementales de leur exploitation... Cela concerne les hydrocarbures comme le pétrole et le gaz ; les minerais comme le zinc, le plomb ou l'or ; l'uranium qu'on cherche aujourd'hui à extraire ; ou encore, les terres rares tellement employées dans les smartphones et autres tablettes électroniques.

Par ailleurs, la fonte de l'océan arctique pourrait ouvrir de nouvelles routes commerciales entre l'Asie, d'une part, et l'Europe et la côte est des États-Unis qui sont les deux principaux centres de consommation dans le monde, d'autre part. Trois routes sont envisagées : une passant au nord de la Russie, une autre passant au nord du Canada et enfin une route encore plus directe qui passerait par le pôle nord. À cela, on peut ajouter l'évolution des zones de pêche : avec le réchauffement, les poissons remontent vers le pôle et créent de nouvelles possibilités pour les pêcheurs du grand nord. Enfin, un accès facilité aux eaux arctiques permettrait un développement plus important du tourisme dans cette zone. Au total, une telle augmentation du trafic maritime accroîtrait fortement les risques de pollution sur un milieu naturel qui demeure très fragile ! D'autant que les déboires d'un navire russe dans l'Antarctique cet été nous rappellent les difficultés de navigation dans les régions polaires. Nous connaissons tous le Titanic !

Ces évolutions importantes entraînent le développement de stratégies « arctiques » chez de nombreuses nations dans le monde : les grandes puissances marchandes asiatiques comme la Chine, la Corée, le Japon et Singapour ; les grands États de la région comme la Russie, le Canada et dans une moindre mesure les États-Unis ; et enfin, des pays européens directement concernés, la Norvège et l'Islande. Ces deux pays ont adopté depuis longtemps une politique pour l'Arctique. C'est la raison pour laquelle, j'ai souhaité m'y rendre.

Car l'Union européenne dispose d'une politique encore embryonnaire, appelée la Dimension septentrionale. Elle est née en 1999 et repose principalement sur des partenariats locaux. Le 26 juin 2012, une communication conjointe de la Commission et de la Haute représentante proposait de faire évoluer cette politique en raison des changements climatiques dans la région. Ce document est à l'origine de mon travail, en attendant une éventuelle communication au printemps prochain.

Entre-temps, j'ai découvert qu'au sein de l'Union européenne, plusieurs États membres avaient développé une stratégie pour l'Arctique. Le Danemark est évidemment très impliqué en raison de ses liens avec le Groenland, territoire autonome qui rêve d'indépendance et qui est classé « pays et territoire d'outre-mer » (PTOM) pour l'Union européenne. Les autres États du nord, la Suède et la Finlande, ont nécessairement développé une politique arctique, mais ils ne sont pas les seuls en Europe ! Des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Italie ont adopté une position officielle. C'est la raison pour laquelle, mon rapport portera non pas sur la seule stratégie de l'Union européenne, mais sur les stratégies européennes pour l'Arctique. Notre diplomatie est elle-même en cours de préparation d'une feuille de route qui devrait être finalisée à l'automne. En vous présentant mon rapport au courant du mois de juin, j'espère que nous pourrons ainsi ouvrir quelques pistes essentielles !

Aujourd'hui, je souhaite vous faire part des informations que j'ai également recueillies concernant l'Islande et la Norvège et les liens que ces pays entretiennent avec l'Union européenne.

L'Islande, tout d'abord.

Vous savez que ce pays de 320 000 habitants, dont le territoire représente tout de même 1/6e du territoire français, a été gravement touché par la crise financière qui a fait s'effondrer le système bancaire islandais à la fin 2008 et conduit à une nationalisation en urgence des trois plus grandes banques du pays. Il faut dire que les dettes étrangères des plus gros établissements bancaires représentaient alors 100 milliards de dollars américains quand le PIB national n'atteignait que 14 milliards. La couronne islandaise a connu une chute brutale et la quasi faillite du pays a été évitée de justesse, grâce à l'aide du FMI. Face à ces circonstances, l'Islande a pensé que le salut résidait dans l'adhésion à l'Union européenne.

Ce choix apparaissait logique : l'Islande est membre depuis 1994 de l'Espace économique européen qui couvre les quatre libertés de circulation et instaure une coopération approfondie avec l'Union dans des domaines comme la recherche, l'éducation ou l'environnement. Même si en sont exclus des secteurs importants comme l'agriculture, la pêche et les politiques douanières, l'économie islandaise est, de fait, presque intégrée à l'économie européenne. Le Conseil a autorisé le début de négociations d'adhésion en juillet 2010 et fin décembre 2012, le tiers des chapitres qui avait été ouvert avait déjà été refermé.

Entre-temps, la situation islandaise s'est fortement améliorée. L'économie a connu une reprise rapide et importante, entraide financière du FMI et effort considérable fourni par les Islandais eux-mêmes. La population islandaise a refusé de payer les sommes exigées par le Royaume-Uni et les Pays-Bas suite aux faillites bancaires et à leurs conséquences sur leurs propres ressortissants. Cette décision, qui a fait grand bruit, a été actée par deux référendums et validée par un jugement de la Cour de l'Association européenne de libre-échange en janvier 2013.

En 2013, l'activité a augmenté de 2,5 %. Elle a été tirée par les exportations et un secteur du tourisme dynamique. L'inflation a baissé de 18, 6 % à 3,7 % entre janvier 2009 et décembre 2013 et le déficit public a été ramené à un peu plus de 3 % du PIB contre 13,5 % en 2008. Aujourd'hui la Banque centrale islandaise estime que l'activité a retrouvé son niveau potentiel, même si la levée du contrôle des changes mis en place en 2008 pour stabiliser la devise n'est pas envisageable à court terme.

2013 a aussi marqué un changement de majorité politique. Tournant le dos à la coalition de gauche pro-européenne, le peuple islandais a amené au pouvoir une coalition de partis eurosceptiques qui ont prôné une pause dans les négociations et l'organisation d'un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne. De fait, les négociations d'adhésion sont aujourd'hui suspendues. Le président de la commission des affaires étrangères du Parlement (l'Althing, le plus vieux parlement au monde) me confiait lors de ma visite que la relation avec l'Union européenne serait pour sa commission le principal dossier à traiter en 2014.

On se souvient que les négociations se sont fortement tendues au cours de l'année écoulée, principalement sur la question de la pêche, qui est un sujet très sensible-presque identitaire- pour l'Islande. J'ai pu rencontrer le Président de la République islandaise, M. Grimsson, un homme passionné par l'Arctique mais qui ne voit pas d'un bon oeil l'Union européenne. Et comme il effectue son cinquième mandat d'affilée (il a été élu pour la première fois en 1996), je pense qu'il représente bien l'état d'esprit de la population islandaise.

D'ailleurs, un sondage très récent indiquait que si près de 75 % des personnes interrogées souhaitaient un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne, seuls 26 % la soutiennent et 49 % s'y opposent. Mon sentiment est que l'Islande préfèrerait ne pas adhérer à l'Union européenne. Elle semblait s'y résoudre en 2009, car elle y voyait le seul moyen d'échapper à la banqueroute, mais elle aimerait mieux, je pense, suivre le modèle norvégien.

J'emploie le terme « modèle », car vous allez voir à quel point l'intégration européenne de la Norvège est remarquable. Membre de l'Espace économique européen, elle a un taux de transposition des directives sur le marché intérieur de 99,8 %, ce qui la place au second rang des meilleurs élèves de l'Union derrière Malte. À ce titre, elle contribue financièrement à la politique de cohésion. Sa participation a été de près de 1,8 milliard d'euros pour la période 2009-2014. C'est loin d'être négligeable !

Membre de l'espace Schengen (comme l'Islande, d'ailleurs), c'est elle qui assure la surveillance des frontières extérieures de l'Europe dans le grand nord. Ses garde-côtes gèrent comme ils le peuvent la relation avec la Russie, très présente dans la région. Les deux parties viennent d'ailleurs de résoudre un conflit vieux de trente ans sur la délimitation de leurs eaux territoriales respectives en mer de Barents. La Norvège a également adhéré à la convention de Dublin sur l'Asile et à Europol. Enfin, elle participe à de nombreux programmes européens, notamment en matière de recherche. Elle est donc un partenaire de premier plan de l'Union européenne.

Un rapport sur l'évaluation de ses relations avec l'Union européenne publié en janvier 2012, a jugé que la Norvège était quasi-intégrée à l'UE. Elle atteindrait les trois quarts du niveau d'intégration d'un État membre. Alors pourquoi ne pas adhérer à l'Union européenne ? Pour l'ambassadeur norvégien à Bruxelles, après deux référendums en 1972 et en 1994 ayant abouti à un rejet de l'adhésion, ce n'est plus un sujet aujourd'hui. La Norvège se satisfait de sa situation actuelle et sa population reste majoritairement eurosceptique (80 % en 2011).

Or, si la Norvège peut se permettre de rester indépendante, c'est qu'elle est riche, très riche. Elle bénéficie d'une manne pétrolière qui assure sa prospérité. Je vous donne quelques chiffres, vous allez voir, c'est vertigineux !

C'est le deuxième pays le plus riche du monde en PIB par habitant. Entre 1992 et 2008, la Norvège a connu une croissance économique supérieure à 5 % par an. Assez peu touché par la crise financière, le pays connaît une situation de plein-emploi, distribue des salaires élevés, est doté d'un régime de protection sociale parmi les meilleurs au monde, et affiche une exigence environnementale parmi les plus élevées.

La Norvège est le 6è exportateur mondial de pétrole et le 3è de gaz. La découverte de nouveaux gisements lui assure des ressources jusqu'en 2060. 80 % de ses exportations vont vers l'Union européenne et elle est pour la France très importante : la Norvège est notre premier fournisseur de gaz et le 2è fournisseur de pétrole. Surtout, chose qu'on sait beaucoup moins, elle est le deuxième investisseur sur la place financière de Paris !

Et nous touchons là à un point essentiel : la gestion de la manne pétrolière et gazière. La Norvège a créé un fond souverain dans lequel est versé la quasi-totalité des revenus des hydrocarbures et qui vise à assurer le versement des pensions de retraite des norvégiens. Ce fond a atteint le montant de 600 milliards d'euros au début de 2014 ! Il permet à la Norvège de détenir près de 2% des actions dans le monde. Une règle budgétaire implique qu'on ne peut prélever plus de 4 % de ses revenus annuels pour combler le déficit de l'État. Vous comprenez donc bien que la Norvège, encore moins que l'Islande, n'a pas besoin de la solidarité financière européenne !

En conclusion, je dirais que la réussite de ces États, qui sont européens mais en dehors de l'Union européenne, conjuguée à leur volonté de ne pas intégrer l'Union, doit nous amener à réfléchir sur le bon fonctionnement de celle-ci et sur notre projet politique commun, car dans les deux pays, on pointe le déficit démocratique de l'UE. L'Union européenne attire-t-elle d'autres pays que ceux qui souhaitent rattraper notre niveau de vie ?

L'Union européenne apparaît en outre comme un faible acteur géostratégique. Ces deux États sont des portes d'entrée vers l'Arctique et des Eldorados économiques et scientifiques. L'Union européenne souhaite s'en rapprocher au Conseil Arctique, créé en 1996, où elle siège en tant qu'observateur non permanent. Le Canada s'oppose à toute modification de son statut alors que la Norvège comme l'Islande y sont favorables. La situation est aujourd'hui bloquée et l'Union européenne en tant que telle n'occupe pas la place qui devrait être la sienne.

M. Simon Sutour, président. - Merci pour cette communication intéressante, qui nous a parlé à la fois de bancs de maquereaux et du fonds souverain. Ces pays n'ont pas besoin de l'apport de l'Union européenne pour développer leurs standards démocratiques ou leur économie. L'Islande est toujours candidate à l'adhésion...

M. André Gattolin. - Sa candidature est suspendue, pour ne pas dire abandonnée.

M. Simon Sutour, président. - Tant d'autres pays sont candidats !

M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous devrions proposer une résolution sur l'adhésion de l'Union européenne à la Norvège ! Quelle est la politique d'immigration de ce pays ? Comment ce pays de cocagne régule-t-il les flux migratoires ?

Mme Colette Mélot. - Bravo pour cette excellente communication, dont nous devons tirer les leçons. Je retiens aussi le paradoxe concernant ces pays pour lesquels le changement climatique peut avoir des aspects positifs.

Mme Bernadette Bourzai. - Je vous félicite également. Ces pays sont trop souvent ignorés, alors qu'ils constituent une porte d'entrée à la fois sur l'Europe et sur le Grand Nord. Quel est le classement de la Norvège dans l'indice de développement humain (IDH) ? Je me rappelle qu'elle était parmi les premiers pays... Sa partie septentrionale, du côté de la mer de Barents et de la région de Mourmansk, riche en matières premières et en sources d'énergie, est soumise, du fait de sa proximité avec le territoire de l'ancienne URSS, à un risque de pollution nucléaire. La Norvège et la Suède y sont attentives. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Simon Sutour, président. - La Norvège est deuxième en termes de transparence. Quel pays est premier ?

M. André Gattolin. - Il s'agit du classement de Transparency International. Le premier pays est le Danemark. La Norvège est dans l'espace Schengen, et sa richesse attire des immigrants, surtout des pays baltes. Les choses se passent bien, et après le référendum suisse, le gouvernement norvégien, que l'on pourrait classer au centre droit, a réaffirmé l'importance de la libre circulation des personnes en Europe.

M. Simon Sutour, président. - Il faut des gens pour aller sur les plateformes...

M. André Gattolin. - La Norvège est première dans l'IDH. Comme le Québec, elle dispose d'un environnement formidable, et l'hydroélectricité constitue 95 % de sa production électrique : le pétrole qu'elle produit est exporté. L'ambassadeur norvégien à Bruxelles m'a bien expliqué que son pays n'entendait pas gaspiller cette manne mais veillait à sa bonne gestion, dans l'intérêt des générations futures. La compagnie nationale Statoil assure l'essentiel de la production d'hydrocarbures, en association, entre autres, avec Total, à qui la Norvège impose des exigences très fortes en matière environnementale et en termes de sécurité, allant jusqu'à critiquer certaines de ses pratiques sur d'autres continents.

Les relations avec la Russie, qui sont toujours complexes, se passent bien sur le dossier de la lutte contre la pollution nucléaire. Il est vrai que c'est l'Union européenne qui finance les opérations de dépollution. Dans ces conditions, la Russie coopère volontiers, alors même que cette zone septentrionale est devenue la première zone de déploiement des forces nucléaires russes : sur la frontière ouest, la diplomatie a pris le dessus, et à l'est la priorité est désormais de ménager de bonnes relations avec la Chine. La capacité nucléaire russe, cela dit, a diminué. Il n'en reste pas moins que le risque nucléaire est concentré dans cette zone - l'Arctique est très exposé à ce risque, il l'avait déjà été lors du projet américain de guerre des étoiles. Même si la tendance actuelle est à la démilitarisation, M. Poutine a récemment déclaré qu'il entendait militariser de nouveau « son » Arctique.

Je rappelle que la Russie possède la moitié des côtes de l'océan arctique. Le Canada vient en second, puis ce sont les États-Unis. Ceux-ci, s'ils ont tardé à s'intéresser à la zone, sont désormais pleinement conscients des enjeux colossaux qui s'y jouent : ils présideront l'an prochain le Conseil de l'Arctique, qu'ils avaient négligé lors de sa création, en 1996 à Ottawa.

Enfin, si vous le permettez, je souhaite apporter des remerciements appuyés à nos ambassadeurs en Norvège et en Islande ainsi qu'à leurs services, dont l'activité m'a permis en particulier de rencontrer le Président de la République islandaise. Celui-ci avait été très bien reçu l'an passé par M. Hollande, ainsi que par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, et en a conçu une grande amitié pour la France !

Institutions européennes - L'Ecosse et l'Union européenne - Communication de Mme Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Le 21 février dernier, je me suis rendue en Ecosse, à l'invitation de notre consul général Pierre-Alain Coffinier, à l'occasion de l'anniversaire du poète Robert Burns, chantre de la nation écossaise. J'y ai assisté au dîner, donné par la présidente du parlement écossais, Tricia Marwick, et j'ai rencontré la communauté française, forte de plus 5 000 personnes, ainsi que les responsables politiques et gouvernementaux écossais et britannique pour évoquer les enjeux et les conséquences du référendum relatif à l'indépendance de l'Ecosse.

Plus de 4 millions d'électeurs écossais de plus de 16 ans, ainsi que plus de 80 000 étrangers européens et 400 000 britanniques résidant en Ecosse sont appelés aux urnes le 18 septembre prochain pour décider de leur maintien ou non au sein du Royaume-Uni ; en revanche, les 800 000 Ecossais n'habitant pas dans leur nation ne pourront se prononcer. En cas de vote positif, l'Ecosse déclarerait formellement son indépendance en mars 2016. La question posée est simple: « Should Scotland become an independent country ? » D'autres propositions avaient été faites, mais la commission électorale les a jugées de nature à influencer les électeurs.

L'indépendance est solidement ancrée dans l'histoire et les esprits écossais, puisque l'Ecosse a eu son Parlement du XIIIe siècle jusqu'en 1707, date à laquelle elle a rejoint le royaume d'Angleterre pour former le Royaume-Uni. À la suite du référendum de 1997, le Scotland Act autorise la création d'un parlement écossais ayant compétence pour légiférer dans tous les domaines non réservés au parlement britannique, comme les affaires étrangères ou la défense. Cette autonomie, limitée par le droit d'amendement des lois du parlement écossais par le parlement britannique, ne suffit plus à une partie importante de la population. Le parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), dirigé par le charismatique Alex Salmond, a obtenu la majorité absolue des sièges aux élections du 5 mai 2011.

Le livre blanc,  Le futur de l'Ecosse, votre guide pour une Ecosse indépendante, a été présenté par la vice-premier ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Dans son avant-propos, elle écrit notamment que « l'indépendance au sein de l'Union européenne permettra à l'Ecosse de jouer un rôle à part entière et constructif dans l'élaboration d'un large éventail de politiques décidées au niveau de l'Union européenne qui ont un impact direct sur la population et l'économie de l'Ecosse ». Selon le SNP, si l'Ecosse indépendante devra bien faire acte de candidature à l'Union européenne, elle mettra à profit le délai entre le référendum et la date effective de l'indépendance pour négocier avec le Royaume-Uni et l'Union européenne les termes de son adhésion. L'adhésion de l'Ecosse serait automatique : elle deviendrait le 29e État membre de l'Union européenne sans en être jamais véritablement sortie. L'objectif du SNP est bien sûr de rassurer les électeurs.

Le SNP pense aussi que la communauté internationale serait sensible à la manière dont se déroulerait le processus de séparation. Londres a déjà indiqué qu'elle respecterait la décision des Ecossais.

Indépendante, l'Ecosse siégerait et aurait son propre commissaire européen, un juge à la Cour de justice de l'Union européenne, et deux fois plus de députés au Parlement européen, de manière à défendre des intérêts parfois divergents de ceux du Royaume-Uni sur la politique agricole commune (PAC), les fonds structurels, la pêche, l'énergie, l'environnement, la recherche. Cependant, les Ecossais restent majoritairement hostiles à l'adoption de l'euro.

Fin janvier, Londres a répliqué par un document intitulé « Analyse de l'Ecosse : les questions européennes et internationales ». Même si les sondages ont toujours donné le « non » gagnant, les indépendantistes soulignent que la campagne n'a pas encore commencé. Un sondage donnait fin janvier les partisans du « oui » à 46 % ; Reuters les donne ce matin à un tiers. Les déclarations des dirigeants britanniques se multiplient : David Cameron a appelé chaque Britannique à convaincre les Ecossais de renoncer à l'indépendance, et George Osborne s'est rendu le 12 février à Édimbourg pour tenir des propos de fermeté, avertissant notamment que rien n'obligeait les Britanniques à partager la livre sterling... Le ministre des finances a en outre accusé le SNP de n'avancer que des affirmations et des menaces sans fondement.

Le parti travailliste et le parti libéral-démocrate ont appelé, en une forme d'union sacrée, à lutter contre le processus d'indépendance. Cela confirme la grande inquiétude des Britanniques et des Européens. José Manuel Barroso s'est déclaré hostile à ce qu'une partie quelconque du territoire d'un État membre cesse d'y appartenir, car cela en ferait pour l'Union européenne un État tiers, auquel les traités cesseraient de s'appliquer. Romano Prodi en 2004 et Hermann Van Rompuy n'ont pas dit autre chose. L'Ecosse devrait, selon eux, négocier son adhésion à l'Union européenne selon la procédure normale. Le président de la Commission européenne a récemment comparé la situation écossaise à celle du Kosovo. L'exemple est contestable, car le Kosovo a fait sécession d'un État non membre de l'Union européenne, la Serbie ; les pays Baltes, la République tchèque, la Slovaquie ou encore la Croatie sont d'anciens États sécessionnistes.

Londres souligne qu'en cas d'indépendance, la continuité de l'adhésion à l'Union européenne ne serait pas acquise, ce qui pourrait obliger l'Ecosse à passer par un long processus de demande d'adhésion. L'Ecosse serait-elle plus forte à l'ONU si elle était indépendante ou intégrée au Royaume-Uni, qui la rend titulaire d'un siège au Conseil de sécurité ? L'indépendance lui ferait aussi perdre l'accès au G8 et au G20. Comment l'Ecosse négocierait-elle avec Londres la rétrocession des puits d'hydrocarbures, qui représentent 91 % de la production britannique ? Comment se passerait-elle de la force exceptionnelle du réseau britannique de promotion du tourisme et des produits écossais ? Londres laisse entendre que l'Ecosse ne profiterait pas automatiquement des différentes clauses d'opt-out dont bénéficie le Royaume-Uni, notamment sur l'euro, les contrôles aux frontières de l'espace Schengen ou les questions de police et de droit pénal.

Le gouvernement écossais argue, quant à lui, que l'Ecosse est déjà dans l'Union européenne, met pleinement en oeuvre l'acquis communautaire et ne devrait donc pas être contrainte de renégocier son adhésion, mais seulement des adaptations aux traités existants.

Le 16 février, José Manuel Barroso a de nouveau insisté sur la nécessité d'un accord de tous les États membres sur la demande d'adhésion écossaise, y compris l'Espagne dont on sait qu'elle s'y opposerait afin de ne pas encourager les velléités indépendantistes de la Catalogne par exemple.

Londres souligne que le coût de l'indépendance serait considérable pour l'Ecosse, qui serait privée de toute part sur le rabais accordé à la contribution britannique au budget européen. Sa contribution nette serait ainsi plus élevée de 2,2 milliards d'euros, sur l'actuelle période de programmation budgétaire, que si elle restait au sein du Royaume-Uni. Cela représenterait, selon les analystes de Londres, un coût de 840 euros par ménage écossais. La question de la monnaie est essentielle. L'Ecosse partage la livre sterling avec les Britanniques depuis 1707.

Après l'indépendance de l'Irlande, de l'Inde, et le démantèlement de son Empire, la perte de l'Ecosse amputerait le Royaume-Uni du tiers de son territoire, le priverait de 70 % de son plateau continental, ferait chuter son PIB de 10 %, éroderait sa stature internationale et menacerait son siège au Conseil de sécurité de l'ONU. La politique de défense du Royaume-Uni, premier partenaire stratégique de la France, serait également particulièrement affectée, l'Ecosse abritant une part importante des industries de défense britannique et la totalité de sa force de dissuasion nucléaire. Le Royaume-Uni étant notre seul véritable partenaire européen de défense, cela doit nous inquiéter.

Il n'y a pas de précédent d'une région souhaitant à la fois se séparer d'un État membre de l'Union européenne et rester dans cette dernière. Sur un plan juridique, la position des indépendantistes écossais n'est pas garantie. En effet, en droit international, la dissolution qui confère aux États qui en sont issus un statut d'État successeur concerne généralement des États fédéraux. Or, le Royaume-Uni, qui n'est pas partie à la convention de Vienne sur les successions d'États de 1978, demeure un État unitaire, en dépit des avancées de la dévolution dans ses différentes nations depuis 1998-1999. Dès lors, la partie qui se détache de l'État unitaire a le statut d'État successeur, et l'État préexistant à la dissolution, celui d'État continuateur. Seul l'État successeur présente sa candidature aux organisations internationales auxquelles il souhaite adhérer. Le précédent irlandais, peut-être le plus pertinent dans le cas écossais, est intéressant : à sa création, en 1922, le nouvel État irlandais avait fait acte de candidature à la Société des nations, alors que la situation internationale du Royaume-Uni demeurait inchangée. Selon ce précédent, l'Ecosse indépendante devrait présenter sa candidature à l'Union européenne.

De surcroît, même si l'hypothèse fédéraliste était retenue, la position des indépendantistes ne serait pas davantage assurée. Lorsqu'une fédération est dissoute, aucun des États successeurs n'hérite automatiquement des droits et obligations de l'État prédécesseur. Ainsi, après la dissolution de la Tchécoslovaquie, la République tchèque et la Slovaquie firent chacune acte de candidature pour adhérer à l'ONU. La situation de la Russie, reconnue comme l'État continuateur de l'Union soviétique, et qui hérita de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité, peut être considérée comme une exception, liée essentiellement à l'arsenal nucléaire soviétique.

Face à une Ecosse indépendante qui souhaiterait adhérer à l'Union européenne, il est possible que beaucoup d'États membres ne cherchent pas à faciliter cette adhésion : les déclarations récentes de M. Barroso l'ont bien montré. Les États confrontés à des mouvements indépendantistes, tels que l'Espagne, avec la Catalogne, la Belgique, avec les Flamands, voire l'Italie, avec la Ligue du Nord, pourraient s'y montrer hostiles. Les grands États membres chercheraient sans doute à préserver le statu quo. La volonté de ne pas créer de précédent pourrait être largement partagée.

Il convient néanmoins de s'interroger sur le réalisme de ces déclarations, compte tenu des conséquences pratiques qu'entraînerait la suspension de la coopération communautaire, qui, en l'espèce, existe depuis plus de quarante ans, alors même que l'Ecosse indépendante souhaitera réintégrer l'Union. Il paraît raisonnable de penser que la plupart des États membres s'aligneront sur la position de Londres, qui a déjà indiqué qu'elle respecterait les résultats du référendum.

Les traités européens ne comportent pas de dispositions relatives à la sécession de parties d'États membres. En revanche, aux termes de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, le retrait d'un État membre doit faire l'objet de négociations préalables avec les institutions communautaires et les États membres avant d'être effectif. Par analogie, l'avenir de l'Ecosse indépendante dans l'Union européenne pourrait être négocié avant son changement de statut par rapport au Royaume-Uni, par le recours à l'article 48 du traité et non à l'article 49 sur la procédure normale d'adhésion.

Quel pourrait être le résultat de ce référendum ? Bien que la plupart des observateurs estiment que le non devrait l'emporter, la campagne ne fait que commencer. Pour les responsables écossais, il s'agit aussi de réaliser une étape en testant la progression de leurs idées. M. Salmond, malgré le raz-de-marée électoral de 2011, avait programmé ce référendum à la date la plus éloignée possible pour pouvoir convaincre un maximum d'électeurs. Cette année sera le 500e anniversaire de la bataille de Bannockburn, où les Ecossais ont vaincu des Anglais malgré l'écrasante supériorité numérique de ces derniers ; l'Ecosse accueillera les jeux du Commonwealth. Il ne faut préjuger de rien : 71 % des Ecossais jugent que leurs intérêts seraient mieux défendus par un gouvernement écossais, mais 65 % continuent à souhaiter que la défense et la diplomatie soient gérées par Londres. M. Salmond a répliqué aux attaques de M. Osborne en disant que celles-ci étaient le fait des élites de Westminster, et que si Londres refusait de partager la monnaie, il refuserait de partager la dette publique britannique.

M. Cameron a peur d'être le « lord North de l'Ecosse », par référence à son prédécesseur qui a perdu les colonies américaines en 1776. Ces enjeux sont fondamentaux pour l'Europe. La sécession de l'Ecosse pourrait influer sur le résultat du référendum britannique de 2017 sur l'appartenance à l'Union européenne.

Il serait utile de présenter un rapport plus complet avant la fin de l'été.

M. Simon Sutour, président. - Il est contradictoire de se dire démocrate et d'être embarrassé par le résultat d'une élection, comme nous l'avait fait remarquer le Premier ministre marocain... En l'espèce, nous sommes soulagés que le non doive l'emporter !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Ce n'est pas sûr.

M. Simon Sutour, président. - De grands États valent toujours mieux qu'un morcellement en petites entités, on l'a bien vu avec l'éclatement de la Yougoslavie. La Catalogne ne peut pas organiser un vote aussi clair, mais ses dirigeants sont partisans de l'indépendance.

M. Jean Bizet. - Ce rapport arrive à point nommé. Cette affaire va peut-être faire sortir nos amis anglais de leur ambiguïté par rapport à l'Union européenne. Je regrette que souffle sur l'Europe un vent mauvais qui attise les crispations identitaires, illustrées il y a quelques jours par le vote suisse. Pourtant, le rapport de Richard Yung le montre bien, l'Union européenne n'a pas failli : depuis la crise de 2008, elle a accompli un travail considérable de restructuration et de rationalisation. Hélas ! L'opinion publique n'en a pas conscience et des ouvrages annonçant la fin de l'Union se multiplient. J'espère donc que cette situation se dénouera positivement, et modèrera le discours de M. Cameron à l'égard de l'Europe. L'Union européenne a besoin du Royaume-Uni, mais la réciproque est vraie aussi.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Les partis d'extrême droite européens ont-ils pris position sur ce référendum ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Pas que je sache.

M. André Gattolin. - Bravo pour cette communication, qui vient à son heure. Les peuples ont droit à l'autodétermination, surtout lorsque leur désir d'indépendance repose sur une vraie culture et une tradition nationale ; le cadre européen est un garant fort de cohérence. Cela dit, ces irrédentismes se manifestent toujours dans les régions riches ou qui se découvrent un potentiel économique qu'elles ne souhaitent plus partager. La Catalogne estime qu'elle s'en sortirait mieux sans l'Espagne. Or, nous avons laissé s'installer des situations anormales au bénéfice de certaines zones. Le statut d'exception de Rotterdam et Anvers, par exemple, est scandaleux.

M. Jean Bizet. - C'est tout à fait vrai !

M. André Gattolin. - Le président de la Commission européenne, M. Barroso, a eu des propos tout à fait déplacés : l'Union européenne n'ayant pas prévu de règles sur le départ d'un État membre, je ne vois pas comment nous pourrions imposer à l'Ecosse de recommencer la procédure d'adhésion.

J'ai du mal à comprendre que les Ecossais hors d'Ecosse n'aient pas le droit de voter. Est-ce lié au régime de la citoyenneté dans le Commonwealth ?

M. Simon Sutour, président. - L'aspect économique ne doit pas masquer l'aspect identitaire et culturel : la langue écossaise a été massacrée, et n'est plus parlée que de manière résiduelle. La culture écossaise a souffert de son intégration dans un grand ensemble. Les Catalans, eux, ont su préserver leur langue. S'il est malsain, en effet, de voir des régions riches vouloir faire, en somme, comme la Norvège, c'est aussi un retour de bâton.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'Ecosse a été indépendante jusqu'en 1707, et a développé une culture nationale, symbolisée en particulier par Burns, et qui vit à travers la diaspora. Saviez-vous par exemple que Carnegie était écossais ?

M. André Gattolin. - Je l'ignorais !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Bien sûr, le gouvernement espagnol est farouchement opposé à l'indépendance de la Catalogne. Les menaces formulées par M. Barroso sont inappropriées et résultent de pressions espagnoles et anglaises : Londres s'inquiète de plus en plus. Elles ne sont pas crédibles : si l'Ecosse vote pour l'indépendance, elle restera dans l'Union européenne. L'Angleterre y aurait trop intérêt ! Le SNP a dit qu'il souhaitait que la reine reste souveraine d'Ecosse.

Les Ecossais résidant à l'extérieur de l'Ecosse ne pourront pas voter. Cela me choque aussi, mais cela correspond à la culture anglo-saxonne, où l'on considère que ne peuvent voter que ceux qui paient leurs impôts dans le pays. Pourtant, l'on contribue aussi à la richesse de son pays lorsque l'on vit à l'étranger. Les Britanniques ont le droit de vote lorsqu'ils résident en dehors de leur pays, à condition que cette absence ne dépasse pas quinze années : Mme Thatcher avait prévu un délai de 18 ans, qui a été réduit par les travaillistes. L'émigration britannique est différente de la nôtre : il s'agit moins d'expatriations temporaires que de déménagements définitifs. Les 800 000 Ecossais résidant en dehors de l'Ecosse sont très fiers de leur origine et auraient pu peser sur le vote. Curieusement, le SNP n'a pas protesté. Le nombre d'étrangers européens qui ont demandé à voter a augmenté de 16 %. Un député du SNP est d'ailleurs français, cela ne pose aucun problème.

M. Simon Sutour, président. - En somme, il y aura deux consultations importantes en septembre : le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, et les élections sénatoriales...

La réunion est levée à midi et demie.