Mardi 21 janvier 2014
- Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente, puis de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -Audition de M. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, dans le cadre de la préparation du rapport « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte » de M. Hervé Maurey
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Bonjour mes chers collègues. Tout d'abord, je voudrais vous proposer de confier un rapport d'information sur les collectivités territoriales et la petite enfance à notre collègue Patricia Schillinger. Il n'y a pas d'objections ? Notre collègue sera donc en charge de ce rapport.
Nous recevons M. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, instance placée auprès du Premier ministre. Je lui souhaite la bienvenue. Cette audition a lieu dans le cadre de la préparation du rapport d'information de M. Hervé Maurey sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, qui sera présenté cette année.
La question du financement des lieux de culte intéresse éminemment les élus, mais avant tout nos concitoyens. Monsieur le président, nous sommes très heureux de vous entendre sur ce sujet. Vous pourriez nous rappeler votre mission, l'ampleur du travail de l'observatoire. Je crois que vous avez été nommé en avril dernier par le Président de la République.
M. Jean-Louis Bianco. - Tout d'abord, merci beaucoup Madame la présidente, de votre invitation sur un sujet important. Tout d'abord, je situerai d'un mot le travail de l'Observatoire de la laïcité. La création de cet organisme avait été prévu au début 2007 par un décret du Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, co-signé par le ministre de l'Intérieur. Pour une raison que j'ignore, il n'a pas été mis en place et c'est tout récemment, début avril, que le Président de la République nous a installés. Je précise que nous sommes indépendants du Gouvernement. L'Observatoire est un organisme récent, qui comprend vingt-deux membres : quatre parlementaires, deux sénateurs et deux députés, deux de la majorité, deux de l'opposition, des membres de droit qui sont les secrétaires généraux des principaux ministères directement concernés par la laïcité, et des personnalités qualifiées appartenant à des domaines très variés, qui peuvent être des sociologues, des philosophes, des spécialistes des religions. Comme son nom l'indique, notre première mission est d'observer, c'est-à-dire de faire un état des lieux sur la laïcité en France, de savoir si c'est une valeur partagée, les difficultés qu'elle connaît, les attaques qu'elle peut subir. Nous avons assez vite fait un premier bilan, dans un souci de démocratie et de transparence, en juin. Nous avons utilisé des remontées du terrain et les réponses des organismes que nous avons interrogés. Nous avons sollicité le ministère de l'Éducation nationale sur l'application de la loi de 2004 proscrivant pour les élèves - pour les enseignants cela va de soi - les signes religieux ostensibles à l'école publique. Nous avons demandé au ministère de la Santé et des Affaires sociales de nous informer des problèmes rencontrés dans les hôpitaux, par exemple le refus d'examen d'une patiente féminine par un médecin masculin. Nous avons également étudié comment cela se passait dans les entreprises, à travers des associations et des grandes entreprises. Une de nos membres est également vice-présidente du Medef en charge de la diversité. Nous avons aussi interrogé l'hospitalisation privée, les ministères de l'Intérieur et de la Justice, à la fois sur les questions de laïcité et sur l'application de la loi de 2010 proscrivant le fait d'avoir le visage masqué dans les lieux publics.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous avons eu une vraie surprise. Nous savons très bien qu'il y a des difficultés localement, avec des tensions, des atteintes à la laïcité. Cependant, les bilans qui nous ont été communiqués dans tous ces domaines montrent qu'il y a moins de problèmes aujourd'hui qu'hier, qu'il y a un ou deux ans, et que beaucoup de ces problèmes se règlent par un rappel à la loi ou par une discussion. Bien entendu, nous n'ignorons pas les problèmes de terrain, mais le diagnostic a été plutôt rassurant.
D'une manière générale, beaucoup d'interrogations portent sur les repères : ce que dit le droit, ce qui est permis ou interdit. Les difficultés de terrain se règlent en général par des discussions, de la pédagogie, de l'éducation. Des repères sont fournis aux élus locaux - c'est le sujet qui nous rassemble aujourd'hui -, mais aussi aux cadres associatifs, aux patrons, syndicats, managers, cadres hospitaliers. En effets, les gens sont souvent perdus devant des demandes qui sont pour eux inédites.
Nous avons donc publié deux guides : « Laïcité et collectivités territoriales », qui traite en partie de la question qui est la vôtre et que nous avons publié l'année dernière pour ne pas être trop proche des municipales, même si cela ne concerne pas que les communes. Le deuxième guide concerne la « Gestion du fait religieux en entreprise ». Nous avons en préparation un troisième guide sur le « Secteur associatif en milieu scolaire ». Nous avons bien sûr travaillé avec d'autres instances dont les actions étaient proches des nôtres, le Défenseur des droits, bien entendu, la Commission consultative des droits de l'homme, et le Conseil économique, social et environnemental qui a rendu un avis sur le fait religieux en entreprise.
J'en viens à l'objet même de cette audition. Je souhaiterais rappeler les données juridiques de base, l'état du droit et celui des pratiques, pour ce que nous en connaissons. Je rappelle que l'article 1er de la loi de décembre 1905 dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Et qu'avec l'article 2, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
S'agissant de la construction de lieux de culte, le législateur a apporté deux tempéraments à ces principes. Tout d'abord, les baux emphytéotiques administratifs, prévus à l'article L. 2252-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), permettent de contracter un bail d'immeuble appartenant à une commune en vue de l'affectation d'un édifice du culte ouvert au public à une association cultuelle. Il s'agit d'un mécanisme utilisé depuis 80 ans, d'abord pour les édifices chrétiens, et actuellement pour des dizaines de mosquées.
Ensuite, la deuxième possibilité ouverte par les textes législatifs - l'article L. 2252-4 et L. 3251-5 du CGCT - en matière de financement des lieux de culte consiste, pour une commune ou un département, à garantir un emprunt contracté par une association cultuelle en vue de la construction d'un édifice du culte. Cette solution est utilisée dans plusieurs exemples, dont récemment pour la mosquée de Reims.
Ainsi, concernant la construction de lieux de culte, le droit propose les baux emphytéotiques administratifs, les garanties d'emprunt, et des exonérations de charges directes ou indirectes, principalement la taxe foncière sur les propriétés bâties et les droits de mutation à titre onéreux.
À propos de la question du fonctionnement et de la gestion du patrimoine cultuel, l'article 5 de la loi du 2 janvier 1907 dispose qu'« À défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ». Les édifices cultuels appartenant à la collectivité publique relèvent évidemment du domaine public des collectivités propriétaires mais, malgré cette qualité, la commune ne dispose pas du droit de réglementer l'accès au bâtiment, ni même d'en disposer librement. Elle doit recueillir l'accord de l'affectataire du bâtiment avant de décider de l'organisation d'une manifestation dans cet édifice
Mais la question qui suscite le plus d'interrogations est celle-ci : quelles sont les dépenses que les collectivités territoriales peuvent faire pour l'entretien du patrimoine cultuel ? Elles peuvent participer financièrement aux dépenses nécessaires à l'entretien et à la conservation des édifices dont la propriété leur a été attribuée en 1905, selon l'article 13 de cette même loi de 1905. La commune, en tant que propriétaire, peut voir sa responsabilité engagée en raison des dommages provenant du défaut d'entretien des églises.
La loi de 1905 a prévu des exceptions à la règle de non-subvention affirmée à l'article 2. Les collectivités territoriales financent les dépenses « nécessaires à l'entretien et à la conservation », et je dis bien « nécessaires à l'entretien et à la conservation » de l'édifice. Il y a cependant interrogations, débats, jurisprudence en ce qui concerne l'embellissement, l'agrandissement et l'achat de meubles.
Une troisième question, qui n'est pas tout à fait dans vos préoccupations mais s'y rattache, concerne les salles communales utilisées comme lieux de culte. En effet, en vertu de l'article L. 2144-3 du CGCT, des locaux communaux peuvent être utilisés par des associations, syndicats, parti politiques qui en font la demande. Une commune peut donc mettre à disposition des locaux communaux à une association cultuelle pour qu'elle y organise des cérémonies religieuses, à condition que cela ne soit pas gratuit, en fonction de l'article 2 de la loi de 1905 déjà mentionné.
À notre connaissance, il y a peu de garanties d'emprunt pour la construction de lieux de culte. Cela peut être dû au fait que les associations cultuelles considèrent que l'emprunt est contraire à la loi islamique. En revanche, de nombreux baux emphytéotiques ont été recensés, qui permettent d'obtenir des terrains dans des villes où les prix du foncier sont très élevés. Enfin, les communes ont pu être amenées à financer des parties culturelles et non pas cultuelles des édifices religieux : bibliothèques, jardins, par exemple.
En ce qui concerne les retours d'expérience concernant le principe de laïcité dans les collectivités territoriales, nous avons transmis une demande à toutes les préfectures concernant la laïcité, et non pas seulement les lieux de culte. Les préfets ont soulevé peu de problèmes. Il y a quelques cas liés à la sécurisation des lieux de culte, à leur dégradation, à leur utilisation, des problèmes de proxénétisme dans les prisons, des arrachages d'arbres de la laïcité, comme on l'a vu récemment. Nous avons également pris l'attache de l'Association des maires de France, et de l'Association des grandes villes de France. Elles n'ont pas fait mention de réels problèmes, même si elles ont évoqué - comme je le disais au début- le manque de repères, l'incompréhension, voire les polémiques sur le sujet. S'agissant des problèmes particuliers relatifs à la construction et au financement des lieux de culte dans nos territoires, ils sont assez rares.
Il reste, bien entendu, pour les collectivités territoriales, la difficulté d'assurer les réparations et l'entretien des lieux de culte. Dans certaines communes, un manque de compréhension peut s'exprimer à l'occasion des travaux de construction de futurs lieux de culte, avec des pétitions, des recours en justice contre le permis de construire. On trouve plus fréquemment des dégradations, des inscriptions à caractère antireligieux, quelle que soit la religion, raciste, antisémite ou antimusulman sur les lieux de culte.
Votre rapporteur se demande s'il faut modifier le financement des édifices cultuels dans notre pays. En vérité, d'un point de vue des conceptions de la laïcité, deux positions extrêmes et divergentes coexistent. Premier positionnement : avec ses aménagements, ses accommodements, la loi de 1905 porte en elle une contradiction avec le principe fixé dans son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ne faudrait-il pas, alors, modifier la loi et considérer que les fidèles doivent financer leurs propres lieux de culte ? La position inverse consiste à dire qu'il est difficile de gérer ces exceptions - baux emphytéotiques, garanties d'emprunt, financement des parties culturelles des lieux cultuels - et qu'il faudrait élargir les possibilités de financement.
Notre sentiment est qu'il n'existe pas en la matière de position idéale s'imposant à l'évidence. La loi de 1905 est déjà le résultat d'une longue histoire et d'un long combat ; elle est une loi de compromis, avec Aristide Briand et Jean Jaurès, contre des positions clairement antireligieuses, en tous cas anticléricales, tandis que, du côté de l'Église, certaines forces ne voulaient aucun compromis, d'autres recherchant au contraire une certaine sécurité. Il nous semble que, dans ce domaine comme dans d'autres, nous avons atteint un équilibre qui fonctionne correctement. Y aurait-il plus ou moins d'avantages à fermer les possibilités de financement ou à les ouvrir ?
Les collectivités territoriales, en tant que collectivités publiques, sont tenus à la neutralité par rapport aux religions. Elles sont des gardiennes de la laïcité. Elles sont aussi des acteurs de la laïcité : beaucoup d'entre elles ont créé des organismes, des observatoires, des rencontres avec les forces philosophiques et religieuses pour examiner les moyens du vivre ensemble.
Ce rôle des collectivités territoriales, à la fois gardiennes de la laïcité et chargées de faire vivre cette laïcité sur le territoire, nous paraît bien compris par elles. Notre rôle à nous s'enrichit des échanges que nous avons avec ces observatoires locaux, ces collectivités territoriales qui ont des pratiques intéressantes ou rencontrent des difficultés. Notre Observatoire a des moyens limités - ne nous en plaignons pas quand l'heure est aux économies -, notre travail est d'avoir ce dialogue, d'apporter un soutien en fournissant des éléments d'appréciation intellectuelle, de jurisprudence et de droit aux collectivités.
Voilà, Madame la présidente, ce que je souhaitais évoquer et je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Sur ce sujet très sensible, je vous remercie d'avoir rappelé les conditions d'élaboration de la loi de 1905, texte de compromis qui a permis de trouver une solution de paix entre l'État et les religions.
M. Hervé Maurey. - Le travail préalable à mon futur rapport a commencé en septembre 2013 avec de nombreuses auditions. La loi de 1905 est en effet un monument qu'il ne s'agit pas de modifier en profondeur, mais qui n'est plus toujours adapté aux évolutions de la société et des religions en expansion, comme l'islam ou le mouvement évangélique. J'évoquerai trois sujets d'interrogation :
- faut-il codifier la jurisprudence établie par les tribunaux sur l'application de cette loi ?
- la distinction entre activités cultuelles et culturelles est parfois difficile à cerner ;
- les baux emphytéotiques consentis par les municipalités en faveur des lieux de culte constituent, à mon sens, de véritables bombes à retardement financières. Je prendrai le cas de la Ville de Paris, qui va se retrouver prochainement propriétaire d'églises construites dans les années 1920 à 1930, et qui sont dans un état très dégradé Pour remédier aux considérables dépenses induites, ne faudrait-il pas prévoir une clause de rachat par les représentants du culte ?
Il s'agit là de questions résumant l'état actuel de ma réflexion, qui ne présagent en rien du contenu du futur rapport.
M. Jean-Louis Bianco. - S'agissant de la jurisprudence, forgée à partir de cas concrets soumis au juge, il me semble difficile de la transposer dans la loi. Il est vrai qu'elle a permis de préciser des notions très importantes, comme les conditions précises de l'exercice de la liberté religieuse dans l'entreprise ou dans les services publics.
La distinction entre activités cultuelles et culturelles, parfois ténue, pourrait être clarifiée par une circulaire rappelant le droit existant.
Quant à la clause de rachat d'édifices religieux que vous avez évoquée, le principal obstacle me semble être l'appartenance de beaucoup de ces édifices au patrimoine culturel national, comme la basilique de Fourvière à Lyon.
M. Edmond Hervé. - La loi de 1905 n'est pas la seule référence juridique dans les rapports entre l'État et les religions, et de nombreux textes relatifs à la liberté de culte sont postérieurs à cette loi. Ainsi, la construction à Paris de la Grande Mosquée dans les années 1930 s'est effectuée en marge des principes posés en 1905.
Durant mon mandat de maire de Rennes, de 1977 à 2008, j'ai agi comme un animateur de la laïcité, qui est une démarche de liberté et non une posture antireligieuse. Du fait de l'important déséquilibre existant en Bretagne entre la condition de l'église catholique et celle des autres cultes, il m'a semblé opportun de soutenir ces derniers. La municipalité de Rennes a ainsi construit successivement deux centres culturels islamiques, dont l'architecture était dépourvue de minaret, en passant un contrat avec des associations gestionnaires. La première construction, en 1980, a suscité de vives manifestations d'hostilité de la part de l'appareil central du parti communiste, avec la venue de Georges Marchais, alors que les élus locaux communistes y étaient favorables. L'UDR y était aussi très opposée. La construction du deuxième local islamique s'est effectuée dans un climat apaisé, tout comme celle d'un local israélite et d'un local protestant.
J'estime que les élus doivent faciliter l'exercice de la liberté religieuse. La construction d'un islam de France, bénéfique à notre pays, requiert leur implication.
M. Jean-Louis Bianco. - J'estime également que la laïcité vise à l'émancipation, au respect et à l'égalité entre les citoyens : il s'agit là des conditions concrètes de l'exercice de la liberté.
M. Antoine Lefèvre. - La cathédrale de Laon, ville dont je suis maire, est propriété municipale depuis la Révolution ; elle représente un lourd fardeau financier, aggravé par le fait que l'évêque réside à Soissons. Ainsi, les 28 000 habitants de Laon doivent financer les 6 millions d'euros requis par la restauration de la couverture. Certes, nous recevons des aides de l'État et d'associations de défense du patrimoine, mais il s'agit de dépenses importantes, et qui vont s'aggraver avec la nécessité de mise aux normes.
Par ailleurs, si la ville est propriétaire, c'est l'affectataire qui juge de la recevabilité des projets de valorisation de l'édifice, comme les sons et lumières ou les photos.
M. Jean-Louis Bianco. - Sans vouloir rouvrir avec l'État un débat classique, les élus savent à quel point la question de la mise aux normes pose un problème plus général. En effet, ces mises aux normes sont souvent décidées d'en haut et les conséquences financières doivent être assumées par les collectivités territoriales. La difficulté que vous signalez, résultant de ce que l'affectataire est maître de l'usage du lieu, est intéressante.
Concernant le financement, votre remarque rejoint celle de votre rapporteur. Mon interrogation est plus pratique que juridique. En effet, les charges sont considérables pour les communes. Qui peut les assumer ? Pour des petites chapelles, nous avons tous l'expérience des contributions volontaires d'une association. Les petits édifices peuvent recevoir des aides de la commune. Lorsqu'il s'agit de plus grands édifices, votre rapporteur évoquait la possibilité d'un rachat par les fidèles, à supposer que ces derniers en aient l'envie et les moyens. Sinon, on peut penser à l'Etat, mais les finances publiques sont en difficulté. Je n'ai donc pas de solution, mais à la question financière grave que vous posez la réponse n'est probablement pas seulement juridique. Je ne sais pas quelle peut être exactement cette réponse, à part pour les petites chapelles. Encore une fois, la bonne volonté - y compris de non croyants - a un rôle à jouer. La Fondation du patrimoine peut également apporter des soutiens utiles. Mais à l'échelle de l'exemple soulevé - la cathédrale de Laon -, le problème est plus difficile.
M. Hervé Maurey. - Je voulais souligner que les difficultés entre propriétaires et affectataires peuvent se rencontrer fréquemment, y compris dans des petites communes. Le cas de la cathédrale de Laon est une problématique à grande échelle. Dans une petite commune, le maire a parfois du mal à comprendre que, alors qu'il fait des efforts budgétaires importants pour l'église, le prêtre n'y autorise pas la tenue d'un concert. Ce sont là de vraies difficultés, et on peut se poser la question de savoir s'il est normal que celui qui finance l'édifice ne puisse pas en jouir, bien sûr sous certaines conditions, sans l'accord de l'affectataire.
M. Jean-Louis Bianco. - Si ces difficultés se rencontrent plus souvent qu'on ne le croit, alors je pense que c'est par une modification de la loi qu'il faudrait les régler, et non par une simple information ou une simple circulaire.
M. Yannick Botrel. - Comme Edmond Hervé, je viens d'une région qui fut très religieuse - un historien a écrit il y a quelques années : « Dieu est mort en Bretagne ». Pratiquement 110 années nous séparent aujourd'hui de la loi de 1905, et les choses ont considérablement évolué. La religion n'a pas le même poids, son influence a énormément diminué. Quant au clergé, qui était particulièrement militant, il est aujourd'hui pour ainsi dire inexistant. Chez nous, un prêtre s'occupe de 15 ou 20 paroisses, comme, j'imagine, ailleurs en France. Cette loi de 1905 venait mettre un terme symbolique à une période de 40 années d'affrontement commencée juste après la guerre de 1870. On pourrait même évoquer des racines plus anciennes de la confrontation entre l'État et la religion, dès 1830 et même encore avant.
Cette loi de 1905, qui a marqué une période extrêmement violente dans le débat public, a eu comme point d'orgue les inventaires qui ont immédiatement suivi. En Bretagne se sont déroulées des scènes absolument inouïes par leur violence, y compris dans les villes, par exemple à Rennes, à Nantes, etc. Or cette loi a tranché une question qui fut pendante tout au long du XIXe siècle : celle de l'entretien des lieux de culte, alors à la charge des fabriques paroissiales. Avant 1905, la législation prévoyait que les communes devaient suppléer le budget des fabriques pour les églises et les presbytères. La commune intervenait donc, mais en deuxième lieu. Et, très souvent, elle intervenait parce que les fabriques paroissiales n'avaient pas les moyens de régler les frais d'entretien. En 1905, les communes sont devenues propriétaires de plein droit des églises et des presbytères. Les loyers ont d'ailleurs été fixés à l'époque et sont restés identiques pendant 80 ans. Puis les églises se sont « vidées ». Une indifférence, polie la plupart du temps, prévaut aujourd'hui.
Je tiens à rappeler deux situations intéressantes auxquelles j'ai assisté sur le territoire des Côtes-d'Armor. Dans ce département, une vague de construction d'églises s'est déployée entre 1850 et 1900 ; ces églises ne sont ni classées ni inscrites car sans intérêt patrimonial particulier. Elles ont été réalisées largement sur le compte des fabriques, à l'économie. Or, il s'avère aujourd'hui qu'elles présentent des désordres importants. Dans deux communes des Côtes-d'Armor, Plounérin et Plouagat, qui ont des municipalités de gauche, la question s'est posée de savoir si les églises devaient être conservées ou rasées. Dans les deux cas, les maires ont pris l'initiative d'un référendum. Compte tenu du fait que les églises sont, mis à part les jours d'enterrement, moins pleines que par le passé, j'étais perplexe sur le résultat de ces référendums. Dans les deux cas, la population s'est prononcée à une très large majorité pour la restauration de l'église. Ce ne sont pourtant pas des petits budgets, à l'échelle de ces deux communes. Ces exemples m'ont interpellé. Sont-ils à mettre en rapport avec l'identité communale ou avec d'autres phénomènes ? Je l'ignore. Dans ces deux cas précis, un vrai débat s'est organisé, qui a duré des mois, sinon parfois des années, et nous sommes arrivés à ce résultat.
Concernant maintenant l'usage des édifices, je n'ai pas rencontré d'exemple où l'affectataire a refusé l'accès à l'église pour des concerts ou des expositions, pourvu que le thème retenu soit en conformité avec la nature du lieu. Je ne connais pas moi-même, en tant que maire et par l'expérience que j'ai de mon territoire, de cas où l'affectataire a opposé un refus - sauf un, et je pense que dans ce cas l'affectataire était plus instrumentalisé par des personnes de son entourage que par ses convictions propres.
Comme le disait Edmond Hervé, nous ne sommes pas dans une région d'immigration. Simplement, je suis partisan de la laïcité, valeur essentielle qui structure aujourd'hui complètement et sans opposition notre société. Mais ce que je constate, c'est que la laïcité apparaît parfois comme un moyen de coercition à l'égard de religions militantes, très souvent l'islam. Cela renvoie à des phénomènes tels que l'identité nationale. On entend bien souvent des réflexions sur les lieux de culte consacrés à la religion islamique, même si ces lieux de culte sont tout à fait privés. Par exemple, dans la ville de Guingamp, dont l'agglomération fait 20 000 habitants, vit une petite communauté musulmane qui se réunit dans un lieu privé pour prier. Cela hérissait une partie de la population. Cette discussion renvoie donc au rapport que l'on peut avoir à l'égard de ces religions, et à mon avis cela dépasse le sujet religieux et touche à d'autres sujets.
M. Jean-Claude Peyronnet. - J'entends ce que dit Yannick Botrel sur l'aspect militant et les critiques que cela peut entraîner. Mais l'islam n'est pas seul concerné. Dans ma région, qui est très déchristianisée, existe depuis l'an 1000 la tradition des ostensions, qui se déroulent tous les sept ans et qui célèbrent un miracle survenu il y a un millénaire. Tous les sept ans donc, on sort les reliques des saints et il y a une grande procession à travers la ville. Ces ostensions relèvent aujourd'hui de la tradition populaire. De plus, elles ont lieu dans une municipalité communiste depuis 1919. Cette tradition était jusqu'à maintenant subventionnée par les mairies, la région et le conseil général. Toutefois, lors des dernières ostensions, les décisions de subventions ont été attaquées et finalement annulées par le tribunal. Je ne suis pas sûr que cette décision de justice soit pertinente, car cette tradition est devenue autre chose qu'une simple cérémonie religieuse. Il est clair qu'il reste, en tout cas en Limousin, un mouvement très « laïcard ».
M. Jean-Louis Bianco. - Nous avons évoqué ce point dans le guide des collectivités territoriales. Nous avons rappelé d'autres exemples, comme l'ascenseur de la basilique de Fourvière, la validation du financement d'un orgue installé dans une église pour organiser des cours ou des concerts de musique, l'orgue pouvant servir à des usages autres que religieux. Le financement d'un abattoir provisoire pour l'Aïd El Kébir, dans le respect de conditions tarifaires excluant toute libéralité, a également été validé. De même, a été validé le financement d'une manifestation pour la paix organisée par une association sous forme de tables rondes et de conférences sans caractère cultuel. À chaque fois, il faut qu'existe un intérêt public local.
Les ostensions septennales auxquelles faisaient référence Jean-Claude Peyronnet ont effectivement donné lieu à un arrêt du Conseil d'État, « Grande confrérie Saint Martial », rendu le 15 février 2012. Le Conseil d'État affirme que ces ostensions ont un caractère cultuel qui, malgré leur intérêt culturel et économique, empêche tout financement public. Nous rejoignons ici la problématique plus générale sur le financement du culturel et du cultuel. Certains laïcs pensent que si l'orgue sert ne serait-ce qu'un peu à l'exercice du culte, il n'est pas normal de le réparer sur fonds publics.
Nous sommes ici sur des distinctions discutables, byzantines. Mais on ne va pas régler toutes ces questions par la loi. Des équilibres plus ou moins bons sont à trouver. Pour reprendre l'exemple évoqué, des « radicaux » de la laïcité pourront dire qu'ils ne souhaitent pas du tout d'ostensions, d'autres encore, dans le sud, qu'ils ne souhaitent pas de crèche.
Il s'installe parfois une confusion entre l'espace privé, où s'exerce une liberté absolue, l'espace public au sens propre (les édifices des communes, des départements, des régions et de l'État) et l'espace qu'on nomme parfois public, par exemple la rue, mais qui est l'espace commun. Les règles qui s'appliquent à cet espace commun ne peuvent être ni celles de l'espace privé, du domicile, ni celles de l'espace public au sens de l'édifice public.
Nous avons donc entamé une réflexion à ce sujet pour élaborer un texte d'orientation et préciser les idées.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Les footballeurs peuvent-ils toujours faire un signe de croix devant des millions de spectateurs lorsqu'ils ont marqué un but ?
M. Jean-Louis Bianco. - En effet, la question est posée pour le signe de croix. Mais il s'agit des règles du sport, qui veulent qu'il n'y ait aucune connotation religieuse ou politique dans les manifestations dépendant des fédérations sportives. Nous ne sommes plus dans la stricte logique de la laïcité.
M. Georges Labazée. - Comme Jean-Louis Bianco préside l'Observatoire de la laïcité, je voudrais m'autoriser à faire une suggestion complémentaire à l'ordre du jour. Je partage beaucoup de ce qui a été dit jusqu'à maintenant, surtout lorsque des édifices cultuels, quoique d'une grande qualité, sont très onéreux pour les collectivités territoriales.
Un grand nombre de départements où sont pratiquées les langues et les cultures régionales connaissent actuellement des préoccupations. Je veux parler de la Bretagne avec les diwan, du pays basque avec les ikastola, des territoires des pays d'oc avec les calandreta, etc. Je fais ici référence aux règles de la loi Falloux sur le financement. Les structures qui font de l'enseignement dans la langue locale n'ont aucune relation avec le monde cultuel, ce sont des établissements privés laïcs. Le problème posé depuis des années aux collectivités locales est celui de la construction de ces écoles ou collèges pour accueillir des classes immersives où l'enseignement est réalisé dans la langue en question. C'est un sujet de difficultés pour de nombreuses collectivités territoriales dans les territoires concernés. Le débat émerge d'ailleurs à nouveau à propos de la charte des langues régionales et je rappelle que la France est le seul pays d'Europe à ne pas l'avoir validée.
Je suis conscient que ce n'est pas le sujet du jour, mais le président de l'Observatoire pourrait se saisir de la question. C'est un vrai problème car, dans certaines collectivités, les préfets cassent des délibérations. Or, il y a 3 000 enfants scolarisés dans les ikastola en langue basque et 2 000 à 2 500 dans les calandreta en langue occitane. Je sais que ce problème se pose également en Bretagne avec les diwan, dans les Pyrénées-Orientales, en Alsace. Nous ne pouvons plus rester sur des dispositifs de la loi Falloux datant des années 1850.
M. Jean-Louis Bianco. - Je vous remercie d'avoir signalé ce point, nous allons étudier cette suggestion. Toutefois, je ne vois pas ce qui empêcherait une collectivité territoriale de financer une école de ce type.
M. Georges Labazée. - C'est interdit.
M. Jean-Louis Bianco. - Par quelle disposition ?
M. Georges Labazée. - Par la loi. Et chaque fois qu'une commune adopte une délibération, celle-ci est transmise au tribunal administratif qui l'annule.
M. Jean-Louis Bianco. - La délibération est-elle annulée pour des motifs liés à la laïcité ?
M. Georges Labazée. - Elle est annulée en raison d'une conception de l'application de la loi. Ces écoles sont considérées comme des écoles privées au titre de la loi Falloux, et ne peuvent pas percevoir plus d'un certain montant de subventions publiques.
M. Jean-Louis Bianco. - Ça n'est donc pas exactement un problème de laïcité mais un problème d'école subventionnable ou pas. Nous nous pencherons sur la question, qui est connexe au sujet du jour. Pour ma part, en tant que président de conseil général, j'ai subventionné des cours de langue provençale sans aucun problème. Ce qui est intéressant, c'est que des non-provençaux fréquentaient ces écoles autant que les provençaux pour s'approprier la culture du lieu où ils vivaient.
M. Georges Labazée. - Le débat porte ici spécifiquement sur l'investissement.
M. Jean-Claude Peyronnet. - À ce propos, je vous conseille la lecture du remarquable discours de Victor Hugo contre la loi Falloux.
M. Claude Haut. - Concernant les relations entre les affectataires et les propriétaires de lieux de culte, je crois que les propriétaires ont beaucoup plus de poids que les affectataires puisqu'ils gèrent les dossiers de réparation de ces édifices. J'ai eu, à un moment donné, en tant que maire, quelques difficultés avec l'affectataire. Mais je crois qu'au final le propriétaire réussit à faire prévaloir son point de vue. Après quelques discussions, le bon sens finit par l'emporter. S'il s'agit de gros travaux et de lourds investissements, c'est un autre sujet. Mais lorsqu'il s'agit d'organiser un spectacle à l'intérieur de tel ou tel lieu de culte, le propriétaire doit pouvoir arriver à gérer la situation. Je ne suis donc pas inquiet à propos des relations entre propriétaires et affectataires des lieux de culte.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Nous voyons quelles difficultés il y a à assurer une certaine égalité entre les religions. Les financements par les fidèles existent mais ne sont pas suffisants. Du coup, certains font appel à l'étranger. Ceci ne pose-t-il pas problème ? Je n'imagine pas qu'un certain nombre de pays étrangers n'aient pas d'arrière-pensée et qu'il n'y ait pas une influence sur l'enseignement des imams. Il y a donc un vrai problème dans l'application rigoureuse de la loi.
M. Hervé Maurey. - C'est un point que nous n'avons pas encore abordé dans le cadre de ce rapport, mais nous commençons dès demain les auditions de représentants d'États étrangers pour aborder ces aspects.
M. Jean-Louis Bianco. - Ce n'est pas du domaine de l'Observatoire, mais c'est néanmoins une question extraordinairement importante. Quelqu'un parlait tout à l'heure de l'islam de France. J'indiquerai à ce sujet qu'environ 60 % des financements sont apportés par les fidèles.
Ceci dit, nous sommes ici en contradiction avec un principe de laïcité stricte qui consisterait à affirmer que l'Etat n'a pas à s'impliquer ou qu'il ne doit pas, par exemple, organiser la formation des imams. Je souhaite, à titre personnel et sans engager l'Observatoire, dire qu'il me semble nécessaire de constituer un islam de France et de s'intéresser à la formation des imams. L'Etat a raison de commencer à agir dans ce sens, ainsi d'ailleurs que l'Institut catholique et d'autres organismes, à Strasbourg, à Lyon.
En outre - et c'est un sujet dont nous nous entretenons avec le ministère de l'Intérieur -, il existe de réelles inquiétudes non pas sur les imams dans les mosquées stables, mais sur les imams itinérants, dont on me dit qu'ils sont assez souvent financés par des États étrangers. Il semblerait, même si le ministère de l'Intérieur est certainement mieux renseigné, qu'il puisse y avoir dessous une vision d'un islam très radical. Par ailleurs, rien ne s'oppose à l'expression de formes intégristes ou radicales de la religion, dès lors qu'on respecte les lois de la République. Mais il y a là un vrai souci d'ordre public et d'exercice de la liberté religieuse, qui n'est pas directement de notre domaine mais qui, en effet, est préoccupant.
M. Hervé Maurey. - Vous dîtes, Monsieur le président, qu'on peut être intégriste dès lors qu'on respecte les lois de la République. Le problème est que lorsqu'on est intégriste on ne reconnaît pas ces lois. C'est en tout cas ce qui nous a été indiqué dans un certain nombre d'auditions, à savoir que chez certains acteurs de l'islam, la règle de l'islam prévaut sur la règle de la République.
M. Jean-Louis Bianco. - Lorsque j'emploie le mot « intégriste », j'entends une conception extrêmement rigide et extrémiste de l'interprétation du dogme. En revanche, il est évident qu'il y a des gens, dans différentes religions mais en particulier dans l'islam, qui ne reconnaissent pas les lois de la République. Le problème de l'islam radical est donc, à mes yeux, autant un problème politique qu'un problème religieux. Il s'agit de personnes qui s'attaquent à la République pour des raisons idéologiques qui deviennent des raisons politiques.