Mardi 3 décembre 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Sécurisation de la vie des entreprises - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 28 (2013-2014 d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises.
M. Daniel Raoul, président. - Nous examinons le rapport pour avis sur le projet de loi n° 28 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Ce projet de loi traduit l'engagement du Président de la République à mettre en oeuvre rapidement un « choc de simplification » ; il est issu d'une large concertation avec les entreprises et a été préparé avec M. Thierry Mandon, nommé parlementaire en mission auprès du Premier ministre à qui il a remis son rapport en juillet dernier.
Les projets de loi d'habilitation dépossèdent le Parlement d'une partie de ses prérogatives législatives - même si celui-ci conserve des moyens d'action juridiques, y compris la possibilité de modifier le contenu des ordonnances lors de la ratification, si le Gouvernement ne s'y oppose pas. Je crois que le temps est venu d'associer davantage le Parlement à l'élaboration des ordonnances : soit en instituant une consultation publique sur les projets d'ordonnance, en y donnant un rôle privilégié au Parlement ; soit, à tout le moins, en communiquant les projets d'ordonnance au Parlement - je vous propose de sensibiliser le Gouvernement en séance publique sur ce point important, car chez nos voisins européens le Parlement est étroitement associé à la simplification des normes.
Les projets d'habilitation, ensuite, nous laissent peu de possibilités d'amendements, car le Conseil constitutionnel a jugé que les parlementaires ne peuvent pas prendre d'initiatives tendant à élargir le champ de l'habilitation. Nous devons donc exprimer nos intentions dans les travaux préparatoires de la loi d'habilitation : ne négligeons pas ce rôle, car la jurisprudence constitutionnelle et même administrative ou judiciaire, fait référence à nos débats.
Cette remarque est d'autant plus importante que la simplification de la vie des entreprises ne relève pas seulement de normes législatives ou réglementaires mais aussi de comportements. Par exemple, il a été constaté que les greffes des tribunaux de commerce n'ont pas toujours des pratiques homogènes sur l'ensemble du territoire, et certains demandent des justificatifs non prévus par la réglementation. De ce point de vue, il est essentiel que le Gouvernement et le Parlement diffusent ensemble un message de simplification de la vie des entreprises à la société française et à son administration.
Le thème de la simplification n'est pas nouveau : depuis les années 1950, on répète qu'il faut « simplifier », mais sans parvenir à des résultats satisfaisants. Ce texte tire les leçons du passé en redonnant de la crédibilité à la simplification, laquelle a bien failli devenir elle-même un processus inflationniste et un nid à contentieux. La dernière loi de simplification du 22 mars 2012, pourtant issue de l'initiative parlementaire - une proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann -, a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel annulant onze cavaliers législatifs.
Le véritable enjeu du débat, me semble-t-il, réside dans la « compétitivité-temps » et la charge administrative ; de fait, la complexité croissante du droit concerne tous les domaines, tous les pays et le droit international lui-même, en particulier au sein de l'Organisation mondiale du commerce ; dès lors, il faut s'efforcer de diminuer le nombre des règles, mais aussi gérer la complexité pour l'usager lui-même. L'outil informatique a déjà prouvé son utilité, mais la e-administration pourrait faire économiser jusqu'à 15 milliards à l'État et alléger de 25 % de la charge administrative pour les entreprises.
C'est le premier axe fondamental de ce texte, en particulier avec la facturation électronique - l'État traite manuellement des quantités énormes de papiers correspondant à plus de quatre millions de factures par an, dont certaines atteignent des centaines de pages.
La réussite de l'e-administration ne va cependant pas de soi : aux États-Unis, la saturation des sites internet publics a fragilisé le vaste programme « ObamaCare » de généralisation de la couverture maladie. C'est pourquoi je vous propose de souligner, en séance publique, notre attachement à l'équilibre auquel ce texte parvient entre l'extension progressive des obligations d'utiliser les outils de la e-administration, et un traitement particulier des très petites entreprises qui n'auraient pas les moyens de se mettre aux normes techniques.
Les exemples réussis et les bonnes pratiques conduites chez nos voisins européens sont allés dans ce sens, si on se réfère à l'expérience belge du « Dites-le nous une fois » - qui a été reprise en France - et du « Test Kafka », lequel évalue l'impact d'une nouvelle réglementation sur les charges administratives à l'aide d'un questionnaire précis sur le nombre et la périodicité des formalités et obligations induites par les normes envisagées.
Autre source de complexité, l'instabilité du droit. Il ne saurait être question d'exiger que le Parlement arrête de perfectionner les règles et de concilier les intérêts contradictoires qui traversent la société : l'adaptation du droit participe de la vocation même des assemblées parlementaires ; cependant, l'instabilité des normes est le principal obstacle à l'initiative, car elle crée de l'incertitude qui fait renoncer à bien des projets.
Le projet de loi d'habilitation explore ici une solution novatrice : il propose d'expérimenter le « certificat de projet » en offrant des perspectives stables aux porteurs de projets sans pour autant brider le législateur dans ses initiatives de perfectionnement du droit.
Je résumerai maintenant brièvement les six dispositions du projet de loi sur lesquelles porte notre examen pour avis.
L'article premier comporte des mesures qui visent pour l'essentiel à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.
Parmi les plus significatives, je citerai l'allégement des obligations comptables des petites et très petites entreprises : cela concerne 1,33 million d'entreprises de moins de 50 salariés au total, dont 1,1 million de micro-entreprises de moins de dix salariés.
J'ai évoqué le développement de la facturation électronique par étapes et je précise qu'elle concernerait les relations des fournisseurs non seulement avec l'État mais aussi avec les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs.
Je mentionne également la création d'un cadre juridique pour le financement participatif. Cette technique consiste, pour les entreprises naissantes à rechercher des fonds par l'intermédiaire d'un site internet accessible au grand public : cela représentait 6 millions d'euros en 2010 pour financer 15 000 projets, mais ce phénomène serait en croissance très forte avec 30 millions d'euros levés au cours du premier semestre 2013. Il s'agit d'assurer un niveau de protection de l'internaute financeur qui doit être supérieur à celui d'un consommateur sans pour autant imposer aux entreprises des obligations conçues pour des levées de fonds massives.
L'article premier favorise également le développement du numérique pour atteindre l'objectif de couverture intégrale du pays en très haut débit d'ici 2022 : on recense, à ce jour, environ 300 000 raccordements contre 33 millions de lignes pour le réseau en cuivre d'Orange ; le coût du raccordement final avoisine 200 euros en immeuble collectif et 400 euros pour l'habitat individuel et c'est précisément les modalités juridiques du raccordement qu'il convient de clarifier, surtout dans les lotissements.
Au plan juridique, le volet communication de cet article premier prévoit de sécuriser le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) : à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 5 juillet dernier qui a annulé le dispositif, l'ARCEP a besoin de retrouver dans les meilleurs délais l'exercice de son pouvoir de sanction dans des conditions qui garantissent le respect du principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions.
L'article premier prévoit aussi de simplifier les dispositions du code du travail concernant les obligations des employeurs en matière d'affichage et de transmission de documents à l'administration. Nos collègues députés ont ajouté que cette simplification devait se faire « dans le respect des droits des salariés » et je crois utile d'accentuer encore le trait en prévoyant une procédure consultative sous l'égide du ministère en charge du travail.
Enfin, cet article prévoit la simplification des obligations déclaratives des 100 000 entreprises soumises à la participation des employeurs à l'effort de construction (qui représente 0,45 % du montant des rémunérations).
L'article 2 rassemble des mesures relatives au traitement des difficultés des entreprises. Statistiquement, 60 000 entreprises représentant 245 000 emplois ont fait l'objet d'ouverture d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire en 2012, tandis, je le rappelle, qu'on recense environ 550 000 créations d'entreprises, en moyenne, chaque année.
L'habilitation vise principalement à favoriser le recours aux mesures de prévention et à faciliter la recherche de nouveaux financements de l'entreprise bénéficiant d'une procédure de conciliation.
Je vous propose de souligner l'enjeu crucial qui consiste à mieux préserver la confidentialité au stade de la prévention des difficultés des entreprises. Dans notre pays, la trésorerie des entreprises repose, en moyenne, à hauteur de 30 % sur le crédit bancaire et à 70 % sur le « crédit fournisseur » et, par conséquent, le moindre signe de vulnérabilité détecté par les fournisseurs peut être fatal. Or la confidentialité qui est censée entourer les mesures de prévention est très difficile à garantir dans les « petits » tribunaux de commerce et c'est pourquoi certains chefs d'entreprises peuvent éprouver des réticences à faire appel aux tribunaux. Certains tribunaux ont mis en place des bonnes pratiques à ce sujet et il conviendrait de les généraliser en créant un numéro vert permettant aux chefs d'entreprise de s'entretenir par téléphone, de façon totalement anonyme et confidentielle, avec des experts de la prévention, comme d'anciens juges consulaires.
Un tel dispositif ne relève pas nécessairement du domaine législatif mais l'occasion est propice à demander au gouvernement de préciser ses intentions sur ce point.
L'article 3 porte sur la simplification de règles qui concernent la vie juridique des entreprises.
Cet article comporte notamment des mesures qui favorisent indirectement le financement des entreprises : la sécurisation du régime des actions de préférence et la clarification de la réglementation applicable aux titres financiers complexes.
Par ailleurs, j'ai porté une attention particulière au régime des conventions réglementées. L'exemple-type est un contrat passé entre une société et un de ses dirigeants : on comprend immédiatement qu'il comporte des risques de conflits d'intérêt et c'est pourquoi le code de commerce prévoit un régime renforcé de contrôle de ces conventions.
Le projet de loi vise essentiellement à exclure du champ de ce régime les conventions qui ne présentent pas de risques : c'est le cas des conventions passées entre une société-mère et une de ses filiales à 100 %.
Inversement, il m'a paru opportun de renforcer le contrôle des autres conventions qui peuvent donner lieu à des abus et je vous soumettrai une suggestion dans ce sens.
L'article 6 porte sur les conditions d'exercice de la profession d'expert-comptable. Il prévoit essentiellement la mise en conformité du statut des experts comptables prévu par une ordonnance de 1945 avec le droit de l'Union européenne en ouvrant des possibilités d'installation aux personnes morales exerçant la même profession dans un autre État membre.
L'article 10 prévoit la modernisation de la gouvernance et la clarification juridique de la gestion des participations de l'État.
Je note que si le dispositif du projet de loi n'est pas très détaillé, l'exposé des motifs reprend presque mot pour mot l'une des principales recommandations faite par notre commission à l'occasion de l'examen des crédits de l'État actionnaire : il s'agit de donner à l'État une plus grande souplesse de nomination au sein des conseils d'administration et de désigner des représentants de l'État issus d'un vivier plus étendu qu'aujourd'hui. Sur ce point précis, l'État ne peut désigner dans le cadre juridique actuel que des agents publics en activité ou retraités de la fonction publique et des dirigeants d'entreprises publiques pour le représenter dans les conseils des entreprises dans lesquelles il détient des participations. En revanche, des agents publics en activité ne peuvent siéger qu'en qualité de représentant de l'État.
Afin de disposer de profils d'administrateurs plus diversifiés, venant notamment du secteur privé, le Gouvernement devra modifier au moins cinq lois. Techniquement, ce n'est pas simple et, ce n'est là qu'un des multiples volets de la modernisation et du toilettage des textes relatifs à la gestion des participations. Après réflexion, il m'a paru plus sage de ne pas risquer d'entraver la tâche du Gouvernement en détaillant et en compliquant à l'extrême le dispositif de l'article 10 tout en parsemant le texte de l'adverbe « notamment ». Cette application du principe de simplicité à nous-même, ne conduit cependant pas du tout à signer « un chèque en blanc » au Gouvernement. D'une part, je souligne que l'exposé des motifs est pris en compte par le Conseil constitutionnel lorsqu'il statue sur la précision de l'habilitation. D'autre part, j'estime souhaitable, plutôt que de rallonger le texte, de délimiter l'habilitation par une borne très claire en précisant qu'elle n'autorise pas le Gouvernement à diminuer le niveau de contrôle de l'État actionnaire dans les entreprises stratégiques relevant de son périmètre. Ce point est parfaitement consensuel puisque l'article 10 a pour objet la clarification du droit applicable aux participations de l'État et non pas la modification des seuils de contrôle. Je vous soumettrai un amendement dans ce sens.
Enfin, je vous en ai déjà dit un mot dans la première partie, l'article 13 du projet de loi prévoit une expérimentation du certificat de projet : selon le même principe que le certificat d'urbanisme, le certificat de projet apporterait au pétitionnaire une garantie de stabilité juridique dans l'hypothèse où il déposerait un dossier de demande d'autorisation dans les 18 mois suivant la délivrance dudit certificat. Cette expérience se déroulerait dans un nombre limité de régions - l'Aquitaine, la Franche-Comté et la Champagne-Ardenne ont été pressenties - et pour une durée n'excédant pas trois ans.
Je conclus cette présentation en vous suggérant d'approuver ce projet de loi d'habilitation :
- d'une part, sous réserve de l'adoption des cinq amendements que je vous ai annoncé avant de vous les présenter en détail ;
- et d'autre part, en assortissant cette approbation de deux remarques auxquelles j'attache une importance particulière. Premièrement, il est essentiel d'associer le Parlement à l'élaboration des ordonnances prévues par ce projet de loi. Il ne s'agit pas de « changer la donne constitutionnelle » mais de perfectionner les pratiques existantes de consultation des commissions parlementaires et de transmission des projets de textes. En second lieu, j'insiste sur la nécessité de respecter le rythme des réformes prévu aux articles 18 et 19 du projet de loi et, si possible de l'accélérer. En effet, si ce rythme n'est pas significativement plus court que celui de la procédure législative de droit commun, la raison d'être de l'habilitation qui est de répondre à une urgence économique, en serait fragilisée.
M. Jean-Claude Lenoir. - Chacun reconnaît la nécessité de réduire les charges administratives qui pèsent sur les entreprises, lesquelles demandent que le Gouvernement change de politique fiscale, car celle qu'il leur applique aujourd'hui les étrangle littéralement.
Ce texte est critiquable pour sa méthode comme pour son contenu.
La méthode contestable, c'est qu'une fois encore, ce Gouvernement recourt aux ordonnances - alors que la majorité d'aujourd'hui n'a pas manqué de décrier cette voie quand elle était dans l'opposition ! Qui plus est, et de manière tout à fait étonnante, on y ajoute la procédure accélérée... pour des mesures qui vont s'échelonner sur plus d'un an : pourquoi faut-il donc autant se presser ?
Le contenu, ensuite, est touffu, tout en passant à côté de ce qui compte le plus pour les entreprises. Bien des sujets sont abordés : l'aménagement du territoire, le Grand Paris, les éoliennes - revoici la PPL « Brottes » -, le taux d'intérêt légal, le salariat pour les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, l'effort de construction, la transposition d'une partie de directive que l'on a commencé à transposer dans la loi bancaire de juillet dernier... Autant de sujets où l'on ne voit pas pourquoi le Parlement ne serait pas davantage associé - et pour lesquels nos voisins comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni associent étroitement leurs parlementaires.
Ce que les entreprises demandent, c'est plutôt d'encourager la compétitivité, avec un crédit d'impôt qui ne soit pas celui que le Gouvernement a mis en place - car le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) actuel est d'application bien trop complexe, quand il n'est pas aléatoire... Ce que les entreprises attendent, c'est une simplification du code du travail, en commençant par exemple par un lissage des effets de seuil en matière d'emploi. Ce qu'elles espèrent, enfin, c'est d'être mieux accompagnées dans leur gestion des ressources humaines, dans les phases délicates où elles doivent mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi - nos collègues députés travaillent sur le sujet.
Voilà trois thèmes d'actualité où il eût fallu des mesures concrètes, plutôt que beaucoup de celles que vous nous annoncez ici. Nous voterons en conséquence.
M. Daniel Raoul, président. - Pourquoi dites-vous que le CICE est aléatoire ?
M. Jean-Claude Lenoir. - Le débat est technique, les chefs d'entreprises vous le confirmeront.
M. Daniel Raoul, président. - Ce que je constate, c'est qu'en Pays de la Loire, ce crédit d'impôt fonctionne bien, ce qui suppose, certes, que les experts-comptables jouent le jeu, sans assommer au passage les TPE...
M. Marc Daunis. - Un argument réversible n'est jamais d'un grand secours : lorsque vous accusez la majorité de recourir aux ordonnances après les avoir décriées, vous reconnaissez y avoir eu grand recours également... Ce qui compte plutôt, c'est le contenu des ordonnances et la nécessité de prendre les mesures visées. Or, vous en convenez vous-mêmes, la période se prête particulièrement bien à la simplification de la vie administrative des entreprises : alors le choc de simplification est bienvenu ! Ensuite, les mesures annoncées ne remettent en cause aucun acquis social ni environnemental : c'est une très bonne chose, là où d'autres proposeraient de déréguler au passage ! Ces mesures ne bousculent pas ce qui existe, elles améliorent la rapidité et l'efficacité de l'administration, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Une question : je n'ai pas vu comment la procédure « Dites-le nous une fois » s'appliquera en matière d'urbanisme, en particulier pour la construction de surfaces commerciales en ZAC - un cas d'école, où l'on demande aux aménageurs de faire deux études d'impact identiques à deux étapes de la procédure, ce qui a pour effet de retarder d'un an toute opération... Comment « Dites-le nous une fois » s'appliquera dans ce cas ?
Mme Bernadette Bourzai. - Le CICE fonctionne et répond à un besoin, j'en ai eu confirmation encore récemment auprès de deux entreprises de mon département, qui butaient sur de grandes difficultés de trésorerie sans trouver de solution auprès des banques ni de la banque publique d'investissement : le CICE les a tiré d'affaire, c'est efficace.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Jean-Claude Lenoir appelle à un changement de politique fiscale, tout en sachant bien que ce n'est pas l'objet de ce texte. Le Gouvernement recourrait trop aux ordonnances ? Entre 2004 et 2011, il y a eu 304 ordonnances soit, en huit ans, le double des vingt années précédentes : on voit que l'inflation a commencé avant ce gouvernement...
M. Jean-Claude Lenoir. - Quels sont les chiffres pour 2012 ?
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Ensuite, nous sommes bien d'accord pour dire que dans la période actuelle, nos entreprises ont tout à gagner au choc de simplification : il en va de notre compétitivité d'ensemble et vous avez raison de souligner que ces mesures requièrent du temps - quoique certaines soient urgentes et qu'on ne gagnerait pas de temps en allongeant la procédure de leur adoption. Je note, avec vous encore, qu'un gros tiers seulement des articles portent précisément sur la simplification et la sécurisation des entreprises : c'est que le Gouvernement a saisi l'occasion de ce texte pour prendre d'autres mesures également importantes et urgentes.
Ce que je retiens cependant, c'est que le choc de simplification s'accompagne d'un réexamen périodique des mesures, et que le président de la République s'est également engagé sur un principe très novateur : celui que toute norme nouvelle remplacera désormais une norme ancienne, qui sera supprimée.
Le principe « Dites-le nous une fois » est adopté pour l'ensemble de la vie administrative, reste à le faire vivre dans les faits : dès lors qu'un individu ou une entreprise aura fourni une information à une administration, il ou elle n'aura plus à le faire pour une autre administration, c'est ambitieux. L'enjeu est très important puisque, prises dans leur ensemble, les mesures de simplification représenteraient 15 milliards d'euros d'économies pour l'État et un quart de charges en moins pour les entreprises.
M. Daniel Raoul, président. - Nous passons à l'examen des articles.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Avec l'amendement n° 1, je veux mieux garantir que la simplification de certaines obligations des employeurs en matière d'affichage s'effectuera dans le strict respect des droits des salariés et au terme d'une procédure consultative.
La commission adopte l'amendement n° 1.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Avec l'amendement n° 4, je propose d'étendre la mesure de simplification à l'ensemble des sociétés anonymes et pas seulement aux sociétés cotées.
La commission adopte l'amendement n° 4.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Avec l'amendement n° 2, je vise à ce que la décision d'autorisation des conventions réglementées soit motivée, afin de faciliter le contrôle de celles-ci.
La commission adopte l'amendement n° 2.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Avec l'amendement n° 6, je remplace la référence aux participations de l'État par des références aux participations que l'État et ses établissements publics détiennent directement ou indirectement, seuls ou conjointement dans les entreprises concernées. Il s'agit d'un amendement de clarification.
La commission adopte l'amendement n° 6.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Avec l'amendement n° 5, je vous propose d'exclure explicitement du champ de l'habilitation la question des seuils de détention législatifs existants pour certaines entreprises.
La commission adopte l'amendement n° 5.
Politique industrielle - Audition de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif
La commission auditionne M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, sur la politique industrielle.
M. Daniel Raoul, président. - Notre commission est heureuse de vous accueillir, Monsieur le ministre, pour une audition à laquelle nous avons convié les membres du groupe d'études sur l'industrie.
Votre politique s'incarne aujourd'hui dans 34 plans, arrêtés en septembre dernier, déclinés autour de la notion de filière et qui dessinent les contours de la nouvelle France industrielle. Vous nous expliquerez comment ils ont été sélectionnés, sur quels critères et avec quels objectifs. Nous serons attentifs à l'articulation de ces plans de reconquête avec les structures et les moyens de financements existants - pôles de compétitivité, crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), crédit d'impôt recherche (CIR), financement de la Banque publique d'investissement (BPI) et du Fonds stratégique d'investissement (FSI). Vous nous préciserez si des dispositifs d'évaluation sont prévus pour procéder à d'éventuels ajustements. Nous désirons enfin vous entendre sur la question du financement bancaire des entreprises. Je vous ai écrit pour dénoncer la cotation Banque de Frances des entreprises, qui incite les banques à la frilosité vis-à-vis des PME. Les prévisions sont pessimistes et j'espère que vous prendrez des mesures d'envergure.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. - Les 34 plans industriels lancés en septembre dernier s'inscrivent dans une démarche qui vise, depuis 18 mois, à replacer la question productive et industrielle au centre de l'action politique.
Les premières étapes de concrétisation de ce choix politique en faveur de l'industrie ont été le rapport Gallois et le pacte de compétitivité pour l'industrie française. Les premiers effets en apparaîtront dans les semaines qui viennent. Le crédit d'impôt sera en vigueur au 1er janvier prochain. La quasi-totalité des 35 mesures du pacte sont déjà appliquées, qu'il s'agisse du concours mondial de l'innovation, de la marque France ou de la politique de filières.
Pour élaborer les 34 plans, nous avons travaillé de manière originale. Comment mener avec succès une politique étatique dans un univers ouvert, marqué par une déferlante technologique au niveau mondial ? Notre réponse a été de mobiliser l'industrie elle-même. Nous sommes partis de la vision de terrain portée par les industriels. Nous les avons interrogés sur leurs projets, sur leur vision du développement, sur les opportunités de croissance qu'ils identifiaient. Ainsi, alors que la filière automobile est divisée depuis un siècle, nous avons réussi à réunir les constructeurs et les équipementiers, PSA, Renault, Valéo, Faurecia, Plastic Omnium, Michelin et à leur faire partager un diagnostic et des pistes de reconquête.
L'automobile, autrefois instrument de liberté, est devenue un esclavage financier et technique. Embouteillages, amendes, coûts de l'essence, des assurances : pour les jeunes générations, l'achat d'une voiture est devenu secondaire. De nouvelles pratiques se développent, comme l'autopartage. Le salut pour l'industrie viendra de l'innovation : les voitures à moins de deux litres au cent, les bornes électriques de recharge, les véhicules à pilotage automatique, les programmes d'autonomie et de puissance des batteries...
Notre démarche est mercantiliste, c'est-à-dire colbertiste, et je le revendique malgré les critiques ! Nous cherchons à développer la capacité de la France à vendre le travail national le plus cher possible. Nos plans industriels visent à augmenter les parts de marché mondial de nos producteurs.
Nous avons travaillé sur les frontières technologiques, écologiques et sociologiques auxquels se heurte la compétitivité française. Nous devons progresser en matière de réalité augmentée, d'objets connectés, de supercalculateur, de robotique, de nanoélectronique. Nous devons nous libérer de notre dépendance aux hydrocarbures qui porte atteinte à notre souveraineté : c'est la nouvelle frontière d'aujourd'hui ! Les plans de rénovation thermique, l'amélioration de la mobilité par avion, bateau, train vont en ce sens. Enfin, nous devons tenir compte des évolutions sociétales. Les manières de se loger, d'apprendre, de se soigner changent. L'e-éducation, l'hôpital numérique offrent des opportunités d'avenir.
Dans chaque plan, nous avons procédé de la même manière : coaliser des intérêts convergents afin d'aboutir à des diagnostics et des solutions partagés. Nous avons uni des forces autrefois divisées : tous les plans réalisent des alliances entre public et privé et font travailler des acteurs aux profils divers, PME et grandes entreprises, laboratoires publics et centres de recherche privés, investisseurs privés et financeurs publics.
Nous avons lancé un appel d'offres portant sur la mesure - nous voulions qu'elle soit effectuée par un acteur extérieur - des créations d'emplois potentielles liées aux projets apportés par les filières. Le cabinet McKinsey a été retenu au grand dam de certains. Un anglo-saxon, horresco referens ! Moi je m'en réjouis car il est intéressant de confronter notre vision hexagonale avec celle des artisans de la mondialisation. Finalement, nos analyses convergent sur les moyens à utiliser pour reprendre des parts de marché. McKinsey estime qu'à conjoncture macroéconomique constante, les mesures en faveur de l'innovation et des nouvelles technologies pourraient créer 470 000 emplois et 45 milliards d'euros de valeur ajoutée en France et 17 milliards d'exportations supplémentaires... Ce qui compenserait une partie des 750 000 emplois perdus en dix ans du fait de l'obsolescence et du sous-investissement.
Nous menons en parallèle une politique horizontale et des politiques sectorielles afin de reconstruire une offre industrielle offensive et productive. Le président Pompidou a mené avec succès une politique industrielle qui a été entièrement étatique et administrative comme le raconte Bernard Esambert dans ses Mémoires. Le président était le vrai ministre de l'industrie ! La conjoncture était différente et l'ouverture internationale de l'économie bien moins engagée.
Nous avons choisi, infidélité aux leçons de l'histoire, de confier le pilotage de la plupart des plans à des industriels des secteurs concernés. L'administration est placée à l'arrière, nous avons préféré laisser les rênes à des acteurs privés ayant un intérêt direct à la réussite des plans afin d'éviter l'enlisement. Nous avons fait face à un afflux de candidatures au point que j'ai dû départager des concurrents, parfois au détriment des grands groupes, en expliquant que les 34 plans n'étaient pas le CAC 34. Ces choix d'équilibre visent aussi à éviter la constitution de monopoles. J'ai privilégié les PME et les start up. Celle qui est choisie a pour mission d'associer les autres : un esprit coopératif doit régner entre des entreprises concurrentes.
Comme je le dis avec un peu de provocation à Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, ou au Commissaire européen à la concurrence Joaquin Almunia, ma politique industrielle consiste à organiser l'entente et la coopération qu'ils veulent précisément interdire. Mais ils sont nommés, tandis que je suis élu. J'ai la légitimité politique pour moi ! Il faut éradiquer la bruxellose. Les libéraux nous enseignent que la meilleure politique est l'impuissance politique, nous essayons de démontrer au contraire que l'État peut beaucoup. Sans lui, nous nous sentirions bien seuls.
J'ai évoqué des exceptions au pilotage privé, les voici. Le plan autonomie et puissance des batteries, parce que c'est un domaine où persistent des divergences sur la meilleure technologie, a été confié au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), garant de la neutralité ; celui sur les bornes électriques de recharge a été confié à un préfet hors cadre, M. Francis Vuibert. En matière de nanotechnologies, le CEA et la société franco-italienne STMicroelectonics travaillent ensemble. Enfin, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information est responsable du plan sur la cybersécurité.
Pour en terminer sur la méthodologie, nous travaillons actuellement à l'élaboration de feuilles de route, en associant tous les talents locaux. Pas moins de 500 personnes du secteur privé collaborent avec mon administration. J'ai réuni les présidents de région afin qu'un travail d'identification des entreprises à moderniser soit mené. Nous souhaitons agréger ces entreprises dans le cercle d'action commun, pour les aider.
Je voudrais conclure en abordant le 34ème plan, usine du futur, l'un des plus originaux. Les entreprises françaises ont perdu la course à l'innovation faute de marges suffisantes pour investir. Nous souhaitons une mobilisation humaine, technique et technologique à l'échelle régionale pour moderniser rapidement l'appareil productif des PME. Notre idée est d'agir sur un modèle différent de celui du contrat de plan. Nous avons demandé à Dassault Systèmes, entreprise considérée par Forbes comme plus innovante que Google, au troisième rang mondial sur son marché et bientôt au premier, et à FIV, entreprise de machine outils et de robotique, de nous aider : comment rendre les usines flexibles, réactives, avec des machines polyvalentes, adaptables ? Il appartiendra aux régions de mettre en oeuvre ce plan, en particulier de détecter les 1 000 ou 2 000 entreprises qui ont besoin de se moderniser. Nous solliciterons les fonds européens pour sa réussite. Voilà, à grands traits, les principes et les axes de ces 34 plans.
M. Daniel Raoul, président. - Monsieur le Ministre, j'en reviens à ma question sur le financement des entreprises et le rôle de la banque de France...
M. Arnaud Montebourg, ministre. - Elle relève de M. Moscovici, qui a la compétence sur cette question. Heureusement que je n'en suis pas chargé !
M. Martial Bourquin, président du groupe d'études sur l'industrie. - Pendant des décennies, l'État s'est borné à prendre des mesures en faveur des quarante plus grandes entreprises du pays. Avec votre projet, puissant et fort, la France se dote de nouveau d'une véritable politique industrielle. Je m'en réjouis !
Il serait bon de disposer d'un chiffrage de cette politique, pour mieux cerner l'effort consenti par le gouvernement en faveur de la compétitivité des 14 filières répertoriées par le Conseil national de l'industrie.
La condition du succès réside aussi dans le lien avec les territoires. Le regroupement d'entreprises dans des clusters, l'écosystème industriel sont essentiels.
Nous sommes dans une économique ouverte. La réussite d'Airbus illustre l'intérêt des coopérations européennes, la force du volontarisme politique, mais aussi, les faiblesses structurelles de la zone euro. Quel est l'état du dialogue avec l'Europe pour le développement d'une politique industrielle, dans le domaine de la défense en particulier ?
Comme le président Raoul l'a évoqué tout à l'heure, les besoins de financement des entreprises, qui portent avant tout sur les lignes de trésorerie, ne sont pas satisfaits. Les banques semblent avoir oublié leur rôle de prêteur. Comment y remédier ?
M. Alain Chatillon. - J'ai apprécié votre intervention, Monsieur le Ministre. Un plan industriel est une bonne chose, rapprocher les entreprises est positif.
Mais vous n'êtes pas parti de rien. Les pôles de compétitivité mis en place en 2006 pour accompagner les innovations et rassembler les petites entreprises autour de projets innovants ont eu un rôle structurant. Dans ma région, les 300 entreprises adhérentes du pôle agri Sud-Ouest innovation ont vu leur valeur ajoutée augmenter en moyenne de 8 points.
Depuis la mise en oeuvre des accords de Bâle III, qui les contraignent à doubler leurs fonds propres, les banques ont diminué leurs crédits de trésorerie à destination des entreprises. Pour motiver leurs refus de crédits, les banquiers s'appuient sur la notation de la banque de France. Or celle-ci repose uniquement sur des bilans passés, parfois mal interprétés de surcroît : il n'y a aucune analyse des projets ! Je vise ici surtout les grandes banques nationales car les banquiers régionaux sont plus coopératifs. Dans les grandes banques, obtenir un crédit est un parcours du combattant pour les petites entreprises et lorsqu'il arrive, il est souvent trop tard... Votre intervention est nécessaire.
J'en viens à notre compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne. Un exemple : compte tenu du faible coût de la main d'oeuvre dans les abattoirs allemands - les Turcs y travaillent 45 heures par semaine pour 500 euros - les bêtes du Nord de la France partent en Allemagne, puis la viande repasse la frontière. Une régulation est indispensable au niveau européen.
Enfin, la loi anti-OGM doit s'appliquer à tous. Or, 90 % des produits d'alimentation des animaux sont des protéines végétales OGM en provenance d'Argentine, du Brésil, des États-Unis. Nos entreprises souffrent car nous sommes dans l'incapacité de faire respecter la loi.
Je salue votre travail. Nous vous apporterons des informations en provenance du terrain.
M. Daniel Raoul, président. - Je confirme ce qui vient d'être dit sur les différences de comportement entre les banques locales, coopératives et mutualistes, et les grandes banques nationales.
M. Michel Teston. - Monsieur le ministre, vous avez parfaitement décrit les objectifs du gouvernement en matière de reconquête industrielle.
Parmi les 34 plans, le plan en faveur de la filière ferroviaire et du train à grande vitesse (TGV) du futur présente un intérêt évident mais il convient aussi de rester compétitif pour la fabrication des trains express régionaux (TER), métro, tramway. Nous avons la chance de compter en France deux grands constructeurs, Alstom et Bombardier ; mais nous devons également veiller à favoriser le développement de tout le secteur, toutes les PME, pour relever les défis qui nous attendent.
De ce point de vue, la création du fonds d'investissement croissance rail, doté de 40 millions d'euros, est une bonne nouvelle. Il regroupe la BPI, Alstom, la SNCF, Bombardier, la RATP afin de nous permettre de conserver une place prééminente en matière ferroviaire. Je salue cette initiative.
M. François Grosdidier. - Nous approuvons votre action. La politique que vous présentez est de nature à dépasser les clivages entre nous. Je ne peux donc que regretter les propos tenus par notre collègue sur l'absence prétendue de politique industrielle pendant dix ans, qui méconnaissent la réalité des pôles de compétitivité et du crédit impôt recherche. Nous devons travailler à reconquérir les marchés et à reconstruire notre industrie, non à créer des oppositions artificielles et stériles.
Dans cette optique, il serait souhaitable, monsieur le ministre de répondre aux questions écrites qui vous sont adressées. Je rappelle que la Moselle est revenue dans le giron de la République française depuis 94 ans : il est pour le moins vexatoire que les réponses sur l'avenir des sites de pétrochimie mosellan soient données, dans l'hémicycle, par le ministre chargé des Français de l'étranger !
Mes questions sur les sites sidérurgiques lorrains ont été laissées sans réponse. Je ne connais toujours pas les raisons pour lesquelles le plan de reprise du site de Florange présenté par M. Bernard Serin n'a pas été adopté ni même examiné. Je ne sais pas davantage en quoi consistera le centre de recherche publique sur la sidérurgie dont l'ouverture est prévue sur le site de Florange alors qu'à quinze kilomètres existe la « Nasa » de la sidérurgie, Arcelor Mittal Maizières Research center. Je doute que, malgré les 20 millions d'euros annoncés, ce projet puisse compenser les centaines d'emplois supprimés lors de la fermeture des hauts-fourneaux.
Quelles sont, également, les conséquences des annonces de Total en Moselle ou en Lorraine, fermeture du vapocraqueur, problèmes d'alimentation des sites pétrochimiques ? Mes questions écrites restent sans réponse.
Mme Mireille Schurch. - Je souhaiterais connaître l'état d'avancement du projet de compteur intelligent Linky. L'appel d'offres a lieu actuellement, mais on serait tombé de 1 million d'unités initialement à 500 000. Est-ce exact ? Trois entreprises y participent dont deux françaises, parmi lesquelles Landys et Gir, qui s'est beaucoup investi en partenariat avec ERDF. Comment comptez-vous ici valoriser le made in France ?
M. Yannick Vaugrenard. - Je n'ai pas compris le sens de l'intervention de M. Grosdidier. Il commence par fustiger la polémique avant d'y céder lui-même dans tout le reste de son intervention. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre ambition et votre volontarisme. Notre pays en a besoin.
Ma première question concerne l'inadéquation entre la formation et les besoins des entreprises. La formation industrielle est dévalorisée dans notre pays, n'est-il pas temps de la remettre à plat, sur tout le territoire ? Donnons un coup de pied dans cette fourmilière.
Nous faisons appel à des travailleurs détachés, en provenance notamment des pays de l'Est. Il y a là une concurrence déloyale et un dumping de la part d'autres pays européens, notamment dans l'agroalimentaire. Vous avez encouragé à combattre la bruxellose mais la politique industrielle doit se faire avec les autres pays européens, elle ne se fera pas sans eux ni contre eux. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre ! En la matière, la véritable ambition ne serait-elle pas une politique européenne ? Y a-t-il des évolutions possibles des droits sociaux en Europe, à l'image de l'introduction d'un salaire minimum en Allemagne?
Chez moi, une grande entreprise de construction navale est détenue à la fois par l'État français et par des banques coréennes, lesquelles veulent aujourd'hui sortir du capital. L'État, d'une manière générale, doit-il s'interdire d'entrer au capital des entreprises, éventuellement de manière temporaire, pour éviter une prise de contrôle étrangère de notre outil industriel ?
M. Joël Labbé. - Le secteur agro-alimentaire va mal, alors qu'il dispose d'outils et de savoir-faire : nous devons le soutenir, l'encadrer, le moderniser et reconquérir les marchés. Le cas du secteur du poulet est édifiant : nous sommes exportateurs, mais nous importons aussi 45 % de nos poulets !
Le secteur biologique a un grand avenir en termes de développements industriels. Je peux citer deux micro-exemples qui pourraient essaimer. J'ai vu, en Charente, un fermier biologique extrêmement moderne, utilisant une herse électrique pour le désherbage... mais ce matériel très performant vient d'Autriche ! Et puisque nous venons de voter l'interdiction de l'usage des pesticides dans les espaces publics, permettez-moi de citer une entreprise du Morbihan, Avril Industrie, qui occupe une niche créatrice d'emplois avec une activité de désherbage mécanique : il faut la soutenir !
Mme Bernadette Bourzai. - Dans ma région, très impliquée dans l'industrie du bois, des assises ont eu lieu, qui ont aussi concerné l'industrie agroalimentaire : elles ont abouti à la création d'une interprofession, laquelle a su se faire entendre. Le Conseil supérieur de la forêt, devant lequel vous aviez fait une brillante démonstration, Monsieur le ministre, a approuvé vos propositions.
En huit jours, j'ai visité deux entreprises innovantes, flexibles, travaillant à façon : une scierie et un fabricant de palettes. Il y a d'importants développements à prévoir dans les secteurs du bois d'énergie et du bois de construction. Alors que nous disposons de la troisième forêt d'Europe, le commerce de notre bois enregistre un déficit de 7 milliards d'euros !
J'attire votre attention sur les conflits d'usage dans le bois énergie. Les appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur la cogénération sont surdimensionnés et perturbent les marchés locaux de produits connexes. En plus, ils n'aboutissent pas. La Cour des comptes, en juillet dernier, a estimé qu'il fallait « que cela cesse ». Je souhaite qu'on favorise le développement de réseaux de chaleur de taille modeste, adaptés à leur environnement, de petites usines de production électrique, à partir d'un mégawatt.
La frilosité des banques se fait sentir tant en matière de trésorerie que d'investissement. Les deux entreprises que j'ai mentionnées ont vu leurs problèmes de trésorerie réglés momentanément par le CICE. Mais ni la garantie de la BPI, ni les efforts du médiateur du crédit de la Banque de France ne suffisent à persuader les banques ! Votre détermination, à cet égard, sera essentielle.
M. Vincent Capo-Canellas. - Pourriez-vous nous éclairer sur le financement de votre action, sur son articulation avec le droit commun, et avec le programme des investissements d'avenir ? Il faut des assurances de visibilité à long terme pour les industriels : seule une telle cohérence permettra de soutenir dans la durée les programmes de recherche.
Je note une contradiction entre votre discours et la réalité des cessions de participations, en particulier chez les équipementiers - je songe à l'aéronautique. La part de l'État se réduit dans leur activité et avec la nouvelle loi de programmation militaire, cette tendance va se poursuivre.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Depuis que Daimler et Lagardère se sont retirés du capital d'EADS, la puissance publique n'y est plus présente qu'à hauteur de 28 %, à parts égales entre les États français et allemand. L'État stratège n'a pas le droit de se désintéresser de ce vaisseau amiral de l'industrie aéronautique et spatiale, qui fabrique des avions de combat et des hélicoptères, et qui porte dans ses gènes la dimension européenne. Or le nouveau PDG d'Airbus - qui chapeaute désormais le tout - ne semble pas privilégier la prééminence de l'État à son capital. Il va de l'intérêt général de ne pas se diriger vers un système dans lequel les autres actionnaires imposeraient leurs choix. Quelle est votre opinion ?
M. Jean-Claude Merceron. - L'entreprise Fagor, qui vient de déposer le bilan, bénéficie d'un prêt du Fonds pour le développement économique et social (Fdes) à hauteur de 10 millions d'euros. Ses sites vendéens sont-ils concernés par la reprise industrielle soutenue par ce fonds ?
M. Roland Courteau. - Quoique en retard dans la construction des drones, la France a été parmi les premiers à mettre en place une réglementation sur leur emploi civil. Le marché est particulièrement porteur, comme le montre le cas américain : où en sont les projets ?
Mme Valérie Létard. - Dans le Nord, plusieurs PME sont en cessation de paiement : elles dépendent des commandes de grands groupes, eux-mêmes ficelés par les contraintes financières de la commande publique, émanant par exemple de la SNCF. Un travail collectif, autour de logiques de filière, de réseaux et de grappes, tenant compte des écosystèmes territoriaux, est donc nécessaire. Et urgent, pour éviter les effets néfastes en cascade !
Les conseils régionaux organisent des schémas de développement économique et de recherche, mobilisent des CPER et des fonds européens. Comment comptez-vous coordonner votre action avec les stratégies régionales ?
Vous souhaitez veiller à ce que les commandes publiques ne favorisent pas des entreprises étrangères. Or chez nous, Toyota emploie 3 800 personnes en CDI. Ce qui est important, c'est d'investir et de produire durablement en France, que l'entreprise soit française ou étrangère !
Le secteur du BTP est un grand élément de dynamique économique. Des grands travaux d'infrastructure seraient utiles, comme dans l'infra ferroviaire ou le transport fluvial. La perspective du canal Seine-Nord attire les entreprises et les pôles logistiques, avec un fort impact en termes d'emploi. Cette promesse avait beaucoup compté dans la décision d'implantation de Toyota... Où en est ce projet ? J'aimerais qu'il ne soit pas oublié dans les nouveaux CPER, la nouvelle maquette des fonds structurels européens, le PIA 2.
M. Arnaud Montebourg, ministre. - Après les arbitrages du Premier ministre, la part de la politique industrielle dans la deuxième génération du grand emprunt s'élève à 3,75 milliards d'euros ; si l'on y ajoute le CIR sur chacun des projets, on obtient un très bon niveau.
Les comparaisons internationales sont éclairantes. Les Allemands consacrent 8 milliards à leur stratégie d'innovation technologique, soit 0, 3 % du PIB, et nous à peu près autant. Le Japon, dans le cadre de l'« Abenomics », a un programme d'innovation, « Japan is back », qui atteint 1 % du PIB. Le président Obama a lancé un programme de 100 milliards de dollars, et la Chine consacre à l'innovation 469 milliards de dollars, soit 6 % de son PIB... La France et l'Allemagne, ensemble, sont très loin des États-Unis et encore plus de la Chine, mais plus près du niveau du Japon : nous restons donc dans la course.
Nous avons lancé hier, avec le président de la République, un concours mondial d'innovation favorisant l'implantation sur le territoire de technologies made in France. Le budget concerne une centaine de projets pour un montant de 300 millions d'euros. Brique après brique, nous reconstruisons une politique industrielle puissante.
La France est appuyée par treize pays, ce qui nous donne la majorité au Conseil des ministres de l'Industrie, mais le dialogue avec l'Union européenne est tendu : elle considère qu'il ne saurait y avoir de politique industrielle. Hier au Conseil compétitivité, j'ai reproché au Commissaire européen à la concurrence, d'enquêter sur des aides d'État de 200 000 euros, alors qu'au même moment les Chinois investissent 470 milliards. Dans ces conditions, comment pouvons-nous nous battre avec le reste du monde ? De plus, le seuil de déclenchement des notifications à la Commission n'a pas évolué avec l'inflation - il devrait atteindre aujourd'hui 240 000 euros - et il a été reconduit au même niveau jusqu'en 2020 ! Cela revient à interdire toute politique publique, alors que l'État est présent dans 3 000 entreprises. Et les régions françaises, les Länder allemands, les Comunidades espagnoles, les Provincie italiennes, interviennent également... Cela n'a aucun sens d'appliquer un traité devenu totalement obsolète, et qui est interprété de manière intégriste : il faut l'adapter à la mondialisation et à la concurrence de pays aidés par leurs États. Nous avons donc demandé le relèvement du seuil de déclenchement d'enquête, la libéralisation des aides à la recherche et l'innovation, et la mise en place de clauses de réciprocité. Le ton monte à Bruxelles, le dialogue est âpre, rugueux, et c'est une bonne chose : M. Almunia a fait mouvement vers nous. Le bloc des pays réformateurs, dont la France, fait progresser ses idées et vise au déblocage de l'Union. Ce gouvernement a un mandat : le changement radical de l'Europe. Il ne faut pas confier des réformes à la Commission, qui les mène de façon homéopathique, mais écouter les aspirations des sociétés : sinon les peuples se vengeront sur l'Union.
Les pôles de compétitivité sont un acquis positif et ne doivent pas être démantelés : ils maintiennent des écosystèmes territoriaux, des alliances de laboratoires, d'entreprises, et des systèmes de soutien public. L'État ne paye plus leurs dépenses de fonctionnement : les 100 millions d'euros du FUI (Fonds unique interministériel) ne font rien d'autre que financer des projets industriels, ce qui constitue une bonne administration de l'argent public.
Nous n'avons pas connaissance d'une instruction donnée aux agences régionales par la Banque de France. Celle-ci indique au contraire que Bâle III prévoit un relâchement concernant les prêts aux PME.
M. Alain Chatillon. - Espérons que ces prévisions deviendront réalité !
M. Arnaud Montebourg, ministre. - Nous menons un gros travail avec M. Moscovici afin que les banques reviennent à leur ancien métier et s'impliquent directement dans les dossiers, travaillent avec les chefs d'entreprise. Elles doivent participer à des actes productifs, et non s'adonner à des activités spéculatives. Les banquiers ne sont pas contents ? La BPI est précisément une alternative au système bancaire tourné vers d'autres activités : elle financera l'économie réelle. La finance est comme le cholestérol, il y a la bonne et la mauvaise...
M. Daniel Raoul, président. - M. Chatillon faisait allusion au fait que l'analyse de la Banque de France porte sur les bilans des années N-1, N-2, non sur les besoins de trésorerie présents des entreprises.
M. Arnaud Montebourg, ministre. - Nous avons supprimé la cotation 040 de la Banque de France, car la prise de risque fait partie du métier des entrepreneurs, l'échec aussi !
En Allemagne, les coûts salariaux sont en moyenne équivalents aux nôtres, mais il peut arriver qu'ils nous causent de gros dégâts. J'ai dit aux Allemands que nous ne pouvons pas accepter de concurrence déloyale dans l'Union européenne. Et j'ai demandé à M. Almunia que les aides, quelle que soit leur forme, ne puissent s'accommoder de délocalisations - je pense au cas d'Honeywell à Condé sur Noireau, qui a défrayé la chronique. Nous observons avec satisfaction que le programme de la « grande coalition », actuellement négocié, prévoit des salaires minimaux dans un certain nombre de branches. Cela aura une forte répercussion sur l'équilibre franco-allemand. Il est normal que ceux dont les excédents se nourrissent de nos déficits fassent eux aussi un effort de redistribution.
Le TGV du futur, par ruissellement, apportera des innovations aux autres matériels roulants ferroviaires. La compétition pour les marchés industriels dans les pays émergents nous a amenés à planifier une nouvelle innovation importante, opérationnelle à partir de 2017, pour conserver notre leadership mondial.
Monsieur Grosdidier, nous avons répondu à 44 % des questions qui nous ont été posées. A ce jour, 97 questions sont en attente pour le Sénat. Mais 3 000 lettres nous parviennent chaque jour et mon cabinet ne compte que dix-huit membres : augmentez mon budget !
Pour comprendre les causes du refus du plan de reprise présenté par M. Bernard Serin, demandez au Premier ministre : c'est lui qui a pris cet arbitrage.
Une mission va être confiée à M. Mudry, ancien patron de la recherche à ArcelorMittal, pour définir l'articulation entre le centre de recherche de Mittal à Maizières-lès-Metz et le centre prévu par le président de République. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter.
La fermeture du vapocraqueur de Carling a été annoncée pour 2015. Le Gouvernement a négocié des garanties sur l'avenir de cette plateforme. Total a pris l'engagement de créer un nouveau centre européen, sur le marché des résines d'hydrocarbures. L'activité polymères va être renforcée grâce à un investissement de 160 millions d'euros, créant 110 emplois. Cela ne compensera pas toutes les pertes d'emplois, mais il faut savoir qu'une partie d'entre elles sont dues à ce que l'entreprise nomme « l'attrition naturelle » - ce que l'on appelle aussi, plus communément, les départs en retraite.
Le dossier Linky est géré par le ministre de l'Énergie. L'actuel est le troisième depuis le début du Gouvernement : les politiques peuvent évoluer et je vous invite, Madame Schurch, à l'interroger directement. Linky est un programme important pour le made in France et il n'y a aucune raison de favoriser la commande publique auprès d'entreprises étrangères.
La formation est un dossier difficile, et mon collègue M. Sapin s'y est attelé. Une discussion est en cours avec les partenaires sociaux et ses résultats seront rendus publics le 12 décembre : espérons qu'ils ne nous décevront pas ! Ce processus devrait aboutir à une loi en février visant à mieux orienter la formation vers les chômeurs et les personnes en transition professionnelle.
La question du salaire des travailleurs détachés est fondamentale. La directive Détachement date de 1996 - une époque où l'Union ne comptait encore que quinze membres - et elle n'a pas été adaptée depuis. En réalité, ce n'est pas la directive qui pose problème, mais les abus dans son application au plan national. M. Sapin, auquel je rends hommage, mène un gros travail pour obtenir des contreparties de nos partenaires européens en matière de mesures de contrôle.
Nous entrons tous les jours, à titre minoritaire, dans le capital des entreprises, et ce dans de nombreux secteurs. Ceci ne relève pas seulement de l'Agence des participations de l'État (APE), mais aussi de Bpifrance et de FSI Régions.
Toutes les solutions touchant aux chantiers navals sont envisagées, en liaison avec nos intérêts stratégiques nationaux. Lors de son voyage en France, j'ai interrogé Mme Park Geun-hye, présidente de la Corée du sud, au sujet des choix de STX, consortium détenu par des banques publiques coréennes. STX n'a pas encore pris la décision de se défaire des chantiers navals, mais considère qu'ils sont une très bonne entreprise, qui a des commandes et du savoir-faire. Nous travaillons sur d'éventuelles solutions de remplacement : la représentation nationale y sera associée.
Le ministère de l'Agriculture est mieux placé pour vous répondre, Monsieur Labbé, sur les programmes liés à l'agriculture biologique. Le fait est que notre filière agro-alimentaire doit y rattraper son retard : nous importons notre bio, c'est tout de même incroyable ! Nous comptons beaucoup sur l'imagination de nos investisseurs.
Les 7 milliards de déficit enregistrés par le secteur du bois proviennent surtout de l'incapacité à prendre des décisions. Nous préférons donc défiscaliser la coupe du bois et sa mise sur le marché, au lieu d'appliquer l'aide fiscale à la détention patrimoniale de forêts. Nous souhaitons aussi décourager l'exportation : la France exporte les grumes, qui reviennent ensuite de Chine sous forme de parquet !
Le début de la filière doit trouver un équilibre avec le milieu de la filière de transformation. La cogénération fait partie de ces enjeux. Nous n'avons pas encore l'adhésion du ministre de l'Énergie mais le ministre de l'Agriculture et moi souhaitons appliquer une fiscalité intéressante aux usines de transformation. La revente de l'électricité produite par la fabrication de chaleur pourrait concerner trente à quarante scieries sur le territoire, contre dix aujourd'hui. Le secteur de la transformation est sinistré, et celui de la mise sur le marché n'est pas assez réactif. Nous espérons que nos mesures en faveur de l'industrie du bois, prises en harmonie avec le ministre de l'Agriculture, amélioreront cette situation.
La législation doit permettre la concurrence entre le bois, le ciment et le béton. J'admire les très belles réalisations accomplies par l'industrie cimentière française, qui fut très innovante. Mais les temps ont changé : les technologies du bois permettent aujourd'hui de construire en hauteur. Nous allons réaliser des démonstrateurs avec des entreprises privées. Il y a fort à faire pour changer les mentalités au sein de l'administration des permis de construire, qui défend les préjugés anciens des ingénieurs des Ponts et Chaussées...
Le grand emprunt contribue grandement aux 34 plans industriels. Prenons l'exemple des véhicules consommant moins de deux litres. Tous les constructeurs peuvent aujourd'hui en produire, mais à 130 000 euros, non au prix d'une Clio ou d'une 208, faute d'avoir industrialisé le procédé. Un travail à six vise à supprimer les obstacles techniques, en améliorant les performances des moteurs ou la portance aérodynamique, en réduisant le poids des véhicules,... D'ici 2018 l'industrie pourra offrir un véhicule de 12 000 euros consommant moins de deux litres au cent, c'est-à-dire qu'un plein de 30 litres permettra de faire un aller-retour entre Paris et Marseille et rendra leur liberté aux conducteurs. C'est pour maintenant, pas pour dans quinze ans. Le concours mondial concerne des innovations de rupture, ici il s'agit d'innovations acquises, à affiner.
Les sommes qui sont consacrées à ces plans ne seront pas gérées par des comités Théodule. Des discussions - sans doute franches, vives - auront lieu entre les différentes parties, PIA, DGI, APE, BPI, qui aboutiront à des décisions.
Le nouveau management d'EADS ne modifie rien à la présence de l'État au tour de table. La discussion entre eux et nous n'a pas changé ; elle demeure franche, forte, ce qui est le signe d'une vraie coopération.
Le plan de résistance économique mis en place pour Fagor a été mis à contribution. J'ai demandé au Parlement l'autorisation de ré-abonder le Fdes, en sommeil depuis 2004, et qui accordera des prêts aux prix du marché, lorsque les banques sont absentes ; à l'usine d'Orléans, des commandes sont en attente ! L'administrateur judiciaire travaille à la reprise des marques et des brevets, de façon à éviter un dépeçage et assurer une reprise avec un périmètre le plus large possible, pour sauver le plus d'emplois possible. La décision n'est pas encore prise à ce sujet.
Les drones civils font déjà l'objet d'un foisonnement d'initiatives, tant de grandes entreprises de l'aéronautique, qui travaillent sur des dispositifs innovants, que de start up. Notre pays a raté le coche des drones militaires, il doit saisir les opportunités dans le domaine civil.
Nous avons demandé aux régions qui ont des stratégies de spécialisations intelligentes de choisir une priorité de rang 1, à charge pour elles d'amener les PME concernées, afin de les agréger aux plans.
Concernant la commande publique, j'avais fait convoquer par mon directeur de cabinet le directeur délégué de l'Ugap, M. Alain Borowski. Il a fait preuve d'un certain hermétisme. Cela m'a obligé à m'exprimer publiquement de façon très désagréable et je l'ai convoqué à nouveau, pour qu'il nous fasse des propositions. Nous n'allons pas entretenir une administration, fût-elle de droit privé, pour favoriser autre chose que notre industrie, d'autant que nous avons l'obligation de passer 2 % de commandes publiques innovantes.
Je tiens ce même langage vis-à-vis du privé. Les grands groupes du CAC 40 ne commandent que 16 % de leurs consommations intermédiaires en France. En Allemagne le pourcentage atteint 70 % et 90 % au Japon. Je demande à nos grands dirigeants d'entreprises de se montrer patriotes. La France, dans son conservatisme, est incapable de faire bouger ses habitudes, je les secoue, c'est mon travail.
Je viens enfin, Madame Létard, de transmettre par SMS au ministre des Transports votre question sur les grands travaux...
Mme Valérie Létard. - Bravo, j'espère qu'il vous lira... et vous entendra !
M. Daniel Raoul, président. - Merci, monsieur le Ministre, de votre engagement.
Mercredi 4 décembre 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Accueil et habitat des gens du voyage - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur la proposition de loi n° 818 (2012-213) visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage.
M. Daniel Raoul, président. - Nous examinons le rapport pour avis sur la proposition de loi n° 818 (2012-2013), présentée par M. Pierre Hérisson et plusieurs de ses collègues, visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 dite « Besson », relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage. La commission des lois, saisie au fond, se réunit en même temps que nous : les amendements que nous adopterions aujourd'hui, pourraient en conséquence devoir s'adapter au texte issu des travaux de nos collègues des lois.
M. Claude Dilain, rapporteur. - Notre commission ne s'étant saisie de ce texte que la semaine dernière, j'ai dû travailler dans un délai très court ; déposée le 26 juillet dernier, cette proposition de loi sera discutée en séance publique le jeudi 12 décembre prochain.
Pourquoi nous en sommes-nous saisis ?
D'abord, parce qu'elle modifie la « loi Besson » du 5 juillet 2000, dont notre commission s'était déjà saisie pour avis - avec Pierre Hérisson comme rapporteur pour avis.
Ensuite, les questions d'accueil et d'habitat des gens du voyage sont étroitement liées à la compétence de notre commission en matière de logement et d'urbanisme. Lors de la discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dont notre collègue Claude Bérit-Débat était rapporteur, nous avions examiné des amendements visant à ce qu'un emplacement d'aire destinée à l'accueil des gens du voyage soit pris en compte au titre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
La France est l'un des rares pays à disposer d'une législation spécifique consacrée à l'accueil des gens du voyage. La « loi Besson » du 5 juillet 2000 est une loi d'équilibre, comme le soulignait alors le rapporteur du Sénat sur ce texte, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Ce texte vise à « favoriser l'aménagement, sur quelques années, d'un nombre d'aires suffisant pour faire face aux besoins (...) [à prévoir] plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d'accueil [et à] renforcer (...) les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites ».
Son article 1er dispose que chaque département doit adopter un schéma départemental identifiant les secteurs géographiques et les communes d'implantation des aires permanentes d'accueil. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma. Ce dernier détermine également les emplacements destinés aux rassemblements traditionnels ou occasionnels.
L'article 2 a fixé un délai de deux ans suivant la publication du schéma pour que les communes participent à la mise en oeuvre de ce schéma. La loi de 2000 a été modifiée à deux reprises pour accorder des délais supplémentaires aux communes ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations légales.
L'article 3 permet à l'État de se substituer à une commune défaillante.
En contrepartie de ces obligations nouvelles, la loi a créé des outils juridiques permettant de mettre fin, dans les communes remplissant leurs obligations légales, aux occupations illicites et sauvages. Ces outils ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui a substitué à une procédure civile d'expulsion une procédure d'évacuation forcée relevant de la police administrative.
L'article 9 de la loi de 2000 prévoit aujourd'hui que, dans les communes respectant leurs obligations en matière d'aires :
- le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil aménagées ;
- en cas de stationnement illicite, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé, peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut cependant intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ;
- la mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Au terme de ce délai ou au terme des recours, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles ;
- en cas de recours contre la mise en demeure, l'exécution de la décision du préfet est suspendue. Le juge statue alors dans un délai de soixante-douze heures.
La proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson, vise principalement à renforcer ces sanctions en cas d'occupation illicite.
Son article 1er double les sanctions pénales en cas d'installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à autrui en vue d'y établir une habitation : elles sont ainsi portées à douze mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.
L'article 2 supprime la condition fixée par la loi pour la mise en demeure du préfet, à savoir le fait que le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
L'article 3 prévoit que le délai d'exécution de la mise en demeure est fixé à 24 heures maximum et non pas à 24 heures minimum : cette inversion est très conséquente.
L'article 4 fixe à six heures le délai maximal d'exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants ont déjà occupé illicitement un autre terrain sur la même commune ou sur toute commune du même département - ce qui s'apparente à une récidive.
L'article 5 réduit de 72 à 48 heures le délai dans lequel statue le tribunal saisi par les occupants illicites d'un recours contre la mise en demeure du préfet.
Tout en mesurant la réalité et l'importance du problème que cette proposition de loi entend résoudre, je suis très sceptique sur ce texte : ses dispositions, d'abord, me paraissent poser de sérieuses difficultés constitutionnelles ; ensuite, je crois que nous devons réfléchir aux moyens de faire respecter par les communes leurs obligations en matière d'aires d'accueil, en restant fidèle à l'équilibre trouvé par la loi de 2000, et que, plus généralement, nous avons besoin d'un grand texte relatif à l'accueil et au statut des gens du voyage, qui redéfinisse en particulier le statut juridique de ces derniers - je m'étonne que notre collègue Pierre Hérisson, qui avait déposé en juillet 2012 une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie, nous présente cette proposition de loi très incomplète et déséquilibrée.
Que mon propos soit bien compris : je mesure très bien la réalité des difficultés rencontrées par certains élus locaux, les médias les ont largement relayées l'été passé et je suis passé par cette épreuve en tant que maire.
Certains élus locaux, dont la commune respecte ses obligations légales, se trouvent démunis face à l'arrivée inopinée de plusieurs dizaines de caravanes et à l'occupation illicite de terrains publics comme privés.
Je suis en conséquence tout à fait favorable à ce que, comme l'écrivait déjà Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur la « loi Besson », « les efforts importants demandés aux communes [aient] pour contreparties (...) une répression effective du stationnement illicite ».
Autrement dit, il convient d'être très ferme face aux occupations illicites.
Pour autant, plusieurs rapports importants ont été publiés sur l'application de la loi de 2000 : un rapport d'octobre 2010 du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable ; un rapport de mars 2011 d'une mission d'information de l'Assemblée nationale, dont le rapporteur était le député Didier Quentin ; un rapport de juillet 2011 de notre collègue Pierre Hérisson, intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun » ; enfin, un rapport d'octobre 2012 de la Cour des comptes sur l'accueil et l'accompagnement des gens du voyage.
Or, aucun de ces rapports n'a proposé de modifier les sanctions contre le stationnement illégal dans les communes respectant leurs obligations. Notre collègue Pierre Hérisson n'a formulé, dans son rapport de juillet 2011, aucune proposition en la matière.
Pourquoi ne pas avoir fait de propositions sur ce sujet ? La raison me semble en être, comme l'écrit notre collègue député Didier Quentin dans son rapport de mars 2011, que « le législateur est probablement allé en 2007 aussi loin qu'il était possible d'aller ».
Dans une décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que « compte tenu de l'ensemble des conditions et des garanties qu'il a fixées et eu égard à l'objectif qu'il s'est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les autres droits et libertés ».
C'est ce qui a fait dire à nos collègues députés que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu'il serait donc constitutionnellement périlleux d'assouplir ».
Dans ces conditions, les dispositions prévues par les articles 2, 3 et 4 de la proposition de loi de notre collègue Hérisson me paraissent poser de vraies difficultés constitutionnelles - je vous proposerai en conséquence des amendements de suppression.
Au-delà de cette question constitutionnelle, ce texte me paraît déséquilibré en se focalisant uniquement sur la répression, alors que l'accueil des gens du voyage implique un grand nombre de problématiques, comme l'ont relevé les rapports que je viens d'évoquer.
Premier sujet qui n'est pas évoqué par la proposition de loi : le statut juridique des gens du voyage, qui relève encore de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
Une partie de cette loi, notamment les dispositions discriminatoires portant sur l'exercice du droit de vote, a été déclarée contraire à la Constitution par une décision en date du 5 octobre 2012. Demeurent en vigueur les dispositions relatives au livret spécial de circulation ou au rattachement à une commune.
La loi de 1969 a été dénoncée tant par la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) que par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Je vous proposerai donc d'abroger cette loi - Pierre Hérisson le proposait également, dans sa proposition de loi de juillet 2012 sur le statut juridique des gens du voyage.
Deuxième sujet qui n'est pas évoqué par la proposition de loi : les communes défaillantes.
Trop peu d'aires d'accueil ont été construites : fin 2010, la moitié seulement des aires prévues par les schémas départementaux étaient aménagées, comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes. Quant au pouvoir de substitution confié au préfet par la « loi Besson », il n'a jamais été mis en oeuvre.
Nous devons donc réfléchir, avec les associations d'élus locaux, aux moyens de renforcer l'effectivité de la « loi Besson », par exemple en améliorant le pouvoir de substitution du préfet aux maires défaillants, ou en créant des pénalités financières contre les communes qui ne respectent pas leurs obligations. A l'instar de l'article 55 de la « loi SRU » on pourrait ainsi instituer un prélèvement sur les ressources des communes défaillantes ou permettre au préfet de conclure des conventions avec des organismes pour construire les aires nécessaires. L'éventuel constat de carence devrait prévoir, comme pour la construction de logements sociaux, la prise en compte des spécificités locales, telles que la disponibilité foncière ou les difficultés naturelles.
Troisième sujet non traité par cette proposition de loi : les évolutions constatées depuis la « loi Besson », qu'il conviendrait de prendre en compte - je pense en particulier aux aires de grand passage et à l'accès au logement des gens du voyage qui se sédentarisent.
Toutes les études témoignent d'un phénomène de sédentarisation partielle ou totale des gens du voyage. Or, faute de terrains adaptés, la sédentarisation se fait trop souvent sur les aires permanentes d'accueil : les aires d'accueil sont aujourd'hui majoritairement utilisées par des familles semi-sédentarisées - ces aires ne sont pas adaptées à cet accueil et la présence permanente empêche la rotation.
Il nous faut donc trouver comment faire prendre en compte, par les schémas départementaux, les besoins en matière de terrains familiaux ou d'habitat adapté. De même, il faudrait que les schémas départementaux soient davantage coordonnés avec les plans départementaux d'accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD), ces derniers devant, en principe, identifier les besoins des gens du voyage en matière d'habitat adapté et définir des objectifs de réalisation quantifiés et territorialisés.
Voilà donc les raisons de mon scepticisme sur ce texte, même si je mesure la réalité des problèmes que Pierre Hérisson veut résoudre. La commission des lois se réunit en ce moment même, nous verrons quel sera le texte issu de ses travaux ; pour l'heure, je vous proposerai quatre amendements, l'un pour abroger la loi de 1969 et les trois autres pour supprimer trois articles qui me semblent poser un problème de constitutionnalité.
Notre collègue député Dominique Raimbourg s'apprête à déposer une proposition de loi qui embrasse l'ensemble du champ de l'accueil des gens du voyage, c'est-à-dire les questions du statut juridique, de l'effectivité de la « loi Besson », des moyens légaux permettant de mettre fin aux occupations illicites... Ce texte devrait permettre une discussion sereine et sans exclusive et il conviendra, Monsieur le Président, que notre commission se saisisse de ce texte, qui pourrait venir en discussion en 2014.
Comme le proposait Pierre Hérisson dans son rapport de juillet 2011, je pense donc qu'il est temps de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d'une loi unique par une mise à jour de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ».
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - Je crois effectivement avoir quelques notions sur le sujet, depuis la quinzaine d'années au moins que je m'en occupe - et je suis en lien constant, comme président de la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGV) depuis 2005, aussi bien avec le ministre de l'Intérieur, qu'avec sa collègue du logement, qu'avec notre collègue député Dominique Raimbourg, dont la proposition de loi reprend celle que j'ai faite en juillet 2012, tout comme j'entretiens des liens avec les représentants des gens du voyage, que j'ai encore vus lors de la journée nationale qu'ils viennent de tenir à Chambéry.
Or, si le dispositif de la « loi Besson » date de 2000, la situation a grandement changé depuis et un tournant décisif a eu lieu l'été dernier : des maires ont été exaspérés, désespérés par leur impuissance - et ma principale motivation, avec cette proposition de loi, c'est de leur redonner espoir ! Vous avez raison de rappeler que la question des gens du voyage comporte bien des aspects, en particulier la semi-sédentarisation et l'accès au logement, mais ce dont nous parlons avec ce texte, c'est de tout autre chose : ce texte est d'urgence, pour aider les maires face aux débordements auxquels donnent lieu ce qu'on appelle « le grand passage », c'est-à-dire les grandes manifestations ponctuelles de plusieurs centaines, voire milliers de caravanes.
Les grands rassemblements des gens du voyage, par exemple celui de Saintes-Maries-de-la-mer, sont très bien gérés par le service public : la « loi Besson » en a confié l'encadrement à l'Etat, les services sont mobilisés, en coopération avec les collectivités locales, chacun assume ses responsabilités et l'ensemble fonctionne bien, pour des événements qui regroupent jusqu'à 30 000 caravanes sur quelques jours.
Le problème n'est donc pas là, mais dans les dérives auxquelles donne lieu le « grand passage », dont le régime est fixé par une circulaire ministérielle qui change souvent. Le problème, ce sont des groupes qui, se réclamant abusivement du « grand passage », occupent illégalement des terrains communaux en y saccageant tout : ils arrivent à deux cents caravanes, sans prévenir - ou à la dernière minute -, occupent sans aucune autorisation un terrain, souvent le stade municipal, ils y font leur raout en ayant pris pour seule précaution d'exiger de la commune un accès libre à l'eau, puis ils repartent après quelques jours, en laissant le terrain abimé et les installations sanitaires généralement dévastées ! Et ces dérives se concentrent dans une dizaine de départements, dont les trois champions sont le Var, l'Hérault et la Haute-Savoie : c'est là que la situation est devenue intenable l'été dernier, là que les maires ont le sentiment d'être abandonnés, et c'est pour éteindre cet incendie - particulièrement dangereux à l'approche d'échéances électorales - que j'ai rédigé cette proposition de loi d'urgence ! Il y a eu l'an passé 128 grands passages, mais ceux dont nous parlons ici, ce sont les irréguliers, en particulier ceux qui sont liés au pastoralisme religieux : quelque 140 000 gens du voyage seraient affiliés aux évangélistes, c'est considérable.
Pour le reste, vous rappelez avec raison que le nombre d'aires d'accueil aménagées est insuffisant, qu'il n'y a que 24 000 places au lieu des 40 000 prévues, mais sans dire cependant que c'est l'arrêt du subventionnement par l'Etat à 70%, qui a mis un sérieux coup de frein aux aménagements...
J'insiste pour bien faire comprendre le sens de ma proposition de loi : il s'agit d'envoyer un signal aux maires, de dire « stop » à notre système actuel qui ne fonctionne plus face à ces dérives ; je ne me fais guère d'illusion sur le fait que le renforcement des sanctions règle le problème, mais je crois important, à la veille d'échéances électorales où ces questions pourront être décisive à l'échelle locale, d'envoyer ce signal aux maires ; des préfets ont fait preuve de leur sens républicain des responsabilités, en refusant le concours de la force publique aux communes qui ne respectent pas leurs obligations d'aménagement d'aires d'accueil, mais cette façon de faire n'est pas une solution ; grâce à cette proposition de loi, nous dirons aux maires que nous les entendons et que le droit va changer - d'abord ici, puis avec la loi annoncée pour l'an prochain - et qu'en tout état de cause, la question mérite un débat avec le ministre de l'Intérieur, en séance publique !
M. Claude Dilain, rapporteur. - Les dérives dont vous parlez existent effectivement, j'ai eu à en connaître sur ma commune, où 200 caravanes avaient débarqué sans prévenir ; cependant, attention aux amalgames ! La Seine-Saint-Denis est très impliquée dans l'accueil des gens du voyage...
M. Pierre Hérisson. - Le problème n'est pas celui des gens du voyage, mais des dérives à l'occasion du « grand passage » !
M. Claude Dilain, rapporteur. - Ce n'est pas ce que les gens du voyage ont vu dans votre texte. N'oublions pas que ceux qui étaient le plus opposés aux implantations de Roms, c'étaient les gens du voyage...
M. Pierre Hérisson. - Vous avez entendu comme moi leur slogan : « Gens du voyage, Français d'abord ! »...
M. Claude Dilain, rapporteur. - Je crois que nous devons faire très attention à l'amalgame. Les gens du voyage sont présents depuis très longtemps, ils comptent beaucoup dans la vie de bien des territoires - je le sais professionnellement, car ils ont constitué le principal de ma patientèle de pédiatre... La reconnaissance de ce fait ne va pas de soi, depuis fort longtemps aussi : en Seine-et-Marne pendant la guerre, les nazis ont massacré tous les membres d'un camp de gens du voyage, un massacre digne de celui d'Oradour-sur-Glane, avec un seul survivant - mais ce massacre n'a pas même donné lieu à une plaque commémorative...
Je maintiens donc que votre proposition de loi est déséquilibrée : il faut certainement de la fermeté, appliquer les sanctions, mais pas faire un amalgame - les médias s'en chargent bien assez !
Ensuite, attention au risque d'inconstitutionnalité : car si, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, les sanctions étaient annulées, le message que vous voulez faire passer serait inversé, il n'y aurait plus de sanctions du tout !
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est un argument de poids !
M. Claude Dilain, rapporteur. - Je crois donc que nous devrons revoir la « loi Besson », la situation a effectivement changé depuis son adoption ; mais il faut aborder l'ensemble des problèmes, et d'abord mieux accompagner la sédentarisation : il faut plus de terrains familiaux, pour que les gens du voyage qui se sédentarisent, puissent sortir des aires d'accueil aménagées pour des séjours de plus courte durée ; à cette aune, l'aggravation des sanctions n'est pas une priorité - et elle lance un message négatif, voire dangereux, en plus des risques d'inconstitutionnalité que j'ai évoqués. Nous pourrons débattre très largement avec la proposition de loi de Dominique Raimbourg, c'est de loin préférable que de se contenter d'aggraver les sanctions.
M. Gérard César. - Je tiens à saluer le courage et la constance de Pierre Hérisson dans le combat qu'il mène depuis des années sur ce dossier difficile des gens du voyage. Sa proposition de loi est bienvenue, parce qu'au-delà des défauts de nos règles actuelles - dans mon département, c'est tout le schéma départemental qu'il faut revoir... -, le « grand passage » donne lieu à des dérives insupportables, faces auxquelles nous ne pouvons rester sans rien faire : effectivement, quand des groupes arrivent sans prévenir sur un stade municipal, sans respecter aucune règle, et qu'ils y détruisent littéralement les installations, il y a urgence ! Cette proposition de loi apporte un signal, nous la voterons.
M. Bruno Retailleau. - Je rejoins entièrement notre rapporteur lorsqu'il nous appelle au consensus : sur ce type de question, nous n'arriverons à rien si nous nous opposons entre la droite et la gauche, des solutions existent, elles ne sont pas partisanes - car le principe d'humanité est parfaitement compatible avec celui de fermeté, voyez le discours du ministre de l'Intérieur.
Je suis d'accord, également, pour repousser tout amalgame : la question des Roms n'est pas celle des gens du voyage, le grand passage et le « petit » passage posent eux aussi des problèmes bien différents.
Le problème est ici d'une autre nature. L'été dernier, la situation a changé. Des maires qui respectent toutes leurs obligations, qui sont depuis longtemps très impliqués dans l'accueil des gens du voyage - c'est arrivé par exemple aux Sables d'Olonne -, se sont trouvés tout à coup isolés face à des rassemblements illégaux : que vaut la décision d'un juge, lorsqu'il renvoie le référé à deux semaines ? Les maires - et nos concitoyens - en ont ressenti que la justice était à deux vitesses et ce texte a le mérite de tirer la sonnette d'alarme.
Je crois que les problèmes de l'été dernier s'expliquent pour partie par un défaut de coordination nationale : les rassemblements sont prévisibles, annoncés sur les sites des organisateurs, par exemple ceux de la mission évangélique « Vie et Lumière » qui a fait tant parler d'elle ; il devrait y avoir un médiateur, qui entre en contact avec les organisateurs, pour préparer leur venue dans les meilleures conditions possibles : il faut y travailler, car c'est le plus en amont possible qu'on peut espérer régler les problèmes.
M. Daniel Raoul, président. - Je confirme : c'est la mauvaise coordination qui explique les débordements de l'été dernier.
M. Pierre Hérisson. - La coordination n'est pas mauvaise, elle est inexistante !
M. Daniel Raoul, président. - Elle a existé et nous avons constaté l'an passé qu'elle avait disparu...
Mme Bernadette Bourzai. - Notre rapporteur a trouvé les mots justes pour parler de ce sujet difficile, son propos est équilibré. Des maires ont été confrontés à de graves difficultés, mais comment ne pas faire le lien avec le fait qu'en dix ans, la moitié seulement des aires d'accueil programmées ont été effectivement aménagées ? Je ne suis pas une spécialiste du « grand passage », mais je sais que, s'agissant des gens du voyage, nous avons besoin de tact et de compréhension ; je félicite le rapporteur d'en faire parfaitement preuve et, comme lui, je suis impatiente de débattre d'un texte d'ensemble, avec la proposition de loi de Dominique Raimbourg.
M. Alain Chatillon. - Dans certains départements, comme la Haute-Garonne, la métropole - Toulouse - s'est dispensée d'aménager des aires pour le « grand passage » ; résultat, les communes rurales, alentour, subissent des afflux qui dépassent largement leurs capacités d'investissement : ce serait un comble, de les pénaliser !
M. Jean-Jacques Mirassou. - La vérité, c'est que l'ère Baudis - Moudenc a été un désert pour les aires d'accueil... (Sourires)
M. Michel Houel. - En Seine-et-Marne, qui représente la moitié du territoire francilien, nous avons calibré notre schéma départemental sur 1 200 caravanes par an, mais nous en accueillons aujourd'hui plus du double : c'est la conséquence de l'urbanisation et du manque de places en Ile-de-France. Je crois aussi que les problèmes ne doivent pas être confondus : nous avons des solutions pour les groupes qui se sédentarisent, même si la scolarisation, par exemple, reste difficile ; en revanche, face aux rassemblements illicites dont vous avez parlé, l'Etat doit jouer le jeu, ce qu'il ne fait pas assez : c'est la condition pour que le schéma départemental fonctionne ; s'ajoute à cela d'autres problèmes, comme celui des Roms. Nous accueillons des familles que la Ville de Paris « place » en hôtel de grande couronne...
M. Claude Dilain, rapporteur. - Je suis parfaitement d'accord avec Bruno Retailleau : ce sujet exige du consensus, c'est du reste pourquoi j'ai cité principalement des rapports parlementaires issus des bancs de droite... Le diagnostic nous réunit, mais nous ne devons pas nous laisser emporter par l'émotion de l'été dernier...
M. Gérard César. - C'est chaque été pareil !
M. Claude Dilain, rapporteur. - L'émotion a été attisée par les médias, Pierre Hérisson en convient, c'est pour moi une raison supplémentaire pour ne pas se précipiter, en année électorale - d'autant que l'aggravation des sanctions ne changera pas la donne : le problème, ce n'est pas l'insuffisance des sanctions, c'est l'inadaptation de nos règles, issues de la « loi Besson » - Pierre Hérisson vient de nous le dire.
Je conviens également que le « grand passage » pose un problème spécifique - mais vous oubliez de dire que les engagements d'aires de grand passage sont respectés non pas pour moitié, mais pour 29 % seulement : ce défaut n'est pas étranger aux problèmes de l'été dernier. C'est ce qui me fait dire, également, que nous devons chercher des moyens pour que les communes tiennent mieux leurs engagements, y compris par des sanctions. Enfin, je crois que l'aggravation des sanctions comporte un risque de constitutionnalité, donc celui d'une inversion du message que vous voulez faire passer : pensez-y !
Je confirme, enfin, que la Seine-et-Marne est en tête de liste pour la réalisation de son schéma départemental - alors que tout en bas, on trouve les Alpes-Maritimes, qui plafonnent à 8 % de réalisation : à ce niveau, il devient très difficile de faire un rappel à la loi, car l'argument est tout à fait réversible...
En conséquence, nous devons prendre en compte les vrais besoins des gens du voyage, bien mieux que ne l'a fait la « loi Besson » ; mais la seule aggravation des sanctions ne serait certainement pas un bon message.
M. Bruno Retailleau. - Ne pensez-vous pas qu'il faille, sans tarder, désigner un médiateur pour les rassemblements de l'été prochain ?
M. Claude Dilain, rapporteur. - Oui, mais c'est réglementaire : nous le demanderons au ministre lors du débat en séance publique.
M. Daniel Raoul, président. - Nous passons à l'examen des amendements.
Article additionnel avant l'article 1er
M. Claude Dilain, rapporteur. - Avec l'amendement n°1, je vous propose d'abroger la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
La commission adopte l'amendement n°1.
M. Claude Dilain, rapporteur. - Avec l'amendement n°2, je vous propose de supprimer l'article 2, pour le risque d'inconstitutionnalité dont j'ai parlé.
M. Pierre Hérisson. - Ce risque existe effectivement, puisqu'à propos de la « loi Besson », le Conseil constitutionnel avait jugé que la sanction devait être proportionnelle au risque d'atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques...
La commission adopte l'amendement n°2.
M. Claude Dilain, rapporteur. - Avec l'amendement n°3, je vous propose de supprimer cet article, pour le risque d'inconstitutionnalité mais également parce que le préfet aurait les plus grandes peines à tenir ce délai de 24 heures en fin de semaine...
La commission adopte l'amendement n°3.
Article 4
La commission adopte l'amendement n°4 de suppression de l'article 4.