- Mardi 26 novembre 2013
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Soutien de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Environnement et prospective » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Equipement des forces » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis
- Désignation de rapporteurs
- Mercredi 27 novembre 2013
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Action culturelle extérieure » programme « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Action culturelle extérieure » programme « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Sécurité » programme « Gendarmerie nationale» - Examen du rapport pour avis
- Accord entre la France et la Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption - Examen du rapport et du texte de la commission
- Loi de finances pour 2014 - Mission « Aide publique au développement » programmes « Aide économique et financière au développement » et « Solidarité à l'égard des pays en développement » - Examen du rapport pour avis
Mardi 26 novembre 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Soutien de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de Mme Michelle Demessine et M. Joël Guerriau sur le programme 212 - Soutien de la politique de défense - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.
Mme Michelle Demessine, co-rapporteure pour avis.- La première partie de notre intervention portera sur la présentation générale, sur la politique immobilière et sur l'accompagnement économique des restructurations.
Dans le cadre d'un budget de la mission défense qui est stable en valeur, les crédits de paiement hors pensions du programme 212 augmentent de 6,6% passant de 2,789 à 2,974 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement ne progressent que de 3,2%. Pour mieux situer leur ordre de grandeur, je rappellerai que les crédits du programme 212 représentent moins de 10% de ceux de la mission « défense ».
Globalement, ce programme apparaît bien traité au cours de cet exercice, mais cette augmentation recouvre des évolutions différentes qu'il convient d'exposer action par action.
Préalablement, je souhaiterais indiquer que les dépenses de personnel sont en légère diminution (-0,6%), traduction d'une baisse du nombre d'emplois de 307 équivalents temps plein travaillés en 2014 sur 12 853, d'une légère baisse de la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) pensions qui résulte de l'évolution de la répartition des personnels entre civils et militaires et d'une progression des charges de prestations sociales notamment des allocations pour perte d'emploi.
S'agissant de la politique immobilière, le budget 2014 consacré à l'infrastructure présente un niveau de crédits de paiement, 1,15 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 206 millions de ressources exceptionnelles attendus de la cession d'emprises du ministère de la défense, en progression de 145,5 millions d'euros par rapport à 2013, alors qu'il diminue légèrement en autorisations d'engagement, en raison d'une moindre dotation de l'opération « restructurations » qui achève le cycle des réorganisations de la précédente loi de programmation militaire (LPM). Celles de la prochaine LPM devraient a priori être de moindre ampleur en termes de transferts d'implantations, lesquels génèrent des coûts importants de dépenses d'infrastructure. Dans un souci d'économies, il est préférable de procéder par des fermetures pures et simples d'implantations.
S'agissant des ressources exceptionnelles, nous avons peu d'inquiétudes sur leur réalisation pour 2014, compte tenu du niveau du CAS immobilier et de l'engagement de cessions d'immeubles parisiens dès le début de l'exercice, lesquelles portent sur des immeubles de bureaux. La suite de l'exercice sera plus difficile avec la cession de l'emprise de l'îlot Saint-Germain à l'horizon 2015 et la cession des emprises en province. Néanmoins, la cible envisagée pour la construction de la LPM, 674 millions d'euros (dont 530 au titre des emprises parisiennes) d'ici 2016, n'est pas hors d'atteinte.
S'agissant des crédits affectés aux opérations, je voudrais faire deux remarques.
La première pour souligner que ce budget permet de poursuivre les actions en cours pour accueillir les nouveaux matériels dont sont dotées les forces. En termes de masse, les efforts principaux portent sur l'adaptation des installations portuaires de Toulon, de Brest, de l'île Longue et marginalement de Cherbourg pour permettre l'accueil des sous-marins Barracuda (220 millions d'euros en AE) d'une part, la rénovation électrique des bases navales de Toulon et de Brest, d'autre part. Il permet également le lancement de l'accueil des MRTT (139 millions en AE) sur la base d'Istres.
La deuxième remarque sera de souligner l'effort fait, cette année, en matière d'adaptations des capacités d'infrastructure existantes, qu'il s'agisse des infrastructures technico-opérationnelles ou des infrastructures non technico-opérationnelles (NTO), de la maintenance lourde ou du maintien en condition. Ces actions, et notamment le NTO, ont souvent fait les frais des annulations d'engagement destinés à équilibrer le budget de la défense, ce qui a conduit à de nombreux retards avec une dégradation des conditions de travail et de vie des militaires. Je pense particulièrement aux logements des hommes du rang et des sous-officiers célibataires. Le plan VIVIEN dont l'objectif était de loger 80% des militaires du rang et 25% des sous-officiers, soit 53 000 militaires en 2012, n'a atteint, fin 2013, que 85% des objectifs. Des efforts sont également réalisés pour l'entretien courant des logements domaniaux et pour la réalisation de logements familiaux. Une priorité est donc donnée à la remise à niveau des conditions de travail et de vie des militaires. En revanche, des économies sont réalisées en matière de location de logements de fonction, d'infrastructures et de bureaux.
Enfin, je terminerai cette intervention, en soulignant que la réalisation du projet Balard prend forme. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une opération de partenariat public-privé dont le montant est estimé à 3,5 milliard d'euros qui se traduira par le versement d'une redevance annuelle de 154 millions durant 27 ans, comprenant l'amortissement de la construction et des prestations de service. Les immeubles devraient être livrés au premier semestre 2015. Les crédits affectés au projet sont répartis dans différentes rubriques, dans un souci de clarté, il serait souhaitable qu'une rubrique particulière des programmes et des rapports annuels de performance, les regroupent, ce qui donnerait une meilleure visibilité. Le fait important pour 2014 est la montée en charge au sein de l'action « pilotage, soutien et communication » dans laquelle sont, dès cette année, inscrits des montants significatifs (104,5 millions d'euros en AE et 49,6 en CP), auxquels on peut rattacher 4,7 millions en AE et 12,4 en CP au titre de travaux préparatoires d'infrastructures, et les crédits destinés à la préparation du déménagement, 4 millions en AE et 5,9 en CP au titre du système d'information et quelques centaines de milliers d'euros d'assistance à maîtrise d'ouvrage. La progression du programme 212 en AE résulte pour les 2/3 de la montée en charge du projet Balard.
Je n'aborderai que très brièvement la question de l'accompagnement économique des restructurations car nous avons assez largement développé cette question lors de l'examen de la loi de programmation militaire, si ce n'est pour retenir deux points. 90% des contrats prévus en 2008 avec les collectivités locales impactées par des fermetures de sites ont été signés, mais ces signatures sont intervenues tardivement, certaines en 2013 (7 sur 52). Dès lors les décaissements du fonds de restructuration de la défense au titre de la LPM 2009-2014 vont s'étaler jusqu'en 2018. Une grande partie du dispositif en place va être reconduit pour la durée de la loi de programmation militaire 2014-2019, il faudra néanmoins tirer les leçons des expériences précédentes pour essayer d'accélérer la redynamisation des territoires. Il nous semble également qu'il serait de l'intérêt de tous les acteurs (forces armées, personnels civils et militaires, collectivités) si les restructurations pouvaient être annoncées jusqu'à la fin de la loi de programmation, afin de sortir de périodes d'incertitudes et de préparer l'avenir.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur pour avis.- S'agissant des autres actions du programme 212 et sans vouloir être exhaustif, je voudrais mettre en relief quelques points saillants.
En premier lieu, je souhaiterais attirer votre attention sur quelques éléments concernant les systèmes d'information, d'administration et de gestion dont les crédits progressent de 24,4% en CP et 11,70 % en AE.
Nous avions eu l'occasion, l'année dernière, de vous faire part de notre inquiétude sur la dégradation des performances de ce secteur, soulignant d'ailleurs qu'au-delà de LOUVOIS, nous observions des dérives en termes de calendrier et de coûts sur nombre de programmes. Nous nous interrogions sur l'opportunité de réduire les crédits de paiements sur cette action en cette période difficile. Nos observations, à l'épreuve des faits, hélas, semblent prises en considération s'agissant des crédits.
Il reste que la situation s'est dégradée. Je ne reviens pas en détail sur LOUVOIS car la question a été abordée largement au cours des auditions, si ce n'est pour souligner ses conséquences :
1/ Des versements excédentaires de soldes dont les évaluations sont fluctuantes - la Cour des comptes avance 133 millions d'euros pour 2012, le ministère 65 à 70 millions d'euros pour 2013, sur les crédits du programme 178, entraînant le recrutement d'une centaine de vacataires pour leur recouvrement, auxquels il faut ajouter la surconsommation des crédits au titre des avances, et des acomptes versés au titre du plan d'urgence ministériel destinés à aider les familles affectées par les dysfonctionnements de LOUVOIS ;
2/ L'engagement de mesures correctrices pour près de 9 millions d'euros d'expertise et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ;
3/ Les conséquences du maintien obligé d'applications anciennes qu'il faut continuer à maintenir en raison du moratoire sur le raccordement de l'Armée de l'air et de la Gendarmerie ;
4/ Le décalage en conséquence de certains programmes qui devaient être interfacés ou prendre la suite de LOUVOIS : SOURCE reporté à 2016 et le raccordement à l'Opérateur national de paie qui est repoussé à 2018.
LOUVOIS est donc un sinistre de grande ampleur. Nous avons encore peu de visibilité sur le chemin de sortie de crise. Le ministre a annoncé ce matin sur Europe 1 l'abandon de LOUVOIS et la mise en place « d'un dispositif plus robuste qui va être préparé avec beaucoup de vigilance, qui va être expérimenté et qui va se mettre en place dans les mois qui viennent » sans préciser pour le moment le calendrier, mais selon nombre d'experts, il faudra au moins 2 ans pour que tout rentre dans l'ordre. Un changement de système supposerait au préalable, une simplification des régimes indemnitaires des armées. La complexité est sans doute une des raisons des déboires de LOUVOIS et une cause de renchérissement des coûts.
Je voudrais surtout, et c'est plus inquiétant, faire observer que LOUVOIS est le révélateur de dysfonctionnements récurrents. D'autres programmes, SIGALE, COMPAS, SOURCE, affichent des retards conséquents. Ces décalages ont un impact financier (plus de 10 millions d'euros pour le décalage de SOURCE). Les défauts dans la programmation et les retards entraînent également des accumulations de travail en phase de vérification et d'admission des prestations et donc l'obligation de faire appel à des prestataires extérieurs. La réduction des effectifs a fait exploser les besoins d'assistance externe. On estime ce poste de dépenses à 10 à 20% du coût complet des programmes.
Les phénomènes s'enchaînent et s'entretiennent : complexité des règles et des procédures, mauvaises spécifications, défaut de programmation, retards dans la réalisation, précipitation dans la mise en service, pour déboucher sur des catastrophes de grande ampleur. LOUVOIS est révélateur d'une situation endémique. Le ministère doit s'attacher à traiter simultanément les causes, le mal et ses conséquences sur le terrain. Une réforme de la gouvernance a été mise en place en 2013. Il est trop tôt pour en mesurer les effets. Nous reconnaissons la complexité de la situation. Nous espérons que le renforcement des moyens et la réorganisation du pilotage permettra d'améliorer une situation inacceptable budgétairement, mais surtout en raison de son impact sur le moral des armées, nous craignons que le redressement soit long à produire ses effets.
S'agissant du soutien à la politique des ressources humaines, qui aborde à la fois la question de la reconversion et celle de l'aide sociale, les crédits progressent de 5,29%.
Le volet reconversion voit ses crédits augmenter de près de 11%. Chaque année, les forces armées organisent le retour à la vie civile de près de 23 000 militaires. La reconversion est donc un axe majeur de la politique des ressources humaines de la défense et un levier essentiel pour le recrutement et l'attractivité des armées. Cette augmentation résulte pour partie du transfert à l'Agence de reconversion de la défense (ARD) de crédits jusque-là gérés par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (8,8 millions d'euros) destinés à la reconversion de publics sensibles, mais aussi, en titre 2, de l'augmentation de 17% des crédits dédiés aux indemnités de chômage des civils et des militaires, traduction de la dégradation de la situation de l'emploi et de la difficulté à offrir un débouché à tous les personnels qui quittent la défense, même si les résultats de l'ARD progressent, mais un certain nombre de militaires ne recourent pas à ces services.
Concernant le volet action sociale, nous nous inquiétions l'année dernière de la baisse des dotations et notamment de la subvention à l'IGeSA qui est l'établissement public gestionnaire en considérant que l'effet mécanique des baisses d'effectifs sur l'évolution du budget ne devait pas nécessairement être l'ultima ratio de la bonne gestion d'une politique d'action sociale. Les réorganisations suscitent des besoins supplémentaires et l'action sociale est souvent un moyen d'accompagner le changement. Le ministère de la défense, comme M. Bodin l'a confirmé devant votre commission, a été obligé de rectifier le tir en gestion. Le niveau de crédit est donc rétabli en 2014. L'IGeSA devra en contrepartie refondre la tarification et le fonctionnement de ses centres de vacances, réduire ses dépenses de fonctionnement et développer ses ressources propres. L'objectif est que les prestations soient d'abord servies à ceux qui en ont le plus besoin en évitant les effets d'aubaine et de développer des actions spécifiques notamment de soutien psychologique des familles des militaires et civils engagés sur les théâtres d'opérations extérieures et en faveur des blessés et de leurs familles.
Enfin, je conclurai sur la politique culturelle et éducative qui rassemble les crédits destinés aux archives historiques et aux musées des armées, les crédits progressent de plus de 4%, (8,5% hors les dépenses de personnel), en raison de travaux de rénovation et de remises aux normes dans les musées et du soutien aux célébrations des anniversaires des deux guerres mondiales.
Pour ce qui concerne les musées, je voudrais faire quelques observations. Ces établissements emploient 402 personnes et consomment 18,5 millions d'euros en crédits budgétaires. Ces financements budgétaires progressent. Les objectifs de développement des ressources propres sont loin d'être atteints, ils restent inférieurs à 50% pour le Musée de l'Air et de l'Espace et inférieurs à 40% pour le Musée de la Marine. Le nombre de visiteurs est en baisse et, au sein des visiteurs, les entrées gratuites progressent sensiblement.
Les contrats d'objectifs et de moyens des établissements doivent être renouvelés prochainement, peut-être faudrait-il s'interroger sur le mode de gestion de ces établissements. La défense, dont ce n'est pas le « coeur de métier », dispose-t-elle de toutes les compétences pour développer ces établissements ? Une gestion déléguée à des opérateurs publics ou privés spécialisés dans la gestion de musées à l'instar de ce qu'a fait le Sénat avec le musée du Luxembourg ne serait-elle pas plus économique et plus efficace, y compris pour la valorisation du patrimoine historique et de l'image de nos armées ?
Voici, en terminant sur ce questionnement un peu iconoclaste, les observations que nous souhaitions vous présenter après l'examen des crédits du programme 212 de la mission « Défense » sur lesquels nous portons un avis favorable.
La commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 212, les groupes CRC et UMP s'abstenant.
Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Environnement et prospective » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur le programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.
M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur.- Avec mon collègue M. André Trillard, nous souhaitons vous présenter les crédits du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
Le responsable de ce programme, M. Philippe Errera, directeur des affaires stratégiques au ministère de la défense, est venu devant la commission, le 24 octobre dernier, exposer dans le détail ce projet de budget.
Avec notre collègue M. André Trillard, nous avons également eu des entretiens avec le Directeur général de la sécurité extérieure, M. Bernard Bajolet, le Directeur de la protection et de la sécurité de la Défense, le général Jean-Pierre Bosser, ainsi qu'avec le sous-chef « relations internationales » de l'état-major des armées, le général Gratien Maire.
Je rappelle que ce programme 144 présente la particularité de regrouper des éléments très différents, puisqu'il comprend notamment :
- les crédits de deux des trois services de renseignement qui relèvent du ministère de la défense : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), le troisième, la Direction du renseignement militaire (DRM), relevant de la responsabilité du chef d'état-major des armées au sein du programme 178,
- une partie de l'effort de recherche et de prospective en matière de défense, avec en particulier les « études amont » ;
- des subventions aux opérateurs, comme l'école polytechnique ou l'ONERA ;
- les crédits consacrés à l'action internationale du ministère, à travers le soutien aux exportations d'armement et la diplomatie de défense ;
Je limiterai mon intervention aux crédits des services de renseignement, avant de laisser la parole à notre collègue M. André Trillard, qui traitera des aspects relatifs à la recherche, à la diplomatie de défense et au soutien aux exportations.
Globalement, le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » voit ses crédits augmenter de 1% et ses effectifs de 22 postes supplémentaires en 2014. Il constitue à cet égard une originalité au sein du ministère de la défense.
Cette hausse est principalement due à l'augmentation des effectifs et des moyens des services de renseignement, notamment la DGSE. Je rappelle que la DGSE est le service de renseignement ayant pour mission de protéger les intérêts et les ressortissants français à l'étranger.
Pour 2014, le budget de la DGSE s'élèvera à 650 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 8,5% par rapport à 2013 (+17% hors masse salariale). A cette dotation, il faut ajouter les crédits provenant des fonds spéciaux, dont le montant est de 50 millions d'euros, et qui bénéficient principalement à la DGSE.
Quelles sont les raisons qui expliquent l'augmentation de ses crédits ?
Premièrement, 65 emplois supplémentaires devraient être créés à la DGSE en 2014, ce qui est conforme au plan de recrutement prévu par le précédent Livre blanc de 2008 et la précédente LPM, qui ont prévu la création de 690 agents supplémentaires sur la période 2009-2014.
Les recrutements concernent exclusivement des personnels de haut niveau : deux tiers d'ingénieurs spécialisés dans le renseignement technique, un tiers sur des analystes et des linguistes pour l'exploitation du renseignement.
Un deuxième facteur d'augmentation des crédits est la poursuite de l'amélioration de la situation statutaire et indiciaire des fonctionnaires de la DGSE, avec notamment la création d'un corps d'administrateurs de la DGSE, en partie recruté à la sortie de l'ENA.
Le régime des primes des personnels civils de ce service serait, toutefois, moins favorable que celui en vigueur au sein des autres services du ministère de la défense, ce qui constitue à nos yeux une anomalie qu'il conviendrait de corriger.
Troisième facteur d'augmentation, les crédits d'équipement, avec une hausse de 60% des dépenses d'investissement. Il s'agit de renforcer les moyens d'écoute des télécommunications, afin de s'adapter à la croissance des flux, ainsi que les capacités de déchiffrement. Il faut préciser, à cet égard, qu'une partie des moyens font l'objet d'une mutualisation avec les autres services de renseignement, notamment la DRM.
En résumé, le projet de budget de la DGSE traduit l'accentuation des moyens humains et techniques prévue par le précédent Livre blanc de 2008.
Cet effort qui se chiffre en dizaines de millions - ce qui reste modeste par rapport à l'ensemble du budget de la défense (le budget total de la DGSE représente 1,3% du budget de la défense) - doit surtout être analysé comme un rattrapage nécessaire.
Dans le passé, les moyens de la DGSE n'avaient pas vraiment été augmentés à la hauteur des besoins.
Le service compte actuellement 5 100 agents, dont deux tiers de civils et un tiers de militaires.
A périmètre comparable, les services britanniques comptent un effectif pratiquement deux fois supérieur à celui de la DGSE. C'est aussi le cas des services allemands, qui ne remplissent pas les mêmes missions.
Par ailleurs, je regrette que malgré la priorité accordée au renseignement, les services de renseignement, dont la DGSE, ne soient pas épargnés par le « gel » et le « surgel » des crédits pour la mise en réserve de précaution. A ce titre, le budget de la DGSE a été amputé de 19 millions d'euros en AE et 16 millions d'euros en CP en 2013.
Toujours sur le renseignement, je voudrais dire un mot sur la DPSD, service moins connu que la DGSE et dont on parle peu.
La DPSD est en quelque sorte le service de sécurité interne du ministère de la défense. Elle est chargée de rendre des avis sur les demandes d'habilitation des militaires et elle assure la protection des installations, y compris sur les théâtres d'opérations extérieures, comme le Mali. Elle agit également au profit des entreprises liées à la défense, en matière de contre-ingérence et d'intelligence économique.
A l'exact opposé de la DGSE, la DPSD a perdu près d'un tiers de ses effectifs en dix ans, passant de 1 500 postes en 2003 à 1 100 actuellement. Cette diminution a porté essentiellement sur des personnels affectés à des tâches très administratives de gestion des procédures d'habilitation des personnels. Ces procédures vont être entièrement numérisées, grâce au projet SOPHIA.
Les gains obtenus ont été en partie redéployés pour renforcer le niveau de qualification, en recrutant davantage d'officiers brevetés et de personnels civils de catégorie A. Ainsi, la DPSD n'avait que 15 emplois civils de catégorie A en 2009. Elle en avait 33 en 2012. L'organisation territoriale du service, qui dispose d'antennes sur l'ensemble du territoire, a également été rationnalisée, afin d'être cohérente avec l'implantation des bases de défense.
En 2014, il est prévu une diminution de 4% du budget de fonctionnement la DPSD, mais aussi, ce qui est plus problématique, de 1,6% de la masse salariale, qui est susceptible de fragiliser la DPSD car celle-ci compte un effectif de 1 050 postes, soit une centaine de postes de moins que le plafond autorisé. En outre, comme la DGSE, la DPSD est impactée par le « gel » et le « surgel » des crédits liés à la réserve de précaution.
Comme vous le savez, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et le projet de Loi de programmation militaire font du renseignement une priorité majeure.
En matière de capacités techniques, la priorité est donnée par la nouvelle LPM aux composantes spatiales et aériennes, pour l'imagerie et pour l'interception électromagnétique. Il s'agit notamment de lancer le programme de satellites d'écoute électromagnétique CERES, qui présente une importance particulière pour la surveillance de certaines zones comme le Sahel, de mettre en service, à partir de 2017, les deux premiers satellites d'observation MUSIS, de livrer quatre systèmes de quatre drones MALE et deux systèmes de drones tactiques comprenant quatorze vecteurs. Le développement des activités de renseignement dans le domaine cyber et des moyens techniques associés sera également poursuivi.
A l'initiative de notre commission, un amendement a été adopté au texte de la LPM afin de donner une indication précise concernant l'augmentation des moyens humains des services de renseignement, en s'inspirant de la précédente LPM.
Ainsi, il est dorénavant précisé, dans le rapport annexé, que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) bénéficiera du recrutement d'au moins 430 personnels supplémentaires sur les cinq prochaines années et que les services de renseignement du ministère de la défense bénéficieront d'un recrutement de l'ordre de 300 agents supplémentaires sur la période 2014-2019.
Sur ces 300 postes supplémentaires, la DGSE devrait bénéficier de 284 postes supplémentaires, le reste (soit seize agents) devant bénéficier à la DRM. C'est beaucoup moins que ce qui avait été demandé initialement par la DGSE, mais cela devrait néanmoins permettre au service de poursuivre le renforcement de ses capacités, notamment en matière technique. La DPSD devrait, quant à elle, voir ses effectifs stabiliser à 1 100 personnels sur la période 2014-2019, conformément au souhait que nous avions exprimé l'an dernier. Il faudra cependant veiller à préserver ses crédits et à poursuivre l'effort de requalification de ses personnels.
Je laisse maintenant la parole à notre collègue M. André Trillard, en précisant que je voterai les crédits de la mission « Défense ».
M. André Trillard, co-rapporteur.- je serai d'autant plus bref que mon collègue M. Jeanny Lorgeoux a rappelé la physionomie du programme qui comporte 1,9 milliard de crédits, 1,8 milliard en réalité si on fait abstraction des crédits de pension.
Au sein de cet ensemble, la prospective de défense représente cette année 1,1 milliard en crédits de paiement - hors pensions toujours - soit 61% des crédits du programme et autant en autorisations d'engagement.
Je vous présenterai cette année cinq observations sur ces crédits :
La première, sur le fond, est que le programme 144, et plus encore la partie « prospective de défense », continue, comme l'année dernière à augmenter de façon significative.
Les crédits de paiement - hors pension - passent ainsi de 1 060 millions d'euros à 1 096, ce qui représente une augmentation de 3,4%.
Cette augmentation est encore plus importante : 6,2%, si l'on considère de façon spécifique la sous-action « études amont » dont les crédits de paiement passent de 702 millions d'euros à 746 millions.
Il ne s'agit pas de bouder son plaisir, mais cette augmentation n'est qu'à moitié satisfaisante.
Premièrement parce que le fait que les crédits d'études augmentent dans une enveloppe de défense qui diminue doit être pris avec satisfaction, certes, mais de façon néanmoins modérée - et même très modérée. En effet, nous le savons tous ici : notre effort de défense va passer sous le seuil de 1,5% du PIB dès 2014 et, si tout se passe bien, atteindre à 1,3% du PIB en 2019.
Deuxièmement, cette augmentation n'est pas un signe de vitalité. J'ai déjà eu l'occasion de le dire l'an dernier, mais l'observation vaut davantage encore pour l'année qui vient : dans une séquence de diminution globale des crédits de la défense - c'est ce que prévoit la loi de programmation militaire pour 2014-2019 - concentrer des crédits sur la prospective de défense et en particulier les études amont traduit tout simplement le fait que l'on essaie de préserver l'essentiel. Si vous me passez l'expression, on « sauve les meubles ».
De fait, on augmente les études pour faire tourner les bureaux du même nom, mais on réduit la cible des programmes et on étale leur calendrier. Bref, on réduit la production. Ce faisant, on sauvegarde l'essentiel, les emplois les plus qualifiés, ceux des ingénieurs. C'est bien. Mais on ne peut se satisfaire de cette situation. On ne gardera pas éternellement les talents, on ne motivera pas les équipes, on ne saura pas tirer des leçons de nos expériences et en définitive on ne sera pas progresser sans véritables programmes menés de bout en bout et conduisant à des équipements militaires utilisés sur le terrain. M. Marwan Lahoud, le directeur de la stratégie d'EADS, va beaucoup plus loin que moi, puisqu'il affirmait dans un colloque récent que la conservation des compétences n'est pas un objectif en soi. Ce qu'il faut c'est garder les compétences critiques, c'est-à-dire celles utiles pour dessiner l'outil de défense dont nos forces ont besoin. Encore faut-il que nous soyons capables de nous payer un outil de défense.
Deuxième observation : la maquette budgétaire du programme 144 a été substantiellement remaniée il y a deux ans et sa nouvelle présentation - est beaucoup plus lisible, cohérente que celle qui prévalait auparavant. Dont acte. Pour autant, sa gouvernance est restée inchangée.
Or je m'interroge : le fait de confier la gestion de ce programme au directeur des affaires stratégiques, alors que son contrôle effectif ne porte que sur 6 millions d'euros sur un total de 1,8 milliard, n'est-il pas curieux ?
Ne pourrait-on pas envisager pour ce programme un co-pilotage du CEMA et du DGA, comme c'est le cas pour le programme 146 « équipement des forces » et comme pour le programme 402 « excellence technologique de l'industrie de défense » qui vient d'être créé.
Ce n'est pas une question de personne, mais force est de constater que le DAS quel qu'il soit n'a aucun mot à dire - et c'est bien ainsi - ni sur la gestion du renseignement qui relève soit du DGSE soit du CEMA, ni sur la définition des études amont, qui relèvent du DGA. Dans ces conditions pourquoi lui confier le pilotage de ce programme ?
Ce qui m'emmène à ma troisième observation : nous attendons toujours avec impatience une authentique réforme de la démarche stratégique française.
Comme vous le savez Monsieur le Président, notre commission a beaucoup travaillé sur le sujet. D'abord avec le rapport de M. del Picchia sur l'analyse stratégique, puis avec celui de MM. Reiner et Gautier sur les « capacités industrielles militaires critiques ».
Plus récemment, mon collègue Jacques Gautier a eu l'occasion - dans un article de la revue de défense nationale - de formuler un certain nombre de critiques - constructives il va de soi - sur la façon dont la commission du Livre blanc avait fonctionné, ce qui avait été satisfaisant et ce qui ne l'avait pas été.
Il me semble que, dans l'intérêt bien compris de tous et en particulier de nos forces armées, il faudrait en tenir compte et peut-être pourriez-vous, Monsieur le Président, vous faire le porte-parole de notre commission auprès du ministre afin que notre commission soit consultée sur la réforme de l'analyse stratégique qui se prépare et ne la découvre pas, comme à l'accoutumée, par voie de presse.
Pour ce qui est de la diplomatie de défense, une nouvelle direction générale chargée des affaires stratégiques, de la prospective et des relations internationales, qui serait rattachée directement au ministre de la défense, devrait reprendre une partie ou la totalité des attributions et des moyens de la délégation aux affaires stratégiques, de la sous-chefferie « relations internationales » de l'état-major des armées et de la direction du développement international de la direction générale de l'armement, avec peut-être aussi le réseau des attachés de défense.
Or, cette réforme majeure, qui aboutirait à retirer en tout ou partie la responsabilité de la coopération en matière militaire à l'état-major des armées, avec le risque d'une déconnexion avec les armées, se fait dans la discrétion la plus complète et sans que le Parlement soit réellement consulté ou même informé.
De plus cette réforme pourrait s'accompagner d'une réduction des effectifs et des moyens consacrés à la coopération européenne et internationale en matière de défense, dans un contexte général de déflation des effectifs et de dépyramidage. Ainsi, le nombre d'officiers français insérés au sein des structures de commandement de l'OTAN pourrait diminuer à l'avenir, ce qui serait contradictoire avec la volonté affichée de renforcer notre place et notre influence au sein de l'Alliance atlantique.
Je dois quand même vous dire un mot d'un amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et qui vise à retirer 500 000 euros sur les crédits de l'école polytechnique afin de la sanctionner en quelque sorte du non remboursement - dans certains cas précis - de ce que l'on appelle la « pantoufle ».
Le détail de cette opération est exposé dans notre rapport écrit. A titre personnel, je ne pense pas que l'amendement de nos collègues députés soit justifié, ni sur le fond, ni sur la forme. Du reste, nos collègues MM. Yves Krattinger et Dominique de Legge, au nom de la commission des finances, ont déposé un amendement destiné à rétablir ces crédits.
Très sincèrement, compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles est confrontée la défense en ce moment, du fait de la réduction des crédits, je crois que ces querelles ne sont pas à la mesure des enjeux et risquent d'être mal comprises par nos forces armées. C'est pourquoi je n'ai pas retenu nécessaire de vous présenter un amendement qui serait identique à celui de la commission des finances, même si j'en partage l'orientation et me contenterai, le cas échéant, de le voter, le moment venu.
Sur cette dernière observation je conclus mon intervention, un peu forcé, en ma qualité de co-rapporteur du programme 144, de vous recommander l'adoption des crédits de la mission défense, puisque le vote porte sur l'ensemble de la mission et non pas sur les programmes.
Néanmoins vous le savez bien, mes chers collègues, je considère que le projet qui nous est proposé pour la mission défense n'est pas du tout satisfaisant et réserve des lendemains difficiles voire très difficiles pour notre défense. Personnellement je m'abstiendrai sur l'ensemble de la mission défense de ce projet de loi de finances pour 2014.
La commission donne ensuite un avis favorable à l'adoption du programme 144 de la mission « Défense » au sein du projet de loi de finances pour 2014, les groupes CRC et UMP s'abstenant.
Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Equipement des forces » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier et Xavier Pintat sur le programme 146 - Equipement des forces - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.
M. Jean-Louis Carrère, président.- Avant de donner la parole aux rapporteurs du programme 146, je voudrais vous faire part d'une communication. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, vient de m'informer du vote prochain d'une résolution de l'Organisation des Nations unies concernant la situation en République Centrafricaine. A la suite de cette résolution, nos forces sont prêtes, le cas échéant, à se déployer dans les meilleurs délais. Le ministre a indiqué que, sur la base de la nouvelle résolution de l'ONU, nous devrions déployer 800 hommes supplémentaires qui viendraient compléter les 400 soldats d'ores et déjà à Bangui. Il s'agirait d'appuyer la force africaine qui se déploie et de l'accompagner au plan opérationnel.
M. Jeanny Lorgeoux. - Je me réjouis de cette décision. La vraie question néanmoins est de savoir quel processus politique comptons-nous mettre en oeuvre après cette intervention ? Les troupes du président Bozizé ont été démobilisées et les troupes de la Séléka se paient sur la bête. Les éléments qui ont été à l'origine du problème sont malheureusement toujours là. Comment après une intervention militaire pourrons-nous promouvoir un processus politique qui aboutisse au rétablissement de l'Etat centrafricain ?
M. Jean-Louis Carrère, président.- Il faudra le demander au gouvernement.
M. Daniel Reiner, co-rapporteur.- C'est la deuxième année consécutive où nous allons présenter ce programme 146 à trois voix, avec mes collègues Xavier Pintat et Jacques Gautier. Je vais donc vous présenter les observations d'ensemble, puis mon collègue Xavier Pintat vous présentera la partie nucléaire - commandement de l'information et mon collègue Jacques Gautier les équipements conventionnels.
Première observation : nous avons fait ce que nous avons dit, ici au Sénat, lors du vote en première lecture du projet de loi de programmation militaire (LPM). Nous nous sommes assuré que les crédits du PLF soient bien conformes à ceux de la LPM. On connait trop bien le schéma habituel des LPM qui dérivent dans la durée. Nous avons donc vérifié que le PLF 2014 correspondait bien aux crédits de la LPM. Et c'est le cas, au report de charges près.
Deuxième observation : bien que ne figurant pas au rang des priorités, la mission défense est néanmoins bien traitée puisque les crédits de paiement sont maintenus en euros courants. Or, il y a toujours deux façons de voir les choses et l'on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut considérer que ce maintien en valeur est synonyme d'une diminution à laquelle fera face le budget des armées. Et c'est vrai. Mais on peut aussi considérer -c'est notre vision des choses- que, dans le contexte actuel particulièrement difficile qui est celui de nos finances publiques, nous avons évité le pire.
Troisième observation : ce projet de loi marque l'apparition d'un nouveau programme : le programme 402 « excellence technologique des industries de défense ». Ce nouveau programme s'inscrit dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA) - ou PIA-2 - d'un montant de 12 milliards d'euros. Il doit permettre le développement des moyens, connaissances et compétences nécessaires à la satisfaction des besoins de la Défense dans le domaine nucléaire et de l'observation spatiale. Comme le P 146, il est co-piloté par le DGA et le CEMA et s'articule autour de deux actions : « maîtrise des technologies nucléaires » dont le CEA est l'opérateur ; « maîtrise des technologies spatiales » dont le CNES est l'opérateur.
Les crédits ouverts sur ce programme financeront certaines actions initialement programmées sur le P146 en matière de dissuasion et de programmes majeurs : MUSIS, sous-marins nucléaires, porte-avions Charles de Gaulle. C'est pour cette raison que nous joignons son analyse à celle du P146. Mais si nous comprenons bien les raisons de la création de ce programme -qui selon toute vraisemblance disparaîtra l'année prochaine- il altère considérablement la lisibilité de la mission défense en général et du programme 146 en particulier. Il a fallu aller dans le détail des feuilles de calcul pour y voir clair. Mais, pour une fois, cela a été utile puisque nous avons eu une bonne surprise dont je vais vous faire part immédiatement.
Quatrième observation : on a beaucoup discuté des risques qui pesaient sur l'exécution budgétaire de la LPM et notre commission a fait tout ce qui était en son pouvoir pour atténuer ces risques et s'assurer du contrôle de l'exécution, grâce à l'instauration d'un contrôle sur pièces et sur place. La question la plus importante était celle des ressources exceptionnelles. De ce point de vue, le budget 2014 nous réserve une bonne surprise. En effet, selon la présentation faite en LPM, les crédits budgétaires de la mission défense passaient de 30,1 milliards d'euros en 2013 à 29,6 milliards en 2014, ce qui aurait représenté une diminution de 1,6% et ce n'est que grâce à une augmentation des ressources exceptionnelles de 1,27 à 1,77 milliard d'euros que l'on aurait réussi à stabiliser le budget à 31,38 milliards et à atteindre ainsi le « zéro valeur ». Le risque était donc de 1,77 milliard d'euros. C'est du reste ainsi que le budget de la mission défense a été présenté, aussi bien à l'Assemblée nationale, qu'au Sénat à la commission des finances où les rapporteurs ont naturellement utilisé, compte tenu des délais, les réponses aux questionnaires budgétaires.
La réalité est un peu différente. Quand on additionne l'ensemble des programmes budgétaires et donc le nouveau programme 402, on arrive non pas à la somme de 29,6 milliards, mais à celle de 31,12 milliards, ce qui représente non pas une diminution, mais une hausse significative de 3,4% des crédits budgétaires de la mission défense. Du coup, les recettes exceptionnelles des comptes d'affectation spéciales ne sont plus que de 270 millions d'euros. Cela signifie que -et c'est très important- la mise en risque du budget pour 2014 est quasiment réduite à zéro. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il sera exécuté conformément aux prévisions -il peut y avoir d'autres facteurs de perturbation sur le chemin budgétaire- mais cela veut dire que l'aléa pesant sur la perception des ressources exceptionnelles est réduit à la portion congrue.
Cinquième observation : pour ce qui concerne le budget des équipements, nous avons tous pu lire dans les plaquettes de présentation du budget de la mission défense la « priorité » qui est « donnée aux équipements ». Et on constate ainsi que le montant des crédits consacrés aux équipements devrait passer de 16 milliards d'euros à 16,4 milliards d'euros. Il devrait même atteindre, si on en croit la trajectoire financière de la LPM 18,2 milliards en 2019.
Autant vous le dire tout de suite, je nourris quelque doute là-dessus. Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui m'agace d'abord c'est le fait que ce slogan de « priorité à l'équipement » est quasiment le même depuis maintenant six ans, c'est-à-dire depuis que je suis arrivé dans cette commission en 2008. Or, depuis six ans passés à sillonner le terrain, je n'ai pas le sentiment qu'on ait comblé toutes les lacunes. Certains matériels ont même près de soixante ans d'âge. Ce qui m'agace ensuite, c'est le recours à cet agrégat « équipement » dont on ne sait d'où il sort ni ce qu'il agrège, ni comment on le calcule -alors qu'il existe un programme « équipement des forces ». Tout cela est source de confusion et n'est pas de bonne méthode. Si on pouvait mettre de l'ordre là-dedans ce serait bien et je le souhaite ardemment.
Sixième observation : dans le même ordre d'idées, je crois qu'il est important que nous demandions au Gouvernement que, pour l'année prochaine, les crédits de la mission défense soient présentés, tous programmes confondus, en ne tenant pas compte des pensions. Les crédits de la mission défense sont de 31,38 milliards d'euros hors pension, et c'est ce chiffre-là qui fait sens pour mesurer l'effort de défense -et ils sont de 39 milliards avec les pensions. Le problème est que tous les chiffres concernant les programmes qui sont dans les bleus budgétaires prennent en compte les pensions. Par exemple le P 178 est de 22,2 milliards d'euros et le P 146 de 10,2 milliards. Mais en réalité, hors pensions, le P 178 ne pèse « plus » que 16 milliards et le P 146 : 9 milliards. Les rapports de notre commission sont les seuls où l'on peut trouver l'ensemble des chiffres hors pensions -programme par programme- « action par action » et « sous-action par sous-action », ce qui est la seule façon d'apprécier la réalité des évolutions de l'effort de défense. Mais cela demande des retraitements budgétaires non négligeables et qui prennent beaucoup de temps. Si le Sénat n'avait pas annoncé son intention de renoncer au bonheur de voter la seconde partie du PLF -je vous aurais bien proposé un amendement pour faire en sorte que les chiffres du PAP soient présentés « hors pension ».
Septième et dernière observation : cela fait plusieurs années qu'avec Jacques Gautier et Xavier Pintat, nous avons constaté dans l'observation du P 146 que les préoccupations de politique industrielle, telles qu'exprimées par le DGA, l'emportent quasi systématiquement sur l'expression du besoin opérationnel, telle qu'exprimée par le CEMA. Or il est indispensable qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la stratégie d'acquisition et la stratégie industrielle, toutes deux également légitimes, et que les outils d'arbitrage tels que le comité ministériel d'investissement fonctionnent de façon plus efficace et plus transparente. L'intitulé du nouveau programme 402 est de ce point de vue révélateur. Aussi louable soit-il, l'objectif d'assurer « l'excellence technologique des industries de défense » n'est pas, en soi, un objectif concourant à la « mission défense » à mettre sur le même plan que « l'équipement des forces ».
Si on veut que notre pays continue à faire de la « défense » et pas seulement de « l'industrie de la défense », c'est-à-dire qu'il soit capable d'entrer en premier -comme en Libye- de projeter ses forces vite et loin -comme au Mali- ou de donner du poids à la parole du Président de la République quand il menace un satrape syrien, il est temps de trouver un meilleur équilibre entre les préoccupations industrielles et le besoin opérationnel et donc de revoir notre démarche stratégique -ce que nous sommes ici nombreux à réclamer.
M. Xavier Pintat, co-rapporteur.- Je ferai cette année cinq observations sur ma partie.
Première observation : la force de dissuasion nucléaire, le Livre blanc, la LPM et maintenant le projet de loi de finances pour 2014, tous confirment la décision du Président de la République de maintenir les deux composantes et de les moderniser. Ce choix correspond à la très large majorité de notre commission -tel qu'il avait été fait en juillet 2012- à travers l'adoption, à l'unanimité moins une abstention, du rapport sur l'avenir des forces nucléaires. Je m'en réjouis. De fait, les crédits de paiement en faveur de l'action stratégique « dissuasion » s'établissent pour 2014 à 3 505 millions d'euros (+9,7%) et les autorisations d'engagement à 3 115 millions (-13,7%). Il faut interpréter ces fortes variations d'une année sur l'autre avec beaucoup de prudence, puisqu'il s'agit d'investissements relevant d'une programmation pluriannuelle sur un temps long. Nous avons pour la première fois cette année obtenu la programmation pluriannuelle -et sa trajectoire financière. Il nous a fallu quelques années avant d'apprendre à poser les bonnes questions. Malheureusement cette trajectoire est classifiée et nous ne pouvons en faire état.
Deuxième observation : malgré ce premier satisfecit, il ne faut pas se dissimuler ce qui nous attend. Notre effort de défense va descendre en dessous du seuil des 1,5% dès 2014 pour atteindre -si tout se passe bien, c'est-à-dire si l'exécution est conforme aux résultats -1,3% en 2019- très loin des 1,8% dont nous avons beaucoup parlé dans cette commission. Dans ces conditions, le maintien à niveau de notre dissuasion va exercer un effet d'éviction sur les autres programmes. Dans cinq ans, il faudra choisir. La question est d'une grande simplicité : à quelle capacité majeure militaire devrons-nous renoncer dans cinq ans ? Autant s'y préparer. Que supprimerons-nous, si nous voulons garder la dissuasion ? Faudra-t-il renoncer au porte-avions ? Revendre les Rafale ? Ou faire l'impasse sur quelques Barracuda ? Ou alors faire -vraiment- la défense européenne -c'est-à-dire consentir à des abandons de souveraineté ? Y sommes-nous prêts ?
Troisième observation : afin d'éviter d'être confrontés à ce choix, j'aurais souhaité que les crédits consacrés à la défense nationale reprennent, dès l'an prochain, une trajectoire financière normale, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte au moins de l'inflation. Et nous avions tous été unanimes l'an dernier -sous l'impulsion du président Carrère- pour dire que nous ne laisserions pas faire cela et qu'il serait hors de question d'accepter une baisse des crédits deux années de suite. Aujourd'hui, on peut se réjouir que ce ne soit pas pire. Nous avons oeuvré avec efficacité pour l'adoption du projet de LPM en première lecture au Sénat. Mais on peut regretter cette diminution des crédits. D'autant qu'une autre politique eût été possible, qu'une autre trajectoire financière aurait pu être dessinée, comme l'a montré Jacques Gautier, tout simplement en vendant une petite partie -20 milliards sur 100 de participations dans les sociétés cotées et non cotées. Nous sommes nombreux dans cette commission à nous poser la question de leur utilité pour l'exécution de la politique industrielle de l'Etat -comme l'a démontré l'affaire EADS.
Quatrième observation : l'espace militaire. Jusqu'à présent les crédits en faveur de l'espace militaire ont été maintenus à un niveau satisfaisant. Les programmes inscrits dans le PLF 2014 bénéficient de 209,4 millions d'euros de crédits de paiement, auxquels s'ajoutent 171,9 millions de crédits de paiement du P 402, soit un total de 381,3 millions d'euros. Ces crédits de paiement doivent permettre de mener à bien les programmes MUSIS et l'opération CERES qui doivent respectivement pérenniser et améliorer nos capacités d'observation par satellite, ainsi que de doter la France d'une capacité opérationnelle d'écoute spatiale. C'est une excellente chose et je m'en félicite. On peut regretter en revanche que rien ne soit prévu pour l'alerte spatiale. Nous savons tous ce que cela veut dire en matière d'indépendance et d'autonomie et de surveillance de la prolifération. Je n'en dis pas plus.
Cinquième observation : les drones tactiques. C'est un sujet que nous avons régulièrement évoqué avec vous. Cette fois nous y sommes. Le projet de LPM prévoit la livraison de 14 vecteurs à partir de 2017. Dans le cadre de Lancaster House, une évaluation du drone Watchkeeper de l'industriel israélien Elbit britannisé par Thales UK et qui doit entrer en service au Royaume-Uni, a été menée en France. Un accord a été signé entre la France et le Royaume-Uni en juillet 2012 afin de conduire une expérimentation. Cette expérimentation a eu lieu de novembre 2012 à juin 2013. Résultat : selon Laurent Collet-Billon, que nous avons auditionné il y a quelques semaines à peine devant cette commission : « le Watchkeeper n'a pas un degré de maturité satisfaisant ». Face à lui, le drone Patroller de SAGEM vole depuis plusieurs années à partir d'une cellule de planeur allemande. Il est équipé des capteurs français, possède une capacité d'emport supérieure et a un moteur plus puissant lui permettant de mieux résister aux vents de travers. Mais ce drone n'a pas bénéficié des mêmes soutiens de la part de l'Etat français que le Watchkeeeper de la part de l'Etat anglais. Il est peut être donc moins mature. Personne n'en sait rien car il n'y a pas eu d'expérimentation digne de ce nom. Dans ces conditions, Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même ne disons pas qu'il faut choisir tel drone ou tel autre. C'est à l'état-major de définir le besoin opérationnel et à l'état-major -sous l'autorité du ministre et, le cas échéant, avec les conseils de la DGA- de dire ce qui convient le mieux. Mais il revient aux parlementaires de donner ou de refuser l'autorisation budgétaire. Or nous pensons que dans l'intérêt financier de l'Etat -aussi bien que dans celui de nos armées- un appel d'offres s'impose. Faisons le tout de suite, c'est-à-dire en 2014 -afin que nous puissions être au rendez-vous de 2017 et que l'on ne vienne pas nous dire au dernier moment qu'on n'a plus le temps. Il n'y a aucune raison, alors que le fabricant du matériel n'est même pas européen, de lui acheter en gré à gré -c'est-à-dire avec l'assurance de payer plus cher- alors que nous avons un industriel national à la tête, c'est un comble, de la seule filière industrielle de drones qui fonctionne en Europe depuis plus de dix ans et qui crée des emplois. Avoir le même drone que les Britanniques ne doit pas être le seul critère de choix. Nos amis n'ont pas eu la même analyse que nous dans l'affaire de leurs porte-avions.
M. Jacques Gautier, co-rapporteur.- Il me revient donc de vous présenter la troisième et dernière partie du programme 146, celle qui concerne les systèmes de force conventionnels, c'est-à-dire « l'engagement et le combat », la « projection », la « protection » auxquels il faut ajouter un sixième système de force, celui qui est chargé d'équiper tous les autres : la « DGA ».
Mais avant de commencer, je tiens à vous dire que nous avons dû cette année travailler dans des conditions difficiles du fait de l'interpénétration entre l'exécution budgétaire 2013, avec le projet de loi de finances rectificatives et le décret d'avance, la LPM et le projet de loi de finances pour 2014. Nous avons beaucoup de mal à y voir clair. Nous avons maintenant une image plus précise de ce qui va se passer et cela provoque chez moi deux inquiétudes.
La première est celle de l'entrée en LPM. Il y aurait un report de charges de 3,6 milliards d'euros, dont 2 milliards sur le programme 146. Ce même programme enregistre 641 millions d'annulations de crédits. Nous avons essayé de savoir sur quoi portaient ces annulations et avons reçu une réponse uniquement ce matin qui ne nous éclaire guère.
La seconde inquiétude est que Bercy a décidé unilatéralement de passer -pour tous les ministères- le pourcentage du « surgel » de 6% à 7%. C'est-à-dire que si Bercy peut faire cela, il faudrait quand même que nous posions collectivement la question de l'utilité de l'autorisation budgétaire.
Pour le reste, si j'essaie de mettre de l'ordre dans mes idées, je vous présenterai cette année trois séries d'observations que je regrouperai ainsi : les points de vigilance, les points de satisfaction et l'avenir.
Commençons par les points de vigilance : le PLF 2014 s'inscrit dans le cadre de la LPM, laquelle découle elle-même du Livre blanc. Donc nulle surprise. Nous l'avons dit et redit, les choix effectués étaient les moins mauvais possibles dans le cadre budgétaire défini. Mais ce cadre budgétaire n'était pas le bon. Et il était possible de faire autrement. J'ai proposé au Sénat une solution indolore et efficace. Il n'en a pas voulu. N'en parlons plus.
Il n'empêche, dans l'architecture d'ensemble qui a été tracée par la LPM, et maintenant par ce projet de loi de finances, il y a des points sur lesquels nous devrons rester vigilants. Je ne reviens pas sur les considérations financières évoquées par Daniel Reiner. Je partage ces analyses et je n'ai rien à y rajouter, sinon que nous serons peut-être contraints de mettre en oeuvre nos nouveaux pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, plus rapidement que prévu.
Pour ce qui est des opérations d'armement concernant les équipements conventionnels, qui sont détaillées sans fioriture dans notre rapport écrit, j'ai trois inquiétudes.
La première concerne la réduction du format de l'aviation de chasse française et dans une moindre mesure celle des hélicoptères -qu'il s'agisse des hélicoptères de combat comme le Tigre-ou la Gazelle- ou des hélicoptères de manoeuvre comme le NH-90. Ces réductions de format sont sévères. Dire que ce format était déjà « juste insuffisant » ! Quel terme utiliseront nos successeurs pour décrire le format que nous laisserons en héritage ? Néanmoins ces réductions peuvent être faites sans trop compromettre la capacité d'agression de nos forces, si certaines conditions sont remplies. Concernant l'aviation de chasse, il faudra veiller à la bonne application du principe de différenciation de la préparation opérationnelle et des programmes d'équipement. C'est le cas en particulier du programme « Cognac 2016 », sans lequel la réduction du format ne sera pas supportable. S'agissant des hélicoptères, ce sont les commandes de pièces de rechange en quantité suffisante et le maintien en conditions opérationnelles. Il y a aussi des questions que l'on doit se poser : à défaut de Tigre, pourquoi ne pas se contenter de Gazelle -rénovées ? Car le but n'est pas, ne doit pas être de faire tourner les chaînes d'assemblage d'Eurocopter. Le but est de permettre à nos forces d'intervenir au Mali ? Des bruits nous reviennent, en ces temps de disette budgétaire, de comportements agressifs des grands groupes vis-à-vis des PME. Peut-être faudrait-il, Monsieur le président, que nous nous penchions sur cette question.
Ma seconde inquiétude concerne les munitions et les missiles, d'une part, et les avions ravitailleurs, d'autre part. La raison en est la même ; le maintien de la cohérence capacitaire. Cela ne sert à rien d'avoir des avions Rafale, si nous n'avons pas les munitions pour les équiper ou des avions ravitailleurs pour les ravitailler. Nous avons déjà eu l'occasion maintes fois d'en parler. J'ai déposé des amendements. Le Sénat ou l'Assemblée n'ont pas jugé bon de les retenir. Je n'insiste pas.
Enfin, troisième et dernière inquiétude, le soutien de l'avion A400M. Réussir le programme était bien. Réussir le soutien sera mieux. Comme vous le savez, en aéronautique, ce qui coûte cher c'est le soutien. Pour un euro dépensé dans l'acquisition, il faut dépenser deux euros dans la maintenance. Or, de ce point de vue, les informations qui nous parviennent ne sont pas bonnes. Nous n'arrivons pas à mettre en place un soutien commun avec les Britanniques. Et il nous faut très vite comprendre pourquoi. La DGA est pointée du doigt. Nous devons nous faire notre propre opinion.
J'aborde maintenant ma deuxième série d'observations : les sujets de satisfaction. Parmi les choses qui vont bien, je me réjouis de l'acquisition de drones MALE Reaper sur étagère, ce qui va enfin combler un besoin opérationnel évident et mettre un terme à des années d'atermoiements. C'est un sujet que nous avons tellement rebattu ici que je n'y reviens pas.
Je me félicite également de la décision prise, au sommet de l'Etat du lancement du missile antinavire léger. C'est un programme qui se trouvait sur le chemin critique de la défense européenne. Le Président de la République a pris la bonne décision. Bravo ! De la même façon je me réjouis du lancement du missile moyenne portée (MMP) qui, là encore, met un terme à des années d'indécision. C'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup veillé Daniel Reiner et moi-même, et sur lequel nous continuerons à veiller.
Enfin, je me réjouis du lancement du programme SCORPION pour l'armée de terre. Ce programme est important. Il va faire gagner de l'argent à l'Etat. Il va donner à l'armée de terre la capacité de remplir ses contrats opérationnels. Il va introduire de la cohérence et de l'efficacité. Il faut impérativement qu'il ne soit pas retardé et que l'armée de terre puisse en bénéficier.
Enfin je veux terminer en disant que c'est vrai, ne nous leurrons pas : notre effort de défense diminue et va nous obliger à faire des choix douloureux dans les cinq années qui viennent. Dans cinq ans, nous serons peut-être obligés, comme l'évoquait Xavier Pintat, de renoncer à des capacités essentielles. Ni Daniel Reiner ni moi n'envisageons une seule seconde de vendre le Charles de Gaulle, de renoncer à la dissuasion ou de repousser encore des programmes ou de réduire encore des cibles. La prochaine fois, l'exécutif devra faire des choix.
Or si nous sommes incapables de nous donner les moyens de nos ambitions, si nous sommes incapables de faire des choix douloureux et renoncer à des capacités pour concentrer nos moyens sur ce que nous voulons garder, il y a quand même un moyen de s'en sortir : c'est le pari de l'Union. « Faire l'Union ou mourir » disait déjà Benjamin Franklin en 1787. Cela a plutôt bien réussi aux Etats-Unis. Évidemment il y a un prix élevé pour cela : des pertes de souveraineté. Y sommes-nous prêts ? Je n'en suis pas sûr. Nos partenaires y sont-ils prêts ? Je n'en suis pas sûr non plus. C'est ce que nous avons exposé dans notre rapport sur la défense européenne en juillet dernier. Et bien donnons-nous les moyens de le faire -en tous les cas de leur poser la question et de nous poser la question. Il faut impérativement renouer le fil du dialogue avec nos amis allemands. Il faut également le faire avec nos amis italiens. Il ne sert à rien de s'arrêter au bord du chemin et de gémir. L'avenir se construit aujourd'hui. Ici. Maintenant. Tâchons d'y jouer notre rôle. Nous sommes des sénateurs libres et devons faire des choix dans l'intérêt de la nation.
M. Jean-Louis Carrère, président.- Je n'ai pas de désaccord avec cela. Mais quand je vois des sourires lourds de sous-entendus chaque fois que l'on évoque l'Europe comme solution, je suis triste. L'Europe ne changera pas si l'envie d'Europe reste ce qu'elle est. Et si l'Europe n'est plus une solution, alors il nous faudra nous retourner vers des solutions purement nationales. C'est pourquoi j'insiste sur le fait qu'il ne faut pas exclure que nous devions porter notre effort de défense à 1,8% et empêcher en tous les cas qu'il descende en dessous de 1,5%. Pour l'instant cela paraît difficile, tant la conjoncture est mauvaise. Mais la conjoncture peut changer. Quelle que soit la majorité politique en 2014 au Sénat, mon attitude sur ce point ne changera pas. Il nous faut faire bloc et profiter de la seconde lecture de la LPM au Sénat pour l'affirmer.
Mme Michelle Demessine. - J'ai un désaccord de fond avec ce que les rapporteurs viennent de dire et cela concerne la cession de participations de l'Etat dans des entreprises de défense. C'est un fusil à un coup, dans des secteurs stratégiques, et ça nous fragiliserait. Je suis totalement contre la vente des entreprises de l'Etat pour maintenir le budget de la défense.
M. Daniel Reiner, co-rapporteur.- C'est vrai que les cessions alimenteront les ressources exceptionnelles dans l'exécution de la LPM ; mais ce n'est pas vrai en 2014. Les ressources exceptionnelles viennent du PIA, donc de l'emprunt.
M. Jean-Louis Carrère, président.- En définitive, quelle est la recommandation des rapporteurs sur la mission défense ?
M. Daniel Reiner, co-rapporteur.- Je recommande l'adoption de la mission défense.
M. Jacques Gautier, et M. Xavier Pintat, co-rapporteurs. - A titre personnel, nous nous abstiendrons.
La commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 212, les groupes CRC et UMP s'abstenant.
Loi de finances pour 2014 - Mission « Défense » programme « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Gilbert Roger et André Dulait sur le programme 178 - Préparation et emploi des forces - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.
M. André Dulait, rapporteur pour avis. - En tant que rapporteur du titre 2, c'est moi qui ouvre traditionnellement le feu pour l'examen des crédits du programme 178. Avec 22 milliards d'euros, en baisse de 1%, c'est le plus gros programme de la mission Défense, regroupant 90% des dépenses de personnel et tous les crédits de fonctionnement et d'entraînement des trois armées.
Ce programme concentre toutes les problématiques de « la manoeuvre des ressources humaines ». C'est sur lui que s'exercent les tensions sur les coûts fonctionnement ; c'est à lui, enfin, qu'il revient de dégager des marges financières, par la maîtrise de la masse salariale et la diminution des coûts du soutien, deux « leviers » -je dirais presque deux « Graals »- sur lesquels parie la prochaine LPM -dans la lignée, d'ailleurs, de la précédente-.
Comme nous « fermons la -longue!- marche », des rapporteurs de la mission « Défense » cet après-midi, je me limiterai à 5 brefs constats.
1er constat, le pari de la maîtrise de la masse salariale n'est toujours pas gagné, malgré des déflations d'effectifs considérables.
Paradoxe incroyable : le ministère de la défense, qui aura perdu 54 000 emplois en 7 ans, qui est salué par tous, Cour des comptes et Direction du Budget inclus, comme le champion de la réforme de l'État, n'arrive pas à diminuer son 1er poste de coût, la masse salariale, restée stable depuis 2009, autour de 11,7 milliards d'euros...
La précédente LPM prévoyait que la moitié des économies résultant des réductions d'emploi permettrait d'améliorer la condition militaire, et que l'autre moitié viendrait nourrir les dépenses d'équipement. Finalement, la masse salariale a tout absorbé, avec, en plus, un « retour catégoriel » limité à 40%.
Année après année, il a même fallu voter des rallonges, sous forme d'augmentation en construction budgétaire (« resoclage »), ou de redéploiement par collectifs budgétaires : 213 millions d'euros en 2010, 158 millions en 2011, 474 millions en 2012, 232 millions -nous l'avons appris ces derniers jours- dans le prochain collectif 2013. Ces crédits sont en général pris sur les crédits d'équipement. L'inverse du but recherché !
Au-delà des modes de calculs et des montants, qui diffèrent suivant les « manifestants » ou la « police » (comprenez : la défense ou la Cour des comptes), les causes du dérapage sont bien diagnostiquées, mais pas encore endiguées : mesures indiciaires (c'était un rattrapage, qui était voulu) ; demandes nouvelles en personnel qualifié (renseignement, OTAN) ; réforme des retraites ; coût des mesures d'accompagnement de la déflation (pécules etc...), coût du chômage et des dépenses de « guichet » comme l'amiante, et le fameux « repyramidage » c'est-à-dire l'augmentation des taux d'encadrement, de 15,5 à 16,5%, responsable d'un surcoût de 20 à 40 millions d'euros par an.
En 2014, des mesures sont prises : direction des ressources humaines renforcée, crédits du titre 2 rassemblés dans un seul programme, « dépyramidage » avec une suppression plus que proportionnelle des postes d'officiers, 5 800 sur la durée de la prochaine programmation. On ne nomme plus que 20 Généraux par an aujourd'hui, contre le double en 2006. Certains parlent de « double dépyramidage » car des civils seront affectés sur des postes de soutien, où les militaires effectuaient souvent une deuxième partie de carrière. C'est, d'ailleurs, un point sensible : attention à ne pas opposer les militaires aux civils...
Deuxième constat : le risque de tarir les recrutements va continuer à peser sur la prochaine déflation d'effectifs.
En 2014, le ministère de la défense devra supprimer 7 881 emplois, reste de la précédente LPM, ce qui en fera l'une des années les plus « dures ». L'équilibre entre la régulation par les flux, les mobilités vers les autres fonctions publiques et les départs vers le privé ne sont pas ceux que nous aurions souhaités : l'équilibre « idéal » 60-20-20 n'est pas respecté et on sait bien que fermer le robinet des recrutements pour tenir les objectifs de la déflation risque de vieillir la population -et d'en renchérir le coût-. Compte tenu du contexte économique, ce risque va persister pour la prochaine déflation (de 23 500 postes), malgré des mesures d'incitation au départ maintenues et confortées.
Troisième constat : Louvois n'a pas fini d'affecter la lisibilité financière de la réforme, non plus que le quotidien des soldats.
La décision d'abandonner LOUVOIS, désastre de grande ampleur, devrait être annoncée mardi prochain. Le montant des « trop versés » est estimé entre 70 et 133 millions d'euros en 2012, et entre 65 et 70 millions d'euros en 2013. Les mécanismes d'avances mis en place pour les personnels qui ne recevaient pas leur solde perturbent eux aussi le système. Un plan d'action en 12 points a été mis en place, un recouvrement des trop perçus a été lancé en août, des renforts ont été apportés dans les centres de paie : 63 à Nancy, 39 à Toulon, plus des vacataires et des prestataires externes. Attendons les annonces du ministre mardi prochain mais il faudra entre 18 mois et 3 ans pour configurer un nouveau progiciel de paie....
Avec 174 indemnités, pour 3,2 milliards d'euros, le tiers de la rémunération des militaires, le système des primes a sa part de responsabilité dans le désastre. Sa remise à plat est devant nous ; elle sera difficile sans dépenser un euro de plus : il est rare d'arriver à simplifier un système en l'alignant par le bas...
Quatrième constat : Des signaux convergents font craindre une détérioration du moral des militaires. Sans sombrer dans le catastrophisme -ce n'est pas ma nature !- il est de notre responsabilité de le dire. A la fatigue de la réforme, à la dégradation du cadre de vie quotidien en base de défense, au contingentement de l'entraînement, s'ajoutent Louvois, qui détruit la confiance. Le Haut conseil de la condition militaire pointe qu'avec les restructurations, en 2012, 45 000 personnes ont été mutées, soit le quart des officiers par exemple ; une mutation hors métropole sur trois se fait avec un préavis de moins de 3 mois ! Du fait des difficultés d'accès du conjoint à l'emploi, les ménages avec un militaire ont un revenu inférieur de 18% aux fonctionnaires civils de l'État ; le célibat géographique touche désormais 17% des officiers et 14% des sous-officiers.... Les déflations à venir seront douloureuses... Heureusement, nous savons pouvoir compter sur le dévouement et l'engagement de nos personnels de la défense.
Cinquième et dernier constat, le surcoût OPEX se confirme comme une enveloppe trop « justement » calculée. En 2013, les OPEX coûteront le double de l'enveloppe prévue, soit 1,26 milliard contre 630 millions budgétés, principalement à cause de SERVAL. Le dépassement sera bien financé en interministériel. Il n'y aura pas « d'entorse au contrat » : 580 millions d'euros d'ouvertures de crédits complémentaires sont prévus en collectif. Je crois que dans la situation actuelle, on ne peut que le souligner, pour s'en féliciter -même s'il y a, par ailleurs des annulations pour tous les ministères, et à hauteur de 486 M€ pour la défense-. Pour 2014, la provision OPEX est de 450 millions, pour un surcoût constaté moyen de 500 millions ces 10 dernières années et de 900 millions depuis 2009. Je rappelle que nous renforçons d'un millier d'hommes notre dispositif en RCA et que nous avons toujours 3 000 hommes au Mali. Je ne reviens pas sur cette question, sauf pour dire que nous avons bien fait de sécuriser dans la LPM la prise en charge interministérielle du dépassement.
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis. - J'irai à l'essentiel pour ce qui concerne les crédits de fonctionnement et d'entraînement, avec 4 remarques.
1ère remarque : l'effort budgétaire pour redresser la disponibilité des matériels ne se fera pas sentir en 2014. Le ministre a fait, à juste titre, du redressement de la disponibilité des matériels sa priorité. Elle est globalement dégradée avec des points noirs bien identifiés comme les V.A.B., le transport stratégique et tactique de l'armée de l'air ou la patrouille maritime, où moins d'un avion sur deux est en état de voler.
Malgré un effort budgétaire, +4,3% pour les crédits, 3,4 milliards d'euros, on ne pourra pas redresser pas la situation en 2014. Pourquoi ?
- d'abord il faut du temps pour reconstituer les stocks de pièces de rechange dans lesquels on a puisé ces dernières années,
- ensuite, on se heurte à la fameuse « courbe en baignoire » : les parcs trop vieux ou au contraire tout récents qui sont les nôtres coûtent plus cher à entretenir,
- enfin, les besoins de régénération sont accrus après une période d'engagements multiples.
2ème remarque, l'entraînement restera en dessous des normes OTAN en 2014 (et sans doute en 2015). La préparation opérationnelle est depuis plusieurs années 15 à 20% en dessous des normes ; elle le restera en 2014 et sans doute en 2015. Nous serons à 83 jours d'entraînement contre un objectif de 90 pour l'armée de terre, à 156 heures de vol contre 180 pour les pilotes de l'ALAT, à 86 jours de mer contre 100 pour les bâtiments de la marine nationale, à 150 heures de vol contre 180 pour l'aéronavale et la chasse de l'armée de l'air. Le général Mercier nous a ainsi indiqué que le maintien d'un tel niveau dans le temps dégraderait forcément le niveau opérationnel. « Le maintien de certaines compétences est dès à présent fragilisé » (je cite).
L'effet « aguerrissement en OPEX » n'a joué qu'un temps, au prix d'un fossé entre les unités projetées et les autres. Face au rationnement de l'entrainement, la différenciation de la préparation sera désormais la règle. Les modalités sont à définir : l'armée de terre l'appliquait déjà, mais pour les pilotes de l'armée de l'air, par exemple, il pourrait y avoir deux cercles, un premier cercle entraîné pour tout type d'opérations, et un deuxième cercle de pilotes, qui, après un passage en premier cercle, n'auraient plus que 40 h de vol par an sur avion de chasse, pour maintenir leurs compétences a minima, quitte à être « réentraînés » à la demande en cas d'opérations.
3ème remarque : Le pari des économies sur le soutien est très ambitieux. De 2014 à 2019, les coûts de fonctionnement doivent être contenus à 3,5 milliards d'euros par an. En 2014, il faut 100 millions d'euros d'économies de plus dans le soutien. Or, nous le savons bien, les dépenses sont rigides ou en hausse. Toutes les économies « faciles » ont déjà été faites.
Le ministre et les chefs d'état-major se sont livrés devant nous à un concours d'euphémismes : économies « très volontaristes », « défi majeur et immédiat »..., bref, vous l'aurez compris : c'est une vraie inconnue, presque un pari. La méthode employée ? Renégocier les contrats d'énergie, rogner sur tout, y compris les repas, supprimer encore des véhicules, des emplois, laisser tomber l'entretien du propriétaire, et mettre en place une « énième » réforme des soutiens spécialisés, basée cette fois sur une organisation verticale, de « bout en bout ». Quand on sait que supprimer une unité ne « rapporte » que 2 millions d'euros d'économies de fonctionnement, on comprend mieux le défi.
4ème remarque : nos constats précédents restent valables pour les bases de défense, malgré la mise en oeuvre de la plupart de nos recommandations. Depuis 2 ans, l'environnement des bases de défense a été simplifié et consolidé, dans le droit fil des recommandations de notre rapport de 2012. Mais des difficultés demeurent, notamment budgétaires, au sein d'une enveloppe contrainte à 720 millions d'euros en 2014.
Prenons l'exemple de la base de Mont-de-Marsan que nous avons pu visiter récemment grâce à notre président Jean-Louis Carrère :
- malgré des demandes de crédits en baisse du fait d'économies très volontaristes, à 7 millions d'euros, la base n'a obtenu que 5,4 millions d'euros en 2013 ;
- la part des dépenses incompressibles (elle-même en baisse : bel effort !) était 4,8 millions d'euros (soit 88% des crédits !) ;
- il y avait un report de charge de 900 000 euros non payés en 2012 ;
- conclusion : comme dans les 60 bases de défense, les dépenses réalisées à compter du 1er novembre 2013 seront payées sur les crédits 2014... Je rappelle que le personnel de cette base, qui héberge le prestigieux Normandie-Niémen, fleuron de notre aviation de chasse, effectue désormais lui-même le nettoyage des locaux ; certains hangars n'ont pas eu de travaux depuis la 2ème guerre mondiale. Je salue l'engagement, la loyauté et l'abnégation des personnels.
Le ministre est très conscient de cette situation : il a récemment mis en oeuvre un plan d'urgence pour les bases et débloqué 30 millions d'euros qui vont permettre de réaliser 1 200 projets pour améliorer concrètement la vie des personnels. Ce plan est très bienvenu, ne serait-ce que sur le plan des symboles, pour les personnels du soutien. Nous avons besoin d'eux pour porter la réforme et réussir la LPM.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178 dans le projet de loi de finances pour 2014, qui sont une déclinaison fidèle du projet de loi de programmation militaire.
La commission donne ensuite un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » au sein du projet de loi de finances pour 2014, les groupes CRC et UMP s'abstenant.
Désignation de rapporteurs
La commission nomme rapporteur :
· M. André Vallini sur le contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde (article 53 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) ;
· M. René Beaumont sur le projet de loi n° 697 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti ;
· M. Alain Néri sur le projet de loi n° 700 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal ;
· M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 703 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d'Ivoire.
Mercredi 27 novembre 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de finances pour 2014 - Mission « Action culturelle extérieure » programme « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de Mme Leila Aïchi et M. Alain Gournac sur le programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde - de la mission Action extérieure de l'État du projet de loi de finances pour 2014.
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Le programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde » est le coeur du budget du ministère des affaires étrangères, puisqu'on y trouve nos contributions aux organisations internationales et les moyens du réseau diplomatique et du Quai d'Orsay. À 1,852 milliard d'euros en 2014, ils diminuent de 1%.
Point positif, les contributions internationales baissent de 42 millions d'euros, sous l'effet conjugué de la baisse de la quote-part française, renégociée, et d'une politique résolue de « croissance zéro » des budgets des 72 organisations internationales à qui nous verserons 803 millions d'euros en 2104, soit les deux tiers des crédits du programme, et ce, malgré de nouvelles opérations de maintien de la paix, toujours plus complexes, « robustes » et multidimensionnelles, puisque 100 000 casques bleus participent dans le monde à 15 opérations de maintien de la paix de l'ONU, à l'image de la MINUSMA, déployée depuis le 1er juillet dernier au Mali, qui coûtera en année pleine autour de 900 millions de dollars, soit, pour la France en 2014, 42 millions d'euros. Membre permanent du Conseil de sécurité, nous sommes le 3ème contributeur financier pour les opérations de maintien de la paix.
Point négatif, la masse salariale augmente de 1,8%, et ce malgré les réductions d'effectifs (- 196 postes en 2014, -600 postes sur le triennum). Nous avons interrogé le directeur général de l'administration sur cette évolution, qui n'est pas sans nous rappeler celle du ministère de la défense -à plus petite échelle-. La Cour des comptes a d'ailleurs « épinglé » la hausse de 20% du coût du réseau diplomatique depuis 2007. Les causes sont multiples, mais il est vrai que « l'effet change-prix » est spécifique au ministère des affaires étrangères, nombre de salaires étant payés en monnaie locale ; les postes subissent l'augmentation du coût de la vie dans les pays émergents. Deuxième point négatif : 22 millions d'euros de produits de cessions immobilières sont prélevés sur le Quai d'Orsay pour le désendettement de l'État.
En matière de politique immobilière, le Quai d'Orsay a lancé un programme de rationalisation de son parc, à Paris comme à l'étranger, où il bénéficie, à titre dérogatoire jusqu'à fin 2014, de 100% du produit des cessions. Ce mécanisme est assez pervers : outre que la « vente des bijoux de famille » -25 millions d'euros par an en moyenne- n'est pas soutenable indéfiniment, elle s'accompagne d'une telle insuffisance des crédits d'entretien que les produits des cessions sont peu à peu cannibalisés pour ... l'entretien lourd... l'entretien courant... et désormais même pour financer le plan de remise à niveau de la sécurité. Pour imparfait qu'il soit, ce système avait le mérite de procurer des ressources : je ne vous cache pas qu'il sera très difficile d'en obtenir la reconduction au-delà de 2014. Cette bataille est devant nous.
Les regroupements de sites se poursuivent, en particulier dans les capitales à implantations multiples où les résidences sont vendues, et les espaces de réception mutualisés : Bruxelles, Washington, Vienne, Montréal, Londres... Pour l'immobilier parisien, l'immeuble de la rue Huysmans est vendu par appartements, l'appartement ministériel rue Constantine a été cédé. Une solution est trouvée pour lancer les travaux de l'aile des Archives, dans l'objectif de réduire à terme de 4 à 3 sites (contre 11 il y a quelques années) le nombre d'implantations du ministère des affaires étrangères à Paris.
À l'issue d'une réflexion très volontariste et courageuse, menée par l'ambassadeur René ROUDAUT, que nous avons auditionné, treize ambassades vont voir leur format très allégé (Jamaïque, Cap Vert, Zambie etc...). En partant du concept britannique et canadien du « laptop ambassador » -ambassadeur solo pourrait-on traduire-, on a défini un tout petit format : « ambassadeur plus 4 », avec immobilier très réduit, gestion très simplifiée, dans lesquelles ne seront plus exercées que deux ou trois missions, suivant les cas.
« Ça décoiffe » par rapport à notre conception traditionnelle du prestige et du « standing » d'une ambassade de France ! Mais ce qu'il faut voir c'est que c'est une alternative aux fermetures : avec ce système, on divise par trois le nombre d'emplois dans les postes concernés. Évidemment, il faudra beaucoup de ténacité, pour garder un format léger et pour inventer des outils de gestion innovants : communications performantes, régies simplifiées etc.... Je pense que cette expérience pourra aller au-delà des 13 : la RGPP avait identifié une trentaine de petits postes, mais avait eu le tort de réduire « arithmétiquement » leurs moyens, sans alléger leurs missions. Cette démarche pragmatique et différenciée, qui part de l'analyse des missions exercées, est pour l'instant bien acceptée par les syndicats que nous avons rencontrés : ils se rendent bien compte que c'est un moyen de ne pas « baisser pavillon ».
Le budget 2014 affiche aussi une priorité pour la sécurisation du réseau diplomatique ; je rappelle l'attentat contre notre ambassade à Tripoli en avril dernier, qui va être entièrement relocalisée, logement des agents inclus, dans un campus sécurisé. Les risques montent partout et, qu'alors qu'il y avait 6 ambassadeurs protégés il y a quelques années, ils sont aujourd'hui une vingtaine. Cela pose un problème financier, mais aussi culturel : notre diplomatie traditionnellement « ouverte », se retranche progressivement. Nous n'avons pas le choix : c'est la sécurité des agents qui est en jeu. Les crédits de sécurité augmentent, à 42 millions d'euros au total, financés en partie par les cessions immobilières (la vente de l'appartement de notre représentant permanent à l'ONU ou la villa de notre ambassadeur auprès de l'OTAN, par exemple, sont programmées).
Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Le basculement du réseau diplomatique français, le 3ème au monde, d'un héritage, implanté en Europe occidentale et en Afrique, vers un réseau d'avenir, présent en Asie et dans les grands émergents, est une priorité affichée, mais quels sont les résultats ? On peut se féliciter que 300 postes soient redéployés en 3 ans vers les pays prioritaires (Chine, Inde, Afrique du Sud, Indonésie, par exemple), que les « grosses » ambassades (États-Unis, Royaume-Uni...), perdent 5 à 10% de leurs effectifs. La Chine, l'Inde, le Brésil, sont entrés dans le TOP 10 des plus gros postes diplomatiques français. Mais on peut aussi, à l'inverse, comme la Cour des Comptes, faire observer que ce redéploiement est lent, et constater que nous avons toujours davantage d'agents aujourd'hui au Maroc qu'en Chine, au Sénégal qu'en Inde, à Madagascar qu'au Brésil... Ne nous laissons pas non plus enfermer dans une vision trop étroite de l'émergence : je propose d'instituer une représentation permanente auprès de l'Union Africaine. Je pense que l'idée fera son chemin : l'Afrique de 2 milliards d'habitants demain, sa classe moyenne qui monte, ses ressources naturelles et ses taux de croissance ne nous attendront pas. Je pense que notre ambassade à Addis-Abeba ne peut pas tout faire. Ce serait un signal fort de notre confiance dans l'avenir de ce continent.
J'ai auditionné le directeur en charge de la diplomatie économique : c'est une priorité forte. Il y a des outils, comme les « conseils économiques » rassemblant tous les acteurs -y compris les entreprises- et la mise en place de plans d'action de 8 pages, dont 6 pages de propositions, en matière économique, dans près de 100 ambassades. La volonté de mettre les ambassadeurs « sous tension » sur le plan économique est bien réelle, même si nous pouvons mesurer, quand nous nous déplaçons, qu'ils sont inégalement mobilisés. J'ai suggéré de créer des « task forces » ponctuelles pour les grands contrats. Nous avons tous en tête des occasions manquées pour nos entreprises : il faut créer des « équipe France » plus visibles et plus pugnaces. Je pense que sinon, nous n'aurons pas de résultats.
Je terminerai sur les crédits de coopération de défense, qui baissent encore cette année, de 4%, soit une baisse de 15% en 3 ans, avec 300 coopérants dans le monde. Cette attrition des moyens conduit à un recentrage sur quelques missions les plus essentielles et sur quelques zones géographiques. Cette coopération « structurelle », est pourtant un vrai outil d'influence et de prévention des conflits. En aidant les pays partenaires à structurer, dans le long terme, leurs élites de sécurité, elle contribue au maintien de la paix et au renforcement de leurs capacités à assumer des missions non seulement sécuritaires mais aussi de protection civile, comme la lutte contre les catastrophes naturelles, le déminage, les inondations, la dépollution... Le but est de mettre les pays partenaires en situation de traiter des enjeux tels que le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants, l'insécurité des flux maritimes.... La baisse de ces crédits ne me parait pas cohérente avec les objectifs affichés de notre politique étrangère, notamment le soutien à l'architecture africaine de sécurité que veut constituer l'Union africaine.
L'impact d'un directeur des études français dans une école régionale est considérable rapporté aux crédits budgétaires nécessaires pour le financer. Quand on sait que le nouveau chef d'état-major de l'armée malienne, partenaire essentiel pour stabiliser le pays et nous permettre de nous désengager, est l'ancien directeur de l'école de maintien de la paix de Bamako, on mesure tout de suite l'importance d'y être présent et actif. J'ajoute que ces écoles sont aptes à recueillir des financements européens, japonais et canadiens au titre de la coopération : on a un fort effet de levier démultiplicateur d'influence, avec un très bon niveau de formation. Nous insistons sur ces points dans notre rapport. En conclusion, comme plaiderait un avocat devant un magistrat, « si par impossible le budget venait à être voté », je vous proposerais d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État », qui préservent l'essentiel des missions du ministère des affaires étrangères.
Mme Josette Durrieu. - Les structures existaient, bien sûr, mais cette priorité à la diplomatie économique me paraît nouvelle. Les chefs d'entreprise le disent au sujet de l'Iran : la notion de « task force » est importante : pourriez-vous la préciser ? Même si cela ne sera pas facile, nos entreprises doivent être présentes en Iran ; au contraire de ce qui s'est passé en Libye.
M. Jean-Claude Requier. - Nous avions visité l'ambassade à Tripoli avant l'attentat ; va-t-elle être prochainement relocalisée ?
M. Jean Besson. - Compte tenu de la situation des finances publiques, on peut se demander s'il faut maintenir toutes nos représentations dans de petits pays, je pense en particulier à l'Amérique centrale, voire à l'Asie centrale.... Il faudrait que nous ayons le courage de ne pas être partout...
Mme Kalliopi Ango Ela. - La France est déjà passée du 2ème au 3ème rang pour son réseau diplomatique et consulaire... Nous devons veiller à ce que les redéploiements ne privilégient pas nos intérêts économiques -en Asie- au détriment de nos intérêts stratégiques -en Afrique-. Vous avez cité Madagascar : la situation y est très difficile, notre influence culturelle, importante, y diminue ; les problèmes consulaires et d'état civil ne doivent pas non plus être sous-estimés. Sur l'immobilier, j'attire votre attention sur la maison de France à Berlin, qui me parait un symbole politique fort. Attention à ne pas faire passer les intérêts économiques avant les gestes politiques.
M. Pierre Bernard-Reymond. - L'idée de mutualiser nos implantations diplomatiques et consulaires avec nos partenaires européens a-t-elle prospéré ?
M. Christian Cambon. - Quand on voit qu'on demande à l'AFD de réaliser 85% de ses interventions en Afrique, je me demande s'il est raisonnable de vouloir être partout ? J'ai parfois le sentiment, notamment pour les OPEX, que moins la France a de moyens plus elle agit... Dans nos sphères d'influence nous avons de moins en moins de moyens, et même dans les grandes ambassades les réceptions du 14 juillet sont sponsorisées par des entreprises privées. Est-ce digne de la France de se « marchandiser » à ce point ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Sur la mise en commun de nos moyens diplomatiques avec les pays de l'Union européenne, c'est comme pour l'Europe de la défense : il faut cesser de parler, et agir. Il en va de notre survie. Mais j'avais moi-même pu constater lors d'une mission à ce sujet que les difficultés suscitées par la co-localisation étaient nombreuses -et d'ailleurs les diplomates n'y tenaient pas vraiment-.
Vous dites que la France, dont les moyens se réduisent, se lance davantage dans des OPEX : mais toutes les formations politiques ont soutenu ces engagements ! Qui à part la France peut empêcher que certaines zones en Afrique ne deviennent le champ clos des terroristes, des trafics, des violences inter-ethniques et interreligieuses ? La situation en RCA nous interpelle.
M. Christian Cambon. - Nos positions ne sont pas antinomiques : je ne souhaite pas que la France se désengage, mais je considère qu'elle ne devrait pas agir seule. J'ai été stupéfait de la réaction de nos partenaires allemands lorsque nous les avions rencontrés ensemble au sujet du Mali. Il faut mieux de France et plus d'Europe, y compris pour les OPEX, mais pas seulement. Avant l'intervention, il y avait à Bamako 20 actions indépendantes de coopération des pays européens, sans autre coordination qu'informelle. Cette situation n'est pas satisfaisante. Nous pourrions de la même façon coopérer davantage avec les Britanniques et conduire ensemble des actions d'aide au développement.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je souscris à votre analyse mais je crains que les échéances électorales à venir ne fassent pas progresser l'idée européenne dans notre pays.
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Notre ambassade en Libye va être relocalisée, y compris en ce qui concerne les logements des agents, qui doivent être sécurisés. Vous trouverez la liste des projets de mutualisation et de co-localisation, franco-allemande, franco-britannique, franco-finlandaise ou franco-européenne dans le rapport écrit : il y a au total plus de 10 projets, en Corée, au Sierra Leone, à Katmandou... les choses se font petit à petit.
Pour les réceptions du 14 juillet, c'est simple : sans financement extérieur, pas de réception, car il n'y a plus de crédits ! Plus globalement, je ne suis pas choqué que nos ambassadeurs doivent s'orienter vers des problématiques économiques : c'est aussi leur rôle de soutenir nos entreprises.
Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Il faut faire avec les moyens dont on dispose. Faisons confiance à nos ambassadeurs pour mobiliser des financements innovants. Je voulais souligner aussi que les contributions de la France aux opérations de maintien de la paix sont en baisse dans le budget 2014.
M. Jean-Louis Carrère, président. - J'approuve la mutualisation des espaces de réception dans les capitales : nous avons pu observer en certains lieux une multiplicité de résidences...
Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Je voulais vous citer les chiffres de nos 10 premières implantations diplomatiques pour illustrer la nécessité de redéployer : États-Unis, 412 personnes, Maroc, 334, Chine, 301, Algérie, 284, Sénégal, 231, Allemagne, 217, Inde 217, Russie, 208, Brésil, 196, Madagascar, 181....
L'idée des « task forces » est de partir des besoins exprimés localement plutôt que de continuer dans la logique, moins performante, où l'on se projette depuis Paris. J'ai constaté des marchés perdus (en Algérie face aux Coréens par exemple, actifs pendant plusieurs jours au sein d'une forte délégation ministérielle) par insuffisance de mobilisation de tous les acteurs concernés -il nous manquait, en l'espèce, la brique « formation universitaire », pourtant indispensable. D'autres savent, comme les Chinois par exemple, présenter une offre complète et lisible, allant de l'aide au développement jusqu'à l'investissement et à la formation. Nous souffrons d'une multiplicité d'intervenants et d'une absence de lisibilité des dispositifs.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je reviens sur le manque de crédits pour les réceptions dans les ambassades : elles ne sont pas seules concernées ; j'avais constaté en Afghanistan dans nos forces qu'il en allait de même pour le petit équipement des soldats -cela a été corrigé par la suite. La présence des ministres et leur mobilisation peut certes être décisive pour emporter des contrats : j'ai pu constater aux Émirats Arabes Unis combien le lien personnel de confiance entre notre ministre de la défense et le prince héritier avait en effet joué favorablement. Prenons garde toutefois à l'opinion publique française, qui ne porte pas toujours un regard positif sur les déplacements des ministres à l'étranger...
M. Robert del Picchia. - Le 14 juillet est aussi une occasion d'adresser des messages aux représentants officiels du pays hôte, qui sont présents ; c'est aussi de la diplomatie d'influence. Comment nos ambassadeurs peuvent-ils faire sans crédits ? Ils doivent bien innover !
Loi de finances pour 2014 - Mission « Action culturelle extérieure » programme « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jean Besson et René Beaumont sur le programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission Action extérieure de l'Etat du projet de loi de finances pour 2014.
M. Jean Besson, co-rapporteur pour avis.- Vous le savez, le programme 185 regroupe l'ensemble des moyens destinés à la diplomatie culturelle et d'influence. Il porte également sur les crédits destinés au service d'enseignement français à l'étranger. Il représente 24,5 % des crédits de la mission « action extérieure de l'État ».
D'un montant de 725 millions d'euros, le programme 185 connaît une diminution de 3,1 % par rapport à 2013. Sa composante principale en termes budgétaires, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui représente 57,5 % des crédits, est moins affectée. Sa dotation ne diminue que de 2%. L'effort est donc produit par les autres composantes du programme.
Les capacités d'autofinancement et de mobilisation des financements complémentaires sont donc une nouvelle fois sollicitées. La présentation stratégique du projet annuel de performance pour 2014 précise : « la mise en oeuvre de cette stratégie d'influence privilégiera en 2014 les moyens d'intervention capables de mobiliser des financements additionnels». Cette politique présente toutefois des limites. Il importe de faire preuve de prudence et ne pas en surestimer les résultats attendus du dynamisme d'un gisement d'ores et déjà exploité.
Ce tableau peut paraitre sombre, mais il doit être éclairé par la transformation et la professionnalisation que nous observons dans la gestion tant des opérateurs que les établissements du réseau. Les instruments de pilotage que sont les contrats d'objectifs et de moyens sont déployés : nous venons de rendre un avis sur celui de Campus France, le deuxième contrat de l'Institut français va nous être soumis prochainement, comme celui de l'AEFE, la convention avec la Fondation des Alliances françaises va être renouvelée. Des cadres stratégiques rénovés se mettent en place, qui adaptent les politiques publiques dans le sens de la recherche de l'efficacité de la dépense publique. Cette période apprend donc à nos opérateurs et à nos établissements à faire souvent mieux avec moins, mais naturellement la baisse progressive des moyens budgétaires va atteindre là aussi des limites, au-delà desquelles il faudra revoir nos ambitions.
Comme vous le savez, notre diplomatie culturelle et d'influence repose, à l'étranger, sur l'action de deux réseaux de nature et de culture différentes : celui des instituts français, établissements à autonomie financière, placés sous l'autorité des ambassadeurs d'une part, le réseau associatif des alliances françaises d'autre part. L'Institut Français, en tant qu'opérateur, apporte son concours aux deux réseaux.
S'agissant du réseau des instituts français, sa restructuration est achevée. Il ne devrait pas connaître de bouleversement d'ensemble puisque le rattachement à l'Institut français, établissement public, qui a fait l'objet d'une expérimentation dans 12 pays, ne semble plus d'actualité. Le troisième rapport d'évaluation est net dans ses conclusions : « l'expérimentation ne revêt pas un caractère concluant. Elle confirme l'existence de risques majeurs pour la stabilité de notre réseau (...) en cas de rattachement. Le rattachement impliquerait un surcoût budgétaire estimé à 52 millions d'euros sur la période 2014-2016(...), enfin, il poserait la question de l'articulation de notre politique dans ce domaine avec les autres champs de notre action diplomatique ».
Nous apportons quelques nuances à cette argumentation dans notre rapport écrit, mais la décision revient en matière d'organisation des services à l'exécutif. Nous regrettons que l'expérimentation et son évaluation n'aient pas été menées en recherchant des solutions correctives des défauts qu'elle pouvait révéler. En fait, nous percevons bien que les enjeux administratifs et budgétaires ont pris le pas sur le débat mis en exergue par le rapport Rohan-Legendre et la commission du Livre blanc qui, en s'appuyant sur les exemples anglais et allemand, envisageaient une approche, de long terme, fondée sur le constat que l'influence est fonction de la pérennité des structures, de la continuité de leur action et des compétences de leurs personnels. À titre personnel, je le regrette.
Enfin dans le cadre des objectifs fixés pour le budget triennal 2013-2015, le ministère poursuivra l'adaptation de son réseau. Vous le savez, une réorganisation des réseaux diplomatiques et consulaires est en cours. Au cas par cas, une articulation est recherchée notamment pour rationaliser les emprises, ce qui ne va pas parfois sans difficulté, comme à Berlin avec le déménagement envisagé de la Maison de France.
Les dotations en fonctionnement des EAF, qui figurent dans l'action 01 « animation du réseau », s'élèvent 35,51 millions d'euros. À périmètre constant, ces crédits baissent de 4 %, comme en 2013.
Les crédits pour opération destinés à la mise en oeuvre des différentes actions progressent de façon sensible : 17,23 millions d'euros pour 2014 (12,77 millions d'euros en 2013 en loi de finances initiale). Mais cette augmentation n'est qu'apparente car elle résulte du redéploiement de 5 millions d'euros des « autres moyens bilatéraux d'influence ».
Il est donc attendu du réseau qu'il compense cette perte de ressources publiques par de l'autofinancement ou des projets cofinancés. Ainsi en 2013, les ressources propres des EAF au niveau mondial devraient s'établir à près de 122 millions d'euros en prévisionnel, soit une augmentation de 2,46%. Toutefois leur rythme de croissance tend à baisser, ce qui laisse présager des perspectives d'évolution moins favorables. S'y ajoutent également plus de 180 millions d'euros de cofinancements sur des projets particuliers.
Le taux d'autofinancement a atteint en moyenne 64 % en 2013. Par nature de recettes, les cours, les examens et les Centre pour les études en France (CEF) représentent 70% des ressources propres des établissements.
S'agissant des alliances françaises qui, je vous le rappelle, sont des associations locales, les plus importantes, au nombre de 445 en 2012, sont conventionnées et reçoivent des subventions et/ou d'autres formes de soutien comme la mise à disposition de personnels. En application des restrictions budgétaires, une baisse de 15% sur trois ans a été décidée sur le budget triennal 2013-2015. En 2014, la contribution de l'État à la Fondation et à ses délégations générales d'une part et aux alliances locales d'autres part, d'un montant global de 7 millions d'euros, baisse de 4 %. Mais le soutien principal procède de mises à disposition de personnels qui représentent en 2013 301 emplois dont 75 sur le programme 185. La masse salariale s'élève à 31 millions d'euros. Le réseau des Alliances Françaises a été, jusqu'à cette année, préservé de l'effort en matière de restitutions d'emplois contrairement au réseau culturel. Sur la période 2013-2016, elles devraient comme le réseau culturel, réduire ces emplois mis à disposition de 10%.
L'Institut Français constitué sous forme d'établissement public industriel et commercial est l'opérateur de la politique d'action culturelle. Le contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'État en février 2012 est en cours d'exécution. Un deuxième contrat est en préparation.
La dotation à l'Institut Français (43,38 millions d'euros en 2013) est réduite de 2,5 millions d'euros en 2014 pour s'établir à 40,85 millions d'euros soit une baisse de 5,8% succédant à une baisse de 10 % en 2013. Cette situation est préoccupante compte tenu de la structure des ressources de l'opérateur, les dotations budgétaires représentant les trois quarts de ses produits.
Le bilan de l'action de l'Institut français dans ce contexte ne peut qu'être contrasté. Il a réussi à imposer une marque et renforcer ainsi la visibilité de l'action culturelle extérieure de la France. Il a su en établissant des conventions de partenariat avec une trentaine d'institutions françaises et européennes se placer en situation de fédérateurs d'initiatives. Il a constitué un véritable appui au réseau en contribuant à sa professionnalisation, notamment en mettant en place des programmes de formation des agents. Il a, dès sa création, intégré la dimension numérique dans ses missions par la diffusion culturelle à l'international à travers Internet en développant des outils performants. Cet appui ainsi fourni au réseau est en tout point remarquable.
Cependant, les restrictions budgétaires ont été préjudiciables à sa capacité de développer des projets ambitieux. La difficulté qu'il a eue à lever des cofinancements auprès de partenaires, en dehors des grands évènements, ne lui a pas permis de compenser la diminution des financements publics.
M. René Beaumont, co-rapporteur pour avis. - Je développerai trois points : la politique d'attractivité, l'enseignement français à l'étranger et enfin les moyens affectés à la diplomatie économique.
289 274 étudiants étrangers sont inscrits dans les établissements de l'enseignement supérieur en France. Ils représentent aujourd'hui 12,1 % des étudiants inscrits soit une augmentation de plus de 30 % en dix ans. 75% d'entre eux sont inscrits dans une université.
Le Maroc (32 000) et la Chine (30 000) sont les deux premiers pays d'origine des étudiants internationaux en France. L'Afrique du Nord et subsaharienne reste en 2012-2013 la 1ère région d'origine avec près de la moitié des étudiants (44,8%).
En 2010, l'OCDE estimait à 3,6 millions le nombre d'étudiants poursuivant leurs études supérieures dans un pays autre que celui de leur résidence habituelle. Ils pourraient être 8 millions en 2020. Le marché de la formation universitaire à l'étranger est donc en plein développement et il est devenu très concurrentiel.
Aujourd'hui 8 pays concentrent près de 70 % des étudiants en mobilité internationale. La France (7%) est le 4ème pays d'accueil d'étudiants étrangers derrière les Etats-Unis (19%), le Royaume-Uni (11%), et l'Australie (8%) et au coude-à-coude avec l'Allemagne, mais de nombreux pays ont élaboré plus récemment des stratégies d'internationalisation de leur enseignement supérieur et ambitionnent de devenir des pays d'accueil d'étudiants et d'institutions étrangères d'excellence pour constituer des «hub» éducatifs mondiaux ou régionaux.
L'accueil des étudiants étrangers constitue un enjeu pour l'internationalisation des établissements d'enseignement supérieur, mais aussi un outil majeur de notre diplomatie d'influence et de notre politique de coopération.
Cette politique qui comprend de nombreux volets à commencer par l'évolution de l'enseignement supérieur français lui-même, repose, s'agissant du programme 185, sur la promotion des études en France à travers le réseau culturel et notamment le déploiement des Espaces Campus France et des CEF, mais aussi sur l'allocation de bourses.
En 2012, le nombre total de bourses du Gouvernement français s'élève à 14 491. Ce nombre est en baisse sensible depuis une dizaine d'années (22 437 en 2002). Les crédits affectés n'ont cessé de diminuer 105 millions d'euros en 2005, 69,7 millions d'euros en 2012. La France peine donc à maintenir sa politique en la matière.
Le nouveau dispositif devra permettre une importante simplification des procédures de traitement des dossiers par l'opérateur et une plus grande visibilité pour les postes diplomatiques prescripteurs. Il est en cours de déploiement.
Campus France est l'opérateur de cette politique. Son contrat d'objectifs et de moyens a été approuvé hier par son conseil d'administration. Nous avons eu l'occasion de formuler un avis favorable sous réserve de quelques ajustements sur la proposition de Mme Ango Ela, rapporteure.
Pour mener à bien son action, l'établissement s'appuie sur le réseau des Espaces Campus France, intégrés au réseau diplomatique et culturel. Il existe 199 Espaces dans 112 pays. En outre, la création de CEF « Centres pour les études en France » intégrés aux Espaces dans 30 pays a permis la dématérialisation des procédures d'inscription.
L'attribution des bourses reste de la compétence du réseau ou de l'administration centrale. La mission de Campus France consiste à prendre en charge l'étudiant et à lui verser la bourse qui lui a été allouée. En contrepartie, l'établissement reçoit une rémunération pour frais de gestion.
Outre, la gestion des bourses du Gouvernement français ou de l'AEFE, une part de de son activité consiste à gérer les bourses dites « des Gouvernements étrangers » qui sont en réalité mises en place par des institutions de nature diverse. Le contrat d'objectifs et de moyens fixe une cible pour 2013 de 4500 boursiers avec 3,4 millions d'euros de produits associés pour atteindre en 2015 une cible de 5000 boursiers et de 3,75 millions d'euros de produits associés.
La subvention de fonctionnement de Campus France (5,94 millions d'euros) n'échappe pas en 2014 à une réduction de 3,8 %. Le plafond d'emplois de l'opérateur sera abaissé à 235 ETP sous plafond et à 25 ETP hors plafond.
Nous regrettons la diminution des crédits destinés aux bourses du Gouvernement français (- 3,5%, 68 millions d'euros) et en parallèle des crédits d'échanges d'expertises et d'échanges scientifiques (- 3,1% 15, 58 millions d'euros), car ce sont des éléments importants de notre politique d'attractivité. Nous comptons sur le dynamisme de Campus France pour développer la gestion des bourses des gouvernements étrangers et autres organismes. Nous nous réjouissons également du développement des guichets uniques en région et de la mise en place d'un système d'identification et d'animation du réseau des anciens boursiers et chercheurs. Cette politique de réseau, outil d'influence, est à décliner sur tous les registres de notre action (enseignement français à l'étranger, élèves des instituts français et des alliances françaises...).
L'enseignement français à l'étranger est également un instrument majeur de la présence et de l'influence de la France et de la promotion de la langue française.
Le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) compte 481 établissements dans 131 pays : 75 établissements en gestion directe, 156 établissements conventionnés et 250 établissements partenaires homologués.
Les 231 établissements, conventionnés et en gestion directe, constituent le réseau proprement dit de l'AEFE. Ils perçoivent des subventions versées par l'Agence qui assure également la rémunération des personnels titulaires détachés grâce à la subvention allouée par l'État.
Le réseau scolaire français à l'étranger scolarise dans sa totalité 316 788 élèves (10 000 de plus que l'année dernière). Ce nombre est en forte augmentation en raison de la croissance des communautés françaises expatriées. La part des élèves étrangers est de 62,2%.
Pour satisfaire une demande de scolarisation l'AEFE est confrontée à plusieurs défis.
La problématique immobilière est une contrainte forte. Le montant des investissements décidés en 2012/2013 est de l'ordre de 50 millions d'euros. Leur financement est assuré par prélèvement sur le fonds de réserve de l'établissement concerné (20 millions d'euros) ; par une aide de l'AEFE prélevée sur ses fonds propres (15 millions d'euros) ; par recours à des avances de France Trésor sur autorisation annuelle (15 millions d'euros). Des assouplissements ont été admis en termes de durée de remboursement de ces avances, comme nous l'avions souhaité dans notre précédent rapport.
Dans les pays où la situation politique devient instable, l'Agence doit renforcer les conditions de sécurité de ses établissements. Une subvention exceptionnelle de 4 millions d'euros allouée en 2012 par le MAE a permis d'intervenir dans 26 établissements en gestion directe au Maghreb, en Mauritanie et au Niger. Des subventions ont été en outre accordées à des établissements conventionnés.
Une seconde contrainte concerne le recrutement de personnels enseignants titulaires détachés de l'éducation nationale. Or ce ministère soumis à ses propres contraintes de recrutement de professeur titulaire est moins en mesure de satisfaire la demande. La reprise du dialogue entre l'Education nationale et les Affaires étrangères, dans le cadre de la concertation engagée en 2013 permettra, nous l'espérons, de progresser.
En 2013, l'AEFE rémunère 10 914 ETP en poste dans son réseau : 6 353 emplois sous plafond et 4 561 emplois hors plafond (financés sur ressources propres). Pour 2014, elle est autorisée à recruter 100 ETP hors plafond.
L'Agence est financée par l'allocation d'une dotation budgétaire annuelle de fonctionnement et par des ressources propres. Le montant de la dotation pour 2014 s'établit à 416,5 millions d'euros soit une baisse de 2% par rapport à 2013. La stabilisation du taux de cotisation au CAS Pensions - c'est ce qui avait justifié le versement d'une dotation supplémentaire de 5,5 millions d'euros en 2013 - et des économies de fonctionnement ont été jugées possibles. Nous ne pouvons qu'être satisfaits de voir l'opérateur et les établissements échapper aux contraintes qui pèsent sur les autres opérateurs de l'action extérieure de l'État, nous nous inquiétons néanmoins de l'accroissement des charges, ce qui conduit les établissements à rechercher par l'augmentation des scolarités demandées aux familles les moyens de leur développement. L'articulation avec le système des bourses est dès lors une question sensible.
Cette situation oblige naturellement à se reposer la question de nos outils. De nouvelles orientations stratégiques ont été exposées par Mme Conway-Mouret, ministre déléguée en conseil des ministres le 28 août dernier à la suite d'une large concertation. Ce plan d'action fixe cinq objectifs : un pilotage politique renforcé, la préservation des deux objectifs « scolarisation des français / accueil des élèves étrangers », un développement maîtrisé du réseau, la garantie de la qualité de l'enseignement et une diversification de l'offre (développement des sections bilingues francophones et promotion du Label FrancEducation.) L'AEFE a ouvert ce champ de coopération avec les établissements étrangers qui ont développé des sections bilingues dès 2012 Ce label a été attribué à 32 établissements et pourrait en concerner 50 à l'horizon 2015.
C'est sur la base de ces travaux qu'un nouveau contrat d'objectifs et de moyens devrait être signé avec l'État.
Enfin, je voudrais dire quelques mots du développement de la diplomatie économique promue au premier rang des axes stratégiques dans la présentation du projet annuel de performances pour 2014, mais qui ne fait pas l'objet d'une action au titre de ce programme. En fait, elle n'est pas dotée de moyens budgétaires importants puisqu'il s'agit d'abord d'une mobilisation des ambassadeurs et des postes diplomatique. Il s'agit ensuite d'apporter un appui par la mise en place au sein de l'administration centrale du MAE, d'une direction des entreprises et de l'économie internationale qui compte 75 agents. Cette direction permet d'assurer une forme d'interface avec les opérateurs (Ubifrance, AFII) qui sont dans la mouvance du ministère des finances.
Enfin, pour promouvoir la coopération dans le domaine de l'innovation, le MAE positionnera plusieurs experts techniques internationaux dans des clusters internationaux d'innovation. Il recrutera 10 «volontaires internationaux en administration » dans des pays où l'agence Ubifrance n'est pas présente pour aider les entreprises, notamment PME et ETI, à investir ces marchés. Enfin, le dispositif des ambassadeurs pour les régions sera déployé en lien avec les collectivités territoriales concernées.
Nous ne pouvons que nous réjouir de cet investissement. Nous souhaiterions toutefois qu'en fonction de sa montée en puissance cette action puisse être isolée au sein du projet et du rapport annuel de performances afin de pouvoir en mesurer à la fois le coût et les résultats.
Nous estimons également que ce développement rend nécessaire une réflexion sur le recrutement, la carrière, la mobilité et la formation des diplomates.
En conclusion, le ministère des affaires étrangères a dû réaliser des arbitrages, en fonction des priorités qu'il a définies dans un contexte marqué par la réduction de la dépense publique. Comme nous l'avons indiqué en introduction, c'est aussi l'occasion d'une rationalisation, d'une transformation de nos outils et d'une recherche d'une plus grande efficacité à moindre coût. Ce chantier est engagé.
C'est une tâche difficile car elle implique une évolution culturelle, nous en convenons, mais nécessaire au nom de l'efficience et de la transparence.
Mme Josette Durrieu. - L'enseignement du français est essentiel, c'est notre principal véhicule d'influence, y compris sur le plan économique, notamment au Maghreb et en Afrique. Sur les 290 000 étudiants étrangers en France, 80 000 viennent du Maghreb. Mais nous devons être vigilants, car il y a une tendance à l'apprentissage de l'anglais chez les élites et aussi sur la qualité de l'enseignement du français. Enfin, je pense et c'est une proposition de notre rapport sur les pays de la rive sud de la Méditerranée, que nous devons développer l'apprentissage de l'arabe en France à titre de réciprocité.
En Afrique, le potentiel de francophones est théoriquement important. Ils seraient à l'horizon 2050, 500 millions sur 2 milliards d'Africains, mais encore faut-il que les moyens d'enseigner notre langue soient présents.
M. Robert del Picchia. - Le Maroc est le pays dans lequel le réseau d'enseignement français est le plus développé. Mais on ne peut faire reposer le développement de la langue française que sur ces seuls établissements, il y a aussi une question de la qualité de l'enseignement du français dans les systèmes nationaux d'éducation.
Le réseau de l'AEFE est l'un des plus importants au monde. Il scolarise 62% d'élèves étrangers et sa double vocation est essentielle. Une difficulté est que l'on demande à l'Agence de prendre en charge un volume croissant d'activités, et notamment la formation des enseignants avec un budget qui n'augmente pas en conséquence. Il revient donc aux parents d'élèves de financer ces nouvelles charges, ce qui est contesté, d'autant que cela contribue à l'augmentation des frais de scolarité.
M. Gilbert Roger. - L'apprentissage des langues étrangères et les partenariats sont importants. Dans le projet de mise en place d'un lycée international dans l'Est parisien à Noisy-le-Grand, l'apprentissage de l'arabe est prévu, celui du chinois également.
M. Christian Cambon. - Au Maroc, l'apprentissage de la langue française est un élément de ségrégation. Les élites et les classes moyennes apprennent le français, les plus pauvres et les moins insérés ne le parlent pratiquement pas.
M. René Beaumont, co-rapporteur pour avis. - L'AEFE est confrontée à une augmentation très forte du nombre d'élèves. Je regrette comme vous l'affaiblissement du français dans certains pays, où il n'est pratiquement plus enseigné comme le Vietnam.
M. Alain Néri. - Je me réjouis de voir un nombre croissant d'élèves inscrits dans les établissements français à l'étranger, ce qui démontre la qualité du modèle français d'enseignement, mais nous devons faire en sorte que cet enseignement de qualité reconnu ne soit pas réservé à une élite et aux plus fortunés, car le coût de scolarité est parfois inabordable pour des expatriés fonctionnaires ou salariés de PME.
Il est important de développer l'enseignement de l'arabe en France. Il faut le faire dans les structures scolaires de la République et ne pas laisser le champ libre, dans ce domaine, à des officines dont on ne peut s'assurer de la qualité d'enseignement, ni des intentions véritables.
M. Rachel Mazuir. - Le lycée international de Ferney-Voltaire a mis en place des structures d'apprentissage des langues étrangères dans les écoles et collèges des communes voisines. On constate d'expérience que c'est l'anglais qui rencontre la préférence quasi unanime des parents et qu'il est difficile de proposer d'autres langues.
M. Jean Besson, co-rapporteur pour avis, pour ce qui concerne le programme 185, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la Mission « action extérieure de l'Etat ». M. René Beaumont, co-rapporteur pour avis, a indiqué qu'il proposait un vote d'abstention, en regrettant très fortement l'abandon des perspectives de rattachement du réseau culturel à l'Institut français, qui n'avait pas la préférence des diplomates, mais aurait constitué sur le long terme un atout précieux pour le développement de notre action culturelle à l'international.
Au cours de sa réunion du 27 novembre 2013, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « action extérieure de l'Etat », les sénateurs des groupes UMP et CRC s'abstenant.
Loi de finances pour 2014 - Mission « Sécurité » programme « Gendarmerie nationale» - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Michel Boutant et Gérard Larcher sur le programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission Sécurité du projet de loi de finances pour 2014.
M. Michel Boutant, co-rapporteur pour avis. - Comme vous le savez, la sécurité est, avec la justice et l'éducation, l'une des priorités du Gouvernement. Le projet de budget de la gendarmerie pour 2014 est la traduction de cette priorité.
Le ministre de l'intérieur, M. Manuel Valls, et le directeur général de la gendarmerie nationale, le Général Denis Favier, sont venus devant la commission nous présenter en détail ce budget.
Avec notre collègue M. Gérard Larcher, nous avons également procédé à l'audition du major général de la gendarmerie, le Général Richard Lizurey, et du directeur chargé des Finances, le Général Pierre Renault.
Je vous présenterai les grandes lignes du budget de la gendarmerie pour 2014, en insistant tout particulièrement sur l'augmentation des effectifs, puis je laisserai la parole à mon collègue Gérard Larcher, qui évoquera nos principales préoccupations, qui portent notamment sur l'immobilier et le fonctionnement.
L'enveloppe globale des crédits de la gendarmerie nationale augmente légèrement en 2014, avec une hausse de 1% des crédits. Cette augmentation peut certes paraître mesurée, mais je rappelle que globalement le budget de l'Etat diminue en 2014. Cela reflète donc le caractère prioritaire de la sécurité.
Les dépenses de personnel s'élèvent à 6,8 milliards d'euros pour 2014, en augmentation de 0,6 % par rapport à 2013. Elles représentent environ 85 % des crédits de la gendarmerie.
Cette hausse s'explique par la création de 162 postes supplémentaires au sein de la gendarmerie, sur laquelle je reviendrai dans mon exposé.
Une enveloppe de près de 20 millions d'euros est également prévue pour la poursuite des mesures de revalorisation des traitements des personnels, notamment pour les sous-officiers et les personnels civils.
En revanche, il est prévu une diminution de l'indemnité spécifique de sujétion « police » (ISSP) pour les élèves policiers et les élèves gendarmes, ce qui a provoqué des protestations de la part des syndicats de policiers.
Les dépenses de fonctionnement courant s'élèvent à 949 millions d'euros pour 2014, soit un montant quasiment identique à celui de 2013.
Compte tenu de l'augmentation continue des loyers (452 millions d'euros en 2014, soit 60 % des crédits de fonctionnement), la gendarmerie nationale est contrainte de faire des économies sur les autres postes de dépense, en freinant par exemple la mobilité des personnels, en renonçant à des actions de formation ou en raccourcissant la durée de certains stages.
Cette situation, aggravée par les mesures de « gel » et de « surgel » des crédits, provoque de fortes tensions sur le fonctionnement, notamment concernant l'entretien du matériel et le carburant.
Comme vous le savez, dans certaines unités, des consignes ont été données en fin d'année aux gendarmes pour réduire les dépenses de carburant en faisant moins de patrouilles en véhicules.
Enfin, après plusieurs années de forte baisse de l'investissement, le projet de loi de finances pour 2014 prévoit une légère augmentation des investissements de la gendarmerie.
Le budget d'investissement de la gendarmerie a été divisé par deux entre 2007 et 2012. En 2013, les crédits d'investissements étaient de l'ordre de 250 millions d'euros de crédits de paiement.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, il est prévu 265 millions d'euros de crédits de paiement.
Ces crédits devraient notamment permettre de commander 10 000 ordinateurs (pour un montant de 8 millions d'euros) et de commander 2 000 nouveaux véhicules ou motocyclettes, après une année 2013 qui, jusqu'à présent, a été une « année blanche », sans aucune commande d'ordinateurs ou de véhicules.
En revanche, aucun investissement n'est prévu pour le renouvellement des équipements lourds dont dispose la gendarmerie (hélicoptères, véhicules blindés, etc.).
En définitive, le principal motif de satisfaction de ce budget porte sur le coup d'arrêt, en 2013, de la diminution des effectifs de la gendarmerie et la poursuite, en 2014, de l'augmentation des postes au sein de la gendarmerie.
Je rappelle qu'entre 2007 et 2012, près de 6 250 postes de gendarmes ont été supprimés, en application de la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit 6,2 % de l'effectif total. Cela représente l'équivalent de la suppression de 60 gendarmes dans chaque département.
Au total, le plafond d'emploi, qui était de 101 000 en 2008, est passé à 95 900 en 2012.
Cette baisse a été accentuée par le fait que la gendarmerie ne disposait pas des crédits suffisants pour atteindre son plafond d'emploi, ce qui explique qu'aujourd'hui elle connaît un sous-effectif équivalent à 1 000 gendarmes.
En application de la révision générale des politiques publiques, la gendarmerie devait à nouveau connaître une diminution de 1 034 emplois en 2013. Or, non seulement le Gouvernement a renoncé à ces suppressions d'emplois mais il a fait le choix de créer 193 postes supplémentaires de gendarme en 2013 et 162 postes en 2014.
Ces effectifs supplémentaires devraient concerner, pour les deux tiers, des sous-officiers et, pour un tiers, des gendarmes adjoints volontaires. Ils devraient permettre de renforcer la présence des gendarmes sur le terrain, notamment dans les zones de sécurité prioritaires.
L'arrêt de la RGPP représente pour la gendarmerie un véritable « ballon d'oxygène ». La chute des effectifs ne pouvait se poursuivre sans peser excessivement sur les personnels, voire le modèle même de l'institution et le « maillage » du territoire assuré par les brigades territoriales.
Je voudrais également dire un mot de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, qui compte aujourd'hui un vivier d'environ 27 000 réservistes, servant en moyenne 27 jours par an.
Ces réservistes, qui sont souvent des jeunes, apportent un renfort indispensable aux unités, notamment pour faire face aux « pics d'activité », par exemple lors de la période estivale ou lors de grands événements, à l'image du Tour de France et participent au lien Armée-Nation.
Alors que la dotation de la réserve opérationnelle était de 40 millions d'euros en 2013, elle sera réduite à 35 millions d'euros en 2014, compte tenu des contraintes financières.
La gendarmerie sera donc contrainte de réduire le nombre de ses réservistes opérationnels ou la durée de leur contrat, ce que je regrette, compte tenu du rôle important joué par la réserve opérationnelle pour renforcer la capacité opérationnelle de la gendarmerie et sa présence sur le terrain.
Je laisse maintenant la parole au président Gérard Larcher, qui va vous faire part de ses préoccupations concernant l'immobilier et le fonctionnement, préoccupations que je partage.
M. Gérard Larcher, co-rapporteur pour avis. - Après la présentation générale du projet de budget de la gendarmerie nationale de 2014 par notre collègue M. Michel Boutant, je souhaiterais vous faire part de mes préoccupations sur le budget de la gendarmerie, qui portent sur quatre principaux sujets :
- la diminution de la dotation pour la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale et la forte baisse des crédits consacrés à la formation, qui ont des conséquences sur la capacité opérationnelles des unités ;
- le « gel » et le « surgel » des crédits, qui entraînent de fortes tensions sur le fonctionnement des unités ;
- le faible niveau des investissements, qui impose une nouvelle fois de différer le renouvellement des véhicules blindés et des hélicoptères ;
- l'absence de plan à long terme pour l'immobilier de la gendarmerie nationale, malgré la dégradation de l'état des logements.
Ma première préoccupation porte sur la diminution de la dotation de la réserve opérationnelle, qui passerait de 40 à 35 millions d'euros entre 2013 et 2014, ce qui entraînera une réduction du nombre de réservistes opérationnels de la gendarmerie, et sur la forte baisse des crédits consacrés à la formation, de l'ordre de 40 % ces dernières années, qui est préoccupante à mes yeux car elle est de nature à fragiliser l'avenir de l'institution.
Il est également urgent d'arriver à un accord entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice concernant les transfèrements judiciaires, dont la charge pèse lourdement sur les personnels de la police et de la gendarmerie, et qui devrait être transférée à l'administration pénitentiaire, ce qui permettra de renforcer la capacité opérationnelle de la gendarmerie et sa présence sur le terrain.
Ma deuxième préoccupation porte sur le « gel » et le « surgel » des crédits et leur impact sur les crédits de fonctionnement de la gendarmerie.
Comme vous le savez, dès le début de l'année, les crédits votés par le Parlement sont amputés de manière automatique de 6 % pour chacun des ministères. Ces crédits sont « gelés ». Il s'agit d'une réserve de précaution pour faire face à de moindres recettes fiscales ou des dépenses imprévues.
En fin d'année, le gouvernement décide de lever ou non, en partie ou en totalité, ministère par ministère, les crédits faisant l'objet de ce « gel ».
Les autres crédits sont purement et simplement annulés, alors qu'ils avaient pourtant été autorisés par le Parlement !
Ce « gel » a été amplifié en 2013 en cours d'année par un « surgel » supplémentaire.
Comme nous l'avait indiqué le directeur général de la gendarmerie, le Général Denis Favier, lors de son audition, la gendarmerie était concernée fin 2013 par ce « gel » et ce « surgel » à hauteur de 34 millions d'euros pour les dépenses de personnel et de 90 millions d'euros hors dépenses de personnel.
Cela signifie que, même si le budget 2013 avait été calculé au plus juste, en réalité, la gendarmerie avait bénéficié d'une enveloppe d'un montant très inférieur, de l'ordre de 124 millions d'euros en moins.
Compte tenu du fait que les loyers représentent près de 60 % des crédits de fonctionnement, ce « gel » des crédits reposait essentiellement sur les crédits d'investissement et le fonctionnement courant.
C'est cela qui explique qu'en 2013, aucune nouvelle commande d'ordinateurs, aucune nouvelle commande de véhicules n'aient été passées. Cela explique aussi les fortes contraintes pesant sur le fonctionnement des unités, avec notamment la réduction des patrouilles pour limiter les dépenses de carburant. Les factures impayées, notamment les loyers aux collectivités locales, auraient induit un report de charges de 21 millions d'euros sur 2014, que le budget pour 2014 n'était pas en mesure d'absorber.
Le « cri d'alarme » du directeur général de la gendarmerie nationale devant notre commission, largement relayé dans les médias, a toutefois été entendu. En effet, quelques jours après l'audition du Général Denis Favier, le ministre de l'intérieur a annoncé avoir obtenu de Bercy une levée partielle de la réserve avec le « dégel » de 111 millions d'euros pour la police et la gendarmerie nationale et de 10 millions d'euros pour l'immobilier de la gendarmerie.
La gendarmerie devrait donc récupérer d'ici la fin de l'année une partie des crédits - mais une partie seulement - précédemment gelés, ce qui lui permettra notamment de régler les factures impayées.
Le problème reste cependant entier car la même situation risque de se reproduire en 2014 avec un « gel » et un « surgel » des crédits qui devrait passer l'année prochaine à 7 % et s'appliquer dès le début de l'année.
Outre le fait que ce mode de fonctionnement ne me paraît pas conforme au principe de sincérité budgétaire, il n'est pas gage de bonne gestion, puisque le « dégel » est très aléatoire et qu'il intervient souvent trop tard pour être utilisé convenablement.
Une deuxième source de préoccupation tient à mes yeux au faible niveau des crédits d'investissement de la gendarmerie nationale, qui ne permet pas de lancer de grands programmes d'équipements, comme le renouvellement des hélicoptères ou des véhicules blindés à roue de la gendarmerie mobile, ni même des véhicules.
Ainsi, en raison du faible niveau des investissements, la gendarmerie nationale sera contrainte une nouvelle fois de différer le renouvellement de ses hélicoptères. Or, le remplacement des 29 appareils de type Écureuil, qui datent des années 1970, par de nouveaux modèles s'impose au regard de la nouvelle réglementation européenne qui interdit le survol des habitations par des appareils monoturbines.
Compte tenu de l'absence de crédits d'investissement pour les prochaines années, on s'oriente vers une réduction du parc des hélicoptères par une mutualisation avec celui de la sécurité civile. Or, les hélicoptères de la gendarmerie jouent un rôle très important, notamment outre-mer, mais aussi pour le maintien de l'ordre public.
De même, le renouvellement des véhicules blindés à roue de la gendarmerie mobile a dû être une nouvelle fois différé faute de financement suffisant. Or, le taux de disponibilité des véhicules blindés, en service dans la gendarmerie depuis 1974, est préoccupant (il est de l'ordre de 40 %).
La gendarmerie devrait assurer le maintien en condition opérationnelle de ces matériels, en prélevant des pièces détachées sur les appareils hors d'usage, ce qui devrait permettre de disposer de 80 véhicules blindés (sur 130).
Or, les véhicules blindés sont indispensables, aussi bien outre-mer, sur les théâtres d'opérations extérieures, comme au Kosovo ou en Côte d'Ivoire, mais aussi sur notre territoire en cas de crise majeure.
Même si nous sommes bien conscients des contraintes budgétaires et de la nécessité de réduire la dépense publique, la sécurité est un domaine régalien qui suscite une forte attente de la part des citoyens.
Je souhaiterais également dire un mot du renouvellement des véhicules de la gendarmerie.
2 000 véhicules neufs devraient être commandés en 2014, pour un coût de 40 millions d'euros. C'est certes mieux qu'en 2012, année au cours de laquelle seulement 300nouveaux véhicules ont été commandés, et qu'en 2013 puisque, à ce jour, aucune commande de véhicules nouveaux n'a été passée en raison du « gel » de crédits.
Mais, si l'on considère que le parc automobile comporte plus de 30 000 véhicules et que la durée de vie moyenne d'une voiture est d'environ 8 ans (ou 200 000 km), il faudrait commander chaque année environ 3 000 nouveaux véhicules (soit un coût de 60 millions d'euros) pour maintenir en l'état le parc automobile de la gendarmerie.
Compte tenu du faible niveau d'investissement, le parc automobile de la gendarmerie est vieillissant et, en 2015, environ deux tiers des véhicules devraient avoir dépassé le seuil de réforme. Le parc opérationnel de véhicules de la gendarmerie départementale affiche ainsi un âge moyen de 6,5 ans avec en moyenne 121 000 km parcourus.
Enfin, comme les années précédentes, ma dernière et principale interrogation porte sur l'immobilier de la gendarmerie.
L'immobilier est traditionnellement un poste important pour la gendarmerie nationale car chaque gendarme dispose d'un logement concédé par nécessité absolue de service. Ce logement est la contrepartie de la disponibilité des militaires de la gendarmerie et il permet d'assurer la présence des gendarmes sur l'ensemble du territoire, grâce au maillage assuré par les brigades territoriales. La vie en caserne est aussi un élément structurant du statut militaire de la gendarmerie.
C'est surtout l'état du parc domanial qui est préoccupant. L'âge moyen des logements est de 38 ans et plus de 70 % des logements ont plus de 25 ans, ce qui nécessite des travaux de réhabilitation importants et suivis.
Les investissements n'ayant pas été suffisants ces dernières années, on constate une certaine dégradation des conditions de vie des gendarmes et de leur famille, qui peut peser sur le moral et la manière de servir. Je pense par exemple aux casernes des gendarmes mobiles du quartier Delpal à Versailles Satory, que nous avons visitées avec notre collègue Michel Boutant, et qui sont dans un état très délabré, ou à la caserne de Melun.
Aucun d'entre nous n'accepterait d'avoir sur nos territoires des logements sociaux dans un pareil état. Nous courons le risque d'assister à des mouvements sociaux de la part des conjoints des gendarmes.
2013 a été une « année blanche » pour l'immobilier, c'est-à-dire qu'aucun investissement n'a été prévu, faute de crédits suffisants.
En 2014, la situation devrait s'améliorer légèrement, puisqu'il est prévu 11 millions d'euros pour les opérations de maintenance les plus urgentes et 6 millions d'euros pour les subventions aux collectivités locales pour la construction de casernes locatives, contre 0 en 2013.
Ces crédits restent cependant très insuffisants au regard des besoins, tant en matière de construction, que d'entretien lourd. On estime que l'Etat devrait consacrer environ 200 millions d'euros par an à la construction et 100 millions d'euros à la réhabilitation des casernes domaniales. Nous en sommes très loin.
La seule marge de manoeuvre de la gendarmerie en matière d'investissement immobilier est donc de pouvoir compter sur les revenus tirés des cessions immobilières. On estime que le produit des cessions immobilières de la gendarmerie pourrait représenter environ 120 millions d'euros.
Malgré l'adoption de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement (dite loi Duflot), il est donc crucial que la gendarmerie puisse continuer à bénéficier d'une partie au moins du retour de ses cessions afin de réaliser les opérations de construction ou de réhabilitation lourde les plus urgentes, qui sont évaluées à 80 millions d'euros par an.
En conclusion, tout en réaffirmant mon attachement à la gendarmerie et à ses personnels, je m'abstiendrai sur le vote des crédits de la mission « Sécurité ».
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je remercie nos deux co-rapporteurs. Sans méconnaître les fortes contraintes budgétaires et la nécessité de réduire les déficits publics, je partage la plupart des préoccupations exprimées, qu'il s'agisse de l'immobilier de la gendarmerie ou du renouvellement des équipements. Comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur lors de son audition devant notre commission, il faut réfléchir à des solutions pour l'immobilier de la gendarmerie et répondre aux situations les plus urgentes.
M. Jeanny Lorgeoux. - Dans la commune de Romorantin, nous avons mis en oeuvre une solution originale, grâce à une dérogation, pour rénover plus de 50 logements par l'office HLM où nous avons installé les gendarmes et leur famille, dans ce qu'on peut appeler une « caserne ouverte », ce qui a permis d'offrir de meilleures conditions de vie aux gendarmes et à leur famille, sans que cela nécessite de lourds investissements.
M. Gérard Larcher. - L'état de certains logements de gendarmes ne répond pas aux normes minimales du logement social ! Il serait donc paradoxal de vouloir priver la gendarmerie du produit de ses cessions immobilières pour la construction de nouveaux logements sociaux alors que le produit de ces cessions est précisément destiné à rénover les logements les plus délabrés destinés aux gendarmes et à leur famille.
Il serait d'ailleurs légitime que l'immobilier de la gendarmerie nationale puisse bénéficier des mêmes conditions avantageuses que le logement social en matière de taux bonifiés.
M. Christian Cambon. - Je partage entièrement les préoccupations exprimées par notre collègue Gérard Larcher, au sujet de l'immobilier de la gendarmerie nationale. Mon département accueille les bâtiments et logements du commandement de la région Ile de France de la gendarmerie et certains bâtiments sont dans un tel état de délabrement qu'ils ne répondraient pas aux normes applicables au logement social !
La commission donne un avis favorable - les groupes socialiste, RDSE et écologiste votant pour ; le groupe UMP s'abstenant - à l'adoption des crédits du programme « gendarmerie nationale » de la mission « Sécurité ».
Accord entre la France et la Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de Mme Garriaud-Maylam et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 114 (2013-2014) autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je tiens à rendre hommage au courage de Mme Garriaud-Maylam qui a tenu à être parmi nous cet après-midi alors qu'elle vit des moments douloureux. Je lui adresse, au nom de la commission, mes plus sincères condoléances.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - Ce projet de loi a été ratifié par l'Assemblée nationale le 31 octobre et nous espérons le faire adopter au Sénat la semaine prochaine. Ce texte est urgent et ses conséquences seront des plus concrètes : débloquer les dossiers des familles en cours d'adoption en Russie et permettre aux familles souhaitant adopter en Russie de le faire dans un cadre juridique rigoureux.
Cette convention, tant qu'elle n'est pas ratifiée, est source de souffrance à la fois pour les familles qui attendent l'arrivée d'un enfant dans leur foyer et dont le dossier est bloqué à cause de la non-ratification française, et pour les enfants qui, pour certains, ont déjà rencontré leurs parents mais restent en orphelinat pour cause de lenteur administrative.
Les couples français candidats à l'adoption se tournent le plus souvent vers l'adoption internationale qui représente plus de 80% de l'adoption en France. En 2011, près de 2 000 adoptions ont été réalisées à l'étranger. La Russie est le premier pays de provenance des enfants adoptés par des couples français à l'étranger, plaçant la France au quatrième rang des pays d'accueil. En 2012, 235 enfants russes ont ainsi été adoptés par des familles françaises.
La Russie appliquant le principe de subsidiarité prescrit par la convention de La Haye de 1993 sur la protection de l'enfance et la coopération en matière d'adoption internationale, ce sont principalement des enfants à besoins spécifiques qui sont proposés à l'adoption, puisque les enfants dits « sans problème » sont plus facilement adoptés nationalement. Sont considérés comme plus difficilement adoptables les enfants qui présentent une pathologie plus ou moins grave (177 des 235 enfants russes adoptés en 2012), ceux d'un âge plus avancé (41 enfants avaient plus de 5 ans) ou ceux adoptés en fratrie (51 sur 235).
Jusqu'à présent, les adoptions d'enfants russes pouvaient être faites par un opérateur agréé ou de façon individuelle. Dans ce dernier cas, le plus fréquent, les familles déposaient elles-mêmes leur demande auprès de l'organisme public russe par le biais d'un facilitateur. Dans les faits, certains parents, une fois l'adoption finalisée et l'enfant accueilli au foyer, ne respectaient pas l'obligation de transmission régulière de rapports d'information sur l'enfant, son intégration et son développement, rapports exigés par nombre de pays d'origine, dont la Russie. Une liste noire de départements où résidaient des familles ayant failli à cette obligation a été dressée, pénalisant ensuite celles qui voulaient adopter et qui résidaient dans lesdits départements.
La Russie a encadré plus strictement l'adoption, notamment en privilégiant la signature d'accords bilatéraux sur l'adoption, comme celui qui nous est soumis aujourd'hui. Deux ont déjà été conclus, avec l'Italie et les États-Unis, mais ce dernier a été dénoncé et il est désormais impossible pour des ressortissants américains d'adopter des enfants russes. D'autres sont en cours de négociation avec l'Espagne ou encore l'Allemagne. Enfin, la Russie a signé la convention de La Haye mais ne l'a pas ratifiée.
D'autres modifications sont intervenues dernièrement, qui concernent directement les parents : depuis 2012, ils doivent valider un séminaire préparatoire de 80 heures afin de se préparer à leur rôle de parents, et des questions sont posées lors du jugement. La Russie a la hantise de voir des homosexuels adopter certains de ses enfants ; dans cette optique, elle interdit même, depuis le 3 juillet 2013, l'adoption de ses enfants par tous les célibataires ressortissants de pays ayant légalisé le mariage homosexuel. Depuis le 3 septembre, elle exige que des rapports de suivi post-adoption soient envoyés régulièrement jusqu'à la majorité de l'enfant adopté. Et surtout, du fait de la loi du 3 juillet et de la non-ratification par la France de la présente convention, les adoptions sont bloquées, ou du moins accordées au compte-goutte.
C'est pourquoi il est très urgent que nous ratifiions ce traité, qui a été signé le 18 novembre 2011 à Moscou et ratifié par la Russie en août 2012. Ses dispositions s'inspirent de celles de la convention de La Haye sur la protection des enfants.
S'agissant de la procédure d'adoption, le traité met fin à la possibilité de recourir à l'adoption individuelle, qui représentait près de 80% des adoptions auparavant. Le recours à un opérateur agréé est donc obligatoire. Actuellement il en existe trois : l'Agence française de l'adoption, « De Pauline à Anaëlle », et « Enfance et Avenir ».
Le rôle de chaque État tout au long de la procédure est défini par le traité. Le pays d'origine étant seul décisionnaire pour l'adoption internationale, il doit s'assurer que l'enfant est bien légalement adoptable, avant que soit prononcée l'adoption. Le pays d'accueil, quant à lui, vérifie que les candidats sont en possession de l'agrément requis, qu'ils répondent aux exigences formulées par l'autre partie, notamment en termes de formation, et vérifie que les opérateurs agréés effectuent le suivi post-adoption demandé.
La procédure prévoit également les conditions de choix, de présentation des enfants et d'apparentement. L'adoption est prononcée par jugement, et entraîne la rupture définitive du lien de filiation d'origine. L'enfant acquiert de plein droit la nationalité française, tout en conservant la nationalité russe au moins jusqu'à sa majorité. Le traité règle également la question des obligations militaires pouvant découler de cette double-nationalité : l'enfant adopté sera exempté de ces obligations sur le territoire d'une partie s'il les a effectuées sur le territoire de l'autre partie.
Le traité encadre mieux le suivi. La fin des procédures individuelles permettra de contrôler que les parents envoient bien les rapports post-adoption. Les opérateurs agréés devront assurer le suivi des conditions de vie et d'intégration de l'enfant. Tout manquement entraînerait la suspension temporaire des dossiers des candidats à l'adoption.
Enfin, le traité prévoit les cas de replacement d'un enfant adopté. En cas de retrait d'un enfant adopté et d'une nouvelle adoption, le pays d'accueil doit demander l'accord du pays d'origine, puisque la Russie s'oppose à ce que ses enfants soient adoptés par des couples homosexuels. Dans les faits, le replacement d'un enfant adopté est exceptionnel.
Ce cadre juridique formalise les adoptions, en s'inspirant de la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998. Quelques questions demeurent cependant, en particulier sur les dossiers en cours qui sont, pour la plupart, bloqués, créant des souffrances pour les familles. La ratification du traité devrait débloquer la situation.
S'agissant des dossiers en cours relevant de la procédure individuelle, le traité prévoit que les candidats à l'adoption dont le dossier a été enregistré auprès d'une autorité régionale pourront mener à son terme la procédure d'adoption. Mais qu'en est-il des dossiers présentés par des femmes célibataires ? Nous allons attirer l'attention des autorités russes sur ce point, car des femmes ont rencontré les enfants et ont suivi toute la procédure. Que dire des enfants qui les ont identifiées comme futures mamans ? Nous espérons que leurs dossiers seront examinés avec bienveillance.
Les personnes auditionnées ont attiré notre attention sur le terme « dossier enregistré » : s'agit-il de l'apparentement qui est déjà un pas important dans la procédure ? Lorsque des parents rencontrent l'enfant et donnent leur accord à l'adoption, le lien est déjà créé. Il faudra préciser la terminologie.
La situation est donc urgente, tant pour les enfants que pour les parents. La ratification française permettra de surmonter les blocages et les enfants pourront enfin être accueillis dans leur nouveau foyer. Je vous propose donc d'adopter ce projet de loi, qui devrait faire l'objet d'un examen en procédure simplifiée dans l'hémicycle. Initialement, ce texte devait être examiné le 18 décembre, mais j'ai demandé au ministre chargé des relations avec le Parlement de l'avancer au 3 décembre. Tous les groupes politiques ont été consultés et j'espère qu'ils n'y sont pas opposés.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Ce soir, au cours de la Conférence des présidents, je veillerai à ce que cette date soit retenue.
Mme Kalliopi Ango Ela. - Je veux dire toute mon amitié à notre rapporteure qui vit des moments difficiles.
Comme elle, j'estime urgent de trouver une issue rapide pour ces familles qui attendent un enfant. Mais que penser de cette phrase de la convention : « il s'agit d'assurer le respect des principes éthiques de l'adoption internationale dans l'intérêt supérieur de l'enfant » alors que la Russie va voter des lois homophobes ? Quelle définition ce pays donne-t-il au mot « éthique » ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - Ce terme peut effectivement être appréhendé de différentes manières, et c'est toute la difficulté du débat. Nous savions, lors du vote du mariage pour tous, que de telles conséquences étaient à craindre. Le Parlement russe a voté à l'unanimité contre l'adoption des enfants par des couples homosexuels, et donc aussi par des célibataires, tous soupçonnés d'homosexualité. Nous devrons agir par les voies diplomatiques pour que les parents célibataires ayant déjà obtenu un agrément puisse adopter. J'en ai dit un mot à l'ambassadeur de Russie la semaine dernière.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Du 16 au 20 décembre, MM. Cambon, Pozzo di Borgo et moi-même seront en Russie et nous aborderons cette question.
M. Robert del Picchia. - Je veux dire à notre rapporteure toute l'affection de notre groupe dans l'épreuve qu'elle traverse et je la félicite pour son courage d'être parmi nous.
Qu'en est-il des demandes individuelles antérieures à la promulgation de la convention ? Demeurent-elles valides ou la procédure doit-elle recommencer ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - L'article 20 de la convention dit que « Les candidats à l'adoption dont le dossier a déjà été enregistré auprès d'une autorité régionale de l'État d'origine à la date d'entrée en vigueur du présent traité ont le droit de mener à son terme la procédure d'adoption selon les modalités établies avant l'entrée en vigueur du présent traité ». En dépit de ce texte, les blocages risquent de se poursuivre. L'ambassadeur de Russie m'a dit qu'il attendait avec impatience la ratification par la France de cette convention.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je tiens à féliciter notre rapporteure pour son rapport très humain. Les Russes sont les rois de la dialectique et prétendent que leur texte est juste destiné à lutter contre la pédophilie. J'espère que nous parviendrons à arranger les choses lors de notre voyage dans ce pays.
Chaque enfant adopté devra respecter les obligations militaires d'un de ses deux pays : en France, les jeunes suivent deux jours de formation et en Russie, la conscription dure trois ans. Le choix de ces jeunes est facile à deviner.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - Dans d'autres pays, il existe aussi des différences très importantes en matière de conscription, ce qui explique que beaucoup de jeunes choisissent la nationalité française.
M. Jean-Louis Carrère, président. - En matière de dialectique, les Russes pourraient dire : la terre est bleue ; non, la terre est ronde comme une orange ; non, la terre est bleue comme une orange.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - Platon parlait déjà de la différence entre la réalité et la vérité...
M. André Vallini. - Les Russes sont très réticents à voir leurs enfants adoptés par des couples homosexuels mais, de façon plus générale, par nationalisme, ils ne souhaitent pas voir leurs enfants adoptés par des pays étrangers.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - C'est vrai. De plus en plus de pays ont ces réflexes nationalistes. C'est le cas de pays musulmans, de la Birmanie. Mais il existe également des différences d'appréciations : il y a quelques années, le Sunday Times avait publié un long article dans lequel les autorités indiennes suppliaient les Britanniques de venir adopter leurs enfants. J'avais alors posé une question écrite au ministère des affaires étrangères et j'avais envoyé une lettre à la Mission de l'adoption internationale qui m'avaient répondu qu'il y avait très peu d'enfants indiens à adopter. Nous en revenons à la différence entre réalité et vérité.
Le responsable des adoptions au Vietnam m'a dit que la France était mal organisée, contrairement aux États-Unis ; il m'a fait comprendre que les Américains payaient beaucoup plus pour obtenir des enfants.
M. Jean-Louis Carrère, président. - A toutes les réticences russes s'ajoute le fait que nous n'avons pas ratifié cette convention.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
À l'unanimité, la commission décide que cette convention sera présentée en séance publique sous forme simplifiée.
Loi de finances pour 2014 - Mission « Aide publique au développement » programmes « Aide économique et financière au développement » et « Solidarité à l'égard des pays en développement » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon sur les programmes 110 - Aide économique et financière au développement - et 209 - Solidarité à l'égard des pays en développement - de la mission Aide publique au développement du projet de loi de finances pour 2014.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Jean-Claude Peyronnet et moi-même vous présentons les crédits de la mission « aide publique au développement » (APD) qui comprend le programme 110, géré par le ministère de l'économie et des finances, et le programme 209, géré par le ministère des affaires étrangères et qui comprennent l'essentiel de l'aide programmable.
Les moyens de l'APD française sont préservés dans un contexte budgétaire extrêmement difficile. Les crédits de paiement de la mission « aide publique au développement » ont diminué de 5,7%, soit 2,9 milliards. Les autorisations d'engagement s'élèvent à 4,2 milliards, en augmentation sensible. Nous aurons donc du mal à atteindre les 0,7% du PIB que nous évoquons régulièrement. En dépit de cette diminution, l'aide publique française, au sens où l'entend l'OCDE, augmente de 4,3% pour s'établir à 10,3 milliards.
Cette préservation a été possible grâce à des annulations de dettes et des refinancements qui triplent en volume, passant de 607 à 1 579 millions. En outre, les financements innovants au profit du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) augmentent : l'article 36 prévoit en effet une hausse de 12,7% de la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Au cours des échanges que nous avons eus avec les ministres, nous avons fait part de nos craintes concernant cette taxe ; ils nous ont rassurés. L'article 31, quant à lui, prévoit l'augmentation de 10 à 15% de la part de la taxe sur les transactions financières. Nous avions déposé des amendements l'an dernier en ce sens et le Président de la République a confirmé cette orientation lors des Assises du développement. Je salue cet effort, surtout en raison du contexte budgétaire actuel.
L'engagement du Président de la République de doubler en cinq ans l'aide transitant par les ONG françaises se traduit par une augmentation de 9 millions des autorisations d'engagement et d'1 million pour le fonds d'urgence humanitaire. Les ONG saluent cet effort tout en considérant que cette augmentation n'est pas à la hauteur des enjeux. Néanmoins cela va dans la bonne direction et nous nous en félicitons.
La lisibilité des documents budgétaires s'améliore, ce qui facilite notre tâche de contrôle. Le document de politique transversale « Aide publique au développement » contient ainsi quelques améliorations, que nous avions demandées depuis longtemps. En revanche, des progrès restent à faire pour mieux évaluer les résultats, notamment pour ce qui concerne le Mali. Nous ferons des propositions concrètes.
Les canaux de transmission de l'APD sont réorientés vers l'aide bilatérale, qui était descendue à 66% en 2012 et qui devrait à nouveau atteindre 70%. Au Sahel, il faudrait abonder de 200 à 400 millions l'aide bilatérale pour répondre à la multiplicité des projets sur lesquels la France est attendue. Nous allons donc dans le bon sens.
L'année 2013 aura été particulièrement dense, en raison des premières Assises du développement qui ont duré six mois et qui ont été closes par le Président de la République. Diverses annonces ont été faites et le ministre du Développement a rencontré tous les partenaires afin de dégager des priorités. Après cette première phase de concertation, le Premier ministre a réuni, le 31 juillet, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) qui n'avait pas siégé depuis 2007. Les orientations arrêtées sont celles que nous appelions depuis longtemps de nos voeux, notamment une meilleure convergence des objectifs du millénaire et de l'agenda du développement durable, la concentration de notre aide sur des partenariats différenciés et une meilleure cohérence de notre action en matière de développement. Enfin, il convient de mieux coordonner notre aide avec celle de l'Europe. Nous devrions travailler avec les Britanniques car leurs méthodes d'évaluation et de contrôle sont excellentes. Ils ont mis un terme à leur APD en Inde, estimant que ce pays n'en avait plus besoin.
Au-delà des vingt-huit objectifs listés, dont la plupart font consensus dans le milieu de la coopération, vos rapporteurs souhaitent que le gouvernement passe de la parole aux actes. Le futur projet de loi de programmation devra comporter des engagements chiffrés et éviter des notions vagues comme « le retour à bonne fortune » qui figure dans la loi de programmation militaire. Il conviendrait que des pourcentages soient fixés, surtout pour le Sahel, afin d'apprécier l'adéquation entre les engagements et la réalité. Le CICID estime que 85% des fonds de l'AFD doivent aller au sud Sahel, mais 115 pays sont concernés par cette aide, dont 90 pays qui ne se trouvent pas dans cette région du monde ! M. Peyronnet et moi-même siégeons au conseil d'administration de l'AFD : nous voulons que les crédits soient efficaces et que les politiques soient évaluées. Le futur texte devra hiérarchiser les objectifs de l'aide, définir une trajectoire financière compatible avec la situation de nos finances publiques, rapprocher les indicateurs des objectifs. Le ministre a eu la courtoisie de nous envoyer l'avant-projet de loi, nous y sommes sensibles.
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis. - L'avant-projet de loi a été examiné aujourd'hui même par le Conseil économique, social et environnemental.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le projet de loi devrait être adopté en conseil des ministres le 11 décembre et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Il le sera peut-être au Sénat.
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis. - Rien n'est encore décidé.
Je vous propose de voter les crédits de l'aide publique au développement comme je l'ai fait depuis trois ans quelle que soit la majorité. En fait, ce n'est pas tellement le budget global qui est en cause : que l'on affecte 0,1 ou 0,2 point de notre PIB en plus ou en moins à cette aide est secondaire, ce qui compte c'est ce que l'on fait de cet argent. Et c'est à l'aune de l'efficacité que nous faisons deux recommandations.
Malgré le relatif satisfécit de M. Cambon, nous sommes tous les deux un peu amers sur le fait que le budget 2014 ne tient aucun compte des événements du Mali et continue comme si rien ne s'était passé. La France ne peut se contenter d'être l'intervenant militaire, sans être aussi l'un des acteurs du développement, ce qui pourrait lui éviter de relancer une opération militaire. C'est notre intérêt, comme celui de l'Afrique, de prendre des mesures et d'inciter les financeurs internationaux à le faire, d'autant que la France dispose d'une grande expertise au Sahel.
Cette déconnection des choix budgétaires avec la situation actuelle est d'autant plus regrettable que notre commission a beaucoup travaillé sur cette question. Le rapport d'information de MM. Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher propose diverses solutions. Nous avons auditionné des chercheurs, en particulier Serge Michailof dont je partage les analyses.
La situation du Sahel présente, malgré d'évidentes différences culturelles et géographiques, des analogies inquiétantes avec celles de l'Afghanistan d'il y a une dizaine d'années, à savoir une crise environnementale liée à la pression démographique alors que l'investissement public stagne dans l'agriculture, un grave sous-équipement économique et social conduisant la population au dénuement, sur fond de tensions interethniques. Cette région souffre également d'une sous-administration des zones rurales périphériques et d'une quasi-absence locale des appareils d'État régaliens. De plus, les jeunes sont touchés par un chômage de masse, ce qui provoque d'importantes migrations régionales. La présence de groupes armés très mobiles financés par des trafics divers, dont la drogue, s'appuie sur un fondamentalisme religieux et offre une idéologie séduisante, des perspectives de revenus et d'ascension sociale exceptionnelles pour des jeunes désoeuvrés. Enfin, il existe des zones de repli inexpugnables pour les groupes armés qui ont subi une défaite au Mali mais sont loin d'avoir été annihilés. À travers la crise malienne se dévoile l'ampleur gigantesque de la crise qui couve au Sahel, crise multiforme, économique, humanitaire, politique, et sécuritaire. Cette crise exacerbée au Mali est sous-jacente dans d'autres régions du Sahel, en particulier au nord du Burkina Faso, dans le centre du Tchad, au Niger, en Centrafrique.
Il est regrettable que notre intervention au Mali ne se traduise par aucune inflexion significative dans la loi de finances 2014. Cette situation est imputable au fait que notre outil de coopération ne dispose plus de ressources d'aide bilatérale nécessaire. L'essentiel de notre aide bilatérale est consentie sous forme de prêts de l'AFD qui sont mal adaptés aux besoins de reconstruction du Mali, ou à des actions liées à des contrats de désendettement et de développement dont les pays sahéliens ne bénéficient que très marginalement. Ces pays ont besoin d'une aide directe. Or les montants destinés à financer sur subvention des actions bilatérales dans les pays pauvres sont dérisoires, et répartis entre une vingtaine de pays. Les montants du fonds de solidarité prioritaire sont bien trop faibles.
Des amendements auraient pu être déposés mais la partie dépenses du budget, sauf miracle, ne sera pas examinée. Disons que nous travaillons pour l'avenir.
Il faudrait doubler l'aide bilatérale « projet » gérée par l'AFD pour la porter à 400 millions...
M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis. - ...ou au moins à 300 millions et, comme le suggère M. Michailof, d'affecter 100 millions à un « fonds fiduciaire multi-bailleurs Mali » pour que la France puisse participer au pilotage de la gestion des ressources multilatérales. Il faudrait amorcer la pompe avec 100 millions et compléter les financements par des fonds partenaires, en s'imposant comme l'expert principal pour la mise en oeuvre de ces actions.
Nous recommandons aussi de doubler les crédits FSP et de les affecter prioritairement à l'appui institutionnel des pays sahéliens pour remettre en marche les institutions déliquescentes, surtout en milieu rural. On est actuellement à 3 ou 4 millions.
Afin de dégager des ressources sur le budget APD, il conviendrait de ramener à 150 millions le fonds sida, ce qui représenterait une économie de 210 millions. Certes, notre lutte contre le sida est saluée dans le monde, mais je ne suis pas sûr que les 362 millions que nous y affectons soient absolument indispensables. Il conviendrait aussi de raboter nos multiples contributions à la cinquantaine de fonds des Nations unies, dont l'efficacité a été discutée ; cela représenterait une économie de 25 millions. Il serait également possible d'économiser 25 millions sur les dotations budgétaires accompagnant les concours FMI.
Les SCAC font souvent doublons avec l'AFD. Avec une vraie volonté politique au sommet de l'État, nous pouvons réorienter entre 150 et 250 millions d'euros vers le Mali, sur un budget global de 4,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement. Il y a urgence, en effet, indépendamment des aides à moyen et à long terme qu'il faudra apporter, à donner du travail à toute cette jeunesse désoeuvrée, offerte aux trafics, à la drogue et à l'extrémisme religieux. Nous pourrions investir dans les infrastructures et dans la formation. Mon département a monté une radio locale au Burkina Faso, qui regroupe essentiellement des femmes autour de la culture, de l'acquisition et de la vente de plants, de microcrédit. Ce type d'actions peu coûteuses a des effets vertueux.
Nous souhaitons que soit mise en place une vraie stratégie d'influence au sein des instances multilatérales. À la différence des Britanniques, nous avons été incapables d'avoir une influence significative sur la nature des programmes et des projets financés par l'aide européenne et internationale. L'approche en termes d'effet de levier, dont nous nous targuons, est statistique et globale. Nous poussons ces instances à intervenir en Afrique, mais ne nous soucions pas assez de la nature et des modalités de leurs actions. Notre influence n'est pas à la hauteur de nos compétences ni des moyens humains et financiers que nous déployons.
Nous proposons d'adopter le budget de la mission « aide au développement ».
M. Jean Besson. - M. Cambon a indiqué que les Anglais se retiraient de l'Inde. Il n'est pas souhaitable que l'AFD se retire des BRICS. Ce qui relève de la diplomatie d'influence contribue à la bonne réputation de la France.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - L'AFD est à la fois le bras séculier de l'État pour la coopération et banque de développement. Nous ne remettons pas ses engagements en cause, sauf pour certains petits pays. Les prêts sont consentis aux conditions du marché, certes, mais la présence de l'AFD a un coût : personnel, locaux...
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis. - L'aspect planétaire des interventions de l'AFD pose problème. Dov Zerah, qui a dirigé l'AFD, prétendait que les prêts couvraient aussi les frais de fonctionnement. Cela devra être vérifié.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Le dernier prêt, consenti par la France au Mexique, l'est au taux de 1,5%, quand la France emprunte à trente ans à 2,38%. Cela coûte, donc. Le Mexique est un pays ami, mais il n'est plus vraiment sous développé.
M. Jeanny Lorgeoux. - La règle des 85% fléchés sur l'Afrique Subsaharienne concerne les dons et non les prêts. Les capitaux propres de la Proparco en direction des PME doivent être augmentés et les plafonds autorisés par pays doivent être relevés.
Mme Kalliopi Ango Ela. - La France a une bonne expertise en matière de santé. Sauf erreur, l'aide publique au développement diminue cette année de 6% dans ce domaine. Les deux tiers de notre aide y sont consacrés à des actions multilatérales. Comment rester très performants avec de telles perspectives ? Le financement des ONG en Afrique est très efficace.
M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis. - Notre aide multilatérale est en effet majoritaire. Nous avons peu de maîtrise des choix qui y sont faits. En particulier, nous consacrons des crédits considérables à la lutte contre le sida, au risque de négliger d'autres maladies comme la tuberculose et le paludisme, sur lesquelles il faudrait recentrer nos efforts.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - L'enveloppe du fonds sida nous vaut une réputation qui compense notre désengagement sur d'autres fonds.
La commission adopte le rapport pour avis de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon sur les programmes 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2014.
Elle vote les crédits de la mission « Aide au développement » à la majorité, les groupes UMP et UDI s'abstenant.