Jeudi 7 novembre 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Institutions européennes - Réunion avec une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat italien
M. Simon Sutour, président. - Cette rencontre s'inscrit dans une démarche engagée par nos prédécesseurs et qui mérite d'être poursuivie.
La coopération entre commissions des affaires européennes a toujours été utile, elle est indispensable depuis le traité de Lisbonne. Récemment, notre assemblée a participé au « carton jaune » adressé à la Commission européenne sur le Procureur européen, parce que nous sommes quant à nous favorables à un Parquet collégial, aux compétences plus larges. Il y a eu des pressions de la part de la Commission européenne pour que nous changions notre vote : il faudrait au contraire s'habituer au rôle nouveau des parlements nationaux et les consulter en amont. Nos pays partagent un grand nombre de préoccupations communes à faire valoir. Lors de la dernière réunion de la COSAC, à Vilnius, j'ai été amené à regretter que les représentants des pays du Sud de l'Union aient été si peu nombreux parmi les orateurs invités. Il faut respecter un équilibre. Il est vrai qu'avec la présidence grecque, puis la présidence italienne, on devrait y parvenir, mais ce devrait être un état d'esprit permanent.
M. Vannino Chiti, président de la commission des politiques de l'Union européenne. - Je suis très heureux de participer, avec mes collègues les sénateurs Cociancich et Tarquinio, chefs des principaux groupes représentés dans notre commission, à cette rencontre, ici à Paris, avec vous, les membres de la commission des affaires européennes du Sénat français.
Cette rencontre fait suite, Monsieur le Président Sutour, à la visite que vous avez effectuée à Rome le 16 janvier dernier.
Je me souviens que cette rencontre avait été très utile, car elle nous avait permis de connaître la manière dont nos parlements sont engagés à renforcer la dénommée « phase ascendante », autrement dit la participation à l'élaboration des choix et des orientations européens.
Je crois même que l'utilité et la raison d'être de ces visites réciproques consistent, justement, dans la possibilité d'échanges fructueux d'expériences entre commissions homologues des Sénats de deux pays, l'Italie et la France, qui jouent depuis toujours un rôle important dans le cadre de l'Union européenne.
Nous représentons les chambres hautes de nos pays respectifs, qui, comme j'essaierai de l'illustrer par la suite, exercent une fonction de représentation tout à fait particulière.
Je suis également persuadé que - outre l'amitié de toujours entre la France et l'Italie - nous avons une responsabilité commune vis-à-vis de la Méditerranée, une région stratégique cruciale pour l'Union européenne.
L'activité de notre Sénat sur ces sujets - en plus des questions importantes à l'ordre du jour du Parlement et de la commission de l'Union européenne, telles que la gouvernance économique, les politiques pour l'emploi, spécialement des jeunes, l'Union bancaire - est en train de se concentrer sur le semestre de la présidence italienne du Conseil de l'Union européenne, de juillet à décembre 2014.
Une grande partie des rencontres intergouvernementales se tiendra à Milan, siège de l'Expo 2015 consacrée au thème « Nourrir la Planète, énergie pour la vie ». En ce qui nous concerne, nous essayons de nous concentrer sur les questions de plus grand intérêt pour l'Italie, à inscrire à l'agenda du Semestre.
Pour le parlement italien, les thématiques-clé sont la consolidation des politiques européennes pour l'emploi et le développement durable, après des années exclusivement d'austérité qui ont ajouté à la crise économique des phases de véritable récession ; un avancement de l'Union européenne sur le chemin de la démocratie supranationale, notamment dans les politiques de sécurité et des relations internationales ; comme je l'ai dit, la Méditerranée : un engagement immédiat sur les questions, hélas d'actualité pressante, liées à l'accueil des réfugiés venant des régions de crise du Proche-Orient et des pays du dénommé printemps arabe.
Après l'épisode tragique de Lampedusa, nous mettrons au centre de l'attention et des initiatives partagées la question d'une gestion collective, que l'Union européenne doit prendre en charge - comme elle le fait, légitimement, pour d'autres importantes questions communes.
Plus de dix-neuf mille personnes qui fuyaient les guerres et les calamités naturelles - dont un grand nombre de femmes et d'enfants - gisent déjà en Méditerranée. Le Pape François a raison : on ne peut pas continuer d'être insensibles et passifs. L'Union européenne est née, après des siècles de guerres, pour couronner le grand rêve, non seulement de démocratie et de développement, mais aussi de solidarité et de paix.
Au coeur de la réflexion et de l'initiative, nous voulons mettre le sujet de la stabilité politique du bassin de la Méditerranée tout entier qui, ces derniers temps, a été mis au second plan par les institutions de l'Union, en faveur d'une ligne directrice préférentielle pour le Partenariat oriental.
La commission des politiques de l'Union européenne du Sénat, avec la commission des affaires étrangères, a décidé d'entamer une procédure d'information sur la démocratie supranationale et sur la projection de l'Union européenne en Méditerranée : nous voulons approfondir les expériences des printemps arabes, leur évolution ; l'échec, à ce jour, des projets européens de coopération ; cerner de nouveaux objectifs pour une présence européenne renouvelée en Méditerranée, en considérant également le désengagement des États-Unis - par rapport au passé - davantage concentrés sur l'affrontement-défi avec la Chine.
Nous sommes très intéressés à une collaboration avec votre commission, pour pouvoir échanger, sur ces thématiques pour nous prioritaires, des évaluations politiques et vérifier les objectifs fondamentaux d'initiative.
Nous avons donc beaucoup de travail à faire, mais nous sommes engagés avec conviction et nous sommes conscients que l'Europe est notre destin commun. Aucune nation européenne toute seule - ni la France, ni l'Allemagne, ni l'Italie ni nulle autre - ne peut affronter les défis et les géants présents sur la scène mondiale de ce XXIe siècle qui est le nôtre. La conséquence serait un horizon de déclin pour les pays européens.
Je voudrais à présent vous présenter, schématiquement, comment au Sénat italien nous prenons part activement à la formation de propositions législatives européennes puis à leur application.
Tout d'abord, je voudrais préciser qu'en janvier 2013 est entrée en vigueur en Italie la nouvelle loi « de système » qui régit les rapports entre la législation nationale et la législation européenne.
Nous avons réformé, notamment, l'instrument principal permettant l'adaptation périodique à la législation européenne. La dénommée « loi communautaire » a été remplacée par deux lois annuelles : la « loi de délégation européenne » et la « loi européenne ».
On peut comprendre à leurs noms que la première est destinée à contenir exclusivement des habilitations législatives au Gouvernement pour appliquer les directives européennes, par le moyen de décrets législatifs.
La seconde, en revanche, rassemble toutes les autres normes de modification de la législation nationale, nécessaires à l'exécution des obligations juridiques dérivant de l'Union européenne, contenues principalement dans les arrêts de la Cour de justice, dans les procédures d'infraction ou dans les cas dénommés « EU-Pilot » ainsi que dans les décisions relatives aux aides d'État déclarées illégitimes.
Outre ces deux instruments, le Gouvernement a également la possibilité de présenter un deuxième projet de loi de délégation, au cas où, au cours de l'année, il serait nécessaire d'appliquer de nouvelles directives émanant de l'Union européenne, ainsi que la possibilité d'avoir recours à l'instrument du décret-loi pour des cas particulièrement urgents.
Grâce à cette réforme, l'Italie a pu réduire le nombre de procédures d'infraction pour non-exécution ou exécution tardive des directives et se placer, dans ce domaine, dans la moyenne des États membres.
Hélas, le nombre de procédures d'infraction pour exécution erronée reste très élevé et nous avons même dû enregistrer notre premier - et pour l'instant unique - cas de condamnation comportant des sanctions pécuniaires.
Les deux premières lois de délégation européenne, relatives à 2013, ont été approuvées en un temps record par le Parlement italien : trois mois seulement pour le passage entre les deux chambres, quand, par le passé, au moins un an était nécessaire pour approuver une seule loi communautaire.
En ce qui concerne la « phase ascendante », un « cercle vertueux » s'est créé au Sénat, faisant de nous l'une des premières chambres des 28 États membres de l'Union dans l'exercice du contrôle de subsidiarité et de proportionnalité des projets communautaires. Et ceci grâce au travail effectué par toutes les commissions du Sénat : en témoigne la liste des avis approuvés, à partir de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Il s'agit certainement d'une expérience significative, mais qui peut encore être améliorée : d'une part, dans la qualité des thèmes choisis pour notre intervention, ceux-ci n'ayant pas tous la même importance ou la même épaisseur ; d'autre part, en oeuvrant de concert avec les autres commissions des parlements nationaux, pour rendre les institutions européennes plus attentives, également en ce qui concerne les évaluations de fond qui accompagnent les avis sur la subsidiarité et la proportionnalité.
La commission des politiques de l'UE du Sénat exerce un rôle propulseur durant la « phase ascendante » et ce grâce au travail effectué par une sous-commission spéciale des avis.
Ce rôle général du Sénat dans les rapports avec les institutions de l'Union me pousse à ouvrir une parenthèse pour faire une réflexion sur la révision, future et souhaitable, de notre Charte constitutionnelle.
En effet, le débat actuellement en cours entre les forces politiques préfigure un rôle et une fonction renouvelés du Sénat en tant qu'institution législative dépositaire, principalement, d'une compétence dans la liaison entre la dimension supranationale de l'Union européenne, l'État central, les régions et les communes.
Dans ce contexte, donc, le Sénat devrait devenir un noeud fondamental dans la liaison entre les institutions de Bruxelles et nos territoires, dans les rapports avec les autres parlements nationaux de l'Union, dans l'évaluation et le contrôle des politiques publiques.
Dans ce cadre, il est également indispensable d'établir des rapports plus qu'épisodiques avec les députés italiens élus au Parlement européen.
À cet égard, récemment, notre commission s'est posée la question de réorganiser et mettre à jour ses activités, en sollicitant des modifications du Règlement du Sénat, afin d'améliorer notre implication dans le processus législatif européen et dans les rapports avec les collectivités autonomes régionales et locales.
En même temps nous avons intensifié les rapports avec les membres italiens du Parlement européen - par le biais de missions périodiques à Bruxelles ou par des visioconférences -, ainsi qu'avec les représentants des régions auprès des institutions européennes.
En outre, nous nous engageons pour rendre l'Union européenne « proche » des citoyens, des entreprises, des réalités sociales.
Par exemple, je voudrais rappeler que le 14 octobre dernier une délégation de notre commission s'est rendue à Milan pour rencontrer les acteurs d'une procédure d'infraction, qui malheureusement pèse sur l'Italie, relative à une aide d'État présumée à la société qui gère les aéroports du chef-lieu lombard.
Nous avons estimé qu'il était nécessaire d'intervenir en tant que « facilitateurs » des rapports délicats entre les parties prenantes à cette affaire (la Mairie de Milan, les entrepreneurs, les syndicats, l'État central, etc.) justement car nous sommes de l'avis qu'il faut intervenir « sur place » pour essayer de résoudre les problèmes naissant entre les décisions de l'Union européenne et la vie concrète de nos populations.
Nous sommes convaincus que sur certains dossiers spécifiques de nature stratégique pour l'Italie, le Gouvernement et les chambres doivent effectuer une instruction approfondie ex ante, largement en avance par rapport à la formalisation des propositions élaborées par la Commission européenne : il s'agit en somme d'intervenir dès les phases de consultation, afin d'effectuer, comme le Sénat, un suivi constant, en coordination étroite avec notre représentation à Bruxelles, avec les régions et avec les euro-parlementaires italiens.
L'un de ces dossiers stratégiques, toujours à titre d'exemple, est la défense du « made in », autrement dit du label des produits d'origine typique, conditio sine qua non pour défendre et encourager les entreprises et protéger les citoyens consommateurs, en faisant en sorte qu'ils soient conscients de la qualité des produits qu'ils achètent.
Bien entendu, nous sommes intéressés, en parcourant ce chemin, à examiner les meilleures pratiques des principaux parlements européens comme, notamment, ceux de la France - un pays qui apparaît bien structuré dans son administration publique et qui, sous plusieurs aspects, nous est proche par sa mentalité -, de l'Allemagne ou des pays scandinaves.
Je conclus en formulant enfin le souhait que le rendez-vous des prochaines élections du Parlement européen soit une étape cruciale du chemin vers une Union politiquement plus forte et influente, capable de vaincre les dérives populistes et démagogiques qui, hélas, couvent en ce moment dans notre continent suite aussi à la crise économique qui nous frappe depuis environ six ans, et aux mauvaises réponses apportées, uniquement rigoristes, durant une première phase. L'élection par le Parlement européen, pour la première fois, sur la base du traité de Lisbonne, du président de la Commission européenne, devrait nous permettre d'éviter que les potentiels positifs de la phase qui s'ouvrira soient dévoyés par la domination de forces ennemies ou de toute manière hostiles à l'Europe unie. Je suis persuadé qu'il s'agit là d'un engagement commun pour nous tous.
M. Nicolas Alfonsi. - Comme vous, je crois que la situation des réfugiés en Méditerranée est une question à traiter en priorité. Il faut absolument agir plus efficacement. L'Italie est en première ligne et doit bénéficier de la solidarité des autres pays européens. Je suis également d'accord avec l'idée que la construction européenne doit nous aider à distinguer et à suivre les meilleures pratiques. Je participerai bientôt à un congrès sur les aires maritimes protégées et la circulation des grands pétroliers, et je sais que c'est une préoccupation importante pour l'Italie.
M. Jean Bizet. - Je confirme que la question des frontières extérieures de l'Union est une forte préoccupation. On ne peut accepter les insuffisances actuelles. Il faut remettre à plat cette question pour se doter d'un dispositif vraiment efficace.
Je souhaiterais savoir quel est le rôle du Parlement italien vis-à-vis des négociations commerciales internationales. J'estime que le Sénat n'est plus assez présent dans ce domaine. Les négociations de l'OMC vont reprendre à Bali en décembre : est-ce que vous allez avoir un débat pour essayer d'encadrer le mandat du commissaire ? Il est bon qu'il y ait un seul négociateur pour l'Union, mais il doit agir après toutes les consultations nécessaires et en tenant compte des débats parlementaires.
M. Roberto Cociancich. - L'opinion publique italienne est très sensible aux évolutions concernant la rive sud de la Méditerranée. Au-delà de l'aspect humain et émotionnel, il faut également prendre en compte les questions stratégiques et de sécurité. La tragédie syrienne et la situation en Libye sont pour beaucoup dans les difficultés actuelles. Elles posent la question des possibles infiltrations terroristes. Il est vrai que l'Italie est en première ligne, elle est le pays d'entrée, mais c'est une petite partie des réfugiés qui demandent l'asile en Italie, la plupart veulent aller en France, en Allemagne ou aux États-Unis. Il faut assurer la sécurité des réfugiés, mais aussi protéger nos concitoyens. Il n'y aura de solution durable que par l'établissement de véritables partenariats avec les pays de la rive sud. Nous souhaitons une initiative forte de l'Union qui soit politique et pas seulement militaire, même s'il faut développer les patrouilles de surveillance. Il semble que le Conseil européen de décembre va aborder le sujet : cela me paraît indispensable.
Sur le suivi des négociations commerciales, je peux dire que sur la question des négociations commerciales avec les États-Unis, l'intervention du Sénat français est prise en compte par la Commission européenne. Je l'ai constaté moi-même en rencontrant les négociateurs. C'est plutôt un exemple pour nous !
M. Enrico Piccinelli. - Merci pour votre accueil. Roberto a tenu à se différencier car nous n'appartenons pas au même groupe politique, même si cela ne nous empêche pas d'entretenir les relations les plus cordiales à titre personnel. Le thème du commerce international est de la plus grande importance car, même si la France et l'Italie jouent un rôle considérable à l'échelle du continent européen, leur poids ne cesse de se réduire face à la montée en puissance de pays comme la Chine ou l'Inde. Chaque pays est légitime à vouloir défendre ses entreprises, mais il n'en est pas moins nécessaire d'avoir une politique commerciale commune à l'UE. Je souhaiterais que nous partagions nos expériences et nos points de vue, notamment à l'égard de la perspective d'un label « made in Europe » qui donnerait une visibilité mondiale à nos productions. Par ailleurs, la conjoncture est difficile dans toute l'UE, même si elle l'est encore plus en Italie qu'en France : ceci exige l'amélioration de la gouvernance économique, notamment du système bancaire, sous la supervision de la Banque centrale européenne. Le Gouvernement français, très sensible aux questions budgétaires, pourrait tenter de construire avec nous des positions communes face à d'autres alliés, plus rigides sur ces thématiques.
M. Vannino Chiti, président de la commission des politiques de l'Union européenne. - Le Sénat italien ne s'est pas prononcé sur le respect du principe de subsidiarité concernant la proposition de la Commission de création d'un parquet européen. Mais il a posé des questions de méthode, concernant les relations avec les États membres, et d'organisation interne du parquet européen. Hors subsidiarité, les commissions parlementaires du Parlement européen ne prennent pas toujours en compte les avis formulés par les parlements nationaux : je l'ai déploré à Bruxelles, aussi bien auprès du Parlement européen que de la Commission. La COSAC pourrait se saisir de questions importantes, qui seraient parallèlement discutées par les parlements nationaux. Avant le traité de Lisbonne, la COSAC déterminait ainsi les thèmes qui lui paraissaient importants à examiner : il faudrait, d'une manière ou d'une autre, reprendre cette pratique. Notamment, le thème de la pollution maritime est très sensible. Nous, Italiens, en sommes particulièrement convaincus, depuis le récent échouage du Costa-Concordia. De nouvelles règles plus sévères pour la navigation maritime ont été édictées par le Gouvernement italien et devraient entrer en vigueur très prochainement, concernant principalement Venise. Mais les règles en la matière ne peuvent rester nationales : nous devons agir ensemble, notamment en Méditerranée.
J'en reviens aux négociations commerciales. Le Sénat italien a demandé à être associé à l'élaboration des études de l'impact sur l'Italie des négociations commerciales ouvertes par l'UE. Il est souhaitable que les évaluations gouvernementales soient confrontées à celles réalisées indépendamment par les assemblées parlementaires.
Un mot enfin sur l'organisation du travail parlementaire en Italie : nous souffrons d'une emprise excessive de la séance plénière sur nos travaux. L'une des possibilités serait de réserver des semaines au travail en séance, d'autres au travail en commission.
M. Simon Sutour, président. - Avant de donner la parole à mes collègues, je voudrais faire quelques observations. Le travail parlementaire est aussi très compliqué en France puisqu'en ce moment-même, plusieurs commissions siègent parallèlement à la séance publique. Concernant l'ordre du jour, nous sommes passés d'un extrême à l'autre, puisque le Gouvernement ne dispose plus que de la moitié du temps parlementaire pour l'examen de ses projets de loi: le Sénat dispose désormais de semaines réservées à l'initiative parlementaire, où il adopte, parfois devant un hémicycle vide, des propositions de loi d'affichage qui ne sont que rarement transmises ensuite à l'Assemblée nationale, d'autres semaines sont réservées au contrôle parlementaire, pour lesquelles nous peinons à remplir l'ordre du jour. Les emplois du temps des parlementaires s'en trouvent étouffés, comprimés sur deux ou trois jours et tiraillés entre plusieurs réunions concomitantes.
La COSAC offre des occasions de rencontre importantes entre parlementaires d'États membres et aussi d'États candidats, mais elle est quelque peu corsetée par son règlement qui limite certaines initiatives.
Concernant le partenariat transatlantique, notre commission a adopté une proposition de résolution européenne, dont j'ai été rapporteur. Nous y avons insisté sur la nécessité de préserver l'exception culturelle, de défendre les appellations d'origine - ce qui fait écho à l'idée évoquée par nos collègues italiens d'un label UE, sur laquelle nous ne nous sommes pas encore penchés ici... Nous y avons aussi appelé à une étude d'impact nationale précise. Notre ministre en charge du commerce extérieur, Mme Bricq, est heureusement très combative. Elle associe le Parlement à son travail de négociation puisque, en réponse à notre demande, elle réunit un comité, dont je suis membre, auquel elle rend compte de l'avancée des négociations. Sur ce dossier très important, il me semble que la méthode de travail retenue est bonne.
M. André Gattolin. - Je voulais saluer la délégation italienne et le travail entrepris pour améliorer la qualité et les délais de transposition des directives. Hier à Bruxelles, où j'ai rencontré le commissaire Sefcovic, chargé des relations interinstitutionnelles et de l'administration, la Commission a indiqué que ces difficultés de transposition l'incitaient à recourir plutôt aux règlements qu'aux directives, ce qui doit nous rendre encore plus vigilant à l'égard de la subsidiarité.
Concernant les accords commerciaux, en ces temps où le bilatéralisme prime sur le multilatéralisme, j'ai eu l'occasion de m'impliquer plus précisément sur l'accord UE-Canada et de déplorer le défaut d'information dont souffrent les États membres. J'ai pu constater que les assemblées provinciales du Québec ou de l'Ontario sont mieux informées, en termes d'étude d'impact, y compris sur les États de l'UE , que nous ne le sommes dans chaque État membre. Le rejet par le Parlement européen du traité ACTA sur la contrefaçon a fait prendre conscience à la Commission du rôle que les parlements nationaux peuvent jouer en tant qu'intermédiaires. Mais je crois que nous devons encore insister pour obtenir des données plus précises par pays, nécessaires pour suivre l'impact des négociations en cours.
Je travaille en ce moment sur la notion de citoyenneté européenne, ce qui m'a conduit à m'intéresser aux participations des parlements nationaux aux consultations et livres verts émanant de la Commission européenne. La France y participe peu, contrairement à l'Allemagne et à ses Länder, qui y gagnent ainsi un pouvoir d'influence. Préoccupée par le rejet qui menace l'Europe, la Commission est apparue intéressée par les contributions des parlementaires nationaux en amont, qui pèsent naturellement plus à ses yeux que les contributions émanant d'individus ou d'entreprises isolées. Elle a aussi fait part de sa grande sensibilité à l'égard du « carton jaune » que les parlements nationaux lui ont infligé sur le texte « Monti II ». L'avis motivé du Sénat sur le parquet européen a visiblement préoccupé lui aussi la Commission, qui aurait voulu être prévenue plus en amont. Comment la commission des affaires européennes du Sénat italien s'implique-t-elle en amont des propositions législatives de la Commission européenne ?
M. Simon Sutour, président. - La Commission européenne semble en effet peiner à intégrer le nouveau pouvoir que confèrent les cartons jaunes, oranges et rouges aux parlements nationaux, rendus possibles par le traité de Lisbonne. Elle devrait mieux associer ces parlements en amont, lors de l'élaboration des textes. Il ne suffit pas de négocier avec la seule commission compétente du Parlement européen.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Bienvenue à nos collègues italiens et merci d'être venus au Sénat à Paris. Personnellement, je suis de ceux qui pensent que l'Europe va mal. En 2050, plus aucun pays européen ne figurera parmi les huit premières économies mondiales, alors qu'ils sont encore quatre aujourd'hui. Notre continent a eu le plus de difficultés à gérer la crise financière née en 2008 aux États-Unis et subit une montée du populisme et des nationalismes dans l'opinion publique. Le moteur franco-allemand n'a plus la même efficacité, notamment du fait du décrochage économique de la France, et les informations qui nous parviennent des négociations entre la CDU et les socialistes en Allemagne laissent penser qu'ils n'envisagent pas de grande modification institutionnelle européenne. Pourtant, la méthode intergouvernementale semble avoir atteint ses limites. Quel est l'état d'esprit et le jugement de votre gouvernement sur la situation générale de l'Europe ? Si, contrairement à ce que je crois et conformément à ce que j'espère, il y avait des avancées possibles au plan institutionnel pour passer d'une Europe économique à une Europe plus politique et pour mieux intégrer la zone euro, l'Italie serait-elle prête à aller de l'avant ou plutôt concentrée sur ses difficultés domestiques ?
M. Vannino Chiti, président de la commission des politiques de l'Union européenne. - Inutile de fermer les yeux : votre analyse de la situation européenne est conforme à la réalité. Sollicité par une université italienne pour évoquer la montée du populisme en Europe, j'ai approfondi la question : il est impressionnant de voir qu'hormis à Malte, Chypre et en Lettonie, les eurosceptiques, qui rassemblent évidemment diverses opinions nuancées, représentent plus de 40 voire de 50% de la population. Le gouvernement italien souhaite que le semestre de sa présidence permette de progresser sur le plan des évolutions institutionnelles. Aucun pays européen ne peut espérer une solution purement nationale à ses problèmes. Une seconde priorité du semestre sera la Méditerranée. Il est juste et il est beau de parler de démocratie supranationale ; mais la question est de voir quels pas concrets faire en ce sens. Selon nous, l'Europe doit avoir deux priorités : la politique de sécurité et les relations internationales, domaines où l'on peut agir sans révision des traités. Concernant la gouvernance de la zone euro, que le président Hollande a évoquée, il est important d'achever l'union bancaire, malgré les réticences allemandes, et il ne semble pas, en effet, que les discussions en cours sur la grande coalition allemande ouvrent les marges que l'on pouvait espérer. Sur ce point, l'Italie compte aboutir aux côtés de la France. Le deuxième aspect concerne l'éventuelle capacité budgétaire de la zone euro : cette réforme devrait permettre de prévenir les traumatismes sociaux qui nourrissent la méfiance que nous avons évoquée. Le Sénat italien souhaite prendre des initiatives en ce domaine.
Concernant notre implication en amont sur la préparation des textes européens, elle est insuffisante. Il nous faut changer nos méthodes de travail. Normalement, le Parlement italien travaille sur des actes déjà formalisés, alors que la méthode européenne est complétement différente : dès lors qu'un texte européen nous est soumis, notre seule arme est de soulever la subsidiarité. Le Sénat italien entend donc s'investir davantage dans la phase préparatoire des textes, en associant d'ailleurs des acteurs de la société civile ; il est paradoxal que les régions italiennes, représentées à Bruxelles, travaillent déjà sur cette phase préparatoire et soient institutionnellement consultées par les services de la Commission, mais pas l'Italie comme État membre.
Lors d'une réunion en Toscane, j'ai eu l'occasion de voir et d'admirer la manière dont l'Allemagne participe aux négociations avec la Commission européenne. Lors des négociations, l'Allemagne est représentée par le ministre compétent mais aussi par un représentant de la région chef de file sur le sujet, ce qui permet de faire masse au niveau national. Les régions italiennes ont des compétences législatives mais ne sont pas associées par le Gouvernement italien aux phases de négociation des textes européens : il y a là une contradiction qu'il nous faudra sans doute surmonter.
M. Roberto Cociancich. - La relation entre les citoyens européens et l'UE ressemble à celle d'un couple marié en crise. Toute crise matrimoniale repose sur des fautes partagées et l'Italie est partiellement coupable dans la crise de confiance de ses citoyens à l'égard de l'UE. Au prix de mesures d'austérité sévères, le déficit budgétaire est repassé sous la barre des 3 % du PIB mais le chômage atteint des niveaux inconnus, si bien que pour les citoyens, la participation à l'Europe ne semble pas apporter d'avantages. Parallèlement, l'Italie ne parvient pas à dépenser les fonds structurels qui lui sont alloués et risque de devoir abandonner 30 milliards d'euros à ce titre. Les citoyens italiens ne bénéficient donc pas autant qu'ils le pourraient des fonds européens, faute d'un véritable gouvernement en Italie. L'Europe a abandonné la dimension des grands projets et leur préfère des petits pas, qui apparaissent à beaucoup comme des pas en arrière. La constitution de l'UE représente la plus grande révolution politique de l'après-guerre ; il convient qu'une initiative de grande ampleur lui donne aujourd'hui un nouveau souffle, par le biais d'une intégration plus forte conduisant aux États-Unis d'Europe. Pour éviter l'Europe des populismes, il faut aller vers l'Europe des peuples où chacun ressent l'UE comme sa propre maison. Pour des raisons historiques, les pays du Sud de l'Europe sont plus sensibles à cette problématique : la France, l'Italie, l'Espagne pourraient donc unir leurs forces pour aller dans cette direction.
M. Vannino Chiti, président de la commission des politiques de l'Union européenne. - La difficulté à consommer les fonds structurels s'observe surtout dans certaines régions d'Italie, notamment au Sud. Je tiens aussi à préciser que le chiffre de 30 milliards est sans doute exagéré : le gouvernement s'emploie à consommer les crédits et 25 milliards sont déjà engagés. Les 5 milliards restants seront réorientés sur d'autres programmes. L'enjeu pour les crédits européens est de créer un véritable changement là où ils sont dépensés : il ne sert à rien de saupoudrer des crédits dans plusieurs centaines de projets. L'objectif pour 2014-2020 est de les concentrer sur 50 à 60 projets qui marquent la vie locale.