- Mercredi 23 octobre 2013
- Politique de voisinage - Point d'actualité sur le partenariat oriental : communication de M. Simon Sutour
- Politique de voisinage - Accord d'association avec l'Ukraine (textes E 8350 et E 8682) : communication de M. Gérard César
- Politique de voisinage - L'Arménie et l'Union européenne : communication de M. Bernard Piras
- Jeudi 24 octobre 2013
Mercredi 23 octobre 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président. -Politique de voisinage - Point d'actualité sur le partenariat oriental : communication de M. Simon Sutour
M. Simon Sutour, président. - La politique de l'Union européenne en direction de l'Est comporte deux aspects principaux : les relations avec la Russie, et le Partenariat oriental, cette politique de voisinage avec l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie.
Jean Bizet et moi-même pensions vous présenter aujourd'hui un rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Russie à la suite du déplacement que nous y avons fait cet été. Cependant, les deux composantes de la politique à l'est de l'Union européenne sont dans un équilibre très fragile. À l'approche du prochain sommet du Partenariat oriental, qui se tiendra à Vilnius les 28 et 29 novembre, la Russie tente de regrouper la plupart des États issus de l'ex-URSS, dont ceux du Partenariat oriental, et de les rallier à son Union économique eurasiatique composée pour l'heure de la Biélorussie et du Kazakhstan.
Nous tirons un bilan plutôt positif des entretiens que nous avons eus à haut niveau en Russie. Mais plaider pour une approche plus constructive des relations entre l'Union européenne et la Russie risquerait d'être mal interprété dans le contexte actuel, voire instrumentalisé. Il est de meilleure méthode de reporter la présentation de ce rapport après le sommet du Partenariat oriental, de manière à avoir tous les éléments en main. Une attitude plus constructive avec la Russie ne peut s'envisager au détriment du Partenariat oriental, orientation importante de l'action européenne.
Ce partenariat avait été lancé en mars 2009 par le Conseil européen et officialisé lors du sommet de Prague en juin 2009. Le sommet suivant s'est tenu à Varsovie en septembre 2011 et a été considéré comme un succès. Les réalisations ne sont en effet pas négligeables : progrès dans l'ouverture commerciale, assouplissement du régime des visas, développement de la coopération en matière d'énergie et d'environnement. En matière de démocratie et de droits de l'homme, le bilan est malheureusement moins convaincant.
La France a toujours soutenu le processus du Partenariat oriental tout en plaidant pour le respect de son cadre initial : il ne s'agit pas d'en faire une antichambre pour l'adhésion à l'Union, qui est une question totalement distincte. Notre pays a en outre toujours plaidé pour maintenir l'équilibre entre les deux volets de la politique de voisinage : la politique orientale et la politique vis-à-vis de la rive Sud de la Méditerranée, un tiers des crédits allant à l'Est et deux tiers au Sud.
Le sommet de Vilnius sera un révélateur. Une fois clarifiées les relations avec les pays du Partenariat oriental, nous nous prononcerons sur l'évolution des relations entre l'Union européenne et la Russie en toute connaissance de cause, sans doute en décembre ou en janvier prochains.
Politique de voisinage - Accord d'association avec l'Ukraine (textes E 8350 et E 8682) : communication de M. Gérard César
M. Simon Sutour, président. - Gérard César suit depuis des années nos relations avec l'Ukraine. J'ai reçu voici quelques semaines Leonid Kojara, le ministre des affaires étrangères d'Ukraine, que j'avais connu alors qu'il était vice-président de la commission des affaires étrangères. J'espère que la signature de l'accord d'association interviendra fin novembre à Vilnius.
M. Gérard César. - Notre commission suit en effet depuis plusieurs années la situation de l'Ukraine, pays-clé dans la politique de voisinage oriental de l'Union européenne. L'actualité nous y ramène : la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine sera l'un des principaux enjeux du sommet du Partenariat oriental à Vilnius, les 28 et 29 novembre prochains. Celui-ci procède à un rapprochement politique et instaure une zone de libre-échange complète et approfondie entre les deux entités. Nous devons nous prononcer sur les deux textes autorisant la signature et l'application provisoire de l'accord que le gouvernement nous soumet aux termes de l'article 88-4 de la Constitution. La signature de cet accord est en partie liée au sort qui sera réservé à Ioulia Tymochenko, que nous avions rencontré en 2009, le jour où elle a perdu sa majorité à la Rada.
La commission de Venise ayant demandé à l'Ukraine d'importants efforts pour se rapprocher des standards démocratiques européens, le Parlement, la Rada, a adopté des réformes relatives à l'organisation des élections et au statut du Parquet. Leur mise en oeuvre a été favorablement accueillie, même si des améliorations sont toujours possibles.
Le fait important est le consensus politique autour de l'accord avec l'Union européenne. Une large majorité des partis politiques pense désormais que l'avenir de l'Ukraine passe par l'accord avec l'Union européenne plutôt que par une intégration dans l'Union douanière proposée par la Russie, et près de 60 % de la population ukrainienne soutiennent cette orientation.
La chose n'était pas acquise. Le président Viktor Ianoukovitch était considéré comme pro-russe, et Moscou a exercé une forte pression sur l'Ukraine afin de l'empêcher de signer un accord avec l'Union européenne, utilisant le gaz comme outil d'influence. Elle a pourtant sous-estimé la volonté d'émancipation de l'Ukraine à son égard. Le président Ianoukovitch et les oligarques qui le soutiennent préfèrent un accord avec l'Union européenne plutôt que de rejoindre une union douanière dont les orientations seraient définies à Moscou. L'ensemble de la classe politique et économique pense surtout qu'un accord avec l'Union européenne favorisera le développement et la modernisation de l'Ukraine.
Reste la justice sélective : le pouvoir ukrainien maintient en effet en prison un certain nombre d'opposants, pour des chefs d'accusation en partie politiques. L'Union européenne a demandé la fin de cette forme de persécution, incompatible avec notre idée de la justice. Une grande partie des opposants sont sortis de prison, mais pas Mme Tymochenko, bien que son état de santé exige des soins. Le régime ukrainien a prétexté que sa législation faisait obstacle à la proposition allemande de l'accueillir pour l'opérer.
Le Parlement européen a désigné l'irlandais Pat Cox, ancien président du Parlement européen, et Alexandre Kwasniewski, ancien président polonais pour tenter de trouver une solution diplomatique. Les deux émissaires ont effectué 22 visites en Ukraine depuis l'été 2012 et ont rendu un rapport au président du Parlement européen Martin Schulz le 15 octobre dernier. En dépit de réelles avancées, comme la libération de l'ancien ministre de l'Intérieur Lutsenko, ils estiment que les conditions relatives à la justice sélective fixées par le Conseil européen de décembre 2012 pour la signature de l'accord d'association ne sont pas remplies. La situation de Ioulia Tymochenko en est le symbole.
Légitimement, celle-ci refuse de demander la grâce présidentielle. De son côté, M. Ianoukovitch ne veut pas que sa rivale revienne dans le jeu politique avant l'élection présidentielle de 2015. C'est pourquoi les émissaires européens ont proposé une grâce présidentielle partielle pour des raisons humanitaires impliquant la levée de sa peine d'emprisonnement mais le maintien de son inéligibilité et des sanctions financières prononcées à son encontre. Le président Ianoukovitch a toutefois préféré demander à la Rada d'adopter une nouvelle loi autorisant les prisonniers à bénéficier de soins à l'étranger si ceux-ci ne sont pas prodigués en Ukraine. La mission des émissaires européens est prolongée jusqu'au 16 novembre... Bref, le ballet diplomatique continue.
Je vous propose, dans la continuité des positions que nous avons exprimées, de lever la réserve du Sénat sur les textes que nous soumet le Gouvernement. La France fait partie des pays les plus exigeants avec l'Ukraine en matière de respect de l'État de droit. L'Ukraine a effectué beaucoup de progrès et c'est tout un pays qui se tourne vers l'Union européenne. L'accord aura de grandes conséquences en matière de libertés démocratiques et d'indépendance de la justice. Profitant aux deux parties, sans couper l'Ukraine de la Russie, qui restera un partenaire incontournable, il constitue un levier pour la modernisation de ce pays sans l'écarter de son environnement.
M. Simon Sutour, président. - Avant le sommet de Vilnius, le Conseil des ministres des affaires étrangères se réunira pour se prononcer sur la ratification de l'accord d'association le 19 novembre, soit à une date suffisamment éloignée pour que les deux émissaires maintiennent la pression sur Kiev. C'est une situation difficile : l'Ukraine est un pays incontestablement européen. Gérard César et moi-même en avions été particulièrement frappés en 2010, à l'occasion d'une conférence que nous avions donnée à l'Alliance française de Kiev. C'est un grand pays, qui compte plus de 45 millions d'habitants. Nous avons tout intérêt à l'arrimer au bloc démocratique européen.
M. Aymeri de Montesquiou. - Dire que l'Ukraine est incontestablement européenne est audacieux. L'Eglise moscovite est issue de celle de Kiev. Cyrille et Méthode ont converti la Russie.
M. Simon Sutour, président. - La Russie, c'est aussi l'Europe !
M. Aymeri de Montesquiou. - Bien qu'Anne de Kiev ait épousé Henri Ier de France, le pays a toujours été plus proche de la Russie. Sa population parle à 40% ou 50% le russe, et non l'ukrainien... La base russe de Sébastopol pose toujours problème. Quant à Mme Tymochenko, une rumeur prétend qu'elle aurait bénéficié de faveurs sur des contrats gaziers, et nous ne sommes pas en position de dire si son procès a été faussé ou non. Bref, l'Occident moralisateur et arbitre continue de donner des leçons aux autres.
M. Simon Sutour, président. - Le problème de Sébastopol est réglé : le président Ianoukovitch, dès les élections, a signé une prolongation de 30 ans de la base militaire russe, en échange d'un accord sur le prix du gaz.
M. Aymeri de Montesquiou. - Si l'on remonte à Henri Ier, 30 ans, ce n'est rien...
M. André Gattolin. - Le rapprochement avec l'Ukraine a fait l'objet d'une étude d'impact globale, même si nous n'avons aucune information sur les conséquences de ce partenariat au niveau des États membres. Je considère que toute nation a vocation à entrer dans l'Europe dès lors que toutes deux ont une culture et des valeurs démocratiques communes, mais cela n'empêche pas d'évaluer plus finement les gains attendus d'une telle opération.
M. Simon Sutour, président. - C'est un marché de 46 millions d'habitants...
M. André Gattolin. - Certes, mais a-t-on des éléments chiffrés au niveau de chaque État membre ? De plus, la signature d'un traité de libre-échange pose nécessairement la question de l'intégration européenne. L'Ukraine a été une puissance nucléaire...
M. Aymeri de Montesquiou. - Elle y a renoncé.
M. Alain Richard. - L'Ukraine a totalement désarmé.
M. André Gattolin. - J'ai de la sympathie pour l'Ukraine, que je connais un peu - j'avais découvert le nationalisme ukrainien à l'époque où j'ai rencontré Léonide Pliouchtch. La finalité de l'intégration est la démocratisation du pays, la remise à plat de son système judiciaire... Mais que peut-on en attendre en retour, sur le plan économique, géostratégique ?
M. Gérard César. - L'accord favorisera les échanges commerciaux. L'Ukraine compte 46 millions d'habitants. C'est le huitième producteur mondial d'acier. L'étude d'impact réalisée à l'échelle européenne est publique.
M. Aymeri de Montesquiou. - Quelle est la position de l'Ukraine dans la production mondiale de blé ?
M. Gérard César. - En matière judiciaire, le cas de l'ancienne Premier ministre est caricatural. Cet accord dynamisera la vie démocratique du pays. Les réformes examinées par la Rada lorsque nous y étions ont été mises en oeuvre.
M. Simon Sutour, président. - L'accord d'association n'est toutefois pas une préadhésion. Il n'y a pas, monsieur de Montesquiou, d'un côté les pays parfaits...
M. Aymeri de Montesquiou. - ... dont nous serions !
M. Simon Sutour, président. - ...et de l'autre les pays imparfaits. Il y a des pays plus ou moins démocratiques. La corruption existe chez nous, même si nous sommes moins imparfaits que certains autres.
Les études d'impact sont sans doute incomplètes, monsieur Gattolin, mais chaque pays participe à des réunions sectorielles à Bruxelles, par exemple sur les appellations d'origine. Quant à la capacité agricole de l'Ukraine, elle possède 22% des terres arables en Europe.
M. Jean-Paul Emorine. - Soit l'espace agricole français...
M. Simon Sutour, président. - À nouveau, je précise qu'il ne s'agit pas aujourd'hui d'ouvrir à l'Ukraine une perspective d'adhésion à l'Union européenne ou même de reconnaître une vocation à adhérer, contrairement à ce qui a été fait pour les pays des Balkans.
M. Aymeri de Montesquiou. - Le procès de Mme Tymochenko était-il vraiment une parodie de justice ?
M. Gérard César. - La désignation par le Parlement européen de deux émissaires est importante et nous aidera à avoir tous les éléments. Ils rendront un rapport objectif et précis avant le sommet de Vilnius.
M. Simon Sutour, président. - Au-delà du problème juridique se pose un problème politique. C'est une ancienne Premier ministre, que le président Poncelet avait d'ailleurs reçue en son temps. Ces pays sont d'ex-républiques soviétiques : il faut les aider à se démocratiser, sans leur donner de leçons - je rejoins M. de Montesquiou sur ce point. Quand le président du Bundestag s'est un jour permis de donner des leçons à un diplomate roumain, je lui avais rappelé qu'il est de grandes nations dont les présidents ont été contraints à la démission pour défaut de probité morale...
M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le rapporteur, vous avez dit que l'Ukraine ne devait pas se couper de la Russie : qu'entendiez-vous par là ?
M. Gérard César. - La Russie l'approvisionne en gaz, et elle a déjà coupé le robinet ! Je voulais surtout dire qu'il ne faut pas nécessairement placer l'Ukraine devant une alternative entre la Russie et l'Europe.
M. Simon Sutour, président. - L'Ukraine est un pont : elle peut passer un accord d'association avec l'Union européenne et garder des relations étroites avec la Russie. Les Russes sont présents en Crimée...
M. Aymeri de Montesquiou. - A Donetsk également.
M. Simon Sutour, président. - Ce n'est pas la même chose. La Crimée a été donnée à l'Ukraine par Khrouchtchev - qui n'imaginait pas qu'elle serait un jour indépendante.
M. Jean-Paul Emorine. - Nous aurions pu évoquer la Russie en même temps. Il faut parler directement aux Russes. Dans le monde géopolitique de demain, fait de grands ensembles, l'Union européenne ne pèsera pas grand-chose. Par conséquent, il faut y arrimer ces pays, dotés d'importantes ressources.
M. Simon Sutour, président. - Nous sommes par conséquent unanimes à accepter la levée de notre réserve d'examen parlementaire.
La commission unanime lève la réserve d'examen parlementaire.
Politique de voisinage - L'Arménie et l'Union européenne : communication de M. Bernard Piras
M. Bernard Piras. - Je vous ai présenté en janvier dernier deux types d'accords entre l'Union européenne et l'Arménie. Le premier élargissait l'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la République d'Arménie, entré en vigueur en 1999. Le second libéralisait le régime des visas. L'ambition affichée derrière ces textes était de parvenir à la mise en place d'une vaste zone de libre-échange entre l'Arménie et l'Union européenne. C'est d'ailleurs à cette fin qu'un accord d'association a été provisoirement approuvé le 24 juillet dernier, après 4 ans de négociations. Le sommet du Partenariat oriental qui se tiendra le 28 novembre prochain devrait être l'occasion de formaliser cet accord.
L'annonce, le 3 septembre dernier, par le président arménien du souhait de son pays de rejoindre l'Union douanière eurasiatique proposée par Moscou et qui réunit déjà la Biélorussie et le Kazakhstan est venue bouleverser cette perspective.
Ce faisant, le chef de l'État arménien, Serge Sarkissian, remet, en effet, en cause une ligne européenne qu'il a lui-même tracée il y a trois ans. Erevan misait beaucoup sur un approfondissement des négociations avec l'Union européenne, comme en témoignent les protocoles signés en début d'année et le projet d'accord d'association. Mais, entendons-nous bien, l'Arménie ne souhaitait pas dans le même temps, renoncer à ses liens avec la Russie. Même si elle n'envisageait initialement qu'un simple statut d'observateur au sein de l'Union eurasiatique.
Erevan a toujours refusé d'envisager l'Union européenne comme une alternative à son partenariat avec la Russie. Par ailleurs, et j'insiste sur ce point, l'Arménie n'a jamais, à la différence de la Géorgie, de la Moldavie ou de l'Ukraine, envisagé une adhésion à l'Union européenne.
Cette pratique du pas de deux se retrouve en matière militaire. Je note ainsi que son alliance stratégique de près de vingt ans avec Moscou n'a pas empêché l'Arménie de signer un plan d'action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l'OTAN et d'effectuer dans la foulée des manoeuvres communes avec les États-Unis.
Bien que de plus en plus net ces dernières années, le rapprochement avec l'Union européenne ne pouvait occulter un fait assez simple en Arménie : la situation géo-stratégique du pays a toujours prévalu sur toute dynamique politique intérieure. Le choix d'adhérer à l'Union douanière eurasiatique est ainsi, à des degrés divers, contraint.
Ne négligeons pas, en effet, l'enclavement géographique de l'Arménie, exacerbé par la fermeture de ses frontières avec l'Azerbaïdjan mais aussi avec la Turquie. La frontière turque constitue sa seule voie d'accès vers l'Union européenne. La défense des frontières, et plus précisément celles du Karabagh, a déjà motivé la signature du partenariat stratégique avec Moscou en 1995, qui fut révisé en 2010. L'Arménie est engagée depuis 2004 dans une course aux armements avec l'Azerbaïdjan qu'elle ne peut assumer. Rappelons tout de même que le budget de la défense arménien s'élève à 450 millions de dollars en 2013 quand celui de l'Azerbaïdjan atteint 3,7 milliards de dollars. Aux termes de l'accord révisé, la Russie s'engage à garantir complètement la sécurité de l'Arménie. 5 000 soldats russes stationnent ainsi à Erevan et Gumri, entre 3 000 et 4 500 hommes du FSB -l'ancien KGB - surveillent par ailleurs les frontières avec la Turquie et l'Iran. Un accord de coopération militaro-technique signé le 25 juin dernier permet en outre la fourniture d'un équipement moderne et spécial, à prix avantageux, alors que Moscou vend du matériel semblable mais au prix fort à l'Azerbaïdjan. L'Union douanière intégrerait d'ailleurs spécifiquement le Karabagh, ce qui n'était pas prévu par l'accord d'association avec l'Union européenne.
L'approvisionnement énergétique est également déterminant pour appréhender les relations russo-arméniennes. La hausse du prix du gaz russe le 7 juillet dernier, qui est passé de 180 dollars les 1 000 m3 à 270 dollars devrait ainsi réduire de moitié le taux de croissance du PIB. Les augmentations enregistrées entre 2006 et 2008 avaient déjà débouché sur un fort endettement du pays et une vague d'émigration. Erevan ne peut se risquer à une nouvelle hausse. La Russie assure par ailleurs l'approvisionnement de combustible nucléaire pour la centrale de Metzamor, qui fournit 40 % de l'électricité arménienne.
Les transferts financiers provenant de personnes physiques résidant en Russie ne sont pas non plus à négliger pour analyser les rapports entre les deux États. En janvier-février 2013, le montant de ces flux financiers a atteint 150,5 millions de dollars, soit cinq fois le montant du déficit budgétaire en 2012. 1,5 million d'Arméniens travaillent ainsi en Russie et bénéficient d'une exemption de visas.
L'adhésion au projet russe est, en outre, liée, selon les autorités arméniennes, à des raisons économiques. La Russie reste le premier partenaire commercial de la petite république. Les produits transformés et agro-alimentaires sont principalement vendus dans les pays de la Communauté des États indépendants. L'intégration au sein de l'Union douanière devrait également se traduire par des investissements russes dans le domaine des transports ferroviaires, la compagnie russe des chemins de fer RJD devrait ainsi financer à hauteur de 500 millions de dollars le désenclavement de l'Arménie, au travers de l'ouverture d'une voie vers la Russie, via l'Abkhazie. Une nouvelle tranche de la centrale de Metzamor devrait également être construite sur fonds russes. On peut cependant s'étonner de voir l'Arménie rejoindre un cercle douanier réunissant de grands pays exportateurs d'énergie, qui ne considèrent pas l'Arménie comme une priorité commerciale et avec lesquels elle ne dispose d'aucune frontière commune.
L'adhésion à l'Union douanière eurasiatique n'est également pas sans susciter des interrogations quant à la poursuite de la démocratisation et de la libéralisation économique. Celles-ci étaient encouragées par l'Union européenne, qui jouait un vrai rôle d'aiguillon modernisateur. Or, l'Arménie a énormément progressé depuis 5 ans, comme en témoignent la refonte du système judiciaire, l'encadrement amélioré des forces de l'ordre ou la lutte contre la corruption. Le principe « more for more » - plus de fonds contre plus de réformes - au coeur de la politique de voisinage a joué un rôle indéniable. Les crédits européens versés à l'Arménie ont ainsi augmenté d'année en année, compte tenu des progrès constatés.
Qu'en sera-t-il, si l'intégration au sein de l'Union douanière signifie la fin des négociations avec l'Union européenne ? N'existe-t-il pas, par ailleurs, un risque de contamination du modèle économique russe, les oligarques locaux préservant leurs avantages menacés par l'ouverture européenne ?
Je ne crois pas pour autant qu'il faille assimiler l'annonce de l'adhésion à l'Union douanière eurasiatique à un choix de civilisation. Cette adhésion à l'Union douanière ne suscite, par ailleurs, pas d'enthousiasme en Arménie, en particulier au sein de la jeunesse très attachée à la perspective européenne ouverte par l'accord d'association. Plus largement, la société civile voit dans l'adhésion à l'Union douanière une marque d'allégeance à Moscou et s'inquiète de l'avenir du pays.
Cette décision est avant tout le fruit d'un certain pragmatisme. Je n'occulterai pas non plus le fait que cette adhésion répond à une forme de pression de la part de la Russie. L'augmentation des prix du gaz a constitué le premier signal. La visite en août dernier du président russe en Azerbaïdjan a également pu conduire Erevan à renforcer son partenariat avec Moscou. Pression que subissent également la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine et qui prend des formes diverses. La Moldavie fait, à cet égard, figure de cas d'école : embargo russe sur les importations de vin, risque sur les produits agricoles et augmentation du prix du gaz. Chisinau craint désormais des tensions sur son territoire, en Gagaouzie ou en Transnistrie.
Je n'insisterai pas sur le fait que le Partenariat oriental est source d'inquiétude pour Moscou, qui le considère, depuis la guerre contre la Géorgie en 2008, comme un projet régional anti-russe. La création d'une zone de libre-échange aux portes de la Russie est en effet considérée comme l'équivalent d'une « nouvelle révolution orange ». Il s'agit donc pour les autorités russes d'aller vite, l'adhésion à l'Union douanière constituant une arme efficace pour rendre caduque la signature d'accords d'association le 28 novembre prochain à Vilnius.
Je m'interroge donc sur les déclarations entendues ici et là, et notamment celles du commissaire à l'élargissement ou des ministres des affaires étrangères lituanien et suédois, dénonçant violemment la décision arménienne et refusant de négocier un accord partiel lors du sommet de Vilnius. L'intransigeance affichée à l'égard d'Erevan par Bruxelles est sans doute motivée par la volonté de faire un exemple et dissuader les pays voisins de rejoindre l'Union douanière eurasiatique. Néanmoins ces déclarations pourraient être contreproductives. Il y a un risque de renforcer un peu plus l'influence de la Russie en Arménie.
Je conçois que la déclaration du 3 septembre puisse être vécue comme un camouflet pour la Commission européenne. Bruxelles n'a, apparemment, jamais été informée par Erevan des discussions qu'elle menait avec Moscou. Il me semble néanmoins que l'Arménie reste très attachée à poursuivre le travail déjà accompli en vue de la signature de l'accord d'association.
Il convient donc d'envisager avec recul la situation et de ne pas faire de ce pays un « fusible » dans le jeu compliqué des relations entre la Russie et l'Union européenne. Je préférerais que nous l'envisagions plutôt comme un pont entre Moscou et Bruxelles. L'Arménie est « déjà trop engagée au milieu du gué » pour reprendre la formule utilisée par certains observateurs locaux.
N'oublions pas non plus que l'adhésion à l'Union douanière eurasiatique révèle aussi en creux les limites du projet européen : perspectives à long terme incertaines, aide financière limitée et surtout, absence de garantie en matière de sécurité, avec, je le répète, la question du Karabagh en filigrane.
L'Union européenne commettrait une faute en mettant en sommeil ses relations avec l'Arménie. Nous devons comprendre la position de l'Arménie, soumise à de fortes contraintes. Mais comment faire pour relancer la coopération entre l'Arménie et l'Union européenne sur de nouvelles bases ?
L'appartenance à l'Union douanière eurasiatique remet en cause mécaniquement l'adhésion à la zone de libre-échange complet et approfondi (DCFTA) prévue par l'accord d'association avec l'Union européenne. L'accord signé avec la Russie porte précisément sur des lignes tarifaires couvrant la quasi-totalité des échanges commerciaux entre l'Union européenne et l'Arménie. Le tarif commun de l'Union douanière avec la Russie est ainsi appelé à se substituer à celui négocié par l'Union européenne avec l'Arménie. Ce tarif extérieur de l'Union douanière avec la Russie est par ailleurs plus élevé que celui pratiqué par l'Arménie aujourd'hui. Par ailleurs, dans le cadre de l'Union douanière eurasiatique, l'Arménie est tenue de déléguer à la Commission de l'Union douanière les négociations commerciales, à l'instar de ce que font les États membres de l'Union européenne avec la Commission européenne. Ce qui est précisément incompatible avec l'accord de libre-échange complet et approfondi : les tarifs douaniers ne seraient en effet plus négociés avec Erevan mais avec la Commission de l'Union douanière eurasiatique.
L'accord d'association tel qu'envisagé initialement couvrait cependant deux champs : l'intégration économique et l'association politique. Si le volet commercial tombe, rien ne s'oppose pour autant à ce que nous poursuivions sur la voie politique. Je pense ainsi aux coopérations qu'il est possible de prolonger ou de mettre en oeuvre en matière de PESC, de justice et affaires intérieures, de transports, d'énergie, d'environnement ou dans le domaine social. Il conviendrait à cet effet de modifier le mandat confié à la Commission pour mener à bien l'accord d'association.
Il est également indispensable de mesurer les conséquences financières pour l'Arménie de la suspension des négociations. Une enveloppe de 157 millions d'euros lui était attribuée sur la période 2010-2013. 100 millions d'euros étaient notamment prévus pour la mise en place de l'accord de libre-échange approfondi et complet. S'il est possible de réaffecter les crédits pour 2013, les conventions de financement n'ayant pas encore été signées, les crédits programmés pour 2012 et non encore versés pourraient ne pas être distribués. Cette somme est estimée à 75 millions d'euros, soit près de deux fois et demi le montant du déficit budgétaire arménien. Couper le robinet européen reviendrait, à n'en pas douter, à renforcer l'emprise russe.
Je comprends qu'aujourd'hui la priorité ne soit pas à la préparation d'un nouvel accord avec l'Arménie. L'Union concentre désormais ses efforts sur la signature des accords d'association prévus avec la Géorgie - qui a pu paraître hésitante ces derniers temps -, la Moldavie et surtout l'Ukraine. Il convient néanmoins d'oeuvrer en faveur de la signature d'un nouveau type d'accord entre l'Union européenne et l'Arménie, si nous souhaitons que les efforts accomplis jusque-là n'aient pas été vains. Il s'agit dans le même temps de garantir une forme de capacité d'attraction de l'Union européenne, mise à mal par le lancement de l'Union douanière eurasiatique. Le maintien de l'intérêt politique du Partenariat oriental est à ce prix.
M. Simon Sutour, président. - Il est difficile d'être simultanément membre de la communauté eurasiatique et de signer un accord d'association complet avec l'Union européenne. L'Arménie voulait en quelque sorte jouer sur les deux tableaux.
M. Bernard Piras. - Il y a quelques semaines, lorsque le président Bel a reçu le président de la république arménienne, il lui a posé la question de l'union douanière. Sa réponse a été quelque peu évasive. Il semble néanmoins avoir préféré la sécurité à la souveraineté. Son choix est donc fait : l'Arménie a opté pour l'Union douanière eurasiatique, sous la pression russe. Les liens militaires sont forts, l'Azerbaïdjan menace... Je note cependant que le commissaire tefan Füle a, ces derniers jours, nuancé ses déclarations. Je plaide donc plus que jamais pour que des liens d'association politique avec l'Arménie soient maintenus, afin de favoriser la démocratisation du pays.
Sur le plan économique, la question de la pertinence d'un accord de libre-échange complet et approfondi reste posée. L'absence de frontière - Géorgie mise à part - pour faire transiter les échanges commerciaux pose problème. L'étude d'impact existante estime que, en cas d'accord, l'importation de denrées alimentaires aurait été favorisée, et la production agricole freinée. Bref, la création de cette zone de libre-échange aurait été difficile.
M. Simon Sutour, président. - La sécurité est un autre problème. L'action européenne à l'occasion de la crise géorgienne n'a pas dû rassurer l'Arménie, qui reste un petit pays...
Jeudi 24 octobre 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président. -Politique de voisinage - La politique méditerranéenne de l'Union, l'exemple du Maroc et de la Tunisie : rapport d'information et proposition de résolution européenne de M. Simon Sutour, Mmes Bernadette Bourzai, Catherine Morin-Desailly et M. Jean-François Humbert
M. Simon Sutour, président. - Bernadette Bourzai, Catherine Morin-Desailly, Jean-François Humbert et moi-même nous sommes rendus au Maroc et en Tunisie du 1er au 6 septembre derniers afin d'évaluer sur place la perception qu'avaient ces pays de la politique méditerranéenne de l'Union européenne, 18 mois après le printemps arabe.
Quinze ans après son lancement à l'occasion du processus de Barcelone, la politique méditerranéenne de l'Union européenne a été en effet profondément bouleversée par ces événements. Concentrée jusque-là sur les aspects commerciaux ou le lancement de grands projets, l'Union européenne n'avait pas anticipé les profondes mutations socio-politiques qui ont conduit à l'explosion de janvier 2011.
Le printemps arabe a révélé une vision européenne des enjeux méditerranéens décalée par rapport à la réalité politique et sociale des États de la rive Sud de la Méditerranée. Le processus de Barcelone puis l'Union pour la Méditerranée étaient plus motivés par la volonté de certains États membres de l'Union européenne d'intensifier leurs échanges commerciaux avec les pays de la rive Sud et de développer une coopération en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des flux migratoires que d'oeuvrer véritablement à la promotion des valeurs reconnues par l'Union européenne.
La réaction de l'Union européenne a cependant été efficace, puisqu'elle a mis en place dès le mois de mars 2011 de nouveaux instruments financiers dédiés à cette région, mais aussi des programmes destinés à consolider les réformes démocratiques. Un nouveau fonds de soutien au partenariat, à la réforme et à la croissance inclusive : le programme SPRING, doté de 350 millions d'euros, a ainsi été créé. Les initiatives soutenues par ce programme se concentrent sur les défis socioéconomiques urgents auxquels doivent faire face les pays concernés (60 % des crédits) et sur l'accompagnement du processus de transition démocratique (40 % des crédits). Les financements s'effectuent sur la base d'une évaluation des avancées du pays en matière démocratique, selon le principe « More for more ». Plus un pays est engagé sur la voie de la modernisation politique et institutionnelle, plus le financement est important. Dès le lancement du programme, l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie ont bénéficié de ces fonds. Des négociations pour la signature d'un accord de libre-échange complet et approfondi avec ces quatre pays ont également été lancées. Le Maroc fait figure, à cet égard, de bon élève : il est le plus motivé et le plus avancé.
Je le rappelais hier, la priorité accordée ces dernières semaines au volet oriental de la politique européenne de voisinage dans la perspective du sommet de Vilnius du 28 novembre 2013 ne peut l'être au détriment des actions déjà menées dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée. L'Union européenne doit poursuivre son action en faveur du développement politique, économique et social de la région au travers de formules innovantes, à l'instar du Statut avancé mis en oeuvre avec le Maroc. Le printemps arabe et ses conséquences justifient pleinement le maintien du financement actuel de la politique européenne de voisinage : un tiers des crédits pour les pays du partenariat oriental et les deux tiers restants pour la rive Sud de la Méditerranée. Il s'agit désormais d'accompagner la consolidation démocratique en cours dans ces pays, qu'ils soient plus ou moins bien avancés sur cette voie.
Reste à utiliser de façon optimale ces fonds. Les dispositions prises par l'Union européenne pour accompagner le printemps arabe sont parfois comparées à l'effort entrepris au moment de la chute du Mur de Berlin, en direction de l'Europe centrale et orientale. Cette comparaison doit cependant être évitée. Si, au début des années 90, l'Union européenne pouvait développer des instruments uniformes à destination de pays issus d'un même bloc, le printemps arabe appelle des réponses plus ciblées. Les pays de la rive Sud de la Méditerranée ne présentent pas tous le même degré d'évolution démocratique, comme en témoignent les soubresauts égyptiens, les tensions claniques en Libye ou, bien évidemment, la poursuite de la guerre civile en Syrie.
L'approche ciblée par pays ne doit pas pour autant exclure une approche transversale, afin de mettre en oeuvre une véritable coopération intercontinentale. Elle doit permettre aux États de la rive Sud de la Méditerranée de ne pas forcément regarder vers les États-Unis, la Turquie ou les monarchies pétrolières du Golfe persique pour faire face aux défis de la modernité. Il importe ainsi que l'Union européenne encourage une véritable unification du Maghreb. Le coût du non-Maghreb est estimé entre 1 et 2 points de croissance pour chacun des États concernés, quand bien même un accord de libre-échange unit Égypte, Tunisie et Maroc. Moins de 10 % des échanges dans la région méditerranéenne se font entre États de la rive Sud. Un tel processus permettrait également de faire de la rive Sud de la Méditerranée le point de contact pour permettre aux entreprises européennes de pénétrer le marché africain.
Au-delà de la question économique, une coopération transversale présente un réel intérêt stratégique, en vue notamment de lutter contre les mouvances islamistes au Sahel et au Sahara. Le combat contre ces groupes radicaux passe indubitablement par un partenariat avec les pays de la zone, eux même soumis à ces menaces.
Nous détaillons avec mes collègues, dans le rapport et la proposition de résolution européenne qui lui est annexée, les institutions sur lesquelles l'Union européenne pourrait s'appuyer pour faire avancer une telle coopération transversale, de l'Union pour la Méditerranée à la Communauté des États sahelo-sahariens, en passant par le dialogue « 6+6 » ou l'Union du Maghreb arabe. La question des migrations pourrait également être traitée à ce niveau.
Pour conclure, je m'attarderai quelques instants sur la situation des deux pays dans lesquels nous nous sommes déplacés, le Maroc et la Tunisie.
Le Maroc fait incontestablement figure de bon élève dans la zone. Sous l'impulsion du roi, il a su anticiper le printemps arabe, s'engageant sur la voie de la démocratisation dès 1999. La Constitution, adoptée en 2011, est venue couronner cette logique. Elle met en place un régime parlementaire, garantissant les droits fondamentaux. Sur le plan économique, le lancement du projet Tanger Med en 2001 a rapproché un peu plus ce pays du continent européen, ouvrant clairement le marché africain aux entreprises du Vieux continent. Le port de Tanger disposera d'ailleurs d'ici à 2015-2016 de la même capacité de traitement de conteneurs que celui de Rotterdam. Restent bien évidemment des défis sociaux auxquels le pays est confronté, je pense au chômage des jeunes, à la formation, au faible taux d'activité des femmes - dans un contexte économique relativement morose. Contexte qui peut d'ailleurs susciter un certain nombre de réticences quant à une plus grande libéralisation des échanges avec l'Union européenne. Le Maroc reste néanmoins à l'avant-garde des pays du Bassin méditerranéen dans ses rapports avec l'Union européenne, puisqu'il dispose depuis 2008 d'un statut avancé. Cette formule originale peut être résumée par la formule « plus que l'association et moins que l'adhésion ». Elle conduit aujourd'hui le pays à se lancer dans un grand travail de convergence réglementaire de ses normes avec celles de l'Union européenne. Travail réellement titanesque que la France soutient au travers d'un grand nombre de programmes de jumelages entre les administrations de nos pays.
La Tunisie se trouve, quant à elle, dans une situation plus délicate. Bien qu'il dispose d'indéniables atouts économiques, le pays reste miné par une transition démocratique ralentie par le conflit larvé entre islamistes et modernistes et l'apparition de la violence politique avec l'assassinat de deux députés en février et juillet derniers. L'Assemblée nationale constituante a dû suspendre ses travaux quelques semaines face au boycott d'une partie de ses membres. Le lancement d'un dialogue national le 5 octobre constitue une tentative de sortie de crise par le haut, avec la démission annoncée du gouvernement et son remplacement par un cabinet technique sous un mois, soit le délai accordé à l'Assemblée nationale constituante pour parvenir à un accord sur un projet de constitution. Des élections législatives se tiendront ensuite courant 2014.
C'est dans ce contexte difficile que se poursuit, au ralenti, le rapprochement avec l'Union européenne en vue de concrétiser le statut de partenaire privilégié accordé à la Tunisie en novembre 2012. Comme au Maroc, les négociations visent à créer une zone de libre-échange et à faciliter la mobilité entre l'Union européenne et la Tunisie. La priorité reste néanmoins pour l'Union européenne d'encourager toutes les forces politiques à sortir rapidement de la crise politique afin que le pays puisse disposer d'institutions stables pour négocier avec elle. Si tel était le cas, le chaos aurait alors été « fécond », selon une expression entendue lors de nos entretiens sur place.
Je laisse maintenant la parole à mes collègues pour compléter, s'ils le souhaitent, ce bref compte-rendu.
Mme Bernadette Bourzai. - Nous avons constaté la dynamique de développement économique du Maroc et ses efforts de démocratisation, même si des efforts restent à accomplir. La Tunisie, en revanche, connaît encore de grandes difficultés.
Tous nos interlocuteurs ont insisté par ailleurs sur la nécessité d'intégrer l'Algérie dans ce jeu. La Tunisie entretient de bonnes relations commerciales avec elle, le blocage viendrait plutôt du Maroc. Quoi qu'il en soit, le Maghreb est de ce fait privé du rôle d'interface entre l'Union européenne et l'Afrique noire que nous aimerions lui voir jouer. Cette ancienne Afrique française du nord, augmentée de la Libye, de l'Égypte et de la Mauritanie, n'a pas encore concrétisé son poids géopolitique.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je remercie notre président d'avoir eu l'idée de ce travail de fond. En tant que présidente du groupe d'amitié France-Égypte, et secrétaire du groupe France-Maroc, je suis très heureuse d'avoir participé à ce travail nécessaire et novateur. Quinze ans après le lancement de la politique méditerranéenne de l'Union, il est en effet utile d'étudier ce que le Maroc a réalisé grâce au statut avancé. J'ai eu l'opportunité de suivre l'évolution des travaux de la commission parlementaire mixte « Maroc-Union européenne » : des réformes ont été conduites et les échanges avec l'Union européenne se sont intensifiés. Je suis également sensible à la proposition d'élargir les discussions à « 6+6 » : c'est un processus gagnant-gagnant. L'avenir de l'Europe passe indubitablement par l'Afrique, dans une démarche de co-développement.
M. Jean Bizet. - Il est tout à fait pertinent de s'intéresser à cette partie du monde en bordure de l'Union européenne. Au-delà des aspects économiques, les accords de libre-échange ont une implication politique forte. Comme Pascal Lamy ne manque pas de le rappeler, les relations commerciales favorisent le dialogue et limitent les affrontements. Je souhaite que le cycle de Doha trouve une heureuse conclusion à Bali. À défaut, l'addition d'accords bilatéraux à l'image de ceux noués avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée finira par conduire au multilatéralisme.
Nous avons eu de vifs débats ici sur l'Union pour la Méditerranée (UpM), en particulier avec Robert Badinter. Lorsque la France a pris la présidence de l'Union européenne et qu'elle a remis le projet sur les rails, elle était assez isolée et nos voisins allemands étaient critiques. La méthode française était peut-être hardie, mais nous étions alors en avance dans notre perception des choses, même si nous n'avons pas plus anticipé le printemps arabe que la chute du mur de Berlin. Je souhaiterais que le point 17 de la proposition de résolution souligne d'ailleurs l'implication de la France dans l'UpM.
Pour revenir au Bassin méditerranéen, je ne comprends pas que de nouveaux chapitres d'adhésion aient été ouverts avec la Turquie - où je me suis rendu récemment en voyage officiel - alors qu'elle n'a toujours pas reconnu Chypre, membre de l'Union européenne. En revanche, la position géographique de la Turquie la rend très importante pour faire l'UpM. Elle peut y jouer un grand rôle, sans que ce soit naturellement un substitut aux négociations avec l'Union. Si nous rations ce projet, nous déstabiliserions le sud du continent européen.
M. Michel Billout. - Je salue le travail réalisé. Traiter la politique méditerranéenne de l'Europe à travers le prisme du Maroc et de la Tunisie est cependant un exercice périlleux. Bien que la partie générale du rapport soit satisfaisante, ces deux pays mériteraient une attention pleine et entière sans négliger aucun aspect : je reste un peu sur ma faim. En particulier, vous avez traité du Sahara occidental avec prudence. Cette situation, contraire à l'autodétermination des peuples et aux droits de l'homme, continue d'empoisonner les relations entre les États du Maghreb. Le rapport que présentera le Parlement européen apparaît extrêmement critique, mais n'entend pas moins ne fâcher personne.
La proposition de résolution salue les réformes démocratiques engagées au Maroc. Comparé aux pays voisins, le Maroc fait en effet figure d'exemple, mais le modèle a ses limites : défendre l'idée républicaine peut être très durement réprimé. La légitimité du roi et le Sahara sont deux questions absolument inabordables. Les journalistes pratiquent l'autocensure et la justice demeure aux ordres. Je m'abstiendrai donc sur cette proposition de résolution.
M. Simon Sutour, président. - Le Sahara occidental n'était pas l'objet de ce rapport, mais nous l'évoquons en regrettant l'absence d'union de l'ensemble du Maghreb. Il est dommage que la frontière algéro-marocaine ne soit pas plus ouverte, c'est vrai. Même si des progrès restent à accomplir, le Maroc fait preuve d'une réelle volonté de modernisation. La société civile est active, il y a des manifestations - voyez l'émoi suscité récemment par l'affaire des adolescents accusés d'attentat à la pudeur. La négociation avec l'Europe l'aide à avancer. Nous avons de plus assisté aux travaux de son Comité national pour les droits de l'Homme, qui ne manie pas la langue de bois.
M. Bizet souhaitait souligner l'action de la France depuis 2008 : je préfère que nous soulignions l'action de la France en général. En effet, l'Allemagne, exclue de la première mouture d'une UpM ne réunissant que les pays du Bassin méditerranéen, ne pouvait que désapprouver le projet. Membre de l'assemblée parlementaire de l'UpM depuis l'alternance, j'ai été étonné d'aller à Vienne pour la première réunion à laquelle j'ai participé ; l'inclusion de tous les États membres de l'Union européenne dans le projet est finalement une bonne chose. Il existe également une Assemblée parlementaire des pays bordant la Méditerranée, où nous sommes représentés par Gilbert Roger et Raymond Couderc.
Il est bon d'être éclairé, sur place, par les acteurs eux-mêmes. Nous avons été reçus par le Premier ministre marocain Abdelilah Benkirane, du Parti de la Justice et du Développement. Leurs problèmes de coalition viennent d'être résolus. Rien n'est parfait, mais les choses vont plutôt dans le bon sens, ce qui est suffisamment rare pour être encouragé. Chaque pays a son histoire et ses contraintes, et il ne s'agit aucunement de donner des leçons.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
M. Simon Sutour, président. - M. Billout s'abstient sur la proposition de résolution.
M. Yann Gaillard. - Je m'abstiendrai également.
La proposition de résolution est adoptée.