Mercredi 18 septembre 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes sur le rapport annuel de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale
Mme Annie David, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, afin qu'il nous présente le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
Il est accompagné de MM. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, et Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis heureux de vous présenter notre rapport 2013 sur la sécurité sociale. Il est élaboré chaque année par la Cour en application de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement et au Gouvernement pour le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement pour 2014 qui sera prochainement déposé sur le bureau des Assemblées, mais s'adresse aussi au citoyen.
La sécurité sociale est en effet l'une des expressions majeures de cette République démocratique et sociale qu'affirme l'article 1er de notre Constitution. Elle est ainsi l'affaire de tous. Chacun la finance sous une forme ou une autre, chacun en bénéficie à différents moments de sa vie. Dans une conjoncture économique difficile, son rôle pour protéger les plus fragiles est plus que jamais essentiel. Mais la permanence de ses déficits sape sa solidité. Elle entraîne une montée constante de la dette sociale dont la charge croissante peut finir par miner sa légitimité aux yeux des nouvelles générations.
C'est là le message principal de ce rapport : enrayer sans délai l'engrenage des déficits de la sécurité sociale, revenir au plus vite à l'équilibre des comptes sociaux, casser la spirale de la dette sociale sont autant d'enjeux fondamentaux. Le réussir est possible. A tous les niveaux des dépenses sociales, des économies peuvent être faites sans remettre en cause notre modèle social ni prendre les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en oeuvre. Il y faut la contribution de tous - professionnels de santé, assurés sociaux, caisses de sécurité sociale -, un effort rapide, continu et opiniâtre pour éviter les dépenses inutiles et improductives et faire en sorte que chaque euro affecté à la sécurité sociale soit dépensé le plus justement au regard de l'intérêt général.
Les analyses et recommandations de la Cour cherchent à apporter une contribution pour relever cet enjeu collectif primordial. Elle met sur la table de nouvelles propositions sur les sujets qu'elle a étudiés cette année. Il appartient, bien entendu, aux représentants du suffrage universel de faire les choix nécessaires, en fonction des objectifs et priorités qu'ils définissent.
J'ai à mes côtés pour vous les présenter Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour qui a préparé ce rapport et Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport. Mais de nombreux autres rapporteurs y ont aussi travaillé. Je souhaite leur exprimer devant vous ma reconnaissance.
Je n'entrerai naturellement pas dans le détail des dix-huit chapitres de ce rapport. Je me contenterai de tenter de vous présenter les grands axes autour desquels s'organisent nos analyses.
Premier constat : malgré de premiers résultats, le déséquilibre persistant des comptes sociaux appelle rapidement de nouvelles mesures.
Depuis 2011, notre pays a engagé l'indispensable effort de redressement de ses finances publiques. Il s'est fixé une trajectoire de retour à l'équilibre, à laquelle doivent contribuer non seulement l'Etat et les collectivités territoriales mais aussi les organismes de protection sociale.
De premiers résultats ont certes été obtenus dans la réduction des déficits sociaux. En 2010, le déficit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) avait atteint un niveau sans précédent : 29,6 milliards d'euros, soit 1,5 point de PIB. Il a diminué de 7 milliards d'euros en 2011 et a continué à baisser en 2012 de 3,5 milliards d'euros. Il a été ramené à 19,1 milliards d'euros, soit 0,9 point de PIB.
Ce déficit 2012 présente trois caractéristiques qui montrent cependant que, s'agissant des comptes sociaux, l'essentiel du chemin reste à faire :
- le rythme de sa réduction s'est très sensiblement ralenti : il a été divisé par deux entre 2011 et 2012 par rapport à celui enregistré entre 2010 et 2011 ;
- il demeure massif : son montant est comparable au budget de la recherche et de l'enseignement supérieur ;
- sa part structurelle, celle qui n'est pas influencée par la conjoncture et qui est durable, reste très importante : pour le régime général, elle est de 70 % environ.
En 2013, le redressement des comptes du régime général et du FSV connaîtra toutefois un véritable coup d'arrêt, contrairement à la baisse de 3 milliards d'euros prévue par la loi de financement pour 2013. Au mieux, il devrait se stabiliser cette année au niveau très élevé de 2012, deux fois supérieur à celui de la période 2006-2008. Pour la seule branche maladie, il pourrait augmenter de 2 milliards d'euros, pour atteindre près de 8 milliards d'euros.
Cette interruption du mouvement de réduction du déficit du régime général est préoccupante, même si elle résulte largement de l'atonie de la croissance et de la moindre progression des recettes qui en est la conséquence.
Elle conduit à entretenir une spirale de la dette sociale particulièrement anormale et particulièrement dangereuse. Son encours global devrait passer de 147 milliards d'euros à 159 milliards d'euros entre 2011 et 2013. Notre pays reporte ainsi sur les générations à venir la charge de régler une part sans cesse croissante des consultations médicales, des prestations familiales, des retraites dont nos concitoyens bénéficient aujourd'hui.
C'est là un mal spécifiquement français, qui ne touche pas nos grands voisins européens. Aucun d'entre eux n'accepte que son système de protection sociale puisse être durablement en déficit. Les comptes sociaux compris au sens le plus large, ce que l'on appelle les comptes des administrations sociales et qui incluent la sécurité sociale, l'assurance chômage et les régimes complémentaires obligatoires de retraite, sont revenus à l'équilibre dans la zone euro en trois ans, alors que ceux de la France sont en déficit de 0,6 point de PIB en 2012. Ceux de l'Allemagne dégagent un excédent de 0,6 point de PIB. Dans la zone euro, seules la Grèce et l'Espagne ont connu l'an dernier un déficit des administrations sociales supérieur à celui de la France.
Enrayer la spirale de la dette sociale entretenue par l'accumulation des déficits est indispensable. Des mesures ont été récemment annoncées pour rétablir la situation des régimes de retraite et seront prochainement examinées par le Parlement. Chacun comprendra que la Cour ne se prononce pas sur des mesures qui n'ont pas encore été débattues ni adoptées par ce dernier. Elle note simplement qu'elles apporteront une contribution indispensable au redressement des comptes de l'assurance vieillesse et du FSV : leur déficit cumulé à l'horizon 2018 se serait sinon monté, selon les projections de la Cour, à 70 milliards d'euros, soit un montant supérieur aux 62 milliards d'euros dont la reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la Cades, a été organisée fin 2010.
Cela étant, du seul fait des déficits des branches maladie et famille et selon les projections qu'a réalisées la Cour, si aucune mesure nouvelle n'était prise, près de 72 milliards d'euros de dettes supplémentaires s'accumuleraient à l'horizon 2018 - même après la prise en compte des décisions arrêtées pour la branche famille en juin dernier. Ces dernières n'auront en effet leur plein impact que progressivement.
Contrairement à ce que la Cour avait préconisé, tous les déficits déjà constatés au titre de 2011 et 2012 n'ont pas été repris par la Cades, mais seulement celui de la branche vieillesse, conformément à la loi de financement pour 2011. Dès lors, les déficits de l'assurance maladie et de la branche famille s'accumulent depuis 2011 dans les comptes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss. Cet organisme a pour vocation d'assurer la trésorerie quotidienne de la sécurité sociale, pas de préfinancer durablement des déficits massifs. Les découverts que l'Acoss doit financer par des billets de trésorerie à moins de trois mois atteindront 26 milliards d'euros fin 2013 et devraient approcher 40 milliards d'euros fin 2014. Cette banalisation du financement à très court terme des déficits sociaux n'est pas normale. Elle crée une situation de dépendance à la liquidité disponible sur les marchés financiers dangereuse pour la sécurité sociale, en particulier si venaient à remonter les taux d'intérêt, actuellement très bas, dont bénéficie l'ACOSS. Les mouvements de ces derniers jours montrent qu'il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école.
Différer ces transferts de dettes, de toute façon inéluctables, alourdirait en outre un peu plus le coût de l'amortissement et de la charge d'intérêt, qui s'élève au total à 15 milliards d'euros par an, à mesure que le terme de la Cades se rapproche, d'ici une dizaine d'année. Repousser l'amortissement de la dette sociale au-delà du milieu de la prochaine décennie reviendrait à faire payer encore davantage les transferts sociaux d'aujourd'hui par la génération suivante. Chacun voit bien que risquerait alors de se poser la question de la légitimité même d'une sécurité sociale dont le financement effectif serait sans cesse différé et supporté par ceux qui n'ont pas bénéficié de son soutien. C'est pourquoi la résorption rapide du déficit de la sécurité sociale est un enjeu de tout premier rang. Ne nous y trompons pas. Le déficit d'aujourd'hui, c'est l'impôt de demain.
Deuxième constat : la voie du redressement des comptes par la mobilisation de recettes supplémentaires atteint des limites.
Les années 2011 et 2012 ont été marquées par un apport très important de nouvelles recettes supplémentaires à la sécurité sociale : pour la seule année 2012, elles ont représenté 6,2 milliards d'euros et se sont ajoutées aux 7 milliards d'euros de ressources nouvelles dont elle a bénéficié en 2011. Cette mobilisation de ressources complémentaires s'est poursuivie en 2013.
Indépendamment même du niveau élevé atteint par les prélèvements obligatoires dans notre pays, l'affectation de recettes supplémentaires à la sécurité sociale peut de plus en plus difficilement passer par de nouvelles augmentations de la CSG, la contribution sociale généralisée. Celle-ci, qui est analysée après l'examen l'an dernier du financement des régimes sociaux par les impôts et taxes affectés, a permis d'élargir très substantiellement les ressources de la sécurité sociale et de financer depuis vingt ans la progression soutenue de ses dépenses. Mais la CSG n'est plus une recette miracle, à même de permettre par son dynamisme de différer des choix structurants pour la maîtrise de ces dernières, comme elle a pu longtemps apparaître. Il subsiste certes encore quelques possibilités d'élargissement d'assiette. Mais les contraintes juridiques résultant de la décision du Conseil constitutionnel de décembre dernier sur la loi de finances tendent à limiter désormais les possibilités d'augmentation générale de ses taux, en particulier sur les revenus du capital.
Si des ressources nouvelles devaient être affectées à la sécurité sociale, la Cour recommande qu'elles soient consacrées d'abord au financement de la dette sociale et qu'elles passent prioritairement par une réduction des « niches sociales », c'est-à-dire des mesures dérogatoires au versement des prélèvements finançant la sécurité sociale. La Cour avait mis en cause à plusieurs reprises l'opacité et le coût croissant de ces niches. Elle constate que des remises en cause ciblées ainsi que l'augmentation du forfait social ont d'ores et déjà permis d'apporter des ressources supplémentaires significatives, de l'ordre de 4 milliards d'euros en moyenne par an de 2011 à 2013. Mais ces mesures n'ont pas permis de maîtriser ces niches dont le coût global n'a qu'à peine diminué, en raison de la dynamique propre de chacun des dispositifs. La Cour appelle à les répertorier plus précisément, et à engager, sur les cinq prochaines années, une évaluation du coût et de l'efficacité de la totalité de ces dispositifs dérogatoires - évaluation que la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 a prévue mais qui reste encore à organiser.
Dans les conditions actuelles de faibles marges de manoeuvre sur l'augmentation des recettes, et comme les pouvoirs publics l'ont indiqué, c'est essentiellement en pesant fortement sur la dépense que la trajectoire de retour à l'équilibre doit se poursuivre et s'accélérer.
La Cour ne préconise nullement une baisse des dépenses sociales. Elle considère comme indispensable un ralentissement de leur croissance. Cette modération peut être obtenue en mobilisant tous les acteurs dans le cadre d'efforts justement partagés. La protection sociale comporte en effet à tous niveaux des marges considérables d'efficience et de progrès, en particulier dans le domaine de l'assurance maladie.
Troisième constat : des gisements d'économies considérables existent dans l'assurance maladie sans compromettre, bien au contraire, la qualité des soins ni l'égalité d'accès au système de santé.
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été tenu en 2012, pour la troisième année consécutive, bien que son taux de progression ait été resserré à 2,5 % contre 3 % en 2010 et 2,9 % en 2011. Ce taux de 2,5 % est le plus volontariste depuis 1998. Ce résultat très positif témoigne des progrès effectués dans le pilotage de la dépense et dans la réalisation effective des économies prévues. Pour autant, la progression de l'Ondam au cours des quatre dernières années a été de près de 18 milliards d'euros, ce qui représente un accroissement de 11,4 % des dépenses, soit un rythme bien plus soutenu que celui de la richesse nationale, le PIB n'ayant augmenté que de 5,1 % sur cette période. La Cour, par ses travaux, a acquis la conviction qu'en mettant en place les mesures de maîtrise de la dépense qu'elle préconise, il est possible d'intensifier et d'accélérer encore l'effort. C'est pourquoi elle propose de diminuer d'au minimum 0,2 point chaque année le taux de progression de l'Ondam par rapport à celui affiché dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 : soit + 2,4 % pour 2014, au lieu de + 2,6 %, et + 2,3 % pour 2015 et 2016, au lieu de + 2,5 %.
Comme les rapports des années précédentes, le rapport de cette année identifie de nombreuses pistes de réorganisation à même à la fois de dégager des gains d'efficience et d'améliorer la qualité des prises en charge.
Le premier point d'appui de ces réorganisations dans le système de soins doit être le système hospitalier qui recèle des gisements considérables d'économies. La dépense hospitalière, qui représente plus de 75 milliards d'euros, soit 44 % de la dépense d'assurance maladie, a fait l'objet cette année de la part de la Cour, de travaux approfondis.
Les hôpitaux ont été soumis ces dernières années à des contraintes d'économies relativement modestes, comme le montre l'analyse détaillée des modalités de fixation de leur objectif annuel de dépenses à laquelle la Cour a procédé. Les économies affichées pour 2012 ne représentaient que 0,7 % de l'enveloppe de dépenses allouée, soit 550 millions d'euros, dont un cinquième n'était qu'une économie de constatation sur un fonds de modernisation. Celles demandées à la médecine de ville s'élevaient à 2,15 milliards d'euros, soit 2,7 % de son enveloppe. L'« Ondam hospitalier », peu transparent dans sa détermination, est de fait construit à ses différentes étapes de telle manière que les établissements ne sont pas soumis au même effort que le secteur des soins de ville, en particulier en n'ajustant pas suffisamment les tarifs pour réguler efficacement l'activité hospitalière. Les hôpitaux ne sont pas ainsi suffisamment obligés à mettre en oeuvre les réformes structurelles indispensables au redressement durable de leurs comptes. Dès lors, les réorganisations devraient être amplifiées pour consolider leur situation financière et maîtriser plus rigoureusement la progression de la charge que l'assurance maladie supporte.
Le retour à l'équilibre des hôpitaux publics en 2012, après plusieurs années de déficit et un doublement de la dette hospitalière en six ans pour l'amener à 28 milliards d'euros, apparaît encore fragile et largement circonstanciel : il est en bonne partie imputable à des recettes exceptionnelles et des ajustements comptables. Les efforts de meilleure gestion et de réorganisation doivent être accrus. Ainsi, par exemple, au centre hospitalier de Digne, qui a adopté cinq plans de retour à l'équilibre en cinq ans sans effets sur son déficit structurel, ou encore au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint Germain-en-Laye, issu d'une fusion en 1997 et qui a accumulé en quinze ans les déficits d'exploitation et accru sa dette sans parvenir à un projet médical permettant de rationaliser son activité.
Le retard considérable et persistant dans notre pays de la chirurgie ambulatoire - c'est-à-dire la réalisation des opérations dans des conditions qui permettent au patient de rentrer chez lui le soir même du jour où a lieu l'intervention -, apparaît emblématique à cet égard des lenteurs de modernisation des pratiques hospitalières. Pourtant, son développement rejoint l'intérêt des patients, qui n'ont pas à séjourner à l'hôpital avant comme après l'opération, comme celui de l'assurance maladie par les économies majeures qu'elle permet.
En France, quatre interventions seulement sur dix sont pratiquées en ambulatoire contre jusqu'à huit sur dix dans certains pays qui nous sont comparables, soit moitié moins, avec un très net retard du secteur public sur le secteur privé. Le nombre de places en chirurgie ambulatoire a certes nettement progressé depuis quelques années, grâce une tarification incitative, mais elles restent très fortement sous-utilisées au regard des pratiques relevées dans des pays voisins. De fait, la chirurgie ambulatoire reste souvent réservée chez nous à de la petite chirurgie, comme les opérations sur les varices, ou, au mieux, la cataracte, alors qu'à l'étranger, c'est la pratique de référence qui concerne pratiquement tous les types d'intervention, même lourdes, sauf quand l'état du patient y fait obstacle, ce qui ne représente que 20 % des cas. Dans le même temps, le nombre de lits de chirurgie conventionnelle n'a pratiquement plus diminué depuis près de dix ans et leur taux d'occupation, de seulement, 67 %, se révèle très insuffisant. Selon certaines estimations, jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies seraient possibles à terme en utilisant mieux les capacités de chirurgie ambulatoire existantes et en fermant en conséquence les lits de chirurgie conventionnelle sous-utilisés. Ce chiffre de 5 milliards d'euros d'économies potentielles représente près de 7 % de la dépense hospitalière financée par l'assurance maladie.
La Cour propose notamment pour accélérer cette substitution indispensable que la tarification des actes de chirurgie conventionnelle soit désormais alignée sur les coûts de la chirurgie ambulatoire pour des actes identiques. Cette nouvelle stratégie serait de nature à apporter progressivement des économies, qui, sur la durée, seraient très importantes. Il s'agit d'un exemple qui illustre un constat que fait souvent la Cour : certaines évolutions peuvent être à la fois source d'économies et d'amélioration de la qualité des soins.
A une autre échelle puisqu'elle ne représente que moins de 1 % des dépenses hospitalières, l'hospitalisation à domicile est un autre exemple de prise en charge moins onéreuse qu'en établissement de pathologies lourdes et complexes, comme par exemple en cancérologie. Un pilotage plus ferme du ministère de la santé, des référentiels d'activité plus nombreux, la rénovation d'un modèle tarifaire obsolète, des évaluations médico-économiques rigoureuses devraient permettre de développer sa place au-delà de l'objectif actuel, encore quatre fois inférieur au niveau atteint dans certains pays étrangers.
Tous les acteurs du système hospitalier devraient s'engager résolument dans cet effort de modernisation et de réorganisation, qu'il s'agisse des établissements les plus importants comme les centres hospitaliers universitaires, comme la Cour l'a souligné dans son rapport de 2011, ou d'autres plus modestes, comme ceux dont la Cour analyse cette année le positionnement. Il s'agit d'une part des établissements de santé privés à but non lucratif, dits désormais d'intérêt collectif, gérés le plus souvent par des associations, des fondations ou des mutuelles, et qui regroupent 14 % des capacités d'hospitalisation, d'autre part des anciens hôpitaux locaux, qui représentent le tiers des établissements publics mais n'assurent qu'une très faible part de l'activité hospitalière. Les mutations de ces établissements doivent s'amplifier, en utilisant dans le premier cas les atouts d'un statut original, notamment la souplesse que leur confèrent les règles de droit privé qui s'appliquent à eux et, dans le second cas, en s'appuyant sur la spécificité que constitue leur recours à des professionnels libéraux, en particulier dans certains territoires en risque de désertification médicale.
Si les hôpitaux doivent être mis bien davantage sous tension de réorganisation, les autres acteurs du système de soins ne sauraient rester à l'écart du surcroît d'effort indispensable pour accélérer le rééquilibrage des comptes de l'assurance maladie. La Cour a déjà illustré les importantes possibilités d'économies qui existent à cet égard dans nombre de secteurs : l'imagerie médicale et les soins dentaires en 2010, les médicaments en 2011, les transports sanitaires en 2012, en documentant notamment 450 milliards d'euros d'économies à ce seul titre.
L'examen cette année de la réforme de permanence des soins ambulatoires instaurée il y a dix ans montre qu'une augmentation des dépenses n'est en rien garante d'un meilleur service pour la population. La permanence des soins la nuit, les week-ends et les jours fériés a longtemps reposé sur un tour de garde des médecins libéraux relevant d'une obligation déontologique et sans rémunération particulière. Elle est désormais fondée sur un dispositif de volontariat rémunéré.
Les dépenses ont quasiment triplé depuis 2001 pour atteindre près de 700 millions d'euros sans avoir pour autant réussi à désengorger les urgences hospitalières. Le dispositif s'avère parfois exagérément coûteux : par exemple, dans la Sarthe, dans le seul secteur du Grand Lucé, les quelque dix interventions réalisées dans toute l'année 2009 ont chacune coûté à l'assurance maladie plus de 3 700 euros. De même, en examinant les cas de villes comme Toulon, Grenoble, Le Mans ou Le Havre, la Cour a constaté que la superposition au dispositif de droit commun de l'intervention d'associations libérales comme SOS Médecins semble plutôt se traduire par une augmentation de la dépense. La Cour recommande que les secteurs de garde soient réorganisés et qu'une meilleure articulation de l'intervention des différents acteurs, associations, professionnels de santé libéraux, hôpital, soit recherchée. Les ARS devraient coordonner bien plus rigoureusement l'organisation de la permanence des soins dans le cadre d'enveloppes régionales fermées regroupant l'ensemble de financements que l'assurance maladie y consacre, incluant la rémunération des actes médicaux.
Des économies très significatives sont possibles aussi sur les dépenses d'analyses médicales. Elles s'élèvent à près de 6 milliards d'euros pour l'assurance maladie et ont fortement progressé sur longue période : l'augmentation du nombre d'actes a été de 80 % en quinze ans. A titre d'exemple, les remboursements au titre du dosage de la vitamine D ont été multipliés par sept en cinq ans et représentent désormais une dépense annuelle de près de 100 millions d'euros, sans qu'ait été encore évaluée l'utilité clinique de cet acte. L'obligation depuis 2010 d'accréditation des laboratoires n'a pas encore conduit à une rationalisation des implantations, au nombre de 3 600 pour les laboratoires privés et d'environ 500 en établissements de santé. Certains ajustements tarifaires limités et tardifs ont conduit à des économies très inférieures à ce qu'auraient permis les constants progrès techniques des automates d'analyse, entretenant parfois des situations de rente dont le coût est supporté par l'assurance maladie.
La Cour estime qu'une action traduisant de façon plus déterminée les gains considérables de productivité du secteur permettrait de dégager rapidement 500 millions d'euros d'économies, portant pour moitié sur les dépenses de ville, notamment en baissant d'au moins 2 centimes la valeur de l'unité de tarification (la lettre clef B) tout en modernisant la nomenclature, et pour l'autre moitié de ces économies sur les dépenses de biologie hospitalière.
Ces pistes de réformes permettent de faire porter l'effort sur les actes moins utiles. A défaut, le risque pourrait exister d'un déremboursement rampant des soins courants, pénalisant les assurés sociaux qui ne sont pas pris en charge à 100 % dans le cadre d'une affection de longue durée. Mieux cibler les économies sur les dépenses les moins justifiées est dans l'intérêt des patients comme dans celui des professionnels de santé.
L'exemple de la prise en charge de l'optique correctrice, qui représente à elle seule une consommation de soins totale de 5,3 milliards d'euros, révèle a contrario tous les dangers d'une absence de pilotage sur le long terme par les pouvoirs publics et l'assurance maladie d'une dépense qui concerne pourtant la très grande majorité des assurés sociaux.
La dépense d'optique par habitant est plus de deux fois supérieure en France à la moyenne de ses quatre grands pays voisins, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne. L'assurance maladie ne prend plus en charge qu'une fraction dérisoire de cette dépense, en moyenne 3,6 % au total, et 2 % pour les seuls adultes. Ce désengagement est un grave échec d'une sécurité sociale solidaire. Les organismes d'assurance maladie complémentaire ont pris le relais, dans des conditions inégales selon les situations et les contrats des assurés. Ils ont pris en charge 71,5 % de la dépense d'optique en 2012 selon les tous derniers chiffres des comptes de la santé. Le dernier quart de la dépense est laissé à la charge des ménages, avec dans certains cas du fait de son poids, un renoncement à l'achat ou à un renouvellement médicalement nécessaire.
Le fonctionnement du marché de l'optique est peu concurrentiel. La dépense d'optique s'est accrue de 39 % hors inflation entre 2000 et 2012. Le fonctionnement de la chaîne de fabrication et de vente explique l'essentiel de cette dérive. Le nombre des points de vente y a augmenté de 43 % depuis 2000 et le nombre d'opticiens a plus que doublé, sans que la satisfaction des consommateurs ait progressé. Il n'en est pas résulté une concurrence accrue et les prix n'ont pas baissé car les charges fixes d'un point de vente se répercutent sur un volume de lunettes vendues moins élevé. Le niveau élevé des marges permet à un point de vente d'atteindre l'équilibre économique à partir de deux ou trois paires de lunettes vendues par jour ouvré. De manière générale, le jeu de renvoi de responsabilités entre acteurs fait obstacle à la baisse des prix. Les assurés en supportent les conséquences, soit indirectement du fait de l'augmentation des tarifs des organismes complémentaires, soit directement du fait d'un reste à charge très élevé quand ils ne disposent pas d'une couverture complémentaire, avec pour conséquence de nombreux renoncements à s'équiper comme il faudrait.
Le rôle désormais résiduel de l'assurance maladie l'a conduite à se désintéresser très largement de la gestion du secteur. Les assurances complémentaires voient dans l'optique un produit d'appel et assurent des remboursements importants et assez fréquents, dont les opticiens parviennent souvent à tirer parti. Les assurances complémentaires ne disposent pas encore de tous les outils nécessaires à une réelle gestion du risque.
La Cour appelle à un rééquilibrage du fonctionnement du marché, afin de maîtriser ce qui est un poste de dépense lourd pour les Français et un enjeu de santé publique. Il est ainsi souhaitable de rendre le marché beaucoup plus transparent et concurrentiel, de mettre les organismes complémentaires en situation de faire jouer beaucoup plus activement la concurrence entre les distributeurs et de redéfinir beaucoup plus strictement le contenu des « contrats responsables », qui bénéficient d'aides publiques très importantes que la Cour a analysées il y a deux ans, pour peser beaucoup plus fortement sur les prix. La Cour fait des constats et de recommandations similaires pour les dépenses d'appareils d'audition - les audioprothèses.
Au-delà enfin des établissements de santé et des professionnels libéraux, les différents gestionnaires eux-mêmes de l'assurance maladie doivent davantage contribuer au retour à l'équilibre de l'assurance maladie en dégageant des gains de productivité et des économies de gestion. Dans le prolongement de ses analyses sur ce point dans son rapport 2011 sur les différentes branches du régime général, la Cour est revenue cette année sur la gestion par les mutuelles de fonctionnaires et les mutuelles étudiantes de l'assurance maladie obligatoire. Ce sont en effet ces mutuelles, et non les caisses primaires d'assurance maladie, qui assurent pour le compte de la branche maladie du régime général le remboursement des prestations au titre de l'assurance maladie obligatoire pour 7,7 millions de fonctionnaires et d'étudiants et leurs familles, soit 13,3 % des ressortissants du régime général.
Dans la continuité d'une enquête remontant à 2006, la Cour a constaté une qualité de service toujours inégale, mais souvent insuffisante des mutuelles de fonctionnaires, tout particulièrement à la mutuelle complémentaire de la ville de Paris, dont l'accueil téléphonique, à titre d'exemple, n'était assuré en 2012 que 4 heures par jour et ne répondait qu'une fois sur trois. Malgré certains efforts de réorganisation, leurs coûts demeurent élevés. Leur rémunération, à hauteur de 270 millions d'euros, même si elle a baissé, est calculée de façon très favorable. Elle reste à un niveau nettement supérieur aux coûts de gestion des caisses primaires. Dans le prolongement de ses préconisations antérieures, la Cour recommande de reconsidérer le maintien de la gestion déléguée à des mutuelles de l'assurance maladie obligatoire des agents publics ou, à tout le moins, d'ouvrir la liberté de choix aux fonctionnaires d'Etat entre se rattacher à la caisse primaire de leur domicile et demeurer gérés par la mutuelle à laquelle est rattachée leur administration.
S'agissant des onze mutuelles étudiantes, la qualité de service est là aussi très inégale et souvent insuffisante, qu'il s'agisse de l'envoi des cartes Vitale, du remboursement des actes ou des relations avec les étudiants, notamment à La mutuelle des étudiants, qui couvre 54 % des étudiants : ainsi, en 2012, un étudiant avait une chance sur quatorze de pouvoir joindre cette mutuelle au téléphone. Leur rémunération, fixée dans des conditions particulièrement peu transparentes et avantageuses, a pourtant sensiblement augmenté. La Cour recommande la reprise de la gestion de l'assurance maladie obligatoire des étudiants par les caisses d'assurance maladie, qui faciliterait une amélioration de la qualité de service et permettrait une économie de près de 70 millions d'euros. A défaut, il apparaît nécessaire de laisser aux étudiants le choix entre l'affiliation à la sécurité sociale étudiante et le maintien de leur rattachement au régime de leurs parents.
Le quatrième et dernier constat concerne non plus l'assurance maladie, mais certains régimes particuliers de retraite. La Cour, après l'an dernier les régimes spéciaux de la RATP et de la SNCF, a plus spécifiquement étudié cette année les perspectives, en l'occurrence ceux des exploitants agricoles et ceux des professions libérales : leur soutenabilité suppose un pilotage très attentif et précis de la part des pouvoirs publics et appellera rapidement des efforts supplémentaires pour les professions concernées.
Les régimes de retraite des exploitants agricoles comptent moins de 500 000 cotisants pour 1,6 million de bénéficiaires : les cotisations ne couvrent ainsi que moins de 13 % des charges du régime de base. Malgré des pensions servies de montant modeste et un apport de 6,7 milliards d'euros de financements complémentaires en provenance des autres régimes et de l'Etat, son déficit, financé par emprunt bancaire à court terme, devrait approcher 1 milliard d'euros en 2013. Un redressement de l'effort contributif de la profession apparaît nécessaire, notamment par le réexamen de multiples dispositifs entraînant une perte de cotisations, notamment l'assiette forfaitaire de cotisations et les possibilités d'optimisation sociale permises par les formes sociétaires d'exploitation, en fort développement.
Les régimes de retraite des professions libérales ne connaissent pas en revanche de difficultés d'ordre démographique, avec 800 000 cotisants, dont 200 000 auto-entrepreneurs, pour un peu plus de 200 000 pensionnés. Mais le régime de base unique à ces professions est confronté à des perspectives de déficit à court terme qui exigent d'aller au-delà de l'augmentation récente des cotisations. Les risques démographiques et financiers d'ici 2040 imposent un pilotage plus attentif par les pouvoirs publics et, sans doute, la mise en oeuvre de mécanismes de solidarité interprofessionnelle pour permettre d'assurer la pérennité de l'ensemble des régimes. Plus ces efforts tarderont, plus ils seront difficiles.
Dans la période de difficultés économiques que connaît notre pays, la sécurité sociale est plus que jamais garante de la cohésion sociale et de la solidarité entre les générations. La persistance d'un déficit structurel - indépendamment des fluctuations conjoncturelles - depuis plus de vingt ans met en danger cette sécurité sociale dans ses fondements mêmes. Le retour à l'équilibre des comptes n'est pas un enjeu comptable : c'est un enjeu national qui justifie un effort d'une ampleur à la hauteur de la nécessité de maintenir un haut degré de protection sociale dans notre pays.
Cet effort a été engagé. Il porte ses premiers fruits, qui vont bien au-delà de la diminution des déficits déjà enregistrée. Il ne peut être relâché. Les réformes réalisées et celles à venir fournissent l'opportunité d'une modernisation en profondeur de notre protection sociale. Elle en sortira plus juste, plus solidaire, plus responsable, plus efficiente. En un mot, plus forte et plus légitime.
2014 commémorera les soixante-dix ans du programme national de la Résistance. La Cour espère que son rapport contribuera utilement en cette année symbolique à affermir la sécurité sociale qui en est directement issue.
Je vous remercie de votre attention et me tiens avec les magistrats qui m'entourent à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je tiens à remercier M. le Premier président pour la clarté et le caractère pédagogique de ses propos.
Ma première question concerne la dette sociale. Vous insistez une fois de plus dans ce rapport, M. le Premier président, sur la nécessité de réduire les déficits sociaux et de procéder, dans les meilleurs délais, à la reprise par la Cades des déficits accumulés au titre des branches maladie et famille pour 2012 et 2013, le transfert des déficits de la branche vieillesse et du FSV à la Cades étant déjà programmé jusqu'en 2018 dans la limite de 62 milliards d'euros.
Il est d'autant plus important de s'attaquer à ces questions que, selon les hypothèses macroéconomiques issues du programme de stabilité d'avril dernier, le déficit cumulé des branches maladie et famille d'une part, et vieillesse et FSV d'autre part, pourrait être beaucoup plus important que les montants initialement envisagés.
Afin de nous aider à envisager les meilleures réponses possibles en matière de reprise de dette, je souhaitais savoir si la Cour avait réalisé des simulations sur l'incidence de la reprise de ces montants en termes d'augmentation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ou d'allongement de la durée de vie de la Cades ?
Ma deuxième question concerne les modalités de pilotage de la dépense sociale.
Je rappelle qu'à ce jour le champ du PLFSS, en laissant de côté les comptes des régimes complémentaires de retraites et ceux de l'Unedic, ne donne qu'une vue partielle des engagements - et des déficits - supportés les administrations de sécurité sociale. Pour mémoire, il faut ajouter aux 17,3 milliards d'euros de déficit attendus pour le régime général et le FSV en 2013 pas moins de 5 milliards de déficit au titre de l'Unedic. Les prévisions de soldes pour l'Agirc et l'Arcco sont, quant à elles, difficiles à obtenir mais n'ont rien de réjouissantes.
Dans ces conditions, je souhaitais connaitre la position de la Cour sur l'opportunité d'intégrer ces régimes au champ de la loi de financement.
Ma dernière question porte sur l'avis donné par la Cour sur la cohérence des tableaux d'équilibre relatifs au dernier exercice clos - à savoir 2012. D'une part, si j'en crois la recommandation n° 4 du rapport, il semblerait que la Cour n'ait - une fois de plus - pas reçu ces tableaux « dans des délais de nature à lui permettre d'exercer la mission qui lui est impartie de manière appropriée ». D'autre part, il me semble que certaines des recommandations formulées dans le rapport (en particulier celle concernant la question des retraitements des produits et des charges) étaient déjà formulées dans les rapports précédents.
Comment peut-on expliquer la difficulté de la Cour à faire appliquer ses recommandations réitérées par les administrations centrales en général et par la direction de la sécurité sociale (DSS) en particulier ? Dans la mesure où ces documents visent à assurer une bonne information du Parlement, dans quelle mesure peut-on vous aider à assurer la prise en compte de vos recommandations ?
M. Didier Migaud. - La reprise des déficits jusqu'en 2018 de la branche vieillesse et du FSV est effectivement organisée dans la limite d'un montant de 62 milliards d'euros sur la période et de 10 milliards d'euros par an. La réforme des retraites proposée par le Gouvernement devrait permettre de respecter ces plafonds.
En revanche, les textes ne prévoient pas la reprise par la Cades des déficits des branches maladie et famille pour les années 2012 et 2013 qui devraient s'élever respectivement à 19,5 milliards d'euros et 5,7 milliards d'euros selon les estimations de la commission des comptes de la sécurité sociale. La Cour recommande leur transfert rapide à la Cades et l'affectation de nouvelles ressources afin ne pas modifier la date d'achèvement de la mission de l'établissement. Ce financement nécessiterait des ressources équivalentes à une hausse de 0,15 point du taux de la CRDS.
Les textes ne prévoient pas non plus la reprise des déficits pour 2012 et 2013 du régime de retraite des exploitants agricoles qui devraient s'élever à 3,2 milliards d'euros. La Cour considère que le transfert de cette somme à la Cades est inéluctable et correspondrait à une hausse de 0,02 point du taux de la CRDS.
Au total, il conviendrait d'affecter à la Cades en 2014 le produit d'une augmentation de 0,17 point de CRDS pour assurer l'amortissement de ces dettes sans modification de la date d'extinction de la Caisse.
Pour les années 2014 à 2018, toutes choses égales par ailleurs, les projections établies par la Cour sur la base des hypothèses économiques du programme de stabilité transmis en avril dernier à la commission européenne par les autorités françaises aboutissent au constat suivant : le déficit de la branche famille prévu par la loi de financement pour 2013, qui ne tient pas compte de la dégradation du contexte économique de l'année en cours, serait de 2,4 milliards d'euros en 2014, de 2,1 milliards d'euros en 2015 alors que les mesures annoncées en juin par le Gouvernement ne permettraient de réaliser des économies que 1,1 milliard en 2014 et de 1,5 milliard en 2015. L'endettement de la branche famille s'élèverait donc à 1,9 milliard d'euros en 2015. Les régimes d'assurance maladie d'une part et de retraite des exploitants agricoles d'autre part devraient également rester déficitaires sur la période. Ces déficits devraient porter la dette totale de l'Acoss et de la Mutualité sociale agricole (MSA) à près de 80 milliards d'euros en 2018 dont 72 milliards d'euros pour les branches famille et maladie.
Conformément aux dispositions de la loi organique et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il convient de traiter la question de la dette sociale à l'aide de recettes identifiées et pérennes. Toutefois seule une action résolue des pouvoirs publics sur la dépense permettra d'inverser la dynamique de l'endettement social.
Dans un de ses précédents rapports, la Cour a suggéré qu'une réflexion soit menée sur l'opportunité d'intégrer l'ensemble des administrations de sécurité sociale dans le champ de la loi de financement. Le pilotage actuel de la sécurité sociale est en effet défaillant : l'Etat prend des engagements, notamment vis-à-vis de ses partenaires européens, dont il n'est pas en mesure d'assurer le respect. Cette réflexion nous paraît d'autant plus opportune que les lois de programmation des finances publiques, récemment redéfinies, comprennent désormais des objectifs concernant l'ensemble des administrations sociales.
M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre. - Nous rencontrons des difficultés récurrentes avec la direction de la sécurité sociale sur le contrôle des tableaux d'équilibre. A ce jour, les versions définitives de ces tableaux ne nous ont toujours pas été transmises. Nous travaillons donc sur des versions provisoires dont la structure d'une année sur l'autre se modifie très peu ce qui nous entraine à réitérer un certain nombre de recommandations. Je rappelle qu'aucune disposition normative ne fixe la date de transmission et les règles d'établissement de ces tableaux. Des modifications législatives pourraient sans doute, en précisant le cadre normatif, nous aider à cet égard.
M. Didier Migaud. - Une disposition législative précisant par exemple que les tableaux d'équilibre sont établis sans contraction des produits et des charges pourrait être utile pour nos travaux et, par conséquent, pour l'information du Parlement.
Pour être tout à fait complet concernant la dette sociale, il faudrait, toutes choses égales par ailleurs, augmenter chaque année la CRDS de 0,1 point à compter de 2014 pour assurer le financement des déficits sociaux éventuellement transférés à la Cades sur la période. Ceci porterait le taux de CRDS à 1,17 % en 2019.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Près des trois quarts du rapport que vous venez de nous présenter concernent l'assurance maladie ou le système de soins. C'est à la fois révélateur et inquiétant... De nombreux sujets sont traités, je n'en évoquerai que quelques-uns.
Vous publiez notamment un chapitre attendu sur la question de la permanence des soins. Si je résume, « l'organisation est durablement fragilisée » alors même que « les dépenses ont explosé » ! Vous écrivez ainsi que le système fonctionne de mal en pis depuis dix ans et que les dépenses ont quasiment triplé. Or, face à ce constat très grave, je reste un peu sur ma faim en termes de propositions. Ne pourriez-vous pas aller plus loin sur cette question très importante pour la vie quotidienne ?
Vous consacrez plusieurs chapitres à l'hôpital. Vous relevez que le redressement global que l'on constate en 2012 tient largement à des recettes exceptionnelles liées à des cessions d'actifs et à des aides d'urgence. Par ailleurs, vous rejoignez les conclusions d'un récent rapport de la Mecss concernant les anciens hôpitaux locaux : ces établissements présentent des atouts qu'il est nécessaire de préserver et valoriser, par exemple l'association des médecins libéraux à l'activité, le lien sanitaire et médico-social ou l'installation dans des zones peu denses en offre de soins.
Autre question qui n'est pas liée directement à votre rapport : la loi HPST, qui n'a pas été modifiée sur ce point, prévoit la certification des comptes de certains établissements de santé dès les comptes 2014. Comment se déroulent les travaux préparatoires ? Avez-vous connaissance du calendrier d'adoption des textes réglementaires nécessaires, ne serait-ce que la liste des établissements concernés ?
Au travers de plusieurs chapitres (permanence des soins, hospitalisation à domicile (HAD), hôpitaux locaux...), vous évoquez à mon sens une question centrale pour notre système de santé : qui doit prendre en charge quel patient et à quel moment ? Aujourd'hui, les Français ne peuvent pas comprendre le paysage de l'offre de soins, éclaté entre cabinet médical « classique », maison de santé, centre de santé, pôle ou réseau de santé, service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), HAD, prestataires à domicile, centre hospitalier de différente taille ou nature juridique etc...
Ne pensez-vous pas que nous devrions avoir une véritable réflexion sur la « hiérarchisation » de la prise en charge, par exemple en créant des équipes de soins primaires qui soient reconnues comme une « porte d'entrée » dans le système de santé et dans lesquelles les compétences soient mieux réparties qu'aujourd'hui entre les différents professionnels ?
A l'occasion de plusieurs chapitres, vous évoquez en filigrane l'organisation et le rôle des administrations centrales. Pourriez-vous nous indiquer, et ce sera ma dernière question, quelles sont les préconisations transversales de la Cour sur ce sujet ? Nous préparons un rapport sur les ARS : le décalage croissant entre la réorganisation constatée au niveau régional par la création des agences et le fonctionnement encore cloisonné au niveau central est régulièrement évoqué dans nos auditions.
M. Didier Migaud. - Alors qu'elle était auparavant gratuite, la permanence des soins est aujourd'hui un dispositif au coût particulièrement élevé. Les recommandations que nous formulons en la matière, qui ne vous semblent pas suffisamment offensives, sont pourtant fortes. Nous préconisons en effet d'instituer le principe d'une enveloppe régionale fermée pour le financement de l'ensemble du dispositif de permanence et de garde, de donner aux directeurs généraux d'ARS le pouvoir de fixer les forfaits et les tarifs d'intervention des médecins après concertation, et enfin de mettre sous contrainte la rémunération des associations intervenant dans le secteur en les obligeant à suivre les règles fixées par la Haute Autorité de santé (HAS). Ces propositions novatrices devraient permettre, au-delà des problèmes d'organisation territoriale, de gagner en efficience au service des patients.
S'agissant de la certification des comptes des hôpitaux, nous soulignons régulièrement le manque de fiabilité des comptes hospitaliers. Nous sommes cependant plutôt satisfaits des évolutions en cours : les établissements se préparent en effet à remplir leur obligation de certification et des démarches de fiabilisation ont été engagées qui nous paraissent aller dans le bon sens. La montée en charge de la certification, qui concernera les établissements dont le total des produits du compte de résultat principal est égal ou supérieur à un seuil de 100 millions d'euros, devra être progressive. Tous ces établissements ne seront pas soumis à cette obligation dès l'année 2014 : une liste sera établie par un décret qui devrait cibler les établissements les plus avancés dans ce processus.
L'application de la certification risque de se heurter à une petite difficulté, sur laquelle le législateur pourrait être sollicité afin de compléter les dispositions déjà adoptées. La loi n'a en effet pas réglé le partage de la certification entre la Cour des comptes et les commissaires aux comptes. La Cour des comptes ne prétend pas certifier les comptes de l'ensemble des établissements, et elle n'en aurait d'ailleurs pas les moyens ; notre analyse ne portera que sur quelques-uns d'entre eux, certainement les plus importants. Le Conseil d'Etat, qui a constaté cette imprécision législative dans un champ concurrentiel, a émis l'hypothèse que des appels d'offres soient lancés. Je vous le dis très clairement : il n'est pas question que la Cour des comptes se mette en concurrence avec des acteurs privés - s'il nous arrive de répondre à des appels d'offres, c'est au plan international aux côtés d'organismes ayant le même positionnement institutionnel.
M. Antoine Durrleman. - Vous évoquez la possibilité d'une hiérarchisation de la prise en charge des patients, dont nous constatons qu'elle est bien souvent éclatée. Si des expérimentations de prise en charge au sein de réseaux spécialisés dans certaines pathologies existent, elles ne sont cependant jamais évaluées de manière approfondie, et de ce fait ne sont que rarement généralisées. Nous avons rappelé dans notre rapport annuel de février dernier qu'il est important de redonner son vrai rôle au médecin traitant dans le cadre du parcours de soins. Tel qu'organisé par la loi de 2004, celui-ci a davantage été compris dans sa dimension tarifaire que du point de vue de son organisation. Il est nécessaire de mettre en oeuvre une approche transversale incluant l'hôpital et de développer une réflexion sur la tarification hospitalière. Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a commencé à travailler en ce sens et certaines propositions ont été traduites par des expérimentations prévues par la LFSS pour 2013. C'est également l'approche de la stratégie nationale de santé qui sera prochainement rendue publique.
S'agissant du fonctionnement et du rôle des administrations centrales, nous avons constaté, dans le cadre des travaux que nous avons consacré l'année dernière à la mise en place des ARS, la progression d'un décloisonnement local en même temps que la persistance d'une organisation en tuyaux d'orgues au niveau central. Il en résulte une certaine bureaucratisation des ARS, qui doivent faire face au nombre croissant des circulaires qui leur sont transmises. Nous avons souligné que le comité de pilotage, qui réunit les administrations centrales, devrait exercer un rôle beaucoup plus important et que le rôle transversal du secrétariat général du ministère des affaires sociales devrait être renforcé.
Nous avons également noté que la collaboration est parfois difficile entre les ARS et la Cnam, qui mène une politique relativement autonome. Les ARS rencontrent notamment des difficultés dans l'accès au système d'information de l'assurance maladie, ce qui pose problème pour l'élaboration d'une stratégie régionale pertinente.
Mme Catherine Génisson. - Je tiens moi aussi à remercier le Premier président pour la pertinence de ses propos et de ses analyses.
Vous avez à juste titre indiqué que le déficit structurel de la branche maladie tendait à remettre en cause le principe de solidarité sur lequel est fondé l'ensemble de notre système de santé et que l'aggravation de ce déficit justifiait une maîtrise des dépenses accrue.
Pour ce faire, vous avez abondamment évoqué les nouvelles contraintes qui pourraient être imposées au secteur hospitalier en matière de chirurgie ambulatoire et établi quelques comparaisons entre hôpitaux publics et hôpitaux privés en ce domaine. Vos propos appellent deux remarques de ma part. D'une part, je tiens à rappeler que si l'organisation de notre système hospitalier public est extrêmement bien documentée, il n'en va pas de même pour celle des établissements privés alors même que l'activité de ces derniers a des conséquences importantes sur celle du secteur public. N'oublions pas par ailleurs que ces hôpitaux prennent en charge des publics différents. D'autre part, j'estime que les réponses ponctuelles apportées aux défaillances de l'organisation de notre système de soins ne sont pas à la mesure des défis qu'il nous appartient de relever. Elles ne permettront ni de faire des économies substantielles ni de rendre ce système plus efficient. Il convient donc de promouvoir un traitement étiologique destiné à traiter efficacement et qualitativement les difficultés de notre système de santé.
Je rappelle une fois de plus que le dysfonctionnement de la permanence des soins est lié à la substitution d'une responsabilité collective rémunérée à l'ancienne obligation individuelle déontologique.
Sans faire porter la responsabilité de la situation sur la médecine libérale, j'indique que l'engorgement des urgences hospitalières résulte quant à lui du fait qu'aucune autre structure chargée des soins primaires n'est aujourd'hui en mesure de proposer des solutions adéquates aux patients.
Nous devons par conséquent nous saisir sans tarder des problématiques liées à la démographie médicale, à la mutualisation des actes et à la formation des professionnels de santé.
Enfin, je suis heureuse que vous ayez précisé votre pensée en matière d'optique. S'il me semble normal, dans le contexte actuel, de ne pas demander d'effort supplémentaire au régime général en ce domaine, il me paraîtrait toutefois inopportun qu'il renonce à sa mission d'évaluation qualitative des dispositifs médicaux mis à notre disposition. Je considère à ce sujet qu'il n'appartient pas aux complémentaires santé de proposer des parcours de soins spécifiques et qu'il revient aux pouvoirs publics, et par conséquent à la sécurité sociale, de veiller à la qualité des produits mis sur le marché.
M. Jacky Le Menn. - Concernant le retard des établissements français en matière de chirurgie ambulatoire, je constate que vos analyses s'appuient sur des statistiques datant de 2009. Depuis lors, il me semble que d'importants efforts ont été réalisés pour s'aligner sur les pratiques en vigueur dans les autres pays européens. La situation appelle toutefois une véritable réflexion sur la place de la chirurgie ambulatoire prenant en considération la formation des chirurgiens et la réorganisation des services de chirurgie.
Vous recommandez également de « définir réglementairement des seuils d'activité minimale en chirurgie à temps complet et en ambulatoire ». J'estime que votre approche est trop globalisante ! Il faudrait au contraire que l'on puisse fixer des seuils par type de pathologie, par pathologie voire par intervention afin de rattraper l'éventuel retard pris sur les autres pays européens.
Nous avions par ailleurs proposé, avec mon collègue Alain Milon, d'écarter les hôpitaux locaux du champ de la tarification hospitalière à l'activité. Leur activité de médecine est en effet minime et repose essentiellement sur des actes de gériatrie. Dans ces conditions, la tarification mixte que vous recommandez ne me paraît pas vraiment pertinente.
Concernant les ARS, le directeur de la sécurité sociale nous indiquait la semaine dernière que les relations entre les agences et l'assurance maladie étaient en voie de normalisation, en particulier en matière d'accès aux données.
Pour terminer, je souhaiterais revenir sur la question de la biologie médicale. J'estime que les difficultés que pose ce secteur ne sont pas liées à la valeur de la lettre-clé mais plutôt au caractère inapproprié de la nomenclature actuelle. Il convient par conséquent de la réformer afin de prendre en compte les nouveaux actes et de réduire le remboursement des anciens.
M. Marc Laménie. - Vous avez évoqué plusieurs pistes d'économie pour l'assurance maladie. Bien que de nombreux emplois soient en jeu, la mise en place de mesures de rationalisation du transport sanitaire me semble tout à fait justifiée. Les pistes que vous avez dégagées en matière de lutte contre la fraude sociale me paraissent également intéressantes. Existe-t-il des marges d'amélioration dans le fonctionnement des ARS ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Au cours des années passées, vous avez largement insisté devant notre commission des affaires sociales sur la nécessité de faire des économies dans le secteur hospitalier. Vous nous faites cette année plusieurs recommandations en ce sens, dont le rapporteur général se saisira certainement dans le cadre du PLFSS. Vos propositions portent notamment sur l'organisation de la permanence des soins. Certaines expériences ont montré que les maisons médicales de garde, qui interviennent en amont des services d'urgence, fonctionnent bien et permettent de réaliser des économies substantielles qui pourraient atteindre 1 milliard d'euros. Le coût d'une nuit en médecine libérale de garde est en effet de 60 euros, alors que celui de l'entrée dans un service d'urgences atteint 240 euros. Pouvez-vous nous apporter quelques éléments sur ce point ?
Vous avez relevé que les actes de biologie médicale connaissaient une progression que l'on pourrait qualifier d'hyperbolique. Nous avons constaté plus globalement, dans le cadre de la Mecss, que ce sont 28 % des actes médicaux qui pourraient être superflus. Vous serait-il possible d'étudier cette question de manière approfondie ? Nous avons là un levier d'action qui pourrait permettre de réaliser des économies substantielles sans altérer d'aucune façon la qualité des soins.
Mme Françoise Boog. - Vous effectuez, dans le cadre de votre rapport, des comparaisons entre la France et les autres pays de la zone euro ; celles-ci sont-elles vraiment pertinentes dans la mesure où notre système social est bien souvent envié à l'étranger ? Avez-vous tenu compte, dans les propositions que vous avez formulées, du vieillissement de la population et des progrès de la médecine ? Disposez-vous de chiffres spécifiques pour le régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle ?
M. Gérard Roche. - Je vous remercie pour cette présentation qui nous montre que le déficit de la sécurité sociale n'est pas nécessairement fatal et qu'il est possible de réagir. Vous regrettez que la chirurgie ambulatoire ne se développe pas assez vite : je pense au contraire que c'est tout à l'honneur de nos chirurgiens. Il me paraît très difficile d'opérer un patient le matin pour le faire sortir le soir, sans compter que cela pose un réel problème de responsabilité.
Les 33 % de lits de chirurgie considérés comme inoccupés sont en réalité mis à la disposition des services de médecine, dans la mesure où les urgences sont bien souvent surchargées. Cette mise à disposition ne permet pas toujours d'apporter une réponse médicale suffisante. Je pense qu'il faut encourager le recours aux « services de porte », services de médecine immédiatement opérationnels après le passage aux urgences, y compris le week-end. On pourrait ainsi éviter de nombreux jours d'hospitalisation inutiles.
Les dérives du système de garde, qui constituait autrefois une obligation déontologique, me semblent parfaitement scandaleuses. La rémunération de la garde n'a conduit qu'à aggraver les choses. La notion de « nuit profonde », par exemple, est une ineptie complète : on ne choisit pas son heure pour faire un infarctus. La permanence est en fait moins assurée depuis qu'elle est rémunérée ! Les permanences sont en outre organisées en fonction des territoires administratifs qui sécurisent les ARS mais ne sont pas pertinents d'un point de vue médical.
Je suis heureux que vous nous ayez apporté des éclaircissements sur la question de l'optique. Il est insupportable que la sécurité sociale considère qu'un déficit sensoriel relève de la médecine de confort. C'est au contraire une question essentielle en médecine : un enfant qui ne voit pas bien est aussi un enfant en retard scolaire ; le déficit sensoriel est, avant le déficit cognitif, une porte d'entrée dans la dépendance. Pour autant, les 80 % de bénéfices empochés par les professionnels du secteur sont parfaitement inacceptables.
M. Dominique Watrin. - Vous avez démenti avoir préconisé la fin du remboursement des frais d'optique et de prothèses auditives par la sécurité sociale, comme cela avait été repris dans la presse. Je lis cependant dans la synthèse de votre rapport que vous proposez une réflexion sur l'opportunité de la prise en charge de ces frais par l'assurance maladie obligatoire. Je suis perplexe : comment faut-il donc comprendre cette recommandation ? Je pense que la sécurité sociale devrait renforcer sa participation dans ce secteur afin d'encadrer et de faire baisser les prix de ces équipements. Tout désengagement de la sécurité sociale conduit à un renoncement aux soins.
Les travaux de la Cour des comptes s'intéressent davantage aux économies à réaliser sur les dépenses qu'aux recettes, avec des propositions parfois inquiétantes. Dans un contexte de financiarisation de l'économie, il pourrait être intéressant de travailler sur la taxation des revenus financiers des entreprises ou sur la modulation de leurs cotisations sociales en fonction de leur politique plus ou moins favorable à l'emploi - et donc plus ou moins génératrice de cotisations sociales.
S'agissant des hôpitaux, vous faites le constat que les économies réalisées sont encore modestes et qu'il est nécessaire d'accélérer le mouvement de restructuration. Dispose-t-on d'études précises sur les suppressions d'emplois dans le secteur hospitalier et sur les conséquences qu'elles engendrent ? Il est indispensable qu'une dimension d'humanité demeure dans nos hôpitaux : elle est en effet essentielle au bon résultat des soins. Vous écrivez que les restructurations doivent être conduites plus fermement : qu'entendez-vous exactement par cette formule ? Dans la zone de santé dans laquelle je réside, celle de Lens-Hénin-Beaumont dans le Pas-de-Calais, la concertation mériterait d'être largement améliorée. Dans le cadre d'un projet de restructuration incluant la construction d'un nouvel hôpital à Lens, le directeur de l'ARS n'a réuni tous les acteurs que pour leur indiquer qu'ils porteraient la responsabilité de l'échec du programme d'investissement en cas d'opposition.
M. Jean-François Husson. - L'amélioration de la situation financière de la sécurité sociale est plutôt conjoncturelle, dans la mesure où elle résulte en partie de la vente de biens. La dégradation des finances sociales est un phénomène qui se poursuit depuis plusieurs décennies et je me demande si nous ne sommes pas proches d'une situation de blocage. L'ensemble des hôpitaux voient leur déficit déraper et leurs finances ne sont soutenues que par des aides ponctuelles de l'Etat. En tout état de cause, il nous faut attendre de voir dans quelle mesure les préconisations que vous formulez année après année seront reprises par le Gouvernement dans le cadre de la stratégie nationale de santé qui nous sera prochainement dévoilée.
Sur la question de l'optique, il me paraît souhaitable que la couverture du régime obligatoire, qui est aujourd'hui de 4 %, atteigne un seuil de 10 % et que le reste soit pris en charge par les complémentaires santé. Le seuil de 4 % n'est en effet atteint qu'en raison de la meilleure couverture dont bénéficient les enfants de moins de seize ans, tandis que celle des autres assurés sociaux est quasiment inexistante.
M. Michel Vergoz. - La reprise de votre rapport dans les médias, notamment sur l'optique, me semble participer d'une vaste entreprise de désinformation. La question des niches sociales, dont on parle peu et que l'on connaît peu, est très anxiogène ; c'est pourquoi il ne faut pas les évoquer sans expliciter ce qu'elles recouvrent, à moins de jouer un jeu dangereux de déstabilisation de l'opinion publique. Cette question est d'autant plus importante qu'à eux seuls, les 200 dispositifs dérogatoires, qui représentent 52 milliards d'euros, ont suffi à neutraliser tous les efforts entrepris pour le redressement des comptes sociaux par les recettes. La loi de programmation des finances publiques pour la période 2012-2017 prévoyait l'évaluation de l'ensemble des niches sociales sur une période de cinq ans. Or, vous recommandez dans votre rapport une planification de l'évaluation des niches sociales sur cinq ans : doit-on comprendre que cette évaluation, indispensable pour la compréhension de ces enjeux, a en fait été repoussée de deux ans ? Cette recommandation m'apparaît par ailleurs très douce au regard du contexte de tempête que nous traversons actuellement. Sans doute existe-t-il des blocages sur la question des niches sociales, mais à quel niveau ?
Mme Annie David, présidente. - Je pense qu'il faut davantage faire participer les revenus financiers au financement de la protection sociale. La sécurité sociale a été fondée, au moment de sa création, sur des cotisations assises sur les revenus du travail : il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer ce système dans le sens d'une meilleure solidarité.
J'ai quelques inquiétudes au sujet de la biologie médicale. La proposition de loi que nous avons récemment adoptée n'avait pas pour objectif de faire fermer des laboratoires, mais visait à favoriser un meilleur service de proximité. Sans doute faudrait-il, afin de porter une meilleure appréciation sur l'augmentation du nombre d'actes de biologie médicale, la rapporter à celle des pathologies et de la durée de vie.
Le développement de la chirurgie ambulatoire ne me paraît pas adapté à tous les territoires. Il me semble difficile de faire sortir rapidement les patients dans les territoires ne disposant pas de services de soins de suite et de réadaptation (SSR), particulièrement dans les campagnes. Il pourrait être judicieux de réaliser, pour la biologie comme pour la chirurgie, des études d'efficience qui permettent de prendre en compte la qualité des soins.
S'agissant de la permanence des soins, pourrait-il être envisagé de revenir à l'organisation antérieure que nous rappelait M. Roche à l'instant ?
M. Didier Migaud. - Je tiens à rappeler que le rôle de la Cour des comptes se limite, par ses recommandations, à éclairer le Parlement. Elle ne prétend en aucun cas se substituer à la représentation nationale.
Le recensement des actes médicaux inutiles évoqué par M. Vanlerenberghe nécessiterait une capacité d'expertise dont la Cour ne dispose pas actuellement.
Je partage l'avis de Mme Génisson concernant la nécessité d'engager une réforme structurelle de notre système de soins.
Concernant l'optique, nous recommandons « réexaminer à terme, pour l'optique, l'articulation entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance maladie complémentaire ». Il faut avoir une vue déficiente ou l'esprit mal tourné pour traduire cela comme étant une recommandation de la Cour de désengagement de la sécurité sociale en matière de frais d'optique ! Ce n'est pas ce qui est écrit ... Nous appelons à une réflexion des pouvoirs publics, qu'il vous appartient de conduire, sur la nécessité d'articuler le rôle des régimes obligatoires et celui des assurances complémentaires, surtout si ces dernières sont généralisées dans un proche avenir.
Par ailleurs, le désengagement des régimes obligatoires en matière d'optique s'est déjà réalisé ! Pourquoi, dans le cadre des réflexions que vous serez amenées à conduire sur le sujet, vous interdire a priori certaines pistes ? L'optique est le constat d'un échec : la sécurité sociale s'est désintéressée du sujet, permettant l'apparition d'un système dérégulé.
D'ailleurs les opticiens ne sont pas responsables de cette situation. Ils se sont simplement organisés pour répondre à une demande. Les principaux responsables sont la sécurité sociale et les complémentaires ! Grâce à la Cour, le sujet devient public. Si cela peut contribuer à résoudre les difficultés en ce domaine, je veux bien accepter que notre recommandation ait été mal interprétée.
Je voudrais également revenir sur le caractère anxiogène et démoralisant des rapports de la Cour. Nous sommes évidemment sensibles à ce genre de remarque. Il nous appartient toutefois d'établir les constats qui s'imposent, aussi impopulaires soient ils auprès des professions concernées. Ces constats visent par ailleurs à encourager des réformes permettant de dégager des économies sans remettre en cause ni l'accès aux soins ni la qualité des soins.
Dans bien des domaines, un supplément d'argent public ne suffit pas à régler les difficultés. Nous l'avons montré dans le domaine de l'éducation nationale. Nous le constatons aujourd'hui en matière de permanence des soins où ces 700 millions d'euros de dépenses correspondent à une dégradation du service rendu aux citoyens.
M. Antoine Durrleman. - Mme Génisson a rappelé que nous ne disposions pas de la même profondeur d'analyse sur les secteurs hospitaliers public et privé. Nos compétences vis-à-vis du secteur privé se limitent en effet à des demandes d'informations tandis que nous sommes habilités à nous rendre dans les établissements publics pour en contrôler le fonctionnement.
En matière de chirurgie ambulatoire, les données dont nous disposons montrent effectivement une dynamique de progression : entre 2009 et 2011, la part d'ambulatoire est ainsi passée de 37 % à 39,5 %. Les données comparatives internationales les plus récentes datent quant à elles de 2009, mais depuis lors, la situation relative de la France n'a pas significativement changé.
Cette progression de la part de la chirurgie ambulatoire est le fruit d'un effort collectif entre les équipes hospitalières. Nous avons d'ailleurs été frappés de constater que la part d'ambulatoire est moins importante dans les CHU que dans les centres hospitaliers généraux. Certains CHU, à l'image de l'AP-HP, tentent cependant d'accélérer leur conversion ambulatoire.
La chirurgie ambulatoire se développe en fonction de considérations médicales mais également en fonction de l'environnement du patient. Le retour à domicile en zone rurale ne se fait pas dans les mêmes conditions qu'en zone urbaine ou toutes les équipes sont immédiatement disponibles. Nous évoquons d'ailleurs dans le rapport l'expérimentation prometteuse menée par la MSA en Languedoc-Roussillon concernant la mise en place de dispositifs d'accompagnement des populations agricoles vers la chirurgie ambulatoire.
La question de la responsabilité en matière de chirurgie ambulatoire concerne les chirurgiens et les anesthésistes-réanimateurs.
Nous estimons que le développement de la chirurgie ambulatoire a jusqu'ici reposé sur des incitations financières qui ont atteint leurs limites. Nous recommandons de réfléchir à la mise en place d'un nouveau dispositif de tarification afin de franchir un nouveau palier.
La modernisation de la biologie passe par la modernisation de la nomenclature. Le caractère inadapté de la nomenclature est problématique pour les biologistes comme pour les assurés sociaux. Il conduit à réaliser à l'hôpital certains actes qui pourraient l'être en biologie de ville.
Nous avons toutefois constaté que l'assurance maladie vivait très bien le blocage de la commission de hiérarchisation des actes de biologie. Ayant la possibilité de passer outre ce blocage et de réaliser son propre plan d'économies, elle ne s'embarrasse plus à discuter avec les syndicats de biologistes d'une modernisation de la nomenclature.
Nous avons également constaté que l'assurance maladie ne cherchait pas à limiter le nombre d'actes de biologie prescrits et qu'il n'existait ni gestion du risque en ce domaine ni référentiel relatif au bon usage de la biologie.
Lorsque nous avons préconisé de diminuer de deux centimes la valeur de la lettre-clé, il s'agissait par ce biais d'inciter les parties conventionnelles à discuter d'un nouvel accord. Si les discussions en cours devaient échouer, il conviendrait d'envisager de dénoncer la convention pour remettre la situation à plat.
La question des restructurations hospitalières recouvre également les regroupements de laboratoires de biologie hospitaliers. Ceux-ci accusent un certain retard dans le processus d'accréditation : au moment où nous avons remis notre rapport, 20 % d'entre eux n'avaient pas été en capacité de s'engager dans cette procédure. Des coopérations et mutualisations sont donc encore largement possibles et même nécessaires. Elles permettraient à la fois d'élever la qualité des soins hospitaliers (on constate en effet de meilleures performances lorsqu'est atteint un certain volume d'actes) et de réaliser des gains d'efficience.
L'articulation entre la permanence des soins et les maisons médicales de garde est une question essentielle. Elle constitue en effet un important levier d'amélioration de l'organisation du parcours de soins. L'ouverture d'une maison médicale de garde à proximité d'un service d'urgences génère des bénéfices considérables à tous les niveaux. Il faudrait également réfléchir à une baisse de la tarification des urgences hospitalières, qui pourrait inciter au développement des maisons médicales de garde.
Mme Catherine Génisson. - Dans le domaine chirurgical, il pourrait être intéressant d'évaluer le taux de réhospitalisation observé dans plusieurs configurations (public-privé, privé-public, public-public, privé-privé). La permanence des soins dans les maisons de retraite constituerait également un thème d'étude intéressant.