COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mardi 23 juillet 2013
- Présidence de M. Jacques Urvoas, président -Commission mixte paritaire sur le projet de loi de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et sur le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2013.
Elle procède d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Jean-Jacques Urvoas, député, président, et M. Jean-Pierre Sueur, sénateur, vice-président, M. Yan Galut, député, étant désigné rapporteur pour l'Assemblée nationale, et M. Alain Anziani, sénateur, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Alain Anziani, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le texte voté par le Sénat comporte un certain nombre de différences majeures avec celui adopté par l'Assemblée nationale, puisque le Sénat a notamment supprimé l'ensemble des articles relatifs au procureur de la République financier pour les remplacer par d'autres dispositions.
En ce qui concerne le reste du texte, je souhaite attirer l'attention des membres de la commission sur un certain nombre de dispositions importantes.
La première concerne la suppression de l'article 1er, qui prévoyait le droit pour les associations agréées en matière de lutte contre la corruption de se constituer partie civile.
À l'article 1er bis, qui prévoit que les amendes encourues par les personnes morales peuvent être proportionnelles à leur chiffre d'affaires, le Sénat a exclu du champ de ces dispositions les contraventions, pour les rendre applicables aux seuls crimes et délits punissables d'au moins cinq ans d'emprisonnement, et introduit un lien avec le profit direct ou indirect obtenu par l'entreprise.
Nous avons un désaccord sérieux à l'article 2 bis concernant la définition du blanchiment, qui prévoit un renversement de la charge de la preuve. Notre analyse est que cela correspond à un tournant considérable dans notre droit pénal et à la mise à bas de toute une philosophie juridique. Nous devons nous méfier des effets de cette mesure, qui introduit une présomption de culpabilité contraire à nos principes constitutionnels. Cette dérive pourrait se généraliser, si elle était avalisée par le juge constitutionnel.
À l'article 3 bis D, nous avons modifié la composition de la commission des infractions fiscales, en portant de six à huit le nombre de membres élus respectivement par le Conseil d'État, par la chambre du conseil de la Cour des comptes et par l'assemblée générale de la Cour de cassation.
À l'article 3 ter, nous avons souhaité que le rapport annuel communiqué au Parlement par l'administration fiscale comprenne le nombre de signalements effectués par les agents de la direction générale des finances publiques auprès du ministère public en application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale.
Nous pourrions trouver un accord sur l'article 3 sexies, qui a été approuvé par le Gouvernement et vise à réprimer la conception de logiciels de comptabilité ou de caisse contribuant à l'évidence à la réalisation de fraudes fiscales.
L'article 9 quater est un point sensible, car l'Assemblée nationale a prévu de consacrer dans la loi la règle jurisprudentielle selon laquelle en cas de dissimulation de l'infraction, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la découverte de l'infraction. Le Sénat est plutôt d'avis qu'il convient de ne pas inscrire ce principe dans la loi et de s'en remettre à une jurisprudence bien établie ; en outre, si ce principe devait être adopté, il conviendrait de le rendre applicable aux crimes et non seulement aux délits.
L'Assemblée nationale pourrait également accepter l'article 9 septies A, qui prévoit que, en cas d'échec d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité engagée après une instruction, l'ordonnance de renvoi devient caduque, sauf à ce que le procureur de la République assigne le prévenu devant le tribunal correctionnel.
Nous avons une divergence certaine sur les lanceurs d'alerte, à l'article 9 septies. La rédaction de l'Assemblée nationale était très large : nous avons décidé de la limiter, d'une part, aux crimes et délits, et, d'autre part, aux signalements faits aux autorités judiciaires et administratives, et non aux médias, voire à une entreprise concurrente.
À l'article 10 relatif à l'utilisation dans le cadre de procédures fiscales d'informations d'origine illicite, nous avons souhaité conserver l'encadrement proposé par le Gouvernement en adoptant une définition limitée des pièces concernées et des autorités à l'origine de cette transmission.
Concernant les dispositions relatives aux avocats à l'article 10 bis, nous pensons possible de conserver les modifications introduites par le Sénat visant à étendre aux visites domiciliaires fiscales l'application de l'article 56-1 du code de procédure pénale, qui prévoit un certain nombre de garanties et l'intervention du bâtonnier en cas de perquisition au cabinet ou au domicile d'un avocat.
À l'article 10 quinquies, qui concerne les caisses des règlements pécuniaires des avocats, nous pensons qu'à partir du moment où la transaction alimentant ces caisses a pour origine une procédure juridictionnelle, il n'y a peut-être pas lieu à signalement.
À l'article 11 bis C, nous avons fixé à 10 000 euros le montant maximal des amendes pouvant être prononcées en cas d'opposition à la copie de documents par l'administration fiscale. Si le montant de 10 000 euros adopté par le Sénat peut être modifié pour trouver un plafond approprié, une telle limitation nous paraît nécessaire pour respecter le principe de proportionnalité des peines.
À l'article 11 sexies, l'Assemblée nationale a prévu de doubler le délai de prescription en matière fiscale en le portant à six ans, ce qui ne nous semble pas être une bonne idée, car cela conduirait à avoir une durée exorbitante dans la seule matière fiscale et pourrait conduire à rallonger d'autant la durée d'instruction.
En ce qui concerne l'article 11 decies A relatif à l'optimisation fiscale des grands groupes, l'Assemblée nationale pourrait l'accepter en le retravaillant et en précisant les conditions de son entrée en vigueur.
Le reste des dispositions du projet de loi concerne les dispositions alternatives à la création du procureur financier que le Sénat a adoptées.
M. Yann Galut, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Il n'aura échappé à personne que les positions de nos deux assemblées sont, de mon point de vue, trop éloignées pour que nous puissions envisager de trouver un accord.
Certes, sur un certain nombre de points, les positions des deux assemblées ont convergé. Le Sénat a ainsi adopté conformes près de la moitié des articles du texte qu'avait adopté l'Assemblée nationale - trente articles sur soixante-trois - et adopté un certain nombre d'autres articles avec des modifications qui s'inscrivent dans la même philosophie que celle du texte adopté par l'Assemblée. Parmi les articles adoptés par le Sénat, je mentionnerai :
- l'aggravation des peines du délit de fraude fiscale aggravée et la création du délit de fraude fiscale en bande organisée ;
- la possibilité de porter les peines encourues par les personnes morales à 10 % de leur chiffre d'affaires en matière correctionnelle et 20 % en matière criminelle ;
- l'application du statut de repenti en matière de corruption, de blanchiment et de fraude fiscale ;
- l'augmentation des peines encourues pour les faits de corruption ;
- la création d'un délit d'abus de biens sociaux aggravé ;
- l'extension de la compétence de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) au blanchiment de fraude fiscale, ainsi que l'extension de la compétence du Service national de la douane judiciaire (SNDJ) à l'association de malfaiteurs et la possibilité pour ce service de recourir aux logiciels de rapprochement judiciaire ;
- la protection des lanceurs d'alerte, dont le Sénat a approuvé le principe, même s'il en a, de notre point de vue, trop réduit la portée ;
- les articles sur les saisies et confiscations en matière pénale, tous adoptés conformes ;
- la création d'un registre des trusts ;
- l'encadrement de la politique transactionnelle de l'administration fiscale et la modification de la composition de la commission des infractions fiscales ;
- les articles renforçant les prérogatives des administrations fiscale et douanière dans le cadre des contrôles qu'elles opèrent ;
- et, pour conclure, l'encadrement des prix de transfert, dispositif très important que notre assemblée avait voté à l'initiative de Mmes Sandrine Mazetier et Karine Berger.
Je ne peux que me réjouir de l'adoption de ces différents articles, qui témoigne du fait que le Sénat, comme nous, était prêt, dans une certaine mesure, à renforcer les outils de la lutte contre la fraude fiscale.
Cependant, et sans remettre en cause ni l'utilité ni l'importance des articles votés par le Sénat, l'essentiel du projet de loi n'était pas là, et sur l'essentiel, les positions de nos deux assemblées sont - et demeurent - très éloignées.
Je vois, entre le texte de l'Assemblée nationale et le texte du Sénat, quatre points de divergence principaux.
La première divergence porte sur l'article 1er, qui prévoit la constitution de partie civile des associations de lutte contre la corruption, et que le Sénat a supprimé en invoquant une possible « privatisation » de l'action publique.
Tout en la respectant, je regrette cette position du Sénat, et j'avoue avoir du mal à la comprendre, s'agissant de faits dont la dénonciation est rarissime car ils ne font pas de victimes « directes », ou alors des victimes qui s'ignorent. De plus, la défiance exprimée à l'égard des associations anti-corruption existantes me paraît totalement déplacée et surprenante.
La deuxième divergence porte sur la création du procureur de la République financier, que le Sénat a rejetée et a remplacée par une extension des compétences du parquet et du tribunal de Paris.
La solution adoptée par le Sénat en séance ne répond pas à la nécessité d'une autonomie des moyens dédiés à la lutte contre la grande fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ni au besoin d'« incarnation » de la lutte contre cette délinquance.
Le rejet des articles du projet de loi sur le procureur de la République financier et de l'ensemble du projet de loi organique me paraît d'autant plus regrettable, que le travail accompli en commission par le rapporteur Alain Anziani pour améliorer le dispositif et régler les difficultés de conflit de compétences était intéressant.
La troisième divergence porte sur la possibilité de recourir aux techniques spéciales d'enquêtes en matière de fraude fiscale en bande organisée et de grande délinquance économique et financière, ainsi qu'en matière d'abus de biens sociaux aggravés, à la suite d'un ajout que j'avais proposé.
Le Sénat a supprimé cette possibilité, ce que je regrette, car la complexification et l'internationalisation de la fraude fiscale et de la délinquance économique et financière rendent absolument indispensable le renforcement des outils procéduraux à la disposition des enquêteurs. Sans cela, les fraudeurs auront toujours une longueur d'avance sur les enquêteurs, et nous ne pourrons que continuer à nous lamenter sur la difficulté à lutter contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.
Enfin, la quatrième divergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat porte sur la possibilité pour les administrations fiscale et douanière de se fonder sur des preuves d'origine illicite dans le cadre de redressements ou d'enquêtes administratives. L'Assemblée nationale avait renforcé la portée de ces dispositions, en supprimant l'exigence de transmission de ces preuves par la justice ou par le biais de la coopération internationale, en étendant leur champ d'application à l'administration des douanes et en élargissant les actes d'investigation que ces preuves pourront permettre d'accomplir. Le Sénat a fortement restreint la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale, au point de le priver d'une bonne partie de son intérêt.
À ce stade, en raison de l'importance de ces divergences, l'adoption d'un texte commun par la commission mixte paritaire ne me semble malheureusement pas envisageable.
M. Jean-Jacques Urvoas, président. - Plus personne ne demandant la parole, je constate notre absence d'accord sur chacun des deux textes.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
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La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier s'est également réunie à l'Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2013.
Elle procède d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Jean-Jacques Urvoas, député, président, et M. Jean-Pierre Sueur, sénateur, vice-président, M. Yan Galut, député, étant désigné rapporteur pour l'Assemblée nationale, et Mme Virginie Klès, sénateur, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission est ensuite passée à l'examen des dispositions restant en discussion.
En cohérence avec le constat d'échec opéré par la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier.