- Mardi 2 juillet 2013
- Rapport annuel de l'Autorité des marchés financiers - Audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
- Séparation et régulation des activités bancaires - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
- Réforme européenne des indices des taux - Examen du rapport et du texte de la commission
- Contrôle budgétaire - Régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins (ENIM) - Communication
- Mercredi 3 juillet 2013
- La coopération fiscale internationale face à l'érosion des bases fiscales - Audition de M. Édouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale, Mme Ursula Plassnik, ambassadeur d'Autriche en France, et M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE
- Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2012 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour 2014 - Examen du rapport d'information
Mardi 2 juillet 2013
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Rapport annuel de l'Autorité des marchés financiers - Audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF.
M. Philippe Marini, président. - Nous vous avions auditionné l'an dernier en tant que candidat désigné à la présidence de l'AMF. Nous vous recevons maintenant dans cette fonction, accompagné de Benoît de Juvigny, secrétaire général. Vous pourrez nous présenter non seulement un bilan de l'année passée, mais surtout les orientations du document stratégique 2013-2016, qui porte un très beau titre : « Redonner du sens à la finance ».
Deux sujets en particulier auraient besoin d'être éclairés : faut-il tout d'abord retoucher la législation française sur les offres publiques ? Les capitalisations boursières, souvent faibles, peuvent susciter des appétits, pas toujours sains. Une proposition de loi portant notamment sur les seuils a été déposée à l'Assemblée nationale. Peut-être doit-on aussi soulever la question de la régulation de la vitesse d'acquisition ou le cas des offres publiques infructueuses.
La seconde question, d'ordre industriel, a trait à la compétitivité de la place de Paris et au rôle qu'Euronext est susceptible d'y jouer, au moment où se présente une opportunité de faire revenir cette dernière dans le giron européen.
M. Gérard Rameix, président de l'AMF. - Notre plan stratégique, qui a été mis en consultation il y a quelques semaines, sera définitivement arrêté à l'automne. Loin de marquer une rupture, il s'inscrit dans la continuité de celui qu'avait présenté Jean-Pierre Jouyet, mon prédécesseur. Pourtant, bien des choses se sont passées depuis lors, notamment au niveau européen ; aussi croyons-nous utile de repréciser notre posture dans l'action afin de redonner du sens à la finance, qui est indispensable au redémarrage de la croissance. Etant le protecteur naturel des épargnants, l'AMF souhaite contribuer à rétablir leur confiance dans une finance revenue à sa mission de base, le financement de l'économie.
Notre première priorité est de nous investir à fond pour des marchés européens sûrs et transparents. Avec la mise en place de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), la plupart des normes, qu'elles soient de niveau 1 (directives et règlements) ou de niveau moins élevé (code de conduites, directive d'application, etc.) sont d'origine européenne. Nous sommes favorables à une Europe des marchés financiers la plus unie possible, avec une AEMF forte, capable de combler les défaillances de la régulation en promouvant des règles harmonisées et plus précises pour un jeu égal pour tous au sein de l'Europe. Nous souhaitons que la place de Paris soit plus associée à la définition des textes ; c'est pourquoi nous voulons davantage mobiliser les canaux pour expliciter les enjeux, car sur ce point, nous sommes en retard sur les Anglo-Saxons. Nous souhaitons promouvoir une réglementation compatible avec les intérêts des épargnants comme avec ceux de notre industrie financière.
Rétablir la confiance ensuite. Nous traversons une crise de confiance des épargnants, français ou non. Le taux d'épargne augmente avec la crise, mais l'épargne financière, abondante, a tendance à se diriger vers les produits les moins risqués. Notre mission est d'éclairer l'épargnant sur le couple rendement-risque. Le placement le plus sûr et le plus liquide n'est pas toujours dans l'intérêt de l'épargnant, ni dans celui de l'économie...
La faiblesse actuelle des taux d'intérêt rend séduisants des produits atypiques, aux sous-jacents non financiers (manuscrits, oeuvres d'art, vin), aux montages parfois trompeurs, et pour lesquels nous manquons de cadre juridique. Nous aimerions nous doter des moyens d'alerter les épargnants sur les risques et compter des personnalités représentant davantage leur sensibilité dans le collège comme dans la commission des sanctions.
Approfondir les conditions de commercialisation des produits financiers est pour nous une priorité. Nous avons la charge de réguler la profession de conseiller en investissement financier, qui compte 5 000 personnes et nos contrôles restent insuffisamment développés. Nous voulons aussi contribuer à développer la culture économique du public sur des enjeux tels que la stabilité financière, le risque ou la contribution de la finance à l'économie. Nous ne reculons pas devant les sanctions dont - vous avez pu le constater - la sévérité s'accroît. Nous nous efforcerons de cibler les contrôles au maximum et, maintenant que la composition administrative a fait ses preuves, une loi pourrait l'étendre, de sorte que nous soyons plus percutants sur certains dossiers.
Le financement de l'économie enfin. Nous ne pouvons pas être indifférents à l'impact économique de la régulation, ni au défi que représente le fait d'allier efficacité économique et sûreté du paysage financier. Cela passe par la commercialisation, la titrisation et de nouvelles formules telles que la finance participative (crowdfunding) ; au-delà des normes comptables, je plaide pour qu'on adapte les règles aux entreprises moyennes et intermédiaires au lieu de les gêner en les durcissant. Cela peut aussi passer par l'évolution de la place financière et de l'entreprise de marché, à travers l'opportunité historique qui se présente de former à nouveau une bourse dédiée aux entreprises d'une partie de la zone euro.
Une régulation européenne forte avec des règles qui s'appliquent de la même manière dans tous les pays, une action déterminée au service de la protection des épargnants, un souci d'allier celle-ci avec le rétablissement des équilibres de financement, voilà notre état d'esprit.
Nous assistons depuis les années 70 à la construction de normes nationales et européennes pour les offres publiques. Compte tenu du niveau des cours, certaines sociétés, dont le capital est très dispersé, pourraient faire l'objet d'offres publiques si l'inquiétude qui prévaut n'expliquait pas une atonie des opérations de rapprochement d'entreprises en Europe. Des propositions sont sur la table. Longtemps fixé au tiers du capital, notre seuil de déclenchement d'une offre publique d'achat a été abaissé à 30 %. Aller jusqu'à 25 % aurait plus d'inconvénients que d'avantages. Il y a toujours des effets de seuil ; lors du dernier abaissement, il a ainsi fallu prévoir une clause de grand père, pour que les personnes détenant une part de capital comprise entre les deux seuils puissent la conserver sans être tenues de faire une offre. Une telle clause serait nécessaire pour un nouvel abaissement. Non seulement la protection n'en serait pas sensiblement améliorée, mais encore ce seuil de 25 % singulariserait la France en Europe, puisqu'un seul autre pays le pratique.
Contre le contrôle rampant, qui consiste à prendre le contrôle d'une entreprise sans en payer le prix, nous préférons deux mesures techniques. La première est, à l'instar de ce que font les Britanniques, de ne déclarer une offre publique close que lorsque l'initiateur parvient à 50 % et d'obliger celui-ci à rendre les titres dans le cas contraire : de cette manière, l'acquéreur est tenu de formuler une offre assez attrayante pour y parvenir. La seconde consiste à modifier la règle traditionnelle, qui veut que si l'on dépasse le seuil sans aller jusqu'à 50 % du capital, on ne puisse en acheter que 2 % par an ; on pourrait ramener ce pourcentage à 1 %. Enfin, bien qu'importante, la proposition de loi, qui concerne surtout le droit social, ne devrait pas bloquer toute offre.
M. François Marc, rapporteur général. - Vos moyens suffisent-ils à vos nouvelles missions ? Bénéficiez-vous des capacités d'analyse, de l'expertise ou des investissements informatiques nécessaires au contrôle des opérations sur matières premières et du trading à haute fréquence ?
Quel bilan tirez-vous de votre activité de sanction. Le relèvement des plafonds a-t-il été suffisamment dissuasif ? Les procédures de transaction sont-elles efficaces ? Vous avez rédigé un rapport sur l'accès des PME au marché financier. Comment peuvent-elles avoir confiance dans le nouveau marché Enternext, qui doit concrétiser l'opportunité dont vous nous avez parlé ?
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit que l'Autorité de contrôle prudentiel devra communiquer au fisc toute information en cas de soupçon de fraude. Voyez-vous des obstacles à ce que cela s'applique à l'AMF ? Le Sénat pourrait en effet examiner un amendement dans ce sens.
Quelle est votre opinion sur la réforme du LIBOR ? Que proposez-vous sur la finance participative, dans laquelle la levée de fonds sur Internet se fait sans cadre légal ; à cet égard, que pensez-vous du JOBS Act américain ? La titrisation est-elle dangereuse en soi, ou faut-il, tout en éliminant les produits les plus dangereux, procéder à une labellisation, dont les critères restent à préciser ? Les fonds monétaires ne sont pas épargnés par les paniques et nous avons pu voir, aux Etats-Unis, combien il était difficile de les encadrer ; qu'en est-il en Europe ?
M. Gérard Rameix. - La loi a récemment étendu nos attributions à la tenue de marché, aux marchés des dérivés et des matières premières, ce qui nous confronte à des marchés très éclatés. Nous cherchons à faire face sous la contrainte, commune à toutes les administrations, du bon emploi des fonds publics, et sous celle, spécifique à l'AMF, de recettes assises sur les opérations et qui évoluent lentement. Nous essayons de ne pas alourdir la parafiscalité que nous exerçons sur la place.
Les effectifs des instances de régulation ont augmenté. Pour l'ACP, cela s'est fait à un rythme plus soutenu que pour nous, qui avons vu nos effectifs augmenter de 18 % dans l'exécution du plan stratégique précédent. Nous employons 450 personnes contre 310 en 2003. Ce nombre reste raisonnable, car les tâches ont augmenté plus vite. Nous sommes bien positionnés pour répondre aux défis techniques qui se posent à nous. Les équipes de surveillance ont progressé ; elles sont prêtes pour la surveillance du marché des matières premières, des produits dérivés et des opérations de tenue de marché. Cependant, pour mieux y faire face, nous aurons besoin d'une coopération plus efficace en Europe, notamment par des opérations mutualisées entre l'AEMF et les vingt-sept régulateurs nationaux. Le plafond des effectifs fixé par le législateur est de 469 agents. Avec des redéploiements et les recrutements de bonne qualité que nous avons opérés ces dernières années, il ne devrait pas être nécessaire de le modifier. En revanche, si les recettes stagnaient, nous ne pourrions pas continuer à puiser dans le fonds de roulement, heureusement assez important - elles sont traditionnellement sinusoïdales.
Le plafond des sanctions financières a connu trois relèvements successifs. La Commission des opérations de bourse (COB) n'avait droit qu'à dix millions de francs ; ce plafond a été porté à dix millions d'euros, puis à cent millions d'euros ou le décuple du profit. En pratique, les sanctions sont généralement de trois fois le profit dans le cas d'information privilégiée. La sanction imposée il y a peu à LVMH est la plus importante en montant nominal : huit millions d'euros, alors que le plafond était de dix millions d'euros. Par la jurisprudence, nous cherchons à fixer une norme pour assurer une prévisibilité aux sanctions.
J'ai toujours été un avocat de la transaction, sous réserve de rendre publics les faits constatés et la pénalité. Elle représente en effet un gain en temps et en efficacité, à condition bien sûr d'en user avec discernement. Comme elle ne peut intervenir en cours d'enquête, le début de la procédure est identique et la publicité est totale. L'année dernière a été la première année pleine d'application de ce système, qui a bien marché quoique notre pays n'ait pas la culture de la transaction. Une transaction a été offerte à dix professionnels : dans sept cas, elle a été agréée et homologuée ; dans un cas, la commission des sanctions a refusé la transaction pour des questions juridiques ; dans les autres cas, nous n'avons pu conclure de transaction en raison d'un désaccord sur le niveau de la pénalité. Nous souhaiterions qu'un projet ou une proposition de loi étende ce dispositif aux manquements autres que les abus de marchés, de manière à couvrir des manquements à l'obligation d'information financière ne constituant pas des délits de fausse information.
Les entreprises de taille moyenne se sont senties orphelines de la bourse ; elles pâtissent de règles lourdes, d'une entreprise de marché lointaine et de cours défavorables. Or, avec Bâle III, leur modèle de financement, qui reposait exclusivement sur les banques, va devoir évoluer. Les mesures prises par NYSE-Euronext, si elles viennent un peu tard, constituent un signe clair d'une approche plus attentive au terrain. Il semblerait en outre que le London Stock Exchange envisage de concrétiser des propositions déjà anciennes pour tenter de concurrencer Euronext sur le marché français. Mais cela ne suffit pas. Il faut des circonstances économiques particulières, avec un plus grand nombre d'investisseurs s'intéressant à ce type de titres. Certains remarquent que le cours des valeurs moyennes et intermédiaires a été récemment plus favorable que celui des grandes entreprises.
Le mouvement d'ouverture vers les entreprises moyennes constaté sur le segment obligataire reste embryonnaire. Pour le marché des actions, les fonds levés par introduction en 2012 ont été inférieurs à 300 millions d'euros, contre 6 milliards pour le capital-développement.
M. François Marc, rapporteur général. - C'est marginal.
M. Gérard Rameix. - Je suis plutôt réservé sur la proposition relative à la fraude fiscale. L'expérience m'a appris la grande spécificité du terrain fiscal. Sur les cent rapports d'enquêtes que j'ai vus depuis dix ans, peu ont des aspects fiscaux, et quand c'est le cas, il y a, neuf fois sur dix, signalement au parquet. En revanche, une telle disposition aurait un effet gênant en termes d'affichage. La plupart des enquêtes bénéficient de coopérations internationales, qui passent par des accords avec nos homologues dans lesquels les renseignements ne sont utilisés que pour la régulation financière. Il faudrait demander l'autorisation de diffuser des informations au fisc, ce qui accroîtrait encore les hésitations de nos partenaires les plus réticents.
Sur le LIBOR, nous n'avons pas de procédure autonome pour des raisons juridiques mais nous avons mené des investigations pour répondre à des homologues. Nous avons participé au groupe de travail qu'ont dirigé le britannique Martin Wheatley et Gary Gensler, président de la CFTC américaine (Commodity Futures Trading Commission), sur ce sujet mais aussi sur d'autres indices reposant sur une base élaborée, pour laquelle on peut craindre des conflits d'intérêts et un manque de transparence. Nous avons demandé à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) un durcissement dans l'application des principes et nous espérons que l'Union européenne agira de sorte que les conflits d'intérêts soient évalués et traités et les procédures de recueil de données deviennent plus solides. Sur ce sujet, je suis en parfaite sympathie avec Richard Yung qui a rédigé un rapport sur ce sujet. La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne. S'agissant du LIBOR, Martin Wheatley préconise de conserver le système britannique en réformant les procédures, alors que, pour Gary Gensler, on ne peut pas accepter un indice que ne repose pas sur des transactions vérifiables.
M. Richard Yung. - L'accès au financement des entreprises moyennes connaît un succès mitigé, avez-vous dit. Quelles propositions avez-vous en stock pour ouvrir le marché aux PME ? S'agit-il de mesures fiscales, concernant les fonds propres, de mesures administratives ?
La France donne l'impression d'être un peu en arrière sur les sanctions. Celles de l'AMF sont assez modestes par rapport à ce qui se fait outre-Atlantique ou de l'autre côté de la Manche. Est-il dans notre tradition de ne pas être trop méchant ?
Enfin, vous semblez critique à l'égard de la taxe sur les transactions financières, qui existe déjà en France et fait l'objet d'une coopération renforcée. Pourriez-vous être plus explicite ?
M. Francis Delattre. - La sanction pour les franchissements de seuils camouflés est ridicule en regard des enjeux prononcés. Le retour pour l'actionnaire qui a 20 % du capital est largement supérieur à l'amende. Les huit millions d'euros qu'on lui demande sont le dernier souci de LVMH. Le conflit demeure, l'affaire reste pendante : la sanction ne règle rien. Ne serait-il pas plus astucieux d'obliger les contrevenants à revenir au pourcentage qu'ils détenaient avant la fraude ? Ce serait bien plus efficace.
Il y avait naguère régulièrement des introductions de PME sur les bourses régionales. Il est dommage que ces entreprises ne puissent plus se financer ainsi.
M. Philippe Marini, président. - La nostalgie des bourses régionales reste vive...
M. Gérard Rameix. - Actuellement, la bourse apparaît peu attractive pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire. Elles la perçoivent comme un univers compliqué, coûteux, peu intéressant. Il faut que l'entreprise de marché soit plus attentive à l'égard de ces entreprises. Des initiatives sont en cours. Il faudrait ensuite que ces marchés mobilisent plus d'argent de manière à être plus liquides, que les analystes puis les investisseurs s'y intéressent. Thierry Giami, co-auteur du rapport sur le financement des PME et entreprises de taille intermédiaire par le marché financier, a travaillé avec la Caisse des dépôts et les assureurs. Deux fonds de plusieurs centaines millions d'euros ont été lancés. Un projet de PEA-PME est à l'étude pour inciter les particuliers à investir.
Il serait d'ailleurs souhaitable que la règlementation soit adaptée à la taille des entreprises au lieu de viser uniformément les entreprises dès lors qu'elles sont cotées sur le marché réglementé, parce que l'on touche des entreprises qui viennent juste d'être introduites tandis que les grandes sociétés non cotées y échappent. L'effet est dissuasif pour les entreprises familiales qui souhaiteraient s'introduire en bourse.
Avec les autorités françaises, je plaide auprès de l'AEMF pour que les instances de régulation européennes ne se concentrent pas uniquement sur le durcissement des règles mais sachent les assouplir en dessous d'une certaine taille. Le climat actuel ne s'y prête guère, mais je ne désespère pas d'être entendu. La Commission européenne a publié récemment un rapport sur le financement à long terme des entreprises qui va dans ce sens. En outre, si le financement reste majoritairement bancaire, n'oublions pas le marché obligataire. Enfin, des banques peuvent céder leurs créances à des assureurs ou à des fonds qui émettent des parts d'OPCVM. Tout cela peut contribuer à améliorer le financement à moyen et long terme.
Toutefois le défaut de croissance des petites et moyennes entreprises n'est pas dû à des difficultés de financement. Il relève plutôt d'un manque de compétitivité dans une conjoncture maussade. Mais ces sujets méritent d'être traités car, lorsque la reprise sera là, ces entreprises auront besoin de financement.
Les sanctions prononcées par l'AMF ne sont pas si faibles. Les autorités britanniques, qui sanctionnaient peu il y a quelques années, coopèrent désormais avec la police et ont prononcé des sanctions importantes dans quelques cas. Quant à l'affaire LVMH, à l'époque des faits, le plafond des amendes s'établissait à dix millions d'euros. Comme le franchissement de seuil n'a pas entraîné de profit direct, la sanction représente 80 % du plafond - je ne peux vous dire à combien elle se serait montée avec le nouveau plafond de 100 millions d'euros. La loi n'obligeait pas à l'époque à déclarer les franchissements de seuil lors d'un equity swap dès lors que l'opération se dénouait en espèces. La loi ayant changé, une telle affaire ne se produirait plus. Pourquoi ne pas obliger LVMH à repasser sous le seuil réglementaire ? Parce que la loi ne prévoit pas une revente forcée des titres. En revanche, un franchissement indu du seuil de 5 %, par exemple, entraîne aujourd'hui une perte des droits de vote pendant deux ans.
Oui, je suis réservé sur les modalités de la taxe sur les transactions financières. Il n'est pas anormal que les flux financiers contribuent au redressement des finances publiques. En revanche, le système englobe seulement onze pays et la Commission européenne a retenu une assiette large. Aussi est-il à craindre une délocalisation au profit de nos principaux concurrents que sont l'Irlande, le Luxembourg ou la Grande-Bretagne. Or 15 % des actifs gérés en France sont étrangers. Nous en perdrions une partie. En outre la taxe cible les instruments financiers les plus liquides, ce qui est absurde d'un point de vue économique. Même les opérations de refinancement bancaire, dites « repo », seront taxées, ce qui finira par les rendra fort onéreuses. Nous travaillons avec Bercy pour lever ces objections techniques.
M. Philippe Marini, président. - Que pensez-vous du say on pay ? La consultation a posteriori de l'assemblée générale sur les rémunérations est-elle suffisante ?
M. Gérard Rameix. - Je suis plutôt favorable au code de gouvernance publié par l'AFEP et le MEDEF. Nous avions échangé avec ses auteurs et le code reprend plusieurs de nos propositions. Le say on pay, qui constitue une première étape, est devenu une norme internationale. Est-ce suffisant pour éviter toute interrogation de nos concitoyens sur le caractère parfois importants des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées ? La réponse est plutôt non.
M. Philippe Marini. - Je me réjouis de renouer avec la coutume, excellente, des auditions annuelles du président de l'Autorité des marchés financiers.
Séparation et régulation des activités bancaires - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
MM. Philippe Marini, Richard Yung, Jean-Pierre Caffet, Thani Mohamed Soilihi, Eric Bocquet, Albéric de Montgolfier et Vincent Delahaye sont ensuite désignés comme candidats titulaires, et M. Yannick Vaugrenard, Mme Michèle André, MM. Claude Haut, François Fortassin, Francis Delattre, Philippe Dallier et François Trucy sont désignés comme candidats suppléants, pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
Réforme européenne des indices des taux - Examen du rapport et du texte de la commission
Puis la commission procède à l'examen, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement du Sénat, du rapport de M. François Marc, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 624 (2012-2013) présentée par M. Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, sur la réforme européenne des indices de taux.
M. Philippe Marini, président. - Le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) vient de nous parler de la réforme des indices de taux et nous avons l'occasion d'examiner plus avant ce sujet grâce à une proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Richard Yung.
M. François Marc, rapporteur. - En effet, la commission des affaires européennes a adopté une PPRE sur la réforme européenne des indices de taux, c'est-à-dire l'EURIBOR et le LIBOR, suite à la découverte de fraudes massives sur ce dernier.
Avant de rentrer plus avant dans le détail, je crois utile de rappeler quelques éléments de contexte.
Chaque jour, les banques prêtent et empruntent des fonds les unes aux autres. Que les banques cherchent à emprunter ou à placer, le marché interbancaire offre des conditions plus attractives que celles de la banque centrale.
Il s'agit d'un marché de court terme qui peut aller d'une journée à quinze mois. Il est organisé de gré à gré, c'est-à-dire que chaque banque se tourne vers sa consoeur pour lui demander ses disponibilités et ses prix. Il n'est donc pas possible de connaître le taux d'intérêt moyen pour les différentes devises aux différentes maturités.
Or, de nombreux acteurs financiers souhaitent disposer de cette information - qui reflète le « vrai coût de l'argent » - afin d'établir la rémunération de contrats financiers, comme par exemple les contrats à taux variable. Ces indices peuvent d'ailleurs aussi servir de référence aux prêts à taux variables consentis à des particuliers.
Pour répondre à ce besoin, la British Bankers Association, l'équivalent britannique de la Fédération bancaire française, a créé, au début des années 1980, le LIBOR (London interbank offered rate).
Il permet d'établir un taux d'intérêt moyen pour 10 devises et 15 maturités différentes, soit 150 taux de référence, qui sont calculés chaque jour.
Concrètement, chaque jour, un panel d'une quinzaine de banques doit répondre à la question suivante : « Dans l'hypothèse d'un marché interbancaire de taille raisonnable, à quel taux pourriez-vous emprunter des fonds si vous deviez le faire avant 11h » ?
Les moyennes résultant de ces réponses sont rendues publiques à midi.
J'insiste sur le fait que les taux LIBOR sont des taux de référence, qui leur vaut la qualification d'indices. Plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de contrats financiers sont basés sur ces taux, pour des montants notionnels de l'ordre de plusieurs centaines de milliers de milliards de dollars et au minimum 360 000 milliards de dollars.
L'EURIBOR est l'équivalent du LIBOR dans la zone euro. Il établit la moyenne quotidienne des prêteurs en euros pour 15 maturités.
M. Philippe Marini, président. - Est-il également calculé à Londres ?
M. François Marc, rapporteur. - Il est calculé sous la responsabilité de la Fédération européenne des banques, qui est installée à Bruxelles.
En tout état de cause, ces indices font l'objet d'une attention accrue depuis que des fraudes de grande ampleur ont été découvertes.
Le premier type de type de fraude date des années 2006-2007. Il consistait, pour les banques du panel, à orienter à la hausse ou à la baisse le LIBOR en fonction de leurs positions sur contrats dérivés. Dans plusieurs cas, il y aurait pu y avoir des collusions entre banques afin de représenter un poids suffisant pour orienter le taux dans le sens qui les avantageait.
Les banques, à la fois contributrices et utilisatrices du LIBOR, étaient donc dans une situation de conflits d'intérêts. Le préjudice de cette fraude est potentiellement énorme mais compte tenu du nombre de contrats concernés, il est impossible de calculer le manque à gagner pour les différents acteurs.
La seconde fraude découverte est intervenue en 2008, après la chute de la banque Lehman Brothers. A l'époque, le marché interbancaire s'est totalement arrêté car les banques ne se faisaient plus confiance. Lorsque ce marché a redémarré, les taux auxquels certaines banques pouvaient emprunter étaient devenus très élevés, signe d'une profonde défiance. C'est ainsi que la banque Barclays a volontairement sous-évalué ses taux car elle ne voulait pas révéler la méfiance des autres banques à son égard.
Le LIBOR et l'EURIBOR sont des indices gérés par des structures privées qui ne font l'objet d'aucune régulation particulière. Toutefois, leur mode de calcul diffère.
Dans le cas du LIBOR, la banque déclare le montant auquel elle peut emprunter ; autrement dit, elle dévoile la position du marché à son encontre. Cette information peut être lourde de conséquence, comme on l'a vu pour Barclays. Et la tentation de la manipulation peut donc être très forte.
En revanche, dans le cas de l'EURIBOR, la banque déclare le montant auquel elle accepterait de prêter. Fondamentalement, cela limite les manipulations destinées à éviter un risque de réputation, mais pas les potentiels conflits d'intérêts.
Il faut aussi souligner que le panel des banques contributrices est presque deux fois moins grand pour le LIBOR que pour l'EURIBOR, rendant les manipulations encore plus aisées.
Pour ces raisons, il semblerait - mais cela doit encore être confirmé par les enquêtes - que l'EURIBOR n'ait pas fait l'objet de manipulations de grande ampleur.
En tout état de cause, le scandale du LIBOR a conduit à une profonde remise en question de la régulation de ces indices. Il a permis une prise de conscience : le LIBOR et l'EURIBOR sont de véritables « biens publics », si je me permets de paraphraser Richard Yung.
Les pouvoirs publics ne peuvent donc plus se contenter d'un regard distant sur ces indices essentiels pour le fonctionnement des marchés financiers et auxquels la planète entière se réfère ; ils doivent faire l'objet d'une régulation adéquate par des autorités de supervision publiques et indépendantes en lieu et place d'entités privées.
Les sanctions de la manipulation d'un indice seront durcies. Dans le cadre de la réforme de la directive européenne sur les « abus de marché », la Commission européenne a proposé d'introduire un article prévoyant la sanction administrative et pénale de la manipulation d'un indice.
Le Sénat a adopté un amendement de notre rapporteur Richard Yung au projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui a d'ores et déjà permis de transposer cette disposition dans notre droit national.
Il faut tout de même rappeler que les banques fautives ont acquitté des amendes cumulées de plusieurs milliards de dollars aux différents régulateurs britannique, américain ou encore suisse. Ces amendes ont permis de mettre fin aux poursuites.
Le corpus juridique existant en matière de sanctions n'est donc pas absolument vide, mais il n'est pas non plus vraiment adapté. Le volet « sanctions » reste de loin le plus simple car il fait consensus au niveau européen.
Pour le reste, on relève une divergence d'approche entre Londres et Bruxelles sur la gouvernance des indices. Des questions plus épineuses demeurent en suspens. Elles portent sur les modalités de calcul des indices, sur la composition du panel des banques, sur la gouvernance des organismes responsables du calcul et, enfin, sur les autorités chargées de la supervision de ces opérations.
A cela s'ajoute une considération juridique sur les contrats en cours : une réforme du LIBOR et de l'EURIBOR ne doit pas perturber excessivement les indices dès lors que des milliers de contrats, partout dans le monde, y font référence. Le risque de contentieux serait très important.
La mainmise de la City sur le LIBOR est considérée comme un élément stratégique pour Londres. En conséquence, toute régulation européenne est mal perçue.
Du coté de Londres, on entend « laver son linge sale en famille ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la City a réagi très rapidement et a demandé à Martin Wheatley, le directeur de la Financial Services Authority, de préparer un rapport sur la réforme du LIBOR.
Ce rapport a été publié en septembre 2012 et a déjà fait l'objet d'une transcription législative qui est partiellement entrée en vigueur au 1er juillet 2013. En particulier, les compartiments de marché pour lesquels les transactions étaient trop faibles ont été abandonnés (couronne suédoise, dollar néo-zélandais, etc.).
Bien que le LIBOR devienne juridiquement une « activité financière régulée », son calcul et sa gestion restent confiés à une entité privée, qui ne devrait plus être la British Bankers Association.
Aucune autorité publique n'est engagée directement dans la gouvernance de l'indice. Londres semble ainsi revenir à la régulation « light touch » préconisée au début des années 2000 et qui fut si durement critiquée lorsque la crise a éclaté.
De son côté, l'Union européenne entend aller plus loin, mais peut-être trop loin justement. A la fin 2012, la Commission européenne a lancé une procédure de consultation sur la réforme de l'ensemble des indices - et pas seulement les indices financiers.
La consultation est close mais aucune proposition législative n'a, à ce jour, été publiée. On peut donc se demander dans quelle mesure l'ambition affichée n'est pas une entrave à l'avancement des travaux.
La PPRE que nous examinons aujourd'hui nous permet de nous prononcer en amont de la future législation. Le travail de notre collègue Richard Yung se limite - je crois avec raison - aux indices financiers.
La PPRE s'articule autour de six propositions clefs.
Il faut promouvoir une action dédiée à l'EURIBOR. Celui-ci doit être régulé dans un cadre spécifique et non dans le cadre d'une réforme trop large, dont les contours sont encore mal définis. Il faut de surcroît agir vite avant que la session du Parlement européen ne soit close.
Il faut faire de la production d'indices systémiques comme l'EURIBOR une activité régulée au niveau européen. L'autorégulation, source de conflits d'intérêts, ne doit plus avoir cours en Europe.
Notre collègue Richard Yung suggère que cette supervision soit intégrée dans le mécanisme unique de supervision, qui est la première pierre de l'Union bancaire. L'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) pourrait également intervenir dans le processus de supervision.
Il faut intégrer le LIBOR, au moins en partie, dans la supervision européenne. Il n'est pas concevable que, dans un marché financier unique, il existe deux modes de régulation des indices financiers : la régulation doit être, si ce n'est identique, du moins cohérente entre l'EURIBOR et le LIBOR.
Il faut associer une autorité publique européenne à la gouvernance de l'EURIBOR. Nous ne parlons plus là de supervision mais bien de l'élaboration quotidienne de l'indice. Compte tenu du rôle qu'il joue sur les marchés monétaires, la proposition de faire intervenir la Banque centrale européenne dans l'élaboration de l'EURIBOR me paraît bienvenue.
Il faut établir un cadre européen de sanctions en cas de manipulation des indices. Cette proposition est déjà quasi-satisfaite, bien que la nouvelle directive sur les abus de marché ne soit pas encore formellement adoptée.
Il faut enfin assurer une meilleure connaissance des transactions du marché interbancaire. En effet, jusqu'à présent, les banques contributrices du panel ne mettaient pas à disposition les éléments sous-jacents à leur déclaration quotidienne. Il faut que ces données, tout en restant confidentielles, puissent être accessibles aux autorités de régulation. C'est une exigence de transparence.
Mes chers collègues, je crois pouvoir dire que notre collègue Richard Yung a excellemment travaillé. Je vous proposerai par conséquent d'adopter sans réserve sa proposition de résolution européenne, qui deviendra - à moins qu'un débat en séance publique ne soit demandé - la résolution du Sénat.
M. Richard Yung. - Le rapporteur a bien expliqué et explicité notre démarche. Je suis parti de la réflexion que le scandale du LIBOR était totalement occulté en France, alors que la presse anglo-saxonne s'en faisait largement écho. Il me semblait donc important d'en parler.
L'idée essentielle, pour l'élaboration des indices, est de ne pas traiter de la même manière le LIBOR et l'EURIBOR. La zone euro doit préserver sa spécificité.
Surtout, le LIBOR, et vous l'avez dit, est largement un taux deviné : on demande aux banques de faire une supposition sur le taux auquel elles pourraient emprunter. C'est d'ailleurs la critique adressée par les Américains à ce système. Gary Gensler, que nous avons évoqué avec le président de l'AMF, voudrait créer un indice différent qui soit moins « anglo-centré ». Les Américains ne veulent pas dépendre de la place financière de Londres.
Ce qui va peut-être faire débat, c'est de mettre la Banque centrale européenne (BCE) dans la gouvernance du dispositif EURIBOR. J'imagine les critiques qui seront adressées à cette proposition. La BCE elle-même est assez prudente et ne manifeste pas un enthousiasme débordant. Je considère qu'elle fixe déjà l'EONIA, le taux du marché monétaire à 24 heures. Elle pourrait très bien le faire pour d'autres taux. On évite les conflits d'intérêts et toute attitude morale discutable.
Alors, est-ce que l'Autorité européenne des marchés financiers devrait intervenir ? Je crois que la BCE a plus de poids.
Cette proposition permettrait de remettre des compétences dans la gouvernance de la zone euro : l'EURIBOR, c'est un outil de la zone euro.
M. Francis Delattre. - Est-ce que ce taux est basé sur des transactions réelles ?
M. Richard Yung. - L'EURIBOR est beaucoup plus proche de la réalité.
M. Philippe Marini, président. - C'est un taux prêteur.
M. Richard Yung. - En effet, on ne demande pas : « à quel taux pensez-vous être en mesure d'emprunter ? » mais « à quel taux pensez-vous être de mesure de prêter ? ». Cette information est tout de même beaucoup mieux maîtrisée par les banques.
M. Philippe Marini, président. - Dans votre esprit, vous demandez que la supervision européenne porte également sur le LIBOR. Quel serait le rôle de la BCE vis-à-vis de LIBOR ?
M. Richard Yung. - Sur le fond, il importe que le mode de gouvernance, de régulation et de surveillance des deux taux ne soit pas éloigné.
Mais vous agitez le chiffon rouge devant les Britanniques ! Ils refusent l'intervention de toute autorité et encore moins une autorité européenne. Quelle horreur !
La proposition de résolution européenne est adoptée sans modification.
Contrôle budgétaire - Régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins (ENIM) - Communication
La commission entend enfin une communication de M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Régimes sociaux et de retraites », sur le régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins (ENIM).
M. Philippe Marini, président. - Nous allons entendre une communication de Francis Delattre sur le régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins, qui fait référence à l'Etablissement national des invalides de la marine (ENIM).
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Merci, Monsieur le Président. Comme vous le savez, je suis rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et de la mission budgétaire « Régimes sociaux et de retraite ». Parmi les régimes spéciaux de retraite, ceux des transports terrestres, en particulier de la société nationale des chemins de fer (SNCF) et de la régie autonome des transports parisiens (RATP), sont souvent évoqués dans l'actualité. Le régime de retraite et sécurité sociale des marins est le régime spécial qui reçoit la troisième dotation de l'Etat la plus élevée.
Ce régime présente une double spécificité. D'une part, il ne s'agit pas d'un régime en extinction, contrairement au régime de retraite de la société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (SEITA). Le régime des marins est encore ouvert et dispose de ressources propres, provenant des cotisations salariales et des contributions employeurs. D'autre part, il reçoit une dotation de l'Etat, en raison de son déséquilibre démographique.
Une réforme importante a été conduite en 2010 : l'Etablissement national des invalides de la marine (ENIM), auparavant direction d'administration centrale, a été transformé en établissement public de plein exercice. Les fonctions de gestion des prestations et d'élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs au régime ont ainsi pu être séparées.
Avant de revenir sur ce point, je souhaiterais rappeler les principales caractéristiques du régime. Tout d'abord, le régime des marins est l'un des plus anciens régimes de protection sociale. Il trouve son origine dans l'institution par Colbert, en 1673, du fonds des invalides de la marine.
Aujourd'hui, le régime spécial des marins est un régime multi-risques : il couvre toutes les assurances sociales, à l'exception des prestations familiales. L'assurance vieillesse est l'activité la plus importante en termes de montants de prestations servies : elle représente environ 1,2 milliard d'euros sur un budget total de 1,6 milliard, toutes assurances confondues. Elle est gérée par la caisse de retraite des marins (CRM), qui est intégrée à l'ENIM. Par ailleurs, l'ENIM a développé une action sanitaire et sociale spécifique et reçoit pour ces dépenses une subvention de 6 milliards d'euros de l'Etat.
Qui sont les affiliés à ce régime ? Il s'agit de l'ensemble des « gens de mer », c'est-à-dire les professionnels des secteurs maritimes : la pêche, les cultures marines, le commerce ainsi que la plaisance professionnelle. Sur les quelques 30 000 affiliés à l'ENIM, on compte environ 55 % de marins des secteurs de la pêche et des cultures marines et 45 % d'affiliés issus du commerce et de la plaisance professionnelle.
Les conditions de travail peuvent varier fortement d'un secteur à l'autre. La pénibilité est particulièrement importante dans les métiers de la pêche. Il s'agit, de plus, du secteur le plus accidentogène en France, devant le bâtiment et les travaux publics.
Enfin, le régime spécial est qualifié de « régime de passage ». Cela signifie que peu de personnes sont affiliées à l'ENIM durant toute leur carrière. Fin décembre 2012, la part de polypensionnés s'élevait ainsi à 80 % des pensionnés de droits directs.
J'en viens maintenant à un point important : la situation démographique du régime de retraite. Celui-ci compte un peu moins de 30 000 cotisants, pour environ 117 000 bénéficiaires. Le ratio cotisants / retraités est donc particulièrement faible, avec 0,25 cotisant pour un retraité. A titre de comparaison, ce ratio est de 1,39 pour le régime général, 0,68 pour la SNCF et 0,95 pour la RATP.
M. Philippe Marini, président. - Il s'agit donc du plus mauvais taux de couverture des régimes spéciaux ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Oui, il s'agit du taux de couverture le plus faible parmi les régimes spéciaux ouverts, qu'il convient de distinguer des régimes des mines ou de la SEITA, qui sont en extinction.
Le ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités n'a cessé de se dégrader en raison de la forte baisse des effectifs de marins. Ce recul de l'emploi maritime en France s'explique en partie par l'apparition de pavillons de complaisance. Les armateurs utilisant ces pavillons préfèrent alors recourir à des assurances privées, d'autant plus que les formalités d'immatriculation et d'affiliation prennent souvent entre un et deux mois.
Le déficit démographique explique le versement par l'Etat d'une subvention au régime de retraite des marins, afin d'assurer son équilibre. Pour l'année 2013, l'Etat verse une subvention de 834 millions d'euros à l'ENIM, qui sert à financer les pensions de retraite des marins. En outre, une subvention de 6 millions d'euros est versée au titre de l'action sanitaire et sociale de l'établissement. La dotation de l'Etat à l'ENIM représente donc plus de la moitié des ressources de l'établissement, toutes prestations confondues. A cette subvention totale de 840 millions d'euros de l'Etat s'ajoutent 169 millions d'euros versés au titre du mécanisme de transfert de compensation démographique entre régimes. Afin de financer les prestations maladie, l'ENIM reçoit en outre une subvention de 284 millions d'euros de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Comme vous pouvez le constater, le régime se trouve sous perfusion massive de l'Etat et des autres régimes.
Au final, les contributions patronales et les cotisations salariales ne représentent que 10 % des ressources de l'ENIM, toutes prestations confondues. Il faut également souligner que l'Etat prend en charge, à hauteur de 69 millions d'euros, les exonérations de charges sociales dont bénéficient les secteurs maritimes, notamment celui de la pêche, qui constitue un secteur en difficulté.
Je souhaiterais maintenant aborder le bilan de la réforme de l'ENIM. Comme je l'ai indiqué précédemment, une réforme importante a eu lieu en 2010. L'ENIM, qui était jusqu'ici une direction d'administration centrale, a été transformé en établissement public administratif. Ceci est une bonne solution pour séparer les tâches de gestion et de réglementation du régime.
S'agissant des effectifs de l'établissement - question à laquelle je suis toujours attentif - leur évolution est maîtrisée. A l'occasion du déménagement du siège de l'établissement à La Rochelle, les 110 fonctionnaires travaillant dans les locaux parisiens de l'ENIM, ont été pour la plupart reclassés dans d'autres directions du ministère de l'écologie. Un recrutement important de personnels sur place a donc été nécessaire, dont certains sont issus de caisses primaires d'assurance maladie. Malgré tout, le nombre d'équivalents temps plein travaillés (ETPT) de l'ENIM est en baisse : entre 2010 et 2012, 34 ETPT ont été supprimés, sur un total de 425 agents en 2012. Cette baisse a notamment été rendue possible par la fermeture du centre de prestations de Bordeaux. Le recrutement de personnel extérieur, à l'occasion de la réforme de l'établissement, a été particulièrement bénéfique et a participé à la modernisation de ce système vieillissant.
L'une des conséquences de la transformation de l'ENIM en opérateur de l'Etat est la signature d'une convention d'objectifs et de gestion (COG) avec les trois directions de tutelle (affaires maritimes, budget et sécurité sociale). Couvrant la période 2013 à 2015, elle s'articule autour de trois axes : l'amélioration du service rendu à l'assuré, le développement de partenariats avec d'autres acteurs du secteur social et la mise en oeuvre des politiques générales de l'Etat, telles que la lutte contre la fraude ou la réduction des dépenses de fonctionnement.
Lors de mes travaux, j'ai toutefois relevé deux points problématiques dans la gestion du régime. Le premier concerne le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat. En vertu d'une convention, les directions départementales des territoires et de la mer effectuent un certain nombre de missions importantes pour le compte de l'ENIM : instruction des demandes d'affiliation des marins, enregistrement des entreprises d'armement, constitution des dossiers de demande d'aide sociale ou encore préparation des dossiers de pension d'invalidité. De facto, les services des affaires maritimes demeurent le lieu principal d'information et de contact pour les marins et les armateurs en matière de protection sociale. Or, lors de mon déplacement à Saint-Malo, j'ai pu constater que les agents sur place ne peuvent pas toujours répondre aux demandes d'information qui leur sont faites. C'est un vrai problème pour l'ensemble du système. Il s'agit certainement de l'une des raisons pour lesquelles le régime ne parvient pas à attirer certains nouveaux professionnels. Il conviendrait d'avoir un référent sérieux dans les principaux ports.
Le second domaine où des difficultés persistent est la coopération avec les autres organismes de protection sociale. La mise en oeuvre de l'adossement informatique à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a apporté quelques améliorations, mais la coopération avec les autres régimes spéciaux, notamment pour mutualiser certains outils, est encore insuffisante. Ceci étant, je note la volonté du nouveau directeur de l'ENIM d'avancer dans ce sens. Un véritable travail de fond est mené pour moderniser la gestion du régime mais, malheureusement, certaines structures sont un peu dépassées.
Le régime est resté à l'écart des principales réformes des retraites, dont la réforme des régimes spéciaux de 2008. A première vue, les règles du régime apparaissent favorables. L'âge légal de départ à la retraite pour les marins est fixé à cinquante-cinq ans, avec une possibilité de départ anticipé à cinquante ans. Il n'existe pas de mécanisme de décote en cas de durée de cotisation insuffisante et la pension est calculée sur les trois dernières années de service, contre les vingt-cinq années les plus avantageuses dans le régime général. Malgré ces conditions plus avantageuses que le droit commun, le régime de retraite des marins apparaît peu attractif. Ceci est principalement dû à sa très grande complexité et à la rigidité d'un certain nombre de règles.
Tout d'abord, il existe plus d'une trentaine de taux de contributions patronales et de cotisations salariales différents. Ces derniers varient notamment en fonction du secteur maritime, du poste occupé par le salarié ou de la taille du navire. Ensuite, le calcul des pensions, des contributions des armateurs et des cotisations salariales s'effectue sur la base d'une grille de salaires forfaitaires, organisée en vingt catégories. Enfin, différents dispositifs d'allègement et d'exonération de charges sociales se sont empilés au fil des années. La multiplication des « niches sociales » tend à fragiliser le régime, qui souffre déjà d'un déficit structurel important. Le système est donc peu lisible à la fois pour les employeurs, les usagers et les services chargés de la gestion du régime. Lors des auditions, j'ai constaté qu'il y a unanimité pour considérer le régime de retraite des marins comme le plus complexe des régimes spéciaux. Il convient donc de profiter de la prochaine réforme des retraites pour poursuivre la modernisation et la simplification de ce régime spécial.
Ainsi, je m'essaie là à quelques audaces en formulant dix recommandations. En premier lieu, il convient de remettre à plat le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat.
M. Philippe Marini, président. - Il s'agit de donner plus ou moins de missions aux services déconcentrés ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Il s'agit de transférer davantage de tâches à l'ENIM, afin qu'il ait la responsabilité pleine et entière du régime. Par ailleurs, il conviendrait d'avoir des renforts dans les services de l'Etat des principales villes maritimes, afin de disposer de référents compétents et en capacité de réagir face aux demandes des armateurs.
S'agissant des règles applicables au régime, comme je l'ai indiqué précédemment, une simplification est nécessaire. Celle-ci pourrait passer par la réduction du nombre de catégories des grilles de salaires forfaitaires et par la rationalisation des dispositifs d'exonération, qui se sont ajoutés au fil des crises.
Enfin, lors du contrôle mon attention a été attirée sur le cas des femmes marins enceintes. Le droit du travail maritime prévoit en effet que les femmes marins ne peuvent travailler dès que la grossesse est constatée. Leur contrat de travail est alors suspendu et elles se trouvent privées de revenus jusqu'au versement des indemnités journalières maternité - qui ne sont servies que six semaines avant l'accouchement. Le fonds d'action sanitaire et sociale de l'ENIM a mis en place une indemnité pour combler cette période sans rémunération. Toutefois, ce problème pourrait être réglé de façon plus satisfaisante en rendant applicable l'obligation de reclassement des femmes marins enceintes sur un emploi à terre.
Enfin, la grande variété des conditions de travail selon les secteurs et les professions, et leur évolution grâce aux progrès technologiques, m'amènent à penser que le départ à la retraite à 55 ans n'est pas toujours justifié. Une analyse de la pénibilité par secteur pourrait permettre de mettre en place une modulation de l'âge de départ à la retraite selon le critère de pénibilité.
En conclusion, ces travaux ont permis de constater que le bilan de la réforme de l'ENIM est globalement satisfaisant. Les principales difficultés sont liées aux règles du régime lui-même, qui sont complexes et rigides. Je propose que dans le cadre d'un prochain débat sur les régimes spéciaux, la question du régime des marins soit également traitée.
M. Philippe Marini, président. - Cher collègue, je vous remercie donc pour cette approche à la fois précise et équitable.
M. François Trucy. - C'est Kafka, ce régime ! Ma première question est la suivante : y a-t-il beaucoup de régimes spéciaux qui sont aussi déséquilibrés ? Ma seconde question concerne la position de la Commission européenne sur ces régimes spéciaux subventionnés par l'Etat. S'est-elle manifestée sur ce sujet, alors qu'elle est souvent très sourcilleuse sur les aides d'Etat ?
Je partage l'opinion du rapporteur spécial sur l'appréciation de la pénibilité. Entre la bête humaine sur les trains d'autrefois et le conducteur de train à grande vitesse (TGV) d'aujourd'hui, je pense qu'il y a une grosse différence. La situation est la même chez les marins, le rapporteur spécial a eu raison de la souligner. Les marins qui sont dans de gros bâtiments ultra-perfectionnés ont une vie tout à fait différente de celle qu'avaient auparavant les marins de la marine à voile. Si nous ne sommes pas rigoureux sur cette question, nous ne parviendrons plus à gérer ces régimes de retraite, qu'ils soient spéciaux ou non.
M. Jean Germain. - J'ai trouvé que ce sujet était traité par le rapporteur spécial de façon humaine et compréhensive. Je pense, tout de même, que le travail en mer est toujours difficile, que l'on soit sur un bateau de pêche ou sur un pétrolier.
Concernant la situation démographique du régime, on constate en effet une diminution de la flotte française d'année en année. Ceci est assez incompréhensible, compte tenu de la position géographique de la France. Cette situation démographique dégradée est notamment due, Francis Delattre l'a souligné, à la concurrence des pavillons de complaisance. Sur ces navires, de nombreux équipages sont presque entièrement composés de marins étrangers.
Pour revenir à la pénibilité, je pense qu'il convient de protéger le statut des marins pêcheurs. Ceci est important, à la fois pour conserver ce métier mais aussi pour protéger la ressource halieutique. Car les petits bateaux, notamment en Bretagne ou sur la côté du Pas-de-Calais, pêchent en moins grandes quantités et exercent dans des conditions particulièrement pénibles.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Je suis d'accord sur le fait qu'il convient de cibler les métiers les plus pénibles.
S'agissant de la composition des équipages, il y a en général un grand nombre de marins étrangers mais souvent l'encadrement demeure français. Nous avons toujours une bonne école d'officiers.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce rapport, il se trouve que le plus grand paquebot d'Europe, accueillant près de 1 400 membres d'équipages, est parti de Saint-Nazaire. J'ai tenté de me renseigner pour savoir combien d'entre eux étaient affiliés à l'ENIM. En réalité, il semble y en avoir moins de 200, ce qui correspond au personnel d'encadrement. Dans le secteur de la plaisance en général, on trouve très peu d'affiliés à l'ENIM.
M. Philippe Marini, président. - Peut-on comparer les garanties offertes par l'ENIM et les assurances privées ? Ceci serait intéressant.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - C'est difficile. Et dans la plupart des cas, les marins étrangers n'ont pas le choix ; l'armateur décide. Il conviendrait d'être plus « agressif » commercialement, dans les ports de taille importante. Mais les services déconcentrés des affaires maritimes sont maintenant réduits à la portion congrue.
M. Philippe Marini, président. - La proposition du rapporteur serait donc que l'ENIM s'implique davantage, ce qui irait dans le sens d'une responsabilisation plus grande.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Tout à fait. L'ENIM devrait s'impliquer davantage, commercialement, afin de gagner de nouveaux affiliés.
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication à M. Francis Delattre, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Mercredi 3 juillet 2013
- Présidence de M. Philippe Marini, président -La coopération fiscale internationale face à l'érosion des bases fiscales - Audition de M. Édouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale, Mme Ursula Plassnik, ambassadeur d'Autriche en France, et M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE
Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à l'audition conjointe, sur le thème de « la coopération fiscale internationale face à l'érosion des bases fiscales », de M. Edouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale, Mme Ursula Plassnik, ambassadeur d'Autriche en France, et M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administrations fiscales de l'OCDE.
M. Philippe Marini, président. - Nous poursuivons ce matin, à une semaine de notre débat en commission sur le projet de loi relatif à la fraude fiscale, nos travaux sur le risque d'érosion des bases fiscales.
Notre commission des finances a été parmi les tous premiers acteurs publics à s'intéresser au sujet de la fiscalité du secteur numérique. Au fil de ces travaux, nous avons été conduits à élargir notre démarche à la question de l'impôt sur les bénéfices et à ce paradoxe qui veut qu'une petite entreprise, limitée à son marché national, soit inéluctablement beaucoup plus imposée qu'un groupe international, qui a le choix de son implantation et maîtrise la localisation de ses profits.
Nous avions considéré que pour avancer sur ce sujet, il était nécessaire de faire évoluer les conventions fiscales internationales, mais cette perspective nous semblait hors d'atteinte, car requérant une unanimité improbable des États.
Puis nous avons reçu le 20 février dernier Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que nous avons le plaisir de retrouver aujourd'hui. Vous nous avez alors convaincu qu'un mouvement s'était engagé au niveau international pour avancer sur cette question de l'érosion des bases fiscales, réunissant une très grande variété d'États, y compris les grands émergents. Ce sujet a ensuite rencontré un écho important dans l'opinion européenne, notamment au Royaume-Uni. Le bureau de la commission des finances a également eu l'occasion d'aborder ce sujet lors de son déplacement aux Etats-Unis, avec le Joint Committee on taxation du Congrès et le département du Trésor.
Monsieur Saint-Amans, vous pourrez nous présenter l'état d'avancement du projet « BEPS » (Base erosion and profit shifting - érosion des bases et transfert des profits) et si les espoirs que vous nous aviez laissés entrevoir sont toujours justifiés.
La commission des finances a également la joie d'accueillir Ursula Plassnik, ambassadeur en France de la République d'Autriche, pays dont nous connaissons l'attachement à la discipline de la zone euro et dont les positions ont un poids bien supérieur à sa démographie. Nous serions heureux que vous puissiez nous faire part de votre sentiment sur les négociations susceptibles de permettre un jour une répartition plus équitable des bénéfices taxables au sein des grands groupes.
Vous pourriez également nous parler du secret bancaire, qui est en Autriche, comme en Suisse, un principe fondamental. Comment cette culture est-elle compatible avec les nécessités de la coopération fiscale internationale et plus particulièrement avec la loi américaine dite « FATCA » (Foreign account tax compliance Act) du 18 mars 2010 ? A cet égard, rappelons que cette loi obligera les établissements bancaires à communiquer aux États-Unis l'identité des détenteurs de comptes américains au sein des banques ainsi que le montant des actifs détenus.
Sur ce sujet et pour ce qui concerne la France, la commission des finances se pose la question de la réciprocité et nous n'avons pas eu sur ce point de réponse claire, que ce soit de la part du Gouvernement ou de l'Union européenne (UE). Cette coopération est certes nécessaire mais également très intrusive. On observe là une très forte dissymétrique entre la puissance américaine et le reste du monde.
Enfin, pour compléter ces éléments, nous entendrons Edouard Marcus, sous-directeur à la direction de la législation fiscale (DLF), en charge de la prospective et des relations internationales. Vous pourrez nous éclairer sur la position française concernant le projet BEPS, sur l'accord franco-américain relatif à l'application de FATCA et sur les négociations en cours au sein de l'Union européenne (UE) afin de réviser la directive épargne. La vision de la DLF sur le bilan de la politique conventionnelle de la France nous sera également précieuse.
M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économiques. - Je vais essayer de vous rassurer sur l'avancée des deux dossiers que sont BEPS et l'échanges en matière de renseignements.
S'agissant de BEPS, la communauté internationale avance. Le rapport que je vous avais présenté en février établit un diagnostic : il y a un problème et il faut le traiter. Nous avons avancé rapidement sur ce sujet, malgré la difficulté que peut représenter parfois le consensus. Cela est d'autant plus appréciable que les travaux du comité des affaires fiscales étaient élargis, en plus des pays observateurs, à huit pays émergents, membres du G20. Ces pays ont donné leur accord à un plan d'action, qui sera rendu public le 16 ou le 17 juillet prochain, mais dont je peux déjà vous dévoiler quelques éléments.
Tout d'abord, ce plan est ambitieux. Il a pour vocation à s'appliquer dans les dix-huit à vingt-quatre mois qui viennent. Il permet de développer les instruments juridiques nécessaires aux États pour protéger leurs bases fiscales. Il a été conçu de façon globale, de sorte que la quinzaine d'actions qu'il propose sont cohérentes les unes avec les autres.
Parmi ces actions, on peut citer l'interdiction des produits et des entités hybrides en intra-groupe, comme les obligations convertibles en actions. Ces produits permettent à une société mère qui a de la trésorerie disponible de prêter sous forme d'obligation convertible à une de ses filiales dans un pays où la fiscalité est élevée. L'intérêt versé est déductible pour la filiale, mais il est considéré comme une action dans l'État de la société mère, et donc comme un dividende exempté.
On peut citer aussi des actions sur le dispositif « sociétés étrangères contrôlées », auquel renvoie, par exemple, en France, l'article 209 B du code général des impôts, une limitation de la déductibilité des intérêts intra-groupe et une déclaration, pays par pays, des bénéfices et des résultats liés aux prix de transfert.
Bref, toute la fiscalité internationale sera couverte par ce plan, y compris les conventions fiscales, avec des dispositifs anti-abus et « anti-chalandage fiscal » (anti-treaty shopping).
Le plan prévoit également des actions transversales, notamment sur l'économie numérique, qui est un sujet très important mais très complexe, aussi bien techniquement que politiquement, du fait des intérêts particulièrement divergents des pays.
Enfin, nous souhaitons développer une convention multilatérale, qui pourrait reprendre les modifications aux modèles de conventions fiscales qui seraient jugées nécessaires. Le but est d'éviter que la définition d'un nouveau modèle de convention fiscale n'oblige un Etat à renégocier l'ensemble de ses conventions. La France aurait ainsi 110 à 120 conventions à négocier. Nous essayons de présenter une convention multilatérale qui, pour les États signataires, pourrait amender automatiquement les conventions bilatérales.
Nous observons donc bien, Monsieur le président, des avancées réelles. Je précise que ce plan d'action fait l'objet d'un consensus et sera présenté au G 20 par le secrétaire général de l'OCDE le 20 juillet prochain, au cours d'une session dédiée à l'érosion des bases. Le président russe a par ailleurs d'ores-et-déjà montré un intérêt sur le sujet et nous a exprimé son intention de l'aborder lors du G 20 de septembre.
En ce qui concerne les échanges automatiques de données, des progrès phénoménaux ont été réalisés au cours des derniers mois. Nous avons rédigé un rapport au G8, qui montre comment pourrait fonctionner une « multilatéralisation » de la loi FATCA. Un nombre important de pays ont déclaré qu'ils appliqueraient cette norme : dès l'origine, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne, puis douze autres États de l'Union ainsi que treize dépendances britanniques - notamment Jersey, Guernesey, les îles Bermudes, l'Île de Man, les îles Caïman et Antigua. D'autres pays manifestent leur intérêt tous les jours, et tout dernièrement le Mexique et la Norvège. L'OCDE fera un autre rapport au G20 de juillet, sur le contenu de ce nouveau standard sur l'échange de renseignements.
Des progrès très significatifs ont également été réalisés sur l'aspect juridique de la question, avec la mise en place d'une convention multilatérale sur l'assistance administrative, qui servira de plateforme juridique pour échanger automatiquement ces renseignements. Cette convention a été signée par Singapour, par l'Autriche et par le Luxembourg, tandis que la Suisse envisage de le faire. Elle permet de faire, sur option, de l'échange automatique de renseignements. Nous développerons, d'ici la fin de l'année, un modèle d'accord pour « multilatéraliser » l'échange automatique de renseignements.
J'espère pouvoir venir un jour vous exposer l'exécution de ces actions.
M. Philippe Marini, président. - Merci, Monsieur le directeur, à la fois pour vos propos et pour avoir su faire bouger les choses sur ce sujet difficile, malgré la complexité du cadre multilatéral.
Mme Ursula Plassnik, ambassadeur de la République d'Autriche en France. - C'est un plaisir d'être le premier ambassadeur d'un pays de l'Union européenne à s'exprimer devant la commission des finances du Sénat.
Pour rebondir sur les derniers propos de Monsieur Saint-Amans, je souligne que l'Autriche respecte la totalité des règles de l'UE et de l'OCDE en matière de transparence et d'échange d'informations. L'Autriche souhaite tout autant que la France connaître les véritables bénéficiaires des trusts et des fondations anonymes, afin de combattre efficacement la fraude fiscale et le blanchiment d'argent. C'est d'ailleurs une initiative autrichienne qui a permis d'ajouter à la déclaration adoptée par l'OCDE en mai dernier la question des bénéficiaires effectifs des trusts. Il n'y a donc pas de divergence entre nos deux pays sur cette question.
Je voudrais profiter de cette occasion pour dissiper certains malentendus, qui ont pu s'installer en France, notamment dans certains médias : l'Autriche n'est pas un paradis fiscal. Nos taux d'imposition sont les septièmes plus élevés de l'Union européenne, la France étant quatrième dans ce classement...
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes donc meilleurs...
Mme Ursula Plassnik. - Nous vous laissons volontiers cette place !
J'ajoute qu'il n'existe pas de compte anonyme en Autriche, que ce soit pour les nationaux ou les étrangers. Nous ne protégeons pas les fraudeurs, ce qui ne serait ni dans l'intérêt du fisc autrichien, ni dans l'intérêt des contribuables. Au contraire, l'Autriche participe à la lutte contre l'érosion des bases fiscales.
La coopération entre la France et l'Autriche se situe à trois niveaux.
Tout d'abord, au niveau bilatéral, je constate qu'à ma connaissance il n'y a aucun différend. Nous avons des accords de double imposition depuis longtemps, qui correspondent aux préconisations de l'OCDE. Nous nous sommes même engagés dans une collaboration plus étroite et avons prévu un échange de fonctionnaires entre nos ministères des finances respectifs, qui sera mis en oeuvre à partir de septembre.
Par ailleurs, au niveau de l'OCDE, l'Autriche respecte l'ensemble des règles de l'organisation. Nous soutenons les avancées du G 8 sur l'inclusion des territoires dépendants et associés à la Couronne britannique en matière d'échange de renseignements. Quelques uns manqueront à l'appel, mais cela reste un progrès considérable.
Enfin, au niveau communautaire, qui me semble le plus pertinent, la coopération relève de la directive épargne et de celle sur la coopération administrative en matière fiscale. La première prévoit deux systèmes : soit un échange automatique de données, soit un prélèvement à la source du contribuable. L'Autriche, tout comme le Luxembourg et la Belgique pendant un certain temps, a une préférence pour le second système. Nous effectuons donc un prélèvement à la source sur tout compte d'un citoyen européen non autrichien.
Sur le plan juridique, il n'y pas de différend entre la France et l'Autriche, et j'observe qu'il n'y en a pas non plus d'un point de vue économique. En effet, au titre de la directive épargne, l'Autriche applique un prélèvement de 35 % sur les revenus des comptes des citoyens européens non autrichiens. En 2012, elle a ainsi reversé 55 millions d'euros à ses partenaires européens, dont 391 560,92 euros à la France. Ce montant ne représente que 0,7 % de l'ensemble, ce qui montre le faible nombre de Français ayant un compte en Autriche.
Pour l'avenir, nous avons abordé tout à l'heure la question de l'échange automatique de données. L'Autriche accepte ce principe d'échange d'informations, mais avec ce que nous appelons une « conditionnalité externe ». Vous avez-vous même évoqué, Monsieur le président, l'importance de la réciprocité. Nous y accordons la même importance. C'est pourquoi il est nécessaire, à nos yeux, que la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin concluent, eux aussi, des accords avec l'UE qui aboutissent à traiter leurs banques de la même façon que les nôtres. L'Autriche a d'ailleurs soutenu le mandat de négociation donné en ce sens à la Commission européenne.
S'agissant de la directive sur la coopération administrative en matière fiscale, elle prévoyait initialement d'inclure dans cette coopération cinq produits, à partir de 2015. La commission propose désormais d'élargir ce champ à d'autres produits, et notamment aux dividendes et aux plus-values. C'est une piste de négociation qu'il faudra poursuivre.
Pour finir, j'insiste à nouveau sur le fait que l'Autriche n'est pas un paradis fiscal. Comme la France, nous luttons de façon déterminée contre la fraude fiscale, et notre pays n'a pas vocation à être inscrit sur une quelconque liste noire, qu'elle soit nationale ou internationale.
M. Édouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale. - Les questions que nous évoquons aujourd'hui sont fondamentales, à la fois pour des raisons liées aux recettes publiques et à la justice fiscale, mais plus encore en raison de l'internationalisation de la vie des entreprises et des personnes. De ce point de vue, on a véritablement changé de dimension par rapport au passé.
Pascal Saint-Amans a bien résumé l'historique du projet BEPS, parti d'une initiative de la France et des Etats-Unis au sommet du G 20 de Los Cabos, en 2012. Nous suivons de près les travaux en cours, à la lumière de nos priorités, à savoir en premier lieu le renforcement de la lutte contre l'évasion fiscale des entreprises et contre l'abus de droit. Il s'agit de faire coïncider, autant que possible, la base de taxation avec la réalité économique de l'activité des entreprises.
Notre deuxième priorité est la question de l'économie numérique, univers au sein duquel il est possible une forte valeur ajoutée dans des territoires sans la moindre implantation sur place. Il convient donc de trouver la façon la plus adéquate d'imposer les entreprises concernées.
Il faut donc que les Etats se mettent d'accord sur un minimum de règles partagées : là réside tout l'enjeu des négociations.
Cette démarche aura des conséquences sur nos conventions fiscales, dans notre législation mais aussi au niveau communautaire, le principe de libre circulation ne devant pas empêcher l'application de la loi fiscale. J'en profite pour indiquer que les négociations sur la notion d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) se poursuivent également au sein de l'Union européenne (UE) ; nous espérons aboutir d'ici un an, avant que le processus d'adoption communautaire se mette en marche.
A propos de FATCA, le point de départ est effectivement la loi américaine du 18 mars 2010. Cela dit, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie sont, depuis lors, passés à une autre approche avec les Etats-Unis. En effet, ce « G 5 » est entré dans une démarche partenariale ; ce ne sont plus les banques qui auront des obligations à l'égard de l'administration fiscale américaine, mais les Etats qui correspondront entre eux, dans une logique de réciprocité. Sur ce dernier point, je précise que la réciprocité est bien affirmée dans notre accord en tant que principe ; simplement, l'administration américaine ne pourra pas nous transmettre de manière automatisée certaines informations auxquelles elle n'a elle-même pas accès, à savoir les soldes des comptes bancaires. Pour tout le reste, en particulier pour tous les revenus, il y aura bien échange d'informations dans les deux sens.
M. Philippe Marini, président. - Allons-nous donc appliquer FATCA quand bien même nous n'aurons pas accès à certaines informations de la part des Etats-Unis ?
M. Édouard Marcus. - Comme je vous l'ai dit, la réciprocité ne sera pas absolue au départ. Il en ira d'ailleurs de même pour les autres membres du « G 5 ».
Au bout du compte, les grandes évolutions à venir dans le domaine de l'échange automatique d'informations se feront à plusieurs niveaux : le standard sera défini par l'OCDE ; l'Union européenne organisera la coopération entre ses membres de manière contraignante, essentiellement par le biais de la future directive sur l'assistance mutuelle. A cet égard, la directive épargne, qui ne concerne que les revenus d'intérêts et assimilés, n'est pas un outil assez puissant pour avancer, ce qui n'empêche pas la France, pour le principe, de soutenir sa révision afin d'introduire, là aussi, le principe de l'échange automatique ; le « G 5 » aura le rôle d'un groupe pilote, qui montrera aux autres que cela est réellement possible.
M. Philippe Marini, président. - Il faudra sans doute revenir sur la question des données qui devront entrer dans le champ de l'échange automatique d'informations, la problématique développée par l'Autriche devant aussi être prise en compte.
M. Édouard Marcus. - L'objectif de la France est bien que tout entre dans ce champ. La directive épargne est un élément de ce puzzle, l'accord provisoire de 2003 devant désormais être finalisé, mais elle est loin de suffire.
M. François Marc, rapporteur général. - Je voudrais tout d'abord remercier l'ensemble des intervenants pour l'éclairage qu'ils nous ont apporté. Ce vaste chantier semble avancer, de manière significative, espérons-le.
J'aimerais savoir si, à l'OCDE, on sent une véritable mobilisation des États ? Tout le monde joue-t-il le jeu de manière constructive ?
Par ailleurs, Mme l'ambassadeur Plassnik et M. Marcus, pourriez-vous préciser quelles informations devraient, selon vous, entrer dans le champ de la révision de la « directive épargne » ? En particulier, à côté des modalités de l'échange d'informations bancaires entre États, cette révision doit-elle inclure l'établissement d'une plus grande transparence sur certaines structures opaques, comme les trusts anglo-saxons ? Un tel objectif vous paraît-il atteignable ? De plus, quels types de produits devraient entrer dans le périmètre de la nouvelle directive ?
D'autre part, les Etats sont-ils outillés, d'un strict point de vue technique, afin d'évoluer dans le sens de l'échange automatique d'informations ? Pourriez-vous nous détailler les contraintes en la matière et le délai objectivement nécessaire afin de pouvoir entrer dans ce nouveau moule ?
Mme Plassnik, vous avez évoqué une « conditionnalité externe » afin que la position de l'Autriche puisse évoluer sur la question de l'échange automatique d'informations. Pourriez-vous les détailler ? En outre, vous avez indiqué que le montant du prélèvement effectué en Autriche pour le compte de ses partenaires européens dans le cadre de la directive épargne s'élève à 55 millions d'euros, la France ne représentant que 0,7 % de ce total. Quels sont les pays les plus concernés ?
Enfin, M. Marcus, quel bilan pouvons-nous tirer de la mise en place d'une liste spécifiquement française d'États ou territoires non coopératifs (ETNC), au côté des listes de l'OCDE, depuis la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009 ? Ce dispositif a-t-il réellement un caractère dissuasif propre ? Pourquoi n'y a-t-il pas encore eu de mise à jour en 2013 ? L'inscription parmi les ETNC de pays théoriquement « blancs » mais, en pratique, peu coopératifs avec la France est-elle envisageable dès cette année ?
M. Jean Arthuis. - Ce débat a bien fait ressortir les principaux enjeux. Il montre, d'une part, l'ardente nécessité de la coopération internationale en matière fiscale. Je me souviens encore de l'attitude récente d'Etats comme la Belgique, le Luxembourg ou l'Autriche afin d'appliquer la directive épargne mais je vois que les choses évoluent ainsi que, d'autre part, le défi particulier que pose l'économie numérique à notre système fiscal.
Dans ces conditions, on peut se demander s'il est encore raisonnable de taxer les entreprises, tout impôt étant, en dernier ressort, acquitté par les ménages. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, je m'interroge sur la substance réelle des négociations en cours. Permettraient-elles vraiment, si elles aboutissaient, de changer la donne ou ne s'agit-il, une nouvelle fois, que « d'enfumer » les opinions publiques ?
M. Philippe Marini, président. - J'ajouterai simplement deux questions afin que les intervenants puissent répondre à l'ensemble de nos interrogations.
S'agissant du projet BEPS, le G 8, dans la déclaration de Lough Erne, le 18 juin, s'est prononcé pour que les pays changent leurs lois qui permettent aux sociétés de transférer leurs bénéfices afin d'éviter l'impôt et pour que les multinationales fournissent aux administrations fiscales la liste des impôts qu'elles paient et des endroits où elles les paient. Cette déclaration matérialise-t-elle une avancée dans les négociations en cours ? De plus, Européens et Américains partagent-ils la même vision du problème ? Par exemple, s'agissant des emblématiques « GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple), les États-Unis partagent-ils notre objectif de voir ces sociétés payer leurs impôts là où se trouvent leurs consommateurs, ou bien souhaitent-ils rapatrier chez eux les bénéfices de ces sociétés ?
S'agissant de la loi FATCA, où en sommes-nous de sa mise en oeuvre en France ? Quels véhicules législatifs seront utilisés, dans quel calendrier ? Continuerons-nous à exiger la réciprocité du dispositif dans le délai le plus bref, en particulier pour ce qui concerne la possibilité d'obtenir le solde bancaire des comptes américains des résidents fiscaux français ?
M. Pascal Saint-Amans. - Pour commencer, je dirai à Jean Arthuis que oui, il y a vraiment une mobilisation générale autour des négociations en cours. Mobilisation de la part de « grands pays » qui ont un intérêt évident, comme les États-Unis, qui ont un taux d'impôt sur les sociétés de 35 % (le plus élevé de l'OCDE) sur une assiette faible, les profits des multinationales non rapatriés n'étant pas taxés, ce qui concerne quand même quelque 2 000 milliards de dollars ; nous avons d'ailleurs été entendus au Congrès il y a quinze jours au sujet de BEPS, ce qui montre que ce projet figure à l'agenda politique outre-Atlantique. Mais aussi mobilisation réelle de la part de « petits pays », qui veulent maîtriser le processus en y participant et ne pas encourir un risque de réputation, voire de rétorsions, en restant à part. Pour tout le monde, il apparaît également nécessaire de ne pas instaurer de double imposition des bénéfices à la faveur de BEPS. Donc tout le monde a intérêt à coopérer, ce qui fait que nous pouvons envisager l'adoption d'un plan ambitieux d'ici 12 à 24 mois. Celui-ci concernera aussi les pays émergents, parties intégrantes des négociations, ce qui devrait éviter la « concurrence » d'une pluralité de standards.
Pour ce qui concerne l'échange automatique d'informations, FATCA est certes, à l'origine, une législation unilatérale et extraterritoriale américaine qui vise à protéger les intérêts des États-Unis. Cependant, comme l'a montré Édouard Marcus, les avancées enregistrées par le « G 5 » sont intéressantes puisque nous nous dirigeons vers une réciprocité complète. Le débat a bien pris aux États-Unis puisqu'il s'y affirme de plus en plus l'idée de la nécessité de porter les échanges d'informations à un niveau multilatéral et donc d'aller plus loin que FATCA. Comme je vous l'ai dit, l'OCDE proposera un standard international au G 20, dont le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales concerne tout de même 120 pays. Les États-Unis auront, grâce à FATCA et à leur position, la capacité d'obtenir de la plupart des États les informations qu'ils souhaitent, ce qui servira à des pays comme la France pour obtenir ensuite la même chose de la part de tout le monde. C'est pourquoi il serait sans doute risqué de demander la réciprocité dès maintenant, sans attendre la mise en oeuvre de l'instrument américain.
M. Philippe Marini, président. - Cette approche est donc à double tranchant. Au nom de la puissance américaine, accordons-leur ce qu'ils demandent puis, éventuellement, les Etats-Unis nous donneront ce qu'ils voudront bien nous donner.
M. Pascal Saint-Amans - La relation est juridique mais il y a une autre dimension, plus politique : l'OCDE proposera ainsi que le standard international recoupe le niveau d'information que les Etats-Unis obtiennent via FATCA. La Suisse a déjà signé un accord avec les États-Unis pour donner toutes les informations requises, sans même demander la réciprocité. De même, le Luxembourg signera prochainement lui-aussi un accord avec les États-Unis allant dans ce sens. Il s'agit de savoir si la France veut obtenir un tel niveau de renseignements. La réponse est sans doute oui. Il faut toutefois noter que l'argent français n'est pas aux États-Unis. Le plus gros enjeu pour la France se situe donc sans doute ailleurs...
Ainsi que l'a indiqué Édouard Marcus, la directive épargne permet une collecte modérée. Je dirais qu'elle permet de solder le passé mais son champ est très réduit. Elle ne couvre ainsi que les revenus d'intérêts, et encore lorsqu'ils ne sont pas perçus par l'intermédiaire d'une société. Or FATCA couvre de nombreux autres points, notamment les soldes des comptes bancaires, les intérêts, les dividendes ou encore l'information permettant le calcul des plus values financières. Aujourd'hui, le simple fait de constituer une société permet de contourner la directive, qui est donc une passoire.
M. Philippe Marini, président. - C'est une passoire !
M. Pascal Saint-Amans - L'Union européenne nécessite l'unanimité pour avancer, ce qui est donc souvent compliqué. Autre point, la question du reporting pays par pays tel qu'il ressort du G 8. Il représente une avancée. Le consensus faisait défaut à la base mais le Premier ministre britannique a largement contribué à le dégager. Demain, une administration fiscale pourra demander à une multinationale où sont localisés ses profits et ses impôts et, en fonction de la cohérence des réponses, évaluer le risque que représente la société. Chaque État a ses propres objectifs mais il est de plus en plus reconnu que la coopération peut profiter à tous. Il existe un intérêt commun, au-delà de nos différences nationales : la double non-imposition n'est pas acceptable.
M. Philippe Marini, président. - On voit que dans une certaine conjonction des astres, le consensus global est plus facile à obtenir que l'unanimité au sein de l'Union européenne.
M. Pascal Saint-Amans. - Vous avez raison et les deux notions sont d'ailleurs distinctes juridiquement. L'unanimité nécessite la manifestation explicite d'un accord, tandis que le consensus existe quand personne ne dit non.
Mme Ursula Plassnik. - Préalablement je souhaite faire une remarque politique sur les propos de Pascal Saint-Amans. Il a été fait mention des « petits pays », de manière assez négative. En tant que syndicaliste autoproclamée des PME, les « petits et moyens États », je veux réagir. Il faut que tout le monde se respecte. En matière de lutte contre la fraude fiscale, chaque État a des devoirs à faire, y compris les grands États...
Pour répondre au rapporteur général, l'Autriche utilise ce qu'elle appelle une « conditionnalité externe », qui englobe les territoires associés et dépendants à d'autres États. A nos yeux, il est indispensable que ces derniers respectent, eux aussi, les standards de l'OCDE. Cette obligation visera, par exemple, les quatorze territoires associés de la Grande-Bretagne. De même, la question de certains États fédérés américains comme le Wyoming ou le Delaware n'est posée par personne alors qu'elle le mériterait.
En matière d'échange automatique d'informations, j'indique au rapporteur général que deux difficultés apparaissent : le produit qui peut être attendu de la lutte contre la fraude et les informations nécessaires pour y parvenir. L'Autriche utilise aujourd'hui le droit communautaire, avec ses deux systèmes existants dans le domaine de l'épargne. Vous vous demandez si la France a réussi à réunir 1 % de la retenue à la source. Il nous semble que les flux vers la France sont réduits. En effet, l'Autriche, par son ministère de l'économie et des finances, a précisé qu'elle a restitué 391 560 euros à la France et 42 411 923 euros à l'Allemagne. Cette dernière représente, au total, 76 % du produit versé par l'Autriche aux Etats tiers.
En réponse au président Philippe Marini, s'agissant de la culture du secret bancaire, je relève que cette notion s'accompagne d'une certaine mystification. Il suffit de regarder la législation autrichienne en la matière. L'article 38 de la loi autrichienne relative à l'activité bancaire a valeur constitutionnelle et notre Constitution peut être changée par une majorité des deux tiers des parlementaires. Certes, cet article pose le principe du secret bancaire mais la loi prévoit aussi neuf exceptions, à l'image des informations demandées par un procureur ou dans le cadre d'une procédure pénale pour délit fiscal. Notre législation protège le secret du livret d'épargne des citoyens ordinaires et j'estime qu'il n'y a en effet pas de raison de donner des informations sur certains types de produits d'épargne.
Sur la question du rapporteur général concernant l'application des deux directives communautaires - celle sur l'épargne et celle sur l'assistance mutuelle - j'indique que l'Autriche demande, sur la base du droit communautaire mais aussi du standard OCDE sur la transparence, l'échange avec cinq États européens non membres de l'UE - la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et Andorre - du même type d'informations qu'avec les États membres. Il faut aussi que la législation de ces pays tiers évolue de sorte que puissent être connus les véritables bénéficiaires des divers trusts, fondations ou autres qui peuvent exister chez eux. Je pense que c'est ce dont vous parliez en évoquant des « structures opaques ».
M. Édouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale. - La question du champ d'application de l'échange d'informations me semble être le sujet essentiel, comme le montre FATCA. Les numéros de comptes, les contrats d'assurance-vie, leurs détenteurs, les flux, les plus-values et les soldes me paraissent correspondre aux informations pertinentes. Ce champ est ainsi celui retenu pour la future directive sur l'assistance mutuelle et sera défendu dans le cadre du « G 5 ». Quant à la réciprocité, elle doit bien sûr être le principe général, mais ses modalités d'application restent à préciser. J'appelle votre attention sur le fait que seule la transmission automatique « en masse » de soldes de comptes bancaires par les États-Unis ne sera pas possible. En revanche, nous serons fondés à demander et à obtenir le solde d'un compte bancaire dont nous aurons pu apprendre l'existence grâce au nouveau système. De plus, soyons clairs, les entreprises françaises auront intérêt à respecter FATCA : à défaut, les États-Unis appliqueront une retenue à la source fixée à 30 %.
M. Philippe Marini, président. - Quel est alors l'intérêt de négocier ? Soit on estime avoir la capacité à conduire une négociation avec les États-Unis, soit on y va directement avec la corde au cou.
M. Édouard Marcus. - Nous avons intérêt à négocier surtout que nous avons déjà obtenu beaucoup. La réciprocité est quasi-totale dès aujourd'hui et sera totale demain.
M. Philippe Marini, président. - Comment traduira-t-on ces règles dans notre droit interne ?
M. Edouard Marcus. - Dans le cadre de la loi bancaire, un amendement a été voté par l'Assemblée nationale afin de permettre aux banques de transmettre à l'État des renseignements que celui-ci pourra ensuite retransmettre aux pays avec lesquels il aura conclu une convention de type FATCA sur une base de réciprocité. Quant à l'accord franco-américain stricto sensu, nous le signerons dans les prochains jours, après nos partenaires du « G 5 », précisément en raison de notre insistance sur la question de la réciprocité.
M. Philippe Marini, président. - Mais quel sera le support de la ratification ?
M. Édouard Marcus. - Il faudra une loi de ratification spécifique. En vertu de cet accord, les premières informations seront recueillies à la fin de l'année 2013 et les premières transmissions d'informations aux Etats-Unis se feront à compter du 30 septembre 2015.
Enfin, à propos des ETNC, l'existence d'une telle liste des ETNC nous est très utile. Ainsi, par le passé, elle nous a permis de signer des conventions avec de nombreux Etats. Désormais, nous nous intéressons à l'effectivité de ces dispositifs - ce dont rend compte le « jaune » sur le réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances.
M. François Marc, rapporteur général. - Il semble que cette liste n'a pas été mise à jour en 2013.
M. Édouard Marcus. - Elle le sera prochainement. Ce retard est justement dû au fait que nous examinons de manière attentive l'effectivité de la mise en oeuvre des conventions par chacun de nos partenaires.
M. Philippe Marini, président. - Merci à chacun des intervenants pour cette audition vivante et substantielle.
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2012 - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de loi n° 1083 (AN - XIVème législature) de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012.
M. Philippe Marini, président. - François Marc nous présente son rapport sur le projet de loi de règlement pour 2012.
M. François Marc, rapporteur général. - Je n'évoquerai pas la dimension comptable de la loi de règlement, que nous avons déjà largement étudiée avec l'audition du Premier président de la Cour des comptes et l'audition des magistrats ayant réalisé à notre demande une enquête sur les engagements hors bilan de l'Etat.
En 2012, la croissance a été nulle : elle est retombée de manière imprévue et nous sommes passés d'une phase de relance, qui a permis le retour à la croissance en 2010 et 2011, à une phase de désendettement. Ce phénomène n'est pas propre à la France : le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a crû de 1,4 % en 2011, mais diminué de 0,6 % en 2012. Nous avons donc mieux résisté que la plupart de nos voisins. C'est une caractéristique de notre économie qui, en raison de ses amortisseurs, profite également moins de la reprise. Tout le monde a été surpris par l'ampleur du retournement au cours du second semestre 2011 : à la mi-mai, la Commission européenne prévoyait encore, pour la zone euro, une croissance de 1,6 % en 2011 et de 1,8 % en 2012.
Alors que la loi de finances initiale tablait sur une croissance de 1,75 %, l'estimation a été révisée à 1 % dès la fin octobre. Entre ces deux dates, l'agence Moody's avait dégradé la note de la France et le spread de taux avec l'Allemagne s'était creusé de manière vertigineuse pour dépasser 200 points de base à la mi-novembre. L'hypothèse de croissance a ensuite été abaissée à 0,5 % dans la loi de finances rectificative de mars puis à 0,3 % dans celle de l'été, avant d'être constatée à zéro à l'issue de l'exercice.
Le climat des affaires, c'est-à-dire de la confiance des entrepreneurs, s'est dégradé de manière quasi-continue entre l'été 2011 et l'automne 2012. Son évolution reflète comme en miroir celle du marché du travail, en baisse à compter du second semestre 2011. En 2012, 51 000 emplois ont été détruits, augmentant le taux de chômage de 0,8 point sur l'année.
La croissance nulle s'explique en outre par la baisse de la consommation, celle des investissements et la diminution des stocks. Seul le commerce extérieur a contrebalancé ces évolutions, la contraction de la demande intérieure limitant les importations.
Les tentatives manquées de retour à l'équilibre de nos finances publiques sont nombreuses. Les dernières programmations tendent toutes vers l'équilibre à l'horizon 2017, mais nous avons en 2012 remonté la pente un peu moins vite qu'en 2011, et moins vite que prévu : pour la première fois depuis 2010, nous nous sommes écartés de la programmation de 0,3 point. Cela s'explique par des éléments exceptionnels comme la recapitalisation de Dexia.
Soulignons l'importance du creux de 2009-2010 : la crise nous a précipités dans une crevasse plus longue et plus profonde que la précédente de 2003. Le retour de la croissance qui doit favoriser le retour à l'équilibre de nos comptes publics se fait attendre : d'abord, car le contexte international est globalement déprimé ; ensuite, car nous ne pouvons plus engager une relance budgétaire comme en 2009 ; enfin car cette crise a sans doute détruit des capacités de production, avec la baisse des investissements et du capital humain. On connaît le niveau élevé du chômage, en particulier des jeunes.
Le déficit public, qui devait être de 4,5 % du PIB, s'est donc finalement établi à 4,8 %, contre 5,3 % en 2011. Cette amélioration résulte d'un ajustement structurel important, dont les effets ont été limités par l'impact négatif de la conjoncture économique et par des éléments exceptionnels.
Notre capacité à atteindre l'objectif à moyen terme (OMT) n'est toutefois pas compromise.
M. Jean Arthuis. - Ah bon ?
M. François Marc, rapporteur général. - Le solde structurel s'est établi à 3,9 % en 2012, soit un écart de 0,3 % par rapport à la loi de programmation, correspondant à la révision de la hausse du solde de 2011, « reporté » sur 2012. On peut déplorer le niveau élevé du déficit structurel, mais le Gouvernement rappelle que, depuis 2002, il s'est élevé en moyenne à 4,5 %. L'ajustement structurel accompli en 2012 est en outre très important puisqu'il s'élève à 1,1 point de PIB. C'est moins qu'attendu, mais tout de même conséquent.
La dette publique, sans surprise, a augmenté et passé en 2012 le cap de 90 %, en atteignant 90,2 % du PIB. La semaine dernière, l'Insee a indiqué qu'elle se situait à 91,7 % à la fin du premier trimestre 2013. Son poids devrait diminuer à partir de 2015.
S'agissant de l'Etat, le déficit budgétaire s'améliore - modestement - de 4 %, soit 3,5 milliards d'euros, pour s'établir à 87,15 milliards d'euros en 2012, grâce à la maîtrise des dépenses de l'Etat, dont la baisse est historique, et la progression des recettes fiscales, dont la faible croissance spontanée est compensée par le produit des mesures votées à l'été 2012.
Le taux de couverture des dépenses du budget général par les recettes est passé de 69,1 % à 70,6 %. Mais nous sommes loin de retrouver les niveaux d'avant 2007, proches de 85 %.
Les recettes fiscales nettes ont progressé de 13,4 milliards d'euros en 2012. Cette augmentation résulte en totalité des mesures nouvelles, car l'évolution spontanée a été négative, ce qui veut dire qu'à législation constante, les recettes n'auraient pas rapporté autant en 2012 qu'en 2011. Le manque à gagner s'élève à environ 10 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, principalement au titre de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, dont la chute des recettes en fin d'année demeure pour partie inexpliquée. Le rendement de la TVA reste difficilement compréhensible en 2013 également, comme le montrent les chiffres d'avril ou de mai.
Les dépenses de l'Etat, mieux maîtrisées, ont été réduites par rapport à 2011. Les deux normes, « zéro volume » et « zéro valeur », ont été durcies au cours des dernières années et renforcées par l'inclusion de certaines dépenses jusqu'ici non prises en compte. Elles ont été plus que respectées en 2012 puisque les dépenses ont baissé sur les deux périmètres. Cette performance historique s'explique d'abord par une stricte maîtrise de l'exécution, grâce notamment à la mise en réserve supplémentaire de 1,5 milliard d'euros de crédits à l'été pour gager le dérapage de certaines dépenses ; ensuite, pour la norme zéro volume, par une charge de la dette inférieure de 2,5 milliards d'euros aux prévisions, grâce à des taux eux-mêmes plus faibles qu'escompté.
Enfin, pour l'ensemble des administrations publiques, la dépense n'a augmenté que de 0,7 % en volume, hors éléments exceptionnels, contre 0,9 % en 2011 et 1,7 % en moyenne sur les cinq années précédentes.
La charge de la dette de l'Etat a été pratiquement stable entre 2011 et 2012, à 46,3 milliards d'euros. Il y a eu compensation entre un effet volume, entraînant un alourdissement de la charge, et un effet taux, favorable - sur les émissions à moins d'un an, 0,08 % en moyenne, sur les titres moyen et long terme, 1,86 %, contre 2,8 % en 2011.
Cette marge offerte risque cependant de se réduire progressivement, ce qui rendrait à l'avenir le pilotage de l'exécution plus exigeant.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour cet exposé d'une grande clarté.
M. Francis Delattre. - Notre rapporteur général a sélectionné, parmi les observations de la Cour des comptes, celles qui servent son propos, en ignorant l'essentiel.
M. Philippe Marini, président. - Nous vous faisons confiance pour le rétablir !
M. Francis Delattre. - De gros efforts ont été faits sur les dépenses publiques, dites-vous : la Cour des comptes révèle pourtant que les dépenses publiques ont progressé de 2 % dans toute l'Europe, mais de 4 % chez nous. Les mesures nouvelles introduites dans la loi de finances rectificative ont rapporté treize et quelque milliards d'euros, dites-vous encore : c'est justement le produit attendu de la TVA sociale que vous avez abrogée... On ne peut soutenir qu'alourdir de 22 milliards d'euros les prélèvements sur les entreprises n'a pas d'effets sur la TVA. De fait, c'est la principale touchée.
Je regrette en outre que notre rapporteur général passe sous silence les dossiers emblématiques de l'année passée. Le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui ambitionne de diminuer les charges des entreprises de 6 %, reste, cela va sans dire, l'alpha et l'oméga du retour à la compétitivité. En 2013, ses effets seront nuls. Quant à 2014 et 2015, la Cour des comptes estime son impact non pas à 10, ni 20, ni même 30 milliards d'euros, mais seulement 7 ! En réalité, derrière les grands discours sur la compétitivité, les charges des entreprises ne seront amoindries que de 2 %.
Autre dossier brûlant : la Banque publique d'investissement (BPI). Celle-ci regroupe trois entités, dont Oséo qui fonctionnait pourtant bien jusqu'à ce jour. Les modalités et délais fixés pour sa création ne lui permettent toujours pas d'être opérationnelle. Les 20 à 40 milliards d'euros prévus pour relancer l'investissement des petites et moyennes entreprises sont à rapporter aux 1 000 milliards d'euros d'investissement que les banques françaises financent chaque année... Ne perdons pas de vue ces ordres de grandeur.
Nous pensons que la loi de finances rectificative a eu des effets négatifs. On invoque souvent la macroéconomie, et l'on oublie de se préoccuper de l'impact des multiples petites décisions sur les entreprises : sans revenir sur les déclarations incroyables relatives à la taxation à 75 % des entrepreneurs, notez l'incohérence qu'il y a à créer une BPI et simultanément à rendre les intérêts d'emprunt des entreprises non déductibles. Après les pigeons, vous avez les dindons : les personnes d'un certain âge qui souhaitent transmettre leur entreprise familiale - dont on dit que ce sont les plus solides - se verront, tous prélèvements pris en compte, ponctionnées à près de 60 %.
M. Philippe Marini, président. - Et nous sommes les dindons de la farce ! Vous nous annoncez donc un vote négatif sur ce projet de loi de règlement ?
M. Francis Delattre. - Négatif de chez négatif !
M. Jean-Paul Emorine. - Nous n'avons que les mots de croissance, croissance nulle ou décroissance à la bouche. Changeons nos éléments de langage : il serait plus clair vis-à-vis de l'opinion publique de parler de l'évolution de notre produit intérieur brut, qui peut être inférieur ou supérieur à celui de l'année précédente.
Évoquant les recettes fiscales supplémentaires, vous faites références aux mesures introduites dans la loi de finances rectificative de l'été 2012. Espérons qu'elles soient pérennes.
S'agissant de la maîtrise des dépenses et de la norme « zéro volume », lorsque vous prenez en compte les pensions et la charge de la dette, il ne s'agit que d'une économie de 100 millions d'euros.
Nous venons d'entendre un représentant de l'OCDE. Je souhaite qu'au-delà des comparaisons avec les années précédentes, l'on puisse comparer nos niveaux de dépenses publiques, d'endettement, de prélèvements obligatoires, avec ceux de nos partenaires de l'OCDE. De tels tableaux nous seraient utiles pour nous situer.
M. Yannick Botrel. - La charge de la dette s'est stabilisée à 46,3 milliards d'euros en 2012, et les mesures d'économie prises par l'Etat continueront de porter leurs fruits. Néanmoins, l'exécution budgétaire se traduit par une progression de la dette : pourriez-vous préciser les parts respectives de l'Etat, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale dans cette évolution ?
M. Jean Arthuis. - Pourquoi n'avoir pas, en vertu de la convention signée en décembre 2012 avec EDF, constaté la dette de l'Etat envers l'opérateur ? Le ministre du budget nous a dit être attaché aux droits constatés : je cherche vainement les 4,9 milliards d'euros correspondants. Il ne s'agit certes pas de tout faire porter sur l'exercice 2012, mais de donner une idée de la dégradation du patrimoine de l'Etat. D'aucuns ont suggéré de créer une taxe pour rembourser cette dette au fil du temps, mais cela n'apparaît guère conforme à l'exigence de sincérité des comptes publics. Peut-être le rapporteur général peut-il nous éclairer sur ce point.
M. François Marc, rapporteur général. - L'année 2012 a été de transition. Le taux de croissance escompté initialement était de 1,75 % : il a été de zéro. Personne, ni à droite ni à gauche, ne l'avait anticipé. Le Gouvernement a donc élaboré un collectif destiné à trouver les recettes nécessaires. Mon analyse est aussi neutre que possible.
Le CICE et la BPI sont absents du budget pour 2012 : je n'ai pas conséquent rien à répondre. Nous verrons comment les choses s'engagent en 2013 et surtout en 2014. Les entreprises bénéficieront pleinement du CICE en 2014. Cette année, nous sommes dans la phase de préfinancement de la part de la BPI ou, rappelons-le, des banques.
M. Francis Delattre. - La conditionnalité est stricte, si bien que les banques n'accordent guère de financements.
M. François Marc, rapporteur général. - Les dossiers sont certes complexes à monter car ils requièrent une attestation fiscale. Mais d'après les banques elles-mêmes, les entreprises qui n'ont pas recours au dispositif sont celles qui ont suffisamment de trésorerie.
La BPI fonctionne bien. La mise en place des comités dans les régions a fait l'objet d'un intérêt marqué de la part de tous les acteurs locaux.
M. Francis Delattre. - Trois sièges seulement pour les régions...
M. Jean Arthuis. - La gouvernance est un peu compliquée.
M. François Marc, rapporteur général. - Monsieur Emorine, nous tâcherons de rassembler des éléments de comparaisons internationales que vous demandez.
La dette publique a bondi en 2012 de 85 % à 90 % du PIB. Cette évolution vient principalement de l'Etat : sa part est passée de 66,7 % à 70,9 %, celle des administrations locales de 8,3 % à 8,5 % et celle des administrations de sécurité sociale de 10,2 % à 10,3 %.
Enfin, monsieur Arthuis, vous n'avez pu obtenir la réponse du ministre lui-même à votre question - récurrente - et je crains de ne pouvoir être plus explicite...
M. Jean Arthuis. - Mais au fond de vous-même, quel est votre sentiment ?
M. François Marc, rapporteur général. - Je ne suis pas insensible à votre analyse.
M. Jean Arthuis. - La création de la BPI entraîne des coûts imprévus - je ne parle pas des honoraires dont on connaîtra sans doute un jour le montant global. Pour rassembler les actions de CDC Entreprise, la BPI a dû racheter des actions gratuites distribuées à certains de ses cadres. Le rapporteur général le sait aussi, qui siège comme moi à la commission de surveillance de l'institution. Or cette dépense de 7 millions d'euros n'était pas prévue.
M. Philippe Marini, président. - Le président Arthuis souligne les ambiguïtés de cette construction : la BPI a été annoncée comme le Messie par certains, elle a suscité le scepticisme chez d'autres. Nous la jugerons sur ses réalisations.
M. Jean Arthuis. - Il faudra d'abord se demander comment des actions gratuites ont pu être distribuées à des cadres de la Caisse des dépôts et consignations pour des missions qui relèvent largement de l'intérêt général. Seconde question, le montant : comment expliquer que certains d'entre eux gagnent de telles sommes en si peu de temps ?
M. Philippe Marini, président. - Votre acuité d'esprit, en tant que membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, est salutaire. J'ignore comment cette commission fonctionne aujourd'hui. J'y ai siégé pendant huit ans et j'ai parfois éprouvé le sentiment d'être enseveli sous une avalanche de papier efficacement conçue pour dissimuler les vrais sujets stratégiques.
M. François Marc, rapporteur général. - Vous vous sous-estimez !
A nous désormais de corriger les dysfonctionnements relevés par Jean Arthuis, qui a raison de souligner qu'il y a urgence à revoir certains éléments du fonctionnement et du secteur public, comme du secteur privé. L'autorégulation ne se suffit jamais à elle seule.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption du projet de loi n° 710 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, de règlement du budget et d'approbation des comptes pour l'année 2012.
Débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour 2014 - Examen du rapport d'information
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour 2014.
M. Philippe Marini, président. - Après le règlement de l'exercice 2012, voici un rapport tourné vers l'avenir ; il est la contribution de notre rapporteur général au débat d'orientation des finances publiques qui aura lieu demain après-midi au Sénat.
M. François Marc, rapporteur général. - Le rapport du Gouvernement préalable au débat d'orientation contient peu de nouveautés, deux mois après le programme de stabilité. Il a d'ailleurs, disons-le, perdu de l'intérêt maintenant que ce dernier est devenu un élément clef du semestre européen et fait l'objet d'un débat au Parlement au moment de sa transmission, fin avril.
La dégradation des conditions économiques a conduit le gouvernement à repousser à 2014 le retour du déficit public sous les 3 % de produit intérieur brut (PIB). Toutefois, l'effort structurel sur l'ensemble de la période de programmation est plus élevé et permet d'aboutir à un excédent structurel.
Du fait de l'écart - de 0,3 % du PIB - au solde structurel prévu en loi de programmation lors de l'exercice 2012, le Gouvernement a réactualisé la trajectoire des finances publiques. Si le solde structurel prévisionnel pour 2013 est dégradé de 0,2 point de PIB, l'objectif de déficit effectif reste identique, à 3,7 % du PIB en 2013, et la date de retour à moins de 3 % est maintenue à 2014.
La réalisation de l'objectif à moyen terme (OMT) n'est pas compromise, mais l'exigence devient plus forte dans un calendrier plus resserré. La croissance a été nulle ou quasi-nulle en 2012 et le sera en 2013, ce qui pèse sur l'exécution. Cela n'est pas spécifique à la France, puisque les Etats de la zone euro sont, en moyenne, en nette récession sur ces deux années.
Le programme de stabilité 2013-2017 prévoit un effort structurel sans précédent de 1,9 point de PIB, dont 1,5 en recettes, 0,4 en dépenses. Grâce à quoi le Gouvernement prévoit un reflux du déficit effectif à 3,7 % du PIB et du déficit structurel à 2,2 % du PIB, soit un écart de 0,6 point de PIB à la loi de programmation.
En 2013, l'ajustement structurel repose principalement sur les recettes ; 1,5 point de PIB représente un peu plus de 30 milliards d'euros. Toutefois, le niveau des recettes est exposé à deux risques. D'abord, les aléas macroéconomiques : si le PIB reculait de 0,1 % en 2013, au lieu de croître de 0,1 % comme prévu, les recettes seraient moindres de 2 milliards d'euros et le déficit effectif s'établirait à 3,8 %. Avec un recul de 0,3 %, qui correspond aux prévisions du Consensus Forecasts, ce serait 4 milliards d'euros de recettes en moins, et un déficit effectif légèrement supérieur à 3,9 %. Il ne s'agit là que d'une projection mécanique, non d'une prévision.
Le second risque concerne, l'élasticité des recettes fiscales. Dans son rapport sur La situation et les perspectives des finances publiques publié en juin 2013, la Cour des comptes identifie des risques dont l'impact peut s'élever jusqu'à 6 milliards d'euros. Pour rappel, l'élasticité de la TVA prévue en loi de finances initiale pour 2012, proche de 1, a finalement été mesurée à -0,8. Rien ne permet d'affirmer que ces phénomènes se reproduiront en 2013 : il est très difficile d'établir des prévisions d'élasticité des recettes à ce stade de l'exécution.
Le rendement de la TVA est en hausse de 1,5 % en mai 2013, sur un an, et celui de l'impôt sur les sociétés progresse de 15,4 % sur la même période. Le ministre du budget l'a dit ici : mai a été porteur de bonnes surprises, avril beaucoup moins.
Les objectifs de dépenses apparaissent réalistes. Le programme de stabilité prévoit un effort structurel en dépenses de 0,4 point de PIB en 2013, ce qui correspond à une croissance en volume des dépenses publiques de 0,9 %. La Cour des comptes estime que « le risque pesant sur les perspectives de dépenses du programme de stabilité est limité et pourrait être pour une large part neutralisé par les économies plus importantes sur les dépenses de santé et la charge d'intérêt ». S'agissant du budget de l'Etat, elle considère que la réserve de précaution, qui a été augmentée de 2 milliards d'euros, couvrirait les éventuels dérapages. Le seul véritable risque réside donc dans une éventuelle révision de grande ampleur du budget européen.
Sur les dépenses soumises à la norme « zéro valeur », la Cour des comptes voit un risque de dérapage essentiellement sur les dépenses de personnel liées à l'intervention au Mali et les dépenses sociales de guichet relatives aux contrats aidés. Le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne a déjà été majoré de 0,8 milliard d'euros, mais pourrait l'être encore de 1,8 milliard en cours d'année. Au total, le risque sur les dépenses est compris entre 1,9 et 4,7 milliards d'euros. Dans le bas de cette fourchette, la réserve de précaution, augmentée de 2 milliards d'euros en début d'année, couvrirait les dérapages ; dans le haut, la question d'un collectif pourrait être posée à l'automne.
M. Francis Delattre. - L'ordre du jour est déjà chargé.
M. Philippe Marini, président. - Soulignons l'honnêteté des propos du rapporteur général.
M. François Marc, rapporteur général. - En 2014, l'effort structurel, qui portera à 70 % sur les dépenses, atteindra 1 point de PIB et le solde structurel sera ainsi ramené à un déficit de 1,2 point de PIB, soit presque aussi bien que la prévision de la loi de programmation ; le solde effectif sera de 2,9 %. Cela ne sera possible que si les prévisions de recettes sont respectées cette année, faute de quoi il faudrait accroître sensiblement le niveau de l'effort prévu. Dans le même temps, l'effort structurel en recettes devrait s'élever à 0,3 point de PIB, soit 6 milliards d'euros, portant sur les retraites, la fraude et le recouvrement, les dépenses et les niches fiscales. A cela devrait s'ajouter 8 milliards d'euros de mesures, pour compenser la perte de ressources due au CICE et la fin de plusieurs mesures temporaires.
L'effort structurel en dépenses est inédit. Il repose sur la limitation de la croissance en volume des dépenses publiques à 0,4 %, soit 14 milliards d'euros d'économies, dont 8,5 sur les dépenses de l'Etat incluses dans le périmètre zéro valeur, 2,6 sur l'Ondam et les tarifs de santé, 1 sur les pensions, en application de l'accord de mars 2013 et 1,1 sur la branche famille, dans le cadre de la rénovation de la politique familiale.
Un mot sur la sensibilité de la trajectoire des finances publiques à la conjoncture. Le Haut Conseil des finances publiques a mis en évidence les incertitudes sur les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent la trajectoire. Nous avons tenté de mesurer les conséquences d'une dégradation imprévue de la conjoncture, selon deux scénarios. Le premier est fondé sur une hypothèse de recul du PIB de 0,1 % en 2013 conforme à la prévision de l'Insee et de la Commission européenne, puis une croissance de 0,8 % en 2014, conforme à la prévision de l'OCDE. Le second scénario retient les hypothèses de croissance du Consensus Forecasts de juin 2013, soit un recul du PIB de 0,3 % en 2013 et une croissance de 0,6 % en 2014. A compter de 2015, la croissance effective est dans les deux cas supposée converger vers la croissance potentielle. Dans le premier scénario les recettes publiques en 2013 seraient inférieures de 2 milliards d'euros à la prévision, et dans le second d'environ 4 milliards d'euros. Je le répète, c'est une analyse de risques, non une prévision.
L'effort structurel prévu mettrait fin dès 2015 au déficit excessif au sens du pacte de stabilité et de croissance, conformément aux recommandations de la Commission européenne du 29 mai 2013. Même si la conjoncture se dégradait, nous pourrions satisfaire les exigences européennes.
Du fait des efforts programmés sur la période, une dégradation des conditions économiques provoquerait une augmentation momentanée du déficit effectif et du niveau de la dette mais celle-ci amorcerait tout de même sa décroissance à partir de 2015.
Venons-en au projet de loi de finances pour 2014. Les dépenses soumises à la norme « zéro valeur » seront réduites de 1,5 milliard d'euros. État, collectivités territoriales et opérateurs seront tous mis à contribution, à hauteur respective de 0,2 milliard d'euros, 0,8 et 0,5. Quant aux dépenses relevant de la norme « zéro volume », elles baisseront de 2,8 milliards d'euros par rapport à la programmation et de 0,1 milliard d'euros par rapport à 2013.
La doctrine du Gouvernement sur l'emploi public est connue : stabiliser les effectifs de l'État et de ses opérateurs entre 2012 et 2017. Les 4 278 créations d'emplois dans l'Éducation nationale de même que les postes supplémentaires au sein des opérateurs sont gagées. Au total, le solde, Etat et opérateurs compris, affichera une baisse de 1 451 équivalents temps plein (ETP) en 2014 avec 13 158 ETP supprimés dans les ministères non prioritaires.
Grâce à des redéploiements entre missions, le Gouvernement financera les politiques prioritaires, en tenant compte de la dynamique des dépenses de guichet, dont celles de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». La contrainte est forte et nous en avons conscience ; il demeure que des arbitrages sont pris pour tenir les engagements. Pour en connaître le détail et savoir la hiérarchisation des priorités au sein des ministères, il faudra attendre le projet de loi de finances.
Enfin, les objectifs et indicateurs envisagés pour le prochain budget marquent une stabilisation rassurante du dispositif de performance. Même remarque pour les ajustements dans la maquette budgétaire. S'agissant de la fusion des missions « Sécurité » et « Sécurité civile », nos rapporteurs spéciaux, notre président et moi-même avons été consultés en juin et avons donné notre accord sous réserve de la fusion des deux programmes de la sécurité civile. Nous aurons ainsi une maquette budgétaire plus lisible et plus facile à interpréter.
Pour conclure, mon appréciation est plutôt positive : le Gouvernement se donne les moyens de satisfaire aux engagements qu'il a pris devant l'Union européenne, en répondant à l'attente qui s'est manifestée de le voir mettre l'accent sur les économies de dépenses.
M. Philippe Marini, président. - J'adresse mes félicitations au rapporteur général pour cet exposé. Je connais la difficulté de la tâche : concilier la réalité des chiffres avec la nécessaire solidarité politique. Les chiffres et les clefs d'analyse que vous nous avez donnés constitueront un patrimoine commun à partir duquel il nous sera loisible de bâtir nos interprétations. Car la vertu des chiffres est d'autoriser plusieurs lectures, n'est-ce pas ?
« Un effort de 1,5 point de PIB en recettes fragilisé par les aléas économiques », je retiens cette formulation très objective. S'il vous semble trop tôt pour vous prononcer sur l'opportunité d'un collectif budgétaire, nous ne saurions exclure un recadrage. Du reste, le ministre du budget a produit des dénégations trop fortes pour sonner juste...
M. Jean Arthuis. - Je remercie le rapporteur général de son objectivité. Je note une certaine dichotomie. D'une part, un discours, qui s'adresse à Bruxelles, sur l'effort sans précédent de réduction des dépenses publiques - et le moindre coup d'oeil dans le rétroviseur doit inciter à l'humilité car nous avons été loin d'être exemplaires par le passé. De l'autre, la réalité des réformes structurelles, qu'on ne voit pas venir. Or nous sommes au pied du mur et, ce matin, la ministre à la condition féminine...
Mme Michèle André. - Non, la ministre des droits des femmes !
M. Jean Arthuis. - ... annonçait vouloir augmenter le nombre de places en crèches collectives.
M. Philippe Marini, président. - Et chacun sait qu'il vaudrait mieux multiplier les maisons d'assistantes maternelles !
M. Jean Arthuis. - Monsieur le président, je m'efforce de convaincre... Cette vision de la petite enfance est par trop parisienne. Mais revenons aux réformes structurelles. Le Gouvernement ne touche pas aux régimes spéciaux de retraite, ni à la durée du temps de travail, il n'annonce aucune réforme de fond. Bref, l'effort, pour être crédible, devra être plus sérieusement détaillé.
Un sujet qui m'est cher, la compétitivité. Si je critique le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), je le considère comme un signal positif à deux égards : pour la première fois, un gouvernement de gauche reconnaît l'existence d'un problème de charges sociales pour les entreprises et il ne s'interdit pas une hausse de la TVA. Fort bien, mais allons jusqu'au bout du chemin en taxant les produits plutôt que la production. Hier, nous discutions avec Stéphane Le Foll du coût d'un ouvrier dans les abattoirs : dix euros de plus en France qu'en Allemagne. Moyennant quoi, l'Allemagne nous a dépassés. Nous ne pouvons plus continuer ainsi à moins, naturellement, que cela soit un choix politique...
M. Philippe Marini, président. - Au tour de Francis Delattre de se mettre en jambes pour la séance publique !
M. Francis Delattre. - Je m'en tiendrai à de petites questions ponctuelles. Le CAS « Pensions » afficherait une réduction de 0,8 milliard d'euros; le rapporteur spécial que je suis a pourtant déjà eu vent de tensions... Le CICE, qui relève chez moi de l'obsession, est financé par une augmentation de la TVA et d'autres économies. C'est-à-dire ? Ces économies sont-elles comprises dans les 14 milliards prévus ? J'en doute. Enfin, la Défense verrait ses pertes de crédit compensées par des ressources extrabudgétaires. Lesquelles ?
M. Dominique de Legge. - Je rends également hommage au rapporteur général pour l'honnêteté de son propos. J'en retire la conclusion suivante : la visibilité à court terme, très faible, fragilise les prévisions à moyen terme. Dans Ouest France, le président de la République déclarait lundi dernier qu'une accentuation de la pression fiscale n'était pas d'actualité. M. Eckert, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, a fait d'intéressantes déclarations qui vont dans le sens contraire. Quelle est la position du rapporteur général de la commission des finances du Sénat ?
La baisse de 1 milliard d'euros des crédits alloués à la branche famille s'inscrit, avez-vous dit, dans le cadre de la rénovation de la politique familiale. Pour ma part, j'observe que le déficit de 2 milliards d'euros de la branche s'explique largement par des charges indues. Surtout, ces dépenses sont d'investissement davantage que de fonctionnement, et cette « rénovation » n'est peut-être pas une priorité.
M. Yves Krattinger. - Le CICE est en 2013 une possibilité offerte aux entreprises mais il atteindra son régime de croisière en 2014. Nous pourrons alors mesurer ses effets et le regarder pour ce qu'il est. Si le nombre réduit d'entreprises, hormis les grandes, qui y ont recours cette année est un peu surprenant, cela reste une mesure excellente sur le fond : 20 milliards d'euros, ce n'est pas rien.
Méfions-nous de réduire le débat sur la compétitivité au coût du travail. Regardez l'Espagne et le Portugal : le prix à l'heure y est faible et, pourtant, ces deux pays connaissent de grandes difficultés. Le coût du travail est, parmi d'autres, un des éléments concurrentiels d'une économie. Avec un coût salarial équivalent au nôtre, l'Allemagne fait mieux parce qu'elle vend des process industriels au monde entier, y compris à la France. Les entreprises européennes concurrentielles sont toutes équipées par elle. La démonstration vaut pour le temps de travail : l'Allemagne avait adopté les 32 heures avant que nous passions aux 35. Son atout, ce sont aussi ses sous-traitants, de taille supérieure aux nôtres, qui développent leurs propres process industriels quand la concentration des PME dans le secteur automobile français a commencé il y a peine quatre ans.
M. Jean Arthuis. - Certes, mais négliger ce facteur de compétitivité est commode ! Vous n'enrayerez pas la progression du chômage en restant dans le politiquement correct. L'Allemagne a eu M. Schröder, qui a pris des décisions que ni la droite ni la gauche françaises n'ont été capables d'envisager. Méfions-nous des tabous : il faut absolument basculer le financement de la sécurité sociale sur les produits. En continuant à en faire peser le poids sur la production, nous nous rendrons collectivement complices des délocalisations. Si je ne m'abuse, on travaille 40 heures dans la fonction publique allemande et, bientôt, dans la fonction publique européenne. Et l'Union a adopté cette mesure avec l'appui de la France.
L'ampleur de l'appel aux financements de la Banque publique d'investissement (BPI) n'est pas un bon indicateur pour le CICE. Entre autres raisons, parce que la BPI exige des intérêts pour assurer le portage. Il n'est pas gratuit et ceux qui peuvent s'en passer n'y recourent pas ! J'ajoute que les grandes entreprises demandent désormais à leurs sous-traitants de baisser leurs prix en leur expliquant que le coût du travail a diminué...
M. Yves Krattinger. - Preuve que le CICE est une bonne mesure !
M. Jean Arthuis. - Je n'ai pas dit le contraire mais nous sommes loin du choc de compétitivité : Louis Gallois parlait de 30 milliards d'euros, vous en prévoyez 10 cette année et le double l'an prochain. Osons les 50 milliards !
M. François Marc, rapporteur général. - A Dominique de Legge, je répondrai que nous apportons notre soutien clair, net et précis à la stratégie du Gouvernement : restaurer la confiance, relancer la croissance et dégager des résultats budgétaires. La Cour des comptes a jugé que la hausse de 2 milliards d'euros de la réserve de précaution suffira à couvrir les dérapages. Ne soyons pas plus royalistes que le roi ! En tout état de cause, je ne suis pas favorable à un réajustement sur les recettes en cours d'année.
Monsieur Arthuis, le Gouvernement a choisi la voie de la concertation préalable pour les réformes structurelles. Des mesures ont été prises, sur la politique familiale et la compétitivité ; d'autres viendront, notamment sur les retraites. Soit, certains auraient souhaité qu'elles interviennent plus tôt. Quoi qu'il en soit, le train est en marche et les effets se feront sentir à partir de 2015.
Un des moteurs de l'économie est la démographie. La France a la chance d'avoir un taux de natalité très fort. En Suède et au Danemark, où il est extrêmement bas, le grand sujet des dernières élections législatives était l'accueil du jeune enfant, les crèches...
M. Jean Arthuis. - Il existe d'autres formes d'accueil que les crèches collectives !
M. Philippe Marini, président. - Les crèches familiales, les assistantes maternelles ou encore les maisons d'assistantes maternelles... Nous savons tout cela grâce au cumul des mandats.
M. François Marc, rapporteur général. - J'indique à Francis Delattre que le CAS « Pensions » enregistre une augmentation moins importante que ne le prévoyait la programmation pluriannuelle, et pas une baisse de ses dotations budgétaires : une hausse de 400 millions d'euros est bien prévue. Les ressources extrabudgétaires dont disposera la Défense consistent en des cessions immobilières, dont le produit reviendra à 100 % à l'armée, et dans la vente de fréquences hertziennes.
En résumé, un collectif budgétaire n'apparaît pas nécessaire pour l'instant. J'ai néanmoins voulu, dans mon exposé, me livrer à une analyse des risques.
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication à M. François Marc, rapporteur général, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.