- Mardi 25 juin 2013
- Mercredi 26 juin 2013
- Nomination de rapporteurs
- Saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
- Echange de vues sur la création éventuelle d'un groupe de travail sur les tranches démographiques prises en compte pour la désignation des électeurs pour l'élection des sénateurs
- Transparence de la vie publique - Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la commission pour la transparence financière de la vie politique
- Transparence de la vie publique - Auditions des représentants d'associations
- Transparence de la vie publique - Audition de M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
- Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. Jacques Beaume, président de la conférence des procureurs généraux, procureur général près la cour d'appel de Lyon, de M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens, et de M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier
- Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. François Molins, procureur de la République de Paris, M. Jacques Carrère, procureur de la République adjoint, et M. Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières - Tribunal de grande instance de Paris
- Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget
- Jeudi 27 juin 2013
Mardi 25 juin 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Représentation des Français établis hors de France - Examen du rapport et du texte de la commission en nouvelle lecture
La commission examine, en nouvelle lecture, le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 684 (2012-2013) relatif à la représentation des Français établis hors de France.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - En mars dernier, notre commission a examiné deux textes : l'un sur la prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, l'autre sur la représentation des Français établis hors de France. Le premier a été adopté conforme par l'Assemblée nationale et validé par le Conseil constitutionnel. Nous sommes saisis à nouveau du second, car les divergences étaient trop nombreuses et les délais trop contraints pour arriver en commission mixte paritaire à un compromis entre les deux assemblées.
Les échanges qui se sont multipliés entre députés et sénateurs ont fait converger les points de vue. Les premiers souhaitaient faire de l'Assemblée des Français de l'étranger un Haut conseil des Français de l'étranger ; pour des raisons symboliques et afin de préserver le droit de ses membres de parrainer un candidat à l'élection présidentielle, le nom actuel a été conservé. Les sénateurs ont en revanche accepté de supprimer la possibilité initialement offerte aux associations de participer au financement des campagnes.
En première lecture, alors que nous avions adopté un mode de scrutin direct, l'Assemblée nationale est revenue au projet initial du Gouvernement, les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger étant élus par les conseillers consulaires. Nous pouvons y consentir, en échange d'un découpage à quinze circonscriptions, contre cinq prévues initialement par l'Assemblée nationale
Autre modification : la date d'élection des représentants des Français de l'étranger a été maintenue au mois de mai, conformément au souhait de l'Assemblée nationale et du ministère des affaires étrangères, de ne pas avoir de concomitance avec les élections municipales. Le Sénat était partisan de les faire coïncider, mais le vote électronique aurait exigé que les listes électorales soient établies plusieurs semaines avant le scrutin, ce qui n'est pas possible techniquement aujourd'hui. Il faudra éventuellement y revenir d'ici 2020 ; la réflexion ne doit pas s'arrêter.
Le délai séparant l'élection des conseillers consulaires et celle des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger a en outre été raccourci, afin que la seconde procède véritablement de la première et n'ouvre pas une nouvelle campagne électorale. Quant aux modalités de vote, l'Assemblée nationale a repris pour les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger les dispositions plus sûres que nous avions introduites dans le mécanisme d'élection des sénateurs représentants les Français établis hors de France.
Le découpage des circonscriptions relevait de la quadrature du cercle. Il fallait pouvoir constituer au moins trois listes dans chaque circonscription. Or le découpage du Gouvernement ne réunissait pas assez de personnes éligibles pour cela. Désormais, avec ce découpage à quinze circonscriptions, trois listes peuvent théoriquement être présentées dans chaque circonscription.
Lors de la nouvelle lecture, les députés ont adopté deux amendements en séance : le premier concerne le rapport remis à l'Assemblée des Français de l'étranger, auquel il ajoute l'action des pouvoirs publics en matière de commerce extérieur. Si cette nouvelle obligation, qui ne relève pas de la logique de ce rapport, ne pose pas de problème de fond, pourquoi avoir supprimé, en première lecture, le sujet de l'action culturelle ? Le second amendement limite à trois le nombre de mandats consécutifs de conseiller consulaire ou de conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger. C'est la première fois, Présidence de la République mise à part, qu'on limite dans le temps le nombre des mandats électifs, mais l'Assemblée nationale l'a voté et je vous propose de faire de même. Je vous propose donc d'adopter ce texte, qui est un bon compromis.
Mme Catherine Tasca. - Vous avez excellemment exposé le parcours du texte. Je veux saluer l'efficacité du dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat, qui n'est pas toujours si remarquable et qui est à mettre au crédit en particulier de nos rapporteurs. Ici, un vrai travail commun a été effectué sur un texte non partisan, puisqu'il s'agit d'améliorer la représentation des Français vivant à l'étranger. Plus démocratique que le précédent, le système que vous nous présentez instaure une vraie proximité entre les Français de l'étranger et leurs représentants.
La future Assemblée des Français de l'étranger est en outre investie de responsabilités nouvelles. Espérons qu'elle s'en servira. Elle disposera d'une information plus complète de la part du Gouvernement sur les politiques qui concernent nos concitoyens établis hors de France.
L'élection des conseillers consulaires marque une véritable innovation. Leur collège portera l'élection sénatoriale, ce qui, dans cette enceinte, est un motif d'attention tout particulier.
M. Christophe-André Frassa. - Si la procédure accélérée n'avait pas été décidée, les deux chambres auraient dialogué plus précocement. Le dialogue de sourds par lequel elles ont commencé l'examen de ce texte nous a fait perdre beaucoup de temps.
La nouvelle version sortie de l'Assemblée nationale est certes meilleure que la précédente avec ses cinq circonscriptions. Cela étant, je ne partage pas l'enthousiasme du rapporteur : je doute que trois listes émergent dans chaque circonscription, puisqu'il faut le nombre de candidats plus deux pour en constituer une.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Non, ce n'est plus le cas.
M. Christophe-André Frassa. - Alors, en prenant tout le monde.... On aurait pu regrouper certaines circonscriptions pour mieux panacher les tendances politiques.
Faire de l'Assemblée des Français de l'étranger un Haut conseil des Français de l'étranger devait procéder d'un mouvement d'humeur : sous-entendre que les conseils consulaires étaient de « bas conseils », n'était pas très flatteur pour nos compatriotes établis hors de France - on a connu dialectique plus habile.
Si les prérogatives des élus sont opportunément augmentées, je regrette que la formulation ne retienne pas l'indicatif et se contente d'offrir aux conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger la possibilité d'agir. Par exemple, le budget donne lieu à un débat qui peut être suivi d'un avis. Ne pas acter cet avis dans la loi rend la chose bancale.
Nous avions durement bataillé en séance pour le vote direct. Les arguments en faveur du vote indirect ne tiennent pas la route. Les motifs d'inconstitutionnalité soulevés sur le scrutin direct par les uns ou les autres témoignent d'une mauvaise lecture du texte. Il faut évoluer sur ce point : on ne peut à la fois défendre un principe de proximité et prôner un suffrage indirect.
M. Christian Cointat. - Nous avions l'opportunité de donner un nouvel élan à la représentation des Français établis hors de France, et nous manquons ce rendez-vous. Je suis extrêmement déçu. En 1982, j'avais soutenu Claude Cheysson lorsqu'il a imposé, sous l'autorité de Pierre Mauroy et de François Mitterrand, l'élection des représentants des Français de l'étranger au suffrage universel direct, pour en faire des Français comme les autres. Et aujourd'hui, on leur supprime le droit d'être représentés auprès des autorités de la République par des élus au suffrage direct ! Je tiens à la démocratie de proximité, j'approuve les dispositions relatives au collège électoral des sénateurs, qui corrigent une anomalie. Pour le reste, le projet remet en cause l'avancée majeure réalisée par François Mitterrand. Bien qu'UMP, je défendrai Claude Cheysson et François Mitterrand : je ne pourrai voter le texte.
Si l'on veut que la représentation des Français de l'étranger ait un sens, il faut de la proximité. Les conseillers consulaires n'y suffiront pas, car ce sont des comités sans pouvoir, placés auprès du consul, qui représente certes l'autorité de la France, non la France elle-même. L'AFE peut bien garder sa dénomination - cela me fait d'autant plus plaisir que je suis à l'origine de l'amendement qui l'avait proposé -, ce n'est plus une assemblée dès lors qu'elle est élue au suffrage indirect. Ce n'est pas par hasard que les députés ont souhaité l'appeler Haut conseil : c'en est un désormais. Des amendements seront présentés en séance pour revenir au suffrage direct, tout en respectant le lien entre les élections consulaires et l'AFE, car le Gouvernement a raison sur ce point.
Nous sommes en plein débat sur l'intercommunalité : rappelez-vous que la droite avait instauré l'élection des conseillers communautaires par les conseils municipaux, alors que la gauche défendait le suffrage universel direct. Et vous défendez le contraire pour les Français de l'étranger ? C'est incohérent !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'aurais aimé qu'il en fût autrement.
M. Christian Cointat. - Je le sais bien. En l'occurrence, le souci de commodité prime l'idéologie. Or vous le verrez à la lecture de nos amendements : organiser les deux élections simultanément est très simple : il suffit de prévoir deux types de bulletins et deux urnes différentes. L'élection simultanée des conseillers généraux et régionaux, ou encore au Parlement européen et à l'Assemblée des Français de l'étranger, témoigne de la faisabilité d'un tel système. Si ces amendements passent, je serai le premier à défendre le texte, car il aura sauvé l'esprit de la réforme de François Mitterrand tout en allant de l'avant.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Plus de quatre cents conseillers consulaires seront élus au suffrage universel direct. Il y aura plus d'élus au suffrage universel que maintenant.
M. Christian Cointat. - Ils n'ont pas les mêmes pouvoirs, et sont disséminés !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Pour le reste, à nouveau, il s'agit d'un texte de compromis, fruit d'analyses juridiques pointues, destiné à recueillir le plus large accord des députés et des sénateurs. Je suis étonné d'entendre M. Frassa défendre un découpage plus large des circonscriptions qui distendrait le lien entre les électeurs et leurs représentants. Je le répète : il sera possible de constituer trois listes dans chaque circonscription. Le système fonctionnera donc.
L'Assemblée des Français de l'étranger est libre. Elle pourra émettre un avis sur le rapport relatif à la situation des Français de l'étranger, et formuler des observations sur le budget.
La question du nom n'est pas négligeable. Monsieur Cointat, les maires qui parrainent les candidats à la présidentielle sont élus par les conseillers municipaux. En conservant son nom à l'assemblée, nous maintenons à ses membres la possibilité de parrainage, dont ils font un large usage.
Ne demeurent que deux enjeux : garantir la participation aux élections de l'année prochaine, et finaliser les détails relatifs aux compétences des conseils consulaires et à l'organisation de l'Assemblée des Français de l'étranger, qui sont du domaine réglementaire. La réforme aurait pu être plus audacieuse, mais entre la loi de 1982 et celle-ci, nul ne peut nier que des progrès démocratiques sont accomplis.
Mme Catherine Tasca. - Il est vrai que ce texte poursuit deux objectifs, pluralisme et proximité, qu'il n'est pas toujours aisé de concilier. Il propose néanmoins un compromis en découpant les circonscriptions selon ces deux principes, tout en tenant compte de la remarquable diversité des communautés françaises à l'étranger. Le groupe socialiste le votera. Il importe de tenir le calendrier.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Reprenant un amendement déjà présenté, l'amendement n° 1 relève de la loi organique.
L'amendement n° 1 est rejeté.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement n° 2 rouvre le débat sur le vote par correspondance. Mis en place pour les législatives l'année dernière, il s'est révélé très coûteux ; moins de 1% des électeurs y ont eu recours, et la moitié des votes exprimés n'ont pu être validés. Par conséquent, il n'y a aucune raison d'accepter cet amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous en venons au vote du texte, dont le rapporteur a démontré qu'il comporte des concessions non négligeables des députés.
M. René Garrec. - Mais pas suffisantes !
Mis aux voix, le projet de loi n'est pas adopté.
M. Christian Cointat. - Ce texte pourra être adopté en séance sous une forme qui, j'en suis sûr, conviendra davantage au rapporteur...
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Mercredi 26 juin 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Nomination de rapporteurs
Au cours d'une première séance qui s'est tenue dans la matinée, la commission procède à la nomination de rapporteurs sur les textes suivants.
M. Roger Madec est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 1145 (A.N., XIVe lég.), relative à l'élection des conseillers de Paris (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).
Mme Virginie Klès est nommée rapporteur sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes (sous réserve de son dépôt).
M. Hugues Portelli est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 664 (2012-213), habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens (procédure accélérée).
Saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi n° 1015 (A.N., XIVe lég.), relatif à la consommation (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).
Mme Nicole Bonnefoy est nommée rapporteure pour avis.
Echange de vues sur la création éventuelle d'un groupe de travail sur les tranches démographiques prises en compte pour la désignation des électeurs pour l'élection des sénateurs
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Durant la discussion du projet de loi sur l'élection des sénateurs, M. Richard avait proposé de créer un groupe de travail sur les tranches démographiques prises en compte pour la désignation des électeurs à l'élection des sénateurs. Le but est de lisser les effets de seuil.
M. Alain Richard. - La question est de savoir si la représentation doit se faire, non par population, mais par taille de communes. Nous pourrions travailler dans la perspective de la deuxième lecture du texte au Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Selon moi, le groupe de travail ne peut exister que s'il y a consensus sur sa création.
M. Simon Sutour. - Je suis totalement opposé à cette proposition, sur la forme et sur le fond : sur la forme, ce serait doubler le débat de la commission par un groupe de travail ; sur le fond, j'ai voté par solidarité avec mon groupe le texte du Gouvernement, qui diminue la part des petites communes ; j'ai dit qu'il m'était impossible d'aller plus loin.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La création d'un groupe de travail a été suggérée en séance.
M. Michel Mercier. - Je suis favorable à cette proposition. Pourquoi refuser de réfléchir à la question ? Nous verrons bien si nous débouchons sur un accord.
M. Jean-Jacques Hyest. - Nous y avons réfléchi trente-six fois et nous avons toujours conclu que tout changement se ferait aux dépens des petites communes. Changer les règles pour les prochaines élections me paraît franchement risqué, d'autant que le collège électoral des sénateurs a déjà été profondément modifié, jusqu'à 25 % dans certains départements-. Cela me paraît, pour le moins, prématuré.
Mme Jacqueline Gourault. - Faut-il vraiment changer la donne entre les deux lectures du texte ? Je m'interroge. Mais nous pouvons y réfléchir.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le problème tient à cette tranche bizarre de 9 000 à 10 000 habitants, les grandes communes étant plus avantagées que les petites. Réfléchir sur cette aberration ne constitue pas un scandaleux complot contre les petites communes.
Mme Virginie Klès. - Je suis évidemment favorable à cette proposition. La tranche des 9 000 à 10 000 habitants est la seule à ne pas exister dans le code général des collectivités territoriales, s'agissant de la composition des conseils municipaux.
M. Simon Sutour. - Le cadre normal du débat parlementaire est de déposer des amendements, non de créer un groupe de travail.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Cette proposition a été faite en séance ; elle est loin d'être stupide.
M. Simon Sutour. - Elle est tout sauf stupide : elle a un objectif.
M. Alain Richard. - Si M. Sutour m'avait fait la grâce de lire le courrier que j'ai envoyé aux membres de la commission, il aurait constaté que la modification envisagée augmenterait la représentation des petites communes.
M. Simon Sutour. - C'est ouvrir la boîte de Pandore !
M. Alain Richard. - Au nom de la philosophie des lumières, je demande que l'on lise tous les éléments avant de conclure ! Modifier les tranches aboutirait automatiquement à une hausse du nombre des délégués des petites communes.
M. Simon Sutour. - Je n'y crois pas.
M. Alain Richard. - Pour ma part, je ne souhaite pas que cette modification s'applique aux prochaines élections.
M. Simon Sutour. - Donc on peut le faire plus tard.
M. Alain Richard. - Mieux vaut se poser la question une bonne fois pour toutes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Comme la question a été évoquée en séance, j'ai cru devoir vous saisir. Le groupe de travail n'a de sens que s'il y a consensus sur a création ; comme ce n'est pas le cas, j'en tire deux conclusions : d'une part, chacun pourra déposer des amendements lorsque le texte reviendra devant le Sénat ; d'autre part, une fois le texte voté, la commission, si tout le monde en est d'accord, pourra créer un groupe de travail, d'autant qu'il s'agit d'une structure informelle. Les défenseurs du monde rural, dont je suis, pourront alors s'exprimer à loisir.
Transparence de la vie publique - Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la commission pour la transparence financière de la vie politique
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie M. Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, président de la commission pour la transparence financière de la vie politique, et M. Jean Lessi, secrétaire général de cette commission, de nous rejoindre.
Quels sont vos commentaires et critiques sur les deux projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique ?
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, président de la commission pour la transparence financière de la vie politique. - Je m'exprimerai en tant que président de la commission pour la transparence financière de la vie politique. A ce titre, je m'intéresserai particulièrement aux dispositions visant le patrimoine des dirigeants publics.
Les textes comportent des avancées extrêmement significatives qui rejoignent nos propositions faites le 15 mai dernier en séance plénière.
Après sa création par la loi du 11 mars 1988, la commission pour la transparence financière de la vie politique n'a vu ses pouvoirs renforcés que par la loi du 14 avril 2011. Autrement dit, pendant 25 ans, la commission n'a pas disposé des moyens nécessaires à l'exercice de sa mission de contrôle. Même significatives, les avancées peuvent toutefois être encore améliorées.
En premier lieu, la Haute autorité, qu'il est proposé d'instituer en remplacement de la commission pour la transparence financière de la vie politique, doit disposer d'un pouvoir de communication général de l'ensemble des informations détenues par l'administration fiscale sur l'assujetti, y compris les documents relatifs aux donations. La Haute autorité doit avoir un accès direct à ces éléments. Déléguer cette mission à l'administration fiscale, placée sous l'autorité de l'exécutif, pose un problème de principe et d'efficacité.
Pour détecter les stratégies de contournement, la Haute autorité doit également pouvoir étendre ses investigations aux patrimoines des proches de l'assujetti : le conjoint au sens le plus large du terme, mais aussi les enfants mineurs. Dans ses 14ème et 15ème rapports, la commission pour la transparence financière insiste sur ce point. Au nom de notre expérience accumulée, cette extension, qui resterait limitée à des cas exceptionnels, me paraît indispensable.
Ensuite, l'article 13 du projet de loi ne donne pas à la Haute autorité des pouvoirs d'enquête, mais seulement celui de procéder à des vérifications, ce qui ne lui permet pas d'accéder à tous les documents et à tous les locaux professionnels. Nous ne demandons pas des pouvoirs de perquisition ou de saisie ; mais de pouvoir recueillir rapidement des éléments pertinents. Naturellement, cela se ferait avec l'accord des personnes visées.
J'en viens aux dispositions sur la Haute autorité. Nous devrons traiter 7 000 dossiers dans des délais très courts. Dès lors, il faudra prévoir des titulaires et des suppléants et permettre à la Haute autorité de se réunir en formation restreinte : 5 membres dont le président.
Quelques remarques supplémentaires sur des dispositions techniques. D'abord, je m'interroge sur la réalité de l'effet de simplification qu'induira la dispense de double déclaration dans les six mois, qui a été rétablie en première lecture conformément au souhait de la commission, dès lors que la date butoir de dépôt de la déclaration de situation patrimoniale de sortie est avancée à six mois au plus tard avant la fin du mandat ou des fonctions. Il faut éviter de multiplier inutilement les dépôts de dossiers !
Ensuite, les délais impartis à la Haute autorité pour rendre publiques les déclarations de situation patrimoniale et d'intérêts des membres du Gouvernement et des parlementaires, trois et six semaines, apparaissent singulièrement brefs, surtout s'il y a procédure contradictoire. Il ne peut à nos yeux s'agir que d'un premier contrôle formel ne faisant pas obstacle à des investigations complémentaires.
Il faudra enfin revoir les dispositions transitoires opportunément introduites à l'article 22 : je propose que les nouvelles compétences de la Haute autorité ne s'exercent que sur les mandats entamés avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, pas à ceux achevés avant cette entrée en vigueur.
Au total, ces deux projets de loi constituent un remarquable progrès. J'espère que mes remarques contribueront à l'améliorer.
M. Pierre-Yves Collombat. - Combien avez-vous constaté de cas d'enrichissement malhonnête liés au mandat ? Autrement dit, les parlementaires sont-ils une population à risque ? La publicité va-t-elle susciter une explosion de vertu dans notre pays ? Enfin, que penser, au regard de la séparation des pouvoirs, de ce système confiant à une autorité administrative le contrôle de la vie politique ? Dans d'autres pays, ces pouvoirs sont souvent confiés aux assemblées elles-mêmes...avec des résultats variables : aux Etats-Unis, deux sénateurs ont été sanctionnés en 25 ans, dont un pour harcèlement sexuel.
M. Jean-Jacques Hyest. - M. Sauvé a rappelé les grandes étapes de la législation : depuis la loi de 1988, nous avons fait de grands progrès. Que la Haute autorité ait accès à tous les dossiers fiscaux, y compris au fichier des hypothèques, ne me choque pas. Donc, d'accord pour renforcer les pouvoirs de la commission. En revanche, un droit de visite dans les locaux professionnels porterait atteinte à la vie privée ; nous empiétons sur la procédure judiciaire, seule garantie des libertés fondamentales. Il faut le consentement des intéressés ? Soit, mais que se passe-t-il s'ils refusent ? Jusqu'où doivent aller les pouvoirs de cette Haute autorité ?
M. Jean-Yves Leconte. - Vous proposez d'étendre la déclaration de patrimoine au conjoint et aux enfants mineurs, mais la personne a-t-elle les moyens de connaître tous les intérêts de son conjoint ?
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a instauré un plafond de 7 500 euros pour un don à l'ensemble des organisations politiques. Comment veiller à son respect ?
En outre, toute personne physique, quelle que soit sa nationalité, peut faire un don. Avez-vous rencontré des problèmes liés au fait que le donateur était étranger ? Lorsque celui-ci n'est pas imposable en France, comment vérifier l'origine des fonds ?
Mme Catherine Tasca. - Les conjoints n'apprécient pas forcément de se voir soumis à l'obligation de transparence financière. Comment définissez-vous les « cas litigieux » qui justifieraient l'extension du contrôle aux enfants mineurs ? Quel sera le lien entre la Haute autorité et les bureaux des assemblées qui peuvent déjà se pencher sur les problèmes déontologiques ?
Mme Éliane Assassi. - La commission Jospin a recommandé l'élargissement de la saisine de la Haute autorité à tous les citoyens. Qu'en pensez-vous ? La Haute autorité ne doit-elle pas, dans certains cas, pouvoir saisir directement le Conseil constitutionnel, sans passer par le bureau des assemblées ? Enfin, quel est votre avis sur les propositions des associations concernant les lobbies ?
M. François Pillet. - Ces textes viseront environ 7 000 personnes. Mais certaines dédicaces laissent penser que certains magistrats pourraient être utilement concernés par ces textes : le juge des expropriations, par exemple.
Les déclarations de patrimoine seront accessibles à tout citoyen ; en revanche, leur publication entraînera des sanctions. Je vous défie de faire respecter cette disposition et de punir celui qui diffusera l'information sur internet ou qui répandra un tract anonyme dans les boîtes aux lettres avant une élection. Il y aurait pourtant une solution simple : toute consultation en préfecture devrait être assortie de l'obligation de prouver son identité qui serait consignée.
M. Alain Richard. -Ce qui est blessant pour un parlementaire, c'est que ce débat repose sur l'idée que notre honnêteté est discutable. Mais dès lors que la discussion est lancée, la seule façon d'en sortir par le haut, c'est de mettre en place un système de vérification aussi efficace que possible. Nous remplissons consciencieusement nos déclarations, mais nous savons que si un de nos excellents amis fait une déclaration insincère, il ne se passe rien ! La demande du président Sauvé de se voir communiquer les documents fiscaux est donc parfaitement fondée : c'est la seule façon de vérifier qu'une déclaration est honnête.
Pourquoi accorder un délai de 60 jours à l'administration fiscale pour communiquer les documents ? Surtout, pourquoi n'accorder que trois semaines à la Haute autorité pour publier une déclaration alors même qu'elle aurait des doutes ?
Enfin, le critère de la nomination en conseil des ministres est-il pertinent pour distinguer les fonctionnaires soumis à certaines obligations ? D'autres porteurs d'autorité risquent d'échapper au contrôle.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Des déclarations publiques, consultables mais non publiables : le dispositif adopté par l'Assemblée nationale me paraît aussi curieux qu'à M. Pillet. Celui qui aura consulté la déclaration pourra informer un journaliste...
M. Jean-Jacques Hyest. - ...qui invoquera le secret des sources !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Et rien n'empêche un site hébergé en Belgique, en Suisse, ou aux îles Caïman de publier ces déclarations.
Par ailleurs, la question de la fusion de la commission pour la transparence avec la commission nationale des comptes de campagne peut se poser.
M. Jean-Marc Sauvé. - Monsieur Collombat, la commission pour la transparence, avec les pouvoirs extrêmement modestes qui étaient les siens durant vingt-cinq ans, a procédé à 14 défèrements au parquet, dont 6 parlementaires.
A la suite, le parquet n'a engagé aucune poursuite pénale car l'enrichissement inexpliqué n'est pas un délit. Néanmoins, plusieurs de ces personnes ont été pénalement condamnées pour des motifs liés à la moralité personnelle.
Quelle est la portée de la publicité ? Je me suis exprimé sur ce sujet dans un entretien au Monde début avril 2013 : c'est le seul entretien que j'ai donné à la presse. Selon moi, la publicité n'est pas nécessaire à l'efficacité des contrôles, mais elle peut favoriser la sincérité des déclarations. La commission de la transparence ne fait pas de recommandation sur ce sujet : c'est au législateur de trancher cette question politique.
Dans un souci de séparation des pouvoirs, le Conseil d'Etat a ajouté au projet de loi du Gouvernement la saisine des bureaux des assemblées parlementaires par la Haute Autorité. Du reste, le pouvoir de sanction des parlementaires appartient aux seuls bureaux des assemblées.
La commission pour la transparence financière de la vie politique a veillé à la séparation des pouvoirs sous l'angle du respect des libertés individuelles, du domicile et de l'autorité judiciaire. D'où, Monsieur Hyest, des pouvoirs d'enquête très restreints, compatibles avec les principes constitutionnels qui encadrent les pouvoirs des autorités indépendantes. Les pouvoirs de la Haute Autorité resteraient alors moindres que ceux de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de la concurrence.
La vérification de la situation des conjoints et des enfants mineurs, Monsieur Leconte, ne peut porter que sur la situation patrimoniale, en aucun cas sur les intérêts. Nous ne faisons aucune proposition relative aux déclarations d'intérêt.
L'article 11 ter dépasse le champ de compétences de la commission pour la transparence financière de la vie politique : je n'ai aucune lumière sur la question du plafond de 7 500 euros à propos duquel M. Leconte m'a questionné.
Nous n'avons pas rencontré de problèmes liés à l'origine des dons de non-résidents pour une raison simple : nous n'avons aucune compétence sur ce sujet.
Madame Tasca, il est des situations dans lesquelles nous avons identifié des enrichissements qui n'apparaissent pas : il paraît donc légitime de les rechercher dans le patrimoine des conjoints et des enfants mineurs des assujettis. Pour 6 000 assujettis et 25 000 personnes concernées depuis la création de la commission, je n'ai eu connaissance que de cinq cas... Ces recherches ne seraient pas élargies aux collatéraux, aux enfants majeurs et aux ascendants ; je tenais à le préciser ici publiquement.
Si la commission pour la transparence financière de la vie politique n'a pas de pouvoir, elle a de la mémoire. Elle a, dans son histoire, posé des questions embarrassantes.
Pour moi, la Haute Autorité est pourvoyeuse d'information pour les bureaux des assemblées. Le projet de loi pourrait peut-être être complété pour prévoir les suites données par les bureaux des assemblées à ces éléments. Sur ce sujet la commission pour la transparence financière de la vie politique n'a fait aucune observation.
Madame Assassi, tous les citoyens peuvent écrire à toute autorité publique. Faut-il aller jusqu'à un droit de saisine général ? La commission ne l'a pas proposé et ne le souhaite pas.
S'il y a saisine du Conseil constitutionnel, cela doit passer par le truchement des bureaux des assemblées. Je ne vois pas en quoi la saisine par la Haute autorité serait utile.
Le lobbying est un problème spécifique. Je me suis penché, avec le Premier président Migaud et le premier président Magendie, sur la question des conflits d'intérêt. En revanche, la commission pour la transparence financière n'a pas de recommandations sur ce sujet, même s'il mérite réflexion.
Monsieur Pillet, il est des personnes qui disposent de pouvoirs de décision supérieurs à ceux d'un membre de cabinet ministériel : le Gouvernement prépare un projet de loi et un projet de loi organique sur la déontologie des fonctionnaires et des magistrats, qui devrait concerner d'importantes populations.
La société de l'information rend effectivement malaisé le respect des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale. La traçabilité de consultations en préfecture ne résoudra pas le problème : il suffira de communiquer l'information à un tiers.
Monsieur Richard, ce qui vaut pour les parlementaires vaudra demain pour les hauts fonctionnaires et les juges. Il est blessant que notre honnêteté puisse être suspectée. Cependant, dès lors qu'on légifère, le système doit être crédible et efficace ; il ne faut surtout pas prêter le flanc aux critiques subies par la commission de la transparence depuis 25 ans.
La Haute Autorité doit disposer des informations détenues par les services fiscaux. Soixante jours, c'est un peu long, mais pas démesuré. Le délai de réponse -trois semaines pour les membres du Gouvernement, six pour les parlementaires- est très court et n'autorise qu'un contrôle sommaire. Il faudra préciser que la Haute Autorité n'est pas dessaisie une fois ce délai passé... Au-delà, son travail se poursuit.
Faut-il fusionner la Haute Autorité et la Commission des comptes de campagne ? Cela dépasse nos attributions. Disons qu'une telle fusion n'apparaît pas indispensable.
M. Pierre-Yves Collombat. - Si le contrôle des variations patrimoniales est impossible après les délais que vous mentionnez, quel en est l'intérêt ?
M. Jean-Marc Sauvé. - Le contrôle de situation à l'entrée et à la sortie de fonctions est très bref ; le contrôle de la variation se mesure, quant à lui, en mois. Nous n'avons ainsi pas terminé les contrôles issus de la fin de la législature précédente. Il ne faut pas que la Haute Autorité soit déchue de ses pouvoirs de contrôle au terme du délai de six semaines ! Ne fermons pas le contrôle dans le temps : entre six semaines et cinq ans, il y a un juste milieu. Il faut laisser du temps aux échanges et au débat contradictoire.
Transparence de la vie publique - Auditions des représentants d'associations
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous recevons trois associations, qui oeuvrent en matière de transparence de la vie publique :Transparency international, Anticor et Regards citoyens.
M. Daniel Lebègue, président de Transparency international. - Je vous remercie pour votre invitation. Acteur dans le monde des ONG depuis une dizaine d'années, je n'ai jamais vu cette qualité de concertation avec les décideurs publics au Gouvernement ou au Parlement : soyez-en remerciés. Les associations portent les attentes de la société civile : accorder du temps à l'échange et à l'écoute, comme vous le faites, est remarquable.
Les projets de loi votés en première lecture à l'Assemblée nationale hier comportent des avancées majeures dans le sens de la transparence. On a progressé davantage en quelques mois que depuis 20 ans sur ce terrain. Si ce texte aboutit, si le Sénat l'enrichit, la France sera enfin dotée d'un dispositif parmi les meilleurs en Europe après avoir été longtemps en retard par rapport aux grandes démocraties de l'Europe, notamment du Nord. Nous disposerons enfin d'une définition des conflits d'intérêts, d'une Haute autorité, de déclarations d'intérêt, du renforcement des règles relatives aux partis politiques, de la protection des lanceurs d'alerte, de la possibilité donnée aux associations d'agir en justice : autant de progrès qui devraient faire évoluer les comportements et les pratiques dans toute la société.
Qu'attendons-nous de la Haute assemblée ? D'abord, consolider le texte de l'Assemblée nationale et l'améliorer. Deux points sont d'une grande portée politique et symbolique : la publication des patrimoines et les incompatibilités entre un mandat parlementaire et certaines activités professionnelles.
Sur le premier point, nous avons entendu les réticences, les craintes. Un compromis a été trouvé à l'Assemblée nationale. Il serait bien que le Sénat rouvre ce dossier. De fait, le texte issu de l'Assemblée nationale ne répond pas aux attentes de nos concitoyens et on peut avoir des doutes sur le caractère opérationnel du dispositif retenu, à l'ère de l'internet... Nous proposons, pour notre part, que soient publiées au Journal officiel les déclarations complètes - activités, revenus, patrimoine - de tous les parlementaires le même jour. Ce serait une véritable opération de transparence. Ne redoutons pas les réactions démagogiques : les médias ont commenté les patrimoines des membres du Gouvernement pendant à peine 48 heures ! Pourquoi ne pas nous donner pour ambition d'être les meilleurs en matière de transparence ?
Les incompatibilités sont un sujet complexe. On ne peut contester que l'exercice professionnel, rétribué, de certaines activités de conseil peut poser problème et donne le sentiment qu'il y a conflit avec les fonctions de parlementaire...
La solution de l'Assemblée nationale nous paraît intéressante. La loi ne peut tout régler ; les règlements des assemblées, les codes de déontologie ont aussi leur rôle à jouer.
M. Eric Alt, vice-président d'Andicor. - Anticor a fêté son dixième anniversaire l'an dernier, dix ans de promotion de l'éthique dans la vie politique.
C'est la première fois qu'une telle fenêtre d'opportunité est ouverte pour améliorer le dispositif. Nous saluons les avancées, mais regrettons qu'elles ne soient pas plus significatives. Pour remédier à l'image très dégradée de la vie politique, nous avons un devoir d'audace, d'ambition.
La création de la Haute Autorité est une bonne chose. Cette institution doit avoir des moyens propres, d'enquête notamment, comme d'autres autorités administratives indépendantes. Sa composition diffère peu de celle de la commission pour la transparence financière de la vie politique, même si l'Assemblée nationale a ajouté au collège deux personnalités qualifiées, non rémunérées.
S'agissant des incompatibilités, l'activité annexe d'un parlementaire ne doit pas être plus importante que son activité principale. L'Assemblée nationale n'a pas adopté un amendement que le Sénat s'honorerait de voter : nous suggérons en effet que la rémunération de l'activité annexe ne puisse excéder celle de l'activité principale.
Enfin, le texte mentionne les députés : j'imagine que ces obligations s'appliqueraient pareillement aux sénateurs ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Absolument. Un article du code électoral le précise.
M. Eric Alt. - Dans le cadre de notre activité - qui se distingue de celle du lobbying parce qu'elle est entièrement publique - nous avons publié un certain nombre d'amendements sur notre site. D'abord, sur les inéligibilités. L'Assemblée nationale a renoncé à l'inéligibilité définitive. La réélection de personnes condamnées donne une image détestable de la vie politique... Nous estimons qu'un candidat à une fonction élective doit, tout comme les candidats à une fonction publique, avoir un casier judiciaire vierge de condamnation pour atteinte à la probité. C'est une condition d'aptitude, non une sanction. Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de la condition de « bonne moralité », dans le cas des magistrats.
Deuxième sujet, les lanceurs d'alerte. Les exemples sont nombreux de lanceurs d'alerte qui se sont retrouvés dans des situations difficiles : je pense aux salariés d'UBS, aux policiers de la brigade anti-criminalité de Marseille et à d'autres. Le soutien ne doit pas seulement viser l'annulation des sanctions prises contre eux : il faut une protection comparable à celle des témoins. Le service central de prévention de la corruption pourrait être investi d'une telle mission.
Troisième sujet, le contrôle des lobbyistes, à l'intérieur des enceintes parlementaires mais aussi à l'extérieur. Le lobbying est une pathologie de la démocratie, une confiscation de la décision publique.
Nous nous inspirons du modèle canadien en proposant notamment de sanctionner les lobbyistes manquant à un code de déontologie.
M. Christophe Boutet, membre du conseil d'administration de Regards citoyens. - Je vous remercie de nous recevoir. Regards citoyens travaille depuis 2009 à valoriser l'action des parlementaires, notamment sur les sites nosdéputés.fr et nossenateurs.fr.
Mme Hélène Lipietz. - Ah ! C'est vous !
M. Christophe Boutet. - Nous avons formulé dix propositions sur les deux projets de loi, au travers d'amendements publiés sur notre site. Tous n'ont pas intéressé l'Assemblée nationale en première lecture. Je compte sur votre sagesse !
Les progrès en matière de transparence sont indéniables. La Haute Autorité contrôlera, efficacement, 7 000 décideurs publics - cela ne nous paraît pas excessif. Les actuelles difficultés de fonctionnement seront corrigées avec la possibilité de recourir à des rapporteurs par exemple. Pourquoi limiter l'alerte citoyenne aux seuls électeurs ? C'est alourdir la procédure, par une vérification d'inscription sur les listes électorales.
A côté de l'alerte, on pourrait imaginer une simple demande d'avis, car le conflit d'intérêts est une notion bien complexe.
M. Benjamin Ooghe-Tabanou, membre du conseil d'administration de Regards citoyens. - Il y a eu des progrès à l'Assemblée nationale, mais aussi des reculs. La transparence ne doit pas être vécue comme une punition mais comme un effort démocratique, qui valorise le travail des élus. Allons plus loin. Les déclarations de patrimoine ne doivent pas être rendues publiques car elles n'ont de sens qu'accompagnées de déclarations de patrimoine par les proches, or il y a là une atteinte à la vie privée, pour une utilité faible. Ce n'est pas la richesse mais l'enrichissement qui importe, donc l'évolution du patrimoine qui doit faire l'objet d'un contrôle par la Haute Autorité. Il faut également faire une large publicité aux déclarations d'intérêts et aux votes lors des scrutins publics.
M. Christian Boutet. - En revanche, nous suggérons une large diffusion des déclarations d'intérêt. Le Sénat a été précurseur en la matière en les publiant sur son site, tandis que l'Assemblée nationale les enferme dans un coffre-fort. L'affaire du Mediator a entraîné une opération transparence dans le monde de la santé, avec des déclarations d'intérêts plus stricts pour les membres des agences.
Le CNIL a proposé, pour empêcher toute réutilisation automatique, une publication sous forme d'image, ce qui empêche une libre réutilisation de ces données publiques, ne serait-ce que pour les rendre accessible aux non-voyants.
Nous avions proposé un amendement précisant que « la réutilisation devait s'entendre au sens de la loi Cada de 1978 ». L'ensemble des membres du G8, dont le président de la République française, dans une déclaration relative à l'open data, se sont prononcés dans le même sens. L'amendement que nous suggérions a reçu un avis favorable du ministre, mais défavorable du rapporteur à l'Assemblée nationale, qui jugeait la rédaction imprécise. Nous soumettrons une nouvelle rédaction à votre commission.
M. Benjamin Ooghe-Tabanou. - Pour finir, nous avons quelques observations à faire sur la loi Cada, plus précisément sur la publicité des votes au sein de deux assemblées, qu'il s'agisse des positions de chacun lors des votes à l'Assemblée nationale, ou du respect des règles en matière de délégation de vote au Sénat. A quoi s'ajoute la question longtemps taboue du lobbying. La régulation du lobbying est devenue indispensable après le volet pharmaceutique de l'affaire Cahuzac, la mise en cause d'une sénatrice pour ses liens avec un lobbyiste dans l'affaire Mediator, ou la révélation par France 2 des liens entre l'industrie du tabac et des parlementaires. Comme au Québec, confions à la Haute Autorité la tenue d'un registre.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie pour ces exposés portant sur des points qui, pour être intéressants, ne relèvent pas forcément du champ de ces deux projets de loi.
M. Pierre-Yves Collombat. - En fins observateurs, pensez-vous que les astreintes à la probité et la délinquance financière sont plus préoccupantes au Parlement qu'au sein du pouvoir exécutif, administratif ou encore des autorités dites indépendantes ? Franchement, je n'ai pas l'impression que le Parlement soit un nid d'atteintes à la probité. Vos propositions conduisent-elles au triomphe de la vertu ? Ou ne vont-elles pas plutôt affaiblir encore le pouvoir du Parlement ? On avance vite sur la transparence de la vie publique, moins sur les paradis fiscaux. Comme cela est curieux... Nous sommes tous pour la vertu mais faut-il, au prétexte de redorer le blason terni de la démocratie, réduire les pouvoirs qu'il reste au Parlement ? L'enfer est pavé de bonnes intentions...
M. Jean-Yves Leconte. - Ne pensez-vous pas que certaines dispositions de ce texte, si elles étaient développées à terme, iraient à l'encontre du principe de la séparation des pouvoirs ?
Comment contrôler le respect du plafond de dons aux partis politiques ? Je songe aux micro-partis créés pour recevoir des fonds. Concrètement, il faudrait une liste des donateurs... Cela me semble délicat ! Est-il logique qu'une personne étrangère puisse financer un parti politique en France ?
Enfin, faut-il étendre les contrôles aux proches des personnes s'engageant en politique ? Là encore, on entre dans une zone dangereuse.
M. Christophe Béchu. - Tout le monde convient que le lobbying pose problème. J'ai été, dans une autre vie, député européen, soumis à des règles de transparence exigeantes, issues de la tradition anglo-saxonne. Or l'existence d'un registre des lobbyistes n'empêchait pas des entreprises d'offrir des buffets à tous les étages, ce qui n'est absolument pas le cas au Sénat. Et comment contrôler l'influence sur tel ou tel dans le cercle privé, quand il n'y a pas de témoin ?
On ne peut ignorer le discrédit de la classe politique dans la société. Or, après les espoirs de publication des patrimoines, le texte donne le sentiment d'une reculade.
Je me suis plié au jeu de la transparence, au niveau local et j'ai naïvement publié, dans la presse régionale, le patrimoine que j'ai constitué avec mon épouse. D'autres ont extrait la part de leur conjoint, arguant parfois du régime matrimonial... Attention à ne pas passer du mariage pour tous au mariage pour personne dans la classe politique !
Quid des collaborateurs parlementaires ? Et des hauts fonctionnaires ? L'amendement d'Anticor, pour contourner le problème posé par les inéligibilités, me semble habile. Dans les conditions d'éligibilité, on inclut l'absence de condamnation pour atteinte à la probité publique. Mais des manquements à la probité privée sont mis sur le même plan. Un consensus est possible, mais j'aurais aimé avoir quelques éléments complémentaires.
Mme Catherine Tasca. - Le regard des associations complète utilement le nôtre : il reflète, à tout le moins, les attentes de la société. Pratiquez-vous les comparaisons internationales ? Qu'en est-il du contrôle de la transparence chez nos voisins ? Que pensez-vous de la composition de la Haute Autorité ? Comment contrôler plus efficacement le lobbying ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Personne n'est contre l'indépendance. En revanche, on peut s'interroger sur un dispositif construit autour d'une Haute Autorité qui ne relève ni du judiciaire ni du politique.
La loi oblige seulement à déclarer les noms des collaborateurs parlementaires. C'est peut-être un peu court. Que proposez-vous ?
Etre parlementaire est un métier à plein temps. Pour autant, si l'interdiction de cumul avec une profession a été écartée à l'Assemblée nationale, c'est qu'alors, les agriculteurs, les membres des professions libérales ou les professeurs d'université auraient été exclus des mandats parlementaires. Dès lors, on refuse seulement aux parlementaires d'entreprendre une nouvelle activité pendant leur mandat. Ils peuvent en revanche poursuivre celle qu'ils avaient auparavant. Est-ce juste ? Disons plutôt qu'une nouvelle activité professionnelle ne doit pas entrer en conflit avec l'activité parlementaire.
Le meilleur moyen de contrôler le lobbying est de rendre systématiquement public tout contact entre les parlementaires et les lobbyistes - c'est ce que nous faisons en ouvrant toutes nos auditions et en publiant dans nos rapports la liste des personnes rencontrées dans le cadre de nos travaux.
Enfin, il y a une limite à la transparence : la vie privée. J'ai refusé, lors de la déclaration d'intérêt au Sénat, de déclarer les revenus de mes enfants. Je ne veux pas savoir combien ils gagnent, j'estime que cela relève de leur vie privée.
M. Daniel Lebègue. - Je suis tout à fait d'accord avec M. Collombat : la transparence n'est pas la probité, laquelle concerne tous les citoyens. Le projet de la Commission européenne, en 2010, qui portait sur l'état du système national d'intégrité, visait treize catégories d'acteurs : gouvernements, parlements, entreprises, monde financier, associations, etc. Il n'y a aucune raison de se focaliser sur les parlementaires. Cela dit, parce qu'ils tiennent leur mandat du peuple, ils ont un devoir d'exemplarité. Rien de nouveau dans cela : Tocqueville et Montesquieu l'ont dit il y a longtemps.
M. Pierre-Yves Collombat. - Qui a la légitimité ? C'est le peuple. Voilà le coeur du débat. Et le peuple ne donne pas forcément sa confiance aux meilleurs : la démocratie n'est pas un régime parfait, on le sait depuis Platon ! Je signale, surtout, que les scandales concernent rarement des parlementaires.
M. Daniel Lebègue. - La transparence a une limite : la protection de la vie privée. Il faut trouver le point d'équilibre. Le Parlement a imposé la transparence aux administrateurs de société et à leurs proches, ascendants et descendants ; et une transparence totale, sur les revenus de toute nature, aux présidents de sociétés cotées en bourse. C'est très bien ainsi ! J'ai prévenu mes enfants de ne faire aucune transaction sur une société où je siège, et voilà tout.
Mme Myriam Savy, responsable du plaidoyer de Transparency international. - Le lobbying s'exerce aussi hors du Parlement, dans les cabinets ministériels et les administrations. Le registre des lobbyistes qui existe à l'Assemblée nationale depuis 2009 et au Sénat depuis 2010 ne suffit pas. En janvier, nous avons publié des recommandations sur l'encadrement de cette activité, en insistant sur la traçabilité des décisions et l'équité d'accès, c'est-à-dire le partage du droit d'expression. Il est normal de défendre les intérêts des entreprises, de faire entendre son point de vue... si les autres le peuvent aussi. Plus récemment, nous avons salué l'initiative du député Sirugue ; le Sénat pourrait reprendre ses préconisations.
Madame Tasca, il ressort des comparaisons internationales que la France et la Slovénie sont les seuls pays à ne pas publier les déclarations de revenus et d'intérêt des parlementaires ! Nous sommes loin des pratiques scandinaves. Pour les inégalités, le système américain, qui pose une interdiction générale avec des exceptions très encadrées en termes de rémunération et de temps passé, nous semble bon.
Une plus grande proportion de personnalités qualifiées à la Haute Autorité renforcerait la transparence. Pour garantir leur indépendance, portons le délai de viduité après l'exercice d'un mandat de trois à cinq ans.
Mme Suzanne Devallet, membre du bureau d'Anticor. - Monsieur Collombat, la transparence va dans le sens d'un renforcement du pouvoir du Parlement. Elle est nécessaire, au vu de la grave crise de confiance envers les politiques. Nous demandons, non la publication des revenus et du patrimoine, mais le contrôle effectif de leur évolution.
Anticor lutte contre la montée des extrêmes. Vous nous dites : « Regardez les autres ». Certes, il y a du travail à faire dans les milieux économiques et financiers, mais cela ne doit pas empêcher de nous intéresser aux élus.
Autoriser les parlementaires à exercer certaines professions, notamment celles qui exigent une pratique régulière, est utile pour limiter la professionnalisation du milieu politique. Le parlementaire doit pouvoir renouer avec son métier d'origine à la fin de son mandat - nous sommes pour l'interdiction du cumul des mandats, y compris dans le temps, afin que les politiques ne soient pas, par manque de pratique de leur métier d'origine, coincés dans le milieu politique.
M. Eric Alt.- Nous sommes partis du texte sur la fonction publique pour proposer un alignement des fonctions électives. La liste des infractions visées est strictement identique à celle des cas où une association peut se constituer partie civile.
M. Christophe Boutet. - Nous suivons Anticor : il faut limiter les revenus annexes, à une fois ou une demi-fois l'indemnité parlementaire, tout en autorisant bien sûr les activités bénévoles.
M. Benjamin Ooghe-Tabanou. - Nous proposons, je le répète, la publication, non des patrimoines, mais de leur évolution au cours du mandat. La publication des noms des collaborateurs parlementaires représente déjà un immense progrès. Nous pourrons aller plus loin en demandant une déclaration de patrimoine des collaborateurs.
Enfin, nous proposons, avec Transparency international, un nouveau registre pour les lobbyistes. Le registre actuel repose sur la base du volontariat, s'y inscrire n'apporte rien aux lobbyistes. Le registre devrait contenir, non seulement les noms, mais aussi les frais engagés, ce qui couvrirait les buffets européens dont a parlé M. Béchu.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce type de loi ne redorera pas le blason du Parlement. Au journal de 20 heures, on ne félicitera pas les 99,9% des parlementaires qui auront respecté les règles, on pourfendra le 0,1% restant. Quant à balayer devant sa porte, fort bien : mais j'ai l'impression qu'on balaye devant celle du Parlement pour ne pas avoir à le faire devant celle des autres !
M. Daniel Lebègue. - Nous consacrons aussi beaucoup de notre temps et de notre énergie à la lutte contre les paradis fiscaux !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie pour votre travail, souvent bénévole.
Transparence de la vie publique - Audition de M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. - J'ai acquis la conviction que le mot de transparence n'est qu'un avatar de la souveraineté du peuple. Relisez les débats de février et mars 1988 sur la loi de transparence financière de la vie politique. Quelles brillantes interventions du rapporteur Jacques Larché et des sénateurs Michel Dreyfus-Schmidt ou Charles Lederman !
Tous les grands scandales politico-financiers ont conduit à changer les lois ; c'est le scandale de la garantie foncière en 1971 qui a ainsi provoqué l'instauration de la déclaration de patrimoine.
Ce texte ne fait pas exception. Le Président de la République a demandé au Gouvernement d'améliorer notre législation à la suite de l'affaire impliquant l'ancien ministre du budget. Le groupe de réflexion du Sénat sur les conflits d'intérêt a nourri nos travaux ; le texte peut encore être amélioré, notamment sur la question du lobbying, champ qui n'a pas été abordé à l'Assemblée nationale.
Un mot sur les nouvelles déclarations d'intérêt, d'activité et de patrimoine, qui s'imposent à plus de 7 000 responsables publics. Cette préoccupation existe depuis le 14 mai 1793 ! L'Assemblée nationale a trouvé un équilibre satisfaisant mais perfectible. Un droit d'alerte du citoyen est créé. Le délit de publication non autorisée du patrimoine d'une personne peut susciter des interrogations ; il mérite d'être précisé. Autre avancée, la protection des lanceurs d'alerte. Le financement de la vie publique doit aussi être rendu plus transparent. Je salue le travail de Gaëtan Gorce sur ce sujet, à l'occasion de la loi de finances pour 2013, comme les suggestions du groupe écologiste, en réaction à la multiplication des micro-partis.
La notion de conflit d'intérêts sera définie pour la première fois dans la loi, nous en débattrons lors de l'examen des amendements. Il faut faire régresser la zone de non-droit. Le Gouvernement propose donc que les déclarations d'intérêt soient obligatoirement publiées. Pour la première fois, un système de déport sera mis en place, imposant aux personnes concernées -membres du Gouvernement ou d'autorités indépendantes- par un conflit d'intérêts de s'abstenir : on ne peut être juge et partie. Cette mesure a-t-elle vocation à s'appliquer aux parlementaires ? Sous quelle forme ? La réponse n'est pas aisée. La séparation des pouvoirs est une borne indépassable.
La Haute Autorité disposera de pouvoirs effectifs et d'une autonomie financière, comme le proposait M. Gélard dans son rapport sur les autorités administratives indépendantes. Son président sera nommé par décret, selon la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution. La Haute Autorité aura un rôle élargi par rapport à l'ancienne commission, elle disposera des services fiscaux et d'un pouvoir d'injonction. Je ne sais pas s'il est possible de faire davantage en la matière, mais les délais impartis peuvent peut-être être mieux calibrés, selon qu'il s'agit de nominations au Gouvernement ou des autres déclarations...
M. Sauvé préconise une culture déontologique. Nous proposons de renforcer la répression pour garantir l'indépendance des parlementaires vis-à-vis des intérêts extérieurs. Relisez les débats sur la proposition de loi organique de 1995, devenue l'article L. 146-1 du code électoral, qui fixe un certain nombre d'incompatibilités. Le texte peut être amélioré sur ce point.
Le projet de loi met en oeuvre l'engagement 49 du Président de la République sur l'inéligibilité, renforce la répression du pantouflage et introduit, sous une forme adaptée, la notion de parjure dans notre droit. Beaucoup reste à faire, nos concitoyens nous regardent.
M. Jean-Jacques Hyest. - J'ai participé à tous les débats sur ces thèmes. La loi de 1988 et celle de 1990 qui l'a beaucoup modifiée visaient à remédier au scandale du financement de la vie publique. La France a avancé progressivement s'agissant des incompatibilités. Le scandale de la garantie foncière fut très particulier puisqu'un parlementaire faisait... de la publicité ! L'originalité, ici, est d'agir sur la transparence en réaction à une affaire de fraude fiscale - qui n'aurait pas été davantage découverte avec de telles mesures.
Dans le rapport du groupe de travail sur les conflits d'intérêt des parlementaires en 2011, nous étions partisans de l'autonomie du Parlement : à lui de faire sa police. Donner plus de pouvoirs à la Haute Autorité, d'accord, dès lors qu'elle est indépendante et que son action ne porte pas atteinte à la vie privée ni aux libertés publiques. Je doute quand même que l'on résolve toutes les questions. On va beaucoup demander à la grande majorité, qui est honnête. Qu'arrive-t-il à ceux qui commettent des infractions pénales ? En 25 ans d'activité de la commission pour la transparence financière de la vie publique, 6 défèrements au parquet sur des situations de parlementaire, zéro condamnation...
M. Pierre-Yves Collombat. - Toutes ces lois ont eu pour origine un scandale, avez-vous dit. Tenons-nous en aux plus récents : ils concernaient un ministre du budget, une ministre des finances, puis, plus récemment, un autre ministre du budget. Mais en quoi ces affaires concernent-elles le Parlement ? En quoi le pantouflage a-t-il sa place ici ? Pouvez-vous en dire plus sur la notion de parjure que vous semblez vouloir rétablir ?
M. Jean-Yves Leconte. - Le plafond global des dons aux partis politiques fixé à 7 500 euros par donateur a été introduit à l'Assemblée nationale. Comment le contrôler ? En outre, ne devrait-on pas limiter les donateurs aux résidents fiscaux en France ?
Mme Éliane Assassi. - Je me félicite que ces textes nous soient présentés, même s'ils le sont après un scandale. Ces mesures sont intéressantes. Il fallait répondre à une demande citoyenne. Il reste toutefois beaucoup à faire, je fais confiance à la sagesse du Sénat pour renforcer encore la souveraineté du peuple. La Haute Autorité doit avoir les moyens pour assumer ses missions. Faut-il la doter d'un pouvoir d'investigation et d'enquête ?
Il faut mieux définir la notion de conflit d'intérêts.
Le lobbying a été longtemps un sujet tabou. Or ces comportements nuisent à la démocratie. Il faudra y travailler plus précisément. J'espère que le débat sera l'occasion d'y répondre.
Mme Jacqueline Gourault. - Mieux vaut que le lobbying soit officiel et réglementé que souterrain. On n'empêchera jamais les influences, autant que les choses soient transparentes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La transparence absolue peut avoir des effets néfastes. Chacun a droit à sa vie privée, à son intimité. Qu'est-ce que le lobbying ? Nous sommes nombreux à défendre des idées ; l'essentiel est que tout soit explicite dans l'activité parlementaire. Un rapporteur reçoit les lobbyistes es qualité.
Soit dit en passant, je déteste recevoir des questions écrites toutes faites et des amendements pré-rédigés. Ce n'est pas sain. Nous sommes là pour écouter, réfléchir et rédiger nos propres amendements !
La question du déport mérite d'être regardée de près, le cas du Conseil constitutionnel et du Parlement ne sont pas équivalents. Au Parlement, l'adoption d'un texte peut tenir à une voix !
Dans le texte de l'Assemblée nationale, la consultation à la préfecture est limitée aux électeurs du département. Or, les parlementaires sont des élus de la Nation. Je suis également hostile au fichage des gens qui consulteront ces informations, exerçant ainsi un droit.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le rapport sénatorial sur les conflits d'intérêts évoquait la question du déport. La décision politique résulte d'un débat où les points de vue particuliers se confrontent. Attention, en revanche, à ne pas nommer un rapporteur qui aurait un point de vue biaisé. Mais exiger que chaque atome parlementaire soit exempt de toute contamination n'a aucun sens !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Après Platon, Démocrite...
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. - Des améliorations sont possibles et souhaitables dans l'élaboration de la décision publique. En raison du principe de l'autonomie parlementaire, certaines décisions ne peuvent figurer dans la loi et relèveront des bureaux de vos assemblées.
La déclaration à une autorité indépendante existe depuis 1986 : c'est un acquis collectif.
L'Assemblée nationale a pris une règle importante sur le financement des partis politiques. On a trop longtemps fermé les yeux sur l'optimisation des règles de financement. Des partis politiques se sont créés, dont l'existence était seulement connue des quelques parlementaires concernés ! Il fallait mettre fin à cela, comme à l'utilisation astucieuse faite de la différence de traitement entre métropole et outre-mer. Faut-il créer des liens organiques avec la commission de contrôle des comptes de campagne ? La question mérite d'être posée. On peut aussi imaginer un registre des donations.
Je comprends votre préoccupation sur les dons par des personnes non imposables en France. Revenons-y lors de l'examen de vos amendements.
Le débat est ouvert sur les définitions. Sur les moyens, la réponse du Gouvernement est claire : les moyens de la Haute Autorité seront à la hauteur des besoins.
Je suis à la disposition du Sénat, dont j'attends les propositions avec grand intérêt.
M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai cité les trois grandes affaires des cinq dernières années ; elles sont toutes liées à l'exécutif, aucune ne concerne le Parlement.
M. Jean-Yves Leconte. - L'article 13 prévoit l'approbation des nominations visées sauf en cas d'opposition à la majorité des trois cinquième des suffrages exprimés, dont bientôt celle du président de la Haute Autorité. En réalité, cela interdit quasiment de contester une nomination. Ne faut-il pas modifier cette règle et envisager un renforcement du pouvoir du Parlement en cette matière ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Les conflits d'intérêts et les risques sont bien plus importants pour les élus locaux que pour les parlementaires, qui ne gèrent aucun budget. Les parlementaires impliqués dans des affaires le sont en tant qu'élus locaux. Or, la garantie de l'autonomie ne s'applique pas aux élus locaux - qui sont soumis au contrôle de légalité et à l'autorité du préfet. La gestion locale doit être contrôlée de très près.
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. - M. Hyest a répondu à M. Collombat. Il n'est pas juste de dire que les parlementaires ne sont jamais concernés.
L'inaction n'est pas une option. On ne peut ignorer la réalité, qui est terrible. A la question : « Pensez-vous que les élus sont honnêtes ou corrompus », 88 % des Français répondent « corrompus » dans un récent sondage !
M. Patrice Gélard. - Ils ne connaissent pas le sens du mot.
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. - Certains exploitent cette défiance, c'est leur fonds de commerce. La parole politique doit être à nouveau écoutée. Ignorer ce que disent les Français conduit aux résultats électoraux de Villeneuve-sur-Lot.
M. Pierre-Yves Collombat. - Commencez par inverser la courbe du chômage !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je ne vais pas faire acte de contrition parce qu'une personnalité nationale a fauté gravement, en étant qui plus est ministre du budget. Nous n'avons pas à nous sentir coupables.
Le Président de la République a décidé, à la suite de ces événements, de proposer ces deux projets de loi. Il nous appartient de faire la meilleure législation possible.
Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. Jacques Beaume, président de la conférence des procureurs généraux, procureur général près la cour d'appel de Lyon, de M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens, et de M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier
Au cours d'une seconde séance qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission procède à des auditions sur le projet de loi n° 1001 (A.N., XIVe lég.) relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et sur le projet de loi organique n° 1019 (A.N., XIVe lég.) relatif au procureur de la République financier.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je tiens à remercier M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d'appel de Lyon, président de la conférence des procureurs généraux, M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier, membre du bureau, et M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens, également membre du bureau, d'avoir répondu à l'invitation de notre commission.
M. Jacques Beaume, président de la conférence des procureurs généraux. - Je peux parler du contenu de ces textes en toute connaissance de cause, puisque j'ai moi-même été membre du parquet financier de Lyon de 1974 à 1984, à l'époque de toutes les grandes lois de prévention des difficultés des entreprises, de la réforme sur les faillites... Après cette période, nous avons assisté à une véritable dérégulation du droit pénal financier. La crise est ensuite passée par là. Aujourd'hui, le besoin d'un renforcement des sanctions contre les atteintes à la probité et aux intérêts publics se fait sentir. Dans ce domaine, les différents organismes internationaux, tels que l'OCDE, sont d'ailleurs relativement critiques à l'égard de l'arsenal de lutte contre la criminalité financière de la France. Les procureurs généraux et les procureurs de la République accueillent donc favorablement le principe d'un renforcement du droit pénal économique et financier.
Je n'entrerai pas dans les détails techniques des infractions mais je soulignerai deux points particuliers. En premier lieu, l'aggravation des qualifications avec la création de circonstances aggravantes liées à la mondialisation et aux flux de capitaux nous paraît nécessaire. Des évolutions sont intervenues depuis l'époque où les textes relatifs aux abus de biens sociaux, à la corruption ou à la fraude fiscale ont été adoptés. Plus rien ne se passe dans un cadre franco-français.
Nous sommes également favorables au renforcement des peines encourues pour ces infractions, notamment la mise en place d'amendes significatives. Celles qui existaient jusqu'à présent n'étaient pas suffisamment dissuasives par rapport au profit retiré des infractions.
Les dispositions du projet de loi vont donc dans le sens d'une plus grande protection de l'ordre public.
De même, l'utilisation en matière financière des méthodes des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour la criminalité organisée et le grand banditisme nous apparaît appropriée (surveillances, écoutes...), mais pour les affaires les plus importantes seulement, quand des infractions dans des circonstances aggravantes sont commises. En effet, il faut respecter le principe de proportionnalité. Les préjudices économiques et sociaux sont certes considérables, mais nous ne sommes pas ici dans le domaine de la traite des êtres humains ou du terrorisme.
En second lieu, je voudrais aborder la question de la Commission des infractions fiscales (CIF). Actuellement, elle nous saisit en dernière minute, juste avant l'expiration du délai de prescription, alors que l'administration fiscale a déjà « prédigéré » les faits. Il est difficile pour nous de reprendre l'enquête en cours car les méthodes de l'administration ne sont pas celles de la justice et le dossier nous arrive déjà construit. Nous devons en réalité recommencer le travail de notre côté. Le maintien par le texte du monopole de la commission des infractions fiscales nous apparaît être un vice de la législation.
M. Jean-Jacques Hyest. - Un vice rédhibitoire ?
M. Jacques Beaume. - Plutôt un handicap en fait. Cela va atténuer les effets positifs du texte.
La direction générale des finances publiques estime que la période durant laquelle intervient la CIF favorise les transactions.
Nous pourrions tout à fait imaginer une procédure de transaction pénale qui interviendrait pendant l'enquête. D'ailleurs, l'enquête pourrait même servir ces transactions.
Sous cette réserve, nous pensons que la loi va dans le bon sens.
Je voudrais ensuite aborder la question de l'architecture des services chargés de la lutte contre la délinquance et la criminalité financière. La modification des articles 704 et 705 du code de procédure pénale induit la suppression des pôles économiques et financiers. Seules les neuf JIRS financières seront maintenues.
Je pense que la chancellerie a tiré des conséquences quelque peu hâtives de nos propos. Lors des travaux préparatoires de ce texte, les procureurs généraux des JIRS ont été entendus. Pour leur cas particulier, ils ont fait valoir que les pôles économiques et financiers et les JIRS faisaient doublon et qu'il y avait donc une confusion des deux dans les faits.
Mais cette situation ne concerne que les ressorts dotés d'une JIRS. Nous estimons que dans tous les ressorts où il n'y a pas de JIRS, les pôles économiques et financiers ne doivent pas être supprimés. Ils ont une compétence utile pour rendre le système opérationnel. De même, lorsqu'il n'y a pas de pôle, les TGI doivent demeurer compétents.
La concentration de moyens au sein des JIRS est une bonne chose. Elle permet la spécialisation. Mais on ne peut pas se passer d'un maillage territorial de généralistes. Ils assurent un rôle de veille, de diagnostic et de traitement de premier niveau. Les JIRS ne peuvent fonctionner sans ces outils de terrain et ne pourraient d'ailleurs les suppléer. On ne peut avoir un système concentré sur neuf sites sans un maillage régional de pôles économiques et financiers.
La situation est la même en matière de terrorisme. Le parquet de Paris est compétent, mais ceux qui sont sur le terrain sont ses yeux et ses oreilles. Il faut des compétences locales d'alerte, de veille et d'expertise.
M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens. - Il y a aujourd'hui trente-six cours d'appel, dont neuf JIRS. Il faudrait conserver vingt-sept pôles économiques et financiers, sur un total de 160 tribunaux de grande instance.
M. Jacques Beaume. - La justice a perdu sa compétence dans la recherche des infractions économiques, car elle a perdu beaucoup de ses sources d'information. Les chambres régionales des comptes ont longtemps considéré qu'elles étaient les juges des comptes et non les juges des personnes. Nous n'étions donc saisis d'aucune affaire ou presque. La situation commence toutefois à changer.
De même, dans le souci actuel de rationalisation et de réorganisation, les administrations financières ne sont plus présentes sur le terrain préventif et de diagnostic. Elles ne participent plus par exemple à l'ouverture des plis pour les marchés publics ; il n'y a plus de contrôles de légalité dans les préfectures sur les actes faits ; les signalements fondés sur l'article 40 du code de procédure pénale de la part des administrations financières se comptent sur les doigts d'une main dans nos parquets.
Il en résulte pour nous une déperdition des compétences pour nos enquêteurs. La gendarmerie s'est par exemple désengagée de la lutte contre les infractions financières. Les directions interrégionales de la police judiciaire, qui demeurent donc seules compétentes, sont submergées. Il arrive, dans certaines affaires, que le premier acte d'enquête n'intervienne que deux ans après la saisine. Nous sommes donc contraints de prioriser les affaires.
Je termine sur la création du procureur financier à Paris. Si l'économie générale de la loi nous paraît aller dans le bon sens, nous ne comprenons pas l'utilité du procureur de la République financier, et cela pour quatre raisons.
Premièrement, il y aura deux procureurs au sein du même tribunal : c'est une innovation certes originale, mais source de désordre important, dans la mesure on se disputera les moyens, la compétence. Il y aura toujours des dossiers qui seront entre les deux. D'autant que le procureur JIRS financier de Paris lui aussi est maintenu.
Deuxièmement, en termes d'image, au niveau de la dyarchie avec le président, le procureur perd son pouvoir. Aujourd'hui, nous avons un président et un procureur, avec une dyarchie affirmée. Cette solution est critiquable, mais elle est la clé en dehors de laquelle on fragilise le procureur. Dans la configuration proposée, le président est clairement le chef. Nous voyons difficilement comment cela peut fonctionner avec deux procureurs.
Ensuite, et ceci est un argument essentiel : nous nous battons tous depuis des années pour dire que la frontière entre crime organisé, terrorisme, grand banditisme, délinquance financière est parfois très artificielle, les uns travaillant pour les autres. Il faut assurer une cohérence dans la lutte contre ces criminalités qui se rencontrent, or avec le procureur financier, cela sera traité de manière séparée. La création du procureur financier va ainsi à l'inverse de cette logique de transversalité.
Enfin, l'organisation nationale actuelle, qui reconnaît un rôle particulier au parquet de Paris, par exemple pour le terrorisme, fonctionne très bien. Aujourd'hui, le parquet de Paris sait s'organiser pour devenir un parquet national lorsque nous avons des grandes causes nationales, et une de ses structures y est dédiée. Les grandes fonctions prioritaires de l'Etat peuvent être mobilisées par ce parquet, sans qu'on ait besoin de lui adjoindre un autre parquet, dans des conditions de liens hiérarchiques compliquées.
Nous comprenons qu'il y a une dimension d'affichage dans cette mesure, mais, nous qui intervenons sur le plan technique, nous ne comprenons pas le besoin du procureur financier, à côté du procureur de Paris. Un procureur à Paris dont l'organisation peut lui permettre de jouer le rôle d'une grande équipe nationale qui travaille sur les 15 à 20 très grandes affaires économiques et financières par an nous paraît un dispositif adapté.
En outre, l'ensemble des grands services policiers (grands office centraux de lutte contre la délinquance financière par exemple) auraient deux patrons, ce qui pose problème.
M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier. - Je fais moi-même partie des anciens magistrats financiers, et j'ai notamment été procureur général à Bastia peu après l'assassinat du préfet Érignac. J'avais alors été chargé par le Garde des sceaux de rédiger un rapport sur la criminalité organisée en Corse.
En analysant la criminalité organisée en Corse, nous avons constaté que l'inefficacité des services de l'Etat tenait au fait qu'on avait considéré qu'il y avait différents types de criminalités bien distinctes : banditisme, terrorisme, délinquance financière. Or nous avons démontré qu'il s'agissait des mêmes individus, qui changeaient de criminalité en fonction des circonstances.
L'idée de créer un procureur financier spécifique est donc une erreur, dans la mesure où les fonds qui sont constitués par la grande délinquance financière servent à alimenter les autres formes de criminalités. Il faut au contraire renforcer la solidarité entre les structures s'occupant de ces formes de criminalités sous l'autorité d'un procureur qui a une compétence nationale.
Pour le reste, j'ai beaucoup travaillé récemment avec l'OCDE sur l'évaluation du système français de lutte contre la corruption. Le rapport rendu en octobre 2012 était dur mais juste : il a mis le doigt sur la faiblesse de la répression en France en matière de corruption, notamment s'agissant de la corruption d'agents étrangers.
L'architecture proposée par le texte est conforme aux orientations de l'OCDE et va dans le bon sens. La grande faiblesse est ce système de plainte préalable de l'administration fiscale, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, s'agissant de la répression de la fraude fiscale.
Depuis longtemps, nous nous battons à l'international pour que la fraude fiscale soit un délit de droit commun. Un certain nombre d'Etats nous ont refusé pendant des années toute coopération car la fraude fiscale était considérée comme un délit à part. Nous avons progressivement avancé sur ce terrain et obtenu une véritable coopération internationale et cohérente en matière de fraude fiscale. Alors pourquoi maintenir cette spécificité au niveau national qui continue à faire de la fraude fiscale un délit à part, un délit face auquel le procureur de la République n'a pas l'opportunité des poursuites ? C'est à mon avis une faiblesse dans le dispositif proposé.
Nous entendons l'argument de Bercy sur ce point : chaque année, la transaction permet de réintégrer 5 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat. Si on donne la main au ministère public, l'administration fiscale risque de perdre une partie de cette manne financière. Mais on peut très bien imaginer le maintien d'un droit de transaction par l'administration sous le contrôle du ministère public. Nous devons pouvoir dépasser ce blocage.
Parallèlement, les plaintes pour fraude fiscale sont rares, et elles interviennent souvent à une date proche de la prescription, et obligent le ministère public à reprendre quasiment toute l'enquête. Les affaires sont donc jugées 4, 5 et 6 ans après la commission des faits. On pourrait imaginer que l'administration fiscale, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, signale au procureur de la République les faits susceptibles de recevoir une autre qualification... Mais l'administration fiscale ne le fait pas, parce qu'elle craint que le juge perturbe ses procédures.
On constate que l'administration ne transmet à Paris que des procédures très cadrées, en état pratiquement d'être jugées. Ce qui fait que les autres infractions, qui peuvent être dissimulés par la fraude fiscale, échappent au procureur.
Concernant la corruption dans les administrations déconcentrées, le constat est aujourd'hui celui d'une situation loin d'être satisfaisante. Je pense notamment à des dossiers récents dans l'administration pénitentiaire, aux douanes... Or ces administrations se doivent d'être exemplaires, il faut que nous continuions à exercer une veille déontologique sur ces dernières.
M. Philippe Lemaire, procureur général à Amiens. - Je suis également un ancien magistrat financier, et suis actuellement un procureur général « infra-JIRS ».
Je voudrais insister sur deux points en particulier.
Sur le maillage territorial, je rappelle que nous avons 37 cours d'appel dont 9 JIRS. Nous voulons maintenir les 28 pôles infra-JIRS, car il faut conserver un maillage territorial de veille sur un certain nombre d'infractions dont la quasi-totalité ne concerneront pas des affaires complexes. Les pôles infra-JIRS permettent de maintenir une certaine spécialisation. Et si on veut se réapproprier la matière, il faut maintenir des perspectives de carrière dans cette spécialité, assurer notamment la formation des magistrats et leur permettre d'évoluer au sein de cette spécialité.
Concernant le procureur de la République financier, la communauté du ministère public ne comprend pas la logique de sa création. La primauté du parquet de Paris sur ces questions de grande cause nationale, je pense évidemment au terrorisme, est intégrée dans nos pratiques professionnelles. L'existence à Paris d'une section chargée des grandes affaires de corruption et de fraude fiscale ne posera aucun problème. Avec le procureur financier, nous ne voyons pas comment les choses pourront fonctionner de manière fluide.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Messieurs les procureurs généraux, je vous remercie pour l'exhaustivité de vos propos.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Ceux-ci recoupent en effet les réflexions que nous avons déjà entendues depuis le début de nos auditions. Tout le monde semble s'opposer au maintien du « verrou de Bercy », sauf l'administration fiscale qui en bénéficie ! Vos arguments me paraissent assez convaincants.
Si on crée un procureur financier, il faut lui donner l'appréciation de l'opportunité des poursuites en matière fiscale. Pour le reste, je m'interroge sur l'articulation entre le procureur financier, les pôles économiques et financiers régionaux et les parquets des tribunaux de grande instance.
Votre interpellation sur un renforcement des JIRS sans suppression des pôles existants est une préoccupation partagée. Je crois qu'elle pourrait l'être également par le ministère de la Justice. L'exemple de Bastia montre ce qui marche bien. Pourquoi devrait-on le supprimer ? L'efficacité dépend probablement d'un retour au droit commun.
M. François Zocchetto. - Je vous remercie à mon tour pour la clarté de vos interventions, qui va faciliter notre tâche et en particulier celle de nos rapporteurs. La difficulté en matière fiscale d'avoir une enquête au pénal et une enquête administrative devrait nous conduire à revoir l'organisation des corps d'enquête. Le système italien nous montre l'exemple d'une intégration réussie de ces corps d'enquête dans l'organisation judiciaire, sans que cela nuise à l'efficacité des enquêtes. Certes, les services de Bercy sont efficaces, mais on constate une déperdition due à l'absence de poursuites judiciaires. La question du rattachement à l'ordre judiciaire se pose donc.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je ne voterai jamais ce texte ! On ne peut pas diviser le parquet. On doit conserver un parquet qui comporte des sections, et certaines affaires doivent continuer à être traitées au niveau local, c'est une question de niveau.
Concernant le monopole de Bercy, je pense qu'il faut permettre que des poursuites soient engagées par le parquet tout en conservant la possibilité de réaliser des transactions dans certains cas. C'est donc une question d'articulation entre l'administration fiscale et le parquet que l'on doit régler, si on supprime la commission des infractions fiscales.
Il faut rappeler que c'est Bercy qui dispose des informations nécessaires aux poursuites et que les transactions peuvent être très efficaces et rentables pour l'État.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Je tiens à préciser que la solution n'est peut-être pas aussi compliquée : la matière douanière nous montre l'exemple d'un système de transactions pénales qui fonctionne très bien.
M. Jacques Beaume. - On a en effet réussi l'opération en matière douanière ou de droit de la consommation par exemple, et le mécanisme est efficacement utilisé par les parquets. On pourrait imaginer un dispositif similaire en matière fiscale.
M. Bernard Legras. - Nous avons aujourd'hui un problème d'absence d'efficacité, souligné par nos partenaires européens. Nous nous sommes privés des moyens d'enquêtes nécessaires et nous en payons les conséquences !
La commission européenne va déposer un paquet de propositions sur le parquet européen, qui, dans un premier temps, sera spécialisé dans les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne. On peut cependant espérer qu'il arrive sur le terrain de la grande criminalité financière transfrontalière par la suite, et l'on voit bien les difficultés que cela poserait avec le système, trop compliqué, qui nous est proposé. On le constate déjà en matière de condamnations pour corruption d'agents publics étrangers.
M. François Zocchetto. - Pouvez-vous nous préciser de quoi il s'agit ?
M. Bernard Legras. - Il s'agit d'une infraction désormais réprimée par notre droit, sous l'impulsion du droit international.
M. Jean-Jacques Hyest. - Cela concerne le versement de commissions !
M. Bernard Legras. - Le G8 et le G20 ont décidé de faire de la lutte contre ce phénomène une priorité. Or, nous n'avons eu que trois condamnations en France ! Nos partenaires nous interpellent sur notre insuffisance en la matière.
M. Philippe Lemaire. - Nous sommes très favorables à ce projet de loi, en ce qu'il doit permettre de moderniser le droit de la lutte contre les grandes fraudes. En revanche, concernant le procureur financier, nous estimons qu'il ne faut pas laisser passer l'occasion de simplifier le système !
Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. François Molins, procureur de la République de Paris, M. Jacques Carrère, procureur de la République adjoint, et M. Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières - Tribunal de grande instance de Paris
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir MM. François Molins, procureur de la République de Paris, Jacques Carrère, procureur de la République adjoint, chargé de la deuxième division du parquet, suivant plus spécifiquement les affaires financières et commerciales, et Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières.
Nous souhaitons recueillir vos observations sur les deux textes qui nous sont soumis, et plus particulièrement sur la création du procureur financier. Comment les missions de ce dernier s'articuleront-elles avec celles que vous assumez ? En d'autres termes, quelle est son utilité ?
M. François Molins, procureur de la République. - Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir bien voulu m'entendre sur ce projet de loi qui suscite un certain nombre d'observations de ma part, puisque Paris est le plus concerné tant au sens de l'organisation judiciaire que du nombre de procédures suivies.
La JIRS de Paris a su mener à son terme des procédures financières très complexes mais elle a eu moins de réussite en matière de crimes organisés. Cela tient à l'insuffisance des moyens en magistrats et surtout en enquêteurs de police spécialisés, dont la réduction s'est amorcée au début des années 1990.
Plusieurs dispositions du projet de loi vont cependant incontestablement dans le bon sens : citons le renforcement des moyens d'enquête ainsi que ceux de la police fiscale et du régime des saisies et confiscations, l'élargissement du cadre procédural de lutte contre la fraude en permettant, pour certaines infractions, le recours aux techniques spéciales d'enquêtes applicables en matière de criminalité organisée, l'ouverture aux associations de lutte contre la corruption de la faculté d'exercer les droits reconnus à la partie civile ainsi que l'instauration d'une protection des lanceurs d'alerte.
Il faut, en revanche, déverrouiller les circuits d'information qui représentent le fond du problème. Je regrette qu'il n'y ait aucune disposition sur le champ d'application de l'article 40 du code de procédure pénale et à la sanction pénale du non-signalement. De même, rien n'est proposé sur le « verrou de Bercy ». La fraude fiscale, à la différence d'autres délits, ne peut toujours être poursuivie d'office par le procureur de la République, qui ne peut mettre en mouvement l'action publique que si l'administration fiscale a préalablement déposé une plainte. Or, l'administration continue en la matière d'appliquer, non pas le principe de légalité, mais celui d'opportunité car c'est Bercy qui décide ce qui est renvoyé à la CIF.
Le texte est également positif car il remet de l'ordre dans les pôles économiques et financiers. La suppression de ces pôles et le transfert de leurs compétences aux JIRS s'inscrivent dans une démarche de simplification et de lisibilité. Dès lors, le seul critère pertinent et opérationnel de la JIRS financière resterait celui de grande complexité.
En revanche, en droit comparé, en dehors des systèmes fédéraux comme l'Allemagne ou à forte autonomie comme l'Espagne, il n'existe un procureur spécialisé dans la corruption que dans les pays dans lesquels les procureurs locaux sont soit corrompus, soit incapables de faire leur travail correctement. Dans le projet de loi, le procureur financier se verrait attribuer une compétence nationale exclusive qui est déjà celle du parquet de Paris pour certaines infractions boursières. Je m'interroge sur la cohérence du dessaisissement du parquet de Paris portant sur un contentieux qui ne se rattache pas, à l'évidence, aux atteintes à la probité, ni à la fraude fiscale, mais vise un tout autre objectif : celui d'assurer la transparence et le bon fonctionnement des marchés financiers. J'observe que la section financière du parquet de Paris est habituée au traitement de ce contentieux particulièrement technique, pour lequel elle entretient des liens réguliers et de bonne qualité avec l'autorité des marchés financiers. Il est parfaitement identifié dans ce rôle et reconnu comme un partenaire sérieux.
Le suivi de ces affaires par le parquet de Paris est cohérent puisque c'est lui qui représente le ministère public devant le tribunal de commerce de Paris, parfois saisi du volet commercial de ces mêmes affaires. Actuellement, une instruction est en cours à Paris à la suite de la plainte d'Hermès contre LVMH. Le tribunal de commerce de Paris est quant à lui saisi d'une assignation d'Hermès visant à faire annuler les « équity swaps » qui ont permis cette augmentation de participation dans le capital. Peut-on imaginer deux parquets, celui de Paris et le procureur national, qui interviendraient simultanément sur une même affaire ? Cela me paraît difficilement compréhensible.
Je souhaiterais formuler quatre remarques. Tout d'abord, la création du procureur financier traduit une méconnaissance de la réalité des mécanismes de corruption qui reposent sur la nécessité d'une approche globale et non sectorisée. Peu de magistrats sont à ce jour réellement spécialisés en matière économique et financière. A Paris, un procureur adjoint spécialisé et huit magistrats du parquet consacrent la totalité de leur temps au traitement des affaires financières. En ce qui concerne le parquet, la logique du projet ne peut reposer sur la recherche d'une plus grande indépendance du procureur financier puisque les garanties statutaires prévues pour celui-ci sont strictement identiques à celles dont bénéficie le procureur de la République de Paris, à savoir un avocat général à la Cour de cassation nommé pour au plus sept ans. La logique du projet ne pourrait donc résider que dans la recherche d'une plus grande spécialisation du ministère public. Or, par rapport aux magistrats de la section financière du parquet de Paris, la nouvelle architecture ne spécialisera pas davantage le ministère public puisque 80 % des affaires qui relèveraient du parquet financier sont actuellement traitées par le parquet de Paris.
En outre, s'il s'agit vraiment de spécialiser, je vois mal pourquoi le projet s'arrête au parquet et ne couvre pas l'ensemble de la chaîne pénale, l'exigence de spécialisation ne pouvant qu'être la même sur l'ensemble de la chaîne pénale et viser tant les magistrats du parquet que ceux de l'instruction et ceux des juridictions de jugement. Le parquet de Paris représente un schéma unique en Europe mais l'intégration de toutes les compétences au sein du même parquet permet d'avoir une vision globale des phénomènes de criminalité, particulièrement en matière économique et financière, et de criminalité organisée, ce qui garantit une réelle cohérence dans le traitement de ces dossiers.
Une vision globale, puisque l'architecture actuelle permet une meilleure lecture des problèmes. Mettre l'accent sur les seules infractions d'atteinte à la probité des décideurs publics, comme le fait le projet, revient à méconnaître le fait que ces délits s'inscrivent très souvent dans un processus complexe auquel participent d'autres catégories de délits, au premier rang desquelles figurent les délits d'abus de biens sociaux. Les infractions que le projet veut confier au procureur national sont, dans un très grand nombre de cas, révélés par des enquêtes qui portent sur les infractions qui ne relèvent pas de sa compétence.
En effet, c'est à l'occasion d'enquêtes distinctes que sont le plus souvent découverts des faits de corruption ou de prise illégale d'intérêts. Une fraude fiscale est le plus souvent associée à des faits de détournement, de travail dissimulé ou d'infraction des droits des sociétés. Cette réalité signifie d'abord que le procureur financier national ne sera pas maître des enquêtes révélant les infractions qu'il sera chargé de poursuivre. Ensuite, lorsque le parquet national sera en mesure de faire valoir sa compétence, il se trouvera en présence de stratégies d'enquêtes qui auront déjà été faites par les parquets locaux, choix qui n'auraient peut-être pas été les siens. Sur ce point, l'histoire judiciaire démontre que les JIRS sont toujours plus réticentes à se saisir d'affaires déjà traitées au niveau d'une juridiction locale.
On constate une hybridation de la grande criminalité qui se manifeste par un phénomène d'interpénétration entre le milieu du grand banditisme et la délinquance en col blanc. Le banditisme a le plus souvent recours aux compétences des financiers et à des réseaux structurés de blanchiment. Cela montre tout l'intérêt d'avoir, au sein du même parquet, une plénitude de compétences pour les affaires les plus complexes. Ces problématiques ne peuvent être traitées de façon efficace que par une vision complète et exhaustive intégrant, par une compétence générale d'attribution au sein du même parquet, l'ensemble des compétences.
Le bilan des JIRS établi en 2010 par l'inspection générale des services judiciaires soulignait que l'efficacité des réponses apportées par ces structures en matière de criminalité organisée et de délinquance économique et financière repose notamment sur une compétence d'attribution très large et non cloisonnée. Le présent projet de loi s'inscrit donc à contrecourant de cette approche.
Ma troisième observation est la crainte d'un alourdissement du traitement des contentieux puisque le critère de saisine du procureur financier serait la grande complexité en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes, ou du ressort géographique sur lesquels ils s'étendent. Sous le régime actuel, la définition de la différence entre la très grande complexité et la grande complexité est parfois source de difficulté. Il va sans dire qu'il en ira a fortiori de même en ce qui concerne la distinction entre la grande complexité JIRS et la grande complexité relevant de la compétence du procureur financier. Les dysfonctionnements pourraient ainsi résulter de ces lourdeurs procédurales, ainsi qu'un risque fort de déperdition d'informations, alors même que l'efficacité commande une circulation rapide de celles-ci entre les différents intervenants et que l'urgence des investigations commande une décision très rapide sur la saisine du bon parquet et, parfois, une décision très rapide sur la saisine du service de police.
Enfin, le projet de loi introduit dans l'organisation un acteur supplémentaire et crée ainsi de nouvelles sources de conflits de compétences sans véritable moyen de les résoudre. La compétence concurrente en cette matière ne saurait être comparée à la matière terroriste. Dès que le caractère terroriste apparaît, personne ne songe à contester la compétence du parquet de Paris. Il en va différemment en matière financière où il existe aujourd'hui une réelle compétence dans les JIRS. Les parquets JIRS veulent garder les affaires quand ils estiment avoir les compétences pour les traiter. Il existe donc aujourd'hui déjà des difficultés se traduisant par des conflits de compétences, soit entre parquets JIRS ou entre parquets JIRS et parquets non JIRS. Au total, il est permis de s'interroger sur la cohérence et l'efficacité d'un projet qui ne repose pas sur une analyse pertinente des réponses susceptibles d'être apportées à une délinquance technique, mouvante et particulièrement habile.
Aucun magistrat n'a soutenu l'idée d'un procureur financier dans ces conditions. Ce dont nous avons besoin pour être plus efficaces, c'est davantage d'enquêteurs et surtout de modes d'arbitrage efficaces pour trancher les conflits de compétences. Nous n'en avons pas aujourd'hui et le projet de loi n'en prévoit pas.
Enfin, le projet ruine l'unité du ministère public à la française et l'équilibre de la dyarchie au sein de la juridiction parisienne. Le projet prévoit que le futur procureur financier serait rattaché au tribunal de grande instance de Paris qui est déjà doté d'un ministère public. Ce schéma ne correspond à aucun des schémas auxquels obéit notre organisation judiciaire. Il y aurait donc deux parquets près la même juridiction. Je rappelle qu'à l'instar des autres juridictions, l'administration et la gestion du tribunal de grande instance de Paris sont assurées par une dyarchie constituée du président du tribunal et du procureur de la République. Le fonctionnement harmonieux de cette dyarchie est essentiel pour le bon fonctionnement d'une juridiction. Il est fondé sur un subtil équilibre et repose sur une égalité de pouvoirs entre les deux chefs de juridiction qui permet de dégager de vraies synergies qui se traduisent par la conduite de politiques de juridiction engageant le siège et le parquet.
Introduire dans une juridiction un second procureur revient de fait à anéantir cette égalité puisque le président de la juridiction aurait pour le siège l'ensemble des pouvoirs de gestion et d'administration alors que ceux-ci seraient divisés pour le parquet entre deux procureurs en fonction de leurs compétences. Cela placera le ministère public dans une situation d'infériorité et rendra plus difficile l'administration et la gestion du tribunal.
Dans ce nouveau schéma en matière d'audiencement des affaires pénales, le président du tribunal aurait donc deux procureurs qui auraient des intérêts parfois opposés et avec lesquels il devrait négocier. Ainsi, ce projet pourrait conduire à de gros risques sur la fixation des pouvoirs respectifs des chefs de juridiction.
À côté de la réponse apportée par le projet de loi, deux autres solutions étaient possibles. La première : élargir la compétence de la JIRS de Paris à une compétence nationale pour les affaires de fraude fiscale et de corruption ou pour celles relevant de la compétence de deux JIRS au moins, ce qui, dans un contexte budgétaire difficile, aurait été à la fois moins coûteux, plus simple et plus rapide à mettre en oeuvre - l'étude d'impact ne motive d'ailleurs nullement la mise à l'écart de cette solution. La seconde aurait consisté en un projet plus ambitieux selon le modèle espagnol d'une juridiction spécialisée, mais cela aurait nécessité une réflexion de plus grande ampleur sur le statut du ministère public.
À défaut de juridiction dédiée, pour donner satisfaction au souhait exprimé par le Président de la République, il pourrait être imaginé de renforcer les moyens des huit JIRS existantes et d'inscrire dans la loi le principe de la spécialisation de certains magistrats en matière financière.
Je souhaiterais, pour finir, exprimer une crainte personnelle : que l'institution de ce procureur financier, qui présente plus d'inconvénients que d'avantages, soit, dans le meilleur des cas, inefficace, et, dans le pire, contre-productif.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il y a unité du parquet sur ce sujet !
M. Alain Anziani, rapporteur. - Je constate donc qu'en dépit de ce que vous venez d'indiquer sur le procureur financier, vous êtes tout de même favorable à certains aspects de ce projet de loi !
Concernant le « verrou » de Bercy, je suis favorable à ce que nous réfléchissions à la façon de faire évoluer le texte sur ce point afin de le rapprocher du droit commun.
J'ai entendu vos observations de principe au sujet du procureur financier. Toutefois, il existe déjà des compétences concurrentes entre les JIRS et entre les JIRS et les pôles et la question de la régulation n'est donc pas nouvelle. Il est vrai qu'elle peut prendre une autre dimension. C'est une inquiétude que nous partageons.
Je souhaiterais maintenant connaître votre sentiment concernant l'équilibre général entre les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale et la garantie des droits fondamentaux. Les objections les plus fréquemment soulevées sont au nombre de trois.
La première concerne le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment figurant à l'article 2 bis. Cela constituerait une nouveauté en droit français qui a été introduite par un amendement de M. Dupont-Aignan adopté à une confortable majorité malgré les avis défavorables du rapporteur et de la ministre.
La deuxième est l'utilisation des preuves obtenues de manière illicite transmises sous couvert de l'autorité judiciaire. J'ai noté l'inquiétude du Conseil national des barreaux à ce sujet.
La troisième tient à la possibilité de prolongation de la garde-à-vue jusqu'à quatre jours en matière de fraude fiscale aggravée. Des universitaires se demandent si cette prolongation est réellement nécessaire, sachant que la garde-à-vue n'intervient souvent qu'à la fin de l'enquête.
Je pourrais encore citer d'autres éléments comme les circonstances aggravantes pour le délit de fraude fiscale, cependant je m'en tiens pour le moment à ces trois questions.
Mme Virginie Klès, rapporteur du projet de loi organique. - Je souhaitais seulement vous signaler que j'envisage de faire évoluer l'article 2 du projet de loi organique.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je constate une différence d'appréciation entre les procureurs généraux et vous-même concernant les pôles économiques et financiers et les JIRS. Les procureurs généraux estiment être en mesure de traiter certaines affaires sans avoir recours aux JIRS, le renvoi à une juridiction spécialisée n'étant nécessaire que dans le cas d'affaires complexes. On dresse un parallèle avec le terrorisme du fait de l'existence d'une concurrence de compétences, mais c'est en fait très différent, les juridictions en matière de terrorisme trouvant souvent satisfaction dans le dépaysement de certaines affaires. En l'occurrence, seules certaines affaires justifient d'être traitées de manière centralisée du fait de leur complexité, c'est pourquoi la concurrence entre juridictions est souvent plus compliquée à arbitrer. Cependant, si on décide la spécialisation d'une juridiction nationale - procureur national spécial ou pas -, il faudra tout de même prévoir une forme d'arbitrage.
M. Nicolas Alfonsi. - Vous avez évoqué les dysfonctionnements qui pourraient survenir dans les juridictions du fait du bouleversement de la dyarchie traditionnelle. N'y aurait-il pas moyen de permettre la spécialisation sans ce bouleversement ?
M. François Molins. - Il aurait en effet été également concevable d'instituer un procureur financier, conformément à l'engagement du Président de la République, mais intégré au sein du parquet de Paris.
Nous ne disposons pas actuellement de solution d'arbitrage en cas de conflit, nous en aurons encore moins à l'avenir avec l'arrivée d'un acteur supplémentaire. Dans les faits, que se passe-t-il quand il y a un « millefeuille » de compétences ? Qui choisit ? - La police. Cela ne correspond pas à l'image que je me fais du bon fonctionnement de la justice.
Sur le volet blanchiment, on ne peut avoir une approche réductrice calquée uniquement sur les conséquences de l'arrêt Talmon. Lorsqu'il y a des présomptions de blanchiment, cet arrêt permet tout de même d'agir. En l'absence de telles présomptions en revanche, la lutte contre la fraude fiscale passe nécessairement par Bercy.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Si vous le permettez, pourquoi la loi ne pourrait-elle prendre acte de ce que permet l'arrêt Talmon ?
M. François Molins. - Ne pourrait-on concevoir un système préservant le « verrou » de Bercy mais autorisant le procureur à saisir la Commission des infractions fiscales pour avis préalable au déclenchement d'une enquête ? Dans des cas extrêmes, des cas d'école comme l'affaire Cahuzac, cela permettrait au parquet d'agir, quitte à ce qu'il soit lié par l'avis de la CIF.
Sur l'article 2 bis, je crains qu'il n'y ait confusion entre deux infractions différentes : le blanchiment, qui consiste à « blanchir » des fonds provenant d'une infraction et pour lequel le plus difficile n'est pas d'apporter la preuve du caractère illicite des fonds mais de démontrer l'existence d'actes positifs de blanchiment, et la non justification des ressources, qui permet de réprimer des personnes en relations fréquentes avec la criminalité organisée.
M. Jacques Carrère, procureur de la République adjoint. - Pour en revenir à cette question des preuves obtenues de manière illicite, je pense que la proposition telle qu'elle figure dans le projet de loi a le mérite de mettre fin à une incertitude née de la jurisprudence de la Cour de Cassation. Dès lors qu'elle pose des garanties, comme le passage par la justice, je pense qu'on peut l'admettre.
M. Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières. - Pour compléter ce qui vient d'être dit : il est vrai que l'origine illicite s'inscrit aussi dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui permet justement d'utiliser ce type de renseignement dès lors que la validité effective des renseignements obtenus de cette manière est vérifiée et que le tout est soumis au contradictoire, donc devant une juridiction. Cela permettra de lever certaines hypothèques. Mais on est dans le droit fil de la jurisprudence de la chambre criminelle.
Sur les procédures : la durée de 96 heures est-elle justifiée en matière de fraude fiscale aggravée ? L'expérience le dira, mais j'ai le sentiment que dans les affaires actuellement traitées, ce n'est pas vraiment indispensable. Je relève que le parquet de Paris suit plus de la moitié des plaintes déposées au niveau national de ce type-là. On a suivi un peu la montée en puissance et la création de ces procédures. La spécificité des procédures fiscales est aussi que tout ce qui est fait en amont par les services fiscaux est de grande qualité. Peut-être que les 96 heures joueront dans les cas plus compliqués, ceux avec montages financiers complexes notamment.
M. Alain Anziani, rapporteur. - J'attire votre attention sur la réforme de la prescription prévue à l'article 9 quater. D'une part, elle étend la prescription pour tous les délits à compter de la connaissance de l'infraction, aujourd'hui admise pour les seuls abus de confiance. D'autre part, étrangement, elle ne concerne pas les infractions les plus graves, c'est-à-dire les crimes.
M. François Molins. - Il y a deux grosses affaires aujourd'hui devant le tribunal de commerce, les volets commerciaux de dossiers pénaux : le volet « Tapie » et le volet « LVMH/Hermès ».
Sur la prescription : en tant que praticien, je vois un intérêt à toucher à la prescription pour une infraction. Le débat est peut-être plus politique que juridique. Cela ouvrirait des débats extrêmement dangereux.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Ne vaut-il mieux pas en rester à la jurisprudence de la Cour de cassation ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Oui.
M. François Molins. - Repousser le point de départ de la prescription au jour où les faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique peut avoir un intérêt en matière de corruption. Aujourd'hui, la prescription dans cette matière est décomptée à partir du dernier versement. Or, on peut se trouver dans des problématiques où des gens ont perçu des subsides assez importants, continuent à en profiter pendant des durées assez longues quand le dernier versement a été réalisé dans des conditions tellement opacifiées qu'on n'a pas pu le constater, on n'a pas pu poursuivre. La modification proposée permettrait d'être beaucoup plus efficace.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est très important. Ceci met tout l'équilibre juridique par terre.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie, messieurs, d'avoir parlé au nom du parquet de Paris avec beaucoup de franchise.
Fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Procureur de la République financier - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, de venir devant la commission. Nous achevons une journée très fertile en auditions, débutée ce matin à 9 heures. Comme nous avons déjà consacré beaucoup de débats à ce sujet, et sous le contrôle de nos rapporteurs, nos collègues François Marc, rapporteur général de la commission des finances et rapporteur pour avis sur le présent projet de loi, qui nous a rejoint, et Alain Anziani et Virginie Klès, rapporteurs pour la commission des lois, j'ai envie de vous demander de répondre à deux questions : premièrement, un certain nombre de magistrats et de non-magistrats se demandent si la procédure pénale ne pourrait pas s'engager sans le préalable du travail de l'administration fiscale. Deuxième problème : faut-il vraiment créer un procureur financier ? Les procureurs que nous avons entendus émettent de nombreuses réserves.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Merci Mesdames et Messieurs les sénateurs pour votre accueil.
Vous me soumettez le sentiment des procureurs. Il fut un temps où les procureurs ne s'exprimaient pas. Aujourd'hui ils le font et c'est donc le signe qu'ils sont plus indépendants qu'ils ne l'étaient. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle.
Sur le texte lui-même, j'exprimerai tout d'abord trois petites considérations européennes. Nous sommes dans un combat déterminé, porté par le président de la République et les ministres en charge, pour que, au sein de l'Union européenne, de nouvelles règles soient promues pour lutter avec plus d'efficacité contre la fraude fiscale de grande ampleur.
Notre agenda européen rencontre notre agenda international. Nous avons trois objectifs. Le premier est d'obtenir l'échange automatique d'informations entre Etats membres pour permettre à chaque pays d'être informé sur ses ressortissants ayant un compte dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Nous profitons de la quatrième directive anti-blanchiment et de la directive épargne pour faire en sorte que puissent exister des conventions harmonisées d'échange automatique d'informations entre les vingt-sept Etats membres. Vous savez que deux Etats sont réticents, l'Autriche et le Luxembourg. En même temps, les pressions exercées sur ces deux pays montrent que l'Union européenne progresse : jusqu'à présent, ces deux pays conditionnaient l'acceptation de conventions sur l'échange automatique d'informations à la signature de conventions de même type avec la Suisse ; ce n'est plus le cas désormais. Deuxièmement, nous souhaitons l'établissement d'une liste d'Etats et de territoires non coopératifs européenne qui permettrait à l'Europe, au-delà de ce qu'elle peut faire en matière de trusts et de registres de sociétés écran, de déclarer véritablement la guerre aux paradis fiscaux. Troisième point, dès lors que seraient signées des conventions d'échange automatique d'informations à l'intérieur de l'Union européenne et qu'est brandie la menace d'une liste européenne des ETNC, l'idée est de faire en sorte de signer des conventions de type FATCA avec les pays tiers. Et nous aurions ainsi un dispositif complet, articulé avec trois outils.
Pour la France, nous avons décidé de présenter un nouveau dispositif législatif qui poursuit des objectifs précis. Premièrement, faire en sorte d'augmenter les moyens d'investigation de l'administration fiscale et de la justice pour tout ce qui relève de la fraude fiscale de grande ampleur, notamment de celle qui utilise des moyens d'interposition (sociétés, comptes à l'étranger, montages complexes). Nous avons décidé que les moyens de la police judiciaire pour les enquêtes fiscales seraient confortés. Nous avons décidé de prévoir des circonstances aggravantes pour l'infraction de fraude fiscale dès lors qu'existent des comptes à l'étranger et des sociétés écran. Nous avons décidé que l'administration fiscale pourrait utiliser des sources qui lui ont été transmises de façon licite notamment par l'autorité judiciaire y compris lorsque l'origine est illicite. Ceci, pour surmonter les difficultés résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation dans l'affaire de la liste HSBC qui a empêché l'administration fiscale d'utiliser des éléments communiqués par le procureur de la République mais dont les sources n'étaient pas licites puisque la liste avait été volée.
Je fais une petite parenthèse : il arrive souvent que l'administration fiscale ait été entravée dans ses investigations par les contraintes juridiques. Dire qu'on est face à une administration fiscale pusillanime dans ses enquêtes et une justice très allante pour les conduire ne correspond pas à la réalité.
Deuxièmement, nous voulons organiser l'articulation entre ce que fait l'administration fiscale et ce que fait la justice. Si on devait aborder le débat en essayant de substituer l'action de l'un à l'action de l'autre plutôt que d'articuler l'action de l'un à l'action pertinente de l'autre, nous ferions une erreur lourde. Nous avons fait le choix de l'articulation : l'articulation, c'est une administration fiscale qui va au bout de ses investigations ; comme il peut toujours y avoir un doute sur la façon dont l'administration fiscale conduit ses investigations, applique ses pénalités et met en conformité avec le droit la situation de ceux qui régularisent leur situation, nous proposons que, chaque année, le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur l'action de l'administration fiscale en matière de fraude fiscale et que les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs généraux des commissions des finances puissent opérer des contrôles sur pièces et sur place.
La commission des infractions fiscales est généralement considérée comme une structure opaque s'interposant entre l'administration fiscale et la justice et empêchant parfois la justice de connaître de tous les sujets dont l'administration fiscale pourrait en amont avoir traité. Là aussi, nous sommes déterminés à changer cet ordre des choses. Premièrement, en faisant en sorte que la composition de la CIF puisse être revue.
Puisque des magistrats judiciaires s'interrogent sur les conditions dans lesquelles la CIF examine les dossiers, ouvrons la CIF à des magistrats judiciaires ; puisqu'il peut y avoir des interrogations à propos des conditions et des critères sur la base desquels la CIF décide, rendons également public le rapport d'activité annuel de la CIF, ce qui permettra de connaitre les critères utilisés, de savoir combien de dossiers ont été reçus, d'avis émis. En aval de l'intervention de la CIF, enfin, donnons à la Justice les moyens pour aller au terme de ses investigations, ce qui sera matérialisé notamment par la création du parquet financier. Ce parquet financier aura de larges compétences : lutte contre la fraude fiscale aggravée et la grande délinquance financière ainsi que contre les atteintes à la probité notamment la corruption.
Ce parquet financier s'accompagnera d'une réorganisation des juridictions. Les pôles économiques et financiers disparaîtront et ce sont les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, qui prendront le relais, en concurrence avec le parquet financier spécialisé. Cette concurrence est en réalité une garantie que les investigations iront à leur terme, plutôt qu'une source de complications. En effet, il n'y a pas de raison qu'une juridiction locale ou une JIRS ne puisse pas poursuivre l'infraction de blanchiment de fraude fiscale, ce dernier délit ne nécessitant pas que l'administration fiscale soit intervenue préalablement comme l'a précisé la Cour de cassation dans un arrêt Talmon du 20 février 2008. Enfin, le parquet financier pourra lui-même poursuivre ces faits.
Je suis attaché au monopole de l'administration fiscale dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale, ce qu'on appelle le « monopole de Bercy », car je ne veux pas que ceux qui fraudent aient le moindre interstice pour continuer à le faire, en s'intercalant entre l'administration fiscale et la justice pour « jouer la montre », s'appuyer éventuellement sur les conflits de compétences pour échapper à la sanction. Ma conviction est que lorsqu'un fraudeur est pris, il doit payer tout de suite, et que lorsque les faits relèvent d'une infraction pénale, la Justice doit être à même de le poursuivre ensuite.
Abandonner le monopole de l'administration fiscale en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale, c'est, sauf à considérer qu'il faille alors reconstituer cette administration au sein du Ministère de la Justice, se priver de l'administration la mieux armée techniquement pour détecter les fraudes complexes. Je ne comprendrais donc pas que l'administration fiscale française, qui conçoit l'impôt, contrôle qu'il est payé et sanctionne le fait que certains s'y soustraient, soit totalement démantelée. Je ne comprendrais pas pourquoi on se priverait de cette expertise, mise au service de la sanction immédiate, y compris pénale, car lorsqu'on applique une amende lourde au fraudeur qui ne s'est pas acquitté de son devoir, cette sanction a une nature pénale (au sens de la convention européenne des droits de l'homme). Cette possibilité d'une sanction quasiment immédiate entre le moment où la fraude est découverte et la sanction est infligée laisse un temps trop court aux fraudeurs pour échapper à la sanction. Ce temps court a aussi un avantage considérable : il nous garantit des rentrées fiscales. La lutte contre la fraude fiscale étant animée par le désir de voir ceux qui échappent à l'impôt s'en acquitter enfin, il serait absurde d'accorder aux fraudeurs le bénéfice du temps long de la procédure judiciaire. Les fraudeurs seraient en outre moins sanctionnés, après des procédures durant 5, 6 ou 7 ans, alors qu'actuellement, ils sont fortement sanctionnés, 5, 6 ou 7 semaines seulement après la détection de la fraude.
A partir du moment où l'administration fiscale a une obligation de transparence à l'égard du Parlement, que l'objectif est de faire rentrer des recettes, il est d'autant plus important que ceux qui n'ont pas acquitté leurs obligations fiscales paient désormais leurs impôts. Dans un contexte de redressement des finances publiques, abandonner ces principes et faire le choix du temps long de la procédure judiciaire - dont nous n'avons pas intérêt à ce qu'il soit raccourci, car il est la garantie aussi bien du contradictoire et du respect des procédures que du rôle de l'avocat - est une voie que je vous recommande pas. La sanction financière immédiate de la fraude est très dissuasive et très importante pour l'administration fiscale qui la perçoit. La substitution du temps long de la sanction juridictionnelle au temps court de la sanction financière forte aura des conséquences importantes pour les comptes publics. Pour vous donner un ordre de grandeur, en 2011, la sanction fiscale la plus importante infligée à un contribuable par l'administration fiscale a été de 65 millions d'euros, alors que la sanction financière maximale infligée par une juridiction a été de l'ordre de 300 000 euros. Vous avez ainsi une idée des effets qu'il y aurait à ne pas maintenir le monopole de Bercy. Je ne vous incite donc pas à retirer à l'administration fiscale son monopole dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale. D'autre part, quand nous transmettons à la CIF des dossiers, sur les dernières années, cette commission met environ 10 % des propositions de poursuites de côté, en refusant le dépôt de plainte, et 5 à 10 % des plaintes transmises à la justice sont ensuite classées sans suite ou aboutissent à des relaxes. Si vous regardez le nombre de peines de prison ferme infligées pour fraude fiscale, vous verrez où se situe la sévérité.
Je veux que les fraudeurs ne bénéficient plus d'une quelconque impunité et plutôt que d'opposer la Justice et l'administration fiscale, je pense qu'il est préférable d'articuler les deux pour que l'une travaille avec l'autre, afin que la pression sur les fraudeurs soit maximale. Il n'y a pas de suspicion à l'égard des juges, qui doivent disposer de leurs propres moyens d'investigations, - d'où le parquet financier -, il n'y a pas davantage une volonté d'opposer deux administrations ; il s'agit plutôt d'assurer un continuum, des investigations à la sanction.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Comment le parquet financier s'articulerait-il avec les autres parquets ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Les compétences du parquet financier lui sont dévolues par la loi : la lutte contre les atteintes à la probité, contre la fraude fiscale aggravée, contre la grande délinquance financière et contre le blanchiment, notamment. Ses compétences très larges lui permettront d'intervenir sur l'ensemble des questions relevant de la délinquance économique et financière ; elles s'articuleront avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). La concurrence entre ces deux structures aura pour résultat que chaque affaire sera instruite. En ce qui concerne ce sujet, Mme Taubira vous répondra plus amplement. La création du procureur financier s'inscrit dans une logique de spécialisation qui complète et renforce les JIRS. Cette spécialisation est nécessaire en raison de la complexité très forte des affaires à traiter et permet une concentration des moyens. La désignation d'un interlocuteur privilégié pour les pays étrangers est aussi une avancée de ce texte.
M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Je suis très honoré de pouvoir intervenir à la commission des lois. Je remercie monsieur le Ministre pour les précisions apportées sur la problématique des contrôles exercés par l'administration fiscale et le traitement judiciaire de la fraude fiscale. Je suis en accord total avec lui sur la nécessité de conserver le monopole de l'administration fiscale dans l'exercice des poursuites pénales pour fraude fiscale ainsi que sur la préoccupation de conserver une capacité de recouvrement rapide et efficace des sommes dues, qui sont des thématiques particulièrement importantes à la commission des finances.
J'aurais trois thèmes de réflexion. En premier lieu, j'aurais aimé connaître la portée pratique du registre national des trusts ; peut-on s'assurer vraiment du respect de cette obligation, notamment en ce qui concerne les bénéficiaires réels ? J'ai également une question liée à l'éventuel achat de listes de contribuables fraudeurs et la rémunération des informateurs. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question, quelles sont les garanties apportées à un tel dispositif ? A-t-on identifié des obstacles juridiques pouvant s'opposer à ce qu'un redressement soit mené sur la base d'une liste volée ?
Enfin, en ce qui concerne l'évasion fiscale, dans un rapport rendu public début juin, l'inspection générale des finances (IGF) s'est penchée sur la problématique des prix de transfert et leur rôle dans l'évasion fiscale. L'IGF a constaté que le droit français était en retrait par rapport aux dispositions en vigueur dans plusieurs autres pays européens. Quelle est la suite que le Gouvernement donnera à ce rapport, notamment sur le durcissement de la réglementation s'agissant de ces pratiques de prix de transfert ?
M. Alain Anziani, rapporteur. - M. le Ministre, je voulais d'abord vous remercier de la précision de votre intervention. Nous considérons qu'il y a beaucoup d'éléments positifs dans le texte permettant à l'administration fiscale de mieux travailler en amont, avec les nouvelles dispositions concernant l'enquête, comme en aval, avec les nouvelles dispositions très techniques sur les saisies et le recouvrement des créances. Il y a toutefois aujourd'hui deux points de vue assez radicalement opposés. Du point de vue de l'administration fiscale, son monopole doit être conservé, car c'est une tradition française - depuis 1920 - et parce que c'est surtout la source d'une meilleure efficacité, grâce aux transactions qui peuvent être réalisées ; elles rapportent beaucoup d'argent à l'État. Du point de vue de la Justice, il faudrait supprimer le monopole au nom de la tradition française d'opportunité des poursuites et d'une meilleure efficacité, le dispositif actuel permettant peu de recouvrement. Les magistrats tiennent donc le même discours que vous, mais inversé. A propos de la CIF, ils ont un raisonnement différent : il y a en France 6 000 infractions constatées, l'administration transmet mille dossiers à la CIF qui n'en retient que 900 qui sont alors instruites dans de très mauvaises conditions : les dossiers sont transmis à la limite de la prescription, il faut reprendre la procédure pour respecter le principe du contradictoire et en outre, certains dossiers ne présentent que peu d'intérêt. Ils soulignent aussi que malgré ces éléments, leur taux de réponse pénale est de 97 % - vous avez cité un chiffre de 90 % tout à l'heure, relativement proche - . Voilà la vision de la justice. Je suis totalement d'accord avec vous sur le fait de ne pas opposer administration fiscale et justice, mais de mieux les articuler. Mais ne peut-on pas mieux les articuler en redonnant justement une vraie place au parquet ? Avouez qu'il est assez paradoxal d'afficher, comme le fait notamment le Président de la République avec beaucoup de force, le principe d'indépendance du parquet, grâce à une réforme, - qui j'espère va aboutir -, alors qu'en matière fiscale, nous conservons un procureur dépendant de l'administration fiscale. Nous allons créer un procureur financier pour agir plus efficacement, mais on commence par « lui couper le bras » en l'empêchant d'engager des poursuites, ce qui est contraire à tous les principes du droit pénal et de la procédure pénale. Ne peut-on pas redonner au parquet un pouvoir d'initiative ? L'article 40 du code de procédure pénale n'est pas appliqué en matière de fraude fiscale, ne pourrait-on pas revenir sur cette exception ?
En ce qui concerne le deuxième point, vous avez développé avec beaucoup de conviction le principe selon lequel il vaut mieux une bonne transaction plutôt qu'une mauvaise procédure, mais il y a aussi d'autres solutions : en matière douanière, par exemple, il existe des transactions pénales. Il ne s'agit pas de déposséder l'administration fiscale, ce serait une folie. On lui laisse l'enquête - qu'elle fait remarquablement -, ainsi que les possibilités de poursuivre, mais lorsque l'on aboutit à une transaction, pourquoi ne pas la faire valider par le procureur ? En quoi cela serait-il choquant pour nos principes et en quoi cela diminuerait-il l'efficacité des transactions ? Le procureur accepterait la plupart du temps les transactions et cela rendrait au parquet le principe d'opportunité des poursuites, qui est l'âme du parquet. Nous devrions explorer des voies pour mieux conjuguer efficacité des procédures et respect des principes.
Enfin, si un parquet européen est créé, comment expliquer au ministère public européen que son interlocuteur en matière de lutte contre la fraude fiscale, c'est-à-dire le procureur financier, devra en référer préalablement à l'administration fiscale ? Vous voyez donc bien la difficulté posée.
Mme Virginie Klès, rapporteur du projet de loi organique. - Je partage ce qui a été dit par mon collègue Alain Anziani jusqu'à présent et je souhaiterais aborder deux points supplémentaires.
En premier lieu le système des repentis : dans l'hypothèse où il n'y a pas de blanchiment d'argent, le système envisagé ne risque-t-il pas d'encourager une forme de concurrence déloyale entre les entreprises par exemple ?
En second lieu, s'agissant des lanceurs d'alertes : on a oublié de prendre en compte les mandataires sociaux. On peut acheter leur silence. Il faut donc être attentif à la protection des mandataires sociaux.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Monsieur le ministre, quel est votre point de vue sur les points qui viennent d'être soulevés ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Sur les lanceurs d'alertes, pour répondre à Madame Klès, le Gouvernement a pris une position : il faut faire en sorte que les amendements du Parlement visant à améliorer le dispositif soient accueillis positivement.
S'agissant de l'articulation entre Justice et administration fiscale, pour répondre à Monsieur Anziani qui pose une question autant philosophique qu'économique, tous ceux qui n'ont pas respecté le droit fiscal, sciemment ou non d'ailleurs, doivent-ils être systématiquement traduits devant les tribunaux ? La réponse est non. Nous sommes dans une société où les relations sont déjà très judiciarisées. L'administration fiscale a un très haut niveau d'expertise, sans égal ailleurs dans l'administration. Elle peut jouer un rôle de conseil et n'est pas obligée de tout transmettre à la Justice. S'agissant de la juridiction gracieuse fiscale, l'administration examine non pas 6 000 dossiers, mais approximativement 1 000 000 de demandes de remise par an.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Je ne parlais de transmission à la Justice que pour les dossiers de fraude fiscale complexes, soit environ 200 dossiers par an.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - La transaction ne se fait que lorsqu'une sanction a été infligée par l'administration fiscale. Si le contribuable concerné reconnait la faute en acceptant de payer, on peut considérer que la sanction a été effectuée. La sanction financière pour ce type d'infraction est lourde. La transaction n'est pas un accommodement, ni une amnistie. C'est un processus au terme duquel l'administration fiscale décide d'appliquer une sanction financière après mise en oeuvre du principe du contradictoire entre l'administration fiscale et le fraudeur protégé par le secret fiscal. Ce secret fiscal est l'équivalent du secret de l'instruction, la seule différence entre les deux, c'est que le secret fiscal est respecté, ce qui bien sûr convient moins aux journalistes ! Le secret fiscal protège le principe du contradictoire, car l'administration fiscale a un pouvoir fort à l'égard de celui qui enfreint la loi. L'idée selon laquelle le contradictoire constituerait une remise de peine est totalement fausse. Le principe de séparation des pouvoirs empêche l'administration fiscale de contrôler le travail des juges. Le contrôle parlementaire, par la remise d'un rapport annuel contenant des éléments concrets sur les transactions effectuées, à l'exception bien sûr du nom des personnes concernées, garantira l'information du Parlement. Le rapporteur général et le président de la commission des finances pourront procéder à un contrôle sur pièces et sur place dans chacun des cas concernés.
Par ailleurs, sur l'idée de mise en concurrence entre administration fiscale et Justice, le système que vous proposez, Monsieur Anziani, a un inconvénient : le juge est maître du temps judiciaire. Aussi longtemps qu'il enquête, nous ne pouvons pas sanctionner par une amende. Nous ne pouvons que transmettre des éléments à la Justice. D'ailleurs, lorsque la Justice constate une infraction, le dossier est généralement transmis à l'administration fiscale pour expertise. Mais si on met l'administration et le juge en concurrence sur des questions de fraude fiscale, cela pourra prendre jusqu'à dix ans, une fois toutes les voies de recours épuisées. Je pense qu'il ne faut donc pas ouvrir cette voie qui avantagerait les fraudeurs fiscaux. La fraude fiscale serait traitée comme une infraction de droit commun, ce qui ralentirait l'application des sanctions. Comme ministre du budget, je ne peux pas accepter de substituer le temps de la justice au temps court de l'administration fiscale.
M. Alain Anziani, rapporteur. - Mais on peut articuler, accepter de soumettre les transactions fiscales les plus importantes aux procureurs. Il ne s'agit pas de retirer le dossier à l'administration fiscale, mais de permettre à la Justice de se pencher sur le travail de l'administration fiscale. Pourquoi refuser de le faire ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Quel est l'intérêt de soumettre au procureur une transaction ayant fait l'objet d'une expertise ? Le juge n'a pas les moyens techniques de l'administration fiscale car ce sont des dossiers extrêmement complexes. Pour obtenir une expertise technique, il fera sans doute appel à ceux qui, au sein de l'administration fiscale, ont effectué la transaction. Nous ne ferions qu'allonger le temps de la transaction, c'est-à-dire le temps de la perception de la somme. Cette solution ne présenterait un intérêt que si elle permettait de disposer de moyens d'appréciation supplémentaires au regard des éléments dont dispose l'administration fiscale. Or, ce n'est pas le cas. Ce projet de loi permet à l'administration fiscale de disposer de tous les moyens d'interposition et d'enquête nécessaires. L'équilibre du texte est bon. Au-delà, nous commettrions une erreur. Une perte de recettes fiscales en cette période n'est pas acceptable. J'assume le fait que la récupération des recettes fiscales est mon obsession. Le texte soumis permet à la fois le maintien des recettes fiscales et la garantie des droits des contribuables concernés. Je ne souhaite pas qu'on allonge le temps des procédures. Pourquoi s'en priver ?
Entre 2011 et 2012, la politique de contrôle fiscal a généré environ 2 milliards d'euros de droits et pénalités supplémentaires. On est passé, en un an, de presque 16 à plus de 18 milliards d'euros de droits et pénalités. C'est positif ! L'allongement de ce temps serait une calamité pour nos finances. Je suis convaincu que les dispositifs mis en place, le texte aujourd'hui proposé ainsi que la circulaire que j'ai récemment prise concernant les conditions de mise en conformité des avoirs, non déclarés, placés par nos compatriotes à l'étranger vont dans le bon sens.
Mme Jacqueline Gourault. - À partir de quand jugez-vous utile que l'administration fiscale transmette le dossier à la Justice ?
Mme Virginie Klès, rapporteur du projet de loi organique. - De façon très concrète et pratique, vous nous dites que parfois, grâce à ce texte, l'administration fiscale utilisera les moyens de la Justice, mais à quel moment si la Justice n'est pas saisie ? Comment demander à un procureur de recourir à certaines procédures s'il ne peut être officiellement saisi ?
M. Jean-Yves Leconte. - Ma question rejoint celle de mes collègues. Si l'administration obtient des pouvoirs actuellement dévolus la Justice, est-il logique que cela reste exclusivement une prérogative de l'administration fiscale ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Le dispositif est très encadré. L'administration fiscale ne disposera pas de moyens intrusifs, attentatoires aux libertés publiques, pour contrôler les contribuables, contrairement à ce qu'affirmait un article récent du journal Le Monde. Cette loi accorde les mêmes garanties aux justiciables que lorsqu'ils sont poursuivis dans d'autres affaires.
Lors d'une émission télévisée, j'ai mentionné la possibilité pour l'administration fiscale d'utiliser les écoutes téléphonique. La réponse ne s'est pas faite attendre... il y a eu des centaines de « tweets » pour dire que le Gouvernement rétablissait les écoutes. Non ! Ces écoutes ne sont possibles que dans des conditions très encadrées, avec un dispositif d'autorisation. L'administration fiscale ne peut engager de telles investigations d'elle-même. Elle fera des contrôles. Lorsqu'une infraction est matérialisée, une amende, qui a valeur de sanction pénale, pourra être prononcée.
Si nous considérons que d'autres éléments le justifient, une fois que la commission des infractions fiscales (CIF) est intervenue, nous pourrons déclencher l'action judiciaire notamment pour rassembler des éléments judiciaires. Ces éléments sont précisément identifiés dans la loi comme des circonstances aggravantes. Il s'agit notamment du blanchiment, de l'utilisation de structures interposées, de trusts, ou de la mobilisation de paradis fiscaux.
En revanche, je ne pense pas que la procédure judiciaire ait vocation à s'appliquer à l'ensemble des affaires. On aboutirait alors à un excès de judiciarisation et à un encombrement des tribunaux.
M. Alain Anziani, rapporteur. - C'est donc l'administration fiscale qui choisit les dossiers dans lesquels la CIF intervient. Pourquoi ne pas choisir plutôt un système dans lequel les affaires complexes, ou très complexes, relèvent du parquet plutôt que de l'administration fiscale ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. - Les critères précis qui encadrent l'instruction des dossiers par l'administration fiscale sont énumérés dans la loi. Ils relèvent de l'aggravation de fraude fiscale. L'administration fiscale n'intervient pas « à la tête du client ».
De plus, les critères selon lesquels la CIF statue seront rendus publics dans un rapport annuel remis au Parlement. Le ministre ne connaît pas de ces affaires. Depuis ma prise de fonctions, il y a deux mois et demi, je ne suis jamais intervenu dans la conduite des opérations de contrôle et, a fortiori, dans la définition des éventuelles suites correctionnelles. Une circulaire l'interdit d'ailleurs.
La réponse ainsi apportée me semble être la bonne. Elle répond à vos inquiétudes, tout en permettant à l'administration fiscale de percevoir ce qui lui est dû. Face aux fraudeurs, ce qui compte c'est la rapidité et l'importance de la sanction. Pour les « fraudeurs de grand chemin et de grand genre », l'amende infligée est plus significative que la prison. La loi va dans le sens d'un durcissement des sanctions et d'une pénalisation accrue.
Pour répondre au rapporteur général de la commission des finances, M. François Marc, l'Assemblée nationale, par voie d'amendement, a créé un registre national des trusts, conçu sur le modèle du registre du commerce et des sociétés. Tout manquement à cette obligation de déclarations sera lourdement sanctionné. Cette disposition doit être retravaillée, mais l'idée est là. Au G8, le Président de la République a souligné la nécessité que cette obligation s'applique à l'échelle internationale.
Quant aux « aviseurs », la rémunération est possible pour les douanes dès à présent. Ce dispositif peut être utile pour obtenir des informations, qui permettent de réaliser des saisies en situation de flagrance. Il est moins utile en matière fiscale, car l'information ne peut être utilisée comme élément de preuve. En revanche, la loi permettra désormais l'utilisation de listes, transmises à l'administration fiscale de façon licites, mais dont l'origine ne l'est pas. Le problème « HSBC » ne se poserait alors plus du tout dans les mêmes termes.
Enfin, concernant les prix de transfert, je vous renvoie au rapport de l'inspection générale des finances. Nous souhaitons travailler avec les entreprises sur ce sujet. Des dispositions ont déjà été prises dans la loi bancaire et dans la loi de finances rectificative pour 2012. Nous envisageons d'améliorer cette législation dans la loi de finances initiale pour 2014.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre débat a été très riche. Monsieur le ministre, vous nous avez éclairés par la force de votre argumentation et votre sens de la pédagogie. Nos collègues ont également fait avancer la discussion par leurs interventions très intéressantes. Chacun a donc pu s'exprimer avec sa part de vérité. Je vous remercie.
Jeudi 27 juin 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Représentation des Français établis hors de France - Examen des amendements
La commission examine les amendements sur le projet de loi n° 684 (2012-2013) relatif à la représentation des Français établis hors de France.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons examiner les 18 amendements proposés sur le projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France. Nous débutons par l'amendement n°1.
M. Christian Cointat. - Les amendements que j'ai déposés visent tous à répondre au noeud du problème : Faut-il ou non élire les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger au suffrage universel direct ? La volonté d'une élection au suffrage direct était, en 1982, la philosophie du gouvernement Pierre Mauroy et du ministre Claude Cheysson, sous l'autorité du Président de la République d'alors.
En compensation de l'absence de compétences réelles conférées à l'Assemblée des Français de l'étranger, je crois qu'on ne peut pas faire autrement que de conférer une légitimité à cette assemblée par une élection au suffrage direct. L'élection au suffrage indirect n'aurait aucune importance si l'Assemblée des français de l'étranger avait des compétences réelles. Mais elle n'a aucun pouvoir, c'est une assemblée purement consultative, donc lui ôter la seule force qu'elle a, le suffrage direct, c'est l'éliminer sans le dire, d'où ces amendements.
Je précise que je décline plusieurs possibilités envisageables avec des amendements de repli. Plusieurs modalités de mises en oeuvre du suffrage direct sont concevables : les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger peuvent être ou non obligatoirement des conseillers consulaires, en ayant été ou non candidat, ils peuvent être ou non des grands électeurs, etc. Toute la gamme des soldes vous est donc offerte...
Mme Catherine Tasca. - Monsieur Cointat se réfère à une étape historique. Je comprends bien le sens de son intervention. Depuis les choses ont beaucoup changé : il y a désormais des députés élus par les français établis hors de France, donc ça a déplacé le problème de la représentation nationale.
M. Christian Cointat. - Je suis d'accord avec Catherine Tasca : cela a changé, mais dans un sens favorable à l'élection au suffrage universel direct. Auparavant, les expatriés étaient considérés comme une excroissance mondiale des collectivités françaises. Donc ils pouvaient voter dans des collectivités de rattachement. Le fait d'avoir créé des députés change tout : les expatriés sont devenus une collectivité de fait. L'élection au suffrage directe devient encore plus nécessaire avec l'élection d'une catégorie spécifique de députés représentant les expatriés. Si on octroyait à l'AFE des compétences réelles, cela se discuterait. Mais sans compétence aucune...
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - J'ai deux remarques à formuler. Si on adopte le projet de loi dans sa version résultant des travaux de l'Assemblée nationale, tous les membres de l'AFE auront eu un mandat après désignation au suffrage universel direct puisqu'ils seront conseillers consulaires.
Par ailleurs, je suis surpris de la position exprimée par M. Cointat dans une assemblée parlementaire élue au suffrage universel indirect. Sur le fond, il y a effectivement plusieurs options. La première option que vous mettez en avant, à savoir cette double élection, est contraire à la position de notre assemblée en première lecture car le bulletin unique n'est pas repris. On invite les électeurs à élire d'une part les conseillers consulaires, d'autre part les membres de l'AFE, sans savoir si les candidats à l'AFE seront conseillers consulaires. On peut donc se retrouver avec une liste de candidats à l'AFE qui aurait eu suffisamment de suffrages pour être élu, sans l'être effectivement parce qu'ils ne sont pas élus conseillers consulaires.
M. Christian Cointat. - Mais je propose plusieurs solutions possibles avec des amendements de repli. Cela peut donc être parfaitement surmonté, tout en ayant recours au suffrage direct.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Globalement, le système que vous mettez en avant, avec deux urnes et deux bulletins, ne respecte pas la condition de sincérité du bulletin.
M. Christian Cointat. - C'est au juge constitutionnel d'en décider ! Cette solution peut certes ne pas vous convenir, mais vous ne pouvez pas dire que la sincérité du scrutin n'est pas respectée.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Je maintiens qu'il y aurait un problème de constitutionnalité au regard de la clarté du scrutin : en créant deux bulletins et deux urnes, le mécanisme est fragilisé car des listes ayant obtenu des conseillers à l'AFE peuvent se retrouver sans élu faute de conseillers consulaires élus, ce qui est trompeur pour l'électeur. Parallèlement, pour surmonter la difficulté que je soulignais à l'instant, vous proposez en fait de mettre un terme à la concordance des deux mandats par les amendements nos 15 et 16. Cela change tout le système. Leur adoption pourrait conduire à la création de 90 élus supplémentaires puisque les conseillers à l'AFE ne seraient plus forcément conseillers consulaires.
Autrement dit, l'ensemble du dispositif que vous défendez pour rétablir l'élection au suffrage universel direct ne correspond pas à la position du Sénat en première lecture.
J'émets donc un avis défavorable aux amendements nos 1 à 5, 7 à 12, 15 et 16.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je crois que ce n'est pas la peine de développer davantage, tous ces points pourront être abordés en séance publique. Nous pouvons passer au vote sur l'amendement n° 1 qui fait donc l'objet d'un avis défavorable du rapporteur.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 1.
M. Christian Cointat. - Avec l'amendement n° 2, il y aurait concomitamment, comme cela a déjà été fait pour les élections cantonales et régionales, ce qui montre bien qu'il ne s'agit pas d'un système non conforme à la Constitution, une élection des conseillers consulaires et des conseillers à l'Assemblée des français de l'étranger. Nous avons le choix : on peut faire en sorte que seuls les conseillers consulaires élus siègent à l'AFE, avec désignation du suivant de liste si un membre ayant théoriquement suffisamment de suffrages pour être élu à l'AFE n'est pas élu conseiller consulaire, ou qu'ils puissent être élus à l'AFE sans être conseiller consulaire. On décidera après s'ils acquièrent ou non la qualité de grands électeurs. Nous proposons donc cette double élection : deux urnes et deux bulletins.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Je suis défavorable aux deux options qui nous sont présentées. D'abord, il n'est pas possible de faire deux élections indépendantes lorsqu'elles sont liées : l'éligibilité pour l'une dépend de l'élection à l'autre.
Dans l'autre cas, cela casse la liaison entre conseiller consulaire et conseiller à l'AFE, ce qui va à l'encontre de la position adoptée en première lecture par les deux chambres.
M. Christian Cointat. - Je ne casse pas ce lien puisqu'il faut avoir été candidat comme conseiller consulaire pour être candidat à l'AFE. On sait très bien que dans la quasi-totalité des cas, les élus à l'AFE seront des conseillers consulaires. Le risque que vous évoquez est vraiment à la marge. C'est fondamental pour la représentation des expatriés auprès du Gouvernement d'avoir une élection au suffrage direct parce qu'elle n'a pas de compétence définie. Si, par exemple, on lui avait donné la compétence d'octroyer les bourses, la question du type de suffrage se poserait différemment.
Mme Esther Benbassa. - Je tiens à préciser que les membres du groupe écologiste voulaient voter non en faveur de l'amendement n° 1 mais suivre l'avis défavorable du rapporteur. Il s'agit d'une erreur de notre part.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous prenons acte de cette remarque mais le résultat du vote reste acquis.
Revenons-en à la position de la commission sur cet amendement de M. Cointat. Je trouve la position exprimée par M. Cointat paradoxale : en quoi une assemblée disposant de prérogatives restreintes serait-elle plus légitime à être désignée au suffrage direct qu'une assemblée aux compétences élargies ?
M. Christian Cointat. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Simplement, à défaut de disposer de compétences, on doit au moins à l'AFE d'avoir une assise qui la légitime, donc le suffrage direct. Sans pouvoirs ni légitimité, on n'existe pas.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Au contraire, je trouve qu'une assemblée n'ayant qu'un rôle consultatif n'a pas forcément vocation à disposer d'une légitimité plus forte.
M. Christian Cointat. - Cela me rappelle une phrase du ministre Claude Cheysson du 4 mai 1982...Il s'était élevé contre la position de droite de l'époque sur le système représentatif.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 2.
M. Christian Cointat. - L'amendement n° 3 est de cohérence : il faut tirer toutes les conséquences de la liaison entre l'élection comme conseiller consulaire et celle de membre de l'Assemblée des Français de l'étranger, en particulier sur la circonscription d'élection.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Défavorable par cohérence. L'amendement procède de la même logique que précédemment.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Article 29 sexies
La commission émet un avis défavorable, par conséquence, à l'amendement n° 4.
Article 29 septies
La commission émet un avis défavorable, par conséquence, aux amendements nos 5 et 7.
Article 29 decies
La commission émet un avis défavorable, par conséquence, à l'amendement n° 9.
Article 29 vicies
La commission émet un avis défavorable, par conséquence, à l'amendement n° 10.
M. Christian Cointat. - Il faut bien traiter le cas de l'élection à l'Assemblée des Français de l'étranger d'un candidat qui ne serait en revanche pas élu conseiller consulaire. Je propose, avec l'amendement n° 8, que son suivant de liste le remplace. A défaut, le siège resterait vacant.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Avis défavorable. Votre amendement souligne les impasses du système que vous proposez.
M. Christian Cointat. - Je m'oppose au Gouvernement qui lie les deux mandats et ne fais qu'en tirer les conséquences.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Article 22 duovicies A
La commission émet un avis défavorable par conséquence à l'amendement n° 11.
Article 22 tervicies
La commission émet un avis défavorable par conséquence à l'amendement n° 12.
M. Christian Cointat. - Je vous propose par cet amendement une option alternative à l'obligation de lier élection au conseil consulaire et à l'Assemblée des Français de l'étranger : seule la candidature devrait être commune.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Vous créeriez une nouvelle strate d'électeurs. C'est contraire à l'esprit du texte.
Mme Catherine Tasca. - Notre collègue Christian Cointat défend une toute autre conception de la réforme que celle portée par le texte qui nous est soumis. L'Assemblée nationale a confirmé le lien entre les deux mandats électoraux. A ce stade de la lecture du texte, il n'est pas envisageable de revenir sur ce point.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 15 rectifié.
M. Christian Cointat. - Dans la mesure où je propose de supprimer l'obligation d'être élu à un conseil consulaire pour être membre de l'Assemblée des Français de l'étranger, je prévois que les élus de cette assemblée qui ne seraient pas conseillers consulaires soient malgré tout grands électeurs.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Avis défavorable par cohérence.
La commission émet un avis de sagesse à l'amendement n° 16 rectifié.
M. Christian Cointat. - L'amendement n° 6 est un amendement de conséquence. Si on vote les amendements précédents instaurant un scrutin direct, il faudra l'adopter. Dans le cas contraire, il tombera.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - On ne peut pas adopter cet amendement en raison d'un risque d'inconstitutionnalité car il n'est pas garanti, en cas de scrutin indirect, que puissent se constituer des listes comportant un nombre suffisant de candidats.
La commission émet un avis de sagesse à l'amendement n° 6.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - L'amendement n° 17 relève de la loi organique. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 17.
Article 29 decies
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 18.
M. Christophe-André Frassa. - L'amendement n° 13 rectifié vise à supprimer un alinéa introduit par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture limitant dans le temps les mandats, ce qui préjuge de futurs débats sur le sujet. Conformément à la jurisprudence de notre commission, il faudrait adopter une mesure d'ensemble et non se limiter au cas des seuls conseillers consulaires.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Les arguments de M. Frassa reprennent ceux déjà développés au sein de cette commission. Mais sur le fond, cette mesure est bonne ; elle a d'ailleurs été également défendue par des sénateurs au cours de la première lecture. En outre, il est souhaitable que nous adoptions un texte conforme à celui de l'Assemblée nationale. Enfin, cela présente également l'avantage de clarifier dès à présent la situation des conseillers consulaires.
M. Christian Cointat. - On a déjà discuté de ce genre de questions précédemment. J'en appelle donc à la cohérence de notre commission. Personnellement, je suis favorable à la mesure, mais je voterai contre car j'estime que cela relève d'une disposition globale.
Mme Catherine Tasca. - Je pense que nous devons adopter cette mesure. Sur le fond, j'y suis favorable. Sur la forme, une exception à notre position de principe peut se justifier par le fait que la communauté française à l'étranger se renouvelle régulièrement, ainsi que nous l'avons déjà observé.
M. Christian Cointat. - Si elle se renouvelle, cette mesure n'a pas de sens !
Mme Catherine Tasca. - Il est vrai qu'adopter cette mesure constitue une dérogation à une règle générale que nous nous sommes imposés à nous-mêmes. Mais en l'occurrence, cela peut nous permettre de mettre fin à l'examen de ce texte auquel nous autres sénateurs sommes particulièrement intéressés.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Il n'est pas infâmant pour les Français de l'étranger d'être à l'avant-garde en la matière.
Par ailleurs, cela fait plus d'un an - depuis l'annonce d'une réforme de l'AFE - que dure une incertitude juridique pour l'élection des représentants des Français de l'étranger. Il faut y mettre un terme.
Dans le pire des cas, on pourra toujours revenir sur cette disposition ultérieurement, dans un texte de portée générale, s'il s'avèrait que seuls les conseillers consulaires et les conseillers de l'Assemblée des Français de l'étranger étaient soumis à cette limitation du cumul des mandats dans le temps.
M. Jean-Jacques Hyest. - On peut argumenter dans un sens comme dans l'autre. En réalité, personne ne pense sincèrement que cette limitation dans le temps trouverait à s'appliquer à tous les mandats locaux alors qu'on a tant de mal à trouver des candidats pour se présenter dans les petites communes. Comparaison n'est pas raison. Je ne voterai jamais ce type de dispositions.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'aurai deux remarques à formuler.
La première a trait au vote conforme. J'ai par le passé été moi-même souvent opposé à cet impératif de parvenir à un vote conforme. Ma position est plus nuancée désormais, je demande donc à chacun une dose de philosophie.
Ma seconde remarque est une interrogation : comment faire évoluer la loi de manière générale ? Est-il préférable de traiter les problèmes dans leur ensemble ou d'adopter des mesures ponctuelles ? La même question s'est posée lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature concernant le vote à la majorité des trois cinquièmes positifs pour les nominations. Le risque est de se dire qu'on attend l'occasion d'adopter une mesure de portée générale et d'attendre en vain. Cela ne me choque donc pas qu'en l'espèce on montre le mouvement en marchant.
Mme Catherine Tasca. - Je voudrais simplement souligner qu'en invoquant le vote conforme, nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quoi. Nous sommes partis de points de vues très divergents et le rapporteur nous a permis d'obtenir quelques victoires : le maintien de l'appellation AFE et le fait qu'on n'ait pas retenu la proposition de l'Assemblée nationale de n'avoir que cinq circonscriptions. Nous n'avons cédé que sur la question du suffrage indirect. Je récuse donc le discours selon lequel nous serions prêts à tout sacrifier.
Je vous rappelle par ailleurs qu'il existe des contraintes de calendrier, d'autant que la question des Français de l'étranger n'est pas aussi bien connue à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Il vaudrait donc mieux que l'on n'en vienne pas au dernier mot à l'Assemblée nationale.
M. Christian Cointat. - Il existe tout de même maintenant des députés des Français de l'étranger !
Mme Catherine Tasca. - Laissons-leur un peu de temps pour s'emparer de ces sujets.
La commission émet un avis de sagesse à l'amendement n° 13 rectifié.
M. Christophe-André Frassa. - Par cet amendement, il s'agit d'insérer un alinéa au sein de l'énumération des membres du collège électoral des sénateurs. Je prends Mme Tasca à la lettre : puisque nous ne sommes pas prêts à tout pour un vote conforme de ce projet de loi, l'adoption de cet amendement en donne l'occasion. Il tire les conséquences de l'adoption par le Sénat, le 21 juin dernier, du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs qui a modifié la composition du collège électoral pour l'élection des sénateurs des départements, prévu à l'article L. 280 du code électoral, en y ajoutant les sénateurs.
Le présent projet de loi représente l'unique véhicule législatif permettant, par parallélisme, de modifier la composition du collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France en y ajoutant les sénateurs eux-mêmes.
La non adoption de cet amendement conduirait à une inconstitutionnalité puisqu'il y aurait une discrimination entre le collège sénatorial des sénateurs des départements et celui des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
C'est un amendement qui n'a aucun parti pris politique et qui s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - On ne peut s'appuyer sur un texte non encore voté par l'Assemblée nationale pour défendre une position. Le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs n'a pas encore été examiné par l'Assemblée nationale.
M. Christophe-André Frassa. - C'est contraire à ce que vous avez dit pour l'amendement précédent sur le non-cumul des mandats. Le présent projet de loi représente le seul véhicule législatif qui permette de résoudre la difficulté que j'ai présentée.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - La logique voudrait effectivement que les règles soient identiques pour l'ensemble des sénateurs. Toutefois, nous ne pouvons pas préjuger du vote de l'Assemblée nationale sur cette disposition.
Sur le fonds, j'ai voté contre l'introduction des sénateurs dans le collège électoral des sénateurs des départements. Par cohérence, je propose donc un avis défavorable.
M. Christophe-André Frassa. - Vous justifiez l'injustifiable pour avoir un vote conforme sur ce texte.
Le présent projet de loi est aujourd'hui l'unique véhicule législatif pour résoudre cette contradiction. Vous nous dites qu'on ne peut préjuger de ce que fera l'Assemblée national. Certes ! Mais il est d'usage dans notre République que l'Assemblée nationale ne détricote pas les textes qui concernent uniquement le Sénat. Il est donc possible que les députés adoptent sans modification ce projet de loi. Par conséquent, nous aurons des dispositions relatives au scrutin sénatorial qui seront disséminées dans plusieurs textes.
Si on n'adopte pas ce texte conforme en insérant cet amendement, l'Assemblée nationale pourra l'adopter dans les mêmes termes rapidement. On s'expose à un risque réel d'inconstitutionnalité.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il s'agit d'un vrai sujet.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 14 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. - La difficulté dans ce texte tient aux conditions d'examen qui n'ont pas favorisé le dialogue entre les deux assemblées. Les majorités se sont rencontrées après la commission mixte paritaire, ce qui vous a permis d'aboutir à un accord politique. C'est une méthode de travail déplorable et je le redirai.
Sur la loi électorale du 17 mai 2013, l'échec de la commission mixte paritaire a conduit au dépôt et à la prochaine discussion d'une proposition de loi sur les collectivités territoriales, ce qui devient compliqué.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous parlez avec l'expérience qui est la vôtre. Sans vexer personne, les sénateurs étaient partisans d'un dialogue avec les députés de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui n'a malheureusement pas pu se faire. Ainsi, la commission mixte paritaire a échoué et il aurait été préférable d'avoir un dialogue pour avoir une commission mixte paritaire qui aurait rapproché les points de vue. Ceci aurait facilité la nouvelle lecture.
La commission adopte les avis suivants :