- Mercredi 12 juin 2013
- Les normes comptables au service de l'économie - Audition conjointe de MM. Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables, Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise, et Michel Prada, président de la Fondation IFRS
- Règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012 - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
Mercredi 12 juin 2013
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Les normes comptables au service de l'économie - Audition conjointe de MM. Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables, Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise, et Michel Prada, président de la Fondation IFRS
Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe, sur le thème « les normes comptables au service de l'économie », de MM. Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables, Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise, et Michel Prada, président de la Fondation IFRS.
M. Philippe Marini, président. - Le choix des normes internationales, dites IFRS (International Financial Reporting Standards), par l'Union européenne remonte déjà à 2002, et leur mise en oeuvre à 2005. Beaucoup de débats ont eu lieu dans notre pays - peut-être s'en est-il fait une spécialité - sur le court-termisme de ces règles, la volatilité accrue qu'elles induisent, l'expression ainsi donnée à la financiarisation de l'économie. Par ailleurs, ce débat a souvent mis l'accent sur la légitimité des normes internationales, élaborées par des entités non-étatiques, auxquelles les États et l'Union européenne s'en remettent pour édicter la normalisation et en définir les conditions d'application. Début 2013, la Commission européenne a annoncé qu'elle allait réexaminer le règlement sur l'application des normes comptables internationales, afin d'évaluer l'impact réel de ces normes après huit années de mise en oeuvre. Dans ce cadre, un examen de la procédure d'adoption des normes a également été lancé. C'est sur ce point qu'intervient la mission confiée à une haute personnalité, Philippe Maystadt, ancien ministre des Finances belge et ancien président de la BEI (Banque européenne d'investissement).
C'est donc dans ce contexte allons entendre successivement Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables (ANC) ; Michel Prada, président du conseil d'administration de la fondation IFRS, sous l'égide de laquelle sont élaborées les normes comptables internationales ; Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, auteur en 2010 d'un rapport sur les normes comptables et la crise financière internationale commandé par Christine Lagarde ; Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, qui nous apportera sa vision de professionnel du secteur ; et enfin Philippe Messager, en sa qualité de président de l'Association française des trésoriers d'entreprises (AFTE), qui est également directeur des financements et de la trésorerie d'EDF et donc l'un des professionnels les plus avertis de la place de Paris.
M. Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables. - Je voudrais partir de la question que vous nous avez adressée : comment remettre les normes comptables au service de l'économie « réelle » ? Il y a dans ce mot l'évocation d'opérations réalisées dans le passé, dont on peut rendre compte de façon certaine, et qui sont précisément celles qui sont retracées par les comptes. Probablement veut-on opposer le « réel » à l'« irréel » ou au « virtuel », c'est-à-dire l'économie réelle à l'économie financière. La métaphore de cette comptabilité de l'économie réelle, comme représentation du passé, serait plutôt celle d'un documentaire que d'une fiction - un documentaire ennuyeux, mais après tout, le mot de « comptable » est souvent associé à l'idée de quelque chose d'un peu roboratif, austère, ennuyeux. Je n'hésite donc pas à dire que de bons comptes font un documentaire ennuyeux. Le problème, c'est que nous avons aussi à faire à d'autres normalisateurs comptables, et notamment au normalisateur comptable international, qui préfèrent les oeuvres de fiction plus colorées et excitantes - mais ces oeuvres finissent par décrire la réalité comme ils la voudraient plus que comme elle est, et à créer un écart entre les comptes et l'économie.
Je prends d'emblée cet angle car, à vrai dire, la question que vous nous posez n'aurait jamais été posée ainsi à personne avant 2002, ni dans les décennies précédentes ni même dans les cinq siècles de comptabilité qui nous séparent de la Renaissance italienne. Si la question se pose ainsi aujourd'hui, c'est parce que nous avons vécu le passage des International Accounting Standards (les IAS) aux International Financial Reporting Standards (les IFRS), c'est-à-dire le passage, qui n'a rien d'anodin, de la comptabilité au « reporting financier » - il n'y a d'ailleurs pas de mot français pour le dire exactement.
Avant de partager avec vous l'état des lieux et d'évoquer les pistes d'action pour l'avenir, il faut replacer le sujet dans une perspective historique. Au départ prévalait l'idée que les normes européennes, qui avaient 500 ans, n'étaient pas satisfaisantes - ce qui est selon moi une « vraie fausse » idée. On leur reprochait deux choses.
Le premier reproche était qu'elles ne traitaient pas de la finance : ces normes dataient en effet des années 1970, et la finance des années 1980. La seconde était qu'elles comportaient trop d'options - mais vous verrez que nous y reviendrons, parce qu'il y a bien des différences dans l'économie réelle dont il faut savoir rendre compte, sans nécessairement vouloir enfermer toutes les représentations dans une forme unique. Nous avons donc adopté les normes internationales - même si ces normes n'avaient en 2002 jamais été testées ni adoptées par personne, et qu'elles étaient manifestement incomplètes. Et nous avons beaucoup appris. Ces normes étaient et sont toujours très riches, très intéressantes, et représentent un progrès dans la science, une sorte d'« état de l'art moderne » auquel je rends hommage. Des dizaines de spécialistes et d'experts ont travaillé pendant très longtemps pour produire ce jeu de normes, à tel point qu'il a paru équivalent à tous les autres jeux de normes possibles existant dans le monde.
Très vite, il est cependant apparu que ce jeu de normes comportait un certain nombre d'hypothèses non explicites. L'une est que les entreprises sont moins bien placées pour parler d'elles-mêmes que des tiers, à commencer par les marchés financiers. L'autre est que, pour bien rendre compte de l'activité de l'économie, il ne faut pas seulement parler du passé, mais aussi de l'avenir. Or en ouvrant la voie à l'introduction de l'avenir dans les comptes, on ouvrait la possibilité d'y inclure des profits non réalisés.
Puis vient la crise financière, qui est une confirmation : il y a dans les comptes en réalité l'évolution des marchés, on ne distingue plus ce que fait une banque de ce que fait le marché, la bulle se constitue, on ne la voit pas, on s'en aperçoit trop tard, et la chute est d'autant plus forte. Nous l'avons écrit, aujourd'hui beaucoup d'universitaires partagent cette vision, tout comme de nombreux documents officiels depuis cinq ans, et pas uniquement d'origine française. Les solutions proposées jusqu'à présent ne répondent pas véritablement à ce qui s'est produit. De fait, sur la question financière, nous n'avons adopté aucune norme depuis cinq ans. Le G20 a fixé des délais, d'abord en juin 2011, maintenant reportés à fin 2013. Ce retard est en partie dû à l'obligation que nous nous sommes donnée de travailler en convergence avec les États-Unis, mais ceci n'est pas une excuse. L'IASB (International Accounting Standards Board) a voulu cette convergence, de la manière la plus virulente qui soit, et force est de constater que nous avons aujourd'hui un vrai problème de fond.
Vous avez parlé, monsieur le Président, de « court-termisme ». Je voudrais ajouter qu'au-delà des questions strictement financières, nous assistons aujourd'hui à un développement de normes beaucoup plus nombreuses que ce que nous imaginions en 2005-2006, qui manifestent un approfondissement de cette tendance vers une mesure de l'économie sous forme instantanée - et c'est évidemment pour nous le principal problème.
Le second problème est lié aux questions de gouvernance, qu'il s'agisse des financements, du pouvoir ou de l'utilisation réellement faite des normes au sein de l'organisme privé qu'est l'IASB.
Troisièmement, il existe un problème de qualité des normes, que je n'évoque que d'un mot, et qui tient à leur nature conceptuelle, à leur complexité, à leur abstraction, à la quantité de problèmes quotidiens auxquels nous devons faire face pour les appliquer.
J'insiste : ce débat est un débat minoritairement français, majoritairement européen, mais aussi australien, sud-africain, canadien. Et c'est évidemment un débat qui existe aussi dans les pays où les normes ne sont pas appliquées, parce que la perception de tous ces enjeux de fond ou de mise en oeuvre sert de critère de jugement pour l'adoption des normes internationales. Les États-Unis, après quatre rapports en moins de 18 mois, n'ont pour l'instant pas pris de décision, le Japon progresse mais n'a pas non plus décidé, sans parler de tous ceux qui appliquent ces normes mais à leur choix.
Que faire ? Je citerai seulement des axes.
La première des recommandations est de respecter la sagesse du législateur européen, qui n'a demandé l'application de ces règles qu'aux comptes consolidés des grandes entreprises cotées, et de surtout ne pas soumettre à cette obligation d'autres entreprises que les très grandes entreprises, dotées de très lourds moyens, pour des marchés financiers très profonds et savants, qui savent plus ou moins - peut-on penser - démêler le bon grain de l'ivraie.
La deuxième recommandation est de continuer de travailler encore avec nos voisins aux questions de gouvernance au rythme approprié.
La troisième recommandation porte sur le travail européen : pour ma part, je travaille énormément depuis deux ans avec mes trois collègues britannique, italien et allemand, avec qui nous représentons l'essentiel des enjeux en Europe. Nous avons demandé une réforme de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), association privée qui représente le pôle d'expertise européen aujourd'hui. Nous avons fait des propositions concrètes l'an dernier, qui ont été rejetées par Pedro Solbes, ancien commissaire européen qui présidait le conseil d'administration de l'EFRAG, et c'est ce qui a débouché notamment sur les initiatives de Michel Barnier que vous avez rappelées. Nous avons demandé un débat sur l'évolution de cet organisme, et aussi à cette occasion sur l'ensemble des questions de fond et d'organisation que j'ai citées.
M. Philippe Marini, président. - A qui l'avez-vous demandé ?
M. Jérôme Haas. - Nous faisons des propositions soit directement au normalisateur international qu'est l'IASB, soit avec ou à travers la Commission européenne. Je terminerai en disant qu'à l'Autorité des normes comptables, nous faisons énormément de propositions, sur le fond, sur la forme, sur l'organisation et sur les procédures ; nous allons publier un document sur les questions de « court-termisme » et sur le cadre conceptuel de l'IASB.
M. Philippe Marini, président. - Mais pour vous, le Parlement n'est pas concerné ?
M. Jérôme Haas. - Tout d'abord, le Parlement européen porte une vision critique de l'adoption des normes ; quant au Parlement français, il est à mes yeux le gardien et le garant de la partie dont je n'ai pas parlé, c'est-à-dire des normes françaises...
M. Philippe Marini, président. - Qui n'intéressent plus personne.
M. Jérôme Haas. - Qui sont la partie invisible du dispositif sans laquelle ce dispositif ne fonctionnerait pas.
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes donc chargés de l'invisible.
M. Jérôme Haas. - Il est absolument fondamental de dire que ces normes existent, qu'elles reposent sur des lois, que ces lois sont mises en oeuvre, utilisées, que ces normes sont simples, sûres, stables, et que c'est ce qui permet de distribuer des dividendes sur des bénéfices effectivement réalisés, de payer ses impôts, de produire des statistiques.
M. Philippe Marini, président. - Je vous ai un peu provoqué. La parole est à Monsieur Michel Prada, en sa qualité de président du board des trustees de la fondation IFRS. Qu'il veuille bien nous dire par quel paradoxe nous nous trouvons, au sein de l'Union européenne, dans un processus d'adoption de normes mondiales, alors que les Américains conservent des normes américaines. Peut-on nous dire quel est le sens d'une normalisation européenne, faite entre gens convenables et avertis, en lien avec le Parlement européen, mais sans vrai débat démocratique sur rien, et alors que la question de la réciprocité est éludée ?
M. Michel Prada, président de la Fondation IFRS. - Il y a un peu plus de dix ans, les responsables des marchés financiers mondiaux, ayant constaté la montée en puissance des US GAAP (Generally Accepted Accounting Principles), adoptés par un nombre croissant d'entreprises mondiales et en particulier européennes, ont milité pour que la normalisation comptable internationale « ne se fasse pas dans le Connecticut », pour reprendre la formule de Paul Volcker. Ils se sont mis d'accord à Sydney en 2000, avec le soutien de la SEC (Securities and Exchange Commission), pour réformer le système de normalisation utilisé pour les cotations internationales, en reconnaissant un corps de trente-neuf normes, le Core Standards de l'IASC. A la suite à cette décision, le normalisateur international a été réformé en profondeur, avec la création d'une fondation, dont la présidence a été confiée à Paul Volcker, et qui devait faire en sorte que les normes délivrées soient aussi satisfaisantes que possible pour les opérations internationales. Cet objectif a été atteint. Aujourd'hui, les normes internationales sont reconnues sur tous les marchés significatifs du monde, en particulier aux Etats-Unis, qui ont en 2007 accepté les IFRS pour la cotation à New-York des entreprises étrangères. La SEC est aujourd'hui organisée pour travailler sur les IFRS, et ses comptables sont formés aux IFRS.
En 2002, un accord entre la SEC, le FASB américain (Financial Accounting Standards Board) et l'IASB a porté sur la mise en place d'un processus de convergence vers le même standard international. Ce processus a duré dix ans, il a été difficile, il est en cours d'achèvement dans l'inachèvement. Des progrès significatifs ont été accomplis des deux côtés, et il reste aujourd'hui quatre grands sujets en cours de traitement. Mais, alors que Chris Cox, le président de la SEC, avait annoncé qu'une décision interviendrait certainement fin 2011, Mary Schapiro, qui lui avait succédé, totalement submergée par les conséquences du Dodd-Frank Act, considéra qu'elle ne pouvait pas prendre de décision en raison des difficultés internes aux Etats-Unis. D'où la situation actuelle : les Etats-Unis continuent à ne reconnaître que la valeur des US GAAP sur le plan domestique, mais ont reconnu la validité des IFRS sur le plan international.
L'enjeu est aujourd'hui de négocier une solution avec les Etats-Unis, pour laquelle les autorités politiques américaines ont manifesté leur intérêt et leur soutien. Je rappelle que tous les communiqués du G20, au niveau des chefs d'Etat comme des ministres des finances, rappellent la nécessité d'aller vers « des standards uniques mondiaux de qualité » (« a global set of high quality international accounting standards »). Le processus est en cours, je suis bien sûr personnellement très déçu que nous n'ayons pas réussi à y parvenir plus vite, mais je ne désespère pas. Je vois dans les déclarations publiques - et en particulier dans les trois discours prononcés le 30 mai dernier par le président du FASB, le chief accountant de la SEC, et Ellisse Walter, commissaire de la SEC - des encouragements à l'adoption des normes internationales. Je pense donc que nous devons continuer à faire pression sur les États-Unis pour qu'ils aillent dans cette direction, tout en demeurant réalistes : c'est un très grand pays, qui représente encore aujourd'hui près de 40 % de la capitalisation boursière mondiale, doté depuis des décennies d'un standard extrêmement proche de la philosophie des IFRS, et marqué par une préférence pour ses propres dispositifs. Accepter une normalisation internationale est une évolution politique difficile pour les Américains. Je pense que nous y parviendrons.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour cette présentation très claire, qui appelle notre attention sur des éléments fondamentaux du débat. La parole est à Didier Marteau pour nous exposer les aspects économiques de la question : quel rôle ont eu les normes comptables dans l'apparition et la diffusion de la crise financière ? Les normes comptables sont-elles neutres économiquement ? Quel est le débat de fond dans la querelle entre les normes européennes et américaines ?
M. Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe. - La question de la juste valeur, ou fair value, illustre le mieux l'écart entre les normes comptables au service de l'économie et les normes comptables actuellement appliquées. Un exemple : la banque américaine Goldman Sachs possède un stock de produits dérivés de 1 000 milliards de dollars, appréciés à la juste valeur. Pour la Société générale, ce sont 400 milliards d'euros, pour des fonds propres de 50 milliards d'euros ; de même pour BNP Paribas. L'enjeu de l'évaluation de ces portefeuilles est donc colossal, d'autant plus que leurs variations, à la juste valeur, entre dans le calcul du résultat et des rémunérations des opérateurs de marché.
C'est aussi un sujet d'actualité puisqu'au mois de décembre dernier, la Commission européenne a adopté, après consultation de l'EFRAG, la norme IFRS 13 qui prévoit que, dans l'hypothèse où des transactions sont observables sur un marché, d'actions, d'obligations, de devises, la meilleure estimation de la juste valeur est le prix de marché. La norme dit aussi que si des transactions ne sont pas observables, les banques doivent remplacer le prix de marché par un prix de modèle. Il y a alors deux cas de figure : ou bien le prix de modèle est établi sur la base de paramètres observables, en fonction par exemple de volatilité observée sur des produits comparables, ou bien le prix de modèle est établi sur la base de paramètres non observables. Les banques peuvent donc valoriser une partie de leur portefeuille de dérivés au prix de modèle sur la base de paramètres non observables ! Cela doit nous réveiller.
Les traders ont d'ailleurs des expressions pour cela. La valorisation au prix du marché, ils l'appellent le mark-to-market ; la valorisation au prix de modèle sur la base de paramètres observables, de niveau 2, le mark-to-model ; et la valorisation au prix de modèle sur la base de paramètres non observables, de niveau 3, le mark-to-myself... Et les variations latentes de ce portefeuille sont enregistrées dans le résultat !
Cela pose deux questions économiques. Est-ce qu'un prix de marché, associé à un volume de transactions faible, particulièrement dans une crise de liquidité, est pertinent pour évaluer un stock d'actifs ? Vous me demandiez si les normes étaient neutres : lors de la crise, le prix des actions s'est effondré, le volume des transactions également, les banques ont dû valoriser leurs actifs à la valeur de marché, sur la base de faibles volumes de transactions, d'où des pertes comptables, donc des fonds propres en diminution et la nécessité de vendre des actifs risqués à un mauvais moment...
Ma deuxième interrogation concerne le prix de modèle de niveau 3. Est-il anecdotique dans l'évaluation du portefeuille ? Chez Goldman Sachs, 99,8 % sont évalués sur la base d'un prix de modèle ; le portefeuille évalué en niveau 3 représente 15 milliards de dollars. A la Société générale, 92 % est évalué en prix de modèle, dont 20 milliards de dollars en prix de modèle de niveau 3, sur la base de paramètres non observables.
Même si cela va être révisé dans la prochaine norme IFRS 9, vous pouvez encore aujourd'hui valoriser au prix de marché votre propre dette. Dans ce cas, si l'entreprise va mal, la valeur de sa dette diminue, ce qui permet de dégager un résultat positif ! Ainsi, en décembre 2011, sur les huit milliards d'euros de résultat de la Société générale, 1,2 milliard d'euros est lié à la dégradation de sa dette. L'ordre de grandeur est le même pour Goldman Sachs, autour d'un milliard de dollars.
En conclusion, vous voyez que les normes comptables ne sont clairement pas neutres et qu'elles ont encore du chemin avant d'être au service de l'économie.
M. Philippe Marini, président. - Ce sont des sujets loin d'être neutres, mais trop sérieux pour être décidés par un Parlement, même européen... Jean-Luc Decornoy, en tant que président de KPMG France ayant la pratique professionnelle, comment avez-vous vécu cette période de transformation ? Comment vivez-vous, par ailleurs, cette dualité entre les entreprises se finançant sur le marché et qui doivent informer le marché selon les normes du marché, et les entreprises de la bonne vieille économie territoriale qui demeure dans le système comptable et juridique traditionnel ? Le débat entre normes européennes et normes mondiales est-il un vrai débat, ou est-ce joué d'avance ?
M. Jean-Luc Decornoy. - Si c'était joué d'avance, je ne serais pas venu. Les IFRS nécessitent selon moi des améliorations. Les IFRS ont montré qu'elles servaient à quelque chose, en particulier à avoir une vision immédiate de l'entreprise et ainsi, sous les réserves rappelées par le professeur Didier Marteau, à réaliser des transactions plus rapidement.
Il y a des conséquences négatives. Par exemple, aujourd'hui, il n'y a plus d'obligation d'amortir annuellement le goodwill ; ainsi, on a constaté une augmentation de 10 à 15 % du prix d'acquisition des entreprises depuis quelques années, l'amortissement n'étant plus dans le compte de résultat. Mais le jour où il faut déprécier ce goodwill en raison d'une baisse des prévisions, la chute est plus brutale. Il y a donc de ce point de vue un caractère procyclique.
Par ailleurs, les départements financiers des entreprises ont deux façons de voir les choses : celle des normes françaises et celle des IFRS. Si j'ai une supplique à faire au Parlement, c'est de ne pas étendre les IFRS aux petites et moyennes entreprises (PME), car vous finiriez de les achever.
M. Philippe Marini, président. - Voilà une expression intéressante !
M. Francis Delattre. - Elles sont déjà mal en point !
M. Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France. - Justement ! En effet, les grandes entreprises et les PME ont des approches différentes. Pour les dirigeants de PME, structures souvent familiales, l'important n'est pas de connaître la valorisation de son entreprise mais d'apprécier sa performance économique. Or, cet aspect est complètement obéré par les normes internationales.
Les IFRS ont une approche strictement financière, ce qui est un peu dangereux aujourd'hui. En effet, sachant la valeur de l'entreprise, l'investisseur qui s'y intéresse s'attend à avoir un rendement suffisamment élevé en fonction du prix d'achat, ce qui met une pression financière, sans considération économique, sur les opérateurs.
Les normes IFRS sont issues de la volonté d'avoir un Esperanto, un langage commun entre les normes européennes et les normes anglo-saxonnes. Il faut s'adapter, mais le problème n'est pas là.
Un autre problème réside dans le fait que l'Europe et les États-Unis ont une approche différente sur un point. Les Américains sont rule based , c'est-à-dire qu'ils appliquent la règle en prévoyant tous les cas de figure possibles. Il suffit donc d'appliquer bêtement la règle prévue dans le recueil. A l'inverse, les IFRS ont pour avantage que l'on peut s'adapter. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que les cabinets d'audit européens sont de très grande qualité, sans doute meilleurs que les cabinets américains, car nous recrutons au sein des meilleures écoles, alors qu'un diplômé de Harvard n'ira pas dans un cabinet d'audit aux Etats-Unis.
M. Philippe Marini, président. - Nous prenons note de votre supplique. Philippe Messager, vous exercez votre activité chez EDF, soit une taille d'entreprise particulière, au contact des marchés chaque jour. Vous êtes également président de l'association française des trésoriers d'entreprises : y aurait-il, comme l'indique Jean-Luc Decornoy, deux mondes différents, celui des entreprises familiales et celui des grandes entreprises se finançant sur le marché ?
M. Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise. - Je souhaite apporter mon point de vue de praticien. Dans une entreprise, il y a quatre références comptables : la comptabilité sociale, la comptabilité fiscale, les normes IFRS et les normes US GAAP pour les entreprises cotées aux États-Unis. EDF n'est pas cotée aux États-Unis, mais Veolia, où j'ai précédemment travaillé, l'était ; cela implique un corpus supplémentaire de règles.
M. Philippe Marini, président. - Quelle charge supplémentaire cela représentait-t-il pour Veolia ?
M. Philippe Messager. - Plusieurs millions d'euros par an. Cela concerne des entreprises comme Alcatel, Orange, Arcelor Mittal, Total, Sanofi, etc.
M. Philippe Marini, président. - On peut comprendre que les émetteurs soient favorables à un système global...
M. Philippe Messager. - Il y a une tentative de convergence, mais on en est encore loin. Les IFRS ont une approche conceptuelle, alors que les US GAAP se fondent sur des respects de seuils et de probabilités.
Il existe un autre corpus de normes qui a pris le dessus sur les autres : c'est celui des agences de notation. Aujourd'hui, il n'y a pas un projet chez EDF qui ne soit pas analysé sous l'angle de la méthodologie des agences. Je rappelle qu'au 31 décembre 2012 la dette nette d'EDF était de 39 milliards d'euros. Si l'on tient compte de l'appréciation de Standard & Poor's, en y ajoutant la provision pour risque nucléaire, la dette s'élève à 74 milliards d'euros ; pour Moody's, elle s'élève à 64 milliards d'euros. Sur les marchés, ce sont ces éléments qui sont pris en compte par les investisseurs et les analystes. Il y a donc des retraitements importants à faire sur les informations fournies par les documents de référence.
M. Philippe Marini, président. - Les agences raisonnent-elles en normes américaines ?
M. Philippe Messager. - Elles raisonnent selon leur propre méthodologie. Un exemple : l'État doit à EDF un montant de contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour 4,9 milliards d'euros au 31 décembre 2012. Après discussions avec notre actionnaire de référence, nous avons pu considérer que cette créance venait en réduction de la dette globale du groupe. Sur les deux agences, l'une, Standard & Poor's, a accepté cette déduction ; l'autre, Moody's, non !
M. François Marc, rapporteur général. - Pour ma part, je me réjouis de l'idée qui a conduit à organiser ce matin cette audition, car elle nous permet de mieux appréhender une réalité tout à fait inquiétante.
Quelle est la denrée principale qui s'échange aujourd'hui dans le monde ? C'est l'information, qui circule à grande vitesse. Cette information est-elle fiable, est-elle biaisée ? C'est une question que l'on peut avoir à l'esprit. Pour prendre un exemple, lorsque le présentateur du journal de vingt heures annonce que les chiffres du produit intérieur brut ne sont pas ceux que l'on attendait, les mines s'assombrissent dans les chaumières et chacun va se coucher en pensant que le bonheur intérieur brut n'est pas au rendez-vous, parce que cette information laisse entrevoir une perspective inquiétante, sombre. L'information peut être source de confiance ou d'inquiétude. L'information comptable doit-elle donner une image fiable, sincère, fidèle ? Nous en sommes tous persuadés : c'est l'objectif à atteindre. Les propos que nous venons d'entendre démontrent, s'il en était besoin, que l'on peut avoir des inquiétudes sur ce point. Il est clair que, pour des parlementaires, la question est fondamentale, parce que si l'information sur laquelle nous travaillons n'est pas satisfaisante, cela pose un vrai souci. On entend qu'une banque a dégradé sa propre dette, d'elle-même, dans son bilan, de plus d'un milliard, sans que cela soit en contradiction avec la législation en vigueur. Cela ne peut que nous interroger par rapport à la qualité de l'information dont nous disposons sur la situation des banques.
Après ce propos introductif, j'aurai trois questions.
Je m'inquiétais un peu en écoutant M. Decornoy, parce que j'avais le sentiment que si les PME françaises voulaient obtenir des capitaux internationaux, il était souhaitable qu'elles jouent le jeu de l'information comptable et financière internationale. Or vous nous dites que ce n'est peut-être pas comme cela qu'il faut raisonner, qu'il faut au contraire éviter à tout prix que nos PME s'engagent dans cette voie. Pourriez-vous me repréciser votre réflexion sur ce point ?
Je voudrais ensuite aborder la question de l'articulation des différentes normes comptables, françaises, internationales et américaines et des règles prudentielles, comme celles issues de la directive Solvabilité II. Cet enchevêtrement de normes ne conduit-il pas à une forme de stérilisation de l'action ?
Je m'interroge enfin sur les conditions de certification des comptes. On peut avoir les meilleurs normes comptables du monde, cela ne sert pas à grand-chose sans la certitude qu'elles ont été fidèlement et sincèrement appliquées. On tendrait à être rassurés en vous entendant dire que les cabinets européens sont mieux pourvus en compétences que les cabinets américains, mais l'on peut tout de même se demander si les conditions de certification des comptes des grandes entreprises cotées sont si satisfaisantes que cela ? Y a-t-il encore des améliorations à rechercher pour mieux garantir la fiabilité de l'information comptable et financière ?
M. Michel Prada. - Je ne me prononcerai pas sur cette dernière question. Je n'ai pas le sentiment que les professionnels de la comptabilité américains soient inférieurs aux professionnels de la comptabilité français ou européens, même si on peut en discuter.
Sur les PME, je crois il faut se poser la question de pourquoi il y a autant de PME dynamiques dans des pays qui appliquent des normes comparables aux normes internationales. Je pense notamment aux États-Unis, mais également à un certain nombre d'autres pays car je voudrais vous rappeler qu'il y a aujourd'hui une centaine de pays qui appliquent ou autorisent les normes IFRS et que certains d'entre eux les ont étendus à l'ensemble de leur dispositif. Je pense notamment à la Corée, qui est un pays dont on ne sache pas que les entreprises se portent mal.
Je reconnais volontiers que le problème des petites PME, voire des très petites entreprises, ne se pose pas de manière centrale pour le normalisateur international. Il se pose en revanche de manière sérieuse pour les entreprises moyennes qui ont vocation à aller vers le marché. Aujourd'hui lorsque vous interrogez les spécialistes du capital-risque qui s'intéressent à des PME susceptibles un jour d'aller vers les marchés, ils vous disent qu'ils fonctionnent selon des normes IFRS. L'organisation internationale du capital-risque reconnaît tout à fait ces normes. Il y a probablement une gradation selon la nature des entreprises, selon leur exposition au marché, selon leur problématique de financement.
L'IASB s'occupe du sujet, qui est difficile. Faut-il essayer de développer de normes simplifiées pour les PME ? Faut-il des normes spécifiques ? C'est l'objet d'un débat qui n'est pas tranché à l'heure actuelle. Il existe un référentiel IFRS PME. Il avait été conçu à l'origine plutôt pour des pays émergents. Il est en train d'évoluer vers les pays développés et d'être d'ailleurs adopté par certains d'entre eux. La Grande-Bretagne a failli récemment directement passer aux normes IFRS. L'Italie l'a fait avec beaucoup de difficultés. C'est un sujet compliqué, qui n'est pas binaire. Je ne pense pas que conceptuellement il faille avoir des différences fondamentales entre les entreprises susceptibles de se financer sur le marché - et nous savons qu'avec les règles prudentielles, le marché jouera sans doute un rôle plus important dans le futur en Europe que cela n'a été le cas dans le passé.
Votre question sur l'enchevêtrement de normes prudentielles et comptables est au coeur de notre « dispute ». Il y a pour moi une différence de nature entre la norme prudentielle et la norme comptable, qui a vocation à décrire le mieux possible les opérations, les actifs et les passifs et qui n'a pas à se préoccuper de politique, de stratégie, qu'elle soit de court terme ou de long terme, cela, c'est le problème des choix et des décisions, qui appartient aux acteurs du marchés, aux chefs d'entreprises et aux pouvoirs publics, à travers leurs fonction de régulation. Très souvent, on fait porter au normalisateur comptable la responsabilité de décisions qui sont prises au niveau de la régulation prudentielle. La problématique de l'articulation entre normes comptables et prudentielles est extrêmement difficile. S'agissant de l'assurance-vie, qui pose un problème non réglé sur le plan comptable à l'heure actuelle - il y a des débats très compliqués au niveau des IFRS et des autres normalisateurs - la problématique prudentielle n'est pas en cause. En revanche, les orientations qui sont prises par le comité de Bâle pour les banques ou par les associations d'assureurs pour le secteur de l'assurance, ont des conséquences managériales et macroéconomiques tout à fait considérables. Il faut vraiment faire la distinction entre, d'une part, la recherche difficile menée par le normalisateur comptable d'une représentation aussi complète que possible de la réalité et des performances financières de l'entreprise à destination des acteurs du marché et, d'autre part, les règles prudentielles, les comportement des autorités publiques et des managers.
Le débat du court terme et du long terme est un débat extraordinairement difficile à traiter par la voie comptable. C'est comme si on disait d'un navigateur qui fait actuellement la course du Figaro, qu'il doit se préoccuper uniquement d'arriver à la fin de la course sans se préoccuper de ce qui se passe aujourd'hui, à la minute près, dans sa manière de naviguer.
Il navigue avec des appareils de mesure qui lui donnent instantanément le court terme. A partir de cela, il lui appartient de prendre des décisions qui vont affecter le long terme. Le comptable est d'une certaine manière dans cette contradiction là. On le voit aujourd'hui avec la problématique de Bâle et de la directive Solvabilité.
M. Jérôme Haas. - S'agissant des PME, je serai très catégorique. Si vous faites appel au marché, alors il faut utiliser, pour les comptes consolidés, les normes IFRS. Cela vaut pour toutes les sociétés même petites. Nous avons introduit cette possibilité dès 2004, pour les seuls comptes consolidés. Dès lors que vous évoluez dans un environnement très international, vous avez sans doute intérêt à faire ce grand saut.
Cela ne veut pas dire que l'on ne rentre pas alors dans des problèmes que le G20, réunion après réunion, depuis qu'il existe et sans exception, cite dans ses communiqués comme des problèmes considérables pour les plus grandes entreprises du monde. Si les plus grandes sociétés ont du mal à gérer les problèmes de normes comptables, on imagine bien qu'une société de dix ou quinze personnes, qui souhaite lever des fonds et passe donc aux IFRS, est confrontée à de lourdes difficultés.
Nous avons fait des propositions très précises de simplification. C'est un domaine dans lequel nous commençons, après bien des échecs, à bien nous comprendre avec l'IASB. J'estime à dix ans le délai entre le moment où nous avons dit qu'il fallait simplifier les normes IFRS pour ces entreprises là, qui doivent parler le langage international mais n'ont pas les moyens d'un groupe comme Total, et le moment où elles ressentiront une amélioration. C'est bien parce que nous avons réussi à avoir une influence, ce n'est pas bien parce que c'est trop long.
Néanmoins ce que disait Jean-Luc Decornoy est tout à fait différent, parce qu'il parlait de l'application des normes internationales, de manière obligatoire, à toutes les PME. Sur ce point, je le suis totalement : je crois que c'est complètement inapproprié. Cela correspond à un phénomène mondial. Il n'y a pas de spécificité française. Aux États-Unis, il y a en permanence une forme de révolte des entreprises non cotées contre la vision des marchés qui s'imposent à elles. En Allemagne également. L'expérience de la Corée me laisse encore un peu songeur...
S'agissant de la norme Solvabilité II, il y a effectivement des originalités. La première d'entre elles, c'est que, normalement, on commence par définir la norme comptable et, ensuite, on construit la norme prudentielle, qui s'accroche sur la norme comptable. Dans le cas de l'assurance, comme l'IASB n'arrivait pas à produire la norme comptable, c'est-à-dire à créer un consensus suffisant, on a commencé par construire la norme prudentielle. On a calé la norme de solvabilité, en pleine période de sphère financière triomphante, sur des horizons de court terme, de manière explicite.
M. Philippe Marini, président. - Qui est ce « on », Monsieur le président ? Je crois que dans beaucoup d'esprits, ce qui est en cause c'est ce « on », qui représente une conjonction de personnalités de bonne volonté et de grande expertise, mais qui n'est nulle part. « On », c'est un enchaînement anonyme et, pardonnez-moi de le dire, irresponsable, ce qui, dans l'état actuel de nos sociétés, pose problème.
M. Jérôme Haas. - Sur les normes en matières d'assurance, croyez-bien que nos positions sont très claires pour essayer d'échapper à ce risque d'irresponsabilité. En même temps, nous avons les normes françaises : nous venons de donner un avis au Gouvernement sur la question du traitement de prêts que les compagnies d'assurance pourraient faire, afin que leur comptabilisation et leur dépréciation se fassent comme pour les banques, conformément aux lois de la République. Les règles françaises sont à cet égard tout à fait satisfaisantes et, j'insiste, prudentes. Le comptable est bien confronté à la question du court et du long terme. Le commissaire Michel Barnier a sorti un livre vert, il y a quelques semaines, se demandant s'il y avait des règles contraires à l'objectif d'investissement de long terme et de croissance de nos économies. Il pose notamment la question comptable. Quelques jours plus tard, le président de l'IASB a publié un discours, que je vous invite à lire, qui dit, de la manière la plus nette : « Non, nous sommes contre cette perspective de long terme. Les gens qui veulent se placer dans une perspective de long terme, ce sont ceux qui refusent de mettre leurs moins-values dans leurs comptes ».
M. Michel Prada. - Vous ne pouvez pas dire cela !
M. Jérôme Haas. - Je suis confus, mais c'est bien ce qu'il a dit, vous pouvez le lire sur le site internet de l'IASB : « Nous sommes contre les gens qui veulent cacher la volatilité à court terme ». Il a déclaré au Parlement européen : « La volatilité dans les comptes, c'est la vie et c'est nécessaire ». Cette question du court terme et du long terme est au coeur même des choix comptables. C'est à travers une série d'options techniques et précises que l'on trouve les orientations qui conduisent à regarder le cadran soit en fonction de la valeur instantanée, soit en fonction de l'horizon qui est celui dans lequel vous produisez votre cash-flow.
Pour terminer, je dirai que l'IASB a supprimé de son cadre conceptuel le principe de prudence et le principe de fiabilité qu'évoquait le rapporteur général François Marc. Une de nos propositions concrètes est de restaurer le principe de prudence, pas seulement dans les mots mais également dans les normes, et le principe de fiabilité.
M. Philippe Marini, président. - Nous avons évoqué tout à l'heure la notion de marché, de marché pertinent. Se référer au marché est quelque chose de parfaitement naturel. Quand il n'y a pas de marché et qu'on y substitue des constructions intellectuelles voire personnelles, on ne peut pas faire comme si il y avait un outil de marché. Nous voyons aussi par là la place spécifique de l'entreprise financière par rapport à toutes les autres, dans l'appréciation et la diffusion des risques. Les ordres de grandeur qui ont été cités sont particulièrement parlants.
M. Jean Arthuis. - Il n'est pas simple pour les politiques de s'approprier la problématique des normes comptables. Cela trouve son origine dans l'obligation faite aux gestionnaires publics de rendre compte de leur administration devant les citoyens conformément à la volonté du constituant de 1789. Avec la mondialisation, la donne change : la comptabilité devient le langage de la globalisation et les marchés attendent des informations compréhensibles. L'approche traditionnelle faite de prévisions prudentes a cédé la place à l'arrivée exubérante des marchés et des mouvements instantanés et erratiques que l'on connaît. L'IFRS signe la victoire de la tyrannie des marchés et du court terme.
Les pouvoirs publics doivent se saisir de cette problématique normative et ne pas laisser les seules institutions privées définir elles-mêmes les normes avec la tentation du window dressing. Car lorsque surviennent la crise et les risques systémiques, ce sont les Etats qui sont mis à contribution.
Les principes devraient être les mêmes pour la comptabilité publique et privée. EDF a une créance de 4,9 milliards d'euros sur l'État, mais cette dette de l'État n'est pas retracée dans les comptes de l'État. Il faut sortir de la cosmétique et du bricolage car c'est là que tout se perturbe et se dérègle. C'est dire si le rôle des auditeurs est fondamental. Ont-ils suffisamment d'indépendance ? Certifient-ils de la même manière les comptes d'une entreprise détenue par l'État et ceux d'une entreprise qui ne l'est pas ?
M. Michel Prada. - Le Parlement a mis en oeuvre des normes de comptabilité étatiques modernisées et alignées, chaque fois que possible, sur le secteur privé. La France peut s'enorgueillir d'être au premier rang international au regard de la certification des comptes publics, qui est réalisée par la Cour des comptes. Je n'ai pas vérifié si la créance d'EDF s'y trouve. C'est à la Cour des comptes de le faire. Avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), nous avons fait des progrès considérables. Nous avons maintenant le corpus de normes publiques le plus sophistiqué au plan international.
Il faut rappeler que l'essentiel des normes IFRS, pour l'ensemble des entreprises, reconnait la pertinence du coût historique amorti. La problématique de la fair value s'est posée exclusivement pour les intermédiaires financiers. S'ils jouent sur les deux tableaux en faisant du trading, on retient la fair value. Si on est en trading, les résultats vont en résultat net. Mais si on est dans la catégorie intermédiaire que les Anglais appellent « available for sale », les variations de la valeur de marché ne vont pas au résultat mais au « other comprehensive income » qui est dans le bilan.
M. Philippe Marini, président. - Ceci est en lien direct avec ce que nous avons voté dans la loi bancaire qui correspond à la vision comptable que vient de développer Monsieur Prada.
M. Francis Delattre. - Nous travaillons actuellement au Sénat sur l'optimisation et l'évasion fiscale ainsi que l'abus de droit qui est une question purement juridique. Au niveau de la normalisation comptable, des alertes pourraient-elles être installées ? Comment introduire de l'éthique dans les comptes ? Il y a là une responsabilité globale.
S'agissant de l'économie réelle, à travers les restructurations d'entreprises ou des opérations du type de celle que Carrefour mène pour dissocier fonds de commerce et murs, nous assistons à une prise de contrôle des banques d'affaires. Cela supprime des emplois et ne correspond pas à notre conception de l'économie réelle. Pensez-vous que nous pourrions être mieux informés de certaines opérations qui paraissent, pour le citoyen, être déconnectées de l'économie réelle ?
M. Jean-Paul Emorine. - La période de crise est-elle un moment opportun pour aller vers la normalisation des normes ? Qu'en est-il de l'accès des PME aux marchés financiers compte tenu des rigidités de la fiscalité française ?
M. Philippe Marini, président. - Chacun des membres du panel est donc appelé à réagir, en particulier sur les préoccupations d'isolement de la sphère financière dans un monde artificiel, méconnu, mystérieux, auquel on prête à la fois la surpuissance et les pires pratiques, ce sentiment pouvant être nourri par le caractère incompréhensible ou paradoxal de certaines normes comptables.
M. Didier Marteau. - Je vais vous donner un exemple, tiré de crise financière, qui illustrera vos propos.
Seul le portefeuille de trading est évalué à la fair value et pas les portefeuilles de prêts. Les banques américaines qui avaient accordé énormément de prêts immobilier et, notamment, les fameux subprimes, se trouvaient avec, dans leur bilan, des actifs dont la valeur ne variaient pas, sauf provisions. Cela ne les intéressaient pas de conserver ce portefeuille qu'ils ne pouvaient pas valoriser en fair value.
Des banques d'investissement américaines ont alors titrisé à 80 % les subprimes pour les vendre à des special purpose vehicules qui, pour financer leurs achats, émettaient des titres obligataires eux-mêmes en partie rachetés par les banques, qui récupéraient donc les risques liés au portefeuille de prêts cédé. Mais à partir du moment où il s'agissait de titres, ils devaient être valorisés en mark-to-model niveau 2 ou 3.
Soyons concrets, le prix d'un portefeuille de prêts dépend de trois paramètres : la probabilité de défaut de chaque émetteur mais qui est totalement inobservable, la corrélation des éléments de défaut, également inobservable, et la valeur de recouvrement en cas de défaut qui peut se calculer. Tout cela n'est pas évaluable. Mais parce qu'elles avaient transformés leurs prêts, dont les normes ne permettaient pas de faire varier la valeur dans les comptes, en ces fameux CDO, ces produits titrisés de crédits, qui entrent pour partie dans le mark-to-model niveau 2 et pour partie dans le mark-to-model niveau 3, alors les banques ont eu la possibilité d'enregistrer des plus-values latentes qui amélioraient leur résultat, en fonction d'hypothèses qu'elles posaient elles-mêmes sur le taux de défaut, sur la corrélation des défauts, sur le marché de l'immobilier... Ainsi, ce qui valait au départ 100, vaut ensuite 110 puis 120 puis 130, jusqu'à ce que la représentation comptable rencontre la réalité économique. Alors ce qui était censé valoir 110, 120, 130 ou 150 n'en vaut plus que 20. Malheureusement, les résultats que vous avez distribués, notamment sous forme de bonus, ne sont pas restituables et c'est l'État qui est alors mis à contribution.
La qualité de la certification est un faux débat car il est impossible de certifier des valeurs calculées à partir d'éléments non observables. Il faut être lucide. Or c'est ce qui est écrit dans la norme IFRS 13. Même le meilleur scientifique ne pourra produire d'évaluation.
Prenons, pour finir avec un sourire, un autre exemple de produits évalués en mark-to-model de niveau 3. Ce sont les produits dérivés climatiques, émis par des banques d'investissement. Pour un brasseur, le risque c'est qu'un été frais fasse baisser ses ventes. Un degré Celsius de moins l'été entraîne une baisse des ventes de bières de 7,5 %. Un brasseur peut donc vouloir se couvrir sur les cinq prochaines années contre le risque de baisse de la température au mois d'août dans le sud de l'Europe, en payant 10 millions de dollars pour chaque degré au-dessus de 22 °C et en recevant la même somme pour chaque degré en-dessous de 22 °C. Si ce produit dérivé est proposé et valorisé par une banque d'investissement, nous sommes dans un mark-to model de troisième niveau. Même avec les meilleurs spécialistes, qui est capable de valoriser un produit qui donne dix millions de dollars par variation de degré Celsius à Madrid pendant cinq ans au mois d'août ? L'employé de la banque, chargé des weather derivatives, valorise ce produit de manière non scientifique car aucun scientifique n'est capable de calculer la valeur de ce produit. Et on accepterait que la variation de la valeur fixée par la banque elle-même soit répercutée dans son résultat ?
L'IASB produit une norme IFRS 13 autorisant ce mark-to-model de niveau 3. L'EFRAG a édité un document qui dit que cette norme est bonne parce qu'elle répond à quatre critères relevance, reliability, understandability et comparabilité. Il y a de quoi se poser des questions. C'est un vrai sujet, qui n'est pas celui de la compétence des commissaires aux comptes mais de la norme comptable.
M. Jérôme Haas. - Juste un point sur la fair value. La vision de l'IASB est que, by default, tout est en fair value, c'est-à-dire sauf exception. Toute espèce de complexité additionnelle à un produit élémentaire, y compris un simple livret d'épargne, est considérée comme n'étant pas suffisamment simple pour être traitée autrement qu'en fair value. Ce principe résulte de la confiance que l'on place dans le marché pour définir la valeur d'un produit complexe.
Ce qui nous préoccupe, s'agissant de la norme IFRS 13, c'est qu'elle n'est pas en mesure de nous permettre d'affronter la crise et qu'elle n'est pas applicable, en raison de matrices trop complexes. Elle nécessiterait des montagnes de données que personne n'est en mesure de traiter.
En réponse à Jean Arthuis, un travail monumental a été fait et le vote par le Parlement du hors bilan de l'État est un élément historique. C'est un exemple de transparence source de discipline budgétaire.
M. Philippe Marini, président. - La France est parvenue à un degré d'expertise et de méthodologie très élevé en Europe qu'il nous faudrait valoriser auprès de nos partenaires européens, à commencer outre-Rhin ! Mais nous devrions aussi être exemplaires en matière de convergence des finances publiques.
M. Jérôme Haas. - Nous sommes confrontés à l'hypothèse de l'adoption par l'Europe des normes IPSAS qui sont des normes IFRS pour le secteur public. Aujourd'hui, le travail fait à Bruxelles n'est pas pour nous rassurer sur la capacité que nous aurons à ne pas nous placer au niveau de l'IPSAS board comme nous avons été amenés à le faire en matière privée avec l'IAS board.
Nous avons constaté des déséquilibres dans la manière dont nous marchons vers une norme comptable mondiale. Dans nos recommandations, il y a l'enjeu des PME, mais aussi celui des pays pauvres pour lesquels les normes doivent être adaptées à leurs besoins. Le processus de mondialisation de nos règles nécessite de l'équilibre. Cela passe par la restauration du principe de prudence et de fiabilité.
M. Jean Arthuis. - Je voudrais interroger le président Haas sur l'espoir qu'il a de voir au moins les pays de la zone Euro converger dans leurs normes de présentation des comptes publics. Il y a dans nos dettes latentes les difficultés que peuvent connaître d'autres membres de la zone euro.
M. Philippe Marini, président. - C'est peut-être le président Prada qui répondra à cela. Je voudrais joindre à cette question un constat tout récent. Je suis allé lundi en Slovénie, qui a des problèmes de gestion et de maîtrise de son secteur bancaire, sachant que celui-ci a une activité très classique de crédit aux entreprises. C'est un secteur bancaire non sophistiqué qui ne s'est pas adonné aux farces et attrapes des marchés à terme et de dérivés. La question qui se pose est celle de la valeur de ces créances au bilan des banques. Selon les chiffres qui circulent, le montant total des créances douteuses détenues par ces banques pourrait atteindre sept milliard d'euros, pour un PIB slovène de 35 milliards d'euros. Cela fait apparaître le dilemme habituel entre risque bancaire et risque souverain, d'où le lien avec la valorisation des engagements financiers des États. Cela met également l'accent sur la solidarité qui existe au sein de la zone euro : la valeur des créances sur les entreprises slovènes, elle nous concerne, parce que nous paierons peut-être quelque chose, le Mécanisme européen de stabilité, dont nous sommes actionnaires et coresponsables, devrait, d'une manière ou d'une autre, à un moment ou à un autre, être mis en route.
M. Michel Prada. - La Commission européenne a pris conscience de la gravité de ce sujet, de l'absence de dispositif harmonisé s'agissant de la comptabilité générale des États de l'Union, et a donc demandé à Eurostat de faire un travail sur le sujet. Eurostat a cru dans un premier temps que la solution consistait à « acheter sur étagère », comme cela avait été fait pour les normes IFRS, un standard international autoproclamé, qui est le standard de l'IPSAS Board, organisation qui dépend de l'organisation mondiale des comptables, l'IFAC. Après avoir examiné cette affaire et reçu de la part de la France des avertissements très sérieux - j'ai moi-même écrit sur le sujet très fermement - , la Commission européenne a bien décidé de ne pas retenir les IPSAS, contrairement à ce que disait Jérôme Haas tout à l'heure, de s'en inspirer le cas échéant et de travailler sur des EPSAS (European public sector accounting standards).
M. Jérôme Haas. - Ce sont les IPSAS qui s'appliquent sauf exception...
M. Michel Prada. - Tout l'enjeu pour nous - et le Conseil de normalisation des comptes publics est particulièrement mobilisé sur ce sujet, de même que l'ensemble des directions compétentes du ministère - est que soit construit un système de normalisation européen approprié et que dans le cadre de ce système soient adoptées des normes cohérentes avec les spécificités du secteur public. Nous sommes dans ce processus actuellement. La Commission européenne a tout récemment organisé un colloque, auquel j'ai participé. Elle doit publier un rapport sur le sujet dans les prochaines semaines. Mon sentiment personnel est que, comme nous sommes, nous Français, très bien placés du point de vue de notre dispositif conceptuel, il faut que nous militions pour que nos idées soient retenues dans toute la mesure du possible. Cela ne signifie pas qu'il faut ignorer ce qui peut se faire au niveau des IPSAS ou des IFRS, mais il importe que la France soit très présente dans ce dispositif. Je ne crois pas que les IPSAS seront la référence européenne.
Il y a par ailleurs un processus de globalisation qui s'attache à la réforme du système de normalisation pour le secteur public, qui est un problème là aussi très difficile et pour lequel il est nécessaire de composer avec les différentes cultures et les différents points de vue.
Je voudrais répondre très brièvement à la question très intéressante que le sénateur Jean-Paul Emorine a posé pour savoir si une crise est un facteur de progrès. Je crois qu'hélas oui. C'est peut-être un aspect positif de la crise que de révéler un certain nombre de contradictions et de faiblesses. Je voudrais en citer quelques exemples. Les normes comptables ont eu une part de responsabilité dans la crise, comme les normes prudentielles, comme le comportement des acteurs et comme la gestion de la globalisation économique qui est à l'origine de tout cela. On est en train d'y porter remède.
Premier exemple, les normes comptables ont permis une déconsolidation, une externalisation du risque, en dehors des bilans bancaires, par la titrisation évoquée par le professeur Marteau, ce qui n'aurait pas été possible si on avait eu à l'époque une bonne approche de la notion de contrôle, les Américains ayant été leaders dans l'approche qui a malheureusement été retenue. En se fondant sur une conception très étroite de la notion de contrôle, les Américains ont autorisé le processus de déconsolidation qui a été à l'origine de la crise par l'externalisation du risque. Cela a fait que les régulateurs bancaires mondiaux ont pu écrire en avril 2007 que le système bancaire était robuste. Mais il était robuste dans la mesure où les risques avaient été externalisés, par la titrisation, dans des special purpose vehicles. Voilà un point qui a été traité.
M. Jérôme Haas. - Cette norme a été changée par la crise, mais l'IASB a récemment émis une norme qui baisse la garde.
M. Michel Prada. - Deuxième exemple, le portefeuille de trading évoqué par le professeur Marteau à juste titre, dans lequel les banques ont réinternalisé le risque qu'elles avaient externalisé était considéré dans les règles bâloise comme un portefeuille liquide qui ne nécessitait pas de fonds propres. Cette règle a été changée et aujourd'hui le trading nécessite des fonds propres.
Troisième exemple, les règles de provisionnement étaient des règles extrêmement classiques, qui étaient des règles destinées à provisionner exclusivement quand les incidents s'étaient produits. Nous travaillons aujourd'hui à une vision plus prospective de la problématique du risque, avec un provisionnement qui devra normalement essayer de prévoir un peu plus le danger que cela n'a été le cas. Les trois exemples sont une réponse à votre question.
M. Jean-Paul Emorine. - Merci.
M. Philippe Marini, président. - Ceci montre que « on » peut également se tromper.
M. Jérôme Haas. - En ce qui concerne les provisionnements, ce n'est qu'à cause de la pression considérable du G20 que l'IASB, qui y avait toujours été opposé, a commencé à travailler à un dispositif un peu plus avancé.
En ce qui concerne les règles de consolidation, la norme IFRS 10 adoptée l'an dernier consiste à baisser la garde en matière de consolidation des special purpose vehicles. L'Autorité des marchés financiers a écrit l'année dernière dans son rapport annuel que cette règle IFRS 10 était une cause potentielle de risque systémique. La France s'est abstenue lors de vote de cette norme l'année dernière à Bruxelles.
En ce qui concerne les normes publiques, Michel Prada a eu la gentillesse de préciser j'étais membre du Conseil de normalisation des comptes publics qu'il préside. Nous avons au sein de ce conseil des discussions dont je suis heureux de voir qu'elles ont porté leurs fruits. Je suis d'accord avec l'idée de chercher à produire un consensus sur normes qui ressemblent aux nôtres. Ce n'est pas du tout ce qui est écrit, ni envisagé. Ce qui est envisagé c'est de dire que nous prenons les normes internationales sauf exception. La Commission européenne dit aux États : « Lorsque vous prendrez des normes qui ne sont pas les normes internationales, veillez à bien les justifier pour que l'on comprenne pourquoi. » Nous sommes entrés en réalité dans la même logique institutionnelle que les normes IFRS, il est vrai avec sans doute un peu plus d'habileté.
Je veux insister sur l'ensemble de ces dangers, car si nous n'y prenons garde, nous allons continuer pour les dix ans à venir à subir les mêmes faiblesses.
Monsieur le Président, au Royaume-Uni, une commission parlementaire se penche exactement sur la question que vous avez soulevé à propose de la Slovénie. Gordon Brown, quand il était premier ministre, avait dû nationaliser deux banques. Il s'était alors interrogé : « Les comptes étaient-ils faux ? » Il est raisonnable, en effet, de penser que les comptes ne donnaient les bons chiffres. Il est donc vital, et c'est ce que fait le Royaume-Uni, de se demander quel a été le rôle des normes comptables dans cette crise et si elles n'ont pas permis de masquer la réalité des valeurs. Michel Prada a admis que les normes IFRS avaient pu jouer un rôle dans la crise, alors qu'un groupe qu'il connaît bien et qui était à l'époque présidé par l'actuel président de l'IASB a dit le contraire en 2008. C'est un grand progrès.
M. Jean-Luc Decornoy. - A l'issue de ce débat, vous comprenez qu'un patron de PME soit rebuté par les IFRS. Il n'y va que s'il y est forcé pour se financer sur les marchés. Il y a un a priori négatif sur ce référentiel, même si son image s'améliore.
Pour rassurer le sénateur Jean Arthuis, nous n'auditons pas différemment une entreprise publique et une entreprise privée. La dette vis-à-vis d'EDF existe bel et bien, mais elle n'apparaît que dans les comptes combinés de l'Agence des participations de l'État.
En ce qui concerne la certification des comptes, Didier Marteau a montré les problèmes de valorisation auxquels sont confrontés les commissaires aux comptes. Lors de la crise financière, nous nous sommes réunis au sein du département des marchés financiers de la compagnie nationale des commissaires aux comptes afin d'avoir une position commune. J'étais un de ceux qui considéraient qu'il était impossible de certifier les comptes. Nous avions une pression énorme : on nous disait de prendre garde à ne pas alarmer les marchés. Mais chacun doit prendre ses responsabilités. En réalité, il est impossible de certifier des comptes dans ce cadre-là, que ce soit pour les banques, les fonds communs de placement ou les fonds monétaires.
S'agissant de l'optimisation fiscale, ce n'est pas notre rôle de vérifier cela. Nous pouvons regarder si l'entreprise a fraudé, mais nous ne pouvons par définition pas nous immiscer dans la gestion de l'entreprise. Ce sont les contrôleurs des impôts qui ont toutes les informations pour faire ce type de contrôle. Les seuls documents de référence permettent déjà de donner des informations sur le montant des impôts payés.
M. Francis Delattre. - L'OCDE nous dit qu'elle a un problème de comptabilité dans les échanges d'informations...
M. Jean Arthuis. - La question se pose en effet sur les prix de transfert.
M. Philippe Marini, président. - Nous pourrons évoquer ces questions lors de l'audition prochaine de Pascal Saint-Amans, directeur du centre des études fiscales de l'OCDE.
M. Jean-Luc Decornoy. - Sous la pression des pouvoirs publics, toutes les entreprises doivent désormais donner les informations pour justifier les prix de transfert. Les commissaires aux comptes peuvent donc vérifier leur pertinence, mais ce n'est pas un problème de normes.
Nous nous demandons s'il faut deux référentiels, européen et américain. En Allemagne, il y a trois états : un état pour les impôts, un état pour les comptes sociaux et un état pour les comptes consolidés. Faut-il aller vers cette situation ? Ce serait très bénéfique d'avoir un seul langage commun.
Par ailleurs, je suis heureux que l'on parle de retour au principe de prudence dans une vision prospective, qui est un retour au bon sens.
M. Philippe Messager. - D'un côté, il y a les normes comptables et la sphère financière et, de l'autre, il y a les normes et la sphère des entreprises. Nous ne sommes pas sur les mêmes niveaux de risques. Pour les entreprises, les normes ont apporté des bases de comparaison et ont permis à certains groupes européens de participer à la mondialisation.
Mais il ne faut pas faire de l'art pour l'art. Or, aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on se complaît dans un nombrilisme normatif, déconnecté des besoins des entreprises. Par exemple, lorsqu'une entreprise constitue des positions de change, la norme IS 39 ne vous permet pas de compenser les positions de sens contraire car ce n'est pas considéré comme une position de couverture. De la même manière quand il s'agit de couvrir une campagne de promotion.
Pour Carrefour, nous avons parlé de la dissociation entre l'activité commerciale de cette entreprise et les infrastructures utilisées : les IFRS ont apporté une réponse intéressante, puisqu'on va considérer l'activité dans son ensemble et pas seulement l'activité commerciale. En effet, pour pouvoir vendre convenablement, on a besoin d'infrastructures, donc les normes permettent de consolider ces actifs à travers des règles particulières
Aujourd'hui, les normes comptables pourraient nous amener à pratiquement sombrer dans le ridicule : lorsqu'une entreprise loue un appartement pour un cadre expatrié, les normes comptables vous invitent à consolider l'appartement en question ! Il faut garder à l'esprit le substrat économique et les besoins économiques. Un analyste me disait récemment que, pour apprécier un crédit, il n'avait besoin que de l'EBITDA, mais d'un EBITDA pur, débarrassé des événements exceptionnels comme par exemple les plus-values de cession.
M. Philippe Marini, président. - Merci à nos intervenants. Nous avons vu qu'il s'agit d'un sujet qui, au-delà de sa technicité, peut susciter quelques passions.
Règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012 - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
Au cours d'une deuxième séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de loi n° 1083 (AN - XIVème législature) de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012.
M. Philippe Marini, président. - La loi de règlement des comptes doit être considérée comme un rapport de gestion. Elle ne bénéficie malheureusement pas d'une grande popularité et fait figure d'outil technique alors qu'elle devrait constituer un fondement pour préparer le budget de l'année suivante.
Je relève plusieurs spécificités du présent projet de loi de règlement. Tout d'abord, il correspond à un budget de transition qui reflète une gestion partagée de l'exercice 2012. Il a, en effet, été voté par l'ancienne majorité mais amendé dans le cadre de la loi de finances rectificative (LFR) d'août 2012 pour traduire les priorités de la nouvelle majorité.
Ensuite, il a été préparé postérieurement à la mise en place du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Conformément au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG), la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques dispose que le HCFP se prononce sur la trajectoire de solde structurel avant le dépôt du projet de loi de règlement.
Enfin, ce texte comporte pour la première fois un article liminaire qui présente le solde structurel et le solde effectif des administrations publiques.
Je vous laisse la parole, monsieur le ministre, pour un exposé liminaire, avant les questions du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. - La loi de règlement permet un regard rétrospectif sur l'année 2012. Certaines questions ont déjà été abordées dans le cadre de l'audition relative au programme de stabilité qui s'est tenue au Sénat le 17 avril dernier. Cette audition avait, en effet, déjà été l'occasion d'aborder certains développements sur les principaux résultats de l'exécution 2012.
La présentation du présent projet de loi de règlement appelle deux motifs de satisfaction.
Le premier résulte de la transparence accrue que le projet de loi permet, à la faveur des procédures de certification et de contrôle. En effet, pour la septième année consécutive, les comptes de l'Etat ont été certifiés par la Cour des comptes, ce qui permet d'en garantir la sincérité et la régularité au Parlement et aux citoyens. Cette certification intervient dans le contexte de la mise en place complète du système « Chorus », qui permet de doter l'Etat d'un outil moderne de gestion budgétaire et comptable. Ce chantier, d'une ampleur exceptionnelle, a été mené à bien, en dépit de certaines difficultés, grâce à la mobilisation forte de l'administration. De même, une transparence accrue également a été permise grâce à l'insertion, dans le projet de loi de règlement, d'un nouvel article, dit « article liminaire », en application de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Cet article liminaire présente ainsi un tableau de synthèse qui retrace le solde structurel et le solde effectif de l'ensemble des administrations publiques pour l'année 2012. Conformément à l'article 23 de la loi organique précitée, le HCFP s'est prononcé sur le respect des objectifs fixés pour l'année 2012 par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012-2017. Cette transparence nouvelle, avec l'avis public d'un organisme indépendant, a été voulue par le Gouvernement, avec un large soutien des parlementaires ;
Le second motif de satisfaction a pour origine le respect de l'objectif de réduction du déficit budgétaire, alors même qu'il était ambitieux et que la conjoncture et l'état des finances publiques que nous avons trouvés en arrivant aux responsabilités ne nous ont pas facilité la tâche. Ainsi, ce projet de loi de règlement confirme, contrairement à ce que j'ai pu entendre ici ou là, la réduction du déficit budgétaire de l'Etat, qui s'élève à 87,1 milliards d'euros - après 90,7 milliards d'euro en 2011 - malgré la stagnation de l'activité en 2012 conduisant à un moindre dynamisme que prévu des recettes. Je rappelle à cet égard que la loi de finance initiale (LFI) était construite sur une hypothèse de croissance du PIB de 1 % alors que la croissance a été nulle. Comme l'a dit le Premier président de la Cour des comptes, « les nouvelles recettes fiscales ont joué un rôle prépondérant dans l'amélioration du solde budgétaire ». Sans elles, le déficit public aurait été de l'ordre de 5 points et demi de PIB. De, même, la prise en compte de la dotation au Mécanisme européen de stabilité (MES) et de la recapitalisation de Dexia, qui n'étaient pas prévues en LFI, ont pesé sur le déficit budgétaire 2012. Il ne fait pas de doute qu'il était impossible de compenser en cours d'année ces dépenses exceptionnelles qui se sont élevées à 9,3 milliards d'euros.
La Cour a certifié les comptes de 2012 avec sept réserves, dont cinq réserves substantielles, en réduction par rapport aux sept réserves substantielles émises en 2011, résultat de meilleurs contrôles et des efforts du Gouvernement pour améliorer la transparence. Je me réjouis de progrès accomplis en 2012. Le Premier président de la Cour des comptes a lui-même souligné leur importance : après « l'essoufflement de la trajectoire d'amélioration de la qualité des comptes entamée en 2007 », il y a eu un « véritable redémarrage des chantiers » en 2012.
Par ailleurs, la Cour des comptes s'est interrogée sur le niveau des recettes de TVA, qui ont été inférieures de 3 milliards d'euros par rapport à nos prévisions faites à l'occasion de la présentation du collectif budgétaire d'automne, le 14 novembre 2012. Je tiens à expliquer cet écart, qui résulte notamment de trois éléments combinés.
D'abord, la croissance a finalement été nulle, alors que nous prévoyions une croissance de 0,3 %. Le ralentissement a été assez marqué en fin d'année, puisque la croissance du dernier trimestre a été négative. Cela a impacté à hauteur de 900 millions d'euros le rendement des recettes de TVA.
Ensuite, dans un contexte économique difficile, les Français ont privilégié les produits de première nécessité, taxés à taux réduits. Cet effet de structure a réduit de 600 millions d'euros les recettes de TVA.
Enfin, on a constaté un changement dans le comportement des entreprises. Alors que beaucoup d'entre elles demandaient de moins en moins systématiquement le remboursement de leurs crédits de TVA, elles l'ont fait de façon plus systématique en 2012 en raison d'une conjoncture plus délicate. Ce dernier facteur aurait produit une diminution de 400 millions d'euros du rendement de la TVA.
Au total, on voit que la conjoncture, particulièrement détériorée sur le dernier trimestre de 2012, explique 2 milliards d'euros de moindres recettes de TVA. Un milliard d'euros d'écart par rapport à notre prévision reste donc, à ce jour, inexpliqué.
Nous ne savons pas si cela reflète des changements de comportement, avec une évolution des pratiques de consommation, ou bien des phénomènes de fraude. Mais nous serons en mesure de préciser ce point d'ici la fin de l'année 2013.
Quoiqu'il en soit, je tiens à nuancer cet écart. Ce milliard d'euros représente en effet un montant faible par rapport au produit global de la TVA, puisqu'il en constitue moins de 1 %.
De manière plus générale, l'amélioration du solde budgétaire a été rendu possible par une stricte maîtrise de la dépense de l'Etat qui, y compris dette et pensions, a connu une baisse historique de 300 millions d'euros, alors même que des risques de dérapage avaient été identifiés par la Cour des comptes, pour 2 milliards d'euros à l'été 2012.
Pour ce faire, nous avons pris des dispositions pour que la gestion 2012 soit exemplaire : nous avons ainsi mis en place un surgel de 1,5 milliard d'euros dès le mois de juillet 2012 ; les crédits mis en réserve n'ont pas été dégelés en cours d'année, à l'exception des crédits nécessaires à la couverture des dépenses urgentes, comme les retraites et les bourses ; et nous avons donc pu anticiper les décisions de fin de gestion, avec une réserve de précaution qui s'élevait en effet à 5,9 milliards d'euros le 1er novembre 2012.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, l'effort de la maîtrise de la dépense a été « significatif ».
La Cour des comptes a aussi indiqué, dans son rapport sur les résultats de la gestion budgétaire 2012, que les normes de dépenses ont été strictement respectées : les dépenses sous norme « zéro valeur » ont baissé cette année de 2,2 milliards d'euros ; et les dépenses de masse salariale ont, quant à elles, été quasiment stables.
De même, les schémas d'emplois ont été respectés et même au-delà, avec 27 182 équivalents temps plein (ETP) en moins, contre une baisse de 26 123 ETP prévus par la LFR de fin d'année. Ce résultat s'explique notamment grâce à des suppressions de postes supérieures aux prévisions dans le secteur de la Défense.
Nous avons également maîtrisé l'évolution des dépenses d'assurance maladie, car l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) exécuté a été finalement inférieur de près de un milliard d'euros à l'objectif voté par la précédente majorité.
Au final, les dépenses publiques ont, en 2012, progressé de 0,7 % en volume, contre 0,9 % en 2011 et plus de 1,7 % ces cinq dernières années.
Dans ce contexte, j'ai un peu de mal à comprendre les accusations de laxisme, qu'elles visent la dépense de l'Etat ou celles de la sécurité sociale. Ce Gouvernement a procédé à un pilotage rigoureux des finances publiques et ne mérite pas le procès d'une dérive des comptes publics puisqu'il a fait mieux que les objectifs que s'était fixés le Gouvernement précédent. Le Gouvernement a donc réussi à s'engager sur la voie du sérieux budgétaire.
L'ajustement structurel total est globalement en ligne avec les objectifs de la loi de programmation des finances publiques, qui prévoyait un ajustement de 1,2 point de PIB potentiel. En 2011, le déficit structurel était encore supérieur à 5 % du PIB, ce qui signifie qu'en 2012, nous avons ramené le solde structurel au niveau qu'il avait atteint de 2007. La Cour des comptes a qualifié un tel ajustement de « très significatif », et pour cause, le dernier précédent d'un tel effort remonte à 1996, pour la qualification à l'euro, soit il y a plus de 15 ans.
Cet effort a également été rendu possible par des mesures en recettes.
Le Gouvernement assume parfaitement d'avoir fait porter l'ajustement principalement sur les recettes, ce choix s'expliquant par l'urgence : comme vous le savez, les mesures de prélèvements sont d'effet immédiat, tandis que les économies appellent un travail en profondeur, marqué par un dialogue entre les administrations, un échange approfondi avec les collectivités territoriales et une modernisation de l'action publique.
Je me contenterai de rappeler que sur les 22 milliards d'euros de hausse d'impôt de 2012,7 milliards d'euros ont été votées par l'actuelle majorité et 15 milliards d'euros par la précédente.
Pour ce qui concerne l'année 2013, et afin de répondre à la question de savoir s'il faut ou non déposer un collectif budgétaire, je tiens à rappeler, avant d'entrer dans le débat, deux des finalités d'un collectif budgétaire : premièrement, informer le Parlement sur l'exécution budgétaire et sur les prévisions de recettes et de dépenses de l'Etat, en actualisant le solde de déficit des administrations publiques, à travers l'article liminaire qui ouvre désormais chaque loi de finances ; ensuite, faire adopter des mesures fiscales nouvelles.
Le premier point est satisfait puisque le Parlement reste pleinement informé de la situation budgétaire. Depuis le début de l'année, il y a eu trois auditions à l'Assemblée nationale et deux au Sénat, consacrées à l'exécution 2012 ou au programme de stabilité. Elles ont permis d'aborder la situation des finances publiques à de nombreuses reprises. Et je suis à nouveau auditionné ce jour.
À l'occasion de la transmission du programme de stabilité, les prévisions de recettes et de déficit ont été actualisées par rapport à la LFI. Ainsi, le niveau du déficit a été porté de 3 % à 3,7 %, les prévisions de recettes fiscales ont été revues de plus de 8 milliards d'euros, celles des administrations de sécurité sociale de plus de 3 milliards d'euros, les droits de mutations à titre onéreux ont également été revus à la baisse de près de 2 milliards d'euros compte tenu de la réduction des transactions immobilières. Au total, les recettes publiques ont été révisées à la baisse de 14 milliards d'euros, soit 0,7 point de PIB, ce qui explique le passage d'un déficit public de 3 % en LFI à 3,7 % dans le programme de stabilité. L'objectif de dépense est, en effet, resté inchangé.
En outre, toutes les demandes d'information émanant des commissions des finances des deux assemblées sont satisfaites. Le Gouvernement est donc totalement transparent et ne cache pas la réalité de la situation budgétaire au Parlement. De plus, nous allons nous revoir souvent, et le débat sur les orientations de finances publiques (DOFP) permettra de préciser nos prévisions. Nous nous reverrons encore en octobre prochain à l'occasion de la présentation du budget 2014.
Par ailleurs, le Gouvernement a fait le choix de ne pas ajouter l'austérité à la récession et donc de laisser jouer les stabilisateurs automatiques en recettes. Autrement dit, les moins-values constatées au premier semestre ne seront pas compensées par un tour de vis fiscal. Il convient de ne pas accroître le risque récessif.
Je peux d'ores et déjà vous donner des indications sur ce que devrait être le solde budgétaire de 2013, même si l'appréciation de la situation est encore difficile, le contexte étant instable. Alors que la LFI pour 2013 prévoyait un déficit budgétaire de 61,5 milliards d'euros, une fois financé l'impact du budget rectificatif de l'Union européenne pour 2012, contre 87,1 milliards d'euros en 2012, le déficit budgétaire a été revu à la hausse de près de 7 milliards d'euros à l'occasion du programme de stabilité, pour s'établir à 68,3 milliards d'euros.
Un aléa baissier - qui reste à confirmer et affiner - existe sur cette prévision, compte tenu des recouvrements de TVA. Je tiens néanmoins à porter à votre connaissance les résultats du mois de mai. La situation mensuelle budgétaire à fin avril, publiée le 7 juin dernier, faisait apparaître un rendement de la TVA très en-deçà des prévisions, avec une TVA en baisse de 2,3 % par rapport à la fin avril 2012. Néanmoins, les résultats de mai sont bien meilleurs, puisqu'à fin mai, les recettes de TVA sont en progression de 1,5 % par rapport à la fin mai 2012. Il existe donc un aléa baissier limité sur la TVA. Mais les recouvrements sont erratiques et, bien que suivant la situation de près, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions : nous avons besoin de davantage de mois de recouvrements pour affiner notre prévision.
Voici le détail de notre prévision issue du programme de stabilité. Les recettes de l'Etat ont été revues à la baisse de 8 milliards d'euros, compte tenu du niveau de la croissance en 2012 - zéro pour cent, contre 0,3 % estimé en LFI - et de la révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2013 - soit 0,1 %, contre 0,8 % escompté au moment du PLF. Les recettes d'impôt sur le revenu (IR), assises sur les revenus 2012, ont été revues à la baisse, à hauteur d'un milliard d'euros. Les recettes d'impôt sur les sociétés (IS) ont été revues à la baisse de 2 milliards d'euros pour prendre en compte à la fois l'impact de la croissance de 2012 et celle de 2013. Le résultat fiscal de 2012 sera, en effet, vraisemblablement moins élevé que notre prévision au moment du collectif de l'automne 2012, ce qui impactera les acomptes versés en 2013. La révision à la baisse de la croissance de 2013 impacte quant à elle le bénéfice fiscal 2013, et donc le rendement de l'acompte de décembre, appelé cinquième acompte. Les recettes de TVA ont quant à elles été revues à la baisse de 4,5 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros au titre de l'effet base 2012, et le reste au titre de la révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2013. Les recettes provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE) ont également été revues à la baisse de 400 millions d'euros, en prenant en compte les recouvrements constatés.
En sens inverse, nous prévoyons une charge de la dette moins importante que prévu, et ce pour près de un milliard d'euros, compte tenu des taux d'intérêt qui sont restés bas.
Enfin, la maîtrise de la dépense de l'Etat sera, comme pour l'exercice 2012, exemplaire. Nous voyons à cela deux raisons.
Tout d'abord, la qualité de notre budgétisation initiale puisque nous avons rebasé cette année, en présentant ainsi au Parlement une budgétisation plus sincère. Ainsi, à titre d'exemple, les crédits dédiés aux bourses ont été rebasés de 200 millions d'euros et ceux de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) de plus de 600 millions d'euros. Je rappelle que pour ces deux dotations, la Cour des comptes avait fait état, dans son audit indépendant des finances publiques, de risques de dépassement de 400 millions d'euros - à hauteur respectivement de 100 millions d'euros et 300 millions d'euros.
Ensuite, parce que nous avons mis en place en 2013 les conditions d'une gestion exemplaire de la dépense de l'Etat, tout comme nous l'avons fait avec succès en 2012. Ainsi, un surgel de 2 milliards d'euros a été mis en place dès le début de l'année. Il doit permettre d'absorber le surcoût de notre contribution au budget de l'UE, lié à l'adoption du budget rectificatif européen 2012 en fin d'année 2012, qui n'avait pas pu être intégré dans la budgétisation initiale. Il doit également permettre de financer en gestion les mesures supplémentaires décidées pour l'emploi, compte tenu de la priorité donnée à l'inversion de la courbe du chômage. Tout comme l'an dernier, seules les dépenses strictement nécessaires seront dégelées en cours de gestion, permettant ainsi de mobiliser pleinement la réserve de précaution pour assurer le respect de notre trajectoire en dépense.
En effet, nous serons exemplaires sur la maîtrise de la dépense publique. Et les résultats 2012 le prouvent puisque nous avons divisé par trois en 2012 le rythme de progression des dépenses publiques par rapport au rythme des dix dernières années.
En 2014, nous irons encore plus loin, avec une baisse de 1,5 milliard d'euros des dépenses de l'Etat hors dette et pensions. C'est la première fois qu'un budget sera construit sur la base d'une baisse de dépenses de 1,5 milliard d'euros. Mais nous avons choisi la stabilisation en 2013, car comme l'a indiqué le Premier président de la Cour des comptes « les logiques de rabot ont des limites ».
Avant d'approfondir la maîtrise de la dépense de l'Etat, nous avons préféré prendre le temps de l'analyse et de la concertation, avec la modernisation de l'action publique (MAP) notamment, mais également le processus budgétaire. La construction du budget 2014 est en cours et je serai en mesure de vous présenter les plafonds de crédits par mission et les perspectives pour les années qui viennent au moment du débat d'orientation des finances publiques.
M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie le Ministre pour la qualité de cette présentation et notamment pour les précisions que vous nous avez apportées sur la situation en 2013, qui répondent à l'inquiétude née des chiffres publiés ces dernières semaines. En effet, les chiffres que vous avez donnés pour le mois mai sont rassurants par rapport aux impressions que nous avions jusqu'en avril, en particulier s'agissant de la TIPCE ou de la TVA. La commission des finances du Sénat ne demande d'ailleurs pas de loi de finances rectificative : nous faisons confiance au Gouvernement pour la conduite des affaires.
Je tiens également à rendre hommage à l'action que vous menez depuis quelques mois et qui nous permet d'envisager, dès la reprise, une correction de trajectoire dans l'esprit de la perspective pluriannuelle que vous avez rappelée. Néanmoins, je souhaiterais vous poser quelques questions relatives d'une part aux comptes de l'Etat et d'autre part à l'exécution budgétaire.
Mes premières questions rejoignent les auditions organisées ce matin par la commission des finances sur les normes comptables : le Premier président de la Cour des comptes a estimé récemment que « les autorités ne se préoccupent pas suffisamment des normes comptables applicables aux administrations publiques ». Il a rappelé qu'une reprise trop large et systématique des normes IPSAS (International Public Sector Accouting Standards) par l'Europe n'était pas souhaitable en raison de leur complexité, de leur instabilité et de leur inadaptation à certaines spécificités du secteur public. Pouvez-vous nous apporter quelques éclairages concernant la position du Gouvernement sur ce sujet ?
Par ailleurs, la commission des finances a, de longue date, émis des observations sur le recensement et l'évaluation des dépenses fiscales. Celles-ci sont stables à hauteur de plus de 70 milliards d'euros, mais sans que l'on puisse apprécier la fiabilité de cette mesure. Quelles initiatives sont envisagées afin de fiabiliser leur coût ? Quelles seraient, le cas échéant, les limites d'une telle démarche ? Avez-vous effectué des choix de hiérarchisation sur les niches sur lesquelles il faudrait travailler à l'avenir ? Envisagez-vous de réduire la portée de certaines d'entre elles ?
S'agissant de l'exécution budgétaire, l'Etat a fait le choix de percevoir, en 2012, une partie de ses dividendes sous forme d'actions. La Cour des comptes a considéré que « ce renoncement à une recette en numéraire de 1,4 milliard d'euros, qui augmente la dette de l'Etat à due concurrence, est critiquable dans un contexte où les recettes fiscales sont affectées par la baisse de la croissance économique ». Certes, il s'agit uniquement de 1,4 milliard d'euros, mais c'est une question de principe. Pouvez-vous exposer les critères qui ont conduit à effectuer ce choix, et s'ils relèvent d'une logique générale ou s'ils sont liés à l'analyse de circonstances particulières ?
Enfin, la Cour des comptes a souligné que le plafonnement des impôts et taxes affectés aux opérateurs n'a conduit à reverser au budget de l'Etat que 100 millions d'euros, alors que l'augmentation de ces ressources s'est élevée à 414 millions d'euros en 2012. Quel bilan le Gouvernement dresse-t-il des mesures de plafonnement des taxes affectées aux opérateurs ? Y aura-t-il des renforcements pour 2014 ?
M. Bernard Cazeneuve. - La première question qui m'a été posée concerne le travail mené au niveau de l'Union européenne (UE) sur les normes comptables applicables aux administrations publiques. La réflexion européenne sur les normes vise à harmoniser les différents dispositifs comptables des Etats membres. Le 6 mars 2013, la Commission européenne a remis au Conseil européen et au Parlement européen, un ensemble de documents en faveur de l'adoption de normes pour le secteur public fondées sur les droits constatés. Nous travaillons conjointement avec le Premier président de la Cour des comptes sur ce sujet, et je partage son sentiment : ces normes ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités des administrations publiques. Nous nous investissons dans la poursuite de la discussion avec la Commission européenne sur ce point et nous plaiderons pour que les Etats membres adaptent leur comptabilité en droit constaté, pour qu'elle soit plus transparente et permette de recenser les passifs. Les normes doivent s'inspirer des pratiques déjà existantes dans les Etats membres, et la France a de l'avance : nous sommes, à ma connaissance, le seul pays de l'UE à procéder à une certification de nos comptes, et nous avons déjà l'expérience de sept années de certification.
S'agissant de l'inventaire des niches fiscales pour permettre de mieux les maîtriser, je reconnais que des progrès ont été réalisés par le précédent Gouvernement.
M. Philippe Marini, président. - Ah ! Au moins ça !
M. Bernard Cazeneuve. - Oui, et j'en attends un retour, un jour, monsieur le Président ! 50 % des dépenses fiscales font l'objet d'une évaluation qualifiée de bonne ou de très bonne. Il faut continuer le travail, examiner dépense fiscale par dépense fiscale et ministère par ministère. Dans le cadre de la préparation du PLF 2014, nous nous sommes engagés dans des travaux approfondis pour évaluer l'efficience de chacune de ces niches fiscales, afin de proposer des plafonnements ou des remises en cause. Je souhaite que ce travail soit présenté au Parlement, afin d'engager une démarche partenariale et de progresser sur ces questions.
Concernant les dividendes, je vous rappelle que la perception d'un dividende sous forme de titres en numéraires est totalement neutre pour le déficit public : la manière dont l'Etat perçoit le dividende n'est pas un sujet mais peut avoir un impact sur la dette. Elle peut entraîner un coût de trésorerie de court terme pour l'Etat, et c'est peut-être critiquable pour la Cour des comptes dans un contexte de faible rentrée des recettes fiscales. Mais il ne faut pas négliger le fait que certaines décisions de l'Etat à caractère patrimonial, de long terme, ne peuvent être analysées à travers le seul prisme de l'intérêt budgétaire de court terme, et doivent aussi tenir compte du caractère volatil de l'évolution des cours de bourse. Nous sommes sensibles à la politique patrimoniale de l'Etat, par exemple dans le cadre du Conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE) qui s'intéresse particulièrement à la question de la valorisation à long terme des actifs immobiliers de l'Etat.
Le budget 2012 a été construit sur un rendement de 191,4 millions d'euros au titre du plafonnement des taxes affectées aux opérateurs. Le rendement a été très légèrement supérieur, à 198,7 millions d'euros. Cette évolution témoigne de l'efficacité de cet outil, renforcé en LFI 2013 car le champ des taxes affectées plafonnées a été élargi, et est passé de 3 milliards d'euros en LFI 2012 à 5 milliards d'euros en LFI 2013. La loi de programmation des finances publiques prévoit de réduire le plafond des taxes affectées de 165 millions d'euros en 2014 par rapport à 2012. Comme pour les dépenses fiscales, cette question sera détaillée à l'occasion du PLF 2014, et fera l'objet d'un débat au Parlement dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques.
M. Jean Arthuis. - Les comptes 2012 mettent en évidence les réponses apportées à la crise des dettes publiques en Europe : lorsqu'un Etat membre de la zone euro est en difficulté, il faut apporter une contribution soit directement sous forme de prêts bilatéraux, soit en dotant en capital le Mécanisme européen de stabilité. Il va donc falloir que la situation soit parfaitement claire entre tous les membres de la zone euro, et c'est pourquoi nous vous encourageons à faire pression sur vos collègues s'agissant des normes comptables. Pensez-vous que des progrès significatifs pourront être accomplis ?
Vous avez souligné votre attachement à la sincérité des comptes, or EDF a constaté une créance sur l'Etat à hauteur de 4,9 milliards d'euros, en raison de l'insuffisance de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Ne pensez-vous pas qu'il serait judicieux de constater ces 4,9 milliards d'euros au bilan de l'Etat ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je souhaiterais aborder la question du collectif budgétaire : je pense qu'il devrait y en avoir un, car un collectif budgétaire est nécessaire pour assumer une politique nouvelle. La psychologie a aussi son importance en matière économique et budgétaire : votre politique n'est pas la nôtre. Par ailleurs, je n'observe pas de correction significative susceptible de me rassurer pour 2013. Le laxisme n'est pas au rendez-vous, avez-vous dit, mais les résultats ne le sont pas non plus ! Je crois que nos administrés pourraient accepter le matraquage fiscal si nous étions persuadés qu'il permet de rétablir l'équilibre budgétaire. Or, ce n'est pas le cas.
Ma question porte sur la situation patrimoniale, et par ailleurs je remarque une dégradation de celle-ci de 81 milliards d'euros par rapport à 2011. J'ai noté qu'il y avait eu une revalorisation des actifs routiers : comment a-t-elle été effectuée ?
M. Jean-Claude Frécon. - Je suis le rapporteur spécial chargé des engagements financiers de l'Etat. Le compte général de l'Etat annexé au projet de loi de règlement 2012 marque des progrès dans le recensement et l'évolution des engagements hors bilan de l'Etat. Ces travaux ont fait l'objet d'une enquête demandée par la commission des finances du Sénat à la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), ayant donné lieu à une audition pour suite à donner, le mois dernier, en présence des magistrats de la Cour et des administrations concernées. Je souhaitais appeler votre attention sur cette question et savoir quelles suites vous entendez donner aux recommandations formulées par la Cour des comptes dans cette enquête et reprise par notre commission des finances. En particulier, la recommandation n° 4 prévoyait une information du Parlement dès lors qu'en cours d'exercice, un engagement hors bilan significatif connaît une croissance rapide de son encours, ou une hausse de sa probabilité de réalisation. Car nous n'en sommes informés qu'en fin d'année et je pense qu'à tout le moins, une lettre du ministre aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances du Parlement serait la bienvenue.
M. Roland du Luart. - J'ai le privilège d'être entré au Parlement en 1977, et à cette époque, il n'y avait pas de déficit. Les temps ont changé. La situation actuelle est préoccupante. Ne pensez-vous pas que l'excès d'impôt tue l'impôt, et pèse sur les recettes fiscales ? Vous avez évoqué 14 milliards d'euros de recettes fiscales de moins que prévu. Le Gouvernement Fillon a augmenté les impôts de 31 milliards d'euros, le PLF 2013 prévoit une nouvelle hausse de 36 milliards d'euros, soit 67 milliards d'euros prélevés sur les entreprises et les ménages. Est-ce que cela ne cause pas l'étouffement de la croissance ? J'appartiens à cette commission depuis 27 ans, et je n'ai jamais vu une telle fiscalité pesant sur l'ensemble des contribuables ! D'où ma question : quelles sont les réductions de dépenses publiques que vous allez annoncer en 2014 ?
M. Vincent Delahaye. - Je me réjouis de constater que les réserves substantielles formulées par la Cour des comptes dans le cadre de la certification des comptes sont passées de sept à cinq. Quels chantiers sont en cours pour que ces réserves diminuent encore ?
Par ailleurs, quand verrons-nous les effets de la modernisation de l'action publique (MAP) ? Les dépenses salariales n'ont pas dérapé en 2012 grâce au non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, mais l'abandon de cette politique ne va-t-elle pas entraîner une hausse de ces dépenses ?
Qu'en est-il de la taxe à 75 % : est-elle abandonnée pour 2013 ? Et quand pourrait être mise en place la réduction du plafonnement du quotient familial ?
Je souhaiterais également avoir une précision sur les chiffres relatifs aux variations de recettes de TVA que vous avez donnés : correspondent-ils aux variations mensuelles ou aux variations cumulées sur l'année ?
Enfin, êtes-vous en mesure de respecter le seuil du déficit fixé à 3,7 % du produit intérieur brut (PIB) ? Car un dérapage serait particulièrement mal venu dans la mesure où deux ans de répit ont été accordés à la France.
M. Roger Karoutchi. - Vous avez dit que la diminution des recettes fiscales de 11 milliards d'euros aboutissait à un déficit à hauteur de 3,7 % du PIB. Selon les prévisionnistes, la situation ne sera pas meilleure au second semestre, d'où un risque de perte de recettes fiscales estimée à 17 voire 19 milliards d'euros, ce qui aboutirait plutôt à un déficit de l'ordre de 4,1 % du PIB. Dans ce contexte, n'envisagez-vous pas une remise en cause de certaines dépenses publiques ? Des membres du Gouvernement reconnaissent eux-mêmes que certains engagements ne sont pas réalistes ou pas efficaces, par exemple sur les contrats d'avenir. Et le printemps exécrable aurait coûté entre 700 millions et 800 millions d'euros à l'économie française ! Pourtant, à part grâce aux mesures de gel ou de surgel, vous ne remettez pas en cause certains éléments de dépenses publiques. Je n'entends pas non plus ajouter l'austérité à la récession, mais ne faudrait-il pas dire que fin 2013, il faudra augmenter les impôts si la situation ne s'améliore pas, sauf à diminuer la dépense publique dans des secteurs qui ne sont pas directement utiles à l'activité économique ?
De plus, on prévoit 3 milliards d'euros de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en moins pour les collectivités territoriales, auxquels s'ajoute la baisse des dotations de l'Etat. Certaines collectivités territoriales - le département de Seine-Saint-Denis, l'Île-de-France ou Paris - sont très dépendantes de ces recettes : il y a un risque qu'elles diminuent leurs activités, leurs interventions, les investissements et concourent finalement à cette récession que vous craignez tant.
Mme Michèle André. - Je voudrais intervenir en tant que rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat ». L'Etat a besoin d'une administration. Or, la révision générale des politiques publiques (RGPP) a consisté en une réduction des emplois. L'administration préfectorale a absorbé toute une série d'évolutions comme par exemple la dématérialisation des actes, la modernisation des titres d'identité et Chorus. S'agissant de Chorus justement, cet outil a été amélioré mais il ne paraît pas encore complètement au point et l'accroissement des délais de paiement reste à déplorer. Dans mon département par exemple, une entreprise chargée de la maintenance à l'atelier aéronautique attendait 500 millions d'euros que ne pouvait pas lui payer, pour des raisons techniques sans doute, le ministère référent. Le risque est double : le dépôt de bilan de l'entreprise concernée et la disparition de capacités de maintenance nécessaires pour le bon fonctionnement des appareils de l'Etat. Ma question est donc la suivante : le fonctionnement de Chorus vous paraît-il satisfaisant, cohérent ou peut-il être amélioré ?
Mme Marie-France Beaufils. - J'aimerais pour ma part savoir si vous avez pu faire une analyse de l'évolution de l'activité économique en fonction des modifications apportées à l'impôt sur les sociétés (IS) en fin d'année dernière. Ces modifications se sont-elles traduites par une baisse ou un maintien de l'activité ? On sait que certaines sociétés ont recours à des mécanismes d'optimisation fiscale et parfois même à la fraude. En agissant sur ces biais, on pourrait améliorer les recettes de l'Etat. Par ailleurs, est-on en capacité de mesurer l'impact des mesures prises ailleurs en Europe sur notre économie ? Enfin, pour revenir sur les propos de notre collègue Roger Karoutchi, les droits de mutation à titre onéreux ont baissé, mais faut-il s'en inquiéter ? Cette baisse traduit une baisse des prix de l'immobilier plutôt souhaitable, dans la mesure où ces prix correspondent désormais mieux à la valeur réelle des biens. Les ménages y trouvent un intérêt et le seul véritable problème réside dans le fait que les ressources des collectivités territoriales sont largement appuyées sur ces droits de mutation.
M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le ministre, merci pour la clarté de vos propos mais ils me semblent néanmoins contenir une contradiction interne. Vous nous dites être conscient du caractère récessif d'une hausse trop forte des impôts et malgré tout vous les avez augmentés. De ce fait, ne doit-on pas craindre une baisse de nos recettes. Je veux rappeler que la dépense publique dans notre pays représente 57 % du PIB, soit un niveau supérieur à la moyenne en Europe. L'objectif majeur consiste à ramener notre niveau de dépense publique à la moyenne européenne. Quelle est votre philosophie en la matière ?
M. Dominique de Legge. - On augmente aujourd'hui les impôts pour réduire le déficit public. En 2014, certaines dépenses vont également être limitées et on voit bien que ce sera notamment le cas des dotations aux collectivités locales. Mais pouvez-vous nous indiquer quels autres postes feront l'objet d'économies ?
La RGPP est remplacée par la modernisation des actions publiques (MAP). Votre collègue Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée à la décentralisation, vient de nous indiquer en séance publique que la MAP n'avait pas pour finalité de régler des problèmes budgétaires. Alors pouvez-vous nous préciser quels sont vos objectifs en matière de rationalisation et de baisse de la dépense publique ?
M. Philippe Dallier. - Je voudrais en venir à la politique du logement. On constate une augmentation des engagements hors bilan mais comment s'explique cette progression. Par ailleurs, au regard de la doctrine établie par Bruxelles, les mécanismes français de défiscalisation réservés aux nationaux font courir un risque juridique et financier à notre pays. Pouvez-vous nous fournir une évaluation de ce risque communautaire ?
M. Jean-Vincent Placé. - Des retards au niveau de la fiscalité écologique sont à déplorer dans notre pays aujourd'hui. Comment comptez-vous avancer sur ce terrain ? A cet égard, je veux rappeler que le Premier ministre avait pris des engagements lors de l'annonce de la mise en place du crédit d'impôt « compétitivité emploi » (CICE). En outre, un protocole vient d'être signé aujourd'hui entre le parti d'Europe écologie-les Verts (EELV) et le parti socialiste. Notre arsenal fiscal est très développé, mais malheureusement la question de la fiscalité écologique est un peu en retard. Je pense par exemple à l'impôt sur le diesel, aux soixante engagements du Président de la République dont l'un portait sur la contribution climat-énergie, à la taxe sur les jets privés, à l'éco-contribution, à la production agricole... Il faut réfléchir à ces sujets à l'échelle du quinquennat, voire de la décennie.
M. Philippe Marini, président. - A la suite de ces nombreuses interventions, je voudrais à mon tour évoquer deux points. Le premier renvoie à la question suivante : faut-il un collectif ? Cette interrogation me paraît un peu prématurée, tout comme la réponse qui pourrait y être apportée. Répondre non, comme le fait aujourd'hui le Gouvernement, me semble aventureux car nul ne peut prévoir l'avenir.
Le second point correspond aux premières analyses livrées par le HCFP. Le Haut Conseil a noté que les dépenses publiques ont augmenté davantage que prévu en 2012 - 0,9 % en volume contre un objectif de 0,4 % - du fait notamment de dépenses exceptionnelles telles que la recapitalisation de « Dexia » ou l'évolution du prélèvement européen. Aussi, je souhaiterais savoir si des dépenses exceptionnelles ont déjà été identifiées par le Gouvernement pour l'année 2013. De même, le HCFP a recommandé, à mon avis de manière fort opportune, de définir de manière claire et précise le périmètre des mesures ponctuelles et temporaires devant être déduites du solde structurel. Quand le Gouvernement pourra-t-il nous apporter des précisions sur l'avancée de ces travaux méthodologiques ?
M. Bernard Cazeneuve. - Je vous remercie beaucoup pour l'ensemble de vos questions. Concernant les normes comptables et le projet sur lequel travaille l'Union européenne (UE), la France figure parmi les pays précurseurs et nous sommes soucieux de pouvoir nous appuyer sur des normes contribuant à la transparence et à la convergence budgétaire. Nous sommes favorables à la poursuite de ces travaux et je dois même vous dire que nous sommes très proactifs en la matière.
M. Jean Arthuis. - Monsieur le ministre, avant d'admettre un nouvel Etat au sein de l'UE, ne pourrait-on pas préciser les obligations incombant à un pays membre dans ce domaine ?
M. Bernard Cazeneuve. - Je crois me souvenir que, lors de l'adhésion de la Croatie, ces questions ont été traitées en même temps que celles concernant les critères purement économiques. Le dialogue autour de ces sujets est toujours très long et tous les thèmes sont abordés.
S'agissant d'EDF, il faut bien constater que le mécanisme de compensation des charges de service public initialement imaginé n'a pas fonctionné, d'où la dette de près de 5 milliards d'euros. L'Etat s'est engagé à résorber cette dette d'ici 2018. Le montant de cette dette figure dans les engagements hors bilan de l'Etat.
M. Jean Arthuis. - L'Etat ne constate pas sa dette ! Ce n'est pas seulement un engagement hors bilan... On fait là de la cosmétique !
M. Bernard Cazeneuve. - Du point de vue comptable il s'agit d'un engagement hors bilan. Il n'y a pas de la part de l'Etat de sorties de ressources. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu ce dispositif hors bilan et que nous avons décidé d'apurer la situation, ce qui n'avait pas été le cas jusqu'à présent. Vous l'avez reconnu vous-même, le système de compensation qui avait été mis en place ne fonctionnait pas. Nous pensons désormais que la situation sera assainie. Cette affaire ne nous est pas imputable mais je sens malgré tout quelques reproches...
M. Jean Arthuis. - Il ne s'agit pas de vous en faire le reproche. Cette dette ne vous est pas imputable, mais il faudra augmenter le prix de l'électricité.
M. Bernard Cazeneuve. - Non, ce n'est pas tout à fait le même sujet. La Commission de régulation de l'électricité (CRE) a indiqué que l'accumulation des dispositifs dans ce domaine n'a pas permis une évaluation du risque à sa juste mesure. Si on voulait répercuter sur les prix de l'électricité le montant restant à percevoir, il faudrait alors augmenter les tarifs de 17 %.
M. Philippe Marini, président. - Il ne s'agit pas d'une critique...
M. Jean Arthuis. - Non, il s'agit seulement de constater une dette dans les comptes de l'Etat.
M. Philippe Marini, président. - Comment comptez-vous régler la question de la nature juridique de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? Est-ce un impôt... ou autre chose ? C'est là un sujet de méthode qui vaut pour aujourd'hui comme pour hier.
M. Bernard Cazeneuve. - La question est légitime et la réponse doit être la plus incontestable techniquement parlant. La créance d'EDF est réglée par la CSPE.
M. Philippe Marini, président. - Si la CSPE est un impôt, alors on parle bien d'une dette de l'Etat.
M. Bernard Cazeneuve. - Si vous estimez que Bercy est en train de faire de la cosmétique sur ce sujet, je suis ouvert à la discussion et nous pouvons retravailler cette question ensemble.
Pour répondre à Marie-Hélène Des Esgaulx et à Roland du Luart, il faut bien admettre une réalité : le précédent Gouvernement voulait baisser de 4 % la pression fiscale mais en réalité il l'a augmentée de 1,5 % en 2011 et 2012, soit un appel à contribution supplémentaire de 35 milliards d'euros. A notre arrivée au Gouvernement, nous avons décidé de tenir les engagements européens de la France et de commencer à agir sur le levier des prélèvements car le calendrier était très contraint. Toutefois, l'augmentation des taux ne rime pas nécessairement avec l'augmentation des recettes et le Gouvernement en est parfaitement conscient. Nous privilégions la modernisation de l'action de l'Etat et la maîtrise des dépenses.
Côté dépense, il faut bien reconnaître que la RGPP avait une « intelligence marketing » en s'appuyant sur l'objectif de non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux...
M. Philippe Marini, président. - Le non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux... partant en retraite !
M. Bernard Cazeneuve. - Quel a été l'impact budgétaire de la RGPP ? 12 milliards d'euros dont 2 milliards ont été rétrocédés sous forme de mesures catégorielles. Au total, la RGPP a permis de dégager 2 milliards d'euros par an.
En 2013, 10 milliards d'euros d'économie sont prévus et nous vérifierons si l'objectif est atteint. En 2014, ce sont 14 milliards d'euros d'économie qui sont envisagés. Nous sommes aujourd'hui dans le temps de la préparation du budget pour l'année prochaine et je préciserai le moment venu où seront réalisées ces économies.
Prétendre qu'il y aurait d'un côté les tenants du matraquage et de l'autre les partisans de la calinothérapie fiscale relève du raccourci. S'il y a bien une différence, elle réside dans le fait que nous n'avons pas adopté les mêmes méthodes, ni ciblé les mêmes acteurs. La MAP correspond à quatorze chantiers, couvrant 20 % de la dépense publique. On peut citer par exemple, dans le champ de cette réflexion, la branche famille de la sécurité sociale avec la baisse du quotient familial mais aussi des économies à hauteur de 780 millions d'euros. Je pourrai citer d'autres domaines comme la formation professionnelle.
Ce qui est vrai c'est que trop d'impôt tue l'impôt, surtout en période de récession, mais aussi que l'impôt doit être juste et ne pas relever d'une logique anti-économique.
S'agissant d'un collectif budgétaire, Marie-Hélène Des Esgaulx a dit quelque chose de très juste : notre désaccord est politique. Pour des raisons politiques, nous ne voulons pas faire de loi de finances rectificative, car nous ne menons pas la même politique économique. D'ailleurs, s'il y avait un lien entre le nombre de lois de finances rectificatives et la réduction des déficits, cela se saurait ! Lors du dernier quinquennat, quinze collectifs budgétaires n'ont pas permis de résorber le déficit. Ce matin, les députés nous ont reproché les dépenses nouvelles non gagées figurant dans la loi de finances rectificative en 2012 - et je pense notamment à la contribution de la France au Mécanisme européen de stabilité. Nous les avons constatées, car pour ce Gouvernement comme pour le précédent, elles avaient le caractère de dépenses exceptionnelles, et il aurait été très compliqué de chercher près 9,5 milliards d'euros d'économies dans les services en cours d'année.
Les routes sont valorisées à 130 milliards d'euros, et la revalorisation des actifs routiers est effectuée au coût de remplacement déprécié ; l'augmentation de la valeur en 2012 tient notamment compte des mises en sécurité et d'une indexation fiabilisée des coûts de reconstruction.
Un travail est mené avec la Cour des comptes s'agissant des engagements hors bilan. Nous faisons nôtre la recommandation n° 4, qui vise à mettre en place une information des commissions lorsqu'il y a des risques d'encours. Cette recommandation est de nature à permettre une bonne information du Parlement mais il faudra être prudent quant à ses modalités de mise en oeuvre en raison des risques que Jean-Claude Frécon a évoqués.
Sur les pistes de progrès en matière de qualité comptable, la Cour des comptes a noté en 2012 une impulsion nouvelle, alors que le rythme s'était ralenti depuis 2007. En 2012, les efforts ont repris notamment en matière de système d'informations. Nous allons poursuivre les efforts pour les sécuriser et optimiser l'utilisation de Chorus, ce qui répond également à une question de Michèle André : l'outil monte en puissance malgré les difficultés rencontrées en 2010 et 2011 - ce qui est fréquent s'agissant d'un outil informatique nouvellement mis en place.
Les chiffres donnés correspondant aux variations de TVA s'entendent cumulés sur le début de l'année, ce qui est plutôt encourageant.
S'agissant de l'analyse des effets de la crise sur le rendement de l'impôt sur les sociétés, nous avons encore besoin de temps, et notamment que soit versé le second acompte, le 15 juin. Je propose de revenir devant votre commission lorsque nous aurons ces éléments. Concernant les éléments qualitatifs, il nous faut analyser plus finement les bases fiscales, ce qui prend également du temps.
L'impact de la récession européenne sur notre économie n'est pas chiffré, mais il est réel.
À Aymeri de Montesquiou, je souhaiterais rappeler que la dépense publique a augmenté de 4 points de PIB au cours du précédent quinquennat. Notre objectif est de la diminuer de 3 points sur cinq ans.
Les aides au logement font l'objet d'un engagement hors bilan à hauteur de 106 milliards d'euros. L'évolution à la hausse est liée à la fiabilisation des données. Par ailleurs, nous avons apuré de nombreux contentieux fiscaux, et nous ne voulons pas en ouvrir de nouveaux. Deux ont été perdus : il s'agit du précompte mobilier, avec un enjeu de l'ordre de 2 milliards d'euros, et le contentieux relatif aux organismes de placement collectif en valeur mobilière (OPCVM), qui représente une charge pour le budget de l'Etat de 5 milliards d'euros. D'où un total de 7 milliards d'euros totalement intégrés dans la trajectoire de nos finances publiques.
Concernant le Haut Conseil des finances publiques qui a indiqué qu'il fallait bien définir les mesures ponctuelles et temporaires, j'ai lu avec attention les propos du Premier président de la Cour des comptes, qui considère qu'il est singulier que l'on mette les recettes gagées en recettes de droit commun, et en dépenses exceptionnelles ce qui peut relever par exemple de Dexia ou d'autres dépenses. Il faut que nous trouvions un accord consensuel avec le Parlement sur les normes et sur les méthodes. Avec les rapporteurs généraux et les présidents des commissions des finances, et en liaison avec le HCFP, nous devons travailler à définir une nomenclature et des normes, qui rendent les mesures incontestables et permettent de travailler dans des conditions de transparence accrue.
M. Philippe Marini, président. - Bien volontiers, monsieur le Ministre !
M. Bernard Cazeneuve. - Un quart du financement du CICE doit provenir de la fiscalité environnementale. Je suis favorable à l'ouverture de ce chantier dès 2014. Il y a des obstacles de nature constitutionnelle sur lesquels nous avons buté par le passé. Je suis favorable à la fiscalité écologique car nous sommes en retard par rapport aux autres pays de l'UE, et car des comportements vertueux peuvent résulter de la mise en place d'une telle fiscalité. Nous devons démontrer qu'elle n'est pas nécessairement anti-industrielle. Il faut que nous travaillions de façon moderne, en prenant en compte les avis et propositions de tous les groupes parlementaires.
Sur les contentieux liés à la défiscalisation en matière de logement, évoqués par Philippe Dallier, pourriez-vous préciser de quelle défiscalisation il s'agit ?
M. Philippe Dallier. - Il s'agit des mécanismes qui incitent les citoyens à acheter des logements neufs, et dont les ressortissants de l'UE non français ne bénéficient pas. Je crains que si la France était condamnée, le coût soit très important. A-t-on anticipé cette charge ?
M. Bernard Cazeneuve. - Une partie de ces contentieux est prise en compte dans la trajectoire. C'est d'ailleurs cette différenciation entre Français et ressortissants de l'UE qui est à l'origine de la condamnation dans le cadre du contentieux sur les OPCVM. Je ne dispose pas d'éléments précis sur cette question, je vous propose d'y répondre par écrit.
M. Philippe Dallier. - Très bien !
M. Jean Arthuis. - Je souhaiterais vous poser une question subsidiaire sur les cadres pluriannuels européens : ils ont été définis pour la période 2007-2014. Or, à la fin de l'année 2012, il y a une différence entre les crédits et les engagements pris, c'est-à-dire des restes à liquider d'environ 200 milliards d'euros. Un collectif budgétaire de 13 milliards d'euros a dû être adopté au plan européen, et qui n'était pas pris en compte dans le calcul de la contribution de la France au budget de l'UE : y aura-t-il des liquidations substantielles en fin d'année qui pèseront sur l'équilibre budgétaire ?
M. Philippe Marini, président. - C'était la question sur les dépenses exceptionnelles prévisibles de 2013, monsieur le Ministre.
M. Bernard Cazeneuve. - Nous ne sommes pas dans cette situation par hasard. Il y a près de sept ans, le précédent budget européen a prévu un niveau de crédits d'engagement à hauteur de 986 milliards. On a décidé que 940 milliards d'euros de crédits de paiement seraient mobilisés pour que les politiques européennes soient mises en oeuvre. Vous le savez, dans le cadre européen, le niveau de crédits de paiement correspond au niveau de crédits d'engagement moins 5 à 7 %.
Ce qui s'est produit et qui explique l'impasse dans laquelle nous sommes et les difficultés que nous avons rencontrées pour négocier le budget suivant, c'est qu'en novembre 2010, certains chefs d'Etat et de Gouvernement, dont le nôtre, ont dit qu'ils n'avaient pas les crédits nécessaires au financement des politiques de l'UE. Donc il y a eu un rabotage délibéré des crédits de paiement, si bien que 865 milliards d'euros ont été effectivement dépensés et non 980 milliards d'euros, et dans le prochain budget nous devons dépenser en réalité 910 milliards d'euros, soit environ 60 milliards d'euros de plus. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais compris pourquoi on présentait le nouveau budget comme étant en baisse par rapport au précédent. C'est totalement faux quand on regarde la réalité des équilibres budgétaires précédents.
Cette politique a des conséquences : en octobre 2012, on s'est demandé comment financer les politiques de l'Union alors qu'il n'y avait plus de crédits - et pour cause. Aussi, nous avons dû abonder de 2,8 milliards d'euros, la France ayant pris à sa charge 800 millions d'euros. Le président Schultz a considéré qu'il ne pouvait pas commencer le budget sans avoir apuré le solde de 13 milliards d'euros. La question est donc de savoir si nous devrons prendre ces 13 milliards d'euros à notre charge. Ils ne seront pas intégralement à notre charge, mais nous les avons déjà été intégrés dans notre trajectoire.
La continuité de l'Etat a ses vertus, elle a aussi ses contraintes. Ceux qui succèdent à ceux qui ont précédé doivent parfois rendre compte des modalités de règlement d'un certain nombre de problèmes qui ne leur sont pas imputables. Nous l'avons prévu, et nous le ferons en 2013, lorsque cet aléa sera acté.
M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Ministre, merci beaucoup pour votre disponibilité et le caractère précis de vos réponses.