- Mercredi 5 juin 2013
- Dispositifs de défiscalisation spécifiques aux outre-mer - Examen des conclusions du groupe de travail
- Ouverture de négociations en vue d'un Partenariat transatlantique - Désignation d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission
- Enseignement supérieur et la recherche - Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
Mercredi 5 juin 2013
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président, et de M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer -Dispositifs de défiscalisation spécifiques aux outre-mer - Examen des conclusions du groupe de travail
La commission, lors d'une réunion conjointe avec la délégation sénatoriale à l'outre-mer, procède à l'examen des conclusions du groupe de travail sur l'impact de la défiscalisation en outre-mer.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous examinons aujourd'hui les conclusions du groupe de travail sur l'impact économique des dispositifs de défiscalisation spécifiques aux outre-mer.
Je vous rappelle que notre commission et la délégation à l'outre-mer, présidée par notre collègue Serge Larcher, ont pris l'initiative à la fin du mois de février de créer ce groupe de travail, à la suite des discussions ayant eu lieu à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2013.
Le Gouvernement doit en effet remettre prochainement au Parlement un rapport visant notamment à étudier l'opportunité et la possibilité de transformer en dotations budgétaires tout ou partie des dépenses fiscales rattachées à titre principal à la mission « Outre-mer ».
Sur ce sujet essentiel pour l'économie de nos outre-mer, il était indispensable que notre Haute assemblée prenne une initiative.
Ce groupe de travail est donc présidé par notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, membre de la commission des affaires économiques. Ses rapporteurs sont Éric Doligé, membre de la délégation à l'outre-mer, et Serge Larcher, président de la délégation à l'outre-mer et membre de la commission des affaires économiques.
Je vous rappelle que les sept autres membres du groupe de travail sont nos collègues Aline Archimbaud, Éliane Assassi, Gérard César, Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Georges Patient et Jean-Claude Requier.
M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer. - Je voudrais remercier le Président Raoul d'avoir accepté cette démarche innovante, associant une commission permanente à la délégation pour travailler sur un sujet majeur pour nos outre-mer. Nous avons effectué un travail de fond pendant deux mois au cours desquels nous avons recueilli un grand nombre de contributions, ce qui nous a permis d'élaborer des propositions riches fondées sur une analyse solide.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, présidente du groupe de travail. - Le groupe de travail qui nous réunit aujourd'hui a tenu sa réunion constitutive le 27 mars dernier, il y a 2 mois révolus.
Notre initiative sénatoriale est concomitante à une démarche gouvernementale menée dans le cadre du comité interministériel sur la modernisation de l'action publique (CIMAP) qui a mis en place un comité de pilotage sur la défiscalisation appliquée aux investissements effectués outre-mer. Ce comité associe, sous l'égide du ministère des finances et de la délégation générale à l'outre-mer (DéGéOM), des députés, des sénateurs, les présidents des assemblées territoriales des outre-mer, les présidents des conseils économiques et sociaux régionaux et des représentants du monde économique (Association des CCI des outre-mer, Instituts d'émissions IEDOM et IEOM, Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux de La Réunion et de Guyane, Fédération des entreprises d'outre-mer).
Cette réflexion gouvernementale répond à un engagement pris pendant l'examen du budget pour 2013 en vue de la loi de finances pour 2014 et est d'autant plus urgente que, d'une part, la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2013 a lourdement compromis le fonctionnement des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer et que, d'autre part, ce régime d'aide fiscale autorisé par la Commission européenne au titre des aides d'État à finalité régionale vient à échéance le 31 décembre 2013. Cette réflexion menée en concertation devrait aboutir courant juin en vue du débat d'orientation budgétaire qui se tiendra fin juin.
De son côté, l'Assemblée nationale a publié un rapport sur le sujet à l'initiative de sa délégation aux outre-mer dès le 14 mai. Ce rapport conclut au nécessaire maintien des dispositifs actuels moyennant quelques préconisations d'adaptations auxquelles, vous le verrez, nous ne souscrivons que partiellement.
Cette étude de l'Assemblée nationale a cependant le mérite d'alerter sur la gravité des conséquences que pourrait avoir une suppression des dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement dans les outre-mer, hypothèse sérieusement envisagée par Bercy en l'absence de toute évaluation.
Aussi nos rapporteurs, Éric Doligé et Serge Larcher, déplorant la démarche consistant à condamner le système existant sans en avoir évalué les apports et, surtout, sans avoir mesuré l'impact de sa suppression, ont décidé de procéder à cette évaluation et, sur son fondement, de formuler des propositions.
Les rapporteurs vont dans un instant vous livrer leurs observations et vous présenter les conclusions de leur travail qui résultent d'une vingtaine d'auditions menées au Sénat, dont une visioconférence avec la Nouvelle-Calédonie, ainsi que des témoignages recueillis au cours d'une mission très dense de trois jours à La Réunion début mai. Ce déplacement nous a en effet conduits à effectuer une vingtaine de rencontres et cinq visites de projets réalisés grâce à la défiscalisation, ce qui a été très utile pour comprendre les blocages et les limites de ces dispositifs.
Je cède maintenant la parole aux rapporteurs qui vont vous exposer un état des lieux de l'utilisation de ces dispositifs fiscaux dans les outre-mer et vous présenter les pistes d'évolution qui nous paraissent devoir être envisagées.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Depuis plusieurs années, j'enchaîne les rapports sur l'outre-mer. C'est passionnant et j'espère faire partager cette passion à certains collègues de l'hexagone. Il faut que le Parlement prenne la mesure de la richesse potentielle considérable qu'est l'outre-mer, très mal mise en valeur jusqu'à présent. J'espère que ce rapport permettra de faire passer certains messages.
Nos travaux ont été menés tambour battant et, en dépit de leur densité, ne prétendent pas à l'exhaustivité. Le caractère extrêmement lacunaire, pour ne pas dire quasiment inexistant, de données mesurant l'impact territorial et sectoriel des dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement dans les outre-mer, illustre une nouvelle fois le désintérêt des gouvernements successifs pour l'évaluation des politiques publiques relatives à ces départements et collectivités.
Une fois de plus, et sous la férule de la contrainte budgétaire, la solution précède la connaissance et l'analyse : la concertation gouvernementale en cours pourrait s'intituler « Chronique d'une mort annoncée » !
La non prise en compte dans le rétro-calendrier de l'échéance européenne du 31 décembre 2013, date butoir de validité des dispositifs en vigueur qui constituent des aides à finalité régionale en droit européen, et le tarissement de la collecte de fonds pour les projets en cours résultant de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2013, indiquent d'ores et déjà la direction ... Ces retards et la focalisation des réflexions sur le seul poids budgétaire des dispositifs fiscaux, doublés d'un ralentissement caractérisé des procédures d'agrément en cours, créent un attentisme des investisseurs et une baisse de niveau de collecte des fonds qui compromettront certains projets en gestation ! - 30 % de fonds collectés à la fin du mois de mai de cette année par rapport à 2012, nous dit le GIFOM. Il est déjà tard pour réagir ; la décision est désormais plus qu'urgente !
Comme l'a rappelé notre présidente il y a quelques instants, notre groupe de travail a avancé à marche forcée pour tenter de dresser un état des lieux et dégager des pistes d'évolution permettant de répondre à une demande d'encadrement renforcé et à un souci d'économie budgétaire.
Partageant le rapport avec Serge Larcher, je vais commencer par un rappel des mécanismes fiscaux en vigueur, de leurs avantages et de leurs inconvénients, avant de présenter leur impact sur le développement des économies ultramarines. Serge Larcher vous soumettra ensuite les pistes d'évolution que nous souhaitons préconiser.
Les dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement outre-mer, qui permettent la fameuse « défiscalisation », consistent à récolter des liquidités auprès de contribuables, personnes physiques ou personnes morales, pour financer la réalisation d'un investissement dans un département ou une collectivité d'outre-mer. En contrepartie, ces contribuables-investisseurs bénéficient d'une réduction de leur impôt sur le revenu ou d'une déduction d'impôt sur les sociétés qui intervient l'année suivant celle de la réalisation de l'investissement. Le taux de réduction varie en matière d'investissement productif, selon le territoire et le secteur concernés.
La réduction d'impôt est cependant plafonnée : depuis la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 qui a supprimé la part variable du plafonnement, le plafond est fixé à 18 000 euros ; il s'agit en outre d'un plafond global qui inclut le plafond de 10 000 euros prévu pour les autres réductions d'impôt.
Le plus souvent, le contribuable-investisseur n'est pas l'exploitant lui-même et les fonds nécessaires au financement de l'investissement sont collectés par des intermédiaires spécialisés auprès de personnes désireuses de réduire le montant de leur impôt. Les frais générés par cette intermédiation, qui couvrent non seulement la collecte mais également la gestion du projet d'investissement et s'élèvent à 5 % à 7 % du montant de l'investissement en moyenne, sont supportés par le contribuable-investisseur.
Les fonds deviennent le capital d'une structure juridique, une société créée ad hoc, qui reste propriétaire de l'investissement réalisé pendant une période légale minimale, en général 5 ans, au cours de laquelle le bien est loué à un prix préférentiel à l'exploitant : c'est la période dite « de portage ». Les contribuables-investisseurs sont actionnaires de cette société. Au terme de la période de portage, la propriété du bien financé est transférée dans le patrimoine de l'exploitant ultramarin. La somme des loyers payés pour l'utilisation du bien pendant la période de portage ou, s'agissant de l'acquisition d'un logement, son prix, est d'un montant inférieur au coût de revient de l'investissement, la différence correspondant à ce que le code général des impôts nomme la rétrocession. Des taux minimaux de rétrocession sont fixés par la loi : pour les investissements productifs, le taux est de 62,5% pour les investissements supérieurs à 300 000 euros et de 52,63 % pour les autres ; pour le logement, le taux est fixé à 65 %. La rétrocession vient diminuer, au profit de l'exploitant ultramarin, le gain que le contribuable-financeur a tiré de sa réduction d'impôt.
Les dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement contribuent aujourd'hui au financement de deux grands secteurs en outre-mer, le logement social et l'investissement productif. Quatre articles du code général des impôts (CGI) constituent leur fondement juridique et décrivent le cadre normatif : champ d'application, conditions d'éligibilité et procédures.
Je ne m'attarderai pas sur le « Girardin immobilier » (article 199 undecies A du CGI) qui prévoyait une réduction d'impôt sur le revenu pour tout contribuable achetant un immeuble neuf outre-mer pour le louer, pendant une période minimale de 5 ans. Ce dispositif, qui a dynamisé la construction dans le secteur intermédiaire et le secteur libre, s'est éteint le 31 décembre 2012. Subsistent cependant sur ce fondement juridique la défiscalisation relative, d'une part, à l'achat d'un logement destiné à servir de résidence principale, réservée aux primo-accédants et pour des surfaces limitées selon la taille de la famille, et, d'autres part, à la rénovation de logements de plus de 20 ans et aux travaux de mise aux normes antisismiques (en vigueur jusqu'à fin 2017).
Trois autres dispositifs de réduction ou de déduction d'impôt soutiennent aujourd'hui l'investissement outre-mer :
- l'article 199 undecies B du CGI, permettant des réductions d'impôt sur le revenu (IR) en matière de soutien aux investissements productifs (le « Girardin industriel ») ;
- l'article 199 undecies C, permettant des réductions d'IR en matière de soutien à l'investissement dans le domaine du logement social (introduit par la loi de développement économique des outre-mer, LODEOM) ;
- l'article 217 undecies, prévoyant des réductions d'impôt sur les sociétés (IS) liées, soit au montant des investissements réalisés dans les outre-mer au titre des articles 199 undecies A, B ou C (investissement productif + logement social), soit à la souscription au capital de sociétés de développement régional des départements d'outre-mer (DOM).
En matière d'investissement productif, sont éligibles les investissements neufs ainsi que les travaux de réhabilitation d'hôtels, mais également, depuis la LODEOM, les activités de recherche-développement et la pose des câbles sous-marins. Sont en revanche exclus un certain nombre d'investissements énumérés par le code tels que ceux réalisés dans le commerce, la restauration, le conseil, l'éducation et la santé, la finance, ou encore les services aux entreprises et les activités de loisirs, associatives ou postales. Sont également exclus depuis 2009 les véhicules de tourisme et, depuis septembre 2010, les équipements photovoltaïques.
Enfin, il existe deux types de procédures : le plein droit et l'agrément.
Le plein droit concerne les projets dont le montant n'excède pas, pour le secteur productif, 250 000 ou 1 million d'euros selon le cas, et pour le logement social 2 millions d'euros. Ce régime est purement déclaratif et, pour les petits investissements d'équipement, les fonds sont mobilisables très rapidement, parfois en à peine quinze jours.
L'agrément s'applique aux projets d'un montant supérieur aux seuils précités mais également aux investissements réalisés dans des secteurs considérés comme sensibles (navigation de plaisance, transports, rénovation d'hôtels). Il nécessite le montage d'un dossier étoffé justifiant notamment de l'intérêt économique du projet et de créations d'emplois. L'instruction est menée, pour les projets les plus importants et l'ensemble de ceux réalisés dans les collectivités d'outre-mer (COM), par la direction générale des finances publiques (DGFIP), et pour les autres par les directions régionales (DRFIP). Les durées d'instruction de la DGFIP excèdent toujours le délai légal de trois mois.
Après ce rappel du cadre normatif et des mécanismes fiscaux, venons-en à leur impact économique pour les outre-mer.
Chaque débat budgétaire remet sur la sellette les dispositifs d'aide fiscale, les fameuses « niches », lourdement connotées en ce qui concerne celles relatives à l'outre-mer, car en dépit des mesures successives de moralisation et des coups de rabot leur mauvaise image perdure. De nombreuses critiques portant sur le manque de lisibilité et de maîtrise des dispositifs, le défaut d'efficience pour l'outre-mer et le poids de la dépense fiscale sont régulièrement dirigées contre ces dispositifs fiscaux, en particulier par l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes. Cette dernière a d'ailleurs préconisé leur suppression pure et simple dans son rapport annuel 2012.
Si la dépense fiscale n'est en effet pas négligeable et si certaines critiques sont recevables, cela doit nous conduire à proposer des améliorations - Serge Larcher s'en chargera tout à l'heure - mais certainement pas à condamner radicalement des dispositifs qui, perfectibles, constituent des ressorts vitaux pour les économies des départements et collectivités d'outre-mer.
Le montant prévisible de la dépense fiscale pour l'État est évalué à environ 1,1 milliard d'euros pour 2013. Ce montant s'était stabilisé depuis 2009 autour de 1,2 milliard d'euros après une hausse constante au cours des années précédentes.
Ce montant place la dépense fiscale pour l'investissement outre-mer bien loin derrière les niches plus coûteuses. Je vous rappelle ainsi que le crédit d'impôt recherche (CIR) devrait coûter 3,4 milliards d'euros en 2013, la TVA dans la restauration 3,1 milliards d'euros ou encore le crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile plus de 2 milliards d'euros.
Les « taux de profits fiscaux » qui pouvaient être élevés pour les contribuables investisseurs sont désormais limités à 18 000 euros par foyer fiscal. La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 a en effet supprimé la part variable de 4 % du revenu imposable au-delà de ce plafond. Cela a pour conséquence de réduire l'intérêt de cet avantage fiscal pour les plus hauts revenus mais également l'inconvénient de restreindre le « vivier » de la collecte et, au final, le nombre d'investisseurs potentiels. Sur les gros projets, cela aboutit à une atomisation de la collecte et à une complexification des montages, ce qui majore leur coût.
La rémunération du contribuable-investisseur et les coûts d'intermédiation des cabinets de défiscalisation sont considérés comme une dépense inutile car elle n'est pas injectée dans les économies ultramarines.
Or, si le bénéfice fiscal réalisé par le contribuable ne doit pas être excessif, cette rémunération est la condition première de l'existence du dispositif ; celui-ci doit rester suffisamment attractif pour drainer les liquidités nécessaires et convaincre les investisseurs potentiels que le risque vaut d'être pris. Il y a en effet toujours un risque de faillite de l'exploitant ou que celui-ci ne respecte pas ses engagements pendant la durée du portage, ce qui peut remettre en cause l'avantage fiscal de l'investisseur.
Concernant les coûts d'intermédiation, qui s'élèvent en moyenne de 5 % à 7 % du montant de l'investissement, ils couvrent à la fois les coûts de collecte, les coûts de montage juridique et financier et les coûts de gestion de la structure de portage pendant cinq ans. Mais, au-delà, les cabinets de montage jouent un précieux rôle d'incubateur et d'accompagnateur de projet ; il s'agit là bien souvent d'une aide technique très appréciable pour les exploitants inexpérimentés.
La critique relative au manque d'efficience paraît quant à elle relever d'une analyse livresque, bien éloignée de la réalité économique.
Cette critique vise à la fois le manque de données disponibles permettant de connaître l'impact financier et économique des dispositifs fiscaux et l'absence de gouvernail dans la mise en oeuvre de la défiscalisation de plein droit.
Le caractère lacunaire de l'évaluation en matière d'aides fiscales de soutien à l'investissement outre-mer n'est qu'une manifestation supplémentaire d'un constat dressé systématiquement s'agissant de l'outre-mer. Mais il est particulièrement choquant ici, dès lors que les deniers publics sont en jeu ! Or, cette mauvaise connaissance est largement imputable à l'administration fiscale qui, concernant le dispositif avec agrément, ne procède pas à l'exploitation statistique des dossiers comme elle devrait le faire et, concernant le plein droit, ne fait pas respecter l'obligation déclarative instaurée en 2007 pourtant punie d'une amende d'un montant égal à la moitié de l'avantage fiscal pour le contrevenant. En outre, le dernier rapport établi par la DGFIP porte sur les années 2007-2009 ! ... rien, depuis !!
Les services de Bercy et l'Inspection générale des finances considèrent que l'efficacité de la défiscalisation en termes d'impact sur la croissance et l'emploi n'est pas prouvée.
Or, comment imaginer qu'une dépense fiscale ayant permis de solvabiliser l'investissement à hauteur de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros chaque année depuis 2005 n'ait pas eu d'effet sur le développement des économies ultramarines ?
Sont également incriminés les effets d'aubaine et les distorsions qui résulteraient des aides fiscales. Sans doute y en a-t-il, comme pour tout dispositif dérogatoire ; mais il revient à l'administration de les déceler, parfois d'empêcher les dérives, et il appartient au législateur de tenter de les prévenir ou d'y remédier.
La bulle photovoltaïque est fréquemment citée en exemple : il y a effectivement eu formation d'une bulle spéculative assortie d'un effet d'éviction pour les autres secteurs éligibles à l'aide fiscale, les dossiers présentés à l'agrément obéissant davantage à des sollicitations financières qu'à une réelle demande économique. Le secteur du photovoltaïque a ainsi représenté le tiers des investissements agréés en 2009. Cet effet d'aubaine n'a pas été anticipé, ni même endigué par une interprétation plus stricte du critère de l'intérêt économique dans la procédure d'agrément ; il a même été amplifié à deux reprises, en 2007 et 2008 par l'annonce du plafonnement des niches fiscales, et à l'automne 2010 par l'anticipation de l'exclusion du photovoltaïque.
Au registre des dérives toujours, l'IGF estime que la défiscalisation « entraîne une allocation du capital favorisant les firmes établies et peut aggraver des rentes et des déséquilibres ». Si le risque d'aggravation du déficit de concurrence existe en effet par un encouragement à la concentration sectorielle du capital, il revient encore une fois à l'administration fiscale de l'apprécier lors de l'instruction de la demande d'agrément. Mais cela suppose une bonne connaissance des situations locales...
Le critère de « la création d'emplois », enfin : si la création d'emploi a été introduite parmi les critères à considérer pour la délivrance d'un agrément, son interprétation restrictive aboutit à des aberrations tant du point de vue du développement économique local que de la mesure de l'efficience des dispositifs en termes de coût. Pour avoir une pertinence économique, l'impact d'un projet sur l'emploi ne doit pas être appréhendé de façon étriquée : doivent être comptabilisés les emplois directs créés, bien sûr, mais aussi les emplois maintenus, ainsi que les emplois induits en amont et en aval lorsque l'investissement s'insère dans une chaîne de production ou contribue à structurer une filière. Aux antipodes de ce raisonnement et sur la base des seuls engagements de création d'emplois directs, l'IGF, se fondant sur une étude de l'INSEE, a pu mettre en avant un coût de la défiscalisation par emploi créé pour 2009 de 220 000 euros pour le plein droit et de 731 000 euros pour les investissements agréés !
On voit donc que le réquisitoire des administrations fiscales peut être en grande partie réfuté si l'on délaisse l'approche exclusivement comptable au profit d'une appréciation de portée plus économique et pragmatique. Ainsi tous les acteurs, à l'exception des administrations fiscales centrales, que ce soit à Paris ou à La Réunion, ou encore pendant la visioconférence avec la Nouvelle-Calédonie, ont unanimement plaidé pour le maintien de la défiscalisation, sa suppression envisagée par Bercy étant perçue comme un scénario catastrophe.
Les dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement répondent en effet à un besoin vital des économies ultramarines.
L'aide fiscale contribue à compenser les contraintes spécifiques imposées aux économies ultramarines.
Les entreprises, dans les outre-mer, doivent faire face à d'importants surcoûts qui ont des origines multiples :
- l'étroitesse des marchés qui empêche les économies d'échelle et nécessite d'importants volumes d'importation,
- des contraintes géographiques fortes telles que l'éloignement et l'isolement, l'insularité et le caractère archipélagique, l'atomisation du territoire (Polynésie), l'immensité terrestre recouverte d'une nature indomptable (Guyane) ou encore l'exposition aux cataclysmes climatiques.
- des communications compliquées et onéreuses,
- des différentiels de compétitivité avec les économies voisines, résultant des normes sociales et environnementales.
Une logique pure d'économie de marché conduirait à la nécessaire disparition de pans entiers des économies ultramarines. Or, peut-on envisager de voir disparaître, par exemple, un secteur agro-alimentaire tendant à limiter la dépendance aux importations, ou un secteur des énergies renouvelables à la pointe de l'innovation ?
Les objectifs de développement endogène et les exigences de solidarité nationale impliquent le maintien de ces dispositifs qui permettent de drainer des liquidités à l'extérieur pour les injecter dans les économies ultramarines.
L'outil de la défiscalisation est en outre particulièrement bien adapté au contexte ultramarin ; les collectivités dotées de l'autonomie fiscale telles que la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie ont d'ailleurs enchéri en mettant en place des dispositifs locaux complémentaires.
En effet, le tissu économique dans les outre-mer est atomisé et constitué à plus de 90 % de TPE-PME. Ces entreprises sont largement dépourvues de fonds propres et ne disposeraient pas du levier nécessaire à l'investissement sans le recours aux fonds extérieurs défiscalisés. Les fonds apportés en défiscalisation sont en effet comptabilisés comme des fonds propres par les banques, ce qui permet d'adosser des prêts. La défiscalisation permet ainsi de surmonter la frilosité des banques.
L'apport défiscalisé représente en général environ 30 % du montant de l'investissement dont il permet d'abaisser le coût pour l'exploitant. Il offre l'avantage, pour les projets relevant du plein droit, d'être mobilisable très rapidement, dans un délai de quinze jours.
L'aide fiscale joue un rôle décisif dans le développement des économies ultramarines.
Hier comme aujourd'hui, les dispositifs d'aide à l'investissement outre-mer répondent aux besoins vitaux des économies ultramarines et dynamisent leur développement.
La défiscalisation joue un rôle décisif dans l'aménagement des grands projets structurants qui permettent d'assurer la continuité territoriale : elle a ainsi contribué à financer, en Polynésie française, le câble numérique Honotua qui a amélioré les services (plus de débit et plus de volume), a permis le développement d'offres plus nombreuses et diversifiées, assurant ainsi aux entreprises polynésiennes la possibilité de créer de nouvelles activités. Elle permet aussi le renouvellement des flottes des compagnies locales, telles qu'Air Tahiti ou Air Austral, la compagnie aérienne de La Réunion.
Le développement du logement social constitue une réussite emblématique : sous l'effet de la mobilisation de la défiscalisation en complément de la ligne budgétaire unique (LBU), la programmation de logements locatifs sociaux neufs dans les DOM a presque doublé entre 2007 et 2012, passant de 4 209 à 7 643. La part des logements locatifs très sociaux (LLTS) a quant à elle plus que triplé pendant la même période (de 858 à 2 771).
La défiscalisation est indispensable au maintien d'un tissu économique vivrier, décisif pour les équilibres territoriaux : il s'agit d'un outil au service des petites entreprises ultramarines qui dominent de façon écrasante le tissu économique. Le montant moyen des dossiers en défiscalisation atteint en effet seulement 30 000 euros. Ils concernent en particulier l'artisanat, l'agriculture et le BTP. En Nouvelle-Calédonie, elle contribue au rééquilibrage du territoire en permettant le financement de projets industriels en Province Nord et dans la Province des îles.
La défiscalisation est porteuse d'espoirs pour le développement des outre-mer :
- elle favorise la structuration de l'économie au service du développement endogène : lors de notre déplacement à La Réunion, nous avons pu constater l'impact de la défiscalisation sur la structuration de la filière agricole animale à La Réunion, avec la mobilisation de l'aide fiscale pour financer par exemple, dans le Sud de l'île, un nouvel abattoir indispensable à la filière et une plateforme logistique. Elle y permet également la structuration de la filière légumière, dont la production nécessite des investissements dans la construction de serres ;
- elle peut permettre de valoriser les potentiels des outre-mer, présents et en devenir au bénéfice de tous, au plan local comme national : elle a ainsi contribué au financement des grandes usines de nickel en Nouvelle-Calédonie et elle pourrait permettre de financer les projets en matière de stockage de l'énergie, problématique qui constitue aujourd'hui une limite au développement des énergies renouvelables. Je vous rappelle que les outre-mer ont un potentiel énorme en la matière et pourraient même devenir des modèles pour notre pays ;
- elle devrait être utilisée pour favoriser une meilleure insertion régionale. Certaines règles visant à encadrer la défiscalisation ont des conséquences aberrantes : à La Réunion, après l'achèvement du grand chantier de la route des Tamarins, on a ainsi laissé à l'abandon des machines-outils plutôt que de permettre aux entreprises concernées de les réutiliser pour des travaux à Madagascar ou à l'Île Maurice. Il conviendrait d'assouplir ces règles : la défiscalisation pourrait contribuer à renforcer les liens entre les outre-mer et leur environnement régional, soutenir le développement des pays voisins et ainsi réduire les différentiels de compétitivité.
Avec l'espoir de vous avoir convaincu du caractère indispensable et irremplaçable des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement dans les outre-mer, je cède enfin la parole à Serge Larcher qui va vous exposer les différentes propositions d'amélioration qui permettraient d'alléger le coût budgétaire et de rendre plus pertinents encore les mécanismes en vigueur.
M. Serge Larcher, co-rapporteur. - Mes chers collègues, après la présentation par Éric Doligé des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer et de leur impact économique, il me revient de vous présenter les dix propositions du groupe de travail.
Ces propositions tendent à optimiser l'impact de l'aide fiscale par l'amélioration des dispositifs existants mais également par le recours à des dispositifs complémentaires. En tout état de cause et quelles que soient les formules retenues, le groupe de travail recommande la prudence et la progressivité dans les évolutions : les économies ultramarines sont en grande difficulté sous le double effet des contraintes structurelles qui leur sont propres et de la crise mondiale et, depuis 2009, de graves conflits sociaux éclatent sporadiquement dans les outre-mer. Encore très récemment en Nouvelle-Calédonie... Il faut mettre un terme au « nomadisme fiscal » et restaurer la confiance des investisseurs en garantissant une stabilité pluriannuelle, ainsi que l'a préconisé le Président de la République. Les outre-mer ne sont pas une variable d'ajustement budgétaire !
J'en viens aux propositions. Elles sont de deux ordres :
- pour le logement social : nous proposons la mise à l'étude d'un dispositif alternatif à la défiscalisation et, dans l'immédiat, des ajustements au dispositif actuel afin d'en assurer une plus grande efficience ;
- pour l'ensemble des secteurs, c'est-à-dire tant pour le logement social que pour le secteur productif, nous proposons des mesures destinées à assurer un meilleur encadrement et une plus grande efficience de l'aide fiscale qui doit être maintenue.
La première proposition porte sur le logement social et se décompose en cinq mesures en faveur du maintien d'un soutien massif à la construction de logements sociaux.
La première mesure est l'étude des modalités d'un prêt à taux zéro ou d'un prêt bonifié équivalent servi par la Caisse des dépôts et consignations pour le financement des différentes catégories de logement social et l'établissement d'une stratégie de substitution progressive aux aides fiscales actuelles.
Dans les réflexions menées par le Gouvernement, a été évoquée la « rebudgétisation » de l'aide fiscale en faveur de la construction de logements sociaux. Cette hypothèse n'est clairement pas crédible. Je rappelle en effet que la ligne budgétaire unique (LBU) a atteint en 2013 un peu plus de 270 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) tandis que le coût de la défiscalisation en matière de logement social atteindrait près de 500 millions d'euros en 2012. Autrement dit, la « rebudgétisation » conduirait à multiplier la LBU au moins par trois, perspective totalement irréaliste dans la période budgétaire actuelle.
Nous avons donc écarté cette hypothèse mais nous proposons l'étude d'un autre dispositif potentiellement alternatif à la défiscalisation : un prêt à taux zéro (PTZ) ou un prêt bonifié équivalent servi par la Caisse des dépôts et consignation pour le financement des différentes catégories de logement social. Ce dispositif pourrait venir se substituer - au moins en partie - aux aides fiscales actuelles et être réservé aux logements sociaux (LLS) et très sociaux (LLTS), le PLS - qui n'est pas éligible à la LBU - continuant à bénéficier uniquement de l'aide fiscale.
Les simulations transmises par l'Union sociale pour l'habitat (USH) montrent en effet l'équivalence globale d'un PTZ sur 40 ans avec l'avantage fiscal actuellement rétrocédé pour la construction de logements sociaux. Ce dispositif présente pour l'État l'intérêt d'économiser l'avantage fiscal bénéficiant aujourd'hui aux contribuables-investisseurs et, en conséquence, de réduire substantiellement le coût de la dépense fiscale : cette économie représenterait entre le quart et le tiers de la dépense actuelle.
Dans l'attente de l'éventuelle mise en place d'un PTZ pour le financement du logement social outre-mer, nous proposons la pérennisation des mécanismes actuels assortis de plusieurs adaptations.
La deuxième mesure est la pérennisation du mécanisme de financement mixte actuel combinant, dans des proportions variables, LBU et flux drainés par l'intermédiaire des dispositifs fiscaux de soutien à l'investissement outre-mer. La combinaison LBU/défiscalisation a permis, depuis la LODEOM de 2009 qui a massivement orienté les flux défiscalisés vers le logement social, une forte accélération de la construction de logements sociaux dans nos outre-mer, comme l'a rappelé notre collègue Éric Doligé à l'instant. Le cumul de ces deux outils permet par ailleurs de financer la réhabilitation des logements anciens et le développement de la mixité.
La troisième mesure est le maintien d'un plafonnement de 18 000 euros de l'avantage fiscal à l'impôt sur le revenu assorti de la prise en compte, pour le calcul de la base de réduction d'impôt, du taux de rétrocession réel et non plus du taux de rétrocession légal minimal, ce qui permet de restreindre le nombre d'investisseurs par projet et donc de faciliter la collecte tout en abaissant le montant des frais d'intermédiation. Cette mesure tend à contrer un des effets déstabilisateurs de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 sur la loi de finances pour 2013 déclarant inconstitutionnelle la part variable de 4 % du plafonnement qui s'ajoutait aux 18 000 euros. Cette décision a pour effet d'atomiser la collecte en multipliant le nombre d'investisseurs à réunir sur un même projet : elle renchérit les coûts de montage et d'intermédiation et condamne les gros projets à recourir aux mécanismes d'appel public à l'épargne, au-delà de 150 investisseurs.
Notre proposition, évaluée par les bailleurs sociaux, en tenant compte du taux de rétrocession réellement consenti et non plus du minimum légal pour le calcul de la base de réduction d'impôt, permet de compenser en grande partie cet effet préjudiciable de la décision du Conseil constitutionnel.
La quatrième mesure consiste en un rehaussement de 10 points du taux légal de rétrocession qui passerait de 65 à 75 %. Les acteurs publics et privés que nous avons rencontrés ont tous souligné que le taux de rétrocession minimal fixé par la loi à 65 % était systématiquement dépassé dans les faits, ceci grâce à la mise en concurrence des cabinets de défiscalisation. Le relèvement du taux légal de rétrocession présenterait deux avantages : mettre les textes en harmonie avec la réalité des pratiques et afficher la volonté d'améliorer l'efficience des dispositifs au bénéfice des organismes de logement social ultramarins, c'est-à-dire de renforcer le caractère vertueux de la défiscalisation du logement social outre-mer.
La cinquième mesure relevant de notre première proposition est enfin la réduction à deux ans de la durée de portage afin de limiter les frais de gestion et les frais de débouclage du programme. Cette proposition a été formulée par les bailleurs sociaux - tant l'Union sociale pour l'habitat (USH) au niveau national, que l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux et aménageurs (ARMOS) à La Réunion. Une telle mesure permettrait de limiter les frais de gestion du portage qui courent aujourd'hui pendant cinq ans ainsi que certains coûts liés au dénouement des opérations, les frais de mutation notamment. D'après l'USH, cette mesure permettrait une réduction de près de 60 000 euros des coûts de gestion par opération.
Ces cinq mesures visent donc à assurer le maintien d'un soutien massif à la construction de logements sociaux. À nos yeux, elles doivent s'intégrer dans un plan gouvernemental pour le logement dans les outre-mer, comprenant des objectifs précis et une visibilité sur au moins cinq ans, visibilité indispensable pour les acteurs du secteur et, plus globalement, pour le développement économique et social des outre-mer. Le logement, via le BTP, constitue en effet une puissante locomotive pour l'ensemble de l'économie.
Notre deuxième proposition consiste, pour l'ensemble des secteurs, celui du logement social comme celui de l'investissement productif, à déconnecter le plafond de 18 000 euros d'avantage fiscal du plafond général de 10 000 euros afin de restaurer les capacités de collecte de flux d'aide fiscale au soutien de l'investissement outre-mer. Il s'agit de restaurer les capacités de collecte des fonds à orienter vers l'investissement en outre-mer.
La décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances pour 2013 a supprimé, je le rappelle, la part variable du plafond de déductibilité. Elle a donc eu pour conséquence d'assécher en partie la source de la collecte : elle a modifié le profil des investisseurs en rendant le système moins attractif pour les plus fortunés. Concrètement, cette décision complique les schémas de collecte et en renchérit le coût.
Plutôt que de relever le plafond comme le propose la délégation de l'Assemblée nationale, il nous paraît beaucoup plus pertinent de déconnecter les deux plafonds. Autrement dit, un contribuable devrait pouvoir bénéficier, à côté du plafond d'avantage fiscal de 10 000 euros pour les niches « hexagonales », d'un avantage fiscal plafonné à 18 000 euros pour le soutien à l'investissement dans les outre-mer. Il faut souligner que cette mesure ne pèsera pas sur les finances publiques car la déconnexion n'a pas pour effet automatique de multiplier les projets d'investissement dans les outre-mer. Elle va en revanche faciliter le bouclage financier des projets ayant recours à l'aide fiscale à l'investissement outre-mer.
Poursuivant le même objectif de renforcement de l'efficience de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer, nous suggérons dans notre troisième proposition que soit étudiée la possibilité de relever les taux de rétrocession légaux pour l'aide fiscale en matière d'investissements productifs. Cette proposition rejoint la proposition formulée pour le logement social. Pour autant, contrairement au secteur du logement social, les taux de rétrocession en matière d'investissement productif sont moins bien connus. Nous n'avons donc pas souhaité formuler de proposition chiffrée dans l'immédiat.
Cette proposition est alternative à la recommandation de rendre obligatoire la mise en concurrence pour l'ensemble des projets afin d'obtenir de meilleurs taux de rétrocession : outre le fait que cette obligation existe déjà pour les projets réalisés par des entités détenues à plus de 50 % par des capitaux publics, elle est superflue dans le cas où l'exploitant agit pour son propre compte. Celui-ci a en effet tout intérêt à effectuer une mise en concurrence des intermédiaires. Autre inconvénient de la proposition formulée par l'Assemblée nationale : dans le cadre de la procédure d'agrément, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) se saisit de tout élément pour retarder la délivrance des agréments. La justification d'une mise en concurrence pourrait constituer un prétexte supplémentaire.
J'en viens à notre quatrième proposition, à savoir, lorsque l'entreprise qui investit produit un résultat, de réserver le recours à l'aide fiscale au soutien de l'investissement productif outre-mer, l'année de réalisation de l'investissement, au financement de la portion du montant du projet excédant la capacité fiscale de l'entreprise à annuler son impôt sur les sociétés par réduction de l'assiette.
C'est une mesure d'encadrement de la défiscalisation. Il s'agirait de ne recourir à la défiscalisation que lorsque le montant de l'investissement excède la capacité de l'entreprise à le financer sur ses propres résultats, et pour la partie excédant cette capacité seulement. Avec cette combinaison, la mécanique d'aide fiscale rendant nécessaire une intermédiation ne s'applique plus qu'à une partie du montant de l'investissement et tient compte des résultats de l'entreprise. Ce dispositif s'inspire de celui en vigueur en Polynésie en matière de défiscalisation locale.
Ce dispositif introduit dans la législation fiscale nationale ne pourrait cependant pas s'appliquer aux entreprises des COM puisqu'elles ne sont pas assujetties à l'impôt sur les sociétés du fait de l'autonomie fiscale des collectivités. Ces entreprises continueraient donc à pouvoir recourir à la défiscalisation en vigueur pour l'intégralité du montant de l'investissement réalisé.
Nous souhaiterions que soit étudiée - c'est notre cinquième proposition -, pour le secteur de l'investissement productif et les dossiers actuellement éligibles à la procédure d'agrément, la possibilité d'instituer un mécanisme de crédit d'impôt susceptible de constituer une alternative au dispositif d'aide fiscale au soutien de l'investissement productif outre-mer, le mécanisme devant offrir les mêmes garanties de réduction des coûts d'investissement pour l'exploitant ultramarin. Ce dispositif ne s'appliquerait qu'aux grandes entreprises des DOM disposant d'un accès effectif au crédit.
La mise en place d'un crédit d'impôt, qui viendrait se substituer à l'aide fiscale à l'investissement outre-mer pour les investissements productifs, est pressentie dans le cadre des consultations lancées par le Gouvernement. Au terme de nos travaux, il apparaît que cette solution ne pourrait être acclimatée que dans des conditions très restrictives à la réalité des entreprises ultramarines :
- contrairement à l'aide fiscale à l'investissement outre-mer, le crédit d'impôt n'est pas considéré par les banques comme des quasi fonds propres et ne peut donc pas servir de levier pour obtenir des prêts ;
- le crédit d'impôt pose ainsi la question du préfinancement, les entreprises ultramarines étant caractérisées par leur sous-capitalisation ;
- si le crédit d'impôt se substituait à la défiscalisation, les frais liés au préfinancement et au montage juridique et financier du projet, pris en charge aujourd'hui par le contribuable-investisseur, seraient transférés à l'exploitant ultramarin, et naturellement répercutés sur le prix des produits commercialisés ;
- enfin, le crédit d'impôt est inapplicable dans les COM qui disposent de l'autonomie fiscale.
Ce dispositif semble ne pouvoir s'appliquer sans dommage trop important qu'à un nombre restreint de « grandes » entreprises offrant les garanties suffisantes pour accéder au crédit.
Au terme de cette première approche qui relève de nombreux inconvénients liés au crédit d'impôt conçu comme un mécanisme de substitution à la défiscalisation, nous proposons, à titre exploratoire, une étude qui concernerait le seul secteur de l'investissement productif et les dossiers sous agrément. Nous demandons que le mécanisme imaginé offre les mêmes garanties de réduction des coûts d'investissement pour l'exploitant ultramarin que le système actuel.
Notre sixième proposition consiste à élargir le champ de compétence des directions régionales des finances publiques à l'ensemble des projets d'investissement productif sous agrément d'un montant inférieur à 5 millions d'euros au lieu de 1,5 million d'euros actuellement, pour une meilleure prise en compte des priorités sectorielles territoriales et du contexte économique local, ainsi qu'une réduction des délais d'instruction.
Nos auditions nous ont permis d'appréhender les modalités du traitement par la DGFIP des dossiers qui lui sont soumis : les délais de traitement sont importants et les réalités économiques locales paraissent bien peu prises en compte. Nous proposons donc d'étendre, dans les DOM, le champ d'intervention des directions régionales des finances publiques (DRFIP) qui sont déjà compétentes pour les projets d'investissement soumis à agrément d'un montant inférieur à ce seuil.
En relevant ce seuil, nous estimons que les priorités locales de développement économique seront davantage prises en compte du fait d'une meilleure connaissance des potentiels de développement de certains secteurs ou encore du contexte régional. Autrement dit, le critère de l'intérêt économique sera apprécié de façon plus appropriée.
Dans notre septième proposition, nous demandons l'instauration, dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, d'une procédure déconcentrée d'instruction des agréments semblable à celle en vigueur dans les DOM.
Alors que les DRFIP sont compétentes pour délivrer les agréments jusqu'à un certain seuil dans les DOM, il n'en est rien dans les COM et en Nouvelle-Calédonie où l'ensemble des dossiers sous agrément est instruit par la DGFIP. Cette situation n'a aucune justification et empêche d'assurer une réelle prise en compte des réalités économiques locales, notamment celles du Pacifique, les plus éloignées. Nous proposons d'appliquer dans les COM et en Nouvelle-Calédonie une procédure déconcentrée d'instruction des agréments semblable à celle en vigueur dans les DOM.
Huitième proposition : mettre en place un outil statistique de suivi de l'impact économique et budgétaire des dispositifs d'aide fiscale de soutien à l'investissement outre-mer et remise effective d'un rapport annuel au Parlement rendant compte de cet impact, de son évolution, et décrivant la déclinaison territoriale des fonds défiscalisés pour en vérifier la compatibilité avec les stratégies locales.
Comme dans bien d'autres domaines concernant les outre-mer, nos travaux nous ont permis de constater l'absence d'évaluation et de données précises sur la défiscalisation et son impact effectif. Depuis 1986 et la création des dispositifs de défiscalisation, aucun rapport n'a fait le point sur l'impact économique des dispositifs de défiscalisation, la problématique étant systématiquement analysée sous un prisme uniquement fiscal et budgétaire. Nous estimons donc indispensable qu'un véritable outil statistique de suivi de l'impact tant économique que budgétaire de ces dispositifs, qu'il s'agisse des dossiers sous agrément ou du plein droit, des dispositifs relatifs à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, concernant les DOM, les COM ou la Nouvelle-Calédonie, soit mis en place.
Un rapport devrait être remis au Parlement sur le sujet. Nous rappelons que le bureau des agréments produit à l'heure actuelle, à un rythme très aléatoire, un rapport comprenant des données essentiellement budgétaires, alors que la loi a prévu son annualité. Le dernier rapport a ainsi été remis en 2010 et porte sur les années 2006 à 2009. La DGFIP promet depuis des semaines un nouveau rapport qui est pour l'heure, encore et toujours, à la signature. Nous suggérons qu'à l'avenir ce rapport décrive la déclinaison territoriale des fonds défiscalisés, permettant ainsi d'en vérifier la compatibilité avec les stratégies définies localement par les collectivités territoriales.
Nous proposons en neuvième lieu que, dans les DOM, les COM et la Nouvelle-Calédonie, soit organisé un régime déclaratif d'encadrement de l'aide fiscale de plein droit de soutien à l'investissement outre-mer, assorti d'une obligation de dépôt de justificatifs permettant de faciliter les contrôles et faisant l'objet de sanctions dissuasives.
Le « plein droit » constitue aujourd'hui la principale faiblesse des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer. Son évaluation fait en effet défaut, tant du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif. Un seul exemple : Bercy est dans l'incapacité de donner une évaluation du coût du plein droit, sauf à opérer une soustraction entre le coût global des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer et le coût de la dépense fiscale liée aux investissements soumis à agrément. Pourtant, la loi prévoit une obligation déclarative pour les exploitants qui bénéficient de la défiscalisation. Cette obligation est cependant légère et peu respectée.
Afin d'assurer un meilleur encadrement du plein droit, nous proposons donc que les exploitants soient contraints de souscrire de véritables engagements et que l'obligation déclarative soit assortie, d'une part, du dépôt des justificatifs auprès des services locaux de l'État et, d'autre part, de sanctions dissuasives et de contrôles inopinés.
Cette proposition nous paraît préférable à l'abaissement des seuils d'agrément, que celui-ci soit simplifié ou pas, qui conduirait instantanément à saturer les services fiscaux instructeurs et remettrait en cause la réactivité économique qui fait tout l'intérêt des mécanismes actuels.
Enfin, notre dixième et dernière proposition vise à encadrer la profession d'intermédiaire financier en matière d'aides fiscales de soutien à l'investissement outre-mer, avec notamment la publication rapide du décret mentionné à l'article 242 septies du code général des impôts prévoyant déjà un ensemble d'obligations, dont la signature d'une charte de déontologie. Des obligations additionnelles pourraient être prescrites telles que la justification d'une garantie financière minimale délivrée par un établissement financier. Pourrait également être étudiée la création d'une profession réglementée.
La nécessité d'encadrer la profession d'intermédiaire fait aujourd'hui l'unanimité, y compris parmi les professionnels qui le réclament depuis plusieurs années. La loi de finances pour 2012 avait prévu un décret, qui n'a toujours pas été publié à ce jour, précisant notamment le contenu d'une charte de déontologie. Outre les obligations figurant aujourd'hui à l'article 242 septies (aptitude professionnelle, respect des obligations sociales et fiscales, certification annuelle des comptes...), d'autres obligations pourraient être prévues, telles que la justification d'une garantie financière minimale.
Par ailleurs, il nous paraît utile d'étudier la possibilité de créer une profession réglementée dès lors que les mécanismes en jeu ont une incidence en matière de finances publiques.
M. Joël Guerriau. - Nous venons de recevoir le rapport et je n'ai pu prendre connaissance que de son excellent avant-propos et de son sommaire. Il m'est toutefois difficile de vous dire si, dans le détail, ce document répond à l'ensemble des questions que nous nous posons. Ma première interrogation porte sur l'état des lieux des résultats de la défiscalisation. Dresser un tel bilan me paraît bien entendu essentiel pour pouvoir déterminer ensuite si la défiscalisation doit être poursuivie ou pas. Or, il me semble que beaucoup de questions restent sans réponse : il faudrait, en particulier, chiffrer avec précision les résultats concrets de la mise en oeuvre des outils de défiscalisation et le nombre de logements que ces derniers ont permis de créer. De plus, ces logement ont-il été loués, ont-ils été répartis équitablement sur l'ensemble des territoires ultra-marins ? Quels sont les niveaux de prix de l'immobilier aujourd'hui et à qui profite en fin de compte cette défiscalisation outre-mer ? Si c'est aux investisseurs, quel est leur profil et leur contribution économique ? Le rapport souligne principalement la pénurie de logements sociaux ultra-marins et en chiffre les besoins à 100 000. 1,3 milliard d'euros sont consacrés à la défiscalisation, et, dans ces conditions, on peut, par exemple, se demander s'il ne serait pas souhaitable d'allouer directement ces financements à des offices publics dont la mission serait de loger des familles en leur consentant des loyers d'un montant raisonnable. Au regard de cette interrogation sur l'allocation optimale des ressources pour parvenir aux objectifs en matière de logement social, je me demande si les propositions du rapport apportent des réponses claires. Tel est mon sentiment dont je rappelle qu'il ne se fonde que sur un examen superficiel du rapport.
M. Gérard César. - Je me félicite, pour ma part, de la qualité du rapport que j'ai pu analyser. Il faut rendre hommage à ses auteurs qui ont dressé un état des lieux sans complaisance en soulignant tout particulièrement les inconvénients de la politique de « stop and go » pour l'outre-mer. Les dix propositions qui sont formulées sont tout à fait réalistes mais je m'interroge sur les chances de les voir aboutir. Qu'en pense la « citadelle de Bercy » ? Avez-vous hiérarchisé ces propositions en fonction de leur importance et de leur urgence, avec un calendrier très précis ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - S'agissant du dispositif Girardin, on peut constater que ce dernier a dynamisé le secteur du BTP mais, en matière de logement, il faut bien reconnaître que l'adéquation aux besoins n'a pas été optimale. Si le dispositif Girardin a eu un coût élevé, il n'a cependant pas été inutile et j'observe qu'il y a moins de logements Girardin inoccupés outre-mer que de logements Scellier vides en métropole : on ne peut donc pas parler de gaspillage. Depuis 2009, un recentrage a été opéré sur le logement social. À mon sens, une des pistes les plus fécondes pour l'allocation des ressources figure dans le présent rapport : j'ai fait expertiser l'hypothèse d'un mécanisme de prêt à taux zéro ou bonifié se substituant à la défiscalisation et j'en conclus que cette option peut fonctionner de manière efficace. Même s'il rencontre des limites, le prêt à taux zéro est une mécanique qui fonctionne et qui présente l'avantage d'être pérenne. Il faut cependant agir de façon progressive et non pas en mettant brutalement un terme à la défiscalisation, ce qui pourrait porter un coup fatal au secteur du BTP qui est déjà fragilisé. En second lieu, j'ai acquis la certitude que pour le logement, les sociétés d'économie mixte et les organismes d'HLM ont une structure financière suffisamment solide pour remplir leur rôle. En revanche, sur ces territoires, les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) n'ont pas assez de fonds propres pour qu'un dispositif de crédit d'impôt puisse fonctionner efficacement. Il convient également de moraliser le fonctionnement des cabinets qui ont une utilité non seulement pour collecter des fonds mais aussi pour mettre au point les schémas de financement en apportant un soutien technique aux PME dans ce domaine. Bercy semblait souhaiter anéantir le dispositif en ne prenant pas les textes réglementaires adéquats. Nous avons demandé à l'État un bilan précis mais nous n'avons pas pu l'obtenir. Notre rapport apporte des pistes d'amélioration de la pertinence globale du système en moralisant la défiscalisation là où elle demeure nécessaire et en suggérant des solutions alternatives dans les cas où elle ne paraît pas indispensable sous sa forme actuelle.
M. Serge Larcher. - Les mécanismes existants sont complexes et nous souhaitons clarifier et moraliser la situation pour la rendre plus efficace.
M. Georges Patient. - Je rebondis sur les propos précédents pour souligner que certaines propositions du rapport sont excellentes mais que d'autres me paraissent en retrait par rapport aux mécanismes actuels, qui ont fait leurs preuves, et surtout par rapport aux engagements du Président de la République qui prévoyaient le maintien de la défiscalisation pour lutter contre la crise grave qui sévit outre-mer. Le plafonnement de l'avantage fiscal à 18 000 euros me semble devoir être augmenté et non stabilisé. Par ailleurs, je note que le rapport n'évoque pas la notion de plein droit et ne fait pas de suggestions dans ce domaine. Enfin, le crédit d'impôt pour les grandes entreprises me paraît appeler une définition plus précise de ces dernières compte tenu des particularités de l'outre-mer.
M. Michel Bécot. - J'ajoute une remarque sur la dixième proposition relative aux intermédiaires : quel est son but précis et comment évaluer ses conséquences?
M. Ladislas Poniatowski. - Cette proposition ne semble pas innocente.... Dans l'ensemble, j'estime que le groupe de travail aboutit, dans ce rapport, à un très bon résultat. Les anomalies du passé sont bien connues et identifiées. Certains investisseurs ont certes tiré profit des dispositifs de défiscalisation mais les territoires ont également bénéficié de retombées positives, comme le précise le rapport. Celui de la Cour des comptes a fait un diagnostic sévère qu'il faut prendre en compte. Par ailleurs, la contrainte européenne s'impose à la France, la Commission de Bruxelles s'étant alarmée du scandale économique intervenu dans le secteur des énergies renouvelable, le tiers des crédits ayant été allouées à une seule entreprise industrielle. Vos propositions ne sont pas révolutionnaires mais elles sont astucieuses et l'accent mis sur le logement social est particulièrement opportun, même si les besoins de ces territoires ne se limitent pas au logement social. Nous devons continuer à aider l'outre-mer mais je signale qu'à mon sens, une ou deux de vos propositions peuvent susciter des objections de la part de Bruxelles.
M. Éric Doligé. - Nous sommes bien conscients de ces réalités et de ces contraintes. Il semble évident que Bercy souhaite supprimer la défiscalisation, sans même disposer de données permettant d'évaluer leur efficacité. La bulle fiscale relative à l'énergie a éclaté, en partie parce que les textes réglementaires d'application ont fait défaut et alors même que les besoins énergétiques sont réels. Le rapport insiste sur la nécessité de relancer les efforts en matière de stockage d'énergie. Par ailleurs, nous risquons effectivement de nous heurter aux objections de l'Union européenne alors même que les outre-mer sont confrontés à une crise majeure avec un taux de chômage moyen de l'ordre de 25 % et qui atteint 60% chez les jeunes. Je souhaite cependant rassurer Georges Patient sur un point précis : nous ne faisons pas machine arrière en matière de « plein droit » ; notre but est de clarifier le dispositif. En outre, l'aménagement d'un crédit d'impôt dans des hypothèses limitées ne concernant pas les TPE-PME peut générer des économies et permettre de sauver l'essentiel du dispositif de défiscalisation. Je fais également observer que ce rapport, remis dans des délais particulièrement brefs, apporte des réponses à de nombreuses interrogations sur la nature des investissements, le profil des investisseurs entre autres. Je précise également que le rétrécissement du spectre de la collecte risque de susciter d'importantes difficultés. Je conclus en soulignant qu'il nous faut avant tout parer à l'éventualité d'une explosion sociale sur ces territoires aux situations très dégradées.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, présidente du groupe de travail. - La jurisprudence européenne permet de mettre en place des mesures, notamment des aides fiscales, pour compenser des handicaps structurels. C'est bien le cas des territoires ultra-marins dont les marchés sont particulièrement étroits. Je précise par ailleurs, concernant l'hypothèse du crédit d'impôt, que nous n'avons pas eu le temps de définir précisément les grandes entreprises concernées, mais cette procédure ne concernerait que les dossiers actuellement soumis à agrément présentés par des entreprises disposant d'une surface financière leur donnant accès au crédit. S'agissant des projets relevant du plein droit, la déclaration serait doublée du dépôt de justificatifs permettant d'éventuels contrôles ultérieurs. Les services déconcentrés de l'État doivent pouvoir traiter davantage de dossiers d'agrément pour un meilleur respect de l'intérêt économique local.
M. Jacques Cornano. - Il est indispensable de prendre en compte le caractère archipélagique de certains territoires en outre-mer. C'est une notion que le ministère des finances maîtrise mal et sa non prise en compte a poussé Saint-Martin et Saint-Barthélemy à se détacher de la Guadeloupe. Les aides fiscales doivent être mises au service des mutations économiques, notamment dans le domaine des énergies renouvelables où l'outre-mer peut servir de modèle.
M. Serge Larcher, co-rapporteur. - Nos propositions peuvent paraître timorées à certains, mais elles prennent en compte une réalité de crise, ainsi que la volonté de Bercy de supprimer la défiscalisation pour les investissements en outre-mer. Nous cherchons donc à rester crédibles même si nous aurions souhaité aller plus loin, notamment sur le plafonnement de réduction d'impôt. Il faut déjà sauver le dispositif existant et faire comprendre que les outre-mer ont besoin de continuité et de stabilité fiscale pour restaurer la confiance des investisseurs.
M. Daniel Raoul, président. - Je remercie la présidente et les rapporteurs pour le travail accompli qui contient une mine d'informations et je me félicite de la démarche commune avec la délégation à l'outre-mer, démarche qui permet à un groupe restreint de défricher des sujets épineux en évitant le recours à des formules institutionnelles plus lourdes.
Puis la commission et la délégation autorisent, à l'unanimité des présents, la publication du rapport du groupe de travail sur l'impact de la défiscalisation en outre-mer.
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -
Ouverture de négociations en vue d'un Partenariat transatlantique - Désignation d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède à la nomination d'un rapporteur sur la proposition de résolution européenne portant sur un partenariat transatlantique, puis examine le rapport et le texte de la commission.
M. Daniel Raoul, président et rapporteur. - Lors de leur réunion du 28 novembre 2011, les présidents Obama, Barroso et Van Rompuy ont lancé le projet d'un accord commercial bilatéral entre l'Union européenne et les États-Unis.
Le groupe de travail de haut niveau mis en place pour réfléchir à la faisabilité de ce projet a rendu son rapport en février 2013. Il envisage un accord commercial global, comportant une réduction des barrières tarifaires mais aussi la suppression d'un certain nombre de barrières non tarifaires. Pour l'Europe, j'y reviendrai, c'est là que se situe aujourd'hui l'essentiel des enjeux dans le commerce transatlantique. L'accord pourrait aussi viser une convergence plus générale de certaines règles qui ont un impact indirect sur la compétitivité, telles que les règles environnementales ou sociales. Enfin, l'accord serait global parce qu'il concernerait un très grand nombre de secteurs d'activités stratégiques pour l'Europe et la France, aussi bien dans les secteurs agricoles et industriels que dans les services. Un des enjeux des négociations européennes est d'ailleurs, à ce stade - j'y reviendrai plus loin - de déterminer les secteurs qui doivent être a priori exclu du champ de la négociation. Au total, le rapport du groupe de travail de haut niveau met en exergue les retombées économiques positives que pourrait avoir, pour les deux parties, la signature d'un tel accord.
Au mois de février 2013, le Conseil européen s'est déclaré favorable à la conclusion d'un accord commercial de ce type et la Commission européenne a décidé, dès le mois de mars, de passer immédiatement à l'étape suivante, à savoir la définition du mandat de négociation qui sera confié au commissaire européen, Karel de Gucht, pour mener les discussions au nom de l'Union européenne toute entière. Les États membres travaillent donc actuellement sur la définition de ce mandat, qui doit être formellement adopté lors du Conseil de l'Union européenne du 14 juin prochain.
Il est évident que la définition de ce mandat constitue une étape à la fois cruciale et complexe vers le futur accord. C'est une étape complexe en raison de la grande hétérogénéité des points de vue et des intérêts des États européens. Par exemple, sur des questions aussi importantes pour la France que la défense de l'exception culturelle ou l'ouverture des marchés publics, notre pays n'est pas certain d'être soutenu. Du côté américain, il existe également sans doute une grande hétérogénéité d'intérêts parmi les États fédérés. Cependant, la différence, de taille entre l'Union européenne et les États-Unis, c'est que, la définition de la politique commerciale commune étant une compétence de l'Union européenne, l'accord négocié par la commission européenne, après ratification par le Conseil de l'Union et le Parlement européen, s'appliquera obligatoirement aux États membres, alors que, dans le cas américain, l'Union européenne devra négocier directement avec les États fédérés pour ce qui relève de leur compétence propre.
L'étape de la définition du mandat de négociation est également cruciale, car les États européens, une fois le mandat donné, n'auront plus de prise directe sur les négociations - ils seront seulement consultés et tenus informés régulièrement via le comité de politique commerciale. Les États membres qui n'auront pas obtenu la prise en compte de leur point de vue dès le départ dans la définition des termes du mandat de négociation auront donc le plus grand mal à le faire prévaloir par la suite.
Bref, la partie qui va se jouer le 14 juin prochain sera déterminante et c'est pourquoi le Gouvernement français doit pouvoir compter sur l'appui du Parlement. C'est tout l'enjeu de la proposition de résolution relative à l'ouverture de négociation en vue d'un partenariat transatlantique que nous examinons aujourd'hui. Il s'agit pour le Sénat, à travers ce texte, de s'exprimer sur l'ensemble du mandat de négociation, de dire quelles doivent être les priorités poursuivies par le futur accord et de tracer les lignes jaunes à ne pas franchir de notre point de vue.
Ce faisant, il s'agit de renforcer le poids du Gouvernement français lors du prochain Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne et nos partenaires devant être convaincus que, sur ces questions, la France parle d'une seule voix qui exprime un véritable consensus national.
Dès le 15 mai dernier, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté la proposition de résolution européenne dont je vous présenterai le contenu dans un instant. Conformément à la procédure prévue par le Règlement du Sénat, ce texte a été renvoyé à la commission des affaires économiques du Sénat compétente au fond.
Afin de respecter le calendrier communautaire, et donc le Conseil européen du 14 juin, il était donc nécessaire d'accélérer le calendrier d'adoption de cette résolution. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que notre commission en discute le texte dès aujourd'hui : de la sorte, le texte pourrait devenir une résolution du Sénat dans trois jours, à compter de la publication de notre rapport, à temps pour le Conseil.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - L'enjeu d'un tel partenariat transatlantique est considérable puisque l'Union européenne (UE) et les États-Unis d'Amérique représentent ensemble près de la moitié du PIB mondial et un tiers des échanges mondiaux : en 2011, l'UE était le premier partenaire commercial des États-Unis, et les États-Unis le deuxième partenaire commercial de l'UE.
Le Gouvernement a transmis au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, le projet de mandat de négociation confié à la Commission européenne.
Parallèlement, deux propositions de résolution européenne ont été déposées en avril, par Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs collègues (n° 522) et par M. Pierre Laurent et plusieurs collègues (n° 526), relatives à la dimension culturelle de la négociation. La commission des affaires européennes a été très sensible aux initiatives de nos collègues et à l'enjeu qu'ils ont soulevé. Mais elle a souhaité les intégrer dans un texte concernant l'ensemble des aspects de la négociation.
Le texte que la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le groupe écologiste s'abstenant, a été transmis à votre commission.
Nous avons estimé que ce partenariat transatlantique représentait une opportunité importante pour l'Union européenne. Un accord pourrait contribuer à la croissance et à l'emploi : selon l'étude d'impact de la Commission, les gains économiques globaux seraient de 119,2 milliards de dollars pour l'Union européenne et 94,2 milliards de dollars pour les États-Unis, même si ces chiffres doivent être pris avec beaucoup de prudence. De plus, un accord transatlantique, du fait du poids additionné des deux partenaires, aurait un effet d'entraînement et contribuerait à introduire plus de régulation dans le commerce mondial.
Nous devons donc défendre une vision ambitieuse de cet accord : il ne doit pas se réduire à un accord de libre-échange mais constituer un réel partenariat d'égal à égal qui respecte les valeurs fondamentales, l'identité culturelle et les préférences collectives de chacun des deux partenaires.
Quelles doivent être les priorités européennes dans cette négociation ?
Un premier impératif pour l'Union européenne est de convenir avec les États-Unis d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle, et tout particulièrement des indications géographiques : c'est pour nous un enjeu fondamental, sur les vins comme sur les autres produits agricoles et agroalimentaires. Il nous faudra aussi rester vigilant sur le traitement des produits sensibles, notamment agricoles, tout au long de la négociation : je pense à la filière élevage ou au maïs... Sur ces produits, l'Union européenne est moins compétitive que les États-Unis, du fait d'importantes différences de normes sociales, environnementales et de bien-être animal.
Il faut aussi souligner l'importance des règles d'origine, qui doivent avoir le même niveau d'exigence pour les deux parties à l'accord, sinon les producteurs européens seraient désavantagés.
Le texte suggère aussi de mandater clairement la Commission pour obtenir des progrès parallèles en matière d'accès au marché et de réduction des barrières non tarifaires, comme on l'a fait pour la négociation qui vient de s'ouvrir avec le Japon. Pour nos PME, le prix de la mise aux normes américaines constitue souvent une barrière à l'entrée.
Le partenariat transatlantique représente aussi une occasion unique pour réduire les discriminations que subissent nos entreprises dans l'accès aux marchés publics américains, y compris subfédéraux ; ces discriminations sont d'autant plus insupportables que l'Union européenne ouvre la quasi-totalité de ses marchés publics aux pays tiers.
Il est aussi important de ne pas négliger d'inclure dans le champ de la négociation les subventions publiques : en effet, ces subventions sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence et d'entraver l'accès au marché. Une telle clause figure d'ailleurs dans l'accord que l'Union européenne a déjà conclu avec la Corée du Sud.
L'accord devrait aussi prévoir un chapitre ambitieux sur les normes sociales et environnementales. Il faut rappeler que les États-Unis n'ont pas ratifié certaines conventions internationales majeures en matière sociale et environnementale : conventions de l'OIT, protocole de Kyoto, convention sur la biodiversité... La négociation de l'accord ne doit pas conduire à l'abaissement de l'acquis communautaire dans ces domaines ; elle doit au contraire permettre d'influer sur l'ensemble du système commercial mondial dans une perspective de développement durable.
L'Union européenne a des intérêts offensifs importants en matière de services, et notamment, de services financiers. Dans ce dernier domaine, ce sont surtout les règles prudentielles, décidées suite à la crise, et leur interprétation différente de part et d'autre de l'Atlantique, qui menacent aujourd'hui l'activité des entreprises financières européennes aux États-Unis. C'est pourquoi l'accord doit permettre de rapprocher les réglementations prudentielles.
Plus généralement, il convient de prévoir que l'accord soit contraignant pour tous les niveaux d'administration, sans exception, ainsi que pour toutes les autorités de régulation et autres autorités compétentes des deux parties. En effet, si la plupart des règles sont fixées au niveau européen par voie législative, le pouvoir réglementaire repose largement aux États-Unis sur les régulateurs, agences ou administrations.
Enfin, le texte souligne l'importance qui s'attache à la protection des données personnelles, d'autant que les données sont devenues un enjeu concurrentiel à l'ère numérique. Un nouveau règlement européen est en cours d'élaboration en cette matière, et la pression des lobbies américains est très forte au Parlement européen. L'Union européenne doit pouvoir protéger les données personnelles des Européens qui seraient transférées aux États-Unis, à la requête des autorités américaines.
Voilà pour nos priorités « offensives » de négociation. Le Sénat doit aussi se positionner au sujet du périmètre de la négociation qui va s'ouvrir.
Comme le souligne la proposition de résolution européenne de Mme Marie-Christine Blandin et ses collègues, c'est la première fois en vingt ans que la Commission néglige d'exclure expressément le secteur audiovisuel d'un accord de commerce international.
À l'inverse, les États-Unis font partie des rares États membres de l'OMC qui ont contracté des engagements de libéralisation de leurs services audiovisuels, ce qui s'explique car ils en sont le premier exportateur mondial. Ils ont par ailleurs refusé d'être partie à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Cette convention, à laquelle l'Union européenne comme la France sont parties, reconnaît aux parties le « droit souverain de formuler et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et d'adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ».
D'ailleurs, l'article 207-4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne requiert l'unanimité au Conseil pour la négociation et la conclusion d'accords « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union ».
En son état actuel, le mandat de négociation proposé par la Commission européenne ne prévoit pas explicitement d'exclure du champ de la négociation ce type de services. Il est seulement indiqué, dans le paragraphe consacré aux objectifs de l'accord, qu'il « ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union, notamment dans le secteur audiovisuel ». Cela ne suffit pas : notre objectif doit être de pouvoir déterminer librement les voies et moyens d'une politique de soutien à l'industrie culturelle à l'heure numérique. Il nous faut donc demander au Gouvernement de requérir l'exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation.
C'est pourquoi le texte qui vous est soumis reprend très largement les termes des propositions de résolution qu'avaient déjà déposées nos collègues du groupe communiste et ceux de la commission de la culture. Bien que l'unanimité soit requise de toute manière pour la conclusion d'un accord qui menacerait la diversité culturelle de l'Union, il est dans l'intérêt de l'Union européenne que l'ouverture des négociations soit elle-même décidée par consensus, et qu'elle écarte d'emblée les services audiovisuels. De cette manière, l'Union évitera de s'exposer, au moment de l'accord final, au veto d'un État membre ou du Parlement européen.
En outre, il me paraît tout aussi indispensable d'exclure du périmètre de l'accord les marchés publics de défense et de sécurité, comme cela se fait habituellement dans les autres négociations bilatérales ou multilatérales.
Enfin, il est souhaitable que le mandat de négociation reconnaisse clairement la possibilité, pour chaque partie, d'apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental. Il s'agit d'admettre la légitimité du niveau de protection requis par les préférences collectives de ses citoyens : chaque société doit pouvoir choisir ses valeurs et son degré de protection à l'égard du risque, dans un contexte d'incertitudes scientifiques, qu'il s'agisse d'OGM, d'hormones de croissance, de décontamination chimique des viandes, de clonage animal... La relation particulière du consommateur européen aux aliments a conduit l'Union européenne à adopter une attitude prudente en ces domaines, qui ne doit pas être considérée comme une barrière au commerce.
Pour terminer, nous avons souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur les modalités de suivi de la négociation quand elle sera engagée. La Commission devra faciliter le suivi régulier et transparent du déroulement des négociations par les autorités nationales; à charge pour le Gouvernement de consulter les acteurs et de tenir informé le Parlement.
À ce titre, nous invitons le Gouvernement à fournir au Parlement français une étude d'impact permettant d'apprécier, par secteur d'activité et par filière, les effets pour la France de différents scénarios de négociation.
M. Gérard Le Cam. - Mon groupe est a priori plutôt opposé à ce projet de partenariat transatlantique. C'est la négociation de tous les dangers pour l'économie française, l'emploi et les exigences sociales et environnementales. Un débat démocratique avec la société civile et une véritable étude d'impact sont un préalable indispensable avant de s'engager dans ces négociations. Nous craignons que cet accord aboutisse à renforcer le pouvoir des multinationales en leur permettant de régler directement leurs différends avec les États. Nous sommes satisfaits que l'audiovisuel, la défense et la sécurité soient exclus des négociations, mais nous pensons que cette exclusion devrait aussi concerner l'agriculture, le droit de la propriété intellectuelle et les services publics. Nous sommes inquiets aussi de voir que la fin des barrières tarifaires va entraîner une perte de recettes alors même que le budget européen est déjà fortement contraint. Je rappelle les propos de M. Battistelli, directeur de l'Office européen des brevets : il est opposé à un système de reconnaissance mutuelle des brevets, car elle reviendrait à reconnaître sans discussion les brevets sur le vivant. Enfin, je tiens à faire part de nos craintes sur les OGM et sur le droit du travail, car les États-Unis n'ont pas ratifié certaines conventions importantes de l'Organisation internationale du travail (OIT).
M. Joël Labbé. - Au nom de mon groupe, je tiens à exprimer des réserves sur ce projet de négociations commerciales. L'Europe est beaucoup plus avancée que les États-Unis dans le domaine des normes environnementales, sociales et sanitaires. Cet accord ne doit pas remettre en cause cette avance. Mon groupe déterminera sa position en fonction du sort réservé aux amendements qu'il a déposé.
La commission examine l'amendement n° 3.
M. Daniel Raoul, président. - Cet amendement est satisfait tant par le droit existant que par le texte de la proposition de résolution. En ce qui concerne l'évaluation de l'impact, la Commission européenne a déjà rendu publique une étude d'impact. Chacun pourra s'y référer. Il est vrai qu'à ce stade, les négociations n'ayant même pas commencé, une évaluation de l'impact est forcément assez sommaire. De plus, cette étude d'impact est bâtie à l'échelle européenne. C'est pourquoi le texte de la résolution invite le Gouvernement à fournir au Parlement français une étude d'impact permettant d'apprécier, par secteur d'activité, les effets pour la France de différents scénarios de négociation. Donc le souci d'une meilleure évaluation de l'impact figure déjà bien dans le texte (alinéa 39). En ce qui concerne le suivi des négociations, le traité de l'Union européenne prévoit que les États membres sont tenus informés au travers du comité de suivi des négociations prévu à l'article 207. Il appartient ensuite aux gouvernements d'informer les parlements. Ces derniers, dans le cadre de leur mission constitutionnelle, peuvent d'ailleurs exiger d'être informés si les gouvernements ne se montrent pas assez diligents.
L'amendement n° 3 est rejeté.
Les amendements n°s 5 et 11 sont ensuite examinés en discussion commune.
M. Joël Labbé. - L'amendement n° 5 est inspiré de l'exemple québécois en matière de fracturation hydraulique. Le gouvernement québécois a prononcé un moratoire sur la fracturation hydraulique et est de ce fait traîné devant la justice par l'entreprise Lone Pine qui lui réclame 250 millions de dollars. Notre amendement vise à empêcher le développement de ce type de pratiques.
M. Daniel Raoul, président. - L'amendement n° 11 que je propose répond au même objectif que le vôtre, mais sa rédaction me paraît préférable.
M. Martial Bourquin. - Cet accord commercial va-t-il s'imposer à notre droit interne ? Nous parlons de culture, d'OGM... Ce sont des questions de fond qui ne doivent pas être résolues dans le cadre d'un accord international et se substituer au droit national ou européen.
M. Daniel Raoul, président. - Traitons d'abord de la question de l'arbitrage. Nous aborderons celles de la culture et des OGM plus loin.
Mme Renée Nicoux. - Je propose de rectifier la rédaction de l'amendement n° 11 en indiquant que la Commission européenne « exclue » au lieu de « ne recommande pas ». Il convient d'être plus explicite.
L'amendement n° 3 est retiré.
L'amendement n °11 rectifié est adopté.
La commission examine ensuite l'amendement n° 6.
M. Joël Labbé. - Cet amendement vise à préserver les acquis de la législation européenne concernant l'évaluation et la commercialisation des produits phytosanitaires et des organismes issus des biotechnologies tels les OGM.
M. Daniel Raoul, président. - Cet amendement est satisfait par le texte et le droit existant. L'Europe possède ses propres règles en matière d'autorisation de mise sur le marché des OGM et des produits phytosanitaires et il est important qu'elle reste souveraine dans ce domaine. Il faut éviter qu'à travers l'accord commercial on s'achemine vers un système de reconnaissance mutuelle automatique qui ferait qu'un produit autorisé aux États-Unis le serait automatiquement en Europe. Mais le texte de la résolution a été rédigé pour prendre en compte cette question. Reportez vous à l'alinéa 36 qui « insiste pour que le mandat de négociation vise explicitement à obtenir dans l'accord final la reconnaissance de la possibilité, pour chaque partie, d'apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental lié à l'émergence de nouvelles technologies en fonction du niveau de protection requis par les préférences collectives de ses citoyens ».
M. Gérard César. - Je souhaite insister sur le fait que le texte de la résolution souligne la nécessité pour l'Union européenne de convenir avec les États-Unis d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle, et particulièrement des indications géographiques, sur les vins comme sur les autres produits agricoles et agroalimentaires.
L'amendement n° 6 est retiré.
La commission examine l'amendement n° 9.
M. Joël Labbé. - Cet amendement vise à affirmer que l'accord qui résultera des négociations constitue un socle commun et qu'en conséquence chacune des parties à l'accord peut se doter de règles plus régulatrices sur les institutions financières que ce que les termes de l'accord prévoient.
M. Daniel Raoul. - Je ne comprends pas l'objectif de cet amendement. Il n'y a en effet aucun risque que les États-Unis, au travers d'un partenariat transatlantique, exigent de l'Europe un assouplissement de sa régulation en matière financière car le fait que l'Europe soit plus exigeante en matière de contrôle prudentiel offre un avantage compétitif aux sociétés financières américaines ! L'enjeu n'est pas que l'Europe soit contrainte à être plus laxiste en matière de régulation de la finance, il est d'obliger les États-Unis à se montrer plus rigoureux. Cet amendement ne sert pas les intérêts européens.
M. Gérard César. - Absolument !
M. Simon Sutour. - Je voudrais rappeler le cadre de notre exercice. Nous ne sommes pas en train d'écrire la convention de mandat du négociateur européen ! Nous sommes en train d'indiquer au Gouvernement les grands objectifs que nous souhaiterions qu'il soutienne lors de la négociation du mandat de négociation. Entrer dans les détails, à ce stade, n'a pas grand sens selon moi. Nous devons au contraire nous attacher à cibler les principaux enjeux, comme l'exception culturelle ou les indications géographiques protégées.
L'amendement n° 9 est retiré.
La commission examine l'amendement n °1.
M. Daniel Raoul, président. - L'Europe et la France sont des grands exportateurs de produits agricoles et ces produits doivent donc être inclus absolument dans la négociation ! L'accord commercial transatlantique constitue en particulier une chance de faire progresser la reconnaissance des indications géographiques protégées européennes et donc de stimuler l'exportation de nos productions à forte valeur ajoutée vers les États-Unis. Or, un tel amendement exclut cette possibilité. Dans le même temps, c'est vrai, il faut veiller à ce que le mandat de négociation prenne en compte la spécificité de certaines filières agricoles qui pourraient être déstabilisées par une libéralisation des échanges entre l'Europe et les États-Unis. Mais le texte de la résolution prend en compte cet impératif, puisqu'il appelle le Gouvernement, je cite, à rester vigilant sur le traitement des produits sensibles, notamment agricoles, tout au long de la négociation, et à obtenir que l'accord final préserve la possibilité d'accorder un traitement spécifique aux lignes tarifaires les plus sensibles, y compris l'inclusion d'une clause de sauvegarde. Avis très défavorable.
M. Martial Bourquin. - Je tiens quand même à dire que nous examinons dans l'urgence une question d'une importance capitale. Cet accord commercial pourrait avoir un impact énorme. Nous devons pouvoir conserver une agriculture sans OGM ! Notre agriculture est de qualité et nous devons conserver cette qualité.
M. Gérard Bailly. - Alors pourquoi le ministre de l'agriculture demande-t-il aux agriculteurs de produire autrement ? J'entends ici qu'on loue la qualité de notre agriculture et ailleurs on exhorte les agriculteurs à promouvoir un modèle agricole plus respectueux de l'environnement, plus en phase avec les attentes de la société. Il faut être cohérent ! Si nos produis sont de qualité, pourquoi demander de produire autrement ?
Mme Bernadette Bourzai. - L'enjeu de l'agro-écologie, c'est de promouvoir d'autres méthodes de production...
M. Gérard César. - Mais combien cela coûte-t-il aux paysans ? Vous allez les faire crever, les paysans, à force d'imposer des mesures coercitives !
Mme Bernadette Bourzai. - Mais ne dîtes pas n'importe quoi, voyons ! Nous avons un modèle agricole intensif qui commence à produire quelques problèmes...
M. Gérard Bailly. - Est-ce que l'agriculture en France pose plus de problèmes de santé publique qu'ailleurs ? Non ! Il y en a assez de stigmatiser les agriculteurs.
M. Martial Bourquin. - Il y a trop d'intrants. Le Grenelle, que vous avez voté, promettait une baisse des intrants et ils continuent à augmenter. C'est une réalité.
M. Daniel Raoul, président. - Revenons au texte, s'il vous plaît.
M. Joël Labbé. - Mais nous y sommes ! Cet accord commercial pose un problème : notre agriculture doit évoluer pour être encore plus qualitative tout en restant productive et il ne faudrait pas qu'une libéralisation des échanges avec les États-Unis nous ramène en arrière alors même que nous sommes au défi de franchir un nouveau pallier vers plus de qualité !
L'amendement n°1 est rejeté.
La commission examine en discussion commune les amendements n°s 2 et 10.
M. Gérard Le Cam. - J'ai cité monsieur Battistelli tout à l'heure. Il y a de réels dangers à s'orienter vers une reconnaissance mutuelle des brevets sur le vivant.
M. Daniel Raoul, président. - Mon amendement n° 10 répond à ce souci légitime. Je propose que la résolution indique que le Sénat est attaché au principe de la non brevetabilité du vivant et à la préservation de la règlementation existant dans ce domaine dans l'Union européenne.
L'amendement 2 est retiré, l'amendement n° 10 est adopté.
La commission examine ensuite l'amendement n° 4.
M. Daniel Raoul, président. - La réalisation de certaines missions de service public est couramment confiée à des entreprises du domaine marchand concurrentiel. C'est déjà la règle en Europe et en France. J'ajoute que, compte tenu de la grande tolérance de l'Europe en matière d'accès à ses marchés publics, les entreprises des pays tiers, notamment les entreprises américaines, peuvent d'ores-et-déjà se porter candidates sur ces marchés publics. Il faut donc absolument que l'accord commercial transatlantique soit l'occasion d'établir une vraie réciprocité dans ce domaine en permettant aux sociétés européennes de vendre aussi leurs prestations de services aux administrations américaines. Quant aux services publics qui aujourd'hui sont considérés comme non marchands, ils ne constituent pas des marchés économiques ouverts à la concurrence et n'entrent pas dans le champ de la négociation. Je suis défavorable à cet amendement.
M. Joël Labbé. - Je le soutiendrai avec force ! Il est nécessaire que l'Europe évolue vers une meilleure reconnaissance des services publics et un accord avec les États-Unis ne va pas faciliter cette reconnaissance.
M. Daniel Raoul, président. - Attention ! Je comprends qu'on veuille défendre la notion de service public, mais cet amendement n'a concrètement qu'un effet : celui de faire obstacle à ce que nos entreprises puissent accéder aux marchés publics américains.
M. Martial Bourquin. - La résolution doit pouvoir indiquer que l'accord respecte les services publics.
M. Simon Sutour. - Nous sommes en train de nous exprimer sur un mandat de négociation pas de définir notre conception du service public ! Il faut revenir à l'objet du texte !
L'amendement n° 4 est rejeté.
La commission examine l'amendement n° 7.
M. Joël Labbé. - Cet amendement vise à rappeler la nécessité de transparence à toutes les étapes de la négociation.
M. Simon Sutour. - Cela figure dans le texte. Le comité de politique commerciale doit être consulté par la Commission européenne à toutes les étapes de la procédure de négociation. Celle-ci doit faciliter le suivi régulier et transparent du déroulement des négociations par les autorités nationales.
M. Daniel Raoul, président. - Je rappelle en outre que l'article 207 du traité de l'Union européenne prévoit la consultation du comité de suivi.
L'amendement 7 est retiré, de même que l'amendement n° 8.
M. Yannick Vaugrenard. - Je ressens une frustration devant les conditions d'examen de ce texte important. Je sais que les délais étaient serrés, mais je n'aime pas voter quand je ne sais pas exactement sur quoi je vote. Les pays européens se verront-ils imposer l'accord alors que les États fédérés seront libres de l'accepter ou pas ? Je voudrais savoir aussi ce qu'il en sera du respect des normes de l'Organisation internationale du travail ? Le non respect de ces normes par l'un des partenaires à l'échange crée une distorsion de concurrence. Enfin, dans le domaine alimentaire, accepter des produits qui répondent à des exigences moindres en matière de pratiques de culture cela crée un désavantage compétitif pour l'agriculture européenne. Plus de temps aurait été nécessaire pour réfléchir.
M. Daniel Raoul, président. - Je rappelle tout de même que le texte de la proposition de résolution adopté par la commission des affaires européennes a été publié le 15 mai.
M. Simon Sutour. - Je plaide régulièrement pour une meilleure coordination entre la commission des affaires européennes et les commissions permanentes, mais je rappelle tout de même que la commission que je préside comprend des membres de toutes les commissions permanentes - ce qui doit faciliter la circulation de l'information.
M. Daniel Raoul, président. - Je rappelle également que notre commission auditionne la semaine prochaine Madame Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur et que toutes les questions que vous avez soulevées pourront lui être posées.
M. Joël Labbé. - J'indique que je m'abstiendrai sur ce vote.
M. Gérard Le Cam. - Je m'abstiendrai également.
Le texte de la proposition de résolution est adopté ainsi amendé.
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président, et de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
Enseignement supérieur et la recherche - Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le projet de loi n° 614 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir nos collègues de la commission des affaires économiques et son président, qui coprésidera cette audition. Nous avons beaucoup travaillé : ce matin, encore, nous écoutions les représentants de la conférence des présidents d'université (CPU) ; le 11 juin prochain à l'initiative de la commission de suivi et d'application des lois, un débat va se tenir en séance plénière sur l'exécution de la loi LRU ; le rapport de Mme Gillot et M. Adnot nous a éclairés sur la réalité du système de péréquation, dont le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA).
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie d'accueillir les membres de notre commission, saisie pour avis des dispositions du projet de loi relative à la recherche. Une clarification de la gouvernance me semble indispensable : la sédimentation des organismes nuit à la lisibilité et à l'efficacité - je vois le temps que passent mes ex-collègues à remplir des dossiers. Je serais heureux de vous entendre sur le projet partagé de formation et recherche, destiné à coordonner les différents intervenants à l'échelle du territoire. Le remplacement de la fameuse Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) par un Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur est-il affaire de sémantique ou marque-t-il un changement de mission ?
Je serai très attentif à une meilleure valorisation de la recherche. J'ai été inquiet en voyant les sommes attribuées aux SATT (sociétés d'accélération du transfert de technologies) dans le cadre du programme des investissements d'avenir. Au terme de transfert, qui évoque pour moi des choses peu plaisantes, telles que le piratage, je préfère celui de valorisation. Je suis tout à fait d'accord avec cet objectif, j'ai d'ailleurs signé en tant que président d'un technopôle une convention avec la SATT. Il convient en effet d'éviter les doublons et de reconnaître les compétences de chacun.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Dans les années soixante-dix, l'université de Lille a inventé un système automatisé dont est dérivé le VAL, ce métro sans chauffeur développé par Matra. Puisque l'on a pu le faire avant votre loi, qu'apporte-t-elle de neuf ?
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Vous connaissez les grandes lignes du texte, y compris les modifications apportées par l'Assemblée nationale. Qu'il ne soit pas une loi de programmation, mais d'orientation, ne signifie pas qu'il soit sans moyens, puisque le gouvernement s'est engagé à créer 1 000 postes par an pendant 5 ans, ce qui est enviable dans la conjoncture actuelle. Cette mesure est intégrée dans la loi de programmation des finances publiques votée le 28 décembre dernier et dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
De même, un certain nombre de mesures non législatives ne figurent pas ici. Ce projet est né d'une démarche de consultation : nous ne nous sommes pas contentés d'écouter les enseignants-chercheurs et les étudiants, nous avons également entendu les milieux économiques, associatifs, les collectivités territoriales, tous ceux qu'intéressent l'enseignement supérieur et la recherche.
De juillet à novembre, les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche ont réuni 20 000 acteurs sur les territoires, sous la houlette d'un comité de pilotage. Elles ont été présidées par Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel ; leur rapporteur était Vincent Berger, président de l'Université Paris Diderot - un normalien passé par Thales.
Les 135 préconisations auxquelles elles ont donné lieu ne sont pas toutes de niveau législatif. Il en est ainsi de la résorption de la précarité : les 8 400 emplois précaires identifiés dans les universités sont surtout des personnels de catégorie C ou biatss (bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniciens, social, santé). Nous avons mis en place un plan de résorption de la précarité de 2 100 personnes par an pendant quatre ans, conformément à la loi Sauvadet. Nous sommes intervenus auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour établir un plafond au pourcentage de personnes embauchées en CDD à l'occasion des différents appels de façon à ne pas reconstituer le flux des personnels précaires. Nous avons favorisé les programmes pluriannuels, de manière à préserver la recherche fondamentale tout en intégrant de façon durable les post-doc.
Avec près 25 milliards d'euros de crédits, hors crédit impôt recherche et hors Grand emprunt, mon budget constitue le troisième de l'État - charge de la dette mise à part -, et il a augmenté de 2,2 % de 2012 à 2013. Les deux-tiers des investissements du Grand emprunt relevant de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons souhaité être davantage associés à sa gestion par le Premier ministre à travers l'instance interministérielle qu'est le Commissariat général à l'investissement.
Nous avons demandé aux organismes de recherche de ne pas bloquer les nouvelles embauches, ce qui serait dramatique pour les doctorants, mais d'éviter de reconstituer le flux de travailleurs précaires, et d'adopter des plans de résorption de la précarité, en incitant les personnels précaires à passer les concours, ou en favorisant la titularisation. Ce volet qui a été traité dès notre arrivée, ne figure pas dans la loi.
Le projet de loi donne la priorité à la réussite de la licence en 3 ans. Nos résultats en la matière, 33 % de réussite, font pâle figure aux côtés des 60 % de l'Allemagne. Ce faible taux s'explique en partie par la présence en licence de d'étudiants titulaires d'un baccalauréat professionnel ou technologique qui auraient dû être acceptés dans les filières STS (section de technicien supérieur) ou les IUT. Ces formations sont de plus en plus prisées par des jeunes issus des filières scientifiques qui veulent éviter les deux premières années d'université puis intégrer d'autres établissements. Le système a dérivé et les 730 millions du plan licence n'ont pas empêché le taux de réussite en trois ans de la licence de revenir de 38 % à 33 % en deux ans.
Or, si les bacs pro et techno ont un taux de réussite de 3,5 % et 9,5 %, ce n'est pas par manque d'intelligence, mais faute d'avoir été formés à la prise de note et au travail conceptuel. Le sujet est brûlant, car nous ne pouvons espérer nous réindustrialiser sans former des techniciens et des ingénieurs. Aussi donnons-nous priorité à l'orientation de la seconde jusqu'à la fin de la licence : « le bac -3/bac +3 ».
Nous travaillons de concert avec Vincent Peillon pour que l'information sur les métiers soit mieux diffusée dès le lycée. Avenir professionnel, stages, alternance, amphi ou classe, les lycéens sont plongés dans le noir sur tous ces sujets. Nous favorisons l'innovation pédagogique au travers de l'utilisation du numérique, de stages encadrés, obligatoirement intégrés dans une formation, pour que les étudiants testent leur vocation - il ne s'agit pas de différer une embauche.
Pour favoriser la réorientation sans redoublement, lequel se traduit souvent par un abandon des études pour les jeunes issus des milieux les plus défavorisés, nous mettons en place une licence avec un socle large et une spécialisation progressive, qui fait de l'étudiant un véritable acteur de son orientation, définissant peu à peu son métier. Enfin, le numérique réduit le nombre de cours en amphithéâtre et favorise leur personnalisation. Tout cela forme un ensemble cohérent au service de la réussite des étudiants.
J'en viens à la gouvernance. Celle-ci ne constitue pas une fin en soi. Le service public de l'éducation travaille d'abord au service de la société et des étudiants.
Notre recherche avait besoin d'un État stratège. Pour mettre en place une nouvelle structure, nous avons, suivant le précepte d'Hubert Curien, supprimé deux autres structures. Le Conseil de la recherche définit des priorités dans le cadre d'Horizon 2020, le grand programme européen. La bureaucratie sera limitée grâce à la mise en place, avec l'ANR, de programmes pluriannuels en recherche disciplinaire et fondamentale. Les chercheurs ne seront plus obligés de mentir ou la recherche conduite à inventer des livrables.
Autre mesure non législative, nous avons, pour les appels à projets des jeunes chercheurs, mis en place des formats identiques aux formats européens, ERC (European Research Council) ou Marie Curie, afin d'habituer davantage de chercheurs à l'Europe. Nous avons perdu 5 points dans le dernier programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) parce que dans la frénésie d'appels d'offres, nos chercheurs ont oublié de « parler le bruxellois ». Outre de l'argent, nous avons perdu du prestige et du rayonnement au niveau européen.
Si j'insiste sur la recherche fondamentale, c'est parce qu'on me reproche la place occupée par le transfert dans le projet de loi. Celui-ci occupe en effet un tiers du texte, à part égale avec la gouvernance et les étudiants. Comme nous avions réorganisé la recherche fondamentale en amont, nous n'avions pas besoin de la faire figurer dans le projet de loi, d'où une impression de déséquilibre accentuée par mon origine grenobloise, territoire où la recherche technologique est bien développée.
Le terme transfert me semble plus intéressant que celui de valorisation, qui figure dans la loi sur l'innovation. Il inclut également le transfert des recherches en sciences humaines et sociales. Il est dommage que politiques et collectivités locales n'utilisent pas mieux les travaux de Sébastien Roché sur la vidéosurveillance, ou les réflexions sur le vieillissement, ou la visiomédecine. Voilà un transfert de connaissance au service d'enjeux sociétaux. Replaçons le chercheur dans sa responsabilité, au service d'une société dont il est solidaire.
La recherche fondamentale bénéficie de 33 % des 50 milliards d'euros attribués à la recherche, la recherche technologique n'atteignant pas 10 %. S'il n'est pas question d'opposer recherches appliquée et fondamentale, ce déséquilibre n'est pas satisfaisant, notamment au regard de ce qui se pratique aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Japon. La structure de la DIRD (dépense intérieure de recherche et développement) montre que ce phénomène est lié à la perte de l'emploi industriel. La recherche privée est moins dynamique en France qu'en Allemagne parce qu'elle est proportionnelle à la taille de l'industrie, et que la nôtre a fondu. Si nous voulons reconstituer notre industrie, y compris dans les filières nouvelles, nous devons enclencher un cercle vertueux en investissant davantage dans la recherche technologique. Insister sur cette dernière ne signifie pas que nous abandonnons la recherche fondamentale, au contraire la programmation pluriannuelle donnera aux chercheurs en sciences fondamentales la sérénité dont ils ont besoin.
Non, nous ne détricotons pas l'autonomie. Le principe, posé par Edgar Faure il y a 45 ans, a été renforcé par les lois Savary et LRU. Nous visons plutôt une amélioration et d'une certaine façon, un renforcement de l'autonomie. Nous mettons ainsi en place un conseil académique et un conseil d'administration. J'ai siégé quinze ans dans un conseil d'administration. Quel déséquilibre entre les discussions consacrées à la vie étudiante, à la formation, aux contenus scientifiques et à l'organisation interne des universités ! Grâce au conseil académique, les étudiants, qui soutiennent cette loi, pourront discuter du fond de la formation et du contenu scientifique.
Le conseil d'administration doit être gouverné : le président pourra, s'il le souhaite et si son conseil en est d'accord, présider également le conseil académique. Il peut aussi décider de confier la présidence à un vice-président ou à une personnalité extérieure.
Nous avons renforcé la représentation dans les conseils d'administration des personnels et des personnalités extérieures, lesquelles voteront. Il n'y a plus d'administrateurs à deux vitesses. Cela ne vaut que si leur nomination est incontestable, que si elles ne sont pas à la main du président ; c'est pourquoi les organismes de recherche, les milieux économiques et les collectivités territoriales nommeront leurs représentants. En outre, le conseil d'administration passe de 24 à 36 membres, ce qui garantit une meilleure représentation. Nous avons voulu éviter les jeux précédents, où une petite minorité faisait, après marchandage, la balance. Il fallait rétablir la collégialité, consubstantielle à l'université, et assurer une adhésion au projet. Il m'est arrivé de me trouver mieux informée comme élue de terrain que les patrons de laboratoire des universités. Cela ne peut fonctionner ainsi.
Le débat sur l'ouverture à l'international n'est pas sans hypocrisie. Il y a 790 formations dispensées en langue étrangère, principalement en anglais, dont 600 dans des écoles qui accueillent moins de 25 % des étudiants. Personne n'y a trouvé à redire, tant qu'il s'agissait des écoles, qui accueillent des jeunes issus de milieux plutôt favorisés. Toutes ces formations ou presque contreviennent totalement à la loi Toubon. Est-ce admissible ? Je comprends les inquiétudes suscitées par l'article 2 du projet de loi. Il ne s'agit pourtant pas de lancer un signal négatif pour la francophonie, mais d'attirer les étudiants de pays émergents dans les formations scientifiques et technologiques. Pour ceux-là, l'obstacle de la langue est réel. Nous voulons aussi être plus offensifs avec toute l'Afrique subsaharienne. Les pays du Maghreb sont encore francophones, mais la francophonie n'a rien d'éternel, nous devons l'entretenir et créer des relations plus équilibrées avec ces pays. Elle est révolue, l'époque postcoloniale, où nous faisions venir ces étudiants sans nous préoccuper d'échanges. Désormais, ils veulent que l'on installe des formations chez eux. L'école Centrale de Casablanca accueillera des étudiants de Centrale Paris. Avec ses 5 % de croissance, l'Afrique sauvera peut-être l'Europe de sa non-croissance.
Il faut changer de logiciel vis-à-vis de la francophonie et être actifs en Afrique subsaharienne, les Chinois y sont très présents. L'École polytechnique de Lausanne va utiliser les cent millions de dollars reçus d'une fondation américaine pour y proposer des projets partenariaux. Nous ne devons pas nous replier sur nous-mêmes, mais nous faire aimer, être ouverts, sans être naïfs. En adoptant des amendements qui auraient pu rester du registre du décret d'application, ou même de la circulaire, nous avons voulu rassurer. Trois conditions ont été posées. Il faudra d'abord que ce soit pédagogiquement justifié : les formations en Globish non utiles pourront être remises en cause. Ensuite, un apprentissage en parallèle du français sera obligatoire. Enfin, le niveau du français sera pris en compte dans l'attribution du diplôme. Cet équilibre a convaincu presque tout le monde à l'Assemblée nationale. Cependant, nous devons être actifs sur les deux plans : nous ouvrir aux pays émergents est favorable à notre économie. Les liens noués pendant les études durent toute la vie et ne nuisent pas à notre balance extérieure, qui est à la peine. C'est bon pour l'économie comme pour la culture ; enfin, le plurilinguisme est l'une des missions de l'université, qui a une vocation universelle.
En parallèle, avec Manuel Valls, après avoir aboli la circulaire Guéant qui donnait un signe de repli tout à fait désastreux, nous proposerons des visas pluriannuels pour les chercheurs, les étudiants, les doctorants. Nous envisageons même de donner un droit de visite permanent aux docteurs qui ont obtenu leur doctorat en France (et qui représentent 41 % de nos docteurs !).
Nous étudions aussi l'amélioration des conditions d'hébergement. Il n'est pas normal que l'accueil soit meilleur en Corée du sud qu'en région parisienne. Les problèmes de visa, de logement, de santé... se règleraient en un point commun d'accueil dans les campus. Mon collègue Laurent Fabius est également concerné, car l'attente dans les consulats rebute beaucoup d'étudiants étrangers, y compris dans les pays francophones.
Dernier point, l'évaluation. L'AERES vous préoccupe beaucoup. Vous avez auditionné Didier Houssin, que j'ai reçu à plusieurs reprises. Le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur n'est pas du canada dry, il manque un changement radical de méthode. Nous avons tiré les enseignements des Assises : 20 000 personnes concernées ont été d'accord sur le fait que l'évaluation était nécessaire, tant pour les organismes, que pour les établissements et les enseignants-chercheurs. Les enseignants doivent aussi être évalués sur leur enseignement, ce qui n'avait jamais été le cas. Si tout le monde s'accordait pour refuser un retour aux procédures antérieures, au caractère endogène voire incestueux, l'AERES a constitué le point de convergence le plus fort : trop tatillonne, trop administrative, ne comprenant pas les projets interdisciplinaires, avec des partis pris en sciences sociales particulièrement ou en économie et mettant les gens en porte-à-faux, l'AERES, qui réalisait elle-même ses évaluations, ne disposait pas toujours des experts nécessaires. Le rejet des méthodes, et non des personnes, a été unanime, bien que Didier Houssin, qui avait senti cette opposition, les ait fait évoluer depuis notre arrivée.
Le Haut conseil marque un changement radical, puisqu'il validera les méthodes d'évaluation proposées par les laboratoires. Il ne s'agira pas d'un organisme endogène, nous veillerons à sa crédibilité, à sa conformité aux standards européens. Chaque fois que les laboratoires pourront nous proposer une méthode d'évaluation, nous la suivrons ; à défaut, nous réaliserons l'évaluation en direct. Pour nous, aucune agence nationale n'est à même de procéder à l'ensemble des évaluations : nous reconnaissons celles qui sont réalisées par les pairs à condition qu'elles soient conformes aux standards européens et internationaux, avec la présence d'experts européens ou internationaux. La méthode est fondamentalement différente. Si nous ne conservons pas l'habilitation européenne, nous déposerons une demande et l'obtiendrons en quelques semaines.
Mme Dominique Gillot, rapporteure de la commission de la culture. - Modifié à l'Assemblée nationale, soit à votre initiative, soit avec votre accord, ou après un avis de sagesse, ce texte doit jeter les bases de l'université de demain et placer l'enseignement supérieur et la recherche au coeur de la société du XXIe siècle. L'enjeu principal est la réussite de tous les étudiants : il s'agit d'être attentif à leur accueil puis à leur orientation progressive, d'expérimenter des voies nouvelles privilégiant la réussite à moyen et long terme plutôt que la sélection par l'échec, de veiller à la démocratisation et à l'attractivité pour les étudiants de toute origine. Enfin, l'attention portée à l'accueil des étudiants étrangers bénéficiera aussi aux étudiants français.
Ces orientations emportent l'adhésion du plus grand nombre au Sénat. Certains points suscitent cependant des réserves, des craintes, voire des oppositions. Des signes d'inquiétude remontent au sujet du mode de gouvernance et du statut juridique des regroupements des communautés d'universités. Comment les concevez-vous ? Quels sont leurs objectifs ? Quelles garanties de souplesse apportez-vous en ce qui concerne l'adhésion, la représentation, la subsidiarité des délégations de compétences ? Nos interlocuteurs, s'ils se sont emparés de ces sujets, n'ont pas le même niveau d'information.
Autre sujet d'inquiétude, le transfert et la valorisation. Beaucoup d'universitaires qui n'ont pas une pratique de recherche, se demandent comment s'investir dans une activité de transfert, avec quels outils et dans quel contexte. S'agit-il d'une obligation nouvelle, ou d'une orientation culturelle ?
Je ne suis pas pleinement convaincue que le transfert de l'évaluation au Haut conseil soit moins endogamique qu'au sein de l'AERES, d'autant que celle-ci a beaucoup évolué. En revanche, la perte d'expérience et de capacité d'évolution dont a fait preuve l'AERES pourrait être d'autant plus regrettable que celle-ci avait accru son rayonnement et sa crédibilité au fil des ans. Je ne partage pas votre optimisme sur la possibilité de retrouver une accréditation européenne en quelques semaines. Cela vaut d'y réfléchir à l'abri des féroces luttes d'influence qui se sont cristallisées sur ce sujet.
Vous avez rappelé que le texte n'est pas une loi de programmation. Malgré les garanties que vous avez obtenues, les inquiétudes sur les moyens persistent. Certains critiquent l'absence de vraie rupture avec la LRU ; d'autres craignent que le processus d'accréditation fragilise l'égalité de l'offre sur le territoire ; le texte marquerait une régression en imposant un modèle unique, en recentralisant le système et en accumulant les contraintes administratives ; la dyarchie pourrait être source de blocages institutionnels ; les regroupements universités pourraient tomber entre les mains des collectivités territoriales ; l'inscription des transferts parmi les missions du service public de l'ESR suscite une forte opposition ; la disparition de masters suscite des craintes auxquelles il faut répondre ; certains s'opposent à la distinction entre le master et le grade de master ; enfin, la légalisation des cours en langue étrangère condamnerait la francophonie et le rayonnement universitaire de la France.
Pour devenir un grand texte, ne manque-t-il pas à ce projet un article sinon une annexe, qui préciserait le rôle que vous conférez à l'enseignement supérieur et à la recherche pour les vingt à trente années qui viennent ? Accroître les connaissances au bénéfice du redressement de la France, diffuser la culture scientifique, technologique et industrielle, valoriser les résultats de la recherche au service de la société à travers l'innovation, appuyer les politiques publiques pour répondre aux défis de notre époque, voilà qui inscrirait votre loi et l'université au coeur des besoins sociétaux de développement durable et de participation citoyenne.
Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - La commission des affaires économiques s'intéresse à la question de la recherche et de la gouvernance. Pouvez-vous préciser la notion de contrat de site ? Quelles seront les modalités de contractualisation à l'échelle de la communauté d'universités ainsi qu'avec chacun de ses établissements ou instituts de recherche ? Nous souhaiterions mieux comprendre ce dispositif, que l'Assemblée nationale a déjà amendé.
Bien que l'Agence nationale de la recherche (ANR) ne figure pas dans le texte, celui-ci aura des conséquences pour elle. Comment voyez-vous son évolution à moyen et à long terme ainsi que l'orientation que vous souhaitez lui donner ? Comment traiter les projets qui ne rentrent ni dans le cadre des grands organismes de recherche, ni dans celui de leurs alliances ? Comment l'articulation s'organisera-t-elle ?
L'AERES est remplacée par un Haut conseil de l'évaluation, dont les compétences et le mode de fonctionnement ne sont guère différents, d'autant qu'elle avait évolué grâce à l'action de Didier Houssin. Comment renforcer la pertinence et l'objectivité de l'activité d'évaluation ? Comment évaluer la valorisation de la recherche ? Parmi les critères, ne vaudrait-il pas mieux se référer au nombre de brevets licenciés plutôt qu'au nombre de brevets déposés ?
Bien qu'il ait pour objectif de simplifier le paysage institutionnel de la recherche et de l'innovation, le projet ne mentionne pas les structures créées dans le cadre du Programme des investissements d'avenir (Idex, Labex, Equipex, SATT). Il faudrait dire comment vous allez les coordonner avec celles qu'il établit ou qu'il évoque.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Allons-nous rendre le pouvoir à l'État, donner le pouvoir aux régions ? Le texte en priverait les présidents d'universités tout en créant une dyarchie... ? Le caractère contradictoire des retours et des critiques m'incite à penser que nous avons trouvé une position d'équilibre.
Les regroupements ne sont pas des usines à gaz qui distrairaient les chercheurs de leurs activités d'enseignement et de recherche. Nous souhaitons aboutir à une trentaine de regroupements : un par académie, parfois deux, parfois un en inter-académie, par exemple en Franche-Comté. Je n'ai pas utilisé le terme de région : l'unité de base, c'est l'académie, l'inter-académie ou le transfrontalier. Le périmètre de ces regroupements sera décidé à l'échelon local : nous renforçons de ce point de vue l'autonomie. L'important est que des écosystèmes décident d'une stratégie de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche ; fusion, association, fédération, co-fédération, peu importe. Un amendement précisant la possibilité de faire une co-fédération et une fédération serait peut-être utile : puisque nous voulons le faire, autant le dire clairement. L'État n'impose aucune forme particulière. Nous souhaitons simplement aboutir à une trentaine de communautés, qui pourraient s'appeler Université de Bourgogne-Franche-Comté, Lyon-Saint-Etienne, Grenoble-Savoie...
Les salaires resteront versés à chaque établissement, sauf en cas de fusion. Les contrats de site identifient tout ce que ces regroupements auront décidé de mettre en commun. Nous en avons signé deux hier avec les deux universités fusionnées ou rapprochées, celles d'Alsace et de Lorraine, ainsi qu'avec celle d'Avignon. Cela représente une somme globale de huit millions d'euros, ce qui n'est pas considérable par rapport aux douze milliards d'euros de l'université. Il s'agissait de financer tout ce qui pouvait être mutualisé : une bibliothèque universitaire, (et non un learning center) ...
M. Jacques Legendre. - Très bien !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - ... ou un centre de documentation ouvert. J'étais sûre de recueillir une appréciation favorable sur ce point ! À Saclay, on disait hier schools pour écoles...
Encore modestes, les mutualisations ont vocation à grandir. Les structures qui ont été développées ces dernières années ont vocation à évoluer comme à Toulouse : un idex, circonscrit à l'École de l'économie, ne communiquait guère avec les autres Universités. Marie-France Barthet a accompli avec les présidents d'université un travail formidable que nous avons soutenu auprès du Commissariat général à l'investissement - si l'Université n'est pas capable d'évoluer, qui le sera ? - pour faire en sorte que ce projet tire l'ensemble de la communauté universitaire vers l'excellence. Il revient aux acteurs de terrain de mener ce travail, le ministère n'est là que pour poser les jalons, pour aider à surmonter les blocages. Les Pres, fragilisés par le refus de l'État de contractualiser avec eux, ont vocation à s'intégrer aux communautés. Aucune composante ne sera mise en péril. Au contraire, si périphériques qu'elles puissent être (Pau par rapport à Bordeaux, ou Chambéry par rapport à Grenoble), elles participeront à l'élaboration de la stratégie, ce qui n'est guère le cas actuellement au service d'une mission utile aux étudiants et de la recherche.
Alain Beretz l'a très bien dit hier, l'intérêt d'un contrat de site n'est pas l'argent (2,5 millions d'euros pour Strasbourg), mais la possibilité d'élaborer une stratégie de site partagée, comme ça se fait à l'étranger. L'université d'Avignon, qui a un président charismatique, n'a pas peur d'établir un partenariat avec celle fusionnée d'Aix-Marseille, car elle est concentrée sur deux axes stratégiques : culture, notamment le cinéma, et agrosciences.
De même qu'il faut éviter les doublons, il convient de clarifier l'offre de formation. Un jeune, à son premier clic sur le système d'admission post-bac, se voit proposer onze mille formations différentes : n'est-ce pas scandaleux ? Comment un employeur peut-il évaluer la qualification d'un étudiant dans ce contexte ? L'harmonisation licence-master-doctorat (LMD) allait dans le bon sens, puis le système a dérivé : chaque enseignant-chercheur peut créer un master associé à sa recherche... Nous ne pouvons pas nous permettre des formations avec treize intervenants pour un master de sept étudiants, et pas dans des disciplines rares. Un effort de rationalisation s'impose, auquel doivent participer les comités licence, les comités master, ainsi que les conseils disciplinaires. Nous proposerons une nomenclature aux universités. L'Université de Bourgogne, par exemple, a déjà réalisé une entrée par grands domaines, sans pour autant l'appauvrir, son offre de formation. Un service public doit toujours être lisible par le citoyen.
L'ANR est devenue, par défaut, une agence de définition de stratégie nationale. La définition d'alliances par Valérie Pécresse a été une bonne chose : Ancre pour l'énergie, AllEnvi pour l'environnement, Aviesan pour les sciences de la vie, Athena pour les sciences humaines et sociales, et Allistene pour le numérique. Nous gagnerons du temps en réunissant les acteurs pour qu'ils travaillent ensemble. Nous leur avons demandé d'élaborer un agenda stratégique de la recherche à partir d'axes sociétaux que nous avons définis en fonction d'Horizon 2020, des filières que nous souhaitons développer, comme la transition énergétique ou les filières vertes.
La loi met en place un conseil stratégique de la recherche, comprenant des experts indépendants et placé auprès du Premier ministre : la recherche ne doit pas être un monde à part, elle doit être intégrée aux décisions interministérielles. L'ANR n'a plus un rôle de stratège : elle a désormais un rôle d'opérateur, de mise en place les programmes, sans se substituer à un État stratège, qui s'assure que l'argent public est bien utilisé.
Que faisons-nous de plus en matière de transfert ? Un livre du transfert, actuellement élaboré en collaboration avec Fleur Pellerin et Arnaud Montebourg, sera associé à la loi. La pédagogie du travail en équipe est fondamentale : en entreprise, j'ai vu de jeunes ingénieurs issus de filières d'excellence qui ne savaient pas travailler en équipe. Cette pédagogie est d'ailleurs l'un des points forts des IUT. Nous devons développer notre capacité en ce domaine.
Nous souhaitons faciliter la mise à disposition de résultats de la recherche pour des PMI et des PME qui s'engagent à les valoriser sur le territoire européen - réglementation européenne oblige - par un équivalent du Bayh Dole Act américain. Nous voulons également qu'il y ait un mandataire unique dans les unités mixtes de recherche (UMR) : plus de la moitié de la recherche est ainsi structurée, et parfois le conflit entre tutelles peut retarder considérablement un accord avec une start-up. Instaurer une date limite, comme nous l'avons envisagé à l'Assemblée nationale, risquait de conditionner le résultat des négociations.
Avec LabCom, nous avons mis en place à l'ANR, en février, un programme de partenariat entre recherche publique et des PMI-PME à fort potentiel d'innovation dans tous les domaines d'activité : nous visons, sur deux ou trois ans, une centaine de laboratoires communs.
Le brevet unique européen, enfin mis en place, coûte dix fois moins cher que le brevet précédent : nous allons le promouvoir au sein des PMI-PME afin que chacun soit respecté dans son rôle et que la recherche publique ne soit pas siphonnée. Il n'est pas toujours nécessaire de créer des SATT : apprenons à mettre les structures au service des missions sans réinventer l'eau chaude à chaque fois. Nous avons demandé une évaluation en 2014 du modèle économique des SATT.
M. Daniel Raoul, président. - Très bien !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Les situations varieront selon les territoires.
M. Daniel Raoul, président. - Bien sûr. Vous dites que pour éviter les doublons il ne faut pas créer de SATT là où des organismes font de la préincubation, de la détection de projets dans les laboratoires. La valorisation de la recherche ne débouche pas nécessairement sur la création d'entreprise, mais nous déposerons au moins un amendement sur le brevet unique européen, en accord avec le ministère des affaires étrangères.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Votre souci de favoriser le travail en équipe a été entendu par avance par notre commission : le Sénat a réécrit l'article 3 de la loi de refondation de l'école en mettant l'éducation à la coopération au centre du projet pédagogique en primaire.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Parfait.
M. Jean-Léonce Dupont. - Votre exposé très clair démontre qu'il est possible d'être efficace et pédagogique sans prétention ni suffisance. Vous montrez aussi qu'on ne passe pas de l'obscurité à la lumière, ni de la lumière à l'obscurité : vous avez indiqué qu'il n'y avait pas de vraie rupture avec la loi LRU ; je pense que chaque génération doit apporter sa pierre à l'édifice.
Vous créez un conseil académique : j'aurais préféré l'expression de Sénat académique, qui se rapproche plus de ce qui existe ailleurs. Vous faites voter les personnalités extérieures : je vous en félicite. En revanche, pourquoi augmenter le nombre de membres des conseils d'administration ? La pléthore provoque la paralysie, on l'a vu par le passé.
M. Daniel Raoul, président. - On était au double...
M. Jean-Léonce Dupont. - Vous exigez la parité dans la composition des listes : ce noble objectif ne doit pas remettre en cause la représentation de tous les secteurs de formation, notamment dans les universités pluridisciplinaires. Quant aux budgets, en deux ans, 23 universités sur 83 sont devenues déficitaires. Prévoyez-vous des mesures d'accompagnement pour équilibrer les budgets des universités de manière durable ? Enfin, le débat à l'Assemblée nationale a fait entrevoir la possibilité d'arriver à des contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour certaines composantes. C'est un vieux débat : est-ce conciliable avec l'unité affirmée d'une université ?
Vous avez évoqué la réussite en premier cycle. Comment arriver à orienter des bacheliers sur des filières STS-IUT ? Nous savons que nombre de composantes cherchent à conserver ces étudiants. Est-il intellectuellement raisonnable de prétendre que des jeunes qui n'ont pas les pré-requis minimaux peuvent réussir à l'université ?
Outre-Atlantique, 80 % des établissements mettent leurs cours en ligne, contre 3 % en France. Quels moyens mettez-vous en place pour évoluer dans ce domaine ?
J'aimerais connaître le nombre de vrais inscrits. Les chiffres que vous avez correspondent-ils à la réalité ? Je suis extrêmement favorable à l'accueil d'un grand nombre d'étudiants étrangers, mais avec quelques conditions. Souvent, des inscriptions sont acceptées pour maintenir des masters.
M. Daniel Raoul, président. - Bien sûr.
M. Jean-Léonce Dupont. - Certains professeurs nous disent que ces étudiants ne comprennent même pas les questions qui leur sont posées. Ayons le courage de le dire et de chercher les solutions.
L'insertion professionnelle est un objectif fondamental. Il nécessite des outils de suivi et d'analyse, et la capacité d'améliorer, de transformer l'offre de formation. Nous manquons toujours d'une vision exhaustive des données pertinentes en la matière - est-ce pour éviter d'avoir à faire des choix ? Pensez-vous avoir les moyens de faire évoluer positivement les choses ?
Mme Françoise Laborde. - Mon collègue Jean-Pierre Plancade, rapporteur des crédits de la recherche au nom de la commission de la culture depuis quelques années, suivra ce projet au nom de mon groupe. Le RDSE y est globalement favorable. Je rejoins ce que vous avez dit à propos de Toulouse : lorsque l'on veut travailler en équipe, on peut, comme l'a montré Marie-France Barthet.
Rapporteure pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, j'ai déjà interrogé les membres de votre cabinet et procédé à plusieurs auditions. Les articles 37 et 37 bis comportent des dispositions destinées à favoriser la parité au sein des conseils d'administration et des conseils académiques des universités, ainsi que, moyennant un certain nombre d'aménagements, dans les instances dirigeantes d'autres établissements relevant du titre I du livre VII du code de l'éducation. Les écoles d'architecture, l'École de hautes études en santé publique, les établissements d'enseignement supérieur de la musique, de la danse, du théâtre, des arts du cirque et des arts plastiques échappent apparemment à toute obligation paritaire : cela figurera dans le rapport de la délégation.
Le texte ne comporte aucune disposition spécifique favorisant la parité dans les instances dirigeantes des établissements publics de recherche. L'action conjuguée de la loi du 27 janvier 2011 sur la représentation équilibrée dans les conseils d'administration et de la loi Sauvadet du 12 mars 2012 suffira-t-elle pour faire progresser la parité, et surtout dans quel délai ?
Je pense enfin qu'il faut rationaliser la nomenclature des masters, mais attention à ne pas jeter avec l'eau du bain les études du genre !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je soutiens pleinement Mme Laborde.
Je fais partie de la catégorie des inquiets, voire des opposants au texte. Sans être une loi de programmation, il mobilise des moyens insuffisants en regard de la situation des établissements. Le texte ne remet pas en cause la loi LRU, vous dites même qu'il l'améliore. Le pacte de recherche, le Grand emprunt, les multiples initiatives d'excellence se conjuguent à un transfert qualifié, car il s'agit bien de progresser vers l'employabilité. Tout cela nous fait vraiment peur : les liens entre l'enseignement supérieur et la recherche et le monde de l'entreprise ne sauraient devenir l'unique préoccupation.
L'objectif de simplification me paraît louable. L'atteindrons-nous ? Vous parlez d'une logique de territoire distincte de l'organisation régionale. Quel mécanisme sera à l'oeuvre ? Qui décide pour un territoire ? Comment les différents statuts s'articuleront-ils ? Comment l'État stratège se dotera-t-il d'outils pour que ces regroupements ne deviennent pas des trous noirs, mais participent à la mise en place d'une offre globale harmonieuse sur le territoire ?
Il faut réduire le nombre de diplômes : en quoi le passage de l'habilitation à l'accréditation y contribuera-t-il ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le système d'accréditation ? Prenant l'exemple des ÉSPÉ, on nous avait renvoyé à votre texte... qui se sert de ce qui va s'y passer, alors que les remontées du terrain ne sont pas bonnes. Qui va participer à la délivrance des diplômes ? Des établissements privés seront-ils habilités à le faire ?
Les quotas ne suffisent pas pour atteindre l'objectif de progression significative des bacheliers pro et techno vers le supérieur, sans se préoccuper de la situation.
Enfin, l'article 43 ter organise une grande flexibilité dans les statuts des enseignants-chercheurs, qui pourront passer indifféremment d'un statut d'enseignement à un statut de recherche. Ce grand flou est extrêmement dangereux.
M. Jacques Legendre. - Une remarque tout d'abord : les sénatrices prennent aujourd'hui une part considérable à nos travaux puisque les deux rapporteures sont des sénatrices, dans une commission placée sous la présidence d'une sénatrice, sur un projet de loi présenté par une ministre.
La commission pourrait se pencher sur le quota qui pourrait être réservé aux sénateurs pour exercer les quelques fonctions qui leur restent encore.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous pouvez observer que j'ai veillé à ce que la répartition par sexe des intervenants soit strictement paritaire !
M. Jacques Legendre. - J'allais ajouter que cela ne me posait aucun problème. Sur le fond, la loi va succéder à une loi que le groupe UMP tient pour importante : nous y sommes donc très attentifs.
Je voudrais marquer au moins un point d'accord avec vous, madame la ministre. L'on parle trop de la francophonie, dites-vous. Oui, mais pourquoi avez-vous introduit la question du régime linguistique à l'article 2 alors qu'il ne s'agit pas d'un dispositif essentiel du projet de loi ? Beaucoup de points font consensus, à commencer par la nécessité pour les étudiants français d'avoir une bonne connaissance des langues étrangères, de l'anglais - cela relève plutôt de la loi Peillon. Je ne suis pas choqué par le fait que des étudiants étrangers non francophones puissent suivre des cours dans une langue autre que la nôtre. Il faut répondre à cette demande pour rester présents sur le marché mondial de l'enseignement supérieur, même si nombre de ces étudiants s'attendent à des cours en français.
Notre inquiétude tient à ce que l'offre de cours en anglais est faite par des grandes écoles, à destination non pas d'étudiants non francophones mais d'élèves français. De manière ponctuelle, pourquoi pas ? Mais faire en anglais l'intégralité des cours dans nos écoles les plus réputées porterait un tort énorme au français, qui ne serait plus une langue internationale, mais la langue du foyer, du coeur : c'est ce qu'ont choisi de faire les Finlandais, les Suédois ou les Néerlandais.
Je ne m'étais pas exprimé jusqu'ici. Je crois qu'il faut mettre en place des garde-fous. Ceux qui violent la loi depuis des années peuvent-ils invoquer leur propre turpitude ? Ceux qui n'ont pas respecté la loi Toubon ne respecteront pas la vôtre. Soyons prudents : nous vous proposerons quelques compléments, afin que notre enseignement supérieur soit performant, et que la langue française soit présente dans le monde - deux objectifs nullement contradictoires.
Je pense comme vous que les personnalités extérieures des conseils d'administration doivent voter. Je partage entièrement votre désir d'ouvrir notre enseignement à l'international. Sur la lutte contre l'échec en premier cycle, cessons de nous payer de mots : le baccalauréat ne suffit pas pour réussir dans n'importe quelle filière de l'enseignement supérieur. Au nom du refus de la sélection, nous avons conduit au massacre des étudiants qui ont voulu s'inscrire dans l'enseignement supérieur avec un bac pro. Un temps « le bac -3/bac +3 », très bien ; encore faut-il que le baccalauréat soit un peu revu, et que vous vous en occupiez davantage. J'ai fait un rapport sur le sujet il y a quelques années : alors qu'il est le premier grade universitaire, il est entièrement géré par l'enseignement secondaire. Beaucoup d'universités ont même du mal à trouver un professeur pour présider le jury...
M. Daniel Raoul, président. - Exact.
M. Jacques Legendre. - L'enseignement supérieur doit se préoccuper du baccalauréat, qui est un temps fort du « le bac -3/bac +3 ». Évitons les mauvaises orientations.
M. André Gattolin. - Je note avec satisfaction la volonté de préciser les modalités de création des communautés d'universités. Ne craignons pas les mots de fédéralisme ou de confédéralisme, même si certains syndicats les rejettent : c'est la représentation nationale qui fait la loi.
J'approuve votre attachement à l'apprentissage en alternance, mais soyons précis : il faut distinguer les masters de recherche, dont le nombre est sans doute excessif, des masters pro, dont nous manquons. Les universités n'opèrent pas les arbitrages nécessaires. Un bon master pro requiert des moyens qu'elles n'ont pas, et les universitaires ne savent pas solliciter les entreprises : ils font appel à des contractuels rémunérés 33 euros de l'heure, qui restent un an et qu'il faut remplacer ensuite. L'équivalence entre les deux masters devrait dispenser les titulaires d'un master pro de rédiger un mémoire en sus des rapports de stage et des cours.
Pourquoi limiter les transferts aux PME-PMI ou aux collectivités territoriales ? L'on pense bien sûr aux travaux de Sébastian Roché sur la vidéosurveillance. Cependant, l'une des fonctions de l'université est de servir le citoyen, et non uniquement l'appareil productif. De nombreuses associations, fondations, groupes, organisations non gouvernementales auraient besoin de créer de l'expertise, qui nous éviterait d'avoir régulièrement à demander à l'État des rapports. Des universitaires ont envie de réaliser ce travail, sur une base contractuelle. Cela contrebalancerait la dimension purement économique des transferts que vous envisagez.
Mme Maryvonne Blondin. - À côté des regroupements par logique de territoires que vous évoquez, il y a aussi la logique d'intérêt scientifique : l'Institut européen de la mer est un europole qui travaille avec plusieurs pays et différentes structures, allant de l'entreprise à l'université. Quelles seront les modalités d'accréditation ? Je conclurai en mettant fin à un insoutenable suspense : le groupe socialiste se prononcera en faveur de l'adoption du projet de loi.
M. Alain Bertrand. - Les ruraux sont plus fragiles en temps de crise. Que vous parliez de logique de territoire me va très bien ; en revanche, nous tremblons lorsque vous évoquez les regroupements. L'enseignement supérieur est une composante de l'égalité des chances et des territoires, chère à notre Président de la République, puisqu'il y a consacré un ministère. Vous qui connaissez l'hyper-ruralité, rassurez-moi : cette loi est-elle bonne pour nous ?
Mme Colette Mélot. - Le groupe UMP craignait une gouvernance bicéphale, avec un président du conseil académique qui serait un président bis ; vous nous avez rassurés, en affirmant que ce président pourrait être le président du conseil d'administration ; des dissensions pourraient toutefois nuire aux choix stratégiques de l'université.
La suppression des Pres risque de mener à des regroupements forcés, au mépris de l'autonomie et du rayonnement des établissements. Le souhaitable regroupement des universités doit reposer sur des projets communs et des compétences partagées, non sur une logique technocratique. Au lieu de supprimer l'AERES, qui a prouvé sa capacité à évoluer, il aurait fallu la réformer et conserver sa bonne notoriété internationale. Enfin, tandis que le texte ne dit rien des moyens, la recentralisation de l'enseignement supérieur donne des gages aux corporatismes.
M. Pierre Bordier. - Mme Gillot a fait la liste de ses inquiétudes...
Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Pas les miennes, celles qui me reviennent !
M. Pierre Bordier. - Nous avons les mêmes. Les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche de dimension nationale qui ont plusieurs implantations régionales ne pourront pas intégrer les futures communautés d'universités, leur rattachement à une seule université étant contraire à leur nature. Comment faire ?
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Le statut juridique d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel est le plus souple : il préserve l'autonomie. La logique académique peut se coordonner avec une logique scientifique de réseau. On a voulu, il y a quelques années intégrer à Paris un laboratoire de pointe consacré au cerveau situé à Poitiers. Il est pourtant essentiel de reconnaître des sites d'excellence qui tirent le territoire vers le haut. Quant aux sites périphériques et ruraux, ils ont fait l'objet d'une grande discussion, avec un groupe de députés, qui ont introduit une formulation nouvelle à l'article 38 : « sur la base d'un projet partagé ».
Nous demandons aux IUT d'accueillir les jeunes formés pour les intégrer - une variation de flux de 10 % à 15 % ne compromettra pas la qualité de la filière. Les COM sont un moyen d'intégrer davantage dans le schéma global de l'université les IUT qui se sentent mal aimés depuis le passage à la LRU. Ils se sont repliés sur eux-mêmes, ce qui n'est pas bon : il faut que des passerelles avec l'université et les entreprises fonctionnent.
Quand l'on constate que cela ne marche pas, vient un moment où il faut prendre le risque de changer, quitte à évaluer puis à évoluer. Nous avons choisi les meilleurs moyens pour atteindre nos objectifs. Un dialogue entre le recteur, les proviseurs, les responsables des sections STS définira des quotas ; les présidents d'université et les directeurs d'IUT détermineront des quotas différenciés sur le territoire : à Montluçon 84 % des élèves d'IUT ont un bac techno, en région parisienne plusieurs ont des bac S avec mention bien... L'autonomie, c'est la responsabilisation des acteurs, les contrats de sites l'illustrent bien. C'est ainsi que font les pays qui se développent.
Notre objectif est un doublement de l'alternance.
M. André Gattolin. - Il faut la vendre !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Elle représente 8 % dans l'enseignement supérieur, et 4 % à l'université. À Marne-la-Vallée, 27 % des étudiants sont en alternance. Un dialogue constructif fera tomber les barrières entre entreprises et universités. La revalorisation des filières professionnelles et technologiques mettrait fin à la différenciation entre master pro et master de recherche, cette exception française... Nous sommes prêts à y travailler avec vous, monsieur Gattolin.
Nous avons intégré la formation tout au long de la vie aux missions de l'université. Il est sidérant que la formation professionnelle des médecins soit confiée à des laboratoires privés plutôt qu'à des universités. Celles-ci doivent proposer leur offre. Cela peut être une source de recettes : la formation professionnelle représente 34 milliards d'euros, dont une partie pourrait être consacrée à des formations sérieuses à l'université.
C'est le ministère de la culture qui a la tutelle sur les écoles d'architecture. Aurélie Filippetti est prête à la cotutelle, il reste à convaincre les écoles : la semaine dernière, deux directeurs ont marqué par leur absence à Villefontaine leur désaccord avec une absorption par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mieux vaut agit progressivement et avec doigté.
Nous avons intégré des amendements sur la finalité citoyenne. Je suis prête à définir le transfert de manière plus large. Nous intègrerons le co-fédéralisme et le fédéralisme.
La déclaration de Mme Mélot montre que je ne l'ai pas convaincue. Nous serions à la fois jacobins et girondins. Oui, nous prenons le meilleur des deux attitudes, sans dogmatisme.
Mme Colette Mélot. - Il y aura peut-être des aménagements.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Je l'espère, car sur ces sujets d'intérêt général, nous devons donner des signes aux jeunes : 25 % d'entre eux sont au chômage chez nous, contre 5 % en Suisse, 8 % en Allemagne, mais 50 % en Espagne et 65 % en Grèce. Si nous ne voulons pas d'une génération perdue, nous avons une responsabilité collective. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur la réussite en licence, car l'avenir se joue là, ainsi que dans « le bac -3/bac +3 ».
Nous travaillons au contenu des ÉSPÉ. Je suis moins pessimiste que Brigitte Gonthier-Maurin : les maquettes sont remontées, à l'exception de celle d'Antilles-Guyane en raison d'un changement de président d'université, et pour les deux tiers, sont satisfaisantes. Nous réalisons un équilibre entre la formation disciplinaire et la formation professionnalisante, avec un élargissement de celle-ci au fur et à mesure de l'avancement. Nous ne lâchons plus les jeunes dans des classes multi-niveau en milieu rural ou dans des quartiers difficiles. Ils ont besoin d'être tutorés, par un enseignant expérimenté : ce sera le cas, car dans ces classes, tout compte.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je viens de recevoir des personnes s'occupant des parcours culturels et artistiques. Dans la loi Peillon, nous avons voté une mesure en faveur d'une formation des futurs enseignants à cette dimension. Celle-ci n'est pas adoptée encore ; les maquettes ne peuvent donc tenir compte de ces nouveaux contenus. Vous aurez à réaliser des ajustements, et sans doute à prendre des circulaires avec Aurélie Filippetti et Vincent Peillon.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Nous menons un travail commun sur les ÉSPÉ. Daniel Filâtre - encore un Toulousain ! - est chargé de définir le contenu des maquettes avec les services ; la coopération a bien fonctionné avec Vincent Peillon. Les ÉSPÉ ne seront pas des succédanés des IUFM : nous les voulons ancrés dans l'université, échangeant avec la recherche. La formation est véritablement nouvelle, à la fois disciplinaire et professionnalisante.
M. Pierre Bordier. - Et les Arts et métiers ?
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Un amendement à l'article 38 a prévu une dérogation au principe d'appartenance à une seule communauté d'universités et d'établissements pour les établissements nationaux ayant plusieurs implantations sur le territoire.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous vous remercions de ce dialogue très riche.