- Mercredi 15 mai 2013
- Politique commerciale - Rapport de M. Simon Sutour sur les propositions de résolution européenne (n°s 522 et 526) relatives respectivement au respect de l'exception culturelle et de la diversité des expressions culturelles, et au respect de l'exception culturelle dans les accords commerciaux Europe-États-Unis
- Institutions européennes - Audition de M. Jean-Marie Cavada, député européen, président du Mouvement européen - France
Mercredi 15 mai 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Politique commerciale - Rapport de M. Simon Sutour sur les propositions de résolution européenne (n°s 522 et 526) relatives respectivement au respect de l'exception culturelle et de la diversité des expressions culturelles, et au respect de l'exception culturelle dans les accords commerciaux Europe-États-Unis
M. Simon Sutour, président. - Comme vous le savez, les négociations commerciales ouvertes à Doha en 2001 à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont dans l'impasse. C'est pour sortir de cette impasse qu'en novembre 2011, les présidents Barroso, Van Rompuy et Obama ont institué un « groupe de travail de haut niveau sur l'emploi et la croissance ». Dans son rapport final, publié en février dernier, ce groupe de travail a recommandé d'entamer la négociation d'un accord global sur le commerce et l'investissement, estimant qu'il pourrait être très avantageux pour les deux économies. L'enjeu d'un tel partenariat transatlantique est considérable puisque l'Union européenne (UE) et les États-Unis d'Amérique représentent ensemble près de la moitié du PIB mondial et un tiers des échanges mondiaux : outre le fait qu'ils partagent des valeurs communes, l'UE et les États-Unis sont en effet des partenaires stratégiques en matière de commerce et d'investissement. En 2011, l'UE était le premier partenaire commercial des États-Unis, et les États-Unis le deuxième partenaire commercial de l'UE.
Dans ses conclusions des 7 et 8 février 2013, le Conseil européen déclare vouloir « mieux utiliser le commerce comme moteur de la croissance et de la création d'emplois ». Il se dit donc favorable à un tel accord commercial global avec les USA et insiste sur la nécessité de progresser vers une plus grande convergence transatlantique en matière de réglementation.
En effet, l'accord comportera trois volets :
- un volet classique, visant à baisser les droits de douane pour améliorer l'accès au marché ;
- comme les tarifs sont déjà assez bas (3 % en moyenne), le deuxième volet prévoit de diminuer les obstacles non tarifaires : il s'agit des barrières réglementaires internes au marché, comme celles que rencontrent nos PME pour accéder aux marchés publics américains ;
- un troisième volet porte sur les sujets que l'on désigne à l'OMC comme les sujets de régulation : droits de propriété intellectuelle, normes sociales et environnementales...
À la condition d'éviter l'écueil d'un alignement vers le bas, une convergence réglementaire offre une perspective prometteuse : elle est prometteuse à la fois pour la relation commerciale bilatérale mais aussi comme vecteur d'influence sur l'ensemble du système commercial international.
L'ambition du projet suscite donc de grands espoirs mais aussi certaines inquiétudes. Le ministère de l'économie et des finances a reçu plus de 250 réponses à la consultation qu'il a lancée sur le sujet, soit cinq fois plus que concernant le projet d'accord UE/Japon. Il en ressort globalement un grand enthousiasme et une forte attente des acteurs économiques français à l'égard d'un accord avec les États-Unis, sauf dans le secteur automobile.
Le Gouvernement a transmis au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, la recommandation de décision que la Commission européenne a proposée le 13 mars 2013 au Conseil pour autoriser l'ouverture de négociations concernant ce partenariat transatlantique de commerce et d'investissement.
Au Sénat, deux propositions de résolution européenne ont depuis été déposées, en avril, par Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs de ses collègues (n° 522) et par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (n° 526), relatives à la dimension culturelle de la négociation. Ces démarches font écho à celle initiée à l'Assemblée nationale par Mme Danielle Auroi et M. Patrick Bloche. Je suis très sensible aux initiatives de nos collègues et à l'enjeu qu'ils soulèvent. Mais je vous propose d'intégrer le contenu des deux propositions de résolution européenne dont nous sommes saisis dans une vision d'ensemble, pour que le Sénat s'exprime sur l'ensemble du mandat de négociation pour ce partenariat transatlantique.
Je vous propose d'abord de rappeler l'attachement du Sénat au multilatéralisme, tout en faisant valoir que ceci n'exclut pas la conclusion d'accords bilatéraux plus ambitieux que ceux conclus au sein de l'OMC. La perspective de ce partenariat transatlantique représente en effet une opportunité importante pour l'Union européenne : alors même que les États-Unis se tournent plus visiblement vers le Pacifique, un tel accord est susceptible d'insuffler une nouvelle dynamique aux relations transatlantiques, ce qui est particulièrement précieux dans le contexte de crise actuel. Cet accord peut contribuer sensiblement à la croissance et à l'emploi : selon l'étude d'impact de la Commission, les gains économiques significatifs globaux seraient de 119,2 milliards de dollars pour l'UE et 94,2 milliards de dollars pour les États-Unis, même si ces chiffres doivent être pris avec beaucoup de prudence.
De plus, un accord transatlantique, du fait du poids additionné des deux partenaires, aurait un effet d'entraînement et contribuerait à introduire plus de régulation dans le commerce mondial. Nous devons donc défendre une vision ambitieuse de cet accord : il ne doit pas se réduire à un accord de libre-échange mais constituer un réel partenariat d'égal à égal qui respecte les valeurs fondamentales, l'identité culturelle et les préférences collectives de chacun des deux partenaires.
Quelles doivent être les priorités européennes dans cette négociation ?
Un premier impératif pour l'UE est de convenir avec les États-Unis d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle, et tout particulièrement des indications géographiques : c'est pour nous un enjeu fondamental, sur les vins comme sur les autres produits agricoles et agroalimentaires. Il nous faudra aussi rester vigilant sur le traitement des produits sensibles, notamment agricoles, tout au long de la négociation : je pense à la filière élevage ou au maïs... Sur ces produits, l'UE est moins compétitive que les États-Unis, du fait d'importantes différences de normes sociales, environnementales et de bien-être animal.
Il faut aussi souligner l'importance des règles d'origine, qui doivent avoir le même niveau d'exigence pour les deux parties à l'accord, sinon les producteurs européens seraient désavantagés.
Il convient par ailleurs de dissuader la Commission européenne d'envisager un recours à l'arbitrage pour régler les différends entre les investisseurs et les États : en effet, le recours à un arbitre privé pour régler un différend entre un État et un investisseur risque de remettre finalement en cause la capacité à légiférer des États.
Je suggère aussi, cela me paraît très important, de fixer clairement dans le mandat l'objectif d'obtenir des progrès parallèles en matière d'accès au marché et de réduction des barrières non tarifaires, comme on l'a fait pour la négociation qui vient de s'ouvrir avec le Japon. Pour nos PME, le prix de la mise aux normes américaines constitue souvent une barrière à l'entrée. Il me semble que l'expérience européenne en matière de reconnaissance mutuelle et d'harmonisation des normes et procédures doit pouvoir être mise à profit pour avancer sur ce terrain.
S'agissant des barrières non tarifaires, le partenariat transatlantique représente une occasion unique pour réduire les discriminations que subissent nos entreprises dans l'accès aux marchés publics américains, y compris subfédéraux ; ces discriminations sont d'autant plus insupportables que l'Union européenne ouvre la quasi-totalité de ses marchés publics aux pays tiers.
Je crois aussi important de ne pas négliger d'inclure dans le champ de la négociation les subventions publiques : en effet, ces subventions sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence et d'entraver l'accès au marché. Une telle clause figure d'ailleurs dans l'accord que l'UE a déjà conclu avec la Corée du Sud.
L'accord devrait aussi prévoir un chapitre ambitieux sur les normes sociales et environnementales. Il faut rappeler que les États-Unis n'ont pas ratifié certaines conventions internationales majeures en matière sociale et environnementale : conventions de l'OIT, protocole de Kyoto, convention sur la biodiversité... La négociation de l'accord ne doit pas conduire à l'abaissement de l'acquis communautaire dans ces domaines ; elle doit au contraire permettre d'influer sur l'ensemble du système commercial mondial dans une perspective de développement durable.
L'UE a des intérêts offensifs en matière de services, et notamment, de services financiers. Dans ce dernier domaine, ce sont surtout les règles prudentielles, décidées suite à la crise, et leur interprétation différente de part et d'autre de l'Atlantique, qui menacent aujourd'hui l'activité des entreprises financières européennes aux États-Unis. C'est pourquoi, l'accord doit permettre de rapprocher la réglementation prudentielle.
Plus généralement, je crois nécessaire de demander que l'accord soit contraignant pour tous les niveaux d'administration, sans exception, ainsi que pour toutes les autorités de régulation et autres autorités compétentes des deux parties. En effet, si la plupart des règles sont fixées au niveau européen par voie législative, le pouvoir réglementaire repose largement aux États-Unis sur les régulateurs, agences ou administrations.
Enfin, je soulignerai l'importance qui s'attache à la protection des données, d'autant que les données sont devenues un enjeu concurrentiel à l'ère numérique. Vous savez qu'un nouveau règlement européen est en cours d'élaboration en matière de protection des données personnelles, et que la pression des lobbies américains est très forte au Parlement européen. Une fois ces règles fixées, l'Union européenne devra négocier avec les États-Unis un accord pour protéger les données personnelles des Européens qui seraient transférées aux États-Unis à la requête des autorités américaines. Cette nécessaire négociation pourrait être incluse dans le champ du partenariat transatlantique.
Voilà pour nos priorités de négociation. Le Sénat doit aussi se positionner au sujet du périmètre de la négociation qui va s'ouvrir.
Comme le souligne la proposition de résolution européenne de Mme Blandin et ses collègues, c'est la première fois en vingt ans que la Commission néglige d'exclure expressément le secteur audiovisuel d'un accord de commerce international. Les biens et services culturels, en ce qu'ils sont porteurs de sens et d'identité, ne peuvent se réduire à leur valeur commerciale. L'exception culturelle n'est pas française : ce principe s'est trouvé consacré, depuis les accords de Marrakech de 1994, par l'absence d'engagement européen sur toute libéralisation commerciale des services audiovisuels. On entend par services audiovisuels, selon la définition de la nomenclature OMC, la radio, la télévision, le cinéma et la musique.
À l'inverse, les États-Unis font partie des rares États membres de l'OMC qui ont contracté des engagements de libéralisation de leurs services culturels, ce qui s'explique car ils sont le premier exportateur mondial. Ils ont par ailleurs refusé d'être partie à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Cette convention, à laquelle l'UE comme la France sont parties, reconnaît aux parties le « droit souverain de formuler et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et d'adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ».
La libéralisation du commerce des services audiovisuels intéresse d'autant plus les États-Unis que se développent les technologies numériques : des acteurs américains comme Netflix, Amazon ou iTunes cherchent à pouvoir accéder au marché européen, sans qu'il soit possible d'exiger de leur part le soutien à la diversité culturelle que leurs concurrents européens sont tenus de fournir.
C'est pourquoi de nombreux professionnels européens s'inquiètent. Ils invoquent à bon droit l'article 3 du traité sur l'Union européenne, comme l'article 22 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui prévoient que l'UE respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique. C'est pourquoi l'article 207-4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne requiert que le Conseil statue à l'unanimité pour la négociation et la conclusion d'accords « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union ». En demandant l'exclusion des services audiovisuels, nous sommes donc dans l'esprit du traité. L'Assemblée nationale prépare pour le 28 mai une proposition de résolution européenne qui devrait aussi aller dans ce sens.
En son état actuel, le mandat de négociation proposé par la Commission européenne ne prévoit pas explicitement d'exclure du champ de la négociation les échanges de services et les investissements en matière culturelle. Il est seulement indiqué, dans le paragraphe consacré aux objectifs de l'accord, qu'il « ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union, notamment dans le secteur audiovisuel ». Mais cela signifie que le sujet est sur la table et, dès lors, on risque de marchander finalement en faisant valoir que lâcher sur ce sujet permettrait de gagner sur beaucoup d'autres. Certes, le commissaire Karel De Gucht, chargé du commerce, a déclaré que « l'exception culturelle ne sera pas négociée » et que chaque État membre restera libre de maintenir les quotas et subventions actuels. Cet engagement du commissaire ne nous suffit pas : notre objectif n'est pas de maintenir à tout prix la politique française de quotas et de subventions en l'état, mais plutôt de pouvoir librement déterminer les voies et moyens d'une politique active et adaptée de soutien à l'industrie culturelle à l'heure numérique. Il nous faut donc demander au Gouvernement de requérir l'exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation que le Conseil confiera à la Commission européenne. C'est le moyen de laisser aux législateurs la latitude nécessaire pour définir la régulation à venir du secteur audiovisuel, tout particulièrement dans l'environnement numérique.
C'est pourquoi je vous propose de reprendre largement les termes des propositions de résolution déjà déposées par nos collègues. Bien que l'unanimité soit requise de toute manière pour la conclusion d'un accord qui menacerait la diversité culturelle de l'Union, il est dans l'intérêt de l'UE que la décision du Conseil autorisant l'ouverture des négociations soit adoptée par consensus et qu'elle exclue d'emblée les services audiovisuels. De cette manière, l'Union évitera de s'exposer au veto d'un État membre au moment de l'accord final.
Ce raisonnement vaut aussi pour le Parlement européen : depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen est en position de rejeter un accord conclu entre l'UE et des pays tiers. Il l'a d'ailleurs déjà prouvé en rejetant le traité ACTA en juillet 2012. Or la commission du commerce international du Parlement européen a adopté le 25 avril 2013 une proposition de résolution, qui conditionne à l'exclusion des services audiovisuels son approbation du lancement de la négociation. Ce texte sera débattu et voté fin mai en plénière. La Commission européenne ne saurait ignorer cette exigence du Parlement européen, au risque de s'exposer là aussi à un rejet final de l'accord qu'elle aura négocié.
Je vous propose donc de demander l'exclusion expresse des services audiovisuels du champ de la négociation parce que cela offre un gage de sécurité juridique au négociateur européen.
En outre, il me paraît tout aussi indispensable d'exclure du périmètre de l'accord les marchés publics de défense et de sécurité, comme cela se fait habituellement dans les autres négociations bilatérales ou multilatérales. La commission des affaires étrangères et de la défense a d'ailleurs envisagé un moment de déposer elle aussi une proposition de résolution européenne. Cela m'incline à penser qu'il serait utile de permettre aux commissions qui le souhaitent de se saisir pour avis quand la commission compétente au fond examine une proposition de résolution adoptée par notre commission des affaires européennes.
Enfin, il est souhaitable que le mandat de négociation reconnaisse clairement la possibilité, pour chaque partie, d'apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental lié à l'émergence de nouvelles technologies. Il s'agit d'admettre la légitimité du niveau de protection requis par les préférences collectives de ses citoyens : chaque société doit pouvoir choisir ses valeurs et son degré de protection à l'égard du risque, dans un contexte d'incertitudes scientifiques, qu'il s'agisse d'OGM, d'hormones de croissance, de décontamination chimique des viandes, de clonage animal... La relation particulière du consommateur européen aux aliments a conduit l'Union européenne à adopter une attitude prudente en ces domaines. Or, l'acquis communautaire en la matière ne doit pas être considéré comme une barrière au commerce. Le projet de mandat de négociation n'ignore pas cette préoccupation, mais ne reconnaît pas formellement ce droit : c'est pourquoi je vous propose d'insister sur ce point.
Pour finir, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les modalités de suivi de la négociation quand elle sera engagée. La Commission devra faciliter le suivi régulier et transparent du déroulement des négociations par les autorités nationales ; à charge pour le Gouvernement de consulter systématiquement et en temps réel les acteurs concernés et de tenir régulièrement informé le Parlement de l'avancée du processus.
À ce titre, je souhaite inviter le Gouvernement à fournir au Parlement français une étude d'impact permettant d'apprécier, par secteur d'activité, les effets pour la France de différents scénarios de négociation : en effet, l'étude d'impact réalisée par la Commission européenne concerne l'Union européenne dans son ensemble et ne détaille pas, pays par pays, l'effet possible de l'accord ; en outre, le Gouvernement a confié au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) une étude pour évaluer l'impact sur la France de l'accord en fonction de différentes hypothèses, mais la synthèse globale qui m'a été transmise ne distingue pour la France qu'entre agriculture, industrie et services, sans détailler plus finement au sein de chacun de ces secteurs l'effet attendu sur les importations, les exportations et l'emploi par filière.
En conclusion, je voudrais faire valoir que l'objectif premier de l'Union européenne doit être d'aboutir à un accord équilibré : il doit se caractériser par des progrès simultanés et substantiels sur les trois volets que constituent l'accès au marché, les barrières non tarifaires et la régulation du commerce. Plusieurs années seront sans doute nécessaires pour finaliser un tel accord.
La présidence irlandaise de l'UE entend néanmoins soumettre le mandat de négociation au Conseil dès le 14 juin prochain. Dans cette perspective, je vous propose donc d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été transmise, et qui prend en compte les deux propositions de résolution qui nous sont soumises en les replaçant dans une perspective globale.
Pour l'essentiel, j'ai voulu le situer dans l'approche qu'avait proposée Alain Richard à notre dernière réunion : souligner qu'un accord peut être positif, mais qu'il doit se faire dans le respect de nos valeurs.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre commission avait déjà été sensibilisée sur ce sujet à l'occasion de l'audition de M. Philippe Etienne, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, et de notre récente visite au Secrétariat général des affaires européennes. Il me semble que la proposition de résolution que vous nous soumettez est équilibrée : il ne s'agit pas de se fermer à la mondialisation, qui est une chance mais pas à n'importe quel prix. Concernant l'exception culturelle, je relève qu'elle est soutenue sur tous les bancs. D'ailleurs, si mon groupe politique n'a pas déposé de proposition de résolution européenne, c'est parce qu'il savait que la commission des affaires européennes allait se saisir de ce sujet important. Je tiens aussi à souligner mon appui à l'exigence de tenir hors du mandat de négociation les marchés de défense et de sécurité, ainsi qu'à l'appel à garantir une protection efficace des données personnelles. Sans doute ce partenariat transatlantique peut-il être facteur de croissance et d'emploi, mais je m'interroge toutefois sur notre capacité à tirer parti de la croissance dans un monde de plus en plus numérique. Les géants américains en ce domaine sont très offensifs et captent les nouveaux marchés, dans le domaine culturel - je pense notamment au livre numérique -, mais pas seulement : la distribution en ligne concerne tous les objets de consommation. Il nous faut donc rester vigilants.
M. André Gattolin. - Je serai pour ma part beaucoup moins optimiste : on n'a jamais vu l'Union européenne bien négocier avec les États-Unis. Nous constatons déjà avec quelles difficultés se déroule la négociation avec le Canada, qui a fait découvrir à l'Union européenne le fédéralisme canadien. Nous aurons certainement des surprises aussi avec les États américains. Il me semble par ailleurs que nous avons un vocabulaire imprécis en matière d'exception culturelle : l'exception culturelle ne doit pas concerner seulement les services audiovisuels - elle devrait plus largement couvrir l'ensemble des services culturels en ligne qui relèvent aujourd'hui de la directive « services » - et elle ne peut pas non plus être assimilée à la diversité culturelle. Je dois avouer que la philosophie du commissaire européen chargé du commerce me rend inquiet pour ce qui concerne la défense des intérêts français et européens. Je déplore, comme vous l'avez fait dans votre texte, l'absence d'étude d'impact sérieuse et fouillée au niveau national.
Puisque les droits de douane entre l'Union européenne et les États-Unis sont déjà très faibles, autour de 3,5 %, l'enjeu de l'accord porte essentiellement sur les questions non tarifaires, mais, en ce domaine, je crains que nous passions à côté de l'enjeu majeur que représente le dumping fiscal. En matière de jeu vidéo, par exemple, le Canada pratique un crédit d'impôt qui favorise l'installation d'entreprises et donc de salariés dont la présence sur place finit à long terme par rapporter beaucoup à cet État. Certains États américains font même de la surenchère en matière de dumping fiscal, dans la perspective de la rentabilité ultérieure qu'ils peuvent en tirer. Du côté de l'Union européenne, nous sommes très contraints en ce domaine. Je suis donc dubitatif. Je reste également soucieux de protéger les droits des consommateurs.
M. Yannick Botrel. - La négociation sera dangereuse sur plusieurs sujets agricoles : OGM, viandes hormonées... Il existe une dissymétrie évidente entre l'Union européenne et un pays fédéral comme les États-Unis, dont chaque État membre devra ratifier l'accord. Cela appelle à rester vigilant et à faire preuve de détermination.
M. Michel Billout. - Je suis tout à fait en accord avec la méthode retenue qui consiste à se nourrir des initiatives d'un groupe politique et d'une commission tout en s'exprimant d'une voix globale sur l'ensemble de l'accord, même si je note quelques prises de distance à l'égard des propositions de résolution déjà déposées et si je pense que nous aurions pu étendre notre défense de l'exception culturelle aux biens et services culturels, plutôt qu'aux seuls services audiovisuels.
M. Simon Sutour, président. - Il ne s'agit pas, selon moi, d'une prise de distance, mais simplement d'un ajustement pour des raisons juridiques. Quant à l'exception culturelle, elle concerne à l'OMC essentiellement les services audiovisuels, puisque l'Union européenne les a totalement exclus de tout engagement de libéralisation, d'autres services culturels (tels les archives, les bibliothèques...) faisant l'objet d'un traitement spécifique : notre demande vise donc à préserver ce qui l'a été jusque-là.
M. Michel Billout. - L'essentiel est la négociation de l'accord dans sa globalité. C'est pourquoi il est important d'encourager le Gouvernement à produire une étude d'impact détaillée. Je suis globalement d'accord avec le texte, mais il nous faudra demeurer très vigilants car l'Union européenne n'est pas toujours armée pour se défendre dans les négociations.
Mme Catherine Morin-Desailly. - En effet, l'Union européenne n'est pas armée car elle n'est pas construite pour cela.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
Institutions européennes - Audition de M. Jean-Marie Cavada, député européen, président du Mouvement européen - France
M. Simon Sutour, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir au Sénat. Le Mouvement européen est une structure originale, puisqu'il réunit des responsables du monde politique et de la société civile qui ont pour point commun l'attachement à la construction européenne, mais qui peuvent se situer aussi bien dans la majorité que dans l'opposition du point de vue de la politique nationale. C'est donc un regroupement pluraliste et un lieu de dialogue.
Cette audition intervient alors qu'un sondage effectué par le « Pew Research Center », publié hier même, montre une forte baisse du soutien à la construction européenne.
À la question : « Avez-vous une vue positive de l'Union européenne ? », il n'y a plus qu'une minorité de sondés (45 %) à répondre OUI. Ce chiffre était de 60 % l'année dernière, et de 68 % en 2007 avant la crise.
En France, les opinions positives se situent à 41 %, alors que nous étions dans la moyenne l'année dernière (60 %).
Le soutien à l'intégration économique européenne est particulièrement faible : 28 % seulement des sondés, contre 34 % l'année dernière. En France, le soutien à l'intégration économique est très bas : 22 % contre 36 % l'année dernière.
Il y a donc une baisse générale du soutien à la construction européenne, et notre pays participe largement à ce mouvement.
Bien entendu, la situation économique est pour beaucoup dans cet « europessimisme », mais elle n'explique pas tout. On voit bien que, pour de nombreuses personnes, la construction européenne est une partie du problème plutôt qu'une solution.
Ma question est la suivante : comment analysez-vous ce malaise européen au-delà d'une situation économique difficile ? Quels changements faudrait-il envisager pour que la construction européenne redevienne un espoir plutôt qu'un motif d'inquiétude ?
Vous avez la parole.
M. Jean-Marie Cavada. - Je vous remercie pour votre invitation qui présente à mes yeux un double intérêt. D'une part, c'est l'occasion pour moi de mieux appréhender l'action que le Parlement souhaite mener pour construire l'Europe de l'avenir. D'autre part, nous pouvons échanger sur les meilleurs moyens de faire la pédagogie de l'Union européenne auprès de nos concitoyens.
Les réformes en France et la relance européenne me paraissent étroitement liées. Un redressement de la France est indispensable aux relations franco-allemandes et à la construction européenne.
La panne de l'Europe va de pair avec une panne de modernité. Le thème de la construction européenne a été déserté depuis l'époque de Jacques Delors. Les citoyens européens cherchent un sens dans l'expression technocratique actuelle qu'ils ne comprennent pas plus à l'échelon européen qu'à l'échelon national. Nous ne disons pas assez pourquoi nous faisons l'Europe.
L'ambition doit être de faire du continent européen dans le contexte de la mondialisation un continent puissant sur le plan économique afin qu'il redevienne une puissance démocratique mondiale. La désaffection actuelle me semble moins porter sur le projet européen en tant que tel que sur la forme qu'il a prise.
Il est nécessaire de mettre en oeuvre un droit d'inventaire sur l'Europe en tenant compte de ce qui n'a pas marché. Nous ne sommes pas des chevaliers de la béatitude ! En outre, nous devons être clairs sur ce que nous voulons faire. L'Union européenne vient de recevoir le prix Nobel de la paix mais quelle est son ambition pour les années à venir ?
Nous parlons de rétablir la prospérité économique. Malheureusement, les actes ne suivent pas. Je considère qu'il faut mettre en place les instruments d'une relance immédiate. La Commission européenne, trop imprégnée d'une doctrine « comptable », n'a jusqu'à présent pas su présenter des propositions suffisantes dans ce sens. À mes yeux, il est nécessaire de revaloriser la recherche scientifique pour soutenir le développement de nouveaux secteurs industriels. Je songe à des secteurs tels que les biotechnologies, les nanotechnologies, le transport de l'énergie solaire, les télécommunications, l'industrie cognitive, les infrastructures de transport est-ouest qui demeurent très insuffisantes. La Banque européenne d'investissement pourrait garantir un emprunt international que les particuliers souscriraient compte tenu du niveau élevé de l'épargne des ménages.
À défaut de ces initiatives, il y a un vrai risque que l'euroscepticisme ne s'approfondisse, en particulier dans la population âgée et chez les plus jeunes.
Au nom d'une vingtaine d'associations travaillant sur les questions européennes, je demanderai audience au Président de la République, en vue de lui soumettre des propositions dans la perspective des élections européennes. Nous avons besoin d'une gouvernance économique de la zone euro. Il faut par ailleurs convoquer une Constituante ou une Convention afin de permettre à l'Europe de franchir une nouvelle étape. Il faut terminer ce que le traité de Lisbonne a commencé.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - On parle surtout aux jeunes de la paix réalisée après la seconde guerre mondiale grâce au projet européen. Cela ne paraît pas la meilleure communication. Il faudrait leur expliquer ce qui se passe à l'extérieur de l'Union européenne où des progrès démocratiques considérables sont réalisés afin de répondre aux critères de l'adhésion.
L'harmonisation fiscale me paraît par ailleurs un impératif. C'est la condition même de la crédibilité européenne.
La citoyenneté européenne est un thème très porteur. Malheureusement, elle demeure une coquille vide. Il faut donner de l'espoir aux jeunes par des réalisations concrètes.
Le Mouvement européen - France devrait travailler davantage avec les autres États membres. Je songe en particulier au Royaume-Uni où l'hostilité à l'Union européenne devient très forte.
Mme Colette Mélot. - Il y a une réelle désaffection à l'égard de la construction européenne parce qu'elle est trop souvent assimilée à l'excès de réglementations, à la complexité, à la lourdeur. On ne perçoit plus le sens du projet européen.
Je considère aussi que le discours sur l'Europe, trop axé sur la paix réalisée après la seconde guerre mondiale, est inadapté à l'égard des jeunes. Il faut plus de pédagogie. Je m'y livre pour ma part à Melun, où j'ai mis en place des programmes pour les jeunes qui permettent notamment d'inviter chaque année une centaine de jeunes Européens issus de différents États membres.
L'Union européenne a obtenu le prix Nobel de la paix, mais on n'a pas exploité cet événement qui donnait pourtant une très belle image de l'Europe.
M. Jean-Marie Cavada. - Je considère pour ma part depuis longtemps que le destin de la France est en majeure partie lié à l'Union européenne. La presse est dans ce domaine très largement tributaire de la parole publique. Or, après l'adoption du traité de Maastricht, celle-ci a déserté le terrain européen. Nos concitoyens veulent être protégés contre les menaces nouvelles d'ordre économique et liées à la compétition mondiale. En réalité, ils souhaitent davantage d'Europe, comme le montre leur adhésion massive à l'euro. Cependant, ils sont sceptiques sur le cours actuel de la construction européenne. À mon sens, une initiative présidentielle répondrait à leur attente. Il y a une situation d'urgence d'expression historique sur l'Europe. La politique, c'est l'art de fixer un but. Si une telle initiative était prise, les médias suivraient car ils s'intéresseraient à l'événement qui aurait été ainsi créé.
Le Mouvement européen - France compte 3 500 adhérents répartis en trois collèges (adhérents directs, associations, personnalités qualifiées). En Allemagne, on recense 12 000 adhérents qui sont, pour l'essentiel, issus d'associations, de fondations ou de syndicats. Je souhaite encourager l'adhésion de différentes organisations au Mouvement européen ainsi que celle de personnalités qualifiées (scientifiques, élus, chercheurs...). Un nouveau collège sera créé qui comprendra des élus européens issus des partis républicains favorables à la construction européenne, des membres des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat, des présidents de région et des maires des 10 ou 12 principales villes de France. Cela permettra de donner au Mouvement européen une meilleure assise territoriale. J'attire votre attention sur la régression très sensible des financements publics depuis quelques années. Le Mouvement européen a besoin d'être soutenu. Nous comptons sur vous !
L'harmonisation fiscale constitue un enjeu très important. Le Mouvement européen tiendra des assises sur cette question d'ici l'automne. Je rappelle qu'il a fallu 25 ans pour parvenir à l'Union économique et monétaire. Il faudrait envisager un « serpent fiscal » à l'image de ce que fut le serpent monétaire européen. Cela permettrait de réduire progressivement les écarts de fiscalité au sein de l'Union européenne.
M. André Gattolin. - J'approuve pleinement l'idée d'un droit d'inventaire, ainsi que l'exigence de porter un véritable projet au niveau européen. Je fais partie du Comité européen de la citoyenneté mais il me semble que l'on confond trop souvent le contenu de la citoyenneté européenne avec des objectifs à plus court terme consistant à mobiliser les citoyens pour les élections européennes. Une des voies à suivre serait de rendre la parité hommes-femmes effective au sein des institutions européennes. Nous avons à l'esprit les débats récents sur les nominations au Conseil d'administration de la Banque centrale européenne. Je considère que la femme est l'avenir de l'Europe. Sur les enjeux de paix et de prospérité, les femmes peuvent beaucoup contribuer à la formation d'une conscience européenne.
Les ressortissants d'autres États membres qui vivent en France peuvent être aussi un formidable levier pour mieux faire connaître l'Europe à nos concitoyens. Des actions locales bien ciblées peuvent aussi avoir un impact important.
M. Jean-Marie Cavada. - Je partage cette appréciation. Le Mouvement européen - France intervient une fois par semaine dans des établissements scolaires afin de mieux faire connaître la Charte européenne des droits fondamentaux dont les valeurs parlent aux jeunes.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Le Comité de la citoyenneté européenne fait-il partie du Mouvement européen - France ?
M. Jean-Marie Cavada. - Le Mouvement européen - France a été coopté par une trentaine d'associations européennes pour jouer un rôle de coordonnateur. Dans ce cadre, un texte en dix points a été élaboré sur la citoyenneté européenne.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Qu'en est-il du mouvement des femmes qui avait été constitué au sein du Mouvement européen - France ?
M. Jean-Marie Cavada. - Ce mouvement a failli disparaître mais il sera intégré dans un ensemble plus vaste.
M. Yannick Botrel. - Il existe un acquis européen important portant en particulier sur la libre circulation et sur l'euro, dont on n'imagine pas qu'il puisse être remis en cause. Mais dans un contexte de crise, la tendance est à rechercher les responsables. En outre, il y a une tentation de repli national. Malheureusement, les responsables politiques ont accrédité l'idée que les difficultés actuelles venaient de l'Union européenne. Il faut prendre garde car certains courants pourraient tenter dans ce contexte de faire progresser leurs arguments hostiles à la construction européenne.
M. Jean-Marie Cavada. - On l'a bien vu en 2005 !
M. Yannick Botrel. - Il faut redéfinir des projets qui ouvrent des perspectives et qui permettent aux peuples de s'identifier au projet européen. L'Europe doit aussi démontrer qu'elle peut protéger ses ressortissants.
M. Jean-Marie Cavada. - Nous n'avons pas achevé le travail d'organisation du système européen faute d'avoir les idées claires sur ses finalités. Pour ma part, je souhaite une clarification de la place du Royaume-Uni dans la construction européenne. Si ce pays manifestait son souhait de quitter l'Union européenne, il pourrait alors rejoindre une zone de libre-échange à laquelle la Turquie pourrait s'associer.
M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie pour ces réflexions très intéressantes. Il me paraît important de soutenir le Mouvement européen - France dont l'action est très utile.