- Mercredi 17 avril 2013
- Bilan de l'ouverture des jeux en ligne, trois ans après - Table ronde
- Contrôle de la mise en application des lois - Communication
- Programme national de réforme et programme de stabilité - Audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
Mercredi 17 avril 2013
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -Bilan de l'ouverture des jeux en ligne, trois ans après - Table ronde
Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de MM. Hervé Cacheur, président de JOAONLINE, Xavier Hürstel, directeur général du PMU, François Trucy, président du Comité consultatif des jeux (CCJ), François Vilotte, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), Gilbert Ysern, directeur général de la Fédération française de tennis (FFT), et Patrick Raude, directeur de la régulation et des affaires européennes de la Française des jeux.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je remercie les personnes ici présentes d'avoir répondu à notre invitation. Il y a près de trois ans, juste avant la Coupe du monde de football de 2010, que la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne est entrée en vigueur.
L'examen de ce texte important avait été confié à notre commission, notre collègue François Trucy en avait été le rapporteur. Il s'intéressait d'ailleurs au sujet depuis longtemps et avait publié un rapport parlementaire sur la question des jeux en février 2002. François Trucy a poursuivi sa tâche en faisant un premier bilan de la loi en octobre 2011 et a pris la présidence du Comité consultatif des jeux - c'est à ce titre qu'il se trouve aujourd'hui aux côté des personnalités que nous allons entendre.
La loi de 2010 traitait de sujets aussi divers que nombreux, parfois controversés : lutte contre le jeu illégal, risque d'addiction, risque de trucage des compétitions et, bien sûr, recettes publiques.
Notre commission avait alors a jugé utile de prévoir un bilan de l'application du texte, afin de vérifier si les objectifs que s'étaient assignés le législateur étaient atteints et si, à l'épreuve de la pratique, les règles fixées en 2010 paraissaient toujours les plus adaptées.
Je proposerai donc à chacun d'entre vous, avant de passer aux questions, de faire un point rapide sur ces trois années d'ouverture et de régulation, en nous indiquant, le cas échéant, quelles évolutions vous paraitraient nécessaires.
M. Jean-François Vilotte, président de l'Arjel. - En 2010, l'objectif du législateur, qui en confia en partie la réalisation à l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), était de faire basculer l'offre illégale qui existait sur Internet vers le secteur légal, sans que cette initiative s'accompagne d'une explosion de la demande, avec les risques d'addiction, de jeu pathologique que cela pouvait entraîner.
Quel bilan tirer, près de trois ans après l'adoption de la loi ? Le marché, ouvert à la concurrence, compte 21 opérateurs, qui gèrent 32 agréments. La situation n'est cependant pas la même sur tous les segments : c'est sur les paris sportifs et le poker que la concurrence est la plus forte. Avant l'ouverture, la Française des jeux et le PMU, qui bénéficiaient d'un monopole, recueillaient 650 millions d'euros de mises, et l'on évaluait à plusieurs milliards d'euros celles qui circulaient sur le marché illégal, sans transparence, régulation ni contrôle. En 2012, le montant des mises enregistrées par les opérateurs légaux, régulés, était passé à 9,5 milliards d'euros. Entre 2011 et 2012, cependant, l'évolution a été faible, le chiffre global, soit 1 % d'augmentation masquant de fortes disparités selon les secteurs : 19 % de progression pour les paris sportifs, 9 % pour les paris hippiques, tandis que le poker en ligne recule - et continue de régresser au premier trimestre, de 13 % par rapport au premier trimestre 2012. L'offre illégale, sur les segments ouverts à la concurrence - car il existe encore des jeux qui ne le sont pas, comme le casino en ligne hors poker - est devenue marginale.
Cette évolution du marché français est comparable à celle qu'ont connue les autres marchés européens ouverts pour les mêmes motifs, jusqu'au niveau des segments, puisque l'on observe par exemple, en Italie, le même recul des mises sur le poker en ligne.
Le comportement des joueurs est raisonnable : la mise moyenne est de 50 euros par mois. Reste cependant une petite population de gros parieurs, puisque 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. Il convient, dans un souci de prévention des conduites addictives, d'y porter attention.
Le modèle économique des opérateurs n'est pas encore stabilisé. Les pertes d'exploitation, en 2011, ont été significatives : 183 millions d'euros. En pourcentage de produit brut des jeux (PBJ), c'est sur le secteur des paris sportifs que l'on observe le recul le plus net. Les rentrées fiscales issues des prélèvements sur opérateurs ont été, en 2012, de 327 millions d'euros, à quoi s'ajoutent les 32 millions d'euros de TVA prélevés sur les opérateurs établis en France. Au regard de ces chiffres, la question se pose de l'attractivité de l'offre. Si l'on veut que l'offre légale contre efficacement l'offre illégale, il faudra y être attentif. On peut ainsi se demander, au vu du recul sur le secteur du poker, si les joueurs qui ont quitté les opérateurs légaux n'ont pas retrouvé le chemin des opérateurs illégaux.
Quelles évolutions envisager pour aider le modèle à atteindre son point d'équilibre ? Il ne serait pas inutile, en premier lieu, de procéder à une redéfinition juridique des jeux de hasard, à l'heure des évolutions d'Internet et des réseaux sociaux, et alors que la jurisprudence reste incertaine quant à la qualification de ces jeux - je pense en particulier au récent arrêt de la cour d'appel de Toulouse aux termes duquel le « Texas Hold'em » poker ne serait pas un jeu de hasard. En effet, on voit se développer, sur Internet, de nouvelles offres contournant la régulation : jeux prétendument gratuits, mais qui fonctionnent selon un système d'avances remboursables ; jeux en monnaie virtuelle, laquelle peut se convertir en monnaie réelle sur d'autres sites ; jeux abusivement dits d'adresse, qui sortent du même coup de la définition des jeux de hasard.
Se pose, en deuxième lieu, la question de la pertinence de l'assiette fiscale. Pour le collège de l'Arjel, asseoir la taxe sur le produit brut des jeux, soit le produit des mises moins les gains des joueurs, plutôt que sur les seules mises, serait économiquement plus raisonné. C'est d'ailleurs le choix qu'ont fait la plupart de nos voisins européens.
Il conviendrait, en troisième lieu, de porter attention à la question des liquidités sur le poker. Il s'agirait de donner un contenu opérationnel aux accords internationaux passés entre autorités de régulation et d'autoriser une mutualisation des liquidités des tables de poker de plusieurs pays ouvertes sur des sites régulés, comme cela est le cas pour le pari mutuel hippique.
Sans décliner ici les 33 propositions du rapport de l'Arjel, j'ajouterai encore que pour assurer l'intégrité des compétitions sportives, on ne fera rien seuls. La question mérite un traitement à l'échelle de l'Europe : l'harmonisation des règles de prévention et de détection est la clé de la régulation. Un projet est en cours devant le Conseil de l'Europe, auquel la France participe activement. Il serait bon, cependant, de créer en France une plateforme nationale relative aux paris émis hors de France sur les évènements sportifs se déroulant dans notre pays, car on sait que c'est de l'étranger que peuvent venir les manipulations, tant les réseaux criminels savent jouer de l'immatérialité de l'Internet. Les dispositions relatives au délit pénal de corruption sportive mériteraient aussi d'être complétées par une obligation de déclaration de soupçon, comme cela est le cas pour le blanchiment.
Le risque, pour nous, est de voir, au niveau communautaire, baisser les standards de régulation au motif de fluidifier le marché. C'est un enjeu fort, qui suscite bien des remous autour de la Commission européenne. C'est pourquoi il nous semble aventureux de se faire les promoteurs d'une législation communautaire des droits dérivés, et nous militons plutôt pour le développement d'accords de coopération entre régulateurs.
M. Xavier Hürstel, directeur général du PMU. - La loi de 2010, et je rejoins là Jean-François Vilotte, a globalement été un succès. Lors des débats, certains objectaient qu'il était impossible de réguler cette activité en ligne, et que les règles que l'on entendait mettre en place, comme le droit pour les organisations sportives de définir les paris autorisés, ou le retour sur paris que l'on entendait leur accorder, seraient inexportables en Europe. Or, notre modèle a été copié par nos partenaires européens, qui y voient un exemple réussi de loi de régulation de l'Internet. On disait encore que le plafonnement du taux de retour au parieur ne pourrait fonctionner sur le marché des jeux en ligne ; or cela fonctionne bel et bien.
La loi prévoyait, pour s'assurer que le jeu resterait responsable, une forte régulation. Les opérateurs y ont ajouté des mesures personnelles pour éviter le jeu addictif. Le fait est qu'il est plus facile de contrôler sur Internet, dans la mesure où l'on connaît les joueurs et les comptes.
Avant de renforcer encore la régulation, il me semble qu'il convient de dresser un bilan, à mettre en regard de celui établi avant l'ouverture, en 2009-2010. Cela aiderait à légiférer exclusivement dans le sens de la simplification que l'exécutif appelle de ses voeux.
Il n'y a pas de dérive addictive sur Internet. La mise moyenne y est de 50 euros. Avec un taux de retour joueur à 80 %, la perte moyenne est donc de 10 euros par mois, l'équivalent d'une place de cinéma : on reste dans le cadre d'une activité de loisir. Par ailleurs, alors que l'on craignait que le jeu ne se fasse l'auxiliaire des trappes à pauvreté, on constate que les joueurs se situent en moyenne sur une échelle de catégories socioprofessionnelles plus haute que la moyenne française. Reste cependant à faire un vrai bilan de la prévalence.
Pour ce qui concerne la lutte contre la fraude, je partage le constat de Jean-François Vilotte. Il a été mis fin à la plupart des paris illégaux. Bien que la fuite des gros parieurs vers l'illégalité reste une hypothèse plausible, la masse des parieurs est régulée. Il faut veiller à développer une offre attractive pour que les joueurs restent en France.
En matière de lutte contre la fraude sportive, la signature d'accords internationaux a marqué des avancées, et les fédérations sportives ont, de leur côté, réalisé un important travail en interne. La Fédération française de tennis a été précurseur. On peut faire beaucoup par la voie de la pédagogie, au sein des fédérations. Je rejoins, enfin, Jean-François Vilotte au sujet de la plateforme française.
Pour l'avenir, ouvrir davantage l'offre sur certains segments serait une bonne chose. En outre, autoriser les joueurs français à s'asseoir, sur nos sites régulés, à des tables étrangères, ferait gagner le jeu en liquidité, et éviterait que les intéressés ne se détournent de nos sites. C'est une question, aussi, de rentabilité.
Les jeux dits d'adresse ou skill games, restent, juridiquement, en zone grise. Dans la mesure où ils emportent gain monétaire, ils devraient basculer dans la régulation des jeux en ligne. D'autant qu'ils entrent dans le même système commercial et présentent les mêmes risques addictifs que les autres. J'ajoute que ce serait là une source non négligeable de recettes fiscales pour l'État.
La rentabilité des opérateurs est une vraie question. Les chiffres qu'a cités Jean-François Vilmotte sont éloquents : 183 millions de pertes d'exploitation, alors qu'ils s'acquittent de 327 millions de taxes. Il n'y a pas lieu de dicter au législateur le niveau du taux de la taxe, mais l'assiette pourrait être utilement modifiée, en retenant désormais le produit brut des jeux.
Au-delà, les opérateurs ont aussi besoin de trouver des produits à marge, tels les tables de poker internationales ou les skill games, ou encore les paris plus spéculatifs, pour une rentabilité immédiate. Ce serait aussi le moyen de préserver les recettes fiscales, sachant que certains produits s'étiolent avec le temps.
M. Patrick Raude, directeur de la régulation et des affaires européennes de la Française des Jeux. - Je partage largement le constat sur la loi de 2010, qui a clairement atteint son but.
La Française des Jeux, dans le cadre de l'agrément donné par l'Arjel, est entrée sur les paris sportifs en ligne et, dans celui de son monopole sur la Loterie nationale, sur la loterie en ligne.
Au moment de la préparation de la loi, sur un marché qui tournait autour de 2 milliards d'euros, la part de la Française des Jeux était de 700 millions sur les paris sportifs, et de 50 millions sur les paris en ligne. Elle est aujourd'hui de plus de 2 milliards sur les premiers, 700 millions sur les seconds.
Les paris sont donc aujourd'hui, pour l'essentiel, légaux, encadrés, taxés. Comme tous les opérateurs, nous sommes soumis à taxation, à hauteur de 127 millions d'euros. A quoi s'ajoutent, comme pour le PMU, des taxes spécifiques.
Nous avons eu le souci de canaliser les pratiques et de trouver un équilibre, afin de ne pas déstabiliser notre réseau de points de vente, qui représente 30 000 emplois, si bien que l'ouverture du marché n'a pas eu d'impact négatif sur notre présence territoriale.
Le plafonnement du taux de retour aux joueurs et l'inclusion des bonus dans ce taux furent de très bonnes choses. La France a eu du mal à convaincre les autorités communautaires sur ce point délicat, mais c'est désormais un acquis.
Peut-on apporter des améliorations au dispositif voté en 2010 ? La question de l'intégrité des compétitions sportives est un sujet majeur, ainsi qu'en témoigne le nombre des poursuites judiciaires en cours. Sur ce sujet complexe, l'Arjel est très active. Etendre le champ de la déclaration de soupçons telle qu'elle est prévue pour le blanchiment aux paris sportifs, et en faire une obligation non seulement pour les opérateurs de jeux, mais aussi pour les organisateurs de compétitions, comme le propose la ministre des sports, irait dans le bon sens.
Seuls les opérateurs légaux peuvent faire de la publicité pour leurs produits : cette disposition de la loi de 2010 a été très efficace. On pourrait aller plus loin encore dans la lutte contre les marchés illégaux, comme l'ont fait certains pays, en chargeant le régulateur de rendre publique une liste noire des opérateurs non agréés actifs dans le pays. L'effet peut être dissuasif pour certains de ces opérateurs, et quant aux autres, le régulateur devrait avoir faculté, à l'image de ce qu'ont retenu deux pays frontaliers de la France, de saisir directement le fournisseur d'accès pour qu'il suspende l'accès au site - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour l'Arjel, qui doit passer par une décision de justice.
Pour prévenir les risques d'addiction chez les jeunes, il importe que l'Etat se dote de moyens d'information fiables. Les études de prévalence devraient être régulières, ce que ne permet pas, pour l'heure, la modicité du budget dont dispose l'Observatoire des jeux, placé auprès du Comité consultatif des jeux.
Je reviens en quelques mots sur le plafonnement du taux de retour aux joueurs, qui se situe à 85 % des mises. Il s'applique à l'ensemble du marché des paris sportifs. Or, ce marché se décompose en deux segments, celui des paris avant match et celui du pari en direct, ou live betting, qui représente la moitié du marché. Or, le plafonnement se fait sur une moyenne pondérée, ce qui permet, en pratique d'offrir un taux de retour de 90 % pour le live betting. Cela méritait d'être souligné.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption et pour l'intégrité sportive, la France mène, au plan international, des démarches que nous soutenons. La création d'une agence européenne serait, de ce point de vue, une bonne chose. Le législateur avait voulu que la ressource nouvelle née de la loi de 2010 serve à financer la politique d'intégrité ; or ces moyens ne sont pas fléchés. Pour notre part, dans les partenariats que nous nouons avec le monde sportif, nous exigeons que ce souci soit pris en compte.
J'en viens à la question fiscale. Le problème de l'assiette est complexe. Nous n'avons pas d'avis tranché, mais souhaitons que l'assiette qui sera retenue in fine soit solide, pour éviter tout risque de substitution, sachant que la taxation sur les mises qui prévaut aujourd'hui en France et en Allemagne contribue à éviter tout risque d'évasion fiscale.
M. Hervé Cacheur, président de Joaonline. - Je partage assez largement les observations de M. Vilotte.
Troisième opérateur de casinos en France, avec vingt casinos et un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros, nous sommes de ceux qui ont sagement attendu la mise en place d'un cadre légal pour démarrer. Depuis 2010, nous avons investi 6 millions d'euros dans l'activité. Mais se pose aujourd'hui pour nous un problème de modèle économique. Notre revenu est consommé pour 56 % par les taxes et prélèvements, pour 20 % par les coûts liés à la régulation, pour 40 à 50 % par les coûts de marketing...
M. François Marc, rapporteur général. - On est largement au-delà de 100 %...
M. Hervé Cacheur. - Précisément ! Et je n'ai encore rien dit des salaires.
Voilà qui nous porte à nous interroger sur les conditions économiques du marché et sa pérennité. C'est là un enjeu majeur. Et nos vues sont largement partagées par les autres opérateurs, sachant que notre déficit d'ensemble s'élève, on l'a dit, à 183 millions. Il existe 21 opérateurs sur le marché français ; c'est beaucoup, mais c'est pourtant 40 % de moins qu'avant 2012. Et l'on a vu que 60 % des opérateurs qui ont jeté l'éponge étaient des sociétés françaises, parmi lesquelles le groupe Tranchant, Amaury, Eurosport....
On est en droit s'interroger sur la stagnation d'un marché qui n'a que deux ans d'âge. Avec 700 millions d'euros, l'équivalent du chiffre d'affaire de trois hypermarchés, les paris sportifs en ligne ne représentent pas plus de 10 % du marché des jeux en France, alors que l'on tablait, en 2010, sur un potentiel de 40 à 50 %.
Quelles sont les raisons de ces performances décevantes ? C'est que nous nous heurtons à un vrai problème de compétitivité de l'offre régulée, accessible depuis les sites en « .fr », au regard de nos concurrents internationaux en « .com ». La réglementation limite les types de paris que nous pouvons offrir. Le poids de la fiscalité compte aussi. Autant d'entraves qui limitent notre capacité à capter de nouveaux clients, à conserver les gros parieurs, ces 5 % de joueurs qui représentent 90 % du chiffre d'affaires. Leur évasion a donc de lourdes conséquences. Peut-on se satisfaire d'une absence de croissance ? On peut y voir le signe que les jeux sont maîtrisés... ou que le marché légal ne parvient pas à capter les transactions illégales. Quoi qu'il en soit, si les opérateurs restent déficitaires, ils ne pourront pas durer.
En matière de protection des joueurs et de prévention, en revanche, le bilan est positif. La régulation, avec des outils comme la limite de mise ou l'accompagnement des cas pathologiques, a beaucoup apporté.
Les paris en ligne comptent pour un tiers des jeux d'argent en France. Avant de pousser les feux, il faudrait harmoniser davantage. Les compétitions sportives restent un sujet de préoccupation, et qui dépasse largement les frontières. La régulation a mis en place des outils de prévention et d'alerte efficaces, mais où placer le curseur ? Réduire l'offre n'est pas la solution : ce n'est pas en enlevant les radars sur les routes que l'on fait baisser les excès de vitesse. Il faut trouver le juste équilibre entre deux exigences : réguler et prévenir, d'une part, pérenniser les acteurs économiques, de l'autre. A l'heure actuelle, la balance est en défaveur des opérateurs. Le corollaire du contrôle, c'est la mise en place des conditions de l'équilibre économique. Il faut sortir les opérateurs de leur déficit structurel en allégeant le poids de la fiscalité qui pèse sur eux - un changement d'assiette n'y suffira pas - et en améliorant l'offre.
Surtout, une harmonisation des règles de contrôle et de régulation pour l'ensemble de l'activité sur le marché français s'impose, que cette activité s'exerce en ligne ou non. D'où la nécessité de mettre en place une autorité de régulation unique, en charge de l'ensemble des marchés.
M. Gilbert Ysern. - Le tennis est le deuxième support de paris en ligne. De plus, en tant que sport individuel, il est plus exposé à la corruption que les sports collectifs.
A nos yeux, le bilan de la loi de 2010 est globalement favorable. Elle a consacré le droit de propriété des organisateurs et instauré des relations satisfaisantes avec les opérateurs de paris. A l'époque, on a avancé que les revenus générés par les paris pourraient profiter également aux organisateurs d'événements. Nous n'y avions pas cru, et cela ne s'est pas vérifié. Protéger l'intégrité des compétitions a plutôt engendré des coûts supplémentaires pour une fédération comme la nôtre. La corruption préexistait à Internet, mais elle est depuis devenue notre obsession, car le risque s'est accru.
Face à la corruption, nous avons développé d'importants moyens d'investigation. Le tennis est en cette matière très en avance sur les autres disciplines. Au niveau international, une Tennis integrity unit dotée de pouvoirs d'investigation a été créée, qui fédère l'ensemble des acteurs du monde professionnel. Nos règlements internationaux comprennent en outre une obligation de déclaration de soupçon qui s'impose à tout joueur, à tout membre de l'entourage des professionnels. Deux radiations à vie ont déjà été prononcées à la suite de telles investigations.
Les deux grandes compétitions que nous organisons, c'est-à-dire le tournoi de Roland-Garros ou le BNP-Paribas Masters de Paris-Bercy, sont surveillées au moyen d'une vingtaine de dispositifs particuliers, comme l'interdiction de parier et de divulguer des informations faite au personnel badgé - soit près de 20 000 personnes à Roland-Garros -, le suivi de près de 300 sites, ou encore la vigilance accrue exercée sur les membres du personnel placés au bord des courts.
Troisième volet dans la lutte contre la corruption : la sensibilisation et la formation. Un outil de formation en ligne a été mis en place à l'attention des joueurs au niveau international. La fédération française a en outre lancé le 27 mars dernier, à l'occasion de la réunion de l'ensemble de ses conseillers techniques régionaux, un vaste plan de sensibilisation et d'éducation au niveau national. Dans ce cadre, des formations de tous formats seront organisées, afin de doter le réseau de la fédération de formateurs compétents, notamment à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) et dans les centres d'entraînement. Une vidéo de trente minutes a même été réalisée, dans laquelle de grands témoins du tennis d'hier et d'aujourd'hui font part des pressions qu'ils ont subies pour tricher sur le résultat d'un match.
Plus que le dopage, et notamment depuis l'apparition des paris en ligne, la corruption est le cancer du sport, du nôtre en particulier. L'action efficace de l'Arjel a permis de traiter la partie émergée de l'iceberg. Mais la France seule ne peut rien faire. C'est pourquoi nous appelons de nos voeux une action internationale dans ce domaine. Quant à l'ouverture de l'offre légale pour les parieurs, nous restons partager entre la volonté de défendre les opérateurs légaux français et le souhait que l'offre soit la plus large possible. Nous aidons l'Arjel à trouver l'équilibre entre ces deux exigences contradictoires.
M. François Trucy, président du Comité consultatif des jeux. - La loi de 2010 n'est pas seulement une loi d'ouverture du marché des jeux en ligne. Au Sénat, elle avait provoqué beaucoup d'inquiétude et de réserves : risque de déstabilisation des opérateurs historiques, risques d'addiction, de dérives délictuelles. Le projet avait d'ailleurs été largement amélioré au Sénat sur ce dernier point.
Son premier objectif était d'attirer dans le secteur légal la plus grande partie des opérateurs. M. Vilotte nous dira quelle part du marché reste dans l'illégalité. Il s'agissait aussi de fiscaliser la majeure partie du marché : c'est fait, bien que nous ayons eu beaucoup de difficultés à obtenir de certains ministères les résultats chiffrés. Le législateur a également souhaité préserver la Française des Jeux et le PMU d'une concurrence trop frontale des opérateurs de jeux en ligne devenus légaux. L'inquiétude était alors partagée par les élus de la majorité et de l'opposition. Reconnaissons aujourd'hui que la réactivité et la capacité d'anticipation de ces deux entreprises ont été remarquables.
Pour dépister et sanctionner les sites de jeux illégaux, des amendements importants ont donné à l'Arjel les moyens de contrôler efficacement le marché.
Nous entendions créer une autorité et lui donner les moyens législatifs et matériels d'assurer sa mission : l'Arjel donne entière satisfaction aux pouvoirs publics, et sert d'exemple aux autres pays européens qui prennent eux aussi le chemin de la libéralisation.
Créer un Comité consultatif des jeux et un Observatoire des jeux n'a pas été facile : les ministères travaillaient alors chacun dans leur secteur - l'agriculture avec les chevaux, Bercy avec la Française des jeux, sa fille chérie... Il a été difficile de rassembler tous les ministères, les experts, cet observatoire, la commission supérieure des jeux, ce comité consultatif dans une instance unique à la disposition du Gouvernement. Il a fallu beaucoup d'effort, voire de malice pour arracher cet instrument au gouvernement de l'époque. Il est toutefois loin de donner la satisfaction que l'on attendait de lui j'y reviendrai.
Enfin, il fallait prévenir l'addiction et soutenir la lutte contre celle-ci. François Marc s'en souvient : nous avions essayé, en séance, d'affecter les recettes tirées de cette nouvelle activité vers cet objectif, mais le Gouvernement nous avait fait valoir l'inopportunité du fléchage en matière budgétaire. J'ai eu toutes les peines du monde, durant la première année de fonctionnement du comité, à obtenir des renseignements sur l'utilisation des recettes nouvelles. Certains ministères sont plus réticents que d'autres à divulguer leurs informations. Cependant, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) ont coopéré de manière satisfaisante, mais les données sont encore incomplètes.
La loi sur les jeux en ligne a étendu cette spécialité à des opérateurs jusqu'alors exclusifs qui n'avaient pas ou très peu exploité cette activité. On voit désormais des grands groupes de casinos diversifier leur activité, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
Les gouvernements successifs ont jusqu'à présent prêté plus d'attention à la tonte des moutons qu'au troupeau lui-même. Ils devraient à l'avenir faire porter leurs efforts sur la lutte contre l'addiction. Pour ma part, j'avais demandé que le Comité consultatif des jeux soit sous la tutelle de Matignon, en vain : le Gouvernement, ayant fait déclasser par le Conseil constitutionnel l'article de la loi relatif à cette tutelle, l'a finalement placé auprès du ministère de l'intérieur et de Bercy ! J'indique en outre que je n'arrive pas à réunir pleinement ce comité, censé être présidé alternativement par le Sénat et par l'Assemblée nationale : je n'obtiens notamment pas que les deux députés désignés veuillent bien siéger en même temps que moi. Il n'est pas acceptable de laisser ce comité en friche, à moins de considérer qu'il fait partie des instances amenées à disparaître pour simplifier le paysage administratif français.
La tâche n'est pas achevée. Il est urgent de donner de l'attractivité à ce marché, sous peine de faire perdre des parts de marché à ses principaux acteurs, et donc des recettes à l'Etat.
M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie tous les intervenants pour l'éclairage qu'ils apportent sur la réalité des jeux en ligne, et je rends hommage à François Trucy, rapporteur de la loi en 2010, et fortement impliqué dans son suivi. Le chantier n'est pas achevé. Le premier objectif de la loi était de légaliser les jeux en ligne : c'est chose faite. Je souhaiterais en revanche voir plus clair sur un deuxième objectif : celui des rentrées fiscales. Les jeux rapportaient, jusqu'en 2010, 4,7 milliards d'euros de recettes publiques. L'assiette et le taux retenus devaient éviter toute perte de recettes. Les joueurs et les mises ayant augmenté, y a-t-il eu davantage de rentrées fiscales ? La réponse apportée à la question écrite que j'ai adressée au Gouvernement indique qu'elles ont stagné autour de 4,6 milliards d'euros. Le législateur doit être attentif à la préconisation de modération fiscale recommandée par M. Cacheur, mais on ne peut décemment baisser les taux que si l'on est certain qu'au bout du compte, la recette totale ne diminuera pas.
L'opérateur historique semble avoir plutôt bien vécu l'ouverture du secteur à la concurrence. C'est rassurant pour lui, moins pour les nouveaux entrants sur le marché...
Un mot sur les addictions. Chaque Français qui joue dépense 50 à 60 euros par mois. Mais les jeunes joueurs dépensent en moyenne 164 euros mensuels : ce sont précisément les nouveaux joueurs attirés par les jeux en ligne. Les deux tiers des joueurs ont en moyenne trente-six ans, un revenu estimé entre 1 500 et 2 000 euros par mois, un niveau Bac+2, et vivent en concubinage sans enfants. Quelles conséquences l'ouverture du secteur a-t-elle eu sur cette catégorie de joueurs ? Les dispositions adoptées dans la loi destinées à diminuer l'exposition des jeunes publics aux publicités agressives pour les jeux ont-elles été efficaces, lorsque l'on sait par ailleurs que les jeunes passent de plus en plus de temps sur Internet ?
Par ailleurs, la corruption est un problème qui inquiète tout le monde. Nous nous sommes tous émus du scandale déclenché à l'occasion du match de handball Cesson-Montpellier de la saison 2011-2012, ainsi que de celui révélé par l'enquête d'Europol sur les 680 matchs de football truqués. Le dispositif existant, qui s'appuie notamment sur le délit de corruption sportive créé l'année dernière, est-il efficace ? Il apparaît que 90 % des mises sont le fait de 5 % des plus gros joueurs. Cela conforte les soupçons de blanchiment d'argent que l'on peut avoir. La presse a récemment révélé que 30 % des dirigeants sportifs disaient avoir déjà fait l'objet de pressions voire de violences pour modifier un résultat, sans parler des joueurs, encore moins des arbitres... La loi a-t-elle suffisamment pris les devants dans ce domaine ?
En 2010, la France s'est appuyée sur l'expérience italienne. L'Allemagne restait en retrait, comme les États-Unis, réticents à l'idée de modifier leur cadre juridique, même si des contournements de celui-ci ont été rendus possibles. La situation a-t-elle évolué vers une plus grande harmonisation ?
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Les pays ayant conservé leur monopole public rencontrent-ils une situation plus difficile que les autres ?
M. Éric Bocquet. - Monsieur Vilotte, vous avez indiqué que seuls 21 opérateurs étaient établis fiscalement en France. Où les autres sont-ils domiciliés ? Cela constitue-t-il une concurrence déloyale ? Y a-t-il, de ce fait, un manque à gagner pour l'Etat ?
Comment fonctionne exactement la manipulation des compétitions ? Passe-t-elle par des intermédiaires entre les organismes de paris et les compétiteurs ou les clubs ?
Les clubs perçoivent-ils une partie des recettes générés par ce nouveau secteur ?
M. Francis Delattre. - M'adressant au PMU, je voudrais souligner que la lutte contre l'addiction est une noble cause, mais elle entre en contradiction avec les campagnes massives de publicité qui sont lancées sur les jeux en ligne - et qui touchent les jeunes, c'est une évidence.
D'autre part, le problème du PMU réside dans les difficultés de la filière équine et de l'élevage. La TVA a lourdement augmenté, ce qui a mis dans l'embarras de nombreux professionnels. L'ingénierie financière a compensé cette évolution, mais les professionnels sont inquiets. Si l'on ajoute à cela la crise, ne pensez-vous pas que le PMU fait face à de profondes difficultés ?
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - De quels moyens disposez-vous pour détecter les mises anormales, ou celles qui font peser un risque sur les personnes qui les déposent ?
M. François Trucy. - La filière hippique française représente 45 000 emplois directs ou indirects bien réels, soit à elle seule davantage en termes d'emplois, d'hippodromes et de courses que tous les pays d'Europe réunis. Elle subit d'une part la modification du taux de TVA, d'autre part la menace qui plane sur les ressources affectées par la loi à la filière - charge à cette dernière de les répartir ensuite comme elle l'entend. Le chiffre d'affaires du PMU et les recettes de l'Etat sont menacés car la Commission européenne ne voit pas d'un bon oeil l'exception française. Or il est évidemment nécessaire de protéger la filière, la seule à réellement subsister en Europe.
La publicité pour les jeux en ligne fait déjà l'objet de restrictions, notamment lorsqu'elle est susceptible de toucher les mineurs. Elle a ainsi été bannie des salles de cinéma à certaines heures. Mais Francis Delattre a raison : prévenir l'addiction et faire de la publicité, c'est contradictoire. Les jeux en ligne sont toutefois mieux équipés que les jeux traditionnels pour lutter contre les addictions : les outils informatiques permettent d'écarter les mineurs ou les personnes interdites volontairement de jeu, qui sont aujourd'hui près de 50 000, du fait de la nécessité de s'identifier avant de jouer. Reste que le PMU et la Française des jeux, dans leur réseau en dur, ne peuvent être équipés par ces systèmes : on ne va pas pister les acheteurs de jeux à gratter dans chaque bistrot !
M. Jean-François Vilotte. - Le périmètre de compétence de l'Arjel ne permet de soumettre à son contrôle que 10 % à 15 % du montant total des mises enregistrées en France. Les jeux en ligne ne représentent d'ailleurs que 8 % du produit brut des jeux dans notre pays. Sur ce secteur désormais ouvert à la concurrence, le marché illégal représente entre 10 % et 15 % de l'offre disponible. A ce jour, 840 sites ont été géo-bloqués par l'Agence, et la procédure de blocage a été engagée pour 80 autres auprès du tribunal de grande instance de Paris. Elle est longue, car le déréférencement, le déshébergement et le blocage des flux financiers qu'encourent les opérateurs sont de nature pénale.
L'Agence vient de délibérer sur le contenu d'un rapport relatif à la protection des publics les plus vulnérables. Les 33 mesures préconisées entendent non pas imposer davantage de contraintes aux opérateurs, mais rendre celles qui existent plus efficaces. Elles concernent le contrôle de la publicité sur Internet, l'adaptation des messages de prévention à l'ensemble des supports de diffusion commerciale, le toilettage de la procédure d'inscription au fichier des interdits de jeu - sans doute adaptées aux joueurs de casino du début du XXe siècle, plus guère aujourd'hui -, ou encore l'ingénierie d'alerte, qui devrait passer par l'obligation d'un contact personnalisé avec le joueur, dans certains cas.
Quant aux jeunes joueurs, ils jouent de moins grosses sommes que leurs aînés. Les statistiques précisent les sommes moyennes par tranche d'âge.
M. François Marc, rapporteur général. - Je les ai : le joueur moyen dépense 50 euros par mois. Une récente enquête du Parisien du 20 mars dernier révèle que les jeunes joueurs parient l'équivalent de 10 % de leur salaire, soit 184 euros par mois.
M. Jean-François Vilotte. - Le journal a fait une erreur de moyenne. L'étude est en ligne sur le site de l'Arjel, avec l'ensemble des données. Pour simplifier, disons que ceux qui jouent beaucoup et souvent sont plutôt des parieurs hippiques âgés, tandis que les jeunes joueurs parient des sommes plus faibles, moins fréquemment, plus volontiers sur des sites de paris sportifs. Reste que 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. C'est à ce niveau qu'il faut agir, notamment par l'obligation de prise de contact personnalisé faite à l'opérateur, lorsqu'il détecte des comportements atypiques.
Nous avons tous été affectés par l'affaire de corruption révélée dans le handball. L'alerte a d'ailleurs été lancée par les réseaux physiques de la Française des Jeux, non par ses moyens numériques. Elle révèle qu'avant 2010, il n'était pas interdit de parier sur les résultats de la compétition à laquelle on participait, sauf dans le tennis. Paradoxalement, l'alerte ainsi déclenchée est une bonne nouvelle : c'est le signe que le système fonctionne.
La corruption reste le fait de réseaux de criminalité organisée qui jouent sur la distance qui sépare le lieu du pari de celui de la compétition. Si des manipulations étaient réalisées en France, elles n'auraient d'ailleurs pas pour source des paris réalisés en France, mais plutôt à l'étranger : en effet, il serait absurde de prendre de tels paris dans l'un des marchés les plus régulés au monde ! A l'occasion du tournoi de Roland-Garros, 13 millions d'euros sont pariés en France, contre 250 millions d'euros au Royaume-Uni, et sans doute un demi-milliard dans le monde. C'est pourquoi l'harmonisation des règles au niveau international serait particulièrement opportune.
En attendant, peut-on faire mieux en France ? D'abord, le droit au pari : il n'est réclamé par les organisateurs d'événements sportifs qu'aux opérateurs agréés en France. A l'Arjel, nous pensons qu'il faudrait l'étendre aux opérateurs agréés à l'étranger. Pour aider les organisateurs d'événements sportifs, le législateur pourrait plus clairement affirmer le caractère de loi de police du droit au pari, en tant qu'il protège la sincérité des compétitions. Cela permettrait de plaider différemment la territorialité de ce droit de propriété auprès des juridictions étrangères. Ensuite, il serait utile de créer une plateforme mutualisée de suivi au bénéfice de l'ensemble des fédérations, comme cela existe pour le football ou le tennis. L'Arjel pourrait créer un tel outil, mais cela excède encore les compétences qui lui ont été confiées.
Un mot sur la situation en Europe. En mai 2010, le marché des jeux était ouvert à la concurrence dans sept pays, fermé dans neuf, monopolistique dans huit, et en cours d'ouverture dans deux. En 2013, treize marchés sont ouverts, plus aucun n'est totalement fermé, trois sont restés monopolistiques, et douze sont en cours d'ouverture. Il n'y a donc pas de modèle français, plutôt un principe de réalité auquel se rallient progressivement tous les Etats, qui veut que la régulation s'adapte à Internet.
Le monopole portugais est le plus emblématique. Les autorités portugaises ont remarqué que leur monopole - conforté par la Cour de justice de l'Union européenne - représente moins de 20 % des paris en ligne enregistrés au Portugal. Le pays s'intéresse donc à l'ouverture de son marché à la concurrence et envisage de confier les missions de régulation à Santa Casa, son opérateur historique, comme l'ont fait les Italiens.
M. François Marc, rapporteur général. - Vous voulez dire que 80 % du marché des jeux portugais est illégal ?
M. Jean-François Vilotte. - C'est l'analyse communément répandue. Et les grands opérateurs européens ne cachent pas leurs projets de pénétration du marché portugais... Le monopole est toujours contourné. Le vrai sujet, c'est le niveau standard de régulation. Sur ce point, nous n'avons rien concédé.
M. François Marc, rapporteur général. - L'ordre de grandeur serait-il similaire en France si la loi de 2010 n'avait pas été votée ?
M. Jean-François Vilotte. - Vraisemblablement. La Française des Jeux, alors seul monopole légal, ne représentait en 2010 que 4 % à 5 % du marché des paris en ligne. Les procédures pénales se heurtent à divers obstacles, les opérateurs illégaux ayant un certain tropisme insulaire et le droit communautaire ayant des lacunes... Un principe de cohérence externe devrait prévaloir : un opérateur reconnu illégal sur un territoire ne devrait plus pouvoir exercer ailleurs. Ce principe, et une meilleure entraide pénale, feraient faire d'importants progrès dans ce domaine.
Je voudrais indiquer à M. Bocquet que les 21 opérateurs agréés par l'Arjel ne sont pas nécessairement établis fiscalement en France. La loi les autorise à l'être dans n'importe quel pays de l'Union européenne ou dans les pays de l'Espace économique européen ayant signé des accords de coopération fiscale avec la France. En pratique, seule la moitié est domiciliée fiscalement en France. Toutefois, il n'y a distorsion fiscale que pour l'impôt sur les sociétés et pour la TVA, car l'assiette de la fiscalité propre aux jeux en ligne est constituée des mises, constatées par l'Arjel.
Comment détecte-t-on les mises anormales ? Toutes les transactions entre les opérateurs et les clients sont captées par des dispositifs informatiques, stockées dans des coffres-forts numériques puis exploitées par des logiciels. Lorsque des écarts à la moyenne sont constatés, des comportements atypiques détectés, tel un grand nombre d'ouvertures et de clôtures du compte, une alerte se déclenche. De plus, nous proposons de partager notre ingénierie d'alerte avec les opérateurs afin de prendre contact plus rapidement avec le joueur suspecté de dérive addictive.
Les rentrées fiscales s'élevaient à 154 millions d'euros en 2010, à 307 millions d'euros en 2011 et à 327 millions d'euros en 2012. L'assiette, quant à elle, représentait 9 milliards d'euros en 2012, contre 650 millions d'euros en 2010. Seule l'administration fiscale peut toutefois préciser l'impact des nouveaux taux sur ces volumes de recettes.
M. Xavier Hürstel. - S'agissant de la publicité des jeux et de la protection des jeunes, nous respectons scrupuleusement les règlements du CSA. Nous nous soumettons en outre au contrôle de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui valide nos campagnes. Celles-ci sont toujours généralistes, jamais ciblées sur les jeunes publics. Nous avons les mêmes chiffres que vous sur le profil du joueur moyen, qui indique l'absence de prévalence de jeu excessif chez les jeunes. Nous savons bien que la consommation Internet des jeunes se réduit essentiellement aux réseaux sociaux.
J'ajoute que l'addiction n'est pas toujours corrélée au montant des mises. Certains se divertissent en pariant tous les jours, après une analyse scientifique des courses, deux euros sur un quinté, comme d'autres boursicotent. L'addiction se définit par d'autres critères, comme l'impact qu'elle a sur la vie privée des personnes.
Un mot sur la fraude sportive : les exemples que vous citez se trouvent en dehors du marché numérique régulé par l'Arjel. Le match de handball mentionné a fait l'objet de paris dans le réseau physique de la Française des Jeux ; quant à l'enquête d'Europol, elle n'a concerné que des opérateurs et des matchs étrangers. Cela ne doit toutefois pas nous faire baisser la garde.
Je partage les analyses de M. Vilotte en matière de suivi des mises. Nous surveillons activement les concentrations anormales d'enjeux, y compris dans notre réseau physique. Nous pratiquons en outre une surveillance financière importante de nos points de vente.
Avec M. Vilotte, nous avons beaucoup débattu de la décision des organisateurs d'événements sportifs et des fédérations de réduire l'éventail des événements offerts au pari notamment pour ce qui concerne les matchs sans enjeu sportif réel. Par exemple, un seul des sept des matchs de la prochaine journée du Top 14 pourra faire l'objet de paris ce qui est quand même très restrictif. Nous acceptons ces décisions, mais croyons davantage dans le succès du suivi, qui passe par la création de cette plateforme d'échange qui permettra de relier la fraude internationale à ce qui se passe en France.
Le droit au pari est reversé aux fédérations, qui ensuite en font ce qu'elles veulent. Certaines financent des systèmes de lutte contre la fraude, mais il n'y a pas de lien direct entre les deux.
Les profits du PMU sont reversés intégralement à la filière hippique et aux 16 000 buralistes qu'il fait vivre. Ce réseau est fragile mais bien vivant, puisqu'un nouveau point de vente s'ouvre chaque jour. Notre métier est d'en livrer le plus possible : nous ambitionnons de conquérir de nouvelles clientèles et de développer notre offre de jeux récréatifs respectueux des règles et de la protection des consommateurs. Notre réflexion stratégique « PMU 2020 » part de l'idée que le pari hippique n'est pas mort. Nous espérons partir davantage à l'export et à l'international, afin d'apporter en retour des ressources nouvelles à la filière hippique.
M. Francis Delattre. - Ce n'était pas ma question. La filière élevage est en difficulté, et vous me faites une réponse « à la Coluche » : une fois la réponse terminée, on ne comprend plus la question posée !
M. Xavier Hürstel. - Si la filière hippique allait mal, le nombre de partants diminuerait, et avec lui les enjeux.
M. François Trucy. - Je me félicite à nouveau de cette réunion car la « clause de revoyure » contenue dans la loi n'a eu que des effets bien pauvres : nous n'avons pas touché au taux de retour aux joueurs, ni à l'assiette des impôts perçus par l'Etat. Le seul résultat a été l'acceptation lente et précautionneuse d'une variante du poker en ligne. Or le marché est considérable, qui représente 100 000 emplois directs ou indirects. Les réseaux du PMU ou de la Française des Jeux ont une caractéristique : ils apportent une ressource complémentaire majeure pour des dizaines de milliers de commerçants locaux.
Les casinos traditionnels perdent de l'argent depuis plus de quatre ans : ils ont détruit des emplois et diminué les ressources de l'Etat et des collectivités territoriales. Les jeux en ligne sont un secteur exposé. Si l'Arjel baissait sa garde, tout le marché disparaîtrait dans l'illégalité. Les gouvernements successifs ont tous montré une certaine inquiétude, et certains ministères plus que d'autres. Il faut donc tenir compte des risques tout en restant positif.
M. Jean-François Vilotte. - S'agissant de la filière hippique, il reste, à mes yeux, deux sujets cruciaux. D'abord, sortir du débat juridique avec la Commission européenne sur la taxe affectée. On ne sait pas quelle part de marché les jeux en ligne représenteront demain - ils ont pour l'instant un taux de croissance supérieur à celui des réseaux physiques. On ne peut non plus prédire la part des opérateurs alternatifs au PMU. Si cette question n'est pas réglée, le secteur risque de souffrir.
Second sujet : l'augmentation des mises pour les paris hippiques, plus forte sur Internet que dans le réseau physique, atteint 5 % au premier trimestre. Mais elle reste inférieure à l'augmentation de l'offre de courses, notamment à l'étranger, qui atteint 8 %. C'est aussi un sujet important pour la filière hippique.
Enfin, je veux appeler votre attention sur le problème des jeux prétendument gratuits, d'adresse et ceux fondés sur des monnaies virtuelles, qui profitent du développement des réseaux sociaux, et d'une période particulière qui voit fleurir des loteries de toute sorte. Il faut les faire rentrer dans la légalité, pour limiter la concurrence déloyale qu'ils exercent sur les opérateurs du secteur et pour mieux protéger les consommateurs.
M. Hervé Cacheur. - Un mot sur les déficits des opérateurs. Schématiquement, les petits opérateurs ont un petit déficit, et les gros opérateurs un gros déficit. Betclic, le leader du pari sportif sur le marché français, est en déficit depuis le début, de plusieurs dizaines de millions d'euros chaque année. Le développement de cette activité ne se traduit donc pas nécessairement par des rentrées fiscales supplémentaires. Et l'on demande aux opérateurs restants, qui perdent environ 200 millions d'euros chaque année, de maintenir leur activité pour collecter une taxe sur un marché de 700 millions d'euros. Je suis conscient que ce n'est sans doute pas le moment le plus facile pour demander de toucher aux taux ou à l'assiette, mais on ne peut éluder la question de savoir si le marché est pérenne. Il faut donc soit modifier l'assiette de l'impôt, soit faire en sorte que le marché se pérennise.
M. Patrick Raude. - En 2012, la Française des jeux a payé plus de 3 milliards d'euros de taxes, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2011. De plus, le droit au pari que nous avons versé a représenté plus de 4 millions d'euros sur 5,5 millions d'euros. La quasi-totalité, 4,1 millions d'euros, relevait de notre activité de paris sportifs dans le réseau, et seulement 100 000 euros de notre activité de paris sportifs en ligne.
Nous travaillons beaucoup sur le suivi des mises et la détection des mises atypiques. Nous sommes engagés dans un projet international monté avec de nombreuses autres loteries européennes, destinées à partager les informations que détiennent tous les opérateurs sur les variations fortes de mises.
Nous ne faisons pas de publicité dans les cinémas car nous ne pouvons avoir la certitude qu'elles ne seront pas vues par des mineurs. En décembre 2011, le Conseil d'Etat a considéré que le plafonnement des dépenses publicitaires à 1 % de nos mises permettait d'informer correctement les joueurs sur l'existence des jeux sans les inciter exagérément à jouer.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Merci à tous. Nous nous rapprocherons donc de l'administration fiscale pour obtenir les informations complémentaires.
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
Contrôle de la mise en application des lois - Communication
Au cours d'une séance tenue l'après-midi, la commission entend d'abord une communication de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président, sur le contrôle de l'application des lois, en remplacement de M. Philippe Marini, président.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Le premier point de notre ordre du jour - saisine pour avis et désignation d'un rapporteur sur le projet de loi portant sur les métropoles - étant reporté à la semaine prochaine, je vous présente maintenant la traditionnelle communication du président de la commission sur l'application des lois.
Chaque année, les commissions permanentes établissent le bilan de la parution des textes règlementaires d'application des lois dont elles ont été saisies au fond. Après communication en commission, ces bilans sont consolidés et publiés sous forme d'un rapport qui connaît un certain retentissement médiatique. Cette année, un débat sera organisé en séance publique, à l'initiative de la commission pour le contrôle de l'application des lois, lors d'une semaine de contrôle du mois de juin.
Au cours de l'exercice 2011-2012, la commission des finances a contrôlé l'application de 21 lois, dont 12 sont antérieures au 13 juillet 2011 : 134 textes d'application ont été pris ou sont devenus sans objet (68 % des 197 mesures en attente). Si les lois récentes sont mieux mises en application, le stock de mesures anciennes en attente ne se résorbe que lentement : seules 44 sur 79 ont été prises, ce qui porte néanmoins le taux d'application du stock à plus de 90 % et a permis de rendre quatre lois - dont une de 2006 - entièrement applicables. En 2012, les textes adoptés juste avant et juste après l'alternance ont été mis en oeuvre rapidement et intégralement ou presque (90 % de textes parus pour le collectif de mars 2012, 100 % pour le collectif de juillet). Certaines lois n'ont reçu aucun texte d'application dans l'année. La plus ancienne figurait dans la loi de finances rectificative pour 1999 : il serait hautement souhaitable que le Gouvernement la rende totalement applicable ou l'abroge...
M. Richard Yung. - De quoi s'agit-il ?
M. Jean-Pierre Caffet, président. - De la transposition de dispositions concernant la suppression du duty free entre Etats membres, qui avait conduit à retenir le principe de continuité territoriale entre les DOM et la métropole.
Quatre des neuf lois examinées au fond par la commission des finances en 2011-2012 sont d'application directe : les deux lois de règlement de 2010 et de 2011, et les deuxième et troisième collectifs pour 2011. Deux lois ont été rendues complètement applicables : il s'agit des lois de finances rectificatives du 29 juillet 2011 et du 16 août 2012.
Le taux de publication des textes d'application est élevé pour les mesures dont le gouvernement est à l'origine (74 %) comme pour celles issues d'amendements des parlementaires (83 %). De plus, 62 % des mesures ont été publiées dans les six mois suivant la promulgation de la loi, en conformité avec le délai prescrit par la circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004. En revanche, seuls 70 des 175 rapports attendus par les lois adoptées depuis 2001 ont été effectivement remis au Parlement.
Plusieurs pistes de rationalisation de ce contrôle pourraient de nouveau être proposées : transmission des projets de décret au moment du dépôt d'un projet de loi, transmission des échéanciers prévisionnels de publication des mesures réglementaires ou des justifications en cas de retard. Je vous encourage, dans le cadre de vos prérogatives de rapporteurs au fond ou de rapporteurs spéciaux, à identifier les difficultés et à interroger les administrations défaillantes, soit par courrier, soit lors de vos missions de contrôle.
La commission donne acte à M. Jean-Pierre Caffet, vice-président, de la communication.
Programme national de réforme et programme de stabilité - Audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
La commission procède ensuite à l'audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de programme national de réforme et sur le projet de programme de stabilité avant sa transmission à la Commission européenne, en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Pierre Moscovici, retenu à la commission des finances de l'Assemblée nationale, nous rejoindra dès qu'il le pourra. Bernard Cazeneuve va nous présenter le projet de programme national de réforme, et le projet de programme de stabilité. Depuis trois ans, le Gouvernement soumet ces documents au Parlement avant de les transmettre aux autorités européennes : dans le cadre du Semestre européen. Cette année, les prévisions macroéconomiques qui les sous-tendent ont fait l'objet, pour la première fois, d'un avis du Haut Conseil des finances publiques, rendu le 16 avril dernier. La Commission européenne formulera des recommandations au Conseil, qui adoptera lui-même des recommandations aux Etats au début de l'été.
Nous entrons avec cette audition dans notre cycle budgétaire de printemps : mardi prochain, nous entendrons le rapport du rapporteur général sur le programme de stabilité, dont nous débattrons le lendemain en séance avec le Gouvernement. Nous prendrons connaissance fin mai du projet de loi de règlement et de l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le respect de la trajectoire de solde structurel en 2012. Nous aurons fin juin le rapport de la Cour des comptes sur les perspectives des finances publiques, puis celui du Gouvernement sur les orientations des finances publiques, et nous aurons de nouveau un débat.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. - Je vous remercie de votre accueil. C'est la première fois que je me trouve devant cette commission depuis que j'ai été nommé ministre délégué en charge du budget, et je tiens à vous dire ma disponibilité pour venir devant vous, aussi souvent que vous le jugerez nécessaire, évoquer tous les sujets qui relèvent de mon ministère, depuis les questions fiscales jusqu'à la préparation du budget, en passant par l'épargne.
Inscrit en effet dans le cadre du Semestre européen, le programme de stabilité met en oeuvre les procédures nouvelles de relations entre institutions européennes et institutions nationales, destinées à faire converger les politiques économiques et budgétaires. Programme national de réforme et programme de stabilité décrivent la stratégie économique du Gouvernement, ainsi que le scénario macroéconomique et la trajectoire de finances publiques qui la sous-tendent. Ces textes ont la même importance et la même portée symbolique, politique et juridique qu'un projet de loi de finances : c'est avec solennité que je les présente.
Le président de la République l'a rappelé récemment, le Gouvernement avait pour mission de redresser l'économie du pays, dans une approche équilibrée réconciliant redressement des finances publiques, réformes ambitieuses et recherche active de la croissance. C'est le sillon que nous nous traçons depuis notre arrivée aux responsabilités, avec pour boussole la justice, et pour ligne d'horizon l'inversion de la courbe du chômage.
Le contexte est particulièrement difficile. L'héritage est lourd : 600 milliards d'euros de dettes en plus au cours du précédent quinquennat (20 % de notre PIB), 1,8 point de PIB de déficit structurel en cinq ans. Le déficit nominal aurait été de 5,5 % du PIB si nous n'avions pas pris des dispositions correctrices. Nous souffrons également de lourdes faiblesses structurelles : une croissance nulle en moyenne au cours du précédent quinquennat, mais un million de chômeurs de plus ; 750 000 emplois perdus dans l'industrie en dix ans, la part du secteur secondaire dans la valeur ajoutée étant revenue de 18 % à 12,5 % entre 2000 et 2011. La perte de notre substance industrielle et l'affaiblissement considérable de notre compétitivité se traduisent par un déficit commercial supérieur à 65 milliards d'euros en 2012. Nous ne pouvons réparer en quelques mois un tel héritage.
La zone euro, désormais stabilisée, n'a pas pour autant retrouvé sa croissance d'avant la crise ; la dégradation de la situation économique s'est intensifiée fin 2012, et selon les dernières prévisions de la Commission européenne, la zone euro restera en récession, alors que le chômage touche 19 millions de personnes en Europe.
Des réformes sont indispensables. Pourquoi opposer croissance et redressement des comptes ? On ne peut réussir l'un sans l'autre. Bien sûr, en économie, tout est affaire de choix ; cependant le discours selon lequel nous pouvons laisser nos comptes dériver sans coûts et sans frais, s'il sonne doux à l'oreille, reste une absolue contre-vérité. Oui, nous pouvons laisser monter la dette, comme l'ont fait l'Italie ou la Grèce, si nous n'avons que faire de l'indépendance financière de notre pays, si nous ne craignons pas de nous voir imposer demain un redressement brutal. Oui, nous pouvons laisser se creuser les déficits, si nous estimons qu'il est juste de demander aux générations futures d'en assumer le fardeau. Oui, nous pouvons ignorer le poids de la dette, dès lors que nous trouvons naturel que les intérêts soient le premier poste budgétaire, devant l'éducation, devant les services publics, devant le soutien à l'emploi. Non, cette vérité ne fait pas plaisir à entendre, qui contraint les gouvernements à sortir de l'illusion confortable qu'un pays endetté est un pays fort, un pays en marche vers son futur. Voilà la réalité : un pays qui s'endette s'appauvrit, il s'affaiblit.
Ce débat a été tranché : la vraie question est celle du rythme du redressement, et de l'équilibre entre croissance et consolidation budgétaire. Ce gouvernement porte avec force la volonté de réussir à la fois la consolidation budgétaire et le rétablissement de notre économie : nous défendons depuis mai 2012 un rééquilibrage des politiques européennes en faveur de la croissance. Je le fais dans le cadre de nos relations bilatérales, Pierre Moscovici s'y emploie en particulier auprès de nos partenaires allemands, car la relation franco-allemande reste un moteur puissant, et l'Allemagne, dont les finances sont solides, est en mesure de donner plus de dynamisme à son économie. Pierre Moscovici la porte aussi dans les enceintes plus larges, au G 7 au G 20, au Fonds monétaire international (FMI) ou à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) : autant de lieux où nous défendons l'idée que pour la croissance européenne, il est aussi grave de ne pas faire de relance quand on pourrait le faire, que de ne pas faire l'ajustement des finances publiques quand on le doit.
L'objet du programme de stabilité et du programme national de réforme est précisément de tracer cette voie entre croissance et remise en ordre des comptes. Je suis convaincu que la voie que nos programmes dessinent est la bonne pour la France, mais aussi pour l'Europe. Agenda domestique et agenda européen sont étroitement liés : c'est parce que nous faisons les efforts nécessaires que nous serons entendus par nos partenaires européens. Si nous ne sommes pas crédibles, nous ne pèserons pas en Europe. Menons à notre façon les réformes qui sont attendues de nous. Nous le faisons déjà avec le pacte de compétitivité, ou l'accord sur la sécurisation de l'emploi. Poursuivons dans la voie du redressement des finances publiques, à un rythme économiquement efficace et socialement juste. Nous serons plus forts sur la scène internationale et, grâce aux évolutions attendues en Europe, nous pourrons faire évoluer notre stratégie.
Nous avons bâti ces programmes sur des prévisions de croissance réalistes, identiques, pour 2013 et 2014, à celles de la Commission européenne : 0,1 % en 2013, 1,2 % en 2014, puis 2,0 % par an entre 2015 et 2017. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son avis ; il estime que des aléas font peser un risque à la baisse sur les prévisions. Si nous reconnaissons l'existence de tels facteurs, nous confirmons nos prévisions. Compte tenu de l'ampleur des réformes engagées, un objectif de croissance plus prudent en 2014 ne serait pas justifié, et exigerait un ajustement excessif en 2014.
Nous en avons la conviction, l'Europe va progressivement redémarrer. Pour de nombreux pays, le plus gros des efforts est désormais passé. Avec le pacte de croissance adopté en juin, et les 10 milliards d'augmentation de capital de la BEI, soixante milliards d'euros de prêts seront engagés ; la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) restera durablement accommodante ; les pays sous tension bénéficieront de meilleures conditions de financement, grâce à la mise en oeuvre résolue de l'union bancaire.
Les réformes que nous menons en France vont porter leurs fruits : les 20 milliards d'euros du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la réforme du financement de l'économie, les 150 000 emplois d'avenir à horizon 2014, les contrats de génération, le renforcement des moyens de Pôle emploi, l'accord des partenaires sociaux sur la sécurisation de l'emploi, et le plan d'urgence en faveur du logement vont soutenir notre activité. Oui, nos hypothèses de croissance sont réalistes et prudentes.
Le programme national de réforme est structuré autour de quatre axes : redresser les comptes publics, rétablir la compétitivité de notre tissu productif, préparer l'avenir et lutter contre le chômage et la précarité.
Nous avons fait plus en onze mois en matière de compétitivité que nos prédécesseurs en dix ans. Nous avons d'abord réorienté notre système fiscal pour encourager la compétitivité et l'innovation. Les 20 milliards d'euros du CICE relèveront l'activité de 0,5 point de PIB et créeront 300 000 emplois d'ici 2017. Pierre Moscovici travaille à ce que les entreprises se saisissent de ce dispositif, déjà opérationnel et qui va monter en puissance grâce à son préfinancement par le système bancaire pour les petites et moyennes entreprises (PME). Au-delà de cette mesure puissante - un point de PIB ! - la nouvelle fiscalité des dividendes incite les entreprises à réinvestir leurs bénéfices, et le crédit d'impôt recherche (CIR) a été étendu. Nous avons également remis le secteur financier au service de l'économie réelle avec la création de la BPI, la loi bancaire, le plan « trésorerie », ou encore le soutien au financement de l'investissement des collectivités territoriales. Nous engagerons dans les mois à venir une réforme de la fiscalité de l'épargne, sur la base des conclusions des travaux remis Karine Berger et Dominique Lefebvre, pour utiliser plus efficacement l'épargne abondante des Français. La BPI parachèvera sa mue et proposera aux entreprises des solutions de financement globales et intégrées. Le plan pour la trésorerie des entreprises continuera à être déployé.
Nous mènerons en 2013 des réformes de structure majeures dans le secteur des services, de l'énergie et du logement, afin de faire baisser les prix, de réduire les coûts des entreprises et de soutenir le pouvoir d'achat des ménages. Pierre Moscovici et Benoît Hamon présenteront, début mai, un projet de loi sur la consommation renforçant les droits des consommateurs et luttant contre les rentes de situation. Une réforme du secteur ferroviaire, au premier semestre 2013, améliorera la qualité de son service et son efficacité industrielle tout en préparant les prochaines étapes de l'ouverture à la concurrence. Des réformes sont aussi envisagées dans le secteur de l'énergie : leurs contours seront précisés à l'issue du débat sur la transition énergétique de juillet 2013.
Toutes ces initiatives, auxquelles s'ajoute le « choc de simplification », font masse et font sens. Elles soulignent la cohérence des actions d'un gouvernement qui fait confiance aux entreprises, et dessine progressivement une politique de l'offre ambitieuse et innovante.
Nous préparons l'avenir en encourageant la structuration de l'économie autour de filières industrielles clefs et en soutenant les secteurs stratégiques par une politique d'investissements ciblés. Nous organiserons au premier semestre une consultation pour retenir les initiatives industrielles prioritaires pour le quinquennat. Celles-ci seront soutenues par un fonds « multisectoriel » doté de 590 millions d'euros et mis en place au sein de la BPI.
Nous déploierons parallèlement notre stratégie d'investissements de long terme dans les secteurs clefs du logement, de la rénovation thermique et du numérique. Nous renforcerons le potentiel de croissance du pays et dessinerons l'économie de demain sans peser sur nos finances publiques. Par exemple, le projet de loi sur le logement, qui sera présenté d'ici juin, dynamisera l'offre et freinera la hausse des prix de l'immobilier en soutenant le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité-coût des entreprises. Le lien entre réformes, croissance et redressement des comptes apparaît pleinement ici.
Nous travaillerons en 2013 au plein déploiement des mesures adoptées pour lutter contre le chômage et la précarité, et nous amplifierons les effets de nos politiques grâce à une grande réforme de la formation professionnelle. La réforme du marché du travail, d'abord : l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier a été identifié à l'étranger comme un signe absolument majeur de la volonté et de la capacité de la France à se réformer. Il facilitera l'adaptation des entreprises aux chocs structurels tout en accordant de nouveaux droits aux salariés : c'est la clef de voûte de la lutte contre le chômage. Ce volet sera complété, au second semestre, par la renégociation de la convention d'assurance chômage, et par la réforme la formation professionnelle, dès cette année, afin de l'orienter vers ceux qui en ont le plus besoin.
En économie, il n'y a pas d' « Immaculée conception » : la croissance reviendra parce que nous aurons fait les efforts nécessaires. Redressement des comptes publics et redressement productif sont les deux faces d'une même médaille : le désendettement est un facteur de compétitivité. Notre stratégie est dictée par un impératif : trouver le juste équilibre, le bon rythme, pour la remise en ordre de nos comptes. En 2013, nous ajusterons le rythme d'assainissement des comptes pour ne pas briser la croissance ; en 2014 nous approfondirons notre effort structurel : ce sera une année de tournant, de basculement, dans la répartition de nos efforts entre recettes et dépenses ; à partir de 2015 nous commencerons à réduire la part de l'endettement dans le PIB et nous progresserons vers l'équilibre structurel grâce à la montée en puissance de nos économies.
Comme l'a dit le président de la République, notre politique économique n'est pas une politique d'austérité, c'est une politique sérieuse et juste. En 2013, nous laisserons davantage jouer les stabilisateurs automatiques face à la récession qui menace, et le déficit public nominal s'établira à 3,7 %. Ce choix de ne pas trop serrer la vis en cours d'année est crucial. Si l'effort structurel de 1,9 point de PIB programmé en loi de finances est maintenu, nous ne sommes pas dans l'austérité, dans le fétichisme du chiffre. L'austérité, ce serait ne pas tenir compte de la dégradation de la conjoncture, faire des coupes aveugles dans nos dépenses, baisser les salaires des fonctionnaires ou diminuer uniformément les prestations sociales. Nous plongerions dans ce travers si nous nous obstinions à vouloir tenir l'objectif nominal des 3 % de déficit alors que l'économie européenne s'enfonce, et que nous avons déjà sollicité un effort majeur des Français. La préservation de la croissance commande de ne pas ajouter l'austérité à la récession. Nous avons donc demandé à la Commission européenne de reporter nos engagements européens. M. Moscovici mène ce débat avec force et avec conviction auprès de nos partenaires. Les conclusions de ce débat nécessaire ne sont pas acquises.
C'est en 2014 que nous nous donnerons les moyens d'atteindre un déficit à 2,9 %, grâce à un effort structurel d'un point de PIB. Aller au-delà ne serait pas raisonnable. L'effort structurel reposera pour 70 % sur des économies et pour 30 % sur des recettes. Ce sera une année charnière : reprise économique grâce aux réformes que nous aurons adoptées, retour sous 3 %, inflexion de l'endettement, grâce à la montée en puissance de la Modernisation de l'action publique (MAP).
Nous maintenons le cap de l'équilibre structurel en fin de mandat, et nous nous rapprochons de l'équilibre nominal en 2017. C'est l'engagement du président de la République, c'est l'objectif du Gouvernement.
Cette trajectoire est sous-tendue par une évolution vertueuse de nos prélèvements obligatoires. En 2014, le Gouvernement ne prévoit aucune hausse d'impôt générale sur les ménages, au-delà de la réforme des taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour financer le CICE. Le président de la République l'a annoncé lors de son intervention télévisée, et c'est conforme aux orientations de la loi de programmation des finances publiques. Les prélèvements obligatoires passeront de 46,3 % à 46,5 %. Extrêmement limitée, cette hausse résultera avant tout de l'approfondissement de notre action contre les niches inefficaces et de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. A partir de 2015, le taux de prélèvements obligatoires se stabilisera, puis il baissera en fin de période.
Cette trajectoire d'ajustement budgétaire est enfin conçue pour soutenir la croissance potentielle de long terme, à travers une maîtrise de la dépense qui impliquera tous les acteurs, grâce à l'exercice ambitieux de la MAP. Le rythme d'évolution de la dépense publique sera divisé par quatre par rapport aux dix dernières années (0,5 % contre 2 %). Le poids de la dépense publique dans le PIB sera réduit de 3 points sur la durée du quinquennat, (60 milliards d'euros), contre une augmentation de 4,6 points de PIB au cours de la dernière décennie. La montée en puissance du processus de MAP jouera un rôle crucial pour dégager dans cette optique, des économies pérennes. L'intégralité des politiques publiques seront évaluées d'ici 2017, en association étroite avec les usagers, les agents et les acteurs de ces politiques. A ce stade, 20 % de la dépense publique est couverte par ces évaluations.
Tous les acteurs de la dépense publique contribueront à l'effort de redressement des comptes. Les dépenses de l'Etat hors dette et pensions baisseront de 1,5 milliard d'euros en 2014. Elles se stabiliseront en valeur à partir de 2016, les priorités du Gouvernement étant alors financées par redéploiement. Les concours financiers aux collectivités locales seront réduits de 1,5 milliard d'euros en 2014 puis de 3 milliards d'euros en 2015, dans le cadre plus global d'une rénovation des relations entre l'Etat et les collectivités. Outre les efforts déjà programmés sur l'assurance maladie, les partenaires sociaux ont conclu un accord sur les régimes complémentaires de retraite. Ils renégocieront aussi la convention de l'assurance chômage fin 2013. Enfin, des travaux seront engagés pour assurer l'équilibre à moyen terme des branches vieillesse et famille de la sécurité sociale.
La MAP n'est pas un exercice punitif : réduire le poids des dépenses est une condition de notre croissance et de notre compétitivité futures. C'est réduire notre dette et, partant assurer des conditions de financements favorables aux entreprises, limiter les transferts intergénérationnels, garantir que nous pourrons financer dans de bonnes conditions une dette détenue pour près de 63 % par des non-résidents, garantir la souveraineté de notre pays, bref, c'est retrouver des marges de manoeuvre pour nos politiques publiques.
Ces programmes sont l'occasion de valider nos orientations de politique économique, que nous souhaitons responsables et équilibrées. Le Gouvernement entend associer crédibilité et ambition, ne pas pénaliser pas la croissance mais préparer l'avenir, pour que la France pèse davantage dans la réorientation nécessaire de la construction européenne. Ces choix réalistes et sérieux, ambitieux et responsables, refusent l'austérité dont les Français ne veulent pas. Je souhaite qu'ils reçoivent l'approbation de votre assemblée.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Merci pour cette présentation très complète.
M. François Marc, rapporteur général. - Je souhaite la bienvenue à Bernard Cazeneuve. Il a accepté une charge difficile en cette période de tourmente économique et financière. Je lui présente mes voeux de pleine réussite. Merci, monsieur le Ministre, pour les bonnes intentions que vous manifestez à l'égard de notre commission.
M. Jean Arthuis. - C'est vrai que c'est toujours agréable.
M. Francis Delattre. - Trois milliards en moins pour les collectivités locales, voilà de bonnes intentions !
M. François Marc, rapporteur général. - Notre commission a besoin de travailler dans la sérénité, nécessaire dans cette période particulièrement difficile, et d'une façon efficace, dans l'intérêt de notre pays et de nos concitoyens. Par rapport à ce besoin de sérénité, j'ai noté que deux questions restaient aujourd'hui sans réponse, et je regrette que le président de notre commission ne soit pas là aujourd'hui, puisqu'il s'agit d'une actualité brûlante et difficile.
La première question porte sur l'administration de notre pays. En effet, le président de la commission des finances s'est exprimé devant l'opinion publique française, devant des millions de gens, à travers les vingt-six caméras qui l'accompagnaient à Bercy. Il a mis en cause l'administration de ce ministère, qui a été soupçonnée de rétention d'informations, puisqu'il a été dit qu'elle servait de bouclier à l'autorité politique et qu'on reviendrait pour faire parler les ordinateurs. Ceci indique clairement qu'il y a une suspicion de rétention d'informations.
Je souhaite vivement que le président Marini puisse nous indiquer lors de notre prochaine séance...
M. Roland du Luart. - Vous pouvez dire cela en sa présence, mais là ce n'est pas très courageux !
M. Richard Yung. - Il n'a qu'à être là !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce n'est pas l'ordre du jour.
M. François Marc, rapporteur général. - Dans cette commission, on souhaite de la sérénité et une confiance réciproque avec l'administration avec laquelle nous sommes amenés à travailler régulièrement, et non une mise en cause implicite de tous ses membres. Je pense que Philippe Marini nous donnera les éléments qui nous permettront de comprendre ce qu'a été son raisonnement.
Par ailleurs, le ministre de l'économie et des finances appartient à un Gouvernement légitime et fait un excellent travail. Réclamer sa démission, c'est quelque part mettre en cause certains ressorts de son action ou certaines décisions prises. J'aimerais avoir aussi des explications sur ce point et savoir si mes collègues de l'opposition ont une position identique, car il nous faudra travailler en toute sérénité. Notre commission doit être vigilante quant à son mode de fonctionnement. Il y a eu aujourd'hui, en séance publique, un rappel au règlement de la part d'un de nos collègues sur la nécessité d'un partage d'informations au sein de notre commission. Pour ma part, en tant que rapporteur général, j'ai toujours veillé à partager l'information dont je disposais, et je souhaite que l'on puisse avoir une méthode de travail appropriée en la matière.
J'en viens maintenant aux questions qu'appellent le programme de stabilité et le programme national de réforme.
Le Haut Conseil des finances publiques a validé les prévisions du Gouvernement, tout en émettant des réserves. Quels sont les déterminants du scénario de reprise ? Les Etats membres se sont engagés à mettre en oeuvre un rééquilibrage de leur balance courante : ajustement de compétitivité dans les pays en déficit, soutien à la demande intérieure dans les pays en excédent. Y a-t-il une prise en compte, par l'Allemagne, de cette exigence européenne qui la conduirait à soutenir sa demande intérieure ?
S'agissant de l'épargne, il y a un équilibre à trouver entre court terme et long terme. Une baisse de ce taux relancera la consommation, mais dans le même temps, l'investissement à long terme suppose de stabiliser l'épargne.
A propos de la MAP, les chiffres de 1 milliard d'euros en 2014, de 1,5 milliard en 2015 d'économies sont-ils des objectifs ou des estimations ? L'OCDE avait évalué le coût de conformité aux normes pour les entreprises entre 4 % et 12 % du PIB. Une baisse de ces coûts accroîtrait le potentiel d'investissement et d'innovation. Avez-vous une idée des effets du choc de simplification ; s'appliquera-t-il aussi au stock de normes ?
Comment la politique industrielle de filières sera-t-elle mise en oeuvre ? Le Conseil national de l'industrie (CNI) installé en février sélectionnera des projets industriels pour le quinquennat, qui bénéficieront d'un fonds « multisectoriel » de 590 millions d'euros. Quelle sera l'articulation avec la politique du commerce extérieur ? Les fonds structurels européens doivent être reprogrammés pour leur part non consommée. Le Gouvernement a demandé aux préfets de région d'identifier les projets porteurs de croissance susceptibles de bénéficier de ces fonds ; dans quelle mesure ont-ils pu être redéployés, selon quelles modalités et quels critères ? C'est un levier de croissance potentielle.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Je salue l'arrivée de Pierre Moscovici. Avec son accord, je donne la parole à Bernard Cazeneuve pour qu'il réponde à notre rapporteur général.
M. Bernard Cazeneuve. - Au cours des douze derniers mois, nous nous sommes efforcés, en liaison avec les institutions européennes, de créer les conditions du retour de la croissance. Il s'agit d'abord de rendre aux entreprises l'accès au financement bancaire, en réparant les dommages causés par les désordres de la crise. La mise en oeuvre de l'union bancaire au sein de l'Union européenne et les modalités nouvelles d'intervention de la BCE sur les marchés secondaires de la dette souveraine, notamment à travers le programme Outright Monetary Transactions, ont stabilisé la zone euro et créé les conditions d'une remise en ordre de la finance. La mise en place d'un dispositif de supervision des banques doit être accompagné de deux nouvelles étapes : la résolution des crises bancaires et la garantie des dépôts, afin que le système financier soit remis au service de l'économie réelle. Les actifs toxiques des banques doivent être nettoyés. La supervision bancaire devait être le préalable à la recapitalisation des banques par le Mécanisme européen de stabilité (MES).
Nous avons tout fait pour que des initiatives de croissance soient prises en Europe. Le pacte de croissance de 120 milliards d'euros comporte 10 milliards d'euros de recapitalisation de la BEI, grâce auxquels 60 milliards d'euros de prêts pourront être engagés dans des secteurs stratégiques (énergies renouvelables, transports de demain). Notre pays devrait recevoir 2,5 milliards d'euros sur les 55 milliards de fonds structurels. Si l'on y ajoute les 70 milliards d'euros de prêts de la BEI et les 650 millions d'euros de projects bonds, ce sont près de 10 milliards d'euros qui devraient pouvoir être engagés en 2013 et 2014 au service de la stratégie de croissance à laquelle nous croyons. Cette politique est complétée par des initiatives bilatérales comme l'illustre la création de l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables ou du groupe de travail franco-allemand sur l'électromobilité.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. - Veuillez excuser mon retard, je reviens de la commission des finances de l'Assemblée nationale où j'apportais des réponses précises à des questions imprécises sur des sujets moins importants pour l'avenir.
Le programme national de réforme et le programme de stabilité s'inscrivent dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques tout en tenant compte la conjoncture économique dans la zone euro et en France. Nos objectifs sont inchangés : la croissance, l'inversion de la courbe du chômage et la justice. Nous voulons coupler le redressement productif et celui des comptes publics. La lutte contre les déficits est un impératif catégorique, car un pays qui s'endette est un pays qui s'appauvrit. Nous avons fait le choix du sérieux, non celui de l'austérité. Oui, la France doit faire un effort mais pas au prix de la croissance. Les Français ne veulent pas de l'austérité et ils ont raison. Notre politique sera menée en trois temps : pas d'ajustement budgétaire supplémentaire en 2013, avec un déficit de 3,7 %, puis la poursuite des réformes structurelles en 2014, année où le déficit s'établira à 2,9 %, avant de tendre à partir de 2015 vers un équilibre structurel attendu pour la fin de la période.
Monsieur Marc, il est vrai que le taux d'épargne des Français baisse de 16,1 % en 2011 à 15,5 % en 2014. Il demeure toutefois supérieur à ce qu'il était sur la période 1990-2011, ce qui contribue à l'attractivité de notre pays. Il devrait demeurer élevé même si la baisse est appelée à se poursuivre. La consommation résiste et nous avons fait le choix d'une hausse de la fiscalité ciblée, concentrée sur ceux dont la propension à consommer est la plus faible. En 2013, la consommation devrait se maintenir, aidée notamment par le déblocage de l'épargne salariale à hauteur de 20 000 euros annoncée par le président de la République. En 2014, nous prévoyons un rebond du pouvoir d'achat, facilité par la baisse de l'épargne de précaution elle-même liée à celle du chômage.
Tout l'enjeu pour le Gouvernement est que cette épargne abondante serve davantage l'économie réelle. C'est l'objectif poursuivi par la création de la BPI, la loi bancaire, l'allocation de 20 milliards d'euros aux collectivités locales pour des projets à long terme, par notre action en faveur du logement et de l'économie numérique. Lorsque nous aurons tiré les conclusions définitives du rapport Berger-Lefebvre, nous aurons sans doute devant votre commission un débat sur l'épargne et son utilisation. La volonté du président de la République est de faire en sorte que l'investissement tire la croissance française.
M. Yvon Collin. - Nous prenons acte de votre volonté de redresser le pays dans un contexte difficile. Pour avoir appartenu à la défunte délégation sénatoriale à la prospective, qui s'attachait auparavant à établir des prévisions économiques de moyen terme, expertise qui nous fait désormais défaut, je ne suis pas étonné par les prévisions du Haut Conseil des finances publiques. Nous savons bien en effet qu'un effort budgétaire d'1 point de PIB se traduit par une perte de croissance équivalente. Dans ces conditions, comment la courbe du chômage pourrait-elle s'inverser ?
Compte tenu d'un marché immobilier atone, le produit des droits de mutation évolue de façon inquiétante pour les collectivités territoriales. Enfin, avez-vous pris la mesure de l'enjeu de l'évasion fiscale internationale évaluée à au moins 30 milliards d'euros par la commission d'enquête sénatoriale présidée par Philippe Dominati et dont le rapporteur était Eric Bocquet ? Sur une question de cette importance, il me semble qu'il faut tenir compte des travaux de notre Haute assemblée.
M. Jean Arthuis. - J'adresse à mon tour à Bernard Cazeneuve tous mes voeux de réussite dans sa délicate mission. Je vous mets à l'aise ; tous les programmes de stabilité, toujours incantatoires, n'ont été que d'aimables histoires démenties par la réalité. Chômage, déficit commercial, déficit de compétitivité : il faut prendre la mesure de la gravité de la situation. On me dit que, fait sans précédent, le produit de la taxe d'apprentissage a baissé de 2 % en 2012. La situation est extrêmement grave, à la limite du décrochage.
Il n'est plus temps de s'invectiver comme des enfants dans une cour de récréation. Qu'on en finisse avec ces promesses de faire ce que l'autre n'a pas fait en dix ans : en prenant en compte les quinze dernières années, on mesurerait l'effet des 35 heures... Il nous faut transcender nos clivages pour sortir le pays de la difficulté. Nous ne le ferons pas avec des éléments de langage ou par une théâtralisation de la vie politique qui désespère nos concitoyens. Vous pouvez toujours annoncer que la BPI va faire ceci ou cela, la vraie question est de financer des entreprises de moins en moins rentables. Leurs marges baissent, elles n'en peuvent plus.
Je vous félicite d'avoir levé deux tabous : d'une part, depuis le CICE, il est possible de dire qu'il y a un problème de charges sociales ; d'autre part, vous avez déclaré que la hausse de la TVA n'était pas forcément une impasse. Malheureusement, vous n'êtes pas allés jusqu'au bout du chemin, vous avez même rétrogradé à propos de la TVA sur le logement. Attention, en Mayenne, des gîtes ruraux ne reçoivent plus seulement des touristes mais aussi des salariés d'entreprises polonaises mis à disposition du bâtiment et des travaux publics ou du secteur agro-alimentaire, dont les charges sont payées en Pologne. Une baisse de la TVA n'y changera rien, puisqu'il s'agit de prestations de service transnationales : le vrai sujet, c'est la baisse des cotisations sociales.
Le Haut Conseil des finances publiques est une grande innovation. Certains craignaient sa complaisance, il a jugé le Gouvernement trop optimiste, envisageant même une récession. Pourquoi ne reprenez-vous pas ses hypothèses ? Il ne suffit pas d'annoncer que vous allez baisser la dépense publique, il faut documenter les voies et moyens. Tant que vous ne vous attaquerez pas aux 35 heures dans la fonction publique, vous n'y arriverez pas. Enfin, êtes-vous prêts à soumettre le programme de stabilité au vote du Sénat ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur Cazeneuve, nous nous retrouvons au moins sur deux points : on ne peut pas redresser l'économie sans redresser les finances et ce redressement ne procède pas de l' « Immaculée conception » - vous n'avez d'ailleurs pas découvert un saint Joseph.... Vous frôlez toutefois la caricature en prétendant avoir fait plus en onze mois qu'au cours des dix années précédentes ; vous oubliez la crise. Vous annoncez une baisse des dépenses publiques alors qu'une de vos premières actions a consisté à augmenter le nombre de fonctionnaires. Les impôts avaient augmenté au cours la période précédente, vous vous livrez à un matraquage fiscal récessif qui fait fuir les entrepreneurs et même les jeunes cadres. Invoquer la convergence européenne relève de l'incantation quand nous faisons exactement de contraire de la Suède ou de la Belgique, qui baissent leurs dépenses et leurs impôts. Le CICE nous est présenté comme la panacée mais le président de la chambre de commerce de mon département n'en a vu aucun quand le préfet de région évoque le chiffre de vingt, c'est dérisoire !
M. Roland du Luart. - J'adresse tous mes voeux de réussite à Bernard Cazeneuve car, pour accéder à ces fonctions en pareilles circonstances, il faut être courageux et aimer la politique.
Un climat de sérénité est essentiel. J'ai été choqué par les propos du rapporteur général en l'absence de notre président. Si je suis de ceux qui pensent que ce dernier aurait dû être là pour auditionner les ministres en cette période difficile, notre groupe demandera à procéder à une audition du ministre, dans les mêmes conditions qu'à l'Assemblée nationale, sur des questions qui ne doivent pas être mélangées avec les sujets du jour.
Pour le plus ancien membre de la commission que je suis, il faut rétablir la confiance. Arrêtons de rejeter sans cesse la faute sur l'autre. Je trouve regrettable que toutes les interventions ministérielles renvoient la faute sur l'ancien gouvernement. Vous avez nié la crise qui frappe le peuple de France, bien plus que la classe politique. Faute de trouver des solutions, nous assisterons à une levée de bouclier à l'italienne. Chaque année, les chiffres de croissance annoncés en loi de finances sont démentis par la réalité et encore plus avec la crise. Cessons de raconter des carambouilles aux Français, tout redressement passe par une forte baisse des dépenses. Or avec mes trente-six ans de maison, je ne sens pas une volonté de réduction des dépenses dans votre document.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je salue la dialectique remarquable de Bernard Cazeneuve que j'avais déjà appréciée aux affaires européennes. Son propos a été plus politique que technique. Ma question sera, quant à elle, strictement technique : quel était le montant de la dette le 6 mai 2012 et quel est-il maintenant ? Je pense qu'il a augmenté. Dîtes-moi que je me trompe...
M. Jean-Pierre Caffet, président. - La dette est un paquebot qui court sur son erre.
M. Vincent Delahaye. - Je ne serais pas surpris que la Commission européenne ne soit pas convaincue par votre document. En quoi la situation est-elle, comme vous le dites, en voie d'amélioration ? Où est le réalisme de vos hypothèses quand le Haut Conseil les remet en cause ? Comme je l'avais proposé au précédent gouvernement, pourquoi ne pas faire preuve de prudence en retenant la moyenne des hypothèses de croissance moins 0,5 point ? De la sorte nous ne pourrions qu'avoir des bonnes surprises.
La stricte maîtrise de la dépense publique que vous annoncez se traduit par un freinage de son augmentation. Ce n'est pas suffisant ; il y a beaucoup à faire notamment en s'attaquant aux dépenses non productives. Vous évaluez les dépenses publiques jusqu'en 2017. Or, le rapporteur général, nous avait annoncé que, dès septembre 2012, les ministères viendraient nous présenter leurs propositions d'économies et de modernisation, je n'ai rien vu... Nous pourrions inscrire le redressement dans une période plus longue et donner à Bruxelles des hypothèses crédibles et non démenties après trois mois. Il ne faudra pas s'étonner si l'Union reprend les choses en main.
Croyez-vous vraiment à l'inversion de la courbe du chômage ? Je l'espère sans y croire... On parle d'austérité, le ministre refuse le fétichisme du chiffre. Nous non plus, nous ne sommes pas favorables aux coupes aveugles, mais nous vous proposerons des économies.
La baisse de la dépense de 1,5 milliard d'euros a-t-elle un lien avec l'effort du même montant demandé aux collectivités ? Ces dernières doivent faire le même effort que l'Etat, pas plus. Les 14 milliards d'euros d'effort sur les dépenses annoncés incluent-ils les dépenses fiscales, qui constituent des hausses d'impôts ? Enfin l'opération Dexia coûtera-t-elle bien 10 milliards d'euros et quand sera-t-elle prise en charge ?
M. Richard Yung. - J'entends bien vos appels à la sérénité, mais ils ne s'accompagnent que de critiques. Le CICE ne compte pas, l'ANI non plus. Nous avons déjà réalisé 10 milliards d'euros de baisse des dépenses pour financer le CICE et l'on prévoit 6 milliards d'euros l'an prochain, auxquels s'ajoutent 2 milliards supplémentaires. Ce n'est pas assez ? C'est fait et c'est équilibré ! Faut-il aller plus loin pour développer cet outil puissant qu'est le CICE, monsieur le ministre ?
Peut-on retrouver des marges de croissance par une politique coordonnée en matière de consommation des ménages et d'investissement avec l'Allemagne et d'autres de nos partenaires ? L'Allemagne mène une politique salariale active quand les Pays-Bas, pays calviniste et rigoureux s'il en est, décalent les 3 %.
M. Jean Arthuis. - Les Pays-Bas sont fiscalement laxistes.
M. Richard Yung. - Alors que l'union bancaire était engagée, Wolfgang Schäuble semble faire marche arrière en renvoyant notamment à une révision des traités. Qu'en est-il ?
M. Serge Dassault. - Bravo, monsieur le Ministre, pour avoir pris aussi rapidement en main de si lourds dossiers. Pourquoi n'avons-nous pas de croissance, pourquoi n'exportons-nous pas assez, pourquoi n'investissons-nous pas assez ? Parce que nous ne travaillons pas assez, parce que nos coûts sont trop élevés, que nous n'avons pas assez de robots et que l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) fait fuir les investisseurs. Je vous propose un plan en plusieurs points : premièrement, le retour aux 39 heures sera bon pour notre compétitivité et rapportera 21 milliards d'euros à votre budget ; deuxièmement, supprimez l'ISF qui ne nous rapporte pas grand-chose et pousse des gens accablés d'impôts à porter ailleurs leurs capitaux ou leurs compétences ; troisièmement, une hausse 3 points de la TVA dégagerait 25 milliards d'euros de recettes supplémentaires. 50 milliards d'euros, cela vaut la peine d'y songer, surtout quand notre note risque d'être abaissée. Suivez les bons conseils de M. Migaud, baissez les impôts et les dépenses. Ce n'est pas une affaire de droite ou de gauche, c'est la France qui doit gagner.
M. Joël Bourdin. - Il est vrai que notre taux d'épargne est supérieur à 15 % quand celui des Etats-Unis est de l'ordre de 2 %. La question majeure est celle de son utilisation, car elle va plus vers le livret A que vers les entreprises. L'épargne est faite pour être en face de l'investissement. La hausse de la fiscalité sur les dividendes maintient de l'épargne dans l'entreprise... un an. Et après ? Avez-vous des projets pour orienter l'épargne vers l'investissement ? L'argent du livret A met des années pour parvenir au financement du logement. Ne pourrait-on défiscaliser une épargne qui s'investirait dans l'entreprise ?
Mme Marie-France Beaufils. - Qu'est-ce qui vous permet d'annoncer une évolution positive de la croissance en Europe ? J'en doute en observant la situation en Europe du Sud et l'absence d'harmonisation fiscale et sociale. De quelle façon les recettes fiscales du premier semestre sont-elles affectées par la diminution de la consommation des ménages liée au chômage ? Comment comptez-vous réduire les niches fiscales qui constituent de véritables dépenses publiques ? De même, quelles sont vos pistes en matière de lutte contre l'évasion fiscale, sujet sur lequel le Sénat a récemment travaillé ? Vous indiquez que tout le monde doit faire un effort, y compris les collectivités territoriales. N'oubliez pas qu'elles représentent 70 % de l'investissement public et que les entreprises de bâtiment et de travaux publics, ressentent déjà les conséquences de la baisse de la dépense publique locale.
M. Edmond Hervé. - Je suis très attaché aux grands équilibres tout en considérant qu'il ne faut pas se limiter à une approche strictement comptable. Aussi le plus important à mes yeux est-il le programme national de réforme.
Il y a quelques mois, le rapporteur général nous avait présenté une courbe dite « de l'iroquois », où les objectifs et les réalisations des gouvernements apparaissaient avec des couleurs différentes - de quoi inciter chacun d'entre nous à la modestie. Les décisions annoncées sont-elles conformes aux objectifs affichés ? Par exemple, puisque vous évoquez la segmentation du marché du travail, on ne peut que regretter l'organisation de la formation professionnelle. Nous en sommes coresponsables. Quand je vois la concurrence à laquelle se livrent les chambres de commerce, les chambres des métiers et autres organismes, je me dis que nous avons là un travail à mener.
Les réflexions sur les 35 heures me suffisent, j'espère que nous aurons un jour un débat contradictoire à leur sujet. M. Gallois nous l'a dit, là n'est pas le problème. Regardez les moyennes horaires, les heures supplémentaires et l'évolution de la productivité...
M. Jean Arthuis. - Je parlais de la sphère publique...
M. Edmond Hervé. - J'y reviendrai ! Notre principal problème tient à ce que les gens commencent à travailler trop tard et s'arrêtent trop tôt.
Merci, monsieur Arthuis d'avoir évoqué la fonction publique. J'attends avec impatience que l'on évoque la place des services publics dans la croissance. Quels sont nos principaux atouts ? La formation, les communications, l'énergie et certains coûts immobiliers. Sans cela, serions-nous l'un des pays les plus attractifs au monde ? J'attends aussi que l'on me dise en quoi le CICE n'est pas une bonne mesure. Cela ne dispense pas d'en faire sereinement le bilan ni, éventuellement, d'en revoir certains critères - on m'a dit qu'il serait particulièrement favorable aux entreprises d'intérim.
Nous sommes aussi divisés à propos de l'effet multiplicateur du budget. Les collectivités territoriales sont un élément essentiels de la reprise, mais il nous manque de la transversalité, c'est-à-dire la capacité à mobiliser les différents exécutifs, à faire, comme les préfets autrefois, que l'esprit entrepreneurial l'emporte sur la méfiance et l'abdication.
Monsieur Arthuis, dans votre exemple de travailleurs étrangers, les commissions d'appels d'offre ont-elles utilisé tous les outils dont elles disposent pour analyser la rémunération des salariés des entreprises candidates ? Cela fait partie de notre travail. Les experts restent des experts, ils ne diffuseront jamais l'enthousiasme et, au-delà de l'expertise, il y a la réalité, il y a l'autorité politique.
J'ai bien entendu les interrogations après l'intervention du rapporteur général. Cette commission dispose d'une présidence ici présente et qui communique. Je suis donc certain que les propos du rapporteur général lui seront transmis et qu'il en sera fait le meilleur usage.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Je n'y manquerai pas, de même que je retiens votre suggestion d'un débat sur les 35 heures, la durée horaire du travail et la comparaison entre la France et l'Allemagne.
M. Jean Germain. - Travaillons avec sérénité, la question principale n'est pas celle de la recherche des responsabilités, il y a des moments pour cela. Il importe plutôt de savoir comment nous allons nous en sortir. L'objet de cette réunion de commission n'est pas de donner des recettes mais d'échanger nos ressentis.
Qu'il s'agisse du rapport Gallois, du CICE, de la réforme des retraites ou de la ré-industrialisation, le programme national de réforme se comprend bien. La lassitude de l'opinion tient à ce qu'elle s'interroge en comparant la zone euro au reste du monde. La croissance mondiale sera de 3,3% en 2013. Elle s'établira à 1,9 % aux Etats-Unis en 2013 et à 3 % en 2014 ; à 0,7 % en 2013 et 1,5 % pour le Royaume-Uni quand elle est quasiment nulle en France, au Luxembourg ou en Belgique. Contrairement à ce que l'on entend parfois, beaucoup de pays européens font même moins : la Grèce (- 4,2 %), le Portugal (- 2,3 %), la Slovénie (- 2 %), l'Espagne (- 1,6 %), l'Italie (- 1,5 %) et même les Pays-Bas parfois cités en exemple (- 0,5 %). Certains font mieux, dont l'Allemagne : 0,6 %.
Vous avez été tous deux ministre des affaires européennes : c'est quand on passe à l'échelle européenne que tout se complique. Le système politique européen est ressenti comme trop lointain mais omniprésent. D'élections européennes en élections européennes, la participation baisse, l'extrémisme et le populisme augmentent. Lorsque l'on entend que l'union bancaire décidée en 2012 entrera en vigueur en 2014 sans s'appliquer aux banques de détail allemandes, que l'Allemagne veut séparer les fonctions monétaires et de surveillance de la BCE ou que le Royaume-Uni, quoique hors zone euro, veut plus de poids dans le système de régulation, on a du mal à comprendre.
Quand Pierre Moscsovi parle de solidarité européenne, les gens tendent l'oreille. De quoi s'agit-il concrètement ? L'Europe fonctionne, la solidarité européenne ne fonctionne pas, et certains commencent à dire que la France devrait adopter une position plus ferme sur ces questions, ce qui est plus facile à rapporter qu'à faire.
Vous demandez un effort de 1,5 milliard aux collectivités ; pourtant, aujourd'hui, qui veut construire un équipement public emprunte à 5 %.
M. Jean Arthuis. - C'est plutôt 3 %.
M. Jean Germain. - En moyenne nationale et tout compris. C'est tout de même paradoxal lorsque l'on connait le rôle des collectivités dans le soutien de l'activité.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Les prévisions de croissance du Gouvernement ne me semblent pas trop optimistes. Elles sont conformes à celles de la Commission européenne et dans l'épaisseur du trait de celles du FMI. De surcroît, en laissant jouer les stabilisateurs automatiques, nous suivons les recommandations de cette institution. Si Mme Lagarde nous donne un satisfecit, qui s'en plaindra dans cette commission ?
Le niveau élevé de l'épargne en France est l'un de ses atouts et doit constituer un instrument de politique économique. Comme les effets du CICE ou de l'ANI ne seront sensibles qu'à moyen terme, ne pourrions-nous gagner quelques dixièmes de point de croissance en affectant mieux l'épargne ?
M. Pierre Moscovici. - Tout ajustement budgétaire a, bien entendu, un effet dépressif ; en revanche, le multiplicateur dépend de la nature de la consolidation, de la répartition entre dépenses et recettes et du ciblage, auquel nous sommes particulièrement attentifs. Les modèles ne disent pas ce qui se serait passé si nous n'avions pas réduit les déficits : poser la question d'un relâchement de l'endettement, c'est y répondre.
L'euro n'explique pas notre faible croissance. En revanche, nous avons, comme nos voisins, connu des problèmes de financement alors que les disciplines mises en place étaient asymétriques. Aussi interrogeons-nous nos amis allemands sur le rythme de la consolidation budgétaire dans un cadre plus coopératif.
Oui, nous pourrons inverser la courbe du chômage fin 2013 malgré la faiblesse de la croissance, grâce au redémarrage progressif de l'activité, aux effets du CICE, à la reprise de la création totale d'emplois qui sera favorisée par les emplois d'avenir et l'augmentation de la durée des contrats aidés. La démographie devrait jouer en notre faveur, et nous mobilisons les outils de la politique économique. Comment canaliser davantage l'épargne vers l'investissement ? Là est l'esprit de la politique que je conduis. L'Etat, qui n'est plus en mesure d'investir comme auparavant, soutient les investissements des collectivités locales.
Le Haut Conseil des finances publiques n'évoque pas de mesures alternatives, il fait des réserves, évoque des aléas : c'est son rôle. L'instauration de cette dialectique qui évite la démagogie, ne prive pas l'exécutif de ses prérogatives. La position du Haut Conseil est nuancée, je connais les thèses des sénateurs Arthuis et Delahaye, qui font partie du débat économique auquel ont contribué Edmond Hervé et Jean Germain.
Nous serons bientôt en mesure de faire un bilan du CICE dont le financement est en place depuis fin février, et début avril seulement pour les très petites entreprises (TPE). Il faut à présent que le secteur bancaire vienne en appui. A nous de populariser cette mesure sûre et simple. Notre politique en matière de compétitivité et d'investissement repose sur des actes, pas sur des slogans.
Mme Des Esgaulx a reproché à M. Cazeneuve de tenir un discours politique : je prends volontiers ce reproche à mon compte. La dette a augmenté dans le précédent quinquennat. Il faut réduire le déficit : tant qu'il augmente, la dette augmente. En 2011, elle représentait 86 % du PIB, en 2012 ; 90 % et en 2013, 93,6 % ; en 2014 - décélération - ce sera 94,3 %, et en 2017, elle sera revenue à 88 %, grâce à nos efforts d'économie et au redémarrage de la croissance.
M. Yung m'a interrogé sur l'ampleur des efforts d'économie. L'inflexion aura lieu en 2014. Le CICE n'est pas encore pleinement appliqué. Un accord a été trouvé à Dublin sur la première phase de l'union bancaire, nous devrons être vigilants vis-à-vis de nos amis allemands sur la seconde.
M. Collin et Mme Beaufils m'ont interrogé sur la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale : nous tenons bien sûr compte de ses travaux. L'esprit qu'elle a développé doit nous animer.
Notre cohérence politique ? Nous sommes un pays qui se désendette, un pays sérieux, qui réduit ses déficits, mais sans accepter l'austérité. La croissance est un vrai sujet, d'abord à l'échelle européenne, puis à l'échelle nationale dans l'environnement européen.
M. Jean Arthuis. - Je voudrais obtenir une réponse à ma seconde question. C'est un débat très important, qui engage les prochains budgets : il serait séant que le Sénat puisse manifester l'approbation à laquelle M. Cazeneuve nous appelle par un vote. Est-ce bien l'intention du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve. - Vous avez souhaité disposer d'éléments incontestables afin d'avoir un débat apaisé. Je partage cette volonté, et m'engage à vous en apporter au long des prochains mois.
M. Jean Arthuis. - Excellent !
M. Bernard Cazeneuve. - Quand on nous demande de régler en dix mois des problèmes qui se posent depuis dix ans, nous sommes contraints à expliquer que c'est difficile. Sortons de ces échanges stériles. On nous reproche souvent l'insuffisance des mesures d'économie, et on nous prête l'intention de lever de nouveaux impôts. Or les dépenses de l'Etat diminuent incontestablement : elles ont augmenté de 2,3 % en moyenne entre 2002 et 2007, puis de 1,7 % en moyenne entre 2007 et 2011. En 2012, grâce aux dispositions que nous avons prises à la suite du rapport de la Cour des comptes, la décrue a commencé. A 0,7 %, 0,2 point au-dessus de nos prévisions en raison de la dynamique de dépenses des collectivités territoriales, le rythme d'augmentation est quatre fois plus faible qu'il y a dix ans. En 2012, grâce aux corrections apportées en juillet, la dépense de l'Etat stricto sensu diminue de 300 millions d'euros. C'est la première fois depuis fort longtemps ! Nous visons une diminution de 1,5 milliard d'euros en 2014. L'effort demandé aux collectivités territoriales est de 3 milliards d'euros. Certains considèrent que c'est trop, je l'ai entendu. En 2014, la réduction des dépenses sera partagée à égalité entre les collectivités territoriales et les ministères.
Je souhaite que nous puissions vérifier régulièrement l'adéquation entre les objectifs et les résultats, et notamment nous assurer de la réduction des déficits. Sinon, à quoi bon réduire les dépenses ? Pour la première fois depuis longtemps, le déficit structurel s'est réduit en 2012, de 1,2 point de PIB. Nous prévoyons une baisse supplémentaire de 1,8 point en 2013, et de 1 point de PIB en 2014. On nous reproche de procéder à un ajustement structurel trop sévère au regard de la conjoncture, mais aussi de ne pas faire un effort suffisant. Etre soumis à des critiques aussi contraires et symétriques démontre assez que nous sommes positionnés au barycentre de ce qu'il convient de faire. Ce concept ne doit pas déplaire à M. Arthuis...
Pouvons-nous maintenir cette trajectoire sans obérer la croissance ? Nous y parviendrons en continuant la MAP, qui dégagera les économies les moins récessives. Quarante chantiers sont en cours : certains portent sur la politique de protection sociale, d'autres sur l'organisation de l'administration. Il ne s'agit pas simplement d'une question budgétaire car grâce à cette dynamique, dans le budget 2014, l'effort portera pour deux tiers sur les économies. Les 6 milliards d'euros d'effort fiscal restant correspondent à des mesures en grande partie déjà négociées : un milliard d'euros d'augmentation des cotisations résultant de la négociation sur les retraites complémentaires ; la consolidation de recettes prévues en 2013 et qui n'ont pas été perçues en raison de décisions du Conseil constitutionnel, ou parce qu'il s'agit de produits fiscaux qui n'ont pas donné le rendement attendu, comme la taxe sur les transactions financières (TTF) ; l'augmentation de 2 milliards d'euros du produit de la lutte contre la fraude fiscale et la remise en ordre des niches fiscales, qui devrait produire une recette d'un montant comparable. Dédramatisons cet effort fiscal : les efforts porteront essentiellement sur les dépenses, afin que les ajustements auxquels nous procéderons soient le moins récessif possible.
M. Jean-Pierre Caffet, président. - Merci, messieurs les Ministres.
M. Jean Arthuis. - Et le vote ?