Mercredi 17 avril 2013
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Contrôle de la mise en application des lois - Communication
La commission entend une communication de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, sur l'application des lois.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Comme chaque année à la même période, nous examinons aujourd'hui le bilan de la mise en application des lois relevant de notre commission au cours de la session écoulée. Depuis la création d'une commission spécifiquement chargée de l'application des lois, un débat en séance publique est organisé au cours duquel s'expriment tous les présidents de commission. Cette année, il pourrait être organisé le mardi 4 juin prochain.
Le bilan 2011-2012, qui englobe la session extraordinaire de juillet 2011, se caractérise par un nombre de textes en hausse, des lois principalement d'origine parlementaire et des délais de mise en application raccourcis.
Au cours de la session parlementaire 2011-2012, qui va du 14 juillet 2011 au 30 septembre 2012, cinq lois ont été promulguées relevant de la compétence de notre commission :
- la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse ;
- la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée ;
- la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs ;
- la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle ;
- et la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles.
En outre, une proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, adoptée en première lecture au Sénat le 26 janvier 2011, puis en seconde lecture, le 3 novembre 2011, est actuellement en instance à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, une proposition de loi presque entièrement frappée par l'article 40 sur demande du ministre, a été retirée par son auteur, lors de sa discussion en séance publique le 3 novembre 2011. Il s'agissait de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Sur les cinq lois promulguées, quatre sont issues de propositions de loi déposées par des sénateurs ou des députés, dont deux par M. Jacques Legendre, membre de notre commission, soit un taux d'initiative d'origine parlementaire de 80 %.
L'ensemble de ces données est particulièrement révélateur des nouvelles modalités d'organisation des travaux de la commission de la culture dont les secteurs de compétence sont régulièrement concernés par les textes inscrits dans le cadre des semaines réservées aux initiatives parlementaires.
À l'inverse, un seul projet de loi a été renvoyé à la commission de la culture au cours de la dernière session. Il s'agit de la loi relative à la rémunération pour copie privée. Cela s'explique dans la mesure où les textes politiquement sensibles dans nos secteurs avaient été présentés par le Gouvernement dès le début du quinquennat : universités, audiovisuel, Hadopi.
Par ailleurs, la commission de la culture a rendu cette année deux avis sur des textes législatifs, la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, toujours en cours de discussion, et la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.
J'en viens maintenant aux modalités d'application des lois dont nous avons été saisis.
Aucune des lois promulguées dans les secteurs de compétence de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication au cours de la session ordinaire 2011-2012 n'était d'application directe.
Deux des lois sont devenues applicables :
- la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse qui vise à moderniser les mécanismes de régulation du secteur de la distribution de la presse institués par la loi du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi « Bichet », est devenue totalement applicable.
Nous avons eu l'occasion de compléter ce bilan chiffré de l'application de la loi en organisant, il y a quelques semaines, des auditions sur la situation du groupe Presstalis. Tous nos interlocuteurs se sont félicités des avancées apportées par cette loi, dont l'initiative revenait à nos collègues Jacques Legendre et David Assouline ;
- la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle est devenue applicable avec la parution du décret n° 2013-182 portant application des articles L. 134-1 à L. 134-9 du code de la propriété intellectuelle et relatif à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, en date du 27 février 2013.
Deux autres lois sont partiellement applicables :
- la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs : trois articles requièrent des mesures d'application, un seul étant devenu applicable ;
- la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles. La mise en place du passeport biologique demande des mesures d'application. Une seule des deux mesures prévues a été publiée.
Enfin, la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée n'est toujours pas mise en application, un décret en Conseil d'État étant prévu et non pris, malgré l'urgence déclarée sur ce projet de loi par le Gouvernement. À ce jour, un projet de décret existe. Il est en cours de rédaction au ministère.
Après avoir dressé ce bilan de la session écoulée, quelques mots de la précédente législature. Pour les appréciations d'ensemble, je vous renvoie au rapport de l'année dernière. Les grandes observations, en particulier la diminution du délai moyen de mise en application, restent d'actualité.
Je mentionnerai uniquement la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, adoptée juste avant la fin de la période analysée l'année passée et qui est désormais entrée en application.
S'agissant des lois encore plus anciennes, rien de bien nouveau non plus : les retards s'accumulent d'autant plus que ces lois ont été initiées par des gouvernements précédents. Il est bien évident que les priorités politiques ont évolué, sans même parler des évolutions technologiques, notamment dans le secteur des médias. Pour ne prendre qu'un exemple, il est un peu illusoire de continuer à comptabiliser les textes réglementaires d'application de lois dont la plus ancienne remonte à 1995. À quelques semaines de l'examen de la loi de refondation de l'école, les mesures attendues pour l'application de la loi d'orientation d'avril 2005 n'ont pas toutes été prises mais sont-elles toujours d'actualité ?
En revanche, je crois que nous pouvons nous préoccuper de voir le nombre de rapports en attente de parution s'élever à trente et un depuis 2000 ; cette absence de publication concernant pour l'essentiel le secteur de la communication audiovisuelle. La loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures du 12 mai 2009 en a supprimé plusieurs dispositions qui prévoyaient la présentation de rapports, pour des raisons de retard de publication ou dans un objectif de rationalisation. Pour autant, pour dire les choses de manière triviale, le Parlement ne demande pas de rapports au Gouvernement pour la beauté du geste mais pour contrôler l'application de la loi.
J'ajouterai que la demande de rapports est souvent utilisée par les parlementaires pour se prémunir de l'application de l'article 40 et susciter malgré tout une prise de conscience par le Gouvernement sur un sujet qui les préoccupe.
Voilà les tendances générales. Vous trouverez le détail des analyses dans la note de la commission qui sera annexée au rapport de la commission sénatoriale pour l'application des lois.
Pour conclure, j'ajouterai que ce bilan quantitatif porte uniquement sur l'activité législative. Ces statistiques ne prennent pas en compte d'autres types de travaux, comme les neuf rapports publiés dans le cadre de l'examen de la loi de finances ou les rapports d'information.
Les membres de notre commission ont aussi activement travaillé l'année dernière dans le cadre de deux missions d'information, la première sur la carte scolaire et la seconde sur le métier d'enseignant. Vous avez sans doute noté l'écho donné aux conclusions de la mission sur la carte scolaire la semaine dernière. La circulaire sur la rentrée 2013 a modifié les critères de dérogation et notre collègue Françoise Cartron a rappelé les conclusions de la mission quant à l'utilisation des options rares comme moyen de contournement de la carte scolaire. C'est un bel exemple des suites qui peuvent être apportées aux travaux de contrôle du Sénat.
Plus généralement, nous disposons désormais d'un véritable outil de suivi des recommandations formulées par les différentes instances de contrôle du Sénat, qu'il s'agisse des travaux internes en commission, que je viens de citer, ou des structures temporaires, missions communes d'information ou commissions d'enquête.
À l'avenir, l'examen des textes en séance publique pourrait d'ailleurs nous fournir l'occasion de traduire dans la loi certaines de ces recommandations, je pense par exemple à celles formulées l'année dernière par la mission commune d'information sur les dispositifs médicaux et les interventions esthétiques ou, très récemment, par la commission d'enquête sur les dérives sectaires en matière de contrôle des formations dispensées en utilisant parfois abusivement le terme université ou sous des vocables qui ne correspondent à aucune véritable formation reconnue et contrôlée.
Dernier élément lié à la fonction de contrôle, les auditions en commission et la participation aux comités de suivi institués par plusieurs des textes que nous avons eu à examiner. Au cours de la session écoulée, notre commission a joué pleinement son rôle en auditionnant par exemple le président du comité de suivi de la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) ainsi que dans le cadre du suivi du contrat d'objectifs et de moyens (COM) des entreprises de l'audiovisuel public, les présidents de France Télévisions, l'INA (Institut national de l'audiovisuel), Arte et Radio France.
J'ai assisté récemment à un colloque sur le thème « coopération décentralisée et culture » où intervenait le président de l'Institut français qui se réjouissait de la signature de 28 conventions avec les collectivités territoriales. Lors de son audition par notre commission, nous avions refusé de valider le COM de cet organisme, qui n'évoquait qu'à une seule reprise les collectivités territoriales et, en plus, au titre de l'autofinancement.
De la même façon, nous avons élaboré quelques travaux de façon informelle. Ainsi les conclusions de Mme Corinne Bouchoux sur la restitution des oeuvres spoliées ont déjà eu des suites au ministère de la Culture.
M. André Gattolin. - Je m'étonne que le décret sur la loi relative à la rémunération pour copie privée ne soit toujours pas paru. Cette réforme répondait à une injonction du Conseil d'État, lui-même répondant à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne. Je ne comprends pas que les choses mettent autant de temps. À quoi cela sert-il de changer la loi si les décrets ne sont pas pris ? Ce sujet devrait être revisité à la demande de M. Michel Barnier. Cela fera l'objet d'une nouvelle directive qu'il faudra à nouveau transposer.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - C'est l'objet de notre exercice, veiller à la bonne application de ce qui a été voté.
M. Jacques Legendre. - Nous prenons acte de ce qui a été fait. J'ai une suggestion concernant la mise en application du texte sur les oeuvres indisponibles. Je suis souvent interrogé sur le sujet. Pourrions-nous faire un point sur cette loi ?
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je suis d'accord. Ce serait intéressant d'y regarder de plus près.
M. David Assouline. - Cette communication est très importante et obligatoire. C'est sur la base de la compilation des différentes communications des commissions que je vais faire le rapport annuel. Nous rencontrions deux difficultés principales jusqu'à présent : le choix des dates retenues pour l'application des lois et le choix d'un même compteur pour le Parlement et le Gouvernement.
Ces deux difficultés ont été levées. Désormais, on prend en compte un délai de six mois après la promulgation de la loi pour son application réglementaire, et le Parlement et le Gouvernement se sont alignés sur des bases identiques.
Je suis favorable à l'idée d'aller plus loin qu'un strict contrôle réglementaire. Les autres travaux de contrôle des commissions sont souvent peu valorisés car ils ne sont pas forcément considérés comme le coeur de leur métier. M. Guy Carcassonne considère qu'un parlementaire est plus reconnu pour son oeuvre législative que pour ses fonctions de contrôleur. Ce qui n'est pas le cas dans les autres grandes démocraties où la fonction de contrôle est, au contraire, très conséquente et valorisée. C'est une autre culture. Il faut continuer à développer l'importance de ce rapport annuel qui sera d'ailleurs discuté en séance plénière.
Enfin, sur les délais d'application, depuis trois ans, le Secrétariat général du Gouvernement est devenu très réactif et s'est donné les outils nécessaires. Je vous fais tout de même remarquer qu'il faut 13 signatures avant la signature du Premier ministre pour un décret. C'est notre rôle de repérer les décrets non appliqués et de le signaler.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je considère comme important de valoriser nos autres travaux comme ceux de M. Vincent Éblé sur l'influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales, ceux de M. Jacques-Bernard Magner sur le prérecrutement dans l'éducation nationale ou encore ceux de M. Pierre Bordier et Mme Cécile Cukierman sur les établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Par ailleurs, nous avons mis en place de nouveaux groupes de travail sur les droits audiovisuels animé par M. Jean-Pierre Plancade, sur les jeux vidéo co-animé par MM. André Gattolin et Bruno Retailleau, et sur l'éthique du sport, animé par M. Dominique Bailly.
Ces groupes de travail sont constitués sur la base du volontariat. Mon objectif, au cours de cette mandature de trois ans, est que chaque sénateur de la commission puisse être investi, à titre personnel, d'une mission ou d'un travail spécifique.
Mme Dominique Gillot. - Je souhaite vous faire part d'une remarque sur la proposition de loi que j'ai déposée relative à l'attractivité universitaire de la France. Certaines dispositions de cette proposition de loi qui n'a pas été examinée, à ce jour, en séance publique, ont déjà fait l'objet d'une application par les ministres de l'enseignement supérieur et de la recherche et de l'intérieur.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous félicite d'avoir mis ce sujet en avant même si le chemin emprunté n'est pas celui que vous aviez envisagé pour résoudre cette question.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je me réjouis de toutes ces missions, groupes de travail, groupes d'études qui traduisent la vitalité de la commission. Mais il devient très difficile d'honorer ses engagements, les réunions se faisant au même moment. Il serait bien de faire un bilan de nos groupes d'études devant la commission afin de restituer notre travail. Cela pourra aussi être un moyen de montrer la difficulté de faire fonctionner ces groupes d'études.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les groupes d'études sont institutionnalisés et les membres de toutes les commissions peuvent en faire partie. C'est presque un démantèlement de la commission. D'où la nécessité de ne pas avoir une structure qui fonctionne en parallèle et qui est parfois mal identifiée. Afin de réintégrer vos travaux au sein de la commission, j'ai demandé que l'on entende les différents présidents de groupes d'études pour dresser un bilan de leurs travaux.
La semaine prochaine nous devons d'ailleurs entendre M. Jean-Jacques Lozach sur le bilan de son groupe d'études sur les pratiques sportives.
M. Pierre Bordier. - Je souhaite également rappeler qu'avec Yves Dauge nous avions rédigé un rapport très complet sur l'archéologie préventive. Des suites ont été données dès l'année dernière puisque le ministère de la culture a appliqué l'une de nos préconisations en organisant le premier colloque réunissant tous les acteurs du secteur. Nous avons donc au moins servi à instaurer ce dialogue. Je viens en outre d'apprendre que les actes de ce colloque allaient être publiés prochainement et je dois dire que nous avons dans ce cas le sentiment de servir à quelque chose.
M. David Assouline. - Votre rapport est très complet et je pense qu'il pourrait servir d'exemple aux autres commissions, puisqu'il va au-delà des simples données chiffrées et statistiques. Il serait intéressant de pouvoir intégrer les éléments des groupes de travail évoqués ce matin.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il convient également de prendre en compte l'interactivité constructive que l'on obtient en suggérant des idées. Les projets ainsi suscités comptent beaucoup.
Respect de l'exception culturelle dans le cadre de la négociation d'un accord de libre-échange avec les États-Unis - Échange de vues
La commission procède à un échange de vues sur le respect de l'exception culturelle dans le cadre de la négociation d'un accord de libre-échange avec les États-Unis.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'en viens maintenant au second point de notre ordre du jour.
Le 12 février dernier, dans son discours sur l'état de l'Union, le Président Obama a fait part de son intention d'engager un cycle de négociations avec l'Union européenne, afin de conclure un accord de libre-échange, qui lierait les deux premières puissances commerciales du monde. L'objectif est clairement affiché, contribuer à créer des millions d'emplois aux États-Unis.
Le 12 mars, la Commission européenne a adopté un projet de mandat autorisant l'ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l'investissement entre l'Union européenne et les États-Unis. A la date d'aujourd'hui, ce mandat inclurait les services culturels et audiovisuels.
Depuis lors, professionnels et politiques se sont mobilisés face à ce qui apparaît comme une atteinte au principe de l'exception culturelle.
Avant d'évoquer les contours d'une démarche que nous pourrions entreprendre pour marquer notre attachement à ce principe, il n'est pas inutile de revenir quelques instants sur les fondements de cette exclusion aux règles du commerce international.
Le concept d'exception culturelle puise ses racines dans les négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), entamées en 1986 dans le cadre de l'Uruguay round et conclues en 1992. À l'initiative de la France et du Canada et malgré l'opposition farouche des États-Unis pourtant non membres de l'organisation, elle a ensuite été consacrée par la signature, le 2 novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle sous l'égide de l'UNESCO. Elle affirme notamment que « la défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine ». Elle dispose également qu' « une attention particulière doit être accordée à la diversité de l'offre créatrice, à la juste prise en compte des droits des auteurs et des artistes ainsi qu'à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu'ils sont porteurs d'identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ».
Pour le dire autrement, diversité culturelle et exception culturelle, pour être liées, ne recouvrent pas des notions similaires. La première est d'inspiration éthique, valeur cardinale de la rencontre des différentes cultures qui constituent notre patrimoine universel. Elle seule peut nous permettre de respecter les goûts et les références culturelles de chacun.
Ce postulat posé, la seconde est un outil dans une économie de marché. Mais il faut bien s'en remettre à l'exception culturelle pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ainsi que préserver la richesse de la création artistique. Tel est l'objet de la Convention signée le 20 octobre 2005 sous l'égide de l'UNESCO, qui a permis d'écarter les services culturels et audiovisuels de la libéralisation mondiale.
À ceci près que l'exception culturelle est aujourd'hui menacée. Le mandat qui sera confié à la Commission européenne pour négocier la libéralisation du commerce avec les États-Unis ne prévoit pas d'exclure les industries culturelles de la discussion. Le texte promet seulement que « la négociation ne portera pas atteinte au principe de la diversité culturelle ». C'est la moindre des choses.
A contrario, pour la première fois, l'exception culturelle deviendrait négociable. C'est du moins le point de vue du commissaire européen en charge du commerce. Le secteur audiovisuel et les services culturels pourraient constituer une monnaie d'échange pour obtenir des Américains des assouplissements dans d'autres secteurs industriels ou pour éviter d'autres sacrifices, par exemple dans le domaine agricole.
L'enjeu économique sous-jacent est évidemment colossal. Les États-Unis détiennent à eux seuls plus de la moitié du marché mondial de l'audiovisuel, quand la part de l'Union européenne dépasse à peine le quart du total.
Autre élément à prendre en compte, la transformation radicale des modes de diffusion des oeuvres culturelles, audiovisuelles en particulier, au cours des dernières années. La convention de l'UNESCO de 2005 est entrée en vigueur le 18 mars 2007. À l'époque, la vidéo à la demande, la télévision de rattrapage, les jeux vidéo en ligne, la radio numérique ou la TV connectée n'existaient pas encore. Le CD constituait le support privilégié d'achat de musique.
De là à considérer que l'exception culturelle constituerait désormais une nouvelle ligne Maginot, il n'y a qu'un pas que certains - y compris en France - ont déjà allègrement franchi, en violation flagrante du principe de la neutralité technologique. Au nom de la recherche du succès auprès du plus large public possible, les tenants de cette vision du monde estiment que le financement de la création, qu'il s'agisse de films, séries, musique ou jeux vidéo - je cite une chronique parue dans Le Monde il y a quelques jours - « ne devrait plus dépendre pour une bonne part de subventions publiques, d'aides d'État, de quotas de diffusion, d'obligations de (co)financement ou de chronologies des médias ». Bref, au nom du bouleversement des modes de diffusion des oeuvres, jetons le bébé avec l'eau du bain.
Pour ma part, je pense que nous devons nous en tenir au respect de l'oeuvre, dont le contenu n'est pas modifié par la transformation de ses modes de diffusion.
En amont, au stade de la production de contenus, le secteur audiovisuel est depuis longtemps dominé par les grands studios américains, évidemment organisés en un puissant groupe de pression. Il l'est désormais également en aval, en termes de modes de diffusion. Nous avons déjà eu l'occasion ici même d'évoquer la position dominante des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans le monde du numérique.
Le 15 mars dernier, la ministre de la culture a souligné avec force que la culture n'était pas une marchandise. Jeudi dernier, lors de notre séance de questions au Gouvernement, elle a rappelé son opposition à ce qu'elle a appelé le « funeste projet de la Commission européenne ». Le Président de la République s'est exprimé dans le même sens.
À l'initiative de Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, celle-ci examine une proposition de résolution européenne en ce moment même. Cette proposition porte sur le sujet spécifique du respect de l'exception culturelle.
Je pense que nous y sommes nous aussi très attachés. Je vous propose donc de signer un texte comparable reprenant les convictions exprimées par nos collègues députés, à titre individuel puisqu'une proposition de résolution ne peut être présentée au nom d'une commission mais réunissant le plus grand nombre d'entre nous. Il serait bon que cette proposition de résolution puisse être renvoyée à la commission des affaires européennes avant l'interruption de nos travaux, à la fin de la semaine prochaine.
Elle a désigné notre collègue Simon Sutour rapporteur en ce qui concerne l'ensemble du mandat de négociation en vue d'un accord de libre-échange avec les États-Unis. Une fois qu'une proposition de résolution lui est transmise, la commission des affaires européennes dispose d'un délai d'un mois pour statuer. Notre texte serait ensuite examiné par la commission des affaires économiques, saisie au fond de l'accord en cours de négociation, au nom de sa compétence en matière de commerce, sans doute vers la fin mai. Une résolution d'ensemble pourrait donc être adoptée par le Sénat avant le conseil de l'Union européenne appelé à statuer sur le mandat de négociation, qui aura lieu au cours de la seconde quinzaine du mois de juin.
L'itinéraire est complexe mais façonné par nos textes. Je n'ai apporté qu'une seule modification au texte de nos collègues députés, en ajoutant la mention « considérant que l'ensemble de la culture ne peut se résumer à la simple notion de marchandise ».
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je vous remercie d'avoir pris cette initiative qui me semble tout à fait utile. Nous avons commencé à débattre de ce sujet au sein de la commission des affaires européennes. Hier nous avons rencontré le secrétaire général aux affaires européennes et avons exprimé notre préoccupation sur ce sujet. Je soutiendrai donc la proposition qui nous est faite aujourd'hui.
Je souhaite en outre attirer votre attention sur le fait que cet accord mériterait de régler la question de la protection des données personnelles. Nous constatons un système inégalitaire puisque les États-Unis, en application du Patriot Act, bénéficient d'une règle d'extraterritorialité, ce qui leur permet de capter les données des entreprises américaines. La réciproque n'existe pas pour l'Europe. Avec la numérisation, la captation de ces données par les États-Unis constituent une vraie fragilité.
Au-delà se pose une question centrale : l'Europe est-elle prête, à l'heure du numérique, à poursuivre une politique culturelle ? La fragilité vient avant tout de désaccords entre États membres sur ce que doit être la diversité culturelle.
M. Jacques Legendre. - Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour de notre commission. Je crois qu'il est important d'exercer un rôle d'alerte dans ce domaine. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, l'exception culturelle est consubstantielle à la francophonie.
Je suis également sensible à la distinction entre diversité culturelle et exception culturelle et je crois que, dans ce domaine, il convient de se souvenir de l'histoire : dans le cadre de l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Canada avait obtenu que les industries culturelles demeurent exclues ; cette idée a été reprise lors du Sommet de la francophonie qui s'est déroulé à l'Ile Maurice en 1994.
Le retour en arrière auquel on assiste aujourd'hui est d'autant plus choquant que la résolution de l'UNESCO sur la diversité culturelle, pour laquelle la France s'est battue, a été adoptée par tous les États sauf les États-Unis et Israël. Elle a été ensuite ratifiée par tous les pays de l'Union européenne ensemble. Le mandat de négociation constitue donc une trahison de l'esprit même de l'exception culturelle. Si nous n'y prenons garde, le futur accord transatlantique aura pour conséquence que nos industries culturelles audiovisuelles soient écrasées par les industries culturelles audiovisuelles américaines.
M. David Assouline. - La défense de l'exception culturelle fait relativement consensus au sein de notre assemblée. Le groupe socialiste a réfléchi pour sa part aux moyens de mettre l'accent sur la question de l'exception culturelle, en particulier dans le secteur de l'audiovisuel, au sein d'une négociation commerciale qui est beaucoup plus générale. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'en entretenir avec le président de la commission des affaires européennes. Je ne suis pas opposé à une démarche commune même si je serais surpris que nous puissions tous nous mettre d'accord sur la rédaction d'une proposition de résolution, compte tenu de nos conceptions différentes de la culture.
M. Pierre Laurent. - Je considère moi aussi qu'il y a urgence à agir et je crois que nous devons prendre des initiatives fortes avant les discussions qui auront lieu au plan communautaire à la mi-juin. Je me félicite que ce point soit à l'ordre du jour. Notre groupe envisageait de déposer une proposition de résolution cet après-midi. Je souhaiterais insister sur l'urgence de la situation. En effet, la Commission européenne a adopté, le 13 mars dernier, un projet de mandat de négociation de l'Union européenne, malgré l'opposition de trois pays dont la France avec Michel Barnier. Ce mandat inclut les biens et services culturels. Or c'est le commissaire européen charge du commerce, ultralibéral, qui négociera pour tous les pays. Avant la mi-juin, le Conseil des ministres validera ou non le mandat. En attendant les initiatives parlementaires doivent s'amplifier car pour l'instant le président de la commission européenne, M. Barroso, refuse d'exclure les biens et services culturels, à la demande des Américains.
En conséquence, si ce mandat était maintenu, tout le système de soutien à la création serait remis en cause. Or le système français de soutien permet à de nombreuses oeuvres européennes d'être réalisées. Je pense par exemple au film Amour de Michael Haneke qui n'a pu aboutir que grâce aux dispositifs français de soutien à la création.
Je voudrais par ailleurs vous alerter sur deux points :
- la Commission européenne, pour contourner la difficulté que constitue la convention de l'Unesco de 2005, envisage de distinguer les services audiovisuels « classiques » et des autres services audiovisuels, du commerce électronique et de la vidéo à la demande. Si ces derniers étaient exclus de l'exception culturelle - ce qu'attendent les GAFA, la situation serait catastrophique. Il convient donc d'éviter cette distinction entre les différents services culturels dans le mandat de l'Union ;
- l'article 207-4 du traité de l'Union européenne impose la règle de l'unanimité pour tout mandat de négociation. C'est la raison pour laquelle la Commission met en avant le maintien de la notion de diversité culturelle pour contourner cette règle, mais la France doit faire respecter l'unanimité et exercer son droit de veto pour empêcher l'adoption de ce mandat.
Je n'ai pas encore lu la proposition de résolution que vous nous avez distribuée, je ne peux donc pas porter de jugement sur le fond. Mais il conviendrait de préciser ces différents points et d'aborder ces questions en amont au cours de débats.
M. André Gattolin. - Merci d'avoir évoqué ce sujet auquel je m'intéresse particulièrement au sein de la commission des affaires européennes. Je souhaiterais aborder trois points :
- nous sommes passés d'un système bilatéral de négociation des accords de libre-échange à une explosion de ces accords. Les accords entre l'Union européenne et le Canada n'ont rien à voir avec ceux projetés avec les États-Unis.
Il faut adopter une résolution. Nous aurons une mobilisation des industries culturelles qui ont un prisme très particulier. Comme l'a rappelé notre collègue Pierre Laurent, on va s'intéresser aux services classiques alors que tout l'enjeu se situe autour d'Internet et des services électroniques. Je rappelle qu'au niveau européen nous avons une directive qui datant de 2004 qui amène à considérer que tout ce qui est véhiculé sur Internet doit relever de la directive services et non pas de l'exception culturelle ;
- l'autre aspect sensible relève du caractère d'urgence car la feuille de route sera lancée au mois de juin prochain. D'ores et déjà, à la demande des Américains, les biens et services d'équipement militaire et stratégique ont été retirés. C'est là l'exemple d'un lobby particulièrement efficace : pourquoi ne serions-nous pas en mesure d'en obtenir autant en matière de biens et services culturels ?
- les droits de douane des produits européens importés aux États-Unis s'élèvent à environ 3,5 % tandis que les importations américaines en Europe sont taxées à hauteur de 4,5 %. Ce différentiel représente des sommes extrêmement importantes et si nous abaissons à nouveau les droits d'entrée nous mettrons en danger toute la structure économique et le fonctionnement institutionnel de l'Union européenne. En effet, une diminution des droits de douane renforcerait le poids des contributions nationales dans le budget européen. En situation de crise on peut craindre une disparition totale des ressources propres et un éclatement économique et institutionnel de l'Union européenne. À cela s'ajoute une absence totale de transparence qui laissera le commissaire européen Karel de Gucht agir sans contrôle.
Le retard pris dans les négociations avec le Canada est lié aux maladresses commises par ce monsieur. Le Québec voulait un rapprochement avec l'Union européenne à travers un accord de libre-échange. Nous avons intérêt à signer ces accords. Le Québec a mené une étude d'impact de ces mesures sur les territoires, ce qui n'a pas été rendu possible en France puisque les chiffres ne sont pas fiables.
Nous devons faire preuve d'une extrême vigilance en tant que Parlement national pour préserver l'exception culturelle et sur le mandat donné à la Commission européenne dans ces négociations. Nous avons un regard général à porter qui n'est pas celui des acteurs culturels concernés par ces questions.
Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie pour vos explications sur la différence entre l'exception et la diversité culturelles, qui permet d'éviter toute confusion. Cette proposition de résolution devrait pouvoir nous réunir. Le collègue de mon groupe et moi-même la signeront.
M. Jean-Pierre Plancade. - Je vous remercie d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour. Je suis d'accord avec l'urgence et l'analyse. Je souhaite toutefois ajouter que notre propre industrie culturelle doit aussi savoir se réformer afin de s'intégrer dans le circuit économique international.
M. David Assouline. - Concernant les mécanismes européens de décision, je ne suis pas sûr que le veto français suffise. S'il est possible d'utiliser le veto, c'est joué. Mais, la Commission peut décider que cela ne rentre pas dans le cadre mentionné à l'article 207 du Traité de l'Union européenne. Dans ce cas, il faudra une minorité de blocage. Or, l'exception culturelle est une bataille très française et donc très isolée dans les négociations internationales. Cela risque d'être compliqué. Et je parle bien au nom du groupe socialiste.
Mme Sophie Primas. - Je pense qu'il y a d'autres pays européens attachés au maintien de l'exception culturelle, comme l'Italie ou l'Espagne, même s'ils n'en retirent pas de bénéfices financiers directs. Je vous remercie, madame la présidente, car il n'est jamais facile d'établir un texte consensuel. La force du Parlement sera son unité sur le sujet.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La minorité de blocage est fonction du nombre d'États et de leur importance démographique au sein de l'Union européenne. Outre notre unité, nous pouvons compter aussi sur nos parlementaires européens pour trouver des alliés objectifs.
M. Pierre Laurent. - Il faut se battre sur le sujet avant la mi-juin. L'exception culturelle a toujours été un cheval de bataille, depuis 1989, pour lequel la France a dû monter au créneau. Les créateurs européens sont aussi à mobiliser. La France doit fédérer ses forces.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie de votre accord. Sur la question des données personnelles évoquée par Mme Catherine Morin-Desailly, vous pouvez vous rapprocher du rapporteur chargé de l'audiovisuel ainsi que de la commission des lois et celle des affaires européennes.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce n'est pas un sujet parallèle. Cela constitue un véritable séisme dans les milieux de la création. Il y a un déficit de stratégie de l'Europe à aborder ce nouveau monde. Il n'y a pas de prise de conscience de ce qui se passe. Il ne s'agit pas seulement des industries culturelles, c'est le phénomène le plus voyant. C'est un combat plus large qu'il faut mener.