Mardi 19 mars 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Audition de M. Guillaume Pepy, candidat désigné aux fonctions de président de la SNCF
La commission procède à l'audition, suivie d'un vote, de M. Guillaume Pepy, candidat désigné aux fonctions de président de la SNCF, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
M. Raymond Vall, président. - Conformément à l'article 13 de la Constitution, nous auditionnons aujourd'hui M. Guillaume Pepy, candidat à sa propre succession à la présidence de la SNCF. Cette audition est ouverte au public et à la presse, et sera suivie par un vote à bulletin secret.
Nous avons déjà reçu plusieurs fois M. Pepy. Nous sommes très intéressés par ce qu'il pourra nous dire du bilan de son précédent mandat, ainsi que de la manière dont il voit l'avenir de la SNCF.
Monsieur Pepy, comment envisagez-vous la réforme du secteur ferroviaire, et la préparation de l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire européen, prévue pour 2019 ? Comment comptez-vous améliorer la rentabilité de l'entreprise ? C'est indispensable pour résorber la dette ferroviaire, qui s'accroît de plus d'un milliard d'euros par an et avoisine au total, si l'on additionne la SNCF et RFF, les quarante milliards. Allez-vous revoir le périmètre de l'entreprise ? Celle-ci rassemble des activités très diverses, au sein de près de neuf cents filiales. Quelle sera la suite de la convention entre l'État et la SNCF sur les trains d'équilibre du territoire ? Elle arrive à son terme à la fin de l'année. Comment voyez-vous l'évolution des relations entre la SNCF et les régions ? Où en sont vos projets de régionalisation de l'organisation de l'entreprise ? Comment comptez-vous redresser l'activité de fret de la SNCF ? Notre compétence sur l'aménagement du territoire nous rend très sensibles à ce sujet. Quid de la mise en place d'un cadre social harmonisé, dans l'optique du regroupement probable de la SNCF Infra et de RFF ? Quelle sera votre stratégie de développement international ?
M. Guillaume Pepy, candidat désigné aux fonctions de président de la SNCF. - J'ai eu la chance et l'honneur de venir à plusieurs reprises m'exprimer devant des commissions de votre Haute Assemblée. C'est un honneur aussi, et une responsabilité particulière, que de se voir proposer la direction de l'une des premières entreprises publiques nationales. La SNCF tire la moitié de son chiffre d'affaires du service public contractualisé avec les régions, l'État, les agglomérations, ou les communes, ce qui la lie directement aux décisions politiques ; j'accorde donc une grande importance au lien avec les élus, les collectivités, les autorités organisatrices.
Par son chiffre d'affaires de 34 milliards d'euros, la SNCF est la dix-septième ou dix-huitième entreprise française. C'est la deuxième entreprise mondiale de services de mobilité, après la Deutsche Bahn. Elle emploie 250 000 personnes, dont 150 000 cheminots. Elle réalise les trois quarts de son activité en France. Sa marge opérationnelle est d'environ 9,5 % - il lui faudrait 11 % pour être vraiment à l'aise, nous devons donc progresser. Cette année, son résultat a été de 700 millions d'euros : pour la cinquième année consécutive elle a versé un dividende à l'État, de 200 millions d'euros, et a distribué 364 euros de dividende salarial à chacun des 150 000 cheminots. Elle a investi 13 milliards d'euros au cours de ces cinq dernières années - grâce au plan de modernisation du réseau, grâce aux régions et à l'achat de nouveaux trains - alors que bien des entreprises réduisent leurs investissements en temps de crise. En 2013, le montant des investissements atteindra un sommet, à 2,5 milliards d'euros.
Nos trois métiers principaux sont le fret et la logistique, le transport de voyageurs, la gestion des réseaux.
Le fret et la logistique représentent neuf milliards d'euros de chiffre d'affaires. Il s'agit - c'est la mission qui m'avait été confiée pour mon premier mandat - de créer un champion français de la logistique internationalement reconnu, au service des industriels français : Geodis se classe désormais en quatrième position en Europe, après trois entreprises allemandes. Deux crises importantes de volume, en 2009 et en 2012, ont fait baisser sa rentabilité, qui est insuffisante. Nous devons donc améliorer le résultat opérationnel. Geodis réalise par exemple un milliard d'euros de chiffre d'affaires avec l'industrie automobile française et européenne, dont il est en quelque sorte le bras armé.
Le transport ferroviaire de marchandises représente deux milliards d'euros. L'ouverture à la concurrence, en 2007, en a bouleversé l'environnement. Faute d'avoir été correctement préparée, la concurrence ne s'exerce pas dans des conditions équitables. Dix-neuf opérateurs se partagent le marché. Pour nous, la part du fret a décru au cours des dernières années. Notre objectif est donc de relancer cette activité, ce qui réclame des infrastructures dédiées, des conditions de concurrence loyales, un cadre social harmonisé, ainsi que des efforts pour améliorer l'organisation et la réactivité de la SNCF. Il est vrai que la satisfaction des clients de Fret SNCF a augmenté de dix points au cours des deux dernières années, mais nous partions de loin.
Le transport de voyageurs bénéficie du fait que le train occupe une place très importante dans la vie des Français : pour l'utilisation du train, la France occupe la troisième place, après le Japon et la Suisse. La modernisation du train est donc une priorité absolue. Les priorités de la SNCF ont beaucoup changé ces dernières années, en passant notamment du TGV au train du quotidien, c'est-à-dire à ce service qu'utilisent chaque jour près de quatre millions de Français pour aller à l'école, au collège, au travail... En Île-de-France, nous modernisons le RER, et dans les régions, les TER, grâce à un effort considérable de sept milliards d'euros consenti par les conseils régionaux pour l'achat de matériel neuf. Nous sommes fiers d'avoir réussi, avec nos collègues de RFF, le grand basculement des horaires qui a eu lieu l'an dernier et cette année. Le défi actuel est de gérer le gigantesque montant de travaux désormais engagés sur le territoire. Nous avons proposé au gouvernement de prolonger d'un an la convention sur les trains d'équilibre du territoire signée il y a deux ans, afin de réfléchir à leur avenir. Ces trains sont importants car ils desservent la plupart des villes moyennes.
Après un rapport remarqué de Fabienne Keller et le vote de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) en 2009, nous avons créé une activité « gares » bien identifiable. Nous voulons que les gares soient multimodales et qu'elles deviennent de nouveaux centres-villes, en place des « délaissés ferroviaires » qu'elles sont parfois.
Le réseau ferroviaire français, avec 34 000 kilomètres de voies, est le deuxième d'Europe après l'allemand. Il était en très mauvais état, sa modernisation est en cours. Mille chantiers sont actuellement lancés sur le réseau, et mille kilomètres de voies classiques seront entièrement rénovés cette année - il y a dix ans le rythme annuel était trois fois moindre.
Les effectifs sont stabilisés grâce à la dynamique de notre activité. En 2013 nous sommes le troisième recruteur de France, avec plus de dix mille postes à pourvoir. Nous mettons l'accent sur les zones urbaines sensibles, qui représentent 15% des recrutements, sur les emplois d'avenir et sur l'ensemble des populations les plus fragiles pour l'accès à l'emploi. La loi sur le service minimum, votée il y a quelques années, n'est plus contestée à l'intérieur de l'entreprise. Elle a fixé un point d'équilibre entre le droit de grève et le droit au transport. Le dialogue social aboutit à des accords, signés parfois à l'unanimité : ce fut le cas de quatre d'entre eux cette année, et le niveau de grèves est en 2012 à son point le plus bas depuis dix ans.
Nous nous réjouissons de la prise de conscience que l'industrie ferroviaire française, les exploitants et l'ingénierie sont un des points forts de notre pays. La France se classe parmi les meilleurs dans cette industrie, après les Japonais et les Allemands. Le ferroviaire français est attendu sur de nombreux projets à l'étranger : trains régionaux, tramways, métros, trains à grande vitesse... La SNCF a repris un rôle de chef d'équipe du ferroviaire français en Europe et dans le monde : nous avons choisi de « chasser en meute » avec nos partenaires industriels français, car la concurrence est rude et les concurrents, nombreux, Japonais, Coréens, Chinois, Allemands, Espagnols... Vendre les savoir-faire français me semble être une partie importante de notre mission.
Je ne peux cependant me targuer d'avoir réussi sur tout. La situation du fret, par exemple, est à l'évidence insatisfaisante, même si la qualité de service a progressé. Nous n'avons pas réussi à réunir les conditions nécessaires au développement du fret ferroviaire français pour le moment. L'information des voyageurs reste aussi l'un de nos points faibles. Nous devons nous mettre au niveau de réactivité et de rapidité rendu possible par les outils modernes de télécommunication. Notre but est que les voyageurs soient, au jour le jour, aussi bien renseignés sur le trafic ferroviaire que sur le temps qu'il va faire ! La situation en Île-de-France, enfin, est insatisfaisante. Notre pays a tardé à prendre les bonnes décisions. Heureusement, le Premier ministre a fait des annonces récemment sur le Grand Paris. Nous devrons redoubler d'efforts pour que les transports publics en Île-de-France soient comparables à ce qu'ils sont dans les régions : actuellement, c'est malheureusement dans la région capitale qu'on est le moins bien transporté !
Je vois trois enjeux principaux pour les cinq prochaines années. La réussite de la réforme ferroviaire, d'abord. Cette réforme fut lancée par des Assises initiées par Nathalie Kosciusko-Morizet et des États généraux organisés par Jacques Auxiette, avant d'être reprise par le Gouvernement ; le ministre, Frédéric Cuvillier, a confié une mission d'expertise à Jean-Louis Bianco. C'est ma responsabilité que de réussir à mettre en oeuvre la réforme que vous adopterez, en améliorant la qualité de service, en faisant mieux pour moins cher, en développant, en somme, un service public exemplaire et susceptible d'être exporté. Il est trop tôt pour préciser davantage le contenu de cette réforme, mais elle exigera de la SNCF une capacité à se remettre en cause pour devenir plus compétitive, plus efficace et plus réactive, bref pour franchir une étape de modernisation.
Deuxième enjeu : poursuivre notre développement dans une période marquée par une croissance faible, en saisissant des opportunités. Nous devrons baisser nos coûts pour pouvoir baisser nos prix : la SNCF est propriété collective, elle doit proposer des prix acceptables par toute la population. Nous avons commencé à travailler sur deux plans de performance. En matière industrielle, il s'agit de mieux utiliser nos trains et nos équipements, ce qui pourrait nous faire gagner jusqu'à deux milliards d'euros d'efficacité industrielle dans les quatre ou cinq prochaines années. En décentralisant les responsabilités et la capacité d'initiative, en réduisant le poids de l'administration centrale, nous comptons pouvoir réduire de 700 millions d'euros nos frais de fonctionnement. Notre activité internationale, qui représente aujourd'hui un quart de notre chiffre d'affaires, doit tendre vers un tiers d'ici cinq ans. Nous avons accompagné les autorités françaises au Brésil ; nous sommes allés en Inde, en Russie ; nous irons prochainement en Chine, au Maroc... Tous les pays émergents souhaitent se doter de transports publics de qualité pour faire face à la saturation, à l'asphyxie, aux problèmes d'aménagement du territoire. La SNCF a un rôle à jouer au sein de l'équipe France pour répondre à cette attente. Nous devons conserver notre place parmi les meilleurs pays capables d'organiser du transport public sûr, efficace et ouvert à tous.
Le projet stratégique, enfin, est en cours d'élaboration, et sera débattu dans l'entreprise et avec les élus dans les quatre ou cinq prochains mois, afin qu'il ne soit pas imposé par le haut, mais construit à partir des attentes et des exigences de nos parties prenantes.
Si nous voulons augmenter le nombre d'usagers du train, il faut convaincre les automobilistes. Nous devons donc proposer une alternative crédible, c'est-à-dire offrir des combinaisons de modes de transport, aussi flexibles et personnalisées que peut l'être l'utilisation d'une automobile. Dans le domaine du fret ferroviaire, nous allons nous appuyer sur le multimodal : il s'agit de prendre les marchandises dans les ports, de développer des autoroutes ferroviaires, avec des trains longs qui traversent l'Europe pour aller jusqu'en Asie, tout en proposant du transport de fret de proximité, bref d'être polyvalents. Bien sûr, il y a une zone de pertinence : pour du transport de marchandises pondéreuses sur cinquante kilomètres, par exemple, la route est reine. Mais nous devons atteindre tous les marchés accessibles au fret ferroviaire en Europe. L'ouverture à la concurrence du trafic voyageurs aura lieu en 2018 ou 2019. Pour être à la hauteur, il nous faudra être beaucoup plus compétitifs, disposer d'un cadre social modernisé, avoir mis l'ensemble de nos produits en situation de résister à la concurrence des autres opérateurs européens.
Nous ne pourrons accélérer la modernisation de la SNCF sans la confiance des salariés. La réforme que vous adopterez dans quelques mois sera un élément clé pour donner cette confiance, et cette perspective dont les salariés ont besoin. Le rail concerne environ un million de personnes, si l'on compte les familles, les ayant-droits et les retraités. La SNCF doit également se décentraliser, baisser en quelque sorte son centre de gravité. Louis Gallois disait de la SNCF que c'était « l'armée, plus la discipline ». Cette époque où tout remontait à la tête de l'entreprise est révolue, le mouvement est engagé pour rapprocher la décision des élus et des clients. Nous devons, enfin, développer la co-construction : nos projets doivent être ouverts et non plus prétendre être optimaux d'emblée. C'est un grand changement culturel, qui nous fait passer d'un point de vue d'ingénieur à une attitude de proposition, visant à susciter le débat.
Je porte au fond le projet d'une SNCF des connexions : il s'agit de connecter les différents modes de transport autour du ferroviaire. Tout en restant modeste, la SNCF a vocation à être un opérateur, un expert et un architecte des systèmes de mobilité dans notre pays.
M. Michel Teston. - Malgré la crise, qui a fortement affecté le secteur ferroviaire, les résultats de la SNCF sont satisfaisants : 34 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est-à-dire 40 % de plus qu'en 2008, sans que cette hausse soit entièrement due à l'intégration des comptes de la filiale Keolis. Le résultat de 700 millions d'euros, qui vous permet de verser des dividendes à l'État, se passe de commentaires. La dette devrait baisser d'un milliard d'euros cette année, nous le confirmez-vous ? Cette réussite de la SNCF est à mettre à votre actif, mais ne doit pas nous dissimuler la situation inquiétante du système ferroviaire français et les perspectives incertaines pour la SNCF.
Le système ferroviaire a une dette, portée par RFF, de 32 milliards d'euros, qui croît mécaniquement chaque année de 1,4 milliard d'euros. La séparation entre RFF et la SNCF a été cause de lourdeurs, de redondances, d'une grande complexité et sans doute d'une majoration du coût de la gestion des infrastructures. Il convient de réussir la réforme ferroviaire en créant le gestionnaire d'infrastructure unifié, qui sera rattaché à la SNCF et regroupera RFF, la direction des circulations ferroviaires et SNCF Infra. C'est la mission qui vous a été confiée par le ministre des transports, elle est essentielle mais aussi délicate, car elle ne devra pas contrarier les dispositions du quatrième paquet ferroviaire de l'Union européenne, qui est en cours d'examen.
Le choix du TGV à bas prix, l'Ouigo, est une réponse à l'érosion du profit de l'activité TGV ; iDbus me semble répondre à la même logique pour le transport routier de voyageurs. Avez-vous d'autres projets de même nature pour conquérir de nouveaux clients ?
Dans la perspective de l'ouverture à la concurrence - dont je ne suis nullement partisan ! - comment parvenir à un cadre social harmonisé, sans lequel la concurrence sera déloyale ? Ne faisons pas comme pour le fret ! Il convient de traiter les questions d'organisation et de règlement du travail, sans toucher au statut - tâche délicate.
Le quatrième paquet ferroviaire, en l'état, prévoit l'open access, c'est-à-dire la possibilité pour tout opérateur de proposer ses services sur les lignes rentables exclusivement, sans se soucier des lignes non rentables. Système du grand-père, de la franchise, soit ; mais pas d'open access ! Etes-vous prêt, comme nous le sommes, à vous mobiliser pour obtenir qu'il soit définitivement écarté ?
La SNCF doit soutenir fortement l'industrie ferroviaire nationale, comme le font ses homologues européens, dans le respect des règles de la concurrence. Pour remplacer les rames tractées constituées de voitures Corail anciennes, elle devrait s'intéresser au nouveau matériel à un ou deux niveaux fabriqué en France par deux constructeurs, ce qui ajouterait des commandes à celles passées par les régions pour les TER, qui n'ont pas encore atteint un niveau élevé. Quant au matériel à grande vitesse, à la tranche complémentaire de trente unités de matériel à deux niveaux, s'ajouterait la commande, à partir de 2017, d'un futur matériel à deux niveaux de plus grande capacité. N'oublions pas, toutefois, le matériel à un niveau, faute de quoi l'industrie française ne pourrait plus proposer ce type de matériel à l'étranger : cela serait regrettable car la grande majorité des trains commandés dans le monde sont à un niveau. Le matériel à grande vitesse français a une capacité légèrement moindre que celle de son équivalent allemand, mais il est très en avance pour d'autres paramètres - légèreté, stabilité, rigidité, résistance à l'avancement, confort - qu'il est parfaitement possible de prendre en compte dans un appel d'offres.
Pour relever ces défis, vous avez toute ma confiance.
M. Francis Grignon. - Une question d'actualité sur la sécurité : sans vouloir généraliser, il ne faudrait pas que la psychose s'installe, que personne n'ose plus prendre le train le soir. Quid de la surveillance générale et des mesures de protection envisageables ? Que pensez-vous de la décision, prise par certaines régions, de supprimer la présence des contrôleurs dans les trains ?
Quel est l'avenir du TGV, au-delà des lignes existantes ? Bien sûr, cela dépend de la volonté de construire des infrastructures, donc de RFF et du Gouvernement. Mais pour cela il faut qu'il y ait des clients potentiels. D'un point de vue commercial, comment voyez-vous le développement de lignes transversales ?
En Suisse, il n'y a pas de concurrence, mais une transparence totale. Les chemins de fer y sont les plus performants d'Europe, pour les usagers comme pour les pouvoirs publics. Qu'en pensez-vous ?
J'ai siégé deux ans au conseil d'administration de la SNCF, où j'ai beaucoup apprécié votre compétence, votre expérience, mais aussi votre considération pour l'ensemble des parties prenantes ainsi que votre pragmatisme.
Mme Hélène Masson-Maret. - Merci pour cet exposé exhaustif. Vous avez parlé de la satisfaction des clients, dont les médias parlent volontiers quand elle est faible... Je m'intéresse quant à moi à la satisfaction de vos employés. Nous savons que des progrès énormes ont été faits en quelques décennies dans la prise en compte de la souffrance physique au travail. Mais qu'en est-il de la souffrance morale ? C'est un sujet très important : certes, vous ne faites pas partie des organisations qui ont le plus de problèmes. Pourtant, depuis quatre ans, vingt-deux suicides ont eu lieu chez vous sur le lieu de travail - le dernier en janvier dernier. Les nouvelles orientations de l'organisation et de la gestion des ressources humaines, parfaitement nécessaires, entraînent du stress et de nombreux problèmes. Si le personnel n'est pas satisfait, c'est l'organisation qui est en danger. Quels sont vos objectifs ? Quelle politique allez-vous mettre en place ? Vous avez indiqué que le nombre de jours de grève était au plus bas : est-ce un bon indicateur de la satisfaction au travail des employés ?
M. Gérard Cornu. - Votre bilan est bon, vos perspectives sont séduisantes : je ne doute pas que la représentation nationale récompensera celui-là et adoptera celles-ci. Vous n'avez jamais hésité à faire preuve de transparence en venant à plusieurs reprises devant nous, ce qui a été très apprécié. Vous avez cité trois points faibles : j'espère que vous pourrez progresser sur chacun. Vous avez indiqué que les conditions de concurrence sur le fret ne sont pas loyales : pouvez-vous préciser ? A propos de l'amélioration des trains de la vie quotidienne, vous nous aviez indiqué, il y a bientôt un an, avoir ciblé une quinzaine de lignes. Qu'avez-vous fait et quels sont vos résultats ? Je ne constate pas, pour l'instant, d'amélioration sur Le Mans-Chartres-Paris.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je salue votre parcours et celui de la SNCF. Vous êtes le mieux placé pour la garder sur de bons rails : il n'y a d'ailleurs guère de suspens... Nous connaissons votre talent pour exposer la situation et votre stratégie, mais nous vous attendons davantage sur les résultats. La satisfaction des voyageurs reste un enjeu insuffisamment pris en compte. Des efforts sont faits, mais nous aimerions mieux percevoir les étapes charnières de la progression envisagée, peut-être à travers des engagements chiffrés. Le Premier ministre a fait des annonces sur l'Île-de-France, mais certaines questions restent ouvertes. Une clarification s'amorce entre le syndicat des transports d'Île-de-France et la société du Grand Paris. La SNCF est transporteur, pas nécessairement décisionnaire, mais elle peut faire des propositions : lesquelles feriez-vous pour nous sortir de ce capharnaüm ? Ce qui s'est passé pour le fret montre bien la nécessité d'accroître l'efficacité globale.
Sur le statut, il faut être prudent. Mais que peut-on faire ? Pouvez-vous nous fournir quelques données financières ? La question de la dette est toujours effleurée, comment l'aborder ? C'est un sujet majeur. Quelle leçon tirez-vous des intempéries de la semaine dernière ?
M. Jean-Jacques Filleul. - J'ai écouté votre bilan et vos projets me conviennent. Les perspectives que vous avez tracées m'incitent à vous apporter tout mon soutien. Cette grande maison qu'est la SNCF a aujourd'hui belle allure. Beaucoup de questions se posent, toutefois. Quelles perspectives envisagez-vous, dans le cadre de la nouvelle gouvernance, pour réduire la dette ? Quelles relations avez-vous avec la Deutsche Bahn ? Les neuf milliards d'euros de chiffre d'affaires dont vous avez parlé pour le fret comprennent-ils le fret de Geodis et des autres sociétés de transport de la SNCF ? C'est le point qui nous intéresse le plus : il n'y a pas beaucoup de moyens pour mettre en oeuvre un fret ferroviaire utile en France. Seulement 8 % ou 9 % des marchandises sont transportées par le rail, alors que nos concitoyens n'acceptent plus les poids lourds sur les routes. Comment résoudre le problème de la faible convergence du cadre social en Europe ? Je le redis, vous avez toute ma confiance.
Rien n'est résolu pour la LGV Atlantique. Comment les gares de Tours, Poitiers et Angoulême seront-elles desservies à partir de 2017 ?
M. Robert Navarro. - Monsieur Pepy, malgré toute la considération que je vous porte, je ne crois pas à l'homme providentiel. Le succès passe par les synergies de groupe. Et je peux témoigner, dans ma région de Languedoc-Roussillon, de la qualité de vos équipes. C'est une chance pour l'entreprise, pour notre pays. Globalement, même s'il y a çà et là des choses à redire, le service rendu au public se situe à un très haut niveau, il ne peut plus progresser qu'à la marge.
Deux secteurs sont toutefois à améliorer significativement, à commencer par le fret. Faute de volonté de la part de l'État et de la SNCF, il périclite depuis des années. Tout reste à faire pour l'adapter à la nouvelle donne européenne. Quelles perspectives ? Quel calendrier ? Questions cruciales car le fret constitue une garantie pour l'avenir de la SNCF.
Deuxième point, la gouvernance. J'ai connu une SNCF dotée d'une administration centrale et de directions spécialisées, l'une sur le matériel, l'autre sur la maintenance et la traction. Désormais, le groupe, éclaté entre des filiales comme RFF ou Gares et connexions, fait entendre vingt-cinq sons de cloches différents. Pour gagner le combat contre la concurrence - et la SNCF ne doit pas craindre la concurrence - toutes ces structures doivent parler d'une seule voix.
M. Philippe Esnol. - Fils d'un ingénieur qui a participé à l'aventure du TGV et qui a passé sa vie à vendre nos métros et nos trains dans le monde, je me réjouis de vos propos sur le savoir-faire ferroviaire français.
Inutile que je vous décrive les difficultés qu'éprouve la SNCF en Île-de-France à relier Paris à sa lointaine banlieue, en particulier depuis la gare Saint-Lazare ; vous les connaissez. A quand la Tangentielle Ouest entre Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines et Versailles ? La société du Grand Paris parle de 2027-2030, il y a de quoi désespérer...
Maire de Conflans-Sainte-Honorine, la capitale française de la batellerie, je défends l'interconnexion du rail et de la route, mais aussi du rail et du fluvial. Or la presse locale évoque la relance d'un projet qui aboutirait à faire rouler des trains de marchandises du Havre vers Argenteuil à travers l'agglomération de Conflans en pleine nuit. Si ce projet était avéré, attendez-vous à des résistances extrêmement violentes : les Conflanais refuseront cette nuisance qui s'ajoutera à celles provoquées par les transports aérien et routier.
Mme Laurence Rossignol. - Je suis souvent amenée, comme les autres élus, à répondre aux interpellations de mes administrés sur certains dysfonctionnements de la SNCF. La semaine dernière, les gens n'ont pas compris pourquoi, à cause du principe de la séparation des métiers que la SNCF a retenu il y a quelques années, ils ont dû, bloqués dans une gare, attendre plusieurs heures dans la nuit et le froid sur un quai enneigé. L'employé présent, chargé des aiguillages, a refusé de prendre la responsabilité d'ouvrir la salle des pas perdus : c'est aussi cela, la séparation des métiers ! Dans certaines occasions, introduire un peu de souplesse et de fluidité dans la doctrine de la séparation des métiers ne ferait pas de mal, qu'en pensez-vous ?
M. Guillaume Pepy. - Il n'est pas de questions anecdotiques, toutes sont révélatrices. L'interpellation de Mme Rossignol souligne combien cloisonner la gestion des infrastructures et le transport des voyageurs peut aboutir à des situations effectivement aberrantes et inexplicables. Le nouveau président de RFF et moi-même sommes fermement déterminés à unifier le système ferroviaire, dans le respect des règles européennes encore en cours d'élaboration à Bruxelles - les Parlements européen et français auront leur rôle à jouer. Cela dit, une nouvelle loi n'est pas nécessaire pour combattre les comportements trop rigides, tels que ceux exposés par Mme Rossignol.
La dette de la SNCF s'est réduite d'un milliard d'euros en 2012 ; la question porte davantage sur celle de RFF et, à l'avenir, sur celle du système ferroviaire unifié. Sans trahir les intentions du Gouvernement, je peux affirmer que la stabilisation sera une étape indispensable avant la diminution. Nous ferons, avec RFF, des propositions de performance au Gouvernement pour neutraliser la progression de la dette. Cela suppose toutefois que la commission présidée par M. Philippe Duron sur le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, présente un projet raisonnable sur les LGV. Nous ne pourrons pas à la fois rattraper le retard en Île-de-France, moderniser le réseau classique et développer les LGV. Mais ces choix ne relèvent pas de la SNCF, ils appartiennent au Gouvernement et au Parlement.
Le cadre social harmonisé, sur lequel MM. Teston et Capo-Canellas m'ont interrogé, est une question clé. La coexistence de deux régimes différents, pour les mêmes métiers, exercés au même moment, sur un même réseau, n'est pas tenable. De deux choses l'une : soit l'entreprise s'aligne sur les coûts du privé et vend à perte, soit elle reflète la réalité de ses coûts et perd des marchés, mettant son avenir en péril. D'où l'importance de négocier un pacte social rénové pour le XXIe siècle. J'ai dit aux organisations de cheminots que la France compte six cents conventions collectives et que, bonne nouvelle, le transport ferroviaire lui en donnerait une six-cent-unième. Dans six cents cas, les négociations ont abouti, pourquoi pas une fois de plus ? Les discussions seront compliquées et longues mais se traduiront par des règles applicables à tous. Les syndicats ont parfaitement conscience qu'il y va de l'avenir de l'entreprise.
Grâce à l'enveloppe de 400 millions d'euros pour le renouvellement du matériel, annoncée par le Gouvernement, nous engagerons la modernisation des trains d'équilibre du territoire et le remplacement d'un millier de rames Corail par des rames modernes. Cela prendra des années mais le mouvement est engagé. Sur les grandes lignes, celle des Volcans reliant Paris à Clermont-Ferrand et celle du Capitole reliant Paris à Toulouse via Orléans et Limoges, je propose, à défaut de LGV, de faire rouler des TGV sur les lignes classiques, pour y améliorer le service et le confort des voyageurs.
Monsieur Grignon, la sécurité est une de nos priorités. Les incidents qui ont eu lieu à Grigny le week-end dernier relèvent de la police nationale. La SNCF n'a pas à se substituer aux forces de l'ordre ni à la justice. En revanche, elle met tout en oeuvre pour la prévention des actes délictueux : affectation de 2 500 cheminots à la Surveillance Générale, achèvement du plan de vidéo-protection décidé il y a quatre ans, soit 25 000 caméras réparties entre trains et gares. Nous développons également l'accueil-embarquement, qui inclut la vérification des billets. Concernant la grande vitesse, il est question d'inaugurer quatre lignes entre 2017 et 2018. Au-delà, la priorité absolue sera d'entretenir et d'améliorer le réseau existant, les lignes saturées ou insuffisamment robustes. La transparence avancera avec la présentation de comptes par ligne, je m'y suis engagé auprès des présidents de région ; un rapport du délégataire, à l'instar de la pratique dans les services urbains ; enfin, un tableau de bord mensuel grâce auquel les élus apprécieront facilement les coûts et les bénéfices des services qu'ils développent.
Madame Masson-Maret, les risques psychosociaux représentent un sujet extrêmement sensible en temps de crise, nous le prenons très au sérieux. Nous le traitons par la formation de nos managers, la conclusion d'accords avec les organisations du personnel ; et nous avons la chance d'avoir une médecine du travail en interne qui intervient auprès des salariés. Éviter un passage à l'acte qui rejaillirait sur tout le corps social, voilà ma préoccupation quotidienne.
Monsieur Cornu, l'ouverture à la concurrence, dont les Parlements français et européen fixeront les modalités et les dates, sera bientôt une réalité. A nous de moderniser l'entreprise historique pour l'y préparer. A mon sens, une concurrence loyale passe par des règles communes pour le ferroviaire entre public et privé, entre la France et les autres pays européens. Ce qui nous ramène au problème du cadre social harmonisé - des amplitudes de travail, des jours de repos et des taquets identiques pour tous - et pose la question d'un alignement des régimes fiscaux et sociaux. Un seul exemple : nos taux de cotisations sociales sont de dix points plus élevés que ceux de nos concurrents des pays voisins. Dans ces conditions, comment remporter des appels d'offres ?
Sur une douzaine de lignes sensibles, huit ou neuf sont complètement tirées d'affaire. En revanche, il faut remettre l'ouvrage sur le métier pour les trajets Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Amiens-Boulogne, Paris-Limoges-Toulouse et, à maints égards aussi, Paris-Chartres-Le Mans, sur laquelle le matériel, très ancien, sera renouvelé ; il restera toutefois des progrès à accomplir pour se montrer à la hauteur des attentes.
Monsieur Capo-Canellas, le service rendu aux voyageurs s'améliorera, d'abord, avec l'arrivée de matériels neufs. D'ici la fin de la décennie, la SNCF sera fière d'afficher un taux proche de 100 % de matériels neufs ou rénovés. Les régions, qui ont déjà investi 7 milliards, poursuivront leur effort ; un millier de trains neufs sont en commande. Autre levier : la rénovation des gares avec vingt projets majeurs en cours. Enfin, le plan Perben de rénovation du réseau s'achèvera bientôt. Le ministre nous a demandé de tracer des perspectives pour les années 2015-2020, en ce qui concerne la modernisation de l'existant. Pour l'Île-de-France, mon homologue Pierre Mongin et moi-même, résolus à mettre un terme à la guéguerre stupide entre la RATP et la SNCF, avons progressivement unifié la gestion des grandes lignes communes : nous nous attaquons cette année à la ligne B, restera la ligne A. La réforme ferroviaire comportera une organisation plus intégrée en Ile-de-France, entre voies et trains.
Pour davantage de fret en Europe de l'Ouest, la France doit réserver clairement la route aux courtes distances et le transit européen au rail. L'Autriche, un pays libéral, l'a décidé il y a trente ans ; seuls les camions qui desservent le pays sont autorisés à entrer, les autres doivent prendre le train. Résultat, le fret ferroviaire y détient 38% des parts de marché. Deuxième condition, consacrer une partie de l'investissement au transport de marchandises. Le plan Borloo de 2008, doté de 7 milliards d'euros, se concrétise progressivement avec, par exemple, la réalisation du contournement de l'agglomération lyonnaise par les trains de marchandises. Enfin, nous devrons nous attaquer à une contradiction flagrante entre la dérégulation sociale pour la route, et l'hyper-régulation du ferroviaire. Comment lutter ?
M. Jean-Jacques Filleul. - C'est essentiel !
M. Guillaume Pepy. - Monsieur Esnol, le fret sur la Tangentielle Ouest ne passera pas par Conflans-Sainte-Honorine ; la décision a été prise il y a une quinzaine d'années, j'ai la conviction qu'on ne reviendra pas dessus. Pour desservir les ports normands du Havre et de Rouen sans emprunter les lignes de voyageurs, nous modernisons et électrifions l'axe Gisors-Serqueux.
Madame Rossignol, la modernisation des trains du grand bassin parisien, desservant l'Oise, l'Eure-et-Loir, la Picardie ou le Centre, est une priorité. Les voyageurs qui empruntent ces itinéraires passent plus de deux heures en train par jour, dans des conditions qui ne sont pas conformes à leurs attentes.
Pour conclure, un mot à Michel Teston. La SNCF saisira ce que je considère comme une chance historique : la construction d'un modèle français qui, tirant les leçons des quinze dernières années, ne s'établira plus selon des normes bureaucratiques ou théoriques définies ailleurs. Je vois dans la réunification du système ferroviaire une marque de confiance envers mon entreprise. En contrepartie, nous devons aux Français d'améliorer notre efficacité économique, notre sens du client et le service public. Il nous faut réaliser un saut de performance. C'est le sens du mandat que j'espère recevoir de vos mains.
M. Raymond Vall, président. - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions qui témoignent de notre respect et de notre considération pour votre oeuvre à la tête de la SNCF. Personne ne doute de l'issue du vote au Sénat et à l'Assemblée nationale.
M. Guillaume Pepy. - Les 250 000 salariés de la SNCF apprécient vos messages d'encouragements et reçoivent toujours positivement vos remarques.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Guillaume Pepy, à la présidence de la SNCF.
M. Raymond Vall, président. - Voici les résultats du scrutin : sur 11 votants, il y a 11 votes pour.
Mercredi 20 mars 2013
- Présidence conjointe de M. Raymond Vall, président, et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -Energie - Audition de membres du Conseil économique, social et environnemental
La commission procède, en commun avec la commission des affaires économiques, à l'audition de membres du Conseil économique, social et environnemental sur le thème de l'énergie :
- Mme Catherine Tissot-Colle et M. Jean Jouzel, rapporteurs de l'avis « La transition énergétique 2020-2050 : un avenir à bâtir, une voie à tracer » ;
- Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin, rapporteurs de l'avis « Efficacité énergétique : un gisement d'économies ; un objectif prioritaire ».
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes heureux de recevoir ce matin quatre membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui viennent nous présenter deux rapports, l'un portant sur la transition énergétique, l'autre sur l'efficacité énergétique. Je salue par ailleurs Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du CESE. Il me paraît essentiel que les rapports du CESE nous concernant soient présentés devant nos commissions et je souhaite que les relations entre nos deux institutions s'intensifient. Permettez-moi enfin de présenter nos félicitations à M. Jean Jouzel pour la distinction prestigieuse qu'il vient d'obtenir.
(Applaudissements sur tous les bancs)
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Je m'associe aux propos du président Daniel Raoul. Je tiens à vous indiquer que Jean Jouzel anime un festival au mois d'août à Fleurance, dans le Gers. La jeune commission du développement durable souhaite elle aussi que le Sénat intensifie ses relations avec le CESE.
M. Jean Jouzel, rapporteur, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - Merci pour cet accueil. La Conférence environnementale de septembre dernier a illustré l'engagement du Président de la République en matière de transition écologique. Les deux avis du CESE avaient été prévus bien avant. Ils sont de nature à nourrir le débat sur la transition énergétique. Ils évoquent les problématiques énergétique et climatique, mais aussi des questions économiques, géopolitiques et sociales.
Le contexte est marqué par le changement climatique, la raréfaction des ressources fossiles, l'augmentation du coût de l'énergie, mais aussi, bien entendu, l'exigence de sûreté dans l'industrie nucléaire - suite à l'accident de Fukushima. Il y a un lien très fort entre climat et énergie : les trois quarts du réchauffement climatique au niveau mondial sont dus à la consommation de ressources fossiles. On est également dans le contexte d'accords internationaux marqués par des paroles très fortes - maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés - auxquelles tous les pays ont adhéré. Mais ces paroles ne semblent pas suivies d'effets : en 2020, on devrait comptabiliser 10 à 15 % d'émissions en trop pour respecter cette trajectoire et le défi d'une société sobre en carbone. Du point de vue du climatologue, ce n'est pas un choix, c'est un impératif.
Une politique européenne se dessine, marquée par l'objectif des « trois fois vingt » à l'horizon 2020 et une directive sur l'efficacité énergétique. Au niveau national, la loi sur l'énergie de 2005 prévoit la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Le « Grenelle de l'environnement » a jeté les bases d'une prise de décision collective qui se poursuit dans le débat sur la transition énergétique. Je suis persuadé que la transition énergétique peut s'accompagner de créations d'emplois et d'un nouveau mode de développement.
Mme Catherine Tissot-Colle, rapporteur, membre du CESE. - Pour cet avis, nous avons travaillé dans la perspective du débat actuel et de la préparation d'une loi. Nous avons souhaité formuler des recommandations à l'attention du Gouvernement et des parlementaires, que nous avons essayé de « phaser ». Nous nous concentrerons aujourd'hui sur les recommandations les plus immédiates. Notre rapport est organisé en quatre parties d'égale importance et commence par une idée partagée par l'ensemble des membres du CESE : la transition énergétique doit être au service de la performance économique et sociale. Nous souhaitons une économie décarbonée, mais aussi compétitive et écologique.
Nous souhaitons qu'une clarification soit faite sur la notion de sobriété énergétique. Il s'agit d'un enjeu de fond : jusqu'où veut-on aller ? Y a-t-il des niveaux de contrainte ? Quand ? Comment ? Il faut ensuite intégrer l'ensemble des facteurs : le débat ne se limite pas à l'électricité et encore moins au nucléaire. Il concerne aussi les problématiques de chaleur et de transport. Nous reconnaissons que nous n'avons pas eu le temps de traiter complètement la question des transports. Nous avons néanmoins pu lire et étudier des scenarii divers, consulter des experts extrêmement compétents, avec des visions parfois radicalement différentes. Ces scenarii pêchent en général sur un point : ils ne traitent pas suffisamment l'impact en matière d'emplois. Il faut réaliser des études d'impact environnemental et socio-économique de l'ensemble des scenarii avant de prendre des décisions.
D'ici 2020, nous souhaitons préserver un service de l'électricité à coûts de production réduits, privilégier les énergies renouvelables qui ont un vrai potentiel de développement économique, anticiper l'évolution des métiers et structurer aux niveaux national et européen les filières de recyclage.
M. Jean Jouzel, membre du CESE. - L'offre fait aussi partie de ce débat. En France, on souffre d'un manque d'optimisation de l'offre par rapport à la demande. Nous nous sommes tirés une balle dans le pied pour certains aspects, en particulier les problèmes de pointe, dans la fourniture d'électricité.
Nous souhaitons un véritable débat sur le nucléaire. En terme de mix énergétique, d'ici 2020, il faut étudier des scenarii qui répondent aux objectifs et aux engagements de la France. Sur les énergies renouvelables, il faut concentrer les aides sur celles qui sont déjà matures, comme l'éolien terrestre ou la biomasse. Les problèmes de réseaux de transport sont essentiels : leur modernisation est indispensable. Il faut également développer les moteurs électriques et les moteurs hybrides : c'est un moyen d'essayer de diminuer la production de gaz à effet de serre. On manque d'une véritable vision en matière de production d'énergie au-delà de cinq ans. D'ici 2030, il faut mener des actions permettant l'électrification des transports individuels collectifs et poursuivre le soutien à l'émergence de filières dans ce domaine.
Mme Catherine Tissot-Colle, membre du CESE. - Le troisième chapitre de notre travail porte sur la mobilisation des acteurs et sur les moyens. Notre première recommandation concerne les acteurs publics : le rôle de chacun doit être clarifié dès le début. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des élus de territoires qui gèrent des initiatives intéressantes. Pour autant, une cohérence doit exister entre ces initiatives locales et la vision générale. Nous souhaitons qu'il y ait deux acteurs : l'État qui doit rester le garant de la cohérence générale et la région qui doit coordonner et gérer ce qui se passe sur son territoire - sans que cela signifie pour autant l'absence d'initiative à l'échelon communal ou intercommunal. Quand cette clarification aura eu lieu, il faudra renforcer les programmes opérationnels territoriaux qui traitent les différents aspects en matière d'énergie, et notamment la maîtrise de la demande. Une de nos recommandations fortes est d'identifier les acteurs et de leur donner les moyens de travailler ensemble efficacement.
Au plan international, le CESE soutient l'engagement de la France pour un accord international équitable en matière de climat et d'énergie. Nous recommandons aussi un développement de la politique européenne de l'énergie: l'Europe ne travaille pas comme elle devrait le faire sur l'énergie.
En matière de financement, il faut conserver le marché des quotas, même s'il n'a pas bien fonctionné, le revoir et le réguler. Nous demandons également au législateur de remettre à plat l'ensemble des mécanismes fiscaux dans une perspective d'efficacité, notamment s'agissant des problèmes climatiques et environnementaux.
Une fois que les acteurs et les moyens associés auront été clarifiés, étant entendu que nous souhaitons qu'il y ait le moins possible de financements publics, puisqu'il s'agit de soutenir des filières destinées à devenir autonomes économiquement le plus rapidement, il faut ensuite faire partager cette stratégie et cette politique à l'ensemble des acteurs. Il faut expliquer et accompagner. Il convient d'associer l'Éducation nationale dès le début du débat et dans les actions. On recommande aussi de s'appuyer sur toutes les structures de formation et d'éducation au développement durable qui existent. Il conviendra enfin de financer des campagnes de communication une fois que des décisions auront été prises, en associant les acteurs territoriaux.
A l'horizon 2020, nous souhaitons que le secteur bancaire soit davantage incité à accompagner les acteurs vers cette transition énergétique.
M. Jean Jouzel, membre du CESE. - La recherche et l'innovation sont un des moteurs de la transition énergétique. Si on veut créer des emplois et rendre cette transition énergétique véritablement « enthousiasmante » du point de vue économique et écologique, les innovations sont indispensables. Un audit sérieux de la recherche sur l'énergie devra être conduit en France.
Nous attachons beaucoup d'importance aux sciences humaines et sociales et il convient d'encourager une recherche pluridisciplinaire et pluraliste sur la sobriété énergétique.
Il faut également effectuer une expertise de l'ensemble des financements, depuis la recherche jusqu'au développement.
Les acteurs français doivent rechercher des rapprochements au niveau européen sur ces sujets. Nous sommes assez favorables à explorer toutes les pistes de transformation et de valorisation du CO2.
Mme Catherine Tissot-Colle, membre du CESE. - Nous avons donc travaillé en essayant d'analyser tous les aspects de ce sujet majeur pour la société. Il faut repenser nos fondamentaux pour sortir de cette crise systémique. Cette transition doit être pertinente, réfléchie et partagée, ce que notre rapport considère possible. Nous devons associer volontarisme et progressivité. Il faut donner un prix raisonnable au carbone, permettre l'adaptation de tous les acteurs, améliorer la gouvernance, faire évoluer en profondeur la fiscalité, bâtir une véritable Europe de l'énergie, investir dans la recherche et développement (R&D) et dans la transition entre celle-ci et l'industrialisation, développer des filières économiques pérennes. Nous avons confiance dans le fait que notre pays peut le faire à son bénéfice.
M. Daniel Raoul, président. - Merci pour votre exposé, mes collègues vont à présent vous interroger sur les aspects « économie » et « emploi ». Je vous pose la première question : vos préconisations étaient centrées sur une dimension nationale ; quelles pourraient être les ambitions à l'échelle européenne ?
M. Jean Jouzel. - Une véritable politique européenne doit être menée à partir des investissements à l'horizon 2050, en tenant compte des objectifs d'efficacité énergétique ; on ne les atteindra pas si nous n'avons pas une vision commune en matière d'offre d'énergie.
M. Michel Teston. - Vous préconisez d'accélérer l'électrification des transports d'ici 2030. Or, l'impact en termes de consommation électrique serait extrêmement important, d'après les projections réalisées par les économistes. Comment appréhendez-vous cette contradiction apparente en termes d'efficacité énergétique ?
M. Jean-Claude Lenoir. - L'aspect européen de cette problématique me semble majeur ; or, c'est un grave échec, puisqu'il n'existe pas de politique commune de l'énergie. Seule allusion à l'Europe en ce domaine : le « e » de EPR, qui signifiait initialement European Pressurized Reactor...
S'agissant du véhicule électrique, nous avons un problème du fait des périodes de pointe de consommation. Il faut donc développer la recherche sur le stockage de l'énergie électrique.
Par ailleurs, l'enjeu de la formation est essentiel : il nous faut réfléchir collectivement aux types d'emplois dont nous avons besoin.
M. Roland Courteau. - Ne pensez-vous pas que le secteur des transports - 130 millions de tonnes de CO2 émises contre 87 pour le résidentiel tertiaire - a été le grand oublié du Grenelle de l'environnement et qu'il doit être une priorité désormais ?
Le développement des énergies renouvelables doit-il obligatoirement passer par un tarif de rachat attractif ? Que penser de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) actuelle : faut-il la réformer en élargissant son assiette et envisager des financements complémentaires pour les énergies renouvelables ?
La fiscalité française est très en retard dans la prise en compte de l'environnement : pas assez verte, elle prévoit trop d'exonérations. Pour financer la transition énergétique dans un contexte de crise, faut-il faire appel à la Banque publique d'investissement (BPI) ? Donner la priorité à des très petites entreprises (TPE) et à des petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées dans le secteur ? Prévoir des participations citoyennes dans les projets locaux ?
Enfin, peut-il y avoir une politique européenne climatique, sans politique européenne de l'énergie ?
Mme Évelyne Didier. - Ne pensez-vous pas que les responsables politiques font peser trop de responsabilité sur le citoyen dans les stratégies mises en place ?
Vous avez évoqué la réforme du marché du carbone ; voyez-vous d'autres outils auxquels il pourrait être fait appel, sachant que ce système a été peu efficace jusqu'à présent ? Vous avez également parlé d'une réduction du transport individuel ; si c'est possible dans les agglomérations, cela semble difficile dans les zones rurales.
N'estimez-vous pas enfin que la recherche à tout prix de nouvelles ressources carbonées soit contraire à la transition énergétique ?
Mme Hélène Masson-Maret. - Vous avez insisté sur la nécessité d'investir dans les sciences humaines et la communication ; je suis entièrement d'accord avec vous, et intéressée par tout élément dont vous disposeriez à ce sujet.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Les politiques en matière d'efficacité énergétique sont étroitement imbriquées à l'échelle nationale, européenne et mondiale. Au niveau communautaire, des distorsions se font sentir toutefois. Ne peut-on envisager un saut qualitatif en associant les États membres les plus avancés ?
La consommation totale d'énergie nous est présentée comme appelée à croître de façon exponentielle au cours des prochaines décennies ; je ne me satisfais pas de ce fatalisme !
M. Claude Dilain. - Afin de surmonter les blocages européens, ne peut-on envisager de créer une sorte d'« EADS de la transition énergétique » ?
M. Claude Bérit-Débat. - Vous préconisez, pour les transports en commun, le recours aux énergies renouvelables, et notamment aux biocarburants de deuxième et troisième génération, et le tout électrique pour le transport individuel. Comment appliquer cet objectif aux villes ou agglomérations moyennes ?
Mme Catherine Tissot-Colle. - Vos commentaires et vos questions illustrent un grand intérêt pour toutes ces problématiques, et nous poussent à en approfondir certains aspects, par exemple concernant les transports, sur lesquels nous ne sommes pas allés assez loin.
L'appel à une plus grande intervention à l'échelle communautaire est finalement une bonne nouvelle : il signifie que nous, société civile, sommes convaincus de l'importance d'approfondir l'approche européenne du sujet. Le fait que le ministre des affaires européennes devienne, suite au remaniement du Gouvernement, ministre du budget, constitue un élément intéressant à cet égard.
La fiscalité doit en effet davantage prendre en compte les paramètres environnementaux. Plutôt que de créer de nouveaux dispositifs et d'alourdir la pression fiscale, il serait judicieux de rééquilibrer ceux existants en ce sens.
Enfin, pour ce qui est d'un « EADS de la transition énergétique », pourquoi pas, en effet ?
M. Jean Jouzel. - Nous n'avons pas suffisamment travaillé sur la problématique des transports, c'est vrai.
Sur le volet européen, la définition d'une position commune avec l'Allemagne serait très mobilisatrice ; il est indispensable aujourd'hui que notre continent agisse et exerce un effet d'entraînement sur le reste du monde. En matière de fiscalité, il faut donner un prix significatif au carbone.
Les gaz de schiste ont fait l'objet de beaucoup de discussions. Ils ne s'apparentent pas au gaz naturel et sont émetteurs de gaz à effet de serre si l'on prend en compte l'ensemble du processus. Le gain environnemental d'un passage du pétrole ou du charbon au gaz ne vaut donc pas pour eux. Nous sommes favorables à la mise en place d'un grand débat sur ce sujet.
M. Daniel Raoul, président. - C'est le problème technique qui est le plus important : produire localement du gaz ne représente pas d'émissions supplémentaires par rapport à l'importation de ce gaz.
Je vous propose de passer à notre second sujet : le rapport de M. Jacky Chorin et Mme Anne de Béthencourt sur l'efficacité énergétique.
M. Jacky Chorin, rapporteur, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - En introduction, je souhaite préciser que la consommation d'énergie double à chaque génération.
Nous avons traité de la question de l'efficacité énergétique : comment consommer moins d'énergie pour un même service rendu ? Je rappelle le contexte : le paquet climat énergie avec un objectif « 3 fois 20 » - dans lequel l'efficacité énergétique est le seul domaine qui ne soit pas contraignant -, le Grenelle de l'environnement, la directive européenne sur l'efficacité énergétique - qu'il faut transposer prochainement -, et le débat sur la transition énergétique. Si l'objectif communautaire de 20 % d'économie d'énergie par rapport à 1990, prévu par ladite directive, et les objectifs du Grenelle sont atteints, alors l'efficacité énergétique deviendra la première source d'énergie domestique à l'horizon 2020. Il y a donc là un enjeu considérable, mais souvent méconnu. Les objectifs sont très ambitieux, mais extrêmement difficiles à atteindre.
Nous n'avons pas traité de la question du transport, mais avons proposé que le CESE s'en saisisse, car il s'agit d'une problématique très importante. Nous avons traité du bâtiment résidentiel et tertiaire (44 % de la consommation d'énergie) et de l'industrie (21 %), ainsi que de l'agriculture. 55 % du parc résidentiel ont été construits avant toute réglementation thermique, avant 1974. 75 % du parc de 2050 sont déjà construits, ce qui illustre l'inertie et la lenteur de son renouvellement. 88 % des objectifs du Grenelle concernent le bâtiment, 12 % le transport, et aucun l'industrie.
Le Gouvernement a annoncé 500 000 rénovations par an à compter de cette année. 400 000 étaient prévues dans le Grenelle, il y en a eu 160 000 en 2011 : il y a donc un différentiel très marqué qu'il nous faudra combler. 100 000 à 150 000 emplois seraient générés par l'atteinte de cet objectif de 500 000 rénovations annuelles.
Nous avons formulé, dans notre avis, adopté à plus de 90 % des voix, un certain nombre de propositions :
- confirmer l'efficacité énergétique comme priorité nationale. Dès lors que le Président de la République est venu au CESE nous redire que la politique de rénovation était l'une des grandes priorités de son programme, le passage de la TVA sur la rénovation de 7,5 à 10 %, après une première augmentation peu de temps auparavant, était un contresignal. Nous avons proposé de la baisser à 5 % au titre des biens et services de première nécessité ;
- publier le décret sur la rénovation du tertiaire, public comme privé, attendu depuis 2010, car cette carence n'incite pas les acteurs du bâtiment à s'engager ;
- développer l'efficacité active, c'est-à-dire la gestion intelligente de l'immobilier. Tous les travaux ont été menés jusqu'à présent sur la seule réhabilitation des bâtiments. Or, nous avons des leaders mondiaux, tels que Schneider Electric, qui mettent au point des techniques permettant d'obtenir une réduction de la consommation d'énergie de l'ordre de 20 % avec des coûts moindres et une efficacité accrue ;
- tendre vers une garantie de performance énergétique des travaux de rénovation. Des débats, dans le cadre du plan Bâtiment durable, ont lieu sur la nature des garanties juridiques à apporter. En tout état de cause, il faudra donner aux particuliers, qui investissent financièrement, des assurances sur l'efficacité de leur engagement en matière d'économie d'énergie ;
- développer la formation des professionnels. Nous avons beaucoup travaillé avec les artisans de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), notamment. 98 % des entreprises du bâtiment ont moins de 10 salariés : rien ne pourra se faire sans elles. Il faudra mieux rééquilibrer les efforts entre construction et rénovation, là où des gains importants sont encore envisageables ;
- réaffirmer l'éco-conditionnalité des aides publiques. L'éco-prêt à taux zéro doit être accordé pour des travaux réalisés avec des entreprises labellisées. Nous souhaitons encourager l'amélioration de la qualité : si l'on veut que les artisans se forment, il faut qu'ils obtiennent des contreparties ;
- mieux informer et impliquer les citoyens. Le Gouvernement actuel, comme le précédent, a décidé la généralisation des compteurs communicants pour l'électricité, mais le problème du financement est encore en discussion pour sécuriser l'investissement par ErDF. Des tests ont été réalisés sur les moyens d'informer les consommateurs. Un projet d'expérimentation existe pour les compteurs de gaz ;
- généraliser l'individualisation des charges de chauffage dans les logements à chauffage collectif, conformément à la réglementation européenne, à l'horizon 2017. Actuellement, seulement 10 % des 5 millions de logements au chauffage collectif ont des charges de chauffage individualisées ;
- rendre plus significatif pour le grand public le diagnostic de performance énergétique, en l'exprimant en euros par m² au lieu des KWh en énergie primaire par m². Il a été très critiqué lors du débat parlementaire sur la proposition de loi Brottes visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre. Si le CESE est partagé sur le bien-fondé de la tarification progressive, en revanche, nous sommes tous d'accord pour estimer que le mécanisme retenu dans le texte n'est pas adapté à un objectif de justice sociale.
Mme Anne de Béthencourt. - Pour un objectif de 500 000 rénovations par an, à raison de 20 000 à 30 000 euros par logement, le coût annuel serait d'environ 10 à 15 milliards d'euros. L'État y consacre actuellement deux milliards d'euros. Nous proposons de flécher une partie des investissements de la Banque publique d'investissement (BPI) vers les entreprises intervenant dans le secteur de l'efficacité énergétique. Le tiers investissement ne réglera pas tous les problèmes, mais il doit être développé dans le tertiaire privé et public : on n'est pas allé au bout des expérimentations.
Le système des certificats d'économie d'énergie devient complexe et peu transparent, avec des frais de gestion élevés. Il ne faut pas le supprimer, mais évaluer son mécanisme et le recentrer sur des programmes et des actions spécifiques et compréhensibles.
Nous avons proposé que soit lancée une étude sur la possibilité pour la Caisse des dépôts de soutenir l'efficacité énergétique. Une lettre de mission vient d'être signée en ce sens. Il faudrait, comme dans d'autres pays européens, créer un fonds dédié qui permettrait notamment d'obtenir des financements au niveau européen. Je rappelle que 60 milliards d'euros sont prévus au niveau européen pour l'efficacité énergétique.
La précarité énergétique concerne 3,8 millions de ménages, la moitié d'entre eux étant âgés, propriétaires et vivant dans des maisons individuelles en dehors des villes. Nous proposons d'intégrer la performance énergétique parmi les critères de décence des logements et de généraliser l'aide au chauffage à l'ensemble des énergies afin de supprimer une vraie inégalité.
L'industrie, qui représente 21 % de la consommation d'énergie, a beaucoup fait pour réduire sa consommation d'électricité, mais des études montrent qu'il reste encore des gisements d'économie sur les processus. Des organisations non gouvernementales et des industries se sont adressées ensemble à l'Union européenne afin de progresser dans les normes d'éco-conception, qui permettent de réduire la consommation d'énergie et les émissions de CO2, avec également un intérêt en termes de compétitivité.
L'efficacité énergétique constitue, nous en sommes convaincus, un réel marché du futur et une filière créatrice d'innovation. Cela dépendra de la volonté de l'ensemble des acteurs.
M. Daniel Raoul, président. - Concernant le décret sur l'obligation de travaux dans le tertiaire public et privé, nous avons reçu récemment la Fédération française du bâtiment (FFB) et la CAPEB. On constate un cercle vicieux : les professionnels attendent la publication du décret pour connaître les profils d'employés dont ils auront besoin, à moins qu'il ne s'agisse parfois d'un prétexte.
Mme Renée Nicoux. - La formation est en effet cruciale, notamment pour les diagnostiqueurs. Je crois qu'il faut aussi revoir la formation initiale pour les artisans. De plus, un lien devrait être mis en place entre la qualité du travail réalisé et l'attribution des aides. Mais les incitations ne jouent-elles pas parfois un rôle pervers, dans la mesure où elles se traduisent par une augmentation du prix des travaux ? Peut-être faudrait-il plutôt lancer des campagnes de communication.
M. Pierre Hérisson. - Comment peut-on parler d'une Europe de l'énergie alors que la France discute de son côté de l'avenir de son parc nucléaire tandis que l'Allemagne l'abandonne pour relancer ses centrales à charbon tout en finançant la recherche sur les gaz de schiste en Pologne ! Pour revenir à la CAPEB, il convient de relativiser les chiffres relatifs à l'artisanat : les grandes entreprises représentent tout de même 30 % des effectifs et 70 % des effectifs de la CAPEB sont des sous-traitants de ces grands groupes. Enfin, pourquoi ne pas envisager de maintenir le niveau de la TVA, compte tenu de la situation financière du pays, et de mettre fin aux aides publiques pour des secteurs qui doivent trouver un équilibre économique sans l'argent des contribuables.
Mme Évelyne Didier. - L'innovation s'accompagne d'un accroissement de la complexité : les particuliers ont du mal à maîtriser les nouveaux équipements. Il en est de même pour les petites collectivités. Quant aux personnes âgées, elles ont besoin qu'on les accompagne dans leurs choix, sans se limiter à l'aspect financier.
M. Jean-Claude Lenoir. - Il faut former les artisans, y compris les technico-commerciaux. S'agissant du compteur Linky, il est important que tous nos concitoyens puissent avoir une connaissance précise de leur consommation ; ErDF devait le financer et se rémunérer sur les économies obtenues. Le projet, préparé par le précédent gouvernement, doit désormais être lancé.
M. Roland Courteau. - Le plus grand gisement d'économies d'énergie est bien l'efficacité énergétique : l'énergie la plus propre est celle qu'on ne consomme pas. Il s'agit aussi d'une source d'emplois. Les économies d'énergie nécessitent toutefois beaucoup de volonté et de pédagogie sur le long terme afin d'offrir une visibilité. S'agissant enfin de la précarité énergétique, je rappelle l'extension des tarifs sociaux pour l'électricité et le gaz ; les autres énergies devraient être traitées dans le cadre de la prochaine loi sur la transition énergétique.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Comment calibrer le volet pédagogique afin d'éviter une rupture entre une élite intellectuelle, qui pourrait s'offrir les équipements les plus économes, et ceux qui ne peuvent s'offrir la dernière automobile hybride ? Or ces derniers se voient en plus traités comme des coupables.
Mme Anne de Béthencourt. - M. Hérisson, votre intervention rejoint les souhaits que nous avons exprimés dans notre avis : être économes des deniers publics en matière de transition énergétique, favoriser les filières économiquement viables, procéder à toutes les analyses socioéconomiques et environnementales nécessaires avant de prendre une décision.
M. Jacky Chorin. - Nous vous remercions de l'intérêt que vous manifestez pour nos travaux. La question de la formation est effectivement centrale. Le problème des diagnostiqueurs doit être traité à part. Un arrêté du 1er janvier 2013 est venu renforcer leurs obligations : il ne sera plus possible, par exemple, de faire un diagnostic à distance sans se déplacer. Il conviendra de faire un bilan en fin d'année pour voir si les écarts dans les pratiques se sont réduits.
En ce qui concerne les artisans, nous comprenons bien que les grandes entreprises existent aussi. Nous avons auditionné également la FFB. La vraie question est de savoir comment les faire travailler ensemble, sans passer obligatoirement par des relations de sous-traitance. Dans notre rapport, nous faisons référence aux travaux de l'ADEME et au plan Bâtiment durable.
Les contrôles, qu'ils soient exercés par l'État ou par d'autres, apparaissent de plus en plus nécessaires à mesure que les exigences de qualité s'accroissent. On a demandé aux banques d'être les garantes de la qualité des travaux financés par le prêt à taux zéro : c'est un non-sens. Nous avons suggéré que ce soient des artisans qualifiés qui s'en chargent.
L'effet pervers de certains dispositifs incitatifs est une réalité. On l'a vu pour les panneaux photovoltaïques. Si on met beaucoup d'argent public et privé dans la rénovation, l'ensemble de la chaîne devra faire un effort pour maîtriser ses coûts.
En ce qui concerne la TVA, nous ne faisons que préconiser un retour à la situation d'il y a deux ans, où le taux pour les travaux de rénovation était de 5,5 % seulement, avant d'être porté à 7,5 % puis annoncé à 10 % au 1er janvier 2014. L'une des conséquences de cette évolution, selon la CAPEB, est le développement du travail au noir. La hausse de la TVA risque de détruire 17 000 emplois, alors que la rénovation et l'efficacité énergétique étaient jusqu'à présent les seuls segments du secteur du bâtiment créateurs d'emplois. C'est un contre-signal majeur. Il semblerait que le Gouvernement soit susceptible de bouger, au moins pour le logement social. Ce que nous disons, c'est que ce n'est pas en augmentant la TVA que nous allons inciter les acteurs à se mobiliser. Nous ne pouvons pas dire autre chose, même si nous n'avons pas à arbitrer entre les différentes manières d'accroître les recettes fiscales.
En ce qui concerne le compteur intelligent Linky, les financements sont prévus. Néanmoins, des difficultés existent toujours avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La question est de savoir si l'on peut s'engager sur vingt ans avec des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) fixés pour quatre ans ?
Mme Anne de Béthencourt. - Dans tout changement, il y a inévitablement de la complexité. La vraie question est l'accompagnement au changement. En matière de précarité énergétique, il existe déjà des programmes pour aider au financement de la rénovation des logements, mais il manque un accompagnement. C'est un vrai sujet, surtout pour ces populations qui n'ont pas le réflexe de venir au guichet unique. On estime que pour un euro investi dans l'efficacité énergétique, 42 centimes sont économisés sur les frais de santé. C'est une étude faite au plan européen. Il n'y a jamais eu d'étude macroéconomique de l'efficacité énergétique en France.
Vous avez évoqué les comportements. Le plus répandu demeure celui du gaspillage. Il existe d'énormes gisements d'économies. Par exemple, on estime que 70 % de l'électricité consommée dans le secteur de l'industrie sert à faire tourner des moteurs. Or, quasiment tous ces moteurs sont surdimensionnés. Nous parlons du comportement de tous les acteurs, face à une énergie encore relativement peu chère aujourd'hui, par rapport à son prix dans le futur. Il n'y a pas forcément besoin d'être très restrictif. Regardons ensemble, de manière très pragmatique, comment faire pour parvenir à une forme de sobriété.
M. Raymond Vall, président. - Je vous remercie au nom de tous mes collègues. Je voudrais vous signaler que le volet de l'énergie dans le bâtiment a été abordé lors d'une audition que nous avons faite récemment des responsables nationaux du plan Bâtiment durable. La filière souffre d'un manque de crédibilité, depuis la formation jusqu'au diagnostic. Les responsables du plan national Bâtiment durable sont d'ailleurs à la disposition des élus pour se rendre dans les départements et en exposer le détail. Sur la question de la TVA, nous sommes en partie d'accord. Il faudra sans doute faire un geste, alors que près de 40 000 emplois sont menacés pour 2013. Je voudrais maintenant donner la parole à Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du Conseil économique, social, et environnemental.
Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du CESE. - Je ne me risquerai pas à faire la conclusion ou la synthèse de cette audition. Je voudrais simplement vous remercier de votre intérêt pour nos travaux. Il est important que nous ayons des relations spontanées et naturelles entre assemblées. Au CESE, nous essayons de réunir des consensus, tout ce que nous disons est collectif. Je constate que vous avez le même type de coopération entre commissions permanentes que nous pouvons avoir entre sections. Nous sommes très attachés à cette transversalité, et je m'en réjouis.
Je vous remercie tout particulièrement d'avoir donné la parole à la section de l'environnement, la dernière née du CESE, dont le mandat est très vaste : biodiversité, climat, transition énergétique, risques environnementaux, protection de l'environnement, mer et océan, qualité de l'habitat. Nous avons des avis en cours sur la gestion durable des océans, les inégalités socio-environnementales et l'adaptation climatique. Essayons d'enrichir nos réflexions communes chaque fois que cela est possible.