Jeudi 14 mars 2013
- Présidence de M. Jean-François Humbert, président -Audition de M. Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, spécialiste des questions relatives au dopage
M. Jean-François Humbert, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Pierre de Mondenard. Il est le premier à être auditionné par notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage. Celle-ci a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre de Mondenard prête serment.
M. Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, spécialiste des questions relatives au dopage. - Le dopage n'est pas une invention de l'affaire Festina en 1998, il remonte à la nuit des temps. Il y a quelques années, j'avais même publié un article intitulé « Et Dieu créa le dopage ». Le dopage n'est pas non plus lié à tel ou tel sport puisqu'il concerne l'homme face la compétition.
Dans les Jeux olympiques antiques, l'alcool était prohibé et un juge placé à l'entrée des stades reniflait l'haleine des compétiteurs ; les amendes servaient à élever des statues aux dieux. Au Ve ou au VIe siècle avant notre ère, l'on avait recours aux plantes et l'on croyait à la consubstantialité qui transmet les qualités d'un animal à celui qui en mange la viande. Au temps de Milon de Crotone, l'emblématique champion, les lutteurs mangeaient de la viande de porc, les lanceurs et boxeurs de la viande de taureau et les sauteurs, bien sûr, de la viande de chèvre. Dans les années 1980, avant les matchs, les avants de certains clubs de rugby français consommaient du sanglier et les arrières du chevreuil.
Au Ve siècle avant le Christ, les compétiteurs avaient à leur table des nourrices dont ils tétaient le sein, parce que le colostrum contient anabolisants et facteurs de croissance. Si de Popeye à Astérix, les personnages de légende ne manquent pas, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a dû renoncer en 1980 à prendre ce dernier comme mascotte, à cause de la potion magique.
Le dopage a toujours participé de la relation de l'homme à la compétition. N'admettant jamais que son adversaire soit plus fort que lui, il croit toujours qu'il a un truc. Et il le cherche.
Le premier article moderne en français sur le dopage est une communication du docteur Marcet devant le club alpin de Londres. Daté de 1887, il s'intitulait « De l'usage des stimulants alcooliques dans les courses de montagne ». En 1908, lors des Jeux olympiques de Londres, le marathonien italien, Dorando Pietri s'écroule au dernier tour ; il franchit la ligne d'arrivée après que des officiels l'ont relevé, ce qui causera sa disqualification. Il avait pris de la strychnine et l'atropine, produits qui seront ensuite inscrits dans la liste des substances interdites. L'histoire retient son nom, pas celui du vainqueur, l'américain John Hayes.
En 1919, la joueuse de tennis française Suzanne Lenglen, véritable star planétaire surnommée « la divine » remporte à 20 ans le tournoi de Wimbledon face à la tenante du titre. Dès le premier set de ce match difficile, son père, qui est son entraîneur, lui lance un flacon de cognac ; elle en boit à la régalade devant l'assistance qui comprend notamment la famille royale ; et elle récidive avant le dernier set. Le cognac fait déjà partie de la pharmacie des joueurs et l'on verra plus tard, un Jean Borotra se sublimer au cognac. Tout dépend de la dose : à faible dose, l'alcool est efficace, il améliore la précision du geste. Pour preuve, en 1968 à Mexico, sur les 668 tests réalisés lors des premiers contrôles antidopage de l'histoire des Jeux, seul un compétiteur suédois du pentathlon moderne sera contrôlé positif à l'alcool, qui était interdit dans deux spécialités, le tir et l'escrime, parce que l'année précédente, l'un des participants des championnats du monde en Autriche avait tiré sur le jury.
Le dopage est aussi omniprésent dans le football. Gerardo Ottani, un footballeur professionnel de Bologne devenu médecin puis président de la société médico-sportive italienne, mène en 1958 une étude qui révèle que 27 % des footballeurs de la première division prenaient des amphétamines, 62 % des stimulants du coeur et de la respiration, 68 % des stéroïdes anabolisants. Il y a alors un match et deux entraînements par semaine et beaucoup moins d'argent qu'aujourd'hui : le vrai moteur du dopage n'a jamais été l'argent ; c'est l'égo, la compétition. Tant que l'on n'a pas compris cela, on parle en amateur.
Dans les années 1950, les douze sommets de plus de 8 000 mètres que compte la planète ont été vaincus par des amphétaminés. Ce fut le cas d'Herzog et de Lachenal lorsqu'ils vainquirent l'Annapurna le 3 juin 1950. On parlait d'eux comme de l'équipe de France, tant ces ascensions s'inscrivaient dans une véritable compétition entre quelques pays. Les Français utilisaient le Maxiton, les Anglais la Benzédrine, les Italiens la Sympamine, les Allemands et les Autrichiens le Pervitin. A partir des années 1950, les amphétamines ont commencé à pénétrer le monde du sport, l'alpinisme, puis les autres sports comme le football ou le cyclisme. Contrairement à une idée reçue, ce dernier est loin d'être le seul concerné par le dopage.
En 1960, alors que la lutte antidopage n'existe quasiment pas, sauf en Italie, un ouvrage sur la corrida, Des taureaux et des hommes, explique que trente minutes avant d'entrer dans la plaza, le matador fume un joint de marijuana. Une note de bas de page précise qu'il s'agit de doping : avant d'affronter une bête de 500 kilos, le torero consomme un produit désinhibant. Pour moi, le cannabis est fondamentalement une drogue dopante, parce que tout ce qui agit sur le système nerveux central est un dopant. En effet, le mental joue un rôle essentiel dans la compétition. Utilisé à dose adéquate, le cannabis donne des résultats, particulièrement pour des goals agressés par les spectateurs qui sont assis derrière eux.
La lutte antidopage ne fonctionnera pas tant que les fédérations en auront la charge. Connaissez-vous un jury d'assises pris dans la famille de l'accusé ? Connaissez-vous un patron d'entreprise qui soit aussi délégué syndical ? En 1955, alors que tous les coureurs sont dopés aux amphétamines, le Tour de France monte pour la première fois les pentes du mont Ventoux, Jean Malléjac s'écroule sous la chaleur et frôle la mort. Après une vague enquête, un soigneur est renvoyé et l'on repart comme avant... On recommence en 1967, à la différence que Simpson décède, en 1998 avec l'affaire Festina et en 2006 avec l'affaire Puerto. Les affaires se succèdent, rien ne change, sauf, de temps en temps, les ministres.
Après l'affaire Malléjac, on vend au public « le Tour de la désintoxication ». On savait pertinemment que le peloton marchait aux amphétamines. Pourtant, en 1998 le patron du Tour de France et celui de la Fédération de cyclisme déclarent qu'ils en ont, en quelques jours, appris davantage qu'en vingt ans. Le podium de l'hypocrisie !
En 1965, avant la loi qui sera votée le 1er juin, l'un des deux patrons du Tour, Félix Levitan déclare dans la presse : « ceux qui ne se dopent pas sont des pauvres types et ils seront voués à l'échec et à la défaite ». Le patron du Tour de France est pour le dopage ; si l'on ne se dope pas, on perd ! Quand j'ai pénétré sur le Tour, où je suis resté pendant trois ans, il ne m'a pas fallu une semaine pour vérifier que tous les coureurs, sans exception, prenaient des médicaments. Certains figurent sur la liste des dopants, d'autres non ; certains sont décelables ; d'autres pas. Mais tous les coureurs « médicalisent la performance » : on considère que la compétition est une maladie que l'on soigne.
Ces gens font preuve d'une véritable duplicité voire de schizophrénie. Pour vendre du bonheur, ils occultent tout ce qui dégrade l'image du sport. En 1958, L'Equipe demande « Pourquoi le tour de France va-t-il de plus en plus vite ? » ; le mot dopage n'apparaît pas une seule fois dans l'article. On lit dans d'autres pages du journal qu'à l'Ecole de Joinville, « on essaye un anti-fatigue révolutionnaire pour améliorer les performances ». L'Equipe a participé copieusement à la diffusion de l'idée qu'il faut prendre des substances. Toujours en 1958, ce journal fait de la publicité pour « un fortifiant utile ». On fait croire aux sportifs qu'ils ont toujours besoin de prendre des produits pour améliorer leurs performances, on soigne la compétition.
A la même époque, Pierre Chany, un grand journaliste sportif, se déclare prêt à donner sa paie à la caisse de secours des cyclistes professionnels si plus de trois des vingt-cinq participants du Grand Prix des Nations n'ont rien pris : il est sûr de la garder. C'est aussi le moment où le directeur sportif de l'équipe de France, Marcel Bidault, un homme intègre, raconte que 75 % des coureurs du Tour se dopent et qu'il peut en parler en toute connaissance de cause : il le constate le soir lorsqu'il fait les chambres.
Le dopage est omniprésent dès les années 1950. Aux Jeux olympiques de Rome, en 1960, Knut Enamark Jensen décède lors du 100 kilomètres contre la montre, courue le 26 août par plus de 40 degrés. L'autopsie révèlera qu'il avait pris des amphétamines. En 1967, Simpson meurt sur les pentes du Mont Ventoux dans des conditions similaires. La chaleur et l'effort accroissent l'effet des amphétamines sur la température du corps ce qui entraîne un collapsus c'est-à-dire un désamorçage de la pompe. Plus rien n'est irrigué, et il meurt.
Comment se fait-il que Simpson soit mort, alors que tout le peloton carburait au même produit ? Personne ne se pose la question. Il s'était arrêté dans un bistrot au pied du Ventoux - c'est d'ailleurs après sa mort que l'on arrêtera la chasse à la canette -, il y avait raflé une bouteille de Cognac et l'avait bu à moitié. L'alcool étant un diurétique, il a accentué la déshydratation causée par les amphétamines et par l'effort.
L'histoire ne se termine pas là, puisqu'une semaine après l'accident, la justice fait procéder par un huissier à un contrôle dans le peloton. Ce n'est pas la fédération qui est à la tête de l'antidopage, c'est la justice. Quand Simpson meurt, tout le peloton s'effondre et pleure à chaudes larmes. Huit jours après, deux coureurs sont épinglés avec le même produit... Mais le mot santé ne figure pas dans le vocabulaire de ces jeunes de 25-30 ans. Mourir n'a aucun sens, et avaler des substances ne leur pose pas de problème métaphysique.
Tous les médecins ne sont cependant pas à côté de la plaque. Dans les années soixante, une star montante du cyclisme français. Le coureur chute dans les Cévennes, au col du Perjuret. Champion du monde, il avait fini quatrième du Tour de France de 1959, et battu à plusieurs reprises le record de l'heure ; il est devenu toxicomane avec un analgésique, le Palfium, qu'il prenait pour supporter la douleur à vélo. Dans la descente du col, il croit freiner, et passe par-dessus un parapet... Il mourra à 40 ans. Médecin du Tour, Robert Boncourt, écrit : « Un épouvantable danger menace la vie des champions cobayes transformés en champions suicides ».
En 1960, un journaliste entre dans la chambre du futur vainqueur Nencini : il a une perfusion d'anabolisants et de corticoïdes dans chaque bras ; le médecin de l'équipe italienne Carpano est là, ainsi que le soigneur qui lui retire la cigarette de la bouche pour faire tomber la cendre... Nencini mourra à 49 ans d'un cancer.
Nous faire croire en 1998 que le dopage est une nouveauté, que les anabolisants et les corticoïdes sont apparus dans les années soixante-dix est une pure hypocrisie. Un soigneur disait d'ailleurs qu'un des effets secondaires du dopage était de rendre hypocrite.
Simpson est mort, d'autres suivent sur les écrans de télévision : le Danois aux jeux olympiques, un footballeur et un cycliste en 1968, dont l'autopsie révèle qu'il avait pris des amphétamines. Suivent deux jeunes dans la région de Grenoble. Cela remue les consciences, les choses bougent peu à peu. En 1963, il y a un colloque. La première loi est à l'initiative de Maurice Herzog... qui avait pris des amphétamines pour escalader l'Annapurna. Il la fait voter le 1er juin 1965, mais la loi belge du 1er avril 1965 est en fait la première au monde. Pendant un an, il ne se passe rien : le décret donnant la liste des substances interdites ne sort que le 10 juin 1966. Et est intraduisible !
Je suis arrivé dans le système dans les années soixante-dix. Je faisais des contrôles en province, dans la France profonde : il fallait pour cela, avoir à peu près les mêmes qualités qu'un correspondant de guerre, disait un journaliste. Un confrère avait été frappé, poursuivi en voiture, son véhicule poussé dans le fossé... Il a dû quitter Bordeaux pour s'installer en Bretagne. A cette époque, il fallait être motivé pour faire du contrôle antidopage.
J'ai demandé à un patron de laboratoire à quoi correspondait le dialcool amide des acides alcool-amino butyriques du décret d'application. Il a interrogé tous ses confères et n'a pas su répondre. Même les spécialistes n'y comprenaient rien ! Il s'agit en fait du Micoren. J'en conclus que les professionnels du sport sont contrôlés par des amateurs. Rien n'était fait dans un sens pédagogique pour rendre la liste compréhensible.
La loi de 1965 n'a jamais été une loi antidopage : le Journal officiel la qualifie de loi anti-stimulants. Pourquoi ? En 1965, la communauté scientifique croit que le dopage, ce ne sont que les stimulants. La revue officielle de la Société française de médecine du sport publie alors des publicités pour le Durabolin - de la nandrolone, le stéroïde anabolisant le plus utilisé dans les quarante années à venir.
Prenez un Vidal. Jusqu'au milieu des années quatre-vingts, on y trouve tout sur la posologie, les indications, le mode d'emploi, mais jamais un effet secondaire. Quant aux stéroïdes anabolisants, on dit aux médecins d'en prescrire aux sportifs. On vient d'apprendre que le sud-africain Oscar Pistorius, accusé d'avoir assassiné sa compagne, était sous l'emprise de stéroïdes anabolisants, connus pour entraîner ce qu'on appelle la rage des stéroïdes : on devient extrêmement violent, avec des phases d'une intensité extrême. Ces substances sont très répandues dans certains sports : dans les équipes de football américain ou de hockey sur glace d'Amérique du Nord, il y a toujours un méchant, spécialement entraîné, bourré d'anabolisants, et chargé de descendre les meilleurs du camp d'en face. Tout le monde le sait, tout le monde l'admet. Dès les années soixante, les laboratoires connaissent les effets des médicaments : sur la notice, il est indiqué « action psychotonique puissante » : autant dire agressivité maximale...
J'en ai vu défiler des ministres du sport ! Leurs connaissances sur le dopage sont bien minces. Après l'affaire Festina, une ministre s'inquiétait pour les jeunes amateurs comme s'ils n'étaient pas touchés depuis des décennies. La preuve : un an après la mort de Simpson, au Premier Pas Dunlop de 1968, un championnat de jeunes, sur six contrôles, cinq sont positifs : dans le sport amateur, les contrôles sont tellement rares qu'on ne s'y prépare pas... Dans le milieu professionnel, les contrôles après les compétitions sont une perte de temps et d'argent. Le jeu, c'est de passer à travers... Ça fait du bien aux fédérations et aux organisateurs qui peuvent dire qu'aucun contrôle n'est positif - c'est formidable ! Si j'étais patron des contrôleurs, je renverrais tout le monde... Un contrôle négatif n'est jamais la preuve de l'absence de dopage.
David Howman, directeur général de l'Agence mondiale antidopage (AMA), un ancien compétiteur de tennis néo-zélandais, a déclaré devant l'Unesco en novembre 2011 que sur les 255 000 contrôles réalisés l'année précédente, 36 seulement avaient révélé la présence d'EPO ; il en concluait que la lutte de l'AMA contre le dopage était pathétique. C'était la première fois qu'un responsable de l'antidopage admettait que celui-ci n'est pas très performant. La vérité, c'est qu'aucune lutte antidopage n'est possible avec des substances indécelables. C'est comme les radars, si on vous dit où ils se trouvent. Faire un contrôle a posteriori revient à indiquer où se trouve le radar. Le jeu, c'est de l'éviter.
Les seuls contrôles valables sont ceux menés à l'improviste. Les autres ne servent à rien - et financièrement, c'est le tonneau des Danaïdes.
La triche et le mensonge sont consubstantiels à l'homme : l'enfant s'y adonne dès sa première partie de jeu de l'oie ou de petits chevaux. Ce qui me choque n'est pas que Lance Armstrong ait triché, mais que l'on dépense des sommes astronomiques pour n'attraper personne, ou trop tard. La compétition, c'est l'école de la triche. Robert Pirès, le footballeur, raconte comment Raymond Domenech, entraîneur de l'équipe de France des jeunes, lui a appris à tomber dans la surface de réparation pour provoquer un penalty.
J'ai écrit 4 000 pages sur le sujet, 1 000 articles dans la presse scientifique, médicale et sportive. Ce que je veux vous faire comprendre, c'est que le dopage n'a rien à voir avec ce que vous lisez dans les journaux. Et ni le monde sportif, ni le monde de l'antidopage ne vous éclaireront sur le sujet.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Merci pour cet exposé médical, scientifique et historique. Y a-t-il eu des avancées depuis la loi de 1965 ? Les produits utilisés sont-ils de plus en plus dangereux ? Les moyens et le fonctionnement de l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sont-ils à la hauteur ?
M. Jean-Pierre de Mondenard. - La lutte antidopage a progressé, mais le camp d'en face s'est professionnalisé et emploie des substances indécelables. Il y a eu une certaine prise de conscience : Maurice Herzog considère que sa loi n'a servi à rien, parce qu'elle ne prévoyait pas de sanction, sauf si l'on prouvait que le sportif avait sciemment consommé le produit illicite. Les avocats des sportifs ont vite trouvé la parade : « Tu diras qu'on t'a donné un bidon sur le bord de la route »...
En 1966 sont effectués les premiers contrôles sur le Tour. Sur douze contrôlés, six sont positifs : 50 %, la moitié du peloton ! Personne n'est sanctionné. Les années suivantes, le taux descend à 12 %, puis 4 % pendant deux ans, avec une remontée à 10 % en 1970 parce que l'éphédrine, un stimulant qui remplace les amphétamines, a été ajoutée à la liste - les cyclistes n'en étaient pas informés. Les années suivantes, le taux s'effondre à 1 ou 2 %. Tout le monde s'est gargarisé de ces résultats... Quelle erreur ! En réalité, les sportifs apportaient un flacon contenant l'urine d'un tiers, puis ils ont pris des substances indécelables, dénoncées dans un article du journal local La République des Pyrénées dès les années soixante.
L'affaire Festina a relancé la recherche : on a trouvé l'EPO, les PFC (perfluorocarbures), les hémoglobines de synthèse, les corticoïdes. Un an plus tôt, en 1997, le ministère des sports s'était enfin rapproché du laboratoire antidopage des chevaux, qui arrivait à déceler les corticoïdes chez l'animal, et lui avait demandé de tester les urines du Tour de France. A la troisième semaine, 80 % du peloton était contrôlé positif.
Laurent Fignon a écrit dans sa biographie qu'à son époque, on ne pouvait pas se doper car les produits étaient décelables. Quelques pages plus tard, il explique que tout le monde prenait des corticoïdes car ils n'étaient pas décelables...
Je suis favorable à une agence mondiale de lutte contre le dopage, à condition qu'elle soit dirigée par des gens compétents. On nomme, aux agences nationales ou internationales, des personnalités qui, la veille, ne savaient pas que dopage ne prend qu'un p : le lendemain, elles sont interrogées en tant qu'experts. Le premier patron de l'AMA, Dick Pound, était un ancien nageur, finaliste olympique, devenu avocat. L'agence a été son bâton de maréchal, pour le consoler de ne pas avoir obtenu la présidence du Comité international olympique (CIO). Or, qui est Dick Pound ? En 1988, lorsque Ben Johnson se fit épingler au 100 mètres à Séoul, il fut son avocat, et plaida qu'une main inconnue avait versé un produit dans son bidon d'eau...
Deux personnalités, dans le monde, ont la légitimité nécessaire à ces fonctions, mais jamais elles ne seront à la tête de l'antidopage : il s'agit de l'italien Sandro Donati, qui a mis au jour les agissements de Francesco Conconi, l'instigateur du dopage à l'EPO dans le sport mondial - et qui, malgré ces révélations, est resté membre du comité médical du CIO. Sandro Donati a également fait tomber Michele Ferrari, autre médecin ayant oublié le serment d'Hippocrate. Le second est l'allemand Werner Franke, qui a révélé le dopage en Allemagne de l'est et qui a dû affronter quantité de procès intentés par des sportifs de haut niveau. Il a subi de nombreuses menaces...
Les journalistes, qui ne veulent pas être accusés de complicité passive, affirment que dans le passé, le dopage était ridicule et les performances maximales alors qu'aujourd'hui, le dopage serait extraordinaire et les performances ridicules. Depuis les affaires Festina et Armstrong, on présente les sportifs comme des moins que rien. Mais Laurent Jalabert l'a bien dit : Lance Armstrong était un super champion. Pourquoi dit-il cela ? Parce qu'avec le même dopage, Armstrong le battait à plate couture ! L'Américain était un voyou, mais aussi un excellent coureur, qui a su organiser son système. Travis Tygart, l'avocat de l'agence américaine antidopage (Usada), qui voulait sa peau, prétend que le coureur a mis au point le dopage le plus sophistiqué de l'histoire : c'est une imposture ! Il pratiquait le même dopage que ses adversaires. Moi-même, j'avais affirmé dans les médias qu'il employait les mêmes produits que Richard Virenque : testostérone, corticoïdes, hormones de croissance : rien ne neuf, rien de génétique. Sauf qu'Arsmtrong était une entreprise à lui seul, avec un objectif : gagner, et des moyens. Ses équipiers étaient des vainqueurs potentiels. Dans la roue d'un autre coureur, on économise 33 % d'énergie. Il était ainsi épargné pendant 200 kilomètres et s'échappait dans le dernier col, quand tous les autres étaient bien entamés... Il rentrait à l'hôtel en hélicoptère privé et gagnait ainsi deux heures de repos sur ses concurrents, ce qui vaut tous les dopants de la terre. Les organisateurs sont responsables, ils n'auraient pas dû accepter cela.
A l'origine, les laboratoires présentaient les amphétamines comme précieuses pour combattre la somnolence au volant et sauver des vies. Mais les amphétamines vous donnent « le grand volant » : vous perdez la juste perception de l'espace, vous vous sentez invulnérable et dans le virage, au lieu de tourner, vous allez tout droit - dans le platane.
Une étude sur les coureurs du Tour de France, que j'ai réalisée avec l'Institut Curie, a montré que l'accidentologie des cyclistes professionnels est deux fois plus élevée que la moyenne, pour deux raisons. Les coureurs passent 20 à 25 heures par semaine sur les routes sur un véhicule qui n'a pas de pare-chocs. Et ils prennent des amphétamines.
Celles-ci entraînent aussi des fibroses vasculaires. Dans les années soixante-dix ou quatre-vingt-dix, les coureurs du Tour, tous jeunes, mouraient cinq fois plus d'accidents cardiovasculaires que la moyenne de la population, qui boit, fume et se nourrit normalement. Le danger, c'est la pratique sportive intense. Pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie, Jean-Paul Sartre consommait une vingtaine de comprimés de Corydrane par jour, une amphétamine associée à l'aspirine. Il pratiquait peu le sport... Il est mort à 75 ans, la moyenne de l'époque. Mais qu'un cycliste, avec la même dose, s'attaque au Ventoux, il se retrouvera au mieux en réanimation, au pire à la morgue : c'est l'effort qui potentialise les effets secondaires des produits. Sans compter les effets tératogènes : certaines substances, absorbées par la mère ou le père, provoquent des malformations sur le bébé. Des enfants naissent avec une main plantée dans l'épaule, un pied bot. De nombreux athlètes d'Allemagne de l'est ont revendiqué une indemnisation à ce titre. Les produits dopants, amphétamines, anabolisants, EPO et hormones ont tous une kyrielle d'effets secondaires qui n'ont rien de sympathique.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Comment améliorer les moyens d'action de l'AFLD ? Les généralistes sont-ils suffisamment engagés dans la lutte antidopage ? Quid des fédérations sportives ?
M. Jean-Pierre de Mondenard. - Les médecins savent qu'ils prennent un risque en prescrivant des produits dopants : ils se bornent à fournir le protocole, charge aux sportifs de se ravitailler sur internet ou ailleurs.
Lorsque Pierre Bordry a démissionné de l'AFLD, il avait déclaré la veille que la lutte contre le dopage était efficace. Deux jours après, dans Le Monde, il disait l'inverse...
L'agence doit avant tout être indépendante. J'insiste sur la nécessité de séparer la lutte antidopage du monde sportif. On ne peut pas à la fois courir après les médailles et empêcher les sportifs de s'en donner les moyens, tous les moyens ! Depuis 1965, le système fonctionne mal.
Il faut également créer un laboratoire indépendant exclusivement orienté vers la recherche : depuis quarante ans, les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne trouvent pas, et les laboratoires cherchent des substances que les sportifs ne prennent pas !
Enfin, dans les tribunaux, il faut des juges spécialisés, à l'instar des juges anti-terroristes. Combien de vrais dopeurs passés à travers les mailles de la justice !
M. François Pillet. - J'étais très inquiet de vous entendre dire que la triche est consubstantielle à l'homme. Si vous avez raison, la lutte est perdue d'avance ! Pour retrouver un peu d'espoir, je ferai la distinction entre le sport spectacle et le sport santé - je pense notamment aux jeunes. Que pensez-vous de l'utilisation croissante de cocktails vitaminés et de boissons énergisantes ? Est-ce qu'ils ne font pas là un malheureux apprentissage ?
M. Jean-Pierre de Mondenard. - Une publicité montre un champion, une canette posée à côté de lui. Le message est clair : il a gagné grâce à la canette. Les jeunes commencent à prendre des vitamines, puis l'entraîneur les incite à passer aux piqûres. L'engrenage s'enclenche dès lors que l'on prend des produits pour soigner... la performance. On prend des vitamines en cure, contre une carence, pas pour gagner un match ! Aucune vitamine n'a jamais boosté la performance. Le Guronsan, outre la vitamine C et l'acide glucuronique, contient de la caféine : c'est cette dernière qui stimule ! En 2004, l'agence antidopage a retiré la caféine de la liste des produits interdits alors qu'elle est utilisée à cette fin depuis des siècles car on sait qu'au football, par exemple, elle améliore la détente verticale ou la précision au tir. On se moque du monde quand on parle de la lutte antidopage.
Mme Danielle Michel. - Comment des médecins, qui ont prêté le serment d'Hippocrate, peuvent-ils administrer à des jeunes des produits nocifs ?
M. Jean-Pierre de Mondenard. - Les médecins sont en effet un maillon important de la chaîne de dopage. Mais ce sont d'abord des hommes. Comme tant d'autres, ils veulent être l'ami du champion, l'avoir à leur table, être le parrain de leur fils. Ils ont son poster dans leur cabinet. Pour les journalistes, c'est pareil, et certains participent même aux séances de dopage avec les sportifs. Le problème n'est pas le médecin, c'est l'homme ! Un médecin dopeur et confident de champions s'est même fait enterrer avec le maillot de son sportif favori...
M. Jean-François Humbert, président. - Merci pour votre éclairage.
Audition de M. David Douillet, médaillé olympique, ancien ministre des sports
M. Jean-François Humbert, président. - Nous entendons M. David Douillet, député, ancien ministre des sports et double champion olympique de judo. Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter serment. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. David Douillet prête serment.
M. David Douillet. - C'est un honneur d'être auditionné par votre commission d'enquête, que je trouve nécessaire car beaucoup de progrès restent à faire en matière de lutte contre le dopage. Les récentes révélations de Lance Armstrong en témoignent.
Depuis les années 2000, la lutte contre le dopage s'est organisée au niveau international. En 1999 a été créée l'agence mondiale de lutte contre le dopage (AMA). Organisation indépendante, elle est composée et financée à parts égales par le Mouvement olympique et les États adhérents. Elle a vocation à développer la supervision de la conformité au code mondial antidopage, document harmonisant les règles liées au dopage dans tous les sports de tous les pays, dont la dernière version date de 2007 et dont on attend la prochaine en 2015. En outre, 150 États sont parties à la convention internationale contre le dopage dans le sport, que la France a ratifiée en 2007.
L'AMA s'appuie sur les agences nationales de chaque pays membre. En France, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a été créée par la loi du 5 avril 2006. Elle succédait au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage - auquel j'ai siégé en tant que représentant des athlètes -, alors simple autorité administrative adossée au laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry, qui est un établissement public, et au ministère chargé des sports.
La lutte contre le dopage en France s'appuie d'abord sur la justice sportive. L'athlète reconnu coupable d'infraction à la législation antidopage est passible de sanctions disciplinaires que les fédérations sont compétentes pour infliger, sans préjudice de sanctions administratives décidées par l'AFLD. La loi relative au trafic de produits dopants du 3 juillet 2008 réprime en outre pénalement la détention, la fabrication, l'importation, l'exportation ou le transport de produits dopants, et facilite les échanges entre les agents participant à cette lutte - ministère des sports, police judiciaire, douanes et AFLD.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital (dite loi HPST) ainsi que l'ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs ont enfin mis le code du sport en conformité avec le code mondial antidopage le 1er janvier 2009. La loi du 1er février 2012 relative à l'éthique du sport élargit les prérogatives de l'AFLD. En tant que ministre des sports, j'ai défendu ses dispositions, qui soumettent notamment les athlètes français à de plus stricts contrôles lors de leurs déplacements à l'étranger, et renforcent la coopération internationale. Lorsque je suis devenu ministre néanmoins, le texte avait déjà été adopté par le Sénat : je me suis efforcé à ce qu'il soit adopté conforme par l'Assemblée nationale, mais je l'aurais enrichi si j'avais pris mes fonctions plus tôt.
L'Académie nationale de médecine a publié en 2012 le résultat des 10 511 contrôles effectués cette année-là par l'AFLD : 85 % d'entre eux portaient sur des sportifs de haut niveau et seulement 2,3 % des cas ont révélé une infraction. L'Académie estime toutefois le phénomène sous-estimé. C'est sans doute exact, si l'on en juge par les révélations publiées ici ou là.
J'en viens aux difficultés actuelles de la lutte contre le dopage. Elles tiennent d'abord à la nature des produits. Malheureusement, les tricheurs auront toujours une longueur d'avance. Les industries pharmaceutiques investissent par milliards dans l'élaboration de substances destinées à soigner la population. Ces produits sont ensuite détournés afin d'améliorer les performances sportives. Cet écart, je l'ai constaté lorsque je représentais les athlètes au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, où j'ai souvent regretté que l'on n'accorde pas autant d'importance au « P » de prévention qu'au « L » de lutte. Des accords ont depuis été conclus entre l'AMA et les industries pharmaceutiques, afin que les agences nationales soient informées plus précocement de l'élaboration de nouvelles molécules susceptibles d'être détournées. Reste qu'aucune solution n'a pu être apportée concernant les petites entreprises de biotechnologie dont les secrets industriels, pourtant bien gardés, font l'objet de fuites.
La loi du 12 mars 2012 tendant à favoriser l'organisation des manifestations sportives et culturelles a introduit le passeport biologique, déjà utilisé par l'Union cycliste internationale depuis 2008 : c'est un document comprenant les paramètres urinaires et sanguins de chaque athlète. La nouvelle version du code mondial antidopage attendue pour 2015 renforcera les sanctions applicables aux cas de manquement à ses dispositions, en interdisant par exemple à l'athlète reconnu coupable de dopage aux Jeux olympiques de participer à l'édition suivante de la compétition.
Le 20 juin 2012, l'Académie nationale de médecine formulait deux recommandations qui me semblent tout à fait utiles : d'une part, autopsier tout athlète décédé des suites de son activité afin d'améliorer les connaissances des accidents liés au dopage ; d'autre part, modifier les dispositions du code mondial antidopage afin de limiter les compétences des organisations internationales aux seules grandes manifestations sportives et d'alléger le calendrier sportif.
J'ajouterai une troisième proposition : lier la lutte contre le dopage à la régulation des jeux en ligne. Les services répressifs, dont ceux de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) le reconnaissent : dans ce milieu comme dans celui de la corruption et de la triche sportive, ce sont les mêmes mafias qui sévissent. En tant que ministre, j'ai eu l'occasion de faire part de ma vision des choses à Jacques Rogge, le président du Comité international olympique (CIO) : il faut créer une autorité mondiale de lutte contre le dopage et de régulation des jeux en ligne et articuler les deux agences, pour mutualiser les moyens et rendre la prévention et la répression de ces fléaux plus efficaces.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez compris l'état d'esprit de cette commission d'enquête : faire sur ces questions des propositions qui rassemblent les pouvoirs publics, le mouvement sportif, le secteur médical et l'encadrement technique.
Champion du monde et champion olympique de judo, vous avez été un sportif de très haut niveau. Avez-vous alors été confronté personnellement au dopage ? Le judo est-il épargné ? Jean-Paul Coche a déjà laissé entendre le contraire, en témoignant de son étonnement devant l'état de surexcitation des judokas des pays d'Europe de l'Est à la sortie des tatamis.
La lutte contre le dopage est, vous l'avez dit, une lutte contre la montre. Donne-t-elle néanmoins des résultats ? Des progrès ont-ils été réalisés ?
M. David Douillet. - Je fais partie d'une génération postérieure à celle de Jean-Paul Coche : nous avons vécu en direct la chute du mur de Berlin, nous avions des relations amicales avec les judokas des pays de l'Est, nous les avons soutenus pendant cette période. Mais eux-mêmes le disaient : le dopage était une politique d'Etat, ils n'avaient pas le choix !
Pour ma part, je n'ai jamais été confronté de près au dopage. J'ai bien sûr eu vent de cas de triche dans d'autres disciplines. Mais nous avons cette chance au sein de la Fédération française de judo d'être très protégés par l'équipe médicale. La situation est différente selon que vous êtes pris en main par un club ou par la fédération. Vous savez, les athlètes, recrutés très jeunes, placés dans un cocon, sont vulnérables à toutes les pressions, à l'influence de tous les gourous et de tous les dealers. Mais nous étions quant à nous sous le dôme protecteur des médecins de l'équipe de France, qui contrôlaient strictement les ordonnances reçues de l'extérieur, même pour un simple rhume.
Vous me demanderez alors : comment gagne-t-on face à des athlètes dopés ? Sur cent mètres ou à vélo, c'est en effet une gageure. En judo, la victoire dépend heureusement de nombreux paramètres non réductibles à la forme physique : on ne peut gagner sans une technique, un mental, une concentration infaillibles. Le bon geste, déclenché au bon moment, compte autant que la capacité physique. J'ai toutefois vécu des situations invraisemblables. J'ai, par exemple, perdu contre un athlète soviétique qui pouvait perdre ou reprendre dix kilos à volonté pour disputer les compétitions dans la catégorie qu'il souhaitait. J'ai passé de nombreuses heures en salle de musculation pendant des années pour gagner deux ou trois kilos de masse musculaires : je peux vous dire que gagner dix kilos de muscles en six mois, c'est impossible.
Je pense à une athlète française qui a récemment mis un terme à sa carrière. Détentrice de la troisième meilleure performance de tous les temps dans sa discipline, elle n'est devancée que par Florence Griffith-Joyner et Marion Jones, la première décédée très jeune dans des conditions douteuses, la seconde convaincue de dopage... Or cette athlète est propre : on lui a donc volé son argent, ses médailles, sa vie de championne ! C'est un véritable scandale.
Lorsque je siégeais au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, je trouvais déjà les sanctions légères. Je suis convaincu qu'il faut taper plus dur, et pas seulement sur les athlètes mais aussi les fournisseurs de produits interdits. On ne devrait pas donner plus d'un seul avertissement : une première sanction significative, mais en cas de récidive, la radiation à vie. C'est la seule manière de responsabiliser les sportifs.
La lutte contre le dopage fonctionne-t-elle ? Je suis optimiste de nature. J'observe que nos athlètes gagnent de plus en plus de médailles, en natation et en athlétisme notamment. Or ils sont très surveillés et, je le crois, propres. Le directeur technique national d'athlétisme, un ami, me l'a confirmé. Il avait des doutes sur certains, qui se sont fait prendre. Nous avons marqué des points dans la lutte contre le dopage.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelles pistes d'amélioration de l'AFLD envisageriez-vous ? Faut-il responsabiliser davantage les fédérations, notamment en matière de prévention ?
M. David Douillet. - La prévention est insuffisamment mise en avant, car la politique répressive coûte très cher. Les fédérations, le CIO devraient prendre plus à bras-le-corps le « P » de prévention. Cela dit, le véritable courage consisterait à responsabiliser les organisateurs des compétitions. On ne fera croire à personne que les organisateurs du Tour de France, qui vivent pendant un mois avec les équipes et les sportifs dans la « caravane du Tour », ignorent ce qui s'y passe. Ce type de compétition à grand spectacle fonctionne selon un modèle économique qui fait vivre beaucoup de monde. Rejeter l'entière responsabilité du dopage sur le sportif : je trouve cela facile. Je ne veux pas stigmatiser par là le seul cyclisme car toutes les disciplines sont concernées. Il faut mettre un terme à cette hypocrisie.
M. François Pillet. - Réalise-t-on assez de contrôles inopinés ?
M. David Douillet. - Je le crois. Les pouvoirs de l'AFLD ont été accrus, l'agence s'est rapprochée des services répressifs pour cibler davantage les contrôles, d'autant qu'ils sont coûteux. Nous savons que des contrôles aléatoires, exercés dans des disciplines que l'on sait peu sujettes au dopage, sont moins efficaces que les contrôles ciblés comme des frappes chirurgicales. C'est ce type de contrôles qu'il faut renforcer. Prenons garde néanmoins aux excès de zèle : j'ai eu à connaître de cas, lorsque j'étais ministre, dans lesquels mettre trop de temps à sortir du lit pour aller, à 6 heures le matin, ouvrir sa porte à l'agent de contrôle de l'AFLD était considéré comme un no show ou défaut de localisation...
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Au sein de la direction des sports, un bureau est chargé de la prévention du dopage : donne-t-il des orientations aux directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ?
M. David Douillet. - Normalement non. Mais c'est un petit milieu : tout le monde se connaît, tout le monde se parle. Je crois beaucoup plus aux relations humaines qu'aux institutions - même si un cadre clair est indispensable. Les personnels de l'AFLD, du ministère des sports, de l'Oclaesp, sont intelligents, volontaires et compétents. Le système fonctionne.
La prochaine étape sera de mutualiser les moyens de l'AFLD et de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), puis d'instituer une autorité similaire, aux compétences élargies, à l'échelle mondiale. La France, qui dispose de ces deux autorités, faire figure de précurseur car de nombreux pays n'ont pas de cadre juridique solide sur tous les aspects du problème. Or le moteur de la triche est partout le même.
D'aucuns préconisent de légaliser le dopage. C'est une folie. Quelle image donnerait-on à notre jeunesse ? Veut-on leur enseigner que pour réussir, le meilleur moyen est de tricher ? C'est, au contraire, priver la compétition de toute saveur... Le problème est de nature presque philosophique : on ne peut vivre grâce à la triche, pas plus dans le sport que pour passer ses examens. Ou alors, légalisons tout, le cannabis y compris. On sait pourtant que sa dangerosité n'est plus celle qui le classait parmi les drogues douces, car son taux moyen de THC est dix fois plus élevé qu'à l'époque de nos parents. Non : ne mettons pas le doigt dans cet engrenage. On protège aujourd'hui les gens contre le tabac, l'alcool, le cannabis. De même, il faut les protéger contre le dopage.
M. Jean-Claude Carle. - Vous avez invité à ne pas se focaliser sur le cyclisme. Quels sports vous semblent aujourd'hui les plus touchés par le dopage ?
M. David Douillet. - Les sports les plus durs physiquement, ceux dans lesquels on peut donc accroître artificiellement et le plus à profit les performances physiques. Une nuance : on sait par exemple que les bêtabloquants, comme l'alcool dans des quantités maîtrisées, limitent les tremblements, et sont donc utiles dans les sports de précision.
Nous touchons là aux limites de la définition d'un produit dopant. La vitamine C du matin en fait-elle partie ? Le dopage me semble commencer lorsque l'on peut constater un changement physique et physiologique net. Détecter ces situations au plus tôt, voilà qui est du ressort des fédérations sportives.
Il faut sensibiliser tous les enseignants à ces questions. Lorsque, athlète en exercice, j'intervenais dans les collèges de mon département, j'aimais à comparer le dopage, triche permettant d'échapper à la dureté de la compétition, à la drogue comme moyen d'échapper à la dureté de la vie. Cette comparaison avait des vertus pédagogiques. Ces sujets pourraient être liés dans une campagne de prévention.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Certaines fédérations sont plus impliquées que d'autres dans la prévention du dopage. Est-ce une question financière ? Politique ?
M. David Douillet. - Non, cela dépend de la qualité des personnes qui les dirigent. D'aucuns se disent, parfois à juste titre, que le problème ne se pose pas ou guère dans leur fédération. Ils en concluent qu'il est inutile de dépenser de l'argent à cela et préfèrent aider les clubs. Le Comité national olympique et sportif français devrait être moteur sur ces questions.
Cela nous conduit aux valeurs d'éducation que nous voulons promouvoir. Les programmes télévisés offrent une célébrité rapide à des personnes que l'on filme dans un bocal pendant quelques semaines. La vie, ce n'est pas cela ! Pour ceux qui n'ont pas de cadre familial suffisamment solide ou qui manquent d'exemples à suivre, cette voie est tentante. C'est la même pente, celle de la facilité, qui mène au dopage. Aujourd'hui, 150 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, sans envie, sans rêve. C'est une catastrophe. Promouvoir le sport et accentuer la prévention contre le dopage est un moyen de réduire ce nombre.
Je vous souhaite le succès dans vos travaux. Vous pouvez compter sur mes services. A nouveau, il faut taper fort, quitte à protéger les gens contre eux-mêmes. S'il faut passer par la loi, alors faisons-le. Je serai de tout coeur avec vous.
M. Jean-François Humbert, président. - Merci.